TWISTERS (2024)

Dans cette suite tardive du film de Jan De Bont, une nouvelle équipe de chasseurs de tornades brave tous les dangers…

TWISTERS

 

2024 – USA

 

Réalisé par Lee Isaac Chung

 

Avec Daisy Edgar-Jones, Glen Powell, Anthony Ramos, Maura Tierney, Harry Hadden-Paton, Sasha Lane, Brandon Perea

 

THEMA CATASTROPHES

Parmi les suites que personne n’attendait, Twisters se pose bien là, même si les premiers résultats au box-office le positionnent déjà comme un des grands succès de l’année 2024. Le recul aidant, on constate que le film original de 1996 bénéficie d’une côte de popularité jusque-là insoupçonnée, comme en témoignent de nombreux commentaires sur la toile. La nostalgie commençant à faire son œuvre, Twister semble même aujourd’hui trouver une place aux côtés des classiques des années 90 tels que Jurassic Park ou Forrest Gump. Alors qu’il fut critiqué à l’époque pour son scénario schématique et ses personnages unidimensionnels, ces défauts sont peut-être aussi ses atouts : il ne faut en effet pas confondre « simplisme » et « simplicité ». Le scénario de Michael Crichton introduisait ses protagonistes et ses enjeux au développement prévisible dans les dix premières minutes, pour mieux se focaliser sur ses formidables scènes d’action. Et si Jan de Bont est tombé en disgrâce depuis, il offrait à ses acteurs un espace pour faire exister des personnages certes taillés d’un seul bloc mais profondément charismatiques et sympathiques, au milieu d’un tournage à la logistique complexe. Pourquoi ce retour sur le film original ? Parce que Lee Isaac Chung, réalisateur indépendant signant comme tant d’autres avant lui un pacte avec le diable Hollywoodien, a visiblement pris le temps lui aussi de le revoir et l’analyser pour mieux en reproduire la recette.

L’accroche sur l’affiche « Par les producteurs de Jurassic World » rappelle à quel point l’industrie du cinéma a cyniquement admis sa propension à capitaliser encore et encore sur des franchises familières. Sans surprise donc, Twisters a été écrit avec un photocopieur Xerox : même introduction établissant le trauma de l’héroïne, rivalité entre deux équipes et intensité des tornades allant crescendo jusqu’à la fameuse F5, avec en guise de fil rouge la mise au point d’appareils permettant de neutraliser les tornades par un procédé scientifique improbable mais suffisamment crédible dans le contexte du film. Mais ce qui permet de dépasser le statut de simple remake sans âme, c’est le charisme indéniable des acteurs. Daisy Edgar-Jones incarne une émule d’Helen Hunt (jusqu’à porter la même tenue pantalon kaki/débardeur blanc en guise de clin d’œil)) mais devient cette fois plus clairement le personnage principal. Anthony Ramos, transfuge de Broadway (il faisait partie du cast original du phénomène Hamilton), ne parvient toujours pas à crever l’écran en évitant néanmoins l’embarras de son emploi de figurant de luxe dans Transformers – Rise of the Beasts. Mais la « révélation » ici, c’est Glen Powell (Top Gun : Maverick et la rom-com Anyone but you), incarnant l’archétype du cowboy du Midwest. Débordant d’arrogance et se mettant lui-même en scène au travers de sa chaine YouTube, il ne rate jamais une occasion de vendre des T-shirts et autres objets à son effigie. Flirtant habilement avec le ridicule et l’auto-parodie, le playboy de l’année 2024 imprègne le film d’un humour et d’une décontraction bienvenus. On appréciera également que l’inévitable romance ne vienne jamais détourner l’attention de l’attraction principale : les tornades !

Let’s twist again !

Nanti d’un budget confortable de 200 millions de dollars, Twisters tient toutes ses promesses en termes de spectacle visuel mais aussi acoustique, le mixage son poussant tous les potards jusqu’à 11 dès la première scène. Les impeccables effets spéciaux numériques sont à nouveau l’œuvre d’ILM et il va sans dire que la technologie a bien sûr évolué, ce qui pourrait d’ailleurs constituer un petit bémol par rapport à l’original : de la même manière que Spielberg avait su compenser les limitations techniques de son requin mécanique par l’inventivité de la mise en place de chacune de ses apparitions pour Les Dents de la mer, Jan De Bont créait une ambiance et adoptait une approche spécifique pour chacune de ses cinq tornades. Tout étant virtuellement possible aujourd’hui, on pourra déplorer une certaine banalisation des SFX et, pour faire un parallèle « olé-olé » (mais justifié car la métaphore était au cœur du film de De Bont!) avec le cinéma X, une réalisation plus « gonzo », apportant moins d’importance et de temps aux préliminaires. Pour autant, Twisters ne ressemble jamais à un film de 2024 et donne même l’impression de regarder un inédit de la fin du siècle dernier, un sentiment renforcé par le fait que Lee Isac Chung ait décidé de tourner sur pellicule pour retrouver la lumière et l’aspect de la photo de l’original. Twisters n’innove peut-être pas mais ne déçoit jamais non plus. Et si la majorité des grosses productions peinent aujourd’hui à remplir les salles obscures et à laisser une empreinte dans la mémoire collective allant jusqu’à questionner l’avenir même des cinémas et du Cinéma, le succès assez inattendu de cette suite tardive nous indique peut-être qu’en cette décennie marquée par l’incertitude (une pandémie, la polarisation politique et sociale, des guerres, …rien que ça), offrir un « simple » divertissement populaire pour toute la famille est aussi un acte d’utilité économique et publique pour le 7ème Art. Alors, déposez vos cerveaux à l’entrée et à vos popcorns !

 

 © Jérôme Muslewski


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PIRANHA WOMEN (2022)

Un médecin injecte de l’ADN de piranhas à des jeunes femmes et les transforme en redoutables prédatrices…

PIRANHA WOMEN

 

2022 – USA

 

Réalisé par Fred Olen Ray

 

Avec Jon Briddell, Houston Rhines, Carrie Overgaard, Shary Nassimi, Bobby Rice, Sof Puchley, Richard Gabai, Michael Gaglio, Jonathan Nation, Keep Chambers

 

THEMA MÉDECINE EN FOLIE I MONSTRES MARINS I SAGA CHARLES BAND

Vieux routier de la série B depuis le milieu des années 70, Fred Olen Ray a touché à tous les genres, avec une nette préférence pour l’horreur, l’érotisme et la science-fiction (et si possible les trois en même temps). À partir des années 2010, notre homme est obligé de se diversifier pour continuer à faire bouillir la mammite, quitte à signer plusieurs téléfilms de Noël très éloignés de son univers de prédilection. « Si je me suis démené pour faire ce que j’aimais au début de ma carrière, je me sens aujourd’hui un peu vieux pour continuer à me battre vainement contre un système qui ne veut de toute façon plus de nous », avoue-t-il. « Comme je l’ai toujours dit, si j’ai une préférence pour les films d’horreur, j’aime le cinéma en général. Mais vous devriez encore entendre parler de moi, et pas seulement pour des téléfilms formatés. Pour preuve, je viens même de réaliser Piranha Women pour Charles Band, un projet qu’il m’a proposé clé en main » (1). Ce retour aux sources a forcément quelque chose de très rafraîchissant, même si le film ne lui était pas initialement destiné. En 2021, Full Moon commence en effet à faire la promotion de Piranha Women avec un poster délirant (trois bimbos en bikini qui font du ski nautique sont tirées par des piranhas géants !) en confiant le scénario et la mise en scène du film à Lindsey Schmitz (Femalien : Cosmic Crush). Les ambitions du projet sont finalement revues à la baisse et c’est là qu’entre en scène ce bon vieux Fred Olen Ray.

Du concept initial, il ne reste qu’un générique de début excessif dans lequel une surfeuse est accompagnée par des piranhas géants qui surgissent de l’eau à ses côtés (en images de synthèse très approximatives) au rythme d’un morceau de « surf music » enjoué. Cette imagerie fun et exubérante est très éloignée du reste du film, et ce n’est pas plus mal. Tourné d’abord en deux parties de 30 minutes chacune avant d’être rassemblé sous forme d’un long-métrage d’à peine plus d’une heure, Piranha Women s’intéresse à Richard (Bobby Rice), très préoccupé par l’état de santé de sa petite-amie Lexi (Sof Puchley) qui décline de jour en jour. En désespoir de cause, celle-ci consulte le docteur Sinclair (Shary Nassimi) qui prétend avoir mis au point un traitement miraculeux à base d’ADN de piranha. Dès la première injection, la jeune femme se sent beaucoup mieux, puis décide de quitter Richard sans raison apparente. Ce dernier mène l’enquête et découvre l’impensable : toutes les patientes de Sinclair se sont transformées en monstres assoiffés de sexe et de chair humaine…

Fish and Tits

Digne de la plus déjantée des séries Z, le scénario de Piranha Women laisse imaginer une approche potache et graveleuse tutoyant l’humour en dessous de la ceinture des joyeux drilles de Troma. Pourtant, bizarrement, le film s’appréhende la plupart du temps au premier degré. Les acteurs s’efforcent de rester convaincants, la mise en scène est carrée, la photographie est soignée, bref Olen Ray emballe la chose avec professionnalisme. On serait presque tenté d’espérer un peu plus de fantaisie. Fort heureusement, lorsque les femmes piranhas se déchaînent, le réalisateur retrouve le grain de folie que nous lui connaissons. Les prédatrices se mettent alors à nu, se lovent langoureusement contre leurs victimes masculines, ouvrent soudain une bouche pleine de crocs acérés mais arborent aussi – cerise sur le gâteau – des dents pointues voraces au bout de leurs seins ! Les parties de jambes en l’air se muent alors en massacres excessifs laissant la police et notre pauvre Richard parfaitement démunis. On peut regretter que les situations finissent par être répétitives et que la courte durée du film ne permette pas le développement d’une intrigue un peu plus palpitante. Mais le contrat est allègrement rempli. La promesse d’un spectacle absurde et décomplexé annoncée par l’équation Fred Olen Ray + Charles Band + des femmes piranhas est allègrement tenue ! Que demander de plus ?

 

(1) Propos extraits du livre « Fred Olen Ray : il était une fois à Hollywood » de Damien Granger (2023).

 

 

© Gilles Penso


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BIG DRIVER (2014)

Violemment agressée par un tueur près d’une station-service désaffectée, une romancière à succès prépare sa sanglante vengeance…

BIG DRIVER

 

2014 – USA

 

Réalisé par Mikael Salomon

 

Avec Maria Bello, Ann Dowd, Will Harris, Joan Jett, Olympia Dukakis, Jennifer Kydd, Andre Myette

 

THEMA TUEURS I SAGA STEPHEN KING

Le réalisateur Mikael Salomon a plusieurs fois eu l’occasion de s’attaquer aux écrits de Stephen King, avec des fortunes diverses. Si son Salem palissait de la comparaison avec Les Vampires de Salem de Tobe Hooper, ses épisodes de la collection Rêves et cauchemars sortaient agréablement du lot. Avec le téléfilm Big Driver (parfois retitré Détour mortel chez nous, au risque d’être confondu avec le slasher de Rob Schmidt), écrit et produit par Richard Christian Matheson (fils du célèbre auteur de « L’Homme qui rétrécit » et « Je suis une légende »), Salomon adapte une nouvelle éditée dans le recueil « Nuits noires, étoiles mortes » paru en 2010. Dans ce texte court, brutal et amer, nombre d’obsessions récurrentes de Stephen King affleurent, l’angoisse de l’écrivain séquestré se mêlant à la violence dont sont victimes les femmes, un peu comme si « Misery » rencontrait « Rose Madder ».

 

Maria Bello, déjà présente dans Fenêtre secrète, incarne Tess Horne, une romancière policière à succès qui donne une conférence auprès d’un cercle d’admiratrices dans une bibliothèque du Massachusetts puis reprend la route en empruntant un raccourci. Effrayée par les voyages en avion, elle préfère largement la voiture, même pour des trajets aussi longs. Mais des planches hérissées de clous crèvent un de ses pneus près d’une station-service désaffectée. Là, un automobiliste massif propose de l’aider. Sa proposition n’est malheureusement qu’un mensonge éhonté. Car le sinistre autochtone la viole et la laisse pour morte dans une canalisation. Le tueur n’en est visiblement pas à son premier meurtre, comme en attestent les cadavres féminins qui gisent à ses côtés. Or Tess survit miraculeusement à son agression et fomente dès lors un acte de vengeance désespéré, selon le principe de bon nombre de récits tortueux se rattachant au concept du « rape and revenge ».

La mort au tournant

Si cette adaptation est honorable, on peut regretter son caractère un peu scolaire et mécanique, sans doute trop « propre », alors que le sujet aurait dû bénéficier d’une approche plus sensitive et plus émotionnelle. Le basculement du personnage dans l’autodéfense et dans une sorte de folie auto-protectrice, décrit avec beaucoup de profondeur dans le texte de King, méritait des partis pris de mise en scène plus forts et plus audacieux. Cela dit, malgré les restrictions télévisuelles, Mikael Salomon traite frontalement les passages les plus crus de la nouvelle, abordant sans détour le viol, les meurtres, la déviance des personnages et l’abondant écoulement d’un sang pas vraiment libérateur. On peut aussi saluer la performance de Maria Bello, qui donne beaucoup de sa personne – émotionnellement et physiquement – et le travail remarquable du compositeur Jeff Beal, déjà à l’œuvre sur la série Rêves et cauchemars. Diffusé une première fois sur LIfetime le 18 octobre 2014 puis distribué en DVD quelques mois plus tard, Big Driver divise les critiques, même si toutes s’accordent à reconnaître son caractère « perturbant ».

 

© Gilles Penso


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DREAM HOME (2010)

Pour pouvoir habiter dans le quartier de ses rêves, une jeune femme bien sous tous rapports se transforme en tueuse psychopathe…

WAI DOR LEI AH YUT HO

 

2010 – HONG-KONG

 

Réalisé par Pang Ho-Cheung

 

Avec Josie Ho, Eason Chan, Derek Tsang, Lawrence Chou, Michelle Ye, Norman Chu, Hee Ching Paw

 

THEMA TUEURS

Dream Home est un film incroyable, un véritable coup de poing qui se livre aux séquences gore les plus extrêmes tout en développant un discours social et économique très ancré dans son époque. Le générique s’ouvre d’ailleurs sur une série de chiffres édifiants, comparant le salaire moyen d’un habitant de Hong Kong avec les prix des loyers, pour mieux saisir l’absurdité de l’état des lieux immobilier de la ville. « Pour survivre dans une ville folle, il faut devenir plus fou qu’elle », conclue ce texte pré-générique, annonçant avec précision le spectacle qui nous attend. Un spectacle qui va s’avérer insoutenable, même pour les estomacs les mieux accrochés, et qui surprend de la part de Pang Ho-Cheung, dont la filmographie ne recelait jusqu’alors aucune œuvre de ce genre. Dès le prologue, le gardien d’un immeuble s’égorge au cutter en essayant de couper l’attache plastique qui s’enroule autour de son cou, avec force gros plans explicites et jets de sang douloureux. Ce ne sera que la première victime d’une tueuse acharnée et dénuée de la moindre émotion.

Qui pourrait soupçonner d’une telle folie meurtrière la douce Cheng Lai-sheung (Josie Ho), une modeste employée de banque qui a grandi en contemplant de sa fenêtre le quartier Victoria de Hong Kong et qui s’est jurée de pouvoir un jour s’offrir un appartement avec vue sur la mer ? Toujours attachée à son serment, elle n’a cessé de travailler, sans pour autant parvenir à s’aligner sur les prix exorbitants de l’immobilier à Hong Kong. Même l’assurance vie qu’elle touche après la mort de son père ne suffit pas à la concrétisation de son rêve. Prête à tout pour y parvenir, elle bascule alors dans la psychopathie et le meurtre, partant du principe qu’un immeuble jonché de cadavres ensanglantés risque fort de voir sa cote baisser. Dream Home a tout pour plaire : un discours politique brûlant d’actualité et appuyé sur des données terriblement tangibles, une approche généreuse et décomplexée de l’horreur qui expose sur un grand écran cinémascope les morts les plus violentes, les plus effroyables et les plus graphiques qu’un cerveau puisse imaginer, une mise en scène intelligente truffée d’allégories visuelles et d’idées graphiques originales.

La crise de l’immobilier

Pourtant, la mayonnaise ne prend jamais tout à fait. Une antinomie se dessine bien vite entre les flash-backs (nostalgiques, néo-réalistes, tragi-comiques) et les séquences présentes (horrifiques, écœurantes, excessives jusqu’au basculement assumé vers le grotesque). Tout se passe comme si Pang Ho-cheung avait en tête deux films bien différents sans parvenir à les mixer en un seul long-métrage cohérent. Corollaire de cette opposition entre deux styles aux antipodes : l’impossibilité de ressentir la moindre empathie pour la tueuse, dont l’étude psychologique – malgré tout le passif développé au cours des flash-backs – ne s’approfondit guère plus que celle d’un Jason Vorhees ou d’un Michael Myers pendant les scènes de carnages. Pourquoi nous présenter d’un côté une petite fille équilibrée et de l’autre une jeune femme dangereusement perturbée sans chercher à raconter le trauma qui l’a faite basculer d’un état à l’autre ? Reste une critique très farouche de la société hongkongaise et une vision inédite de la crise de l’immobilier !

 

© Gilles Penso


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MAXXXINE (2024)

Au milieu des années 80, l’héroïne de X tente de percer à Hollywood tandis qu’un tueur en série satanique sème la terreur dans la ville…

MAXXXINE

 

2024 – USA

 

Réalisé par Ti West

 

Avec Mia Goth, Elizabeth Debicki, Moses Sumney, Giancarlo Esposito, Kevin Bacon, Michelle Monaghan, Bobby Cannavale, Lily Collins, Simon Prast

 

THEMA TUEURS I SAGA X

En réalisant coup sur coup X et Pearl, Ti West n’imaginait pas l’impact de ce diptyque sur le public. Farouchement attaché à son statut de cinéaste indépendant, cet amoureux du cinéma de genre s’est toujours distingué par une approche de l’horreur à la fois singulière et respectueuse de ses aînés. Face à l’enthousiasme soulevé par ses deux petits derniers, il décide de leur donner une suite. « Quand nous avons réalisé les deux premiers, personne ne savait ce qu’on était en train de faire », explique le réalisateur. « Pour MaXXXine, j’étais conscient des attentes du public, mais j’ai essayé de ne pas m’en préoccuper pour éviter de me sentir dépassé. Cela dit, les trois films sont exactement comme je les ai imaginés et tournés » (1). Si le fil conducteur est d’abord narratif (MaXXXine prolonge directement les événements racontés dans X, qui lui-même se situe cinq décennies après Pearl), le véritable point commun entre les trois films est leur description sans fard d’une quête désespérée de célébrité, quel qu’en soit le prix. « Ce qui lie mes personnages les uns aux autres, c’est une même ambition : celle de faire des films ou d’avoir la vie qu’on voit dans les films » confirme West (2). D’où la citation de Bette Davis qui s’affiche plein écran en tout début de métrage : « Dans ce métier, tant qu’on n’est pas considéré comme un monstre, on n’est pas une star. »

Le « monstre » en question, c’est Maxine Minx (Mia Goth), seule survivante du massacre qui eut lieu en 1979 pendant le tournage d’un film X dans la campagne texane. Six ans plus tard, l’actrice souhaite sortir du ghetto du cinéma porno pour percer à Hollywood. Choisir d’inscrire ce troisième opus en 1985 n’est pas innocent. Si l’on sait Ti West très amateur de la décennie qui l’a vue naître (et à laquelle il rendait déjà un vibrant hommage dans House of the Devil), le mitan des eighties est une période charnière qui voit se développer de manière massive le format VHS (et donc une nouvelle manière de consommer le cinéma, désormais à domicile). 85 fut aussi une année marquée par de grandes manifestations de ligues catholiques indignées contre les représentations du sexe et de la violence à l’écran et par les exactions à Los Angeles d’un tueur en série surnommé « night stalker » (« le traqueur de la nuit ») par les médias. C’est au beau milieu de ce contexte bien réel (images d’archive à l’appui) que se développe le scénario de MaXXXine. Ti West brouille alors volontairement les frontières entre la réalité et la fiction. Car la comédienne en quête de célébrité, qui s’apprête à jouer dans la séquelle d’un film d’horreur à succès, se retrouve bientôt elle-même cernée par les meurtres sanglants du « night stalker »…

Wild West

En localisant l’action de ce troisième film dans la Mecque du cinéma, Ti West élargit son scope et revoit ses ambitions à la hausse. Plus lucide sur ce qu’il fait et sur ce que les spectateurs attendent de ce chapitre, il multiplie les références cinéphiliques frontales. Au cours d’une discussion avec un ami tenancier de vidéoclub, Maxine évoque ainsi les acteurs célèbres qui ont fait leurs débuts dans un film d’horreur. Ironiquement, Kevin Bacon, qui incarne ici un détective privé délicieusement détestable, en fait partie, puisqu’il démarra sa carrière avec Vendredi 13. Son look dans MaXXXine se réfère par ailleurs ouvertement à celui de Jack Nicholson dans Chinatown. Le film évoque aussi Marilyn Chambers (l’héroïne de Rage de David Cronenberg), St Elmo’s Fire, Psychose (via une surprenante séquence de mise en abyme), et rend un hommage direct à Mario Bava à travers ce tueur tout de cuir vêtu qui semble échappé de Six femmes pour l’assassin. Cet enchevêtrement de clins d’œil, couplé à une augmentation substantielle du budget mis à disposition de West, fait de MaXXXine un film plus complexe, plus sophistiqué, mais aussi – c’est le revers de la médaille – moins « pur » dans sa narration et dans sa mise en forme que X et Pearl, comme s’il péchait par excès. Bref, MaXXXine en fait sans doute un peu trop. Mais comment ne pas se laisser griser par cette générosité et par cette passion sincère qui continue d’animer le cinéaste ? Comme toujours, Mia Goth crève l’écran, détournant l’image de la « final girl » prude, sage et vertueuse popularisée par Jamie Lee Curtis dans Halloween pour en camper une variante beaucoup plus « trash ». Son personnage semble décidément vouloir donner raison à Bette Davis : être une star, c’est aussi être un monstre !

 

(1) et (2) Extraits d’un entretien paru dans « Trois Couleurs » en juillet 2024

 

© Gilles Penso


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LE LIVRE DE LA JUNGLE (2016)

Jon Favreau réalise un remake spectaculaire du classique animé de 1967 en plongeant son jeune héros dans un univers 100% virtuel…

THE JUNGLE BOOK

 

2016 – USA

 

Réalisé par Jon Favreau

 

Avec Neel Sethi et les voix de Bill Murray, Ben Kingsley, Idris Elba, Lupita Nyong’o, Scarlett Johansson, Giancarlo Esposito, Christopher Walken, Gary Shandling

 

THEMA EXOTISME FANTASTIQUE

Réalisateur chouchou de Disney depuis le succès d’Iron Man en 2008, Jon Favreau hérite quelques années plus tard de la mise en scène d’un nouveau Livre de la jungle qui revisite le long-métrage animé de 1967 en s’appuyant sur les toutes dernières avancées technologiques en matière d’images de synthèse. « Je pense que partir tourner dans la jungle en extérieurs ne nous aurait pas permis de retrouver la magie du film de 1967 », explique-t-il. « Or je voulais m’assurer que nous préservions cette qualité » (1). Les choix techniques du film sont donc radicaux. Si Mowgli est incarné par un être humain en chair et en os (en l’occurrence le débutant Neel Sethi, déniché au milieu d’un gigantesque casting de milliers d’enfants auditionnés aux États-Unis, en Angleterre, en Nouvelle-Zélande et au Canada), tous les animaux qui lui donnent la réplique sont des créations numériques, dans l’esprit du tigre créé par Rythm & Hues pour L’Odyssée de Pi. Les décors eux-mêmes n’existent pas. L’intégralité du tournage se déroule en effet en studio à Los Angeles, devant de grands fonds bleus. Le jeune comédien interagit certes pendant les prises de vues avec des marionnettes grandeur nature créée par le Jim Henson’s Creature Shop, mais celles-ci sont ensuite remplacées par leurs contreparties numériques, confiées aux compagnies MCP et Weta Digital.

Après la version réalisée par Stephen Sommers en 1994 et le téléfilm mis en scène quatre ans plus tard par Nick Marck, il s’agit de la troisième adaptation « live » des écrits de Kipling produite sous la houlette de Disney, et il fallait créer l’événement. Le pari technique était sacrément osé, sans garantie de succès, malgré les énormes pas en avant effectués par des films comme Avatar ou La Planète des singes : les origines et l’affrontement. Or force est de reconnaître que de ce point de vue, Le Livre de la jungle de Favreau est une réussite. En immersion dans une forêt indienne imaginaire reconstituée de toutes pièces, ce remake se dote d’une atmosphère fantasmagorique bienvenue qui n’est pas sans évoquer une autre adaptation, le fameux Livre de la jungle d’Alexandre Korda. Le scénario recycle dans les grandes lignes celui du classique de Wolfgang Reitherman, qui prenait lui-même énormément de libertés avec le matériau littéraire original. Élevé par une meute de loups et menacé par le tigre Shere-Khan, notre « petit d’homme » entame une nouvelle fois son grand voyage en direction d’un village humain, sous la protection de la panthère noire Bagheera, et multiplie les rencontres inattendues…

Digital world

Nous avons sans conteste affaire ici à l’un des meilleurs remakes dont Disney ait cru bon d’affubler ses dessins animés les plus célèbres depuis le début des années 2010, mais il faut reconnaître que la concurrence n’était pas rude. Face à La Belle et la Bête, Aladdin, Pinocchio ou La Petite sirène (qui seront réalisés dans la foulée), Le Livre de la jungle de Favreau ferait même presque office de chef d’œuvre. Mais ce long-métrage nous laisse tout de même une étrange impression liée à sa nature hybride mais aussi à son absence de positionnement stylistique. La quête d’hyperréalisme visuel (les animaux, la végétation, les pelages, les regards) nous emmène très loin des graphismes joyeux et volontairement caricaturaux du dessin animé des sixties. Pourtant, Favreau se sent obligé de payer son tribut à son prédécesseur en réutilisant les célèbres chansons de Baloo, King Louie et Kaa. Voir ces animaux numériques « zoologiquement corrects » pousser la chansonnette a quelque chose de très bizarre qui suscite presque un certain malaise. Les choses deviennent même absurdes lorsque le singe ajoute un couplet à son fameux « I wanna be like you » pour nous expliquer qu’il n’est pas un orang-outan mais un gigantopithèque, histoire de justifier auprès des spectateurs sa taille inhabituelle. En refusant de trancher et d’adopter un point de vue clair, en cherchant à faire plaisir à tout le monde, en se mettant en quête à la fois de la performance technique et de la séduction des fans du classique original, Favreau finit par se perdre dans cette jungle de pixels. Il nous offre certes un très joli film, mais la coquille est un peu vide.

 

(1) Extrait d’un entretien paru dans « Business Standard » en février 2016

 

© Gilles Penso


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HELLRAISER : HELLWORLD (2005)

Lance Henriksen mène la danse dans ce huitième épisode où les plus curieux pourront découvrir un Henry Cavill mal dégrossi !

HELLRAISER : HELLWORLD

 

2005 – USA

 

Réalisé par Rick Bota

 

Avec Katheryn Winnick, Lance Henriksen, Henry Cavill, Khary Payton, Christopher Jacot, Doug Bradley, Anna Tolputt, Stelian Urian, Désirée Malonga

 

THEMA DIABLE ET DÉMONS I SAGA HELLRAISER

La franchise Hellraiser étant en singulière perte de vitesse, la compagnie Dimension décide de réduire les frais en réalisant des économies d’échelle. Hellraiser : Hellworld, huitième opus de la saga, est donc tourné en Roumanie dans la foulée de l’épisode précédent, Hellraiser : Deader, sollicitant le même réalisateur et la même équipe technique principale. Le scénario s’appuie sur une nouvelle écrite par le producteur Joël Soisson, « Dark Can’t Breathe », qui n’avait initialement aucun rapport avec Clive Barker et que le scénariste Carl V. Dupre est chargé de réadapter pour l’insérer dans l’univers d’Hellraiser. Cette méthode avait déjà été employée pour les épisodes Inferno, Hellseeker et Deader, preuve que le monde des Cénobites est depuis longtemps devenu un fourre-tout prêt à accueillir toutes les idées – mêmes les plus saugrenues – susceptibles de faire encore un peu bouillir la marmite. Les cordons de la bourse étant bien serrés, la production cherche à recruter des acteurs anglo-saxons qui se trouvent déjà en Roumanie pendant la période du tournage, histoire d’éviter des frais de voyage supplémentaires. Voilà comment Lance Henriksen atterrit dans ce film. À peine libéré de ses obligations sur Mimic 3, il enchaîne donc avec Hellraiser : Hellworld dont il ne gardera plus tard aucun souvenir. On ne saurait lui en vouloir.

Les premières minutes du film ne nous laissent pas beaucoup d’illusions quant à la qualité du métrage. Les protagonistes auxquels il va falloir s’intéresser sont en effet des jeunes idiots au comportement joyeusement absurde. Parmi eux, les spectateurs reconnaîtront Katheryn Winnick, future Lagertha de la série Vikings, Khary Payton, qui sera le King Ezekiel de The Walking Dead, et surtout un Henry Cavill pré-Man of Steel pas encore très bien dégrossi, dont la prestation de grand nigaud obsédé sexuel laisse perplexe. Accros au jeu vidéo « Hellworld », ils pleurent la disparition de leur ami Adam, tellement obsédé par cet univers macabre qu’il a fini par se donner la mort. Deux ans plus tard, ils sont invités à une fête privée autour du monde d’« Hellworld » dans un grand manoir isolé au milieu des bois. La soirée s’annonce mouvementée et riche en surprises. Mais c’est bien sûr l’horreur qui les attend au bout de la nuit…

« On se croirait dans un film d’horreur »

Lance Henriksen joue ici le rôle de l’hôte, un sexagénaire qui couve d’un regard inquiétant tous ces jeunes adultes venus festoyer chez lui et qui cache bien son jeu. Doug Bradley rempile pour cachetonner une énième fois dans le rôle du Cénobite Pinhead, le temps d’une poignée d’apparitions très furtives. Cette huitième variante autour du roman de Clive Barker se distingue surtout par son caractère « meta ». L’un des personnages porte ainsi un t-shirt à l’effigie de Pinhead, le hall du manoir est décoré avec une version géante du cube de LeMarchand, le musée privé du mystérieux hôte se révèle être une vaste collection d’objets dérivés de l’univers Hellraiser. Bref, on se regarde un peu le nombril faute de construire une intrigue digne de ce nom. « On se croirait dans un film d’horreur » dit même Henriksen lorsque la voiture d’une protagoniste paniquée refuse de démarrer, comme s’il s’était échappé d’un épisode de Scream. La mécanique narrative d’Hellraiser : Hellworld est celle d’un simple slasher enchaînant sur un rythme régulier les meurtres violents, avec au passage une bonne rasade de lieux communs hérités des ghost-stories éléphantesque façon William Malone (13 fantômes, La Maison de l’horreur). On sent aussi l’influence de Saw dans une scène de torture qui en reprend les tics de mise en scène (notamment les prises de vues accélérées et les effets sonores tonitruants en cours d’action). Rien de bien palpitant, donc. Cet opus est pourtant un chef d’œuvre si on le compare avec le suivant…

 

© Gilles Penso


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TERREUR (2009)

Des étudiants en cinéma décident de tourner un documentaire dans lequel les participants décrivent leurs peurs les plus intimes…

DREAD

 

2009 – USA

 

Réalisé par Anthony di Blasi

 

Avec Jackson Rathbone, Shaun Evans, Hanne Steen, Laura Donnelly, Jonathan Readwin, Vivian Grau

 

THEMA TUEURS I CINÉMA ET TÉLÉVISION

« Terreur » est l’une des nombreuses nouvelles horrifiques écrites par Clive Barker dans le cadre de son recueil en plusieurs tomes baptisé « Livres de Sang », mais elle y tient une place à part. D’abord parce qu’elle est la seule à ne contenir aucun élément surnaturel, ensuite parce que l’auteur la considère comme l’un de ses travaux les plus personnels. Ses fréquentations universitaires et la surdité passagère dont il souffrit pendant l’enfance semèrent les graines de ce récit torturé. Le projet d’adaptation de cette nouvelle, écrite en 1984, commence à se développer au sein de la 20th Century Fox, mais en réalité aucun grand studio ne peut assumer une telle histoire sans en édulcorer le propos. Car le récit est sombre, dur, très violent psychologiquement. C’était à prévoir, la Fox finit par jeter l’éponge. Le film aurait pu ne jamais voir le jour si les compagnies Matador Pictures et Seraphim Films n’en avaient pas récupéré les droits. Terreur se concrétise donc en 2009 avec Anthony di Blasi qui effectue là ses premiers pas de réalisateur. Cela dit, notre homme est déjà familier avec l’univers de Clive Barker puisqu’il a produit Le Fléau de Hal Masonberg, The Midnight Meat Train de Ryhuei Kitamura et Livre de sang de John Harrison.

Stephen Grace (Jackson Rathbone, le Jasper de la saga Twilight) est un étudiant en cinéma marginal encore profondément marqué par la perte de son frère dans un accident de voiture. Sur le campus, il se lie d’amitié avec Quaid (Shaun Evans, vu dans Cashback) qui lui-même fait des cauchemars épouvantables depuis la mort de ses parents survenue quand il avait six ans. Tous deux décident d’effectuer des recherches sur les peurs et les phobies de chacun. Stephen y voit la possibilité de développer une thèse originale pour l’université et invite son amie Cheryl (Hanne Steen) à travailler avec eux.  Petit à petit, ce projet de documentaire commence à prendre forme. L’une des collègues de Stephen, Abby (Laura Donnelly), qui travaille avec lui à la bibliothèque, accepte ainsi de témoigner sur ses terreurs intimes et sur un complexe lié à son apparence (la moitié de son corps est recouverte par une immense tache de naissance). Mais bientôt, les choses commencent à échapper à tout contrôle. Confrontés aux choses qu’ils redoutent le plus, les participants vont basculer dans le cauchemar et l’expérience va se terminer dans un bain de sang…

« Si on ne cherche pas la bête, tôt ou tard elle nous trouvera »

Terreur est un film qui instille un malaise profond et durable sans recourir aux effets traditionnels du cinéma d’horreur. Clive Barker et Anthony di Blasi nous démontrent ainsi qu’il n’est pas nécessaire de recourir à des hectolitres de sang – comme dans la saga Saw qui en est alors à son sixième opus – pour décrire la souffrance humaine. Les excellents acteurs, l’ambiance oppressante, la mise en scène millimétrée, la photographie, la bande son, tout finit par remuer les tripes des spectateurs qui sentent bien que les choses ne vont aller qu’en empirant. Certaines séquences clés poussent le curseur très loin, comme le flash-back éprouvant au cours duquel la famille de Quaid est massacrée par un tueur armé d’une hache, ou ce climax d’autant plus terrifiant qu’aucun effet spécial, aucune torture physique, aucune goutte d’hémoglobine ne s’y déploie. Tout se passe dans le hors-champ et le non-dit. « Si on ne cherche pas la bête, tôt ou tard, la bête nous trouvera » finira par dire Quaid pour décrire le monstre qui sommeille en chacun de nous. Terreur n’est certes pas la plus célèbre des adaptations de Barker, mais elle mérite sans conteste de figurer parmi les plus marquantes.

 

© Gilles Penso


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DR. JEKYLL ET MR. HYDE (1989)

Sans aucune demi-mesure, Anthony Perkins entre dans la peau du célèbre médecin schizophrène face à la caméra d’un spécialiste du cinéma X

EDGE OF SANITY

 

1989 – GB / FRANCE / USA

 

Réalisé par Gérard Kikoïne

 

Avec Anthony Perkins, Glynis Barber, Sarah Maur Thorp, David Lodge, Ben Cole, Ray Jewers, Jill Melford, Lisa Davis, Noel Coleman, Briony McRoberts

 

THEMA JEKYLL & HYDE

Extrêmement prolifique depuis ses débuts dans les années 50, le producteur britannique Harry Alan Towers s’est spécialisé dans le cinéma populaire, à mi-chemin entre la série B honorable (la saga des Fu Manchu avec Christopher Lee) et le cinéma bis déviant (notamment un grand nombre de films d’exploitation signés Jess Franco). Alors que les années 80 déclinent, l’infatigable vétéran souhaite mettre sur pied une nouvelle version du mythe de docteur Jekyll et Mister Hyde avec une tête d’affiche pour aider à son financement et attirer un maximum de spectateurs dans les salles. L’heureux élu est Anthony Perkins, immense star des années 50 et 60 (Barrage contre le Pacifique, Le Dernier rivage, Le Procès, Paris brûle-t-il ?) passé à la postérité grâce au Psychose d’Alfred Hitchcock. À la fin des années 80, l’aura de Perkins a considérablement pâli, le poussant à accepter des rôles de moins en moins prestigieux pour continuer à faire bouillir la marmite. Il signe donc pour être cette nouvelle incarnation de Jekyll et Hyde. Pour la mise en scène, le producteur pense à Gérard Kikoïne. Grand spécialiste du cinéma X depuis le milieu des seventies, Kikoïne a aussi monté plusieurs longs-métrages de Jess Franco. Alan Towers a collaboré avec lui sur une poignée de films d’aventure et sait qu’il saura respecter la modeste enveloppe de 2 millions de dollars mis à sa disposition. Pour composer avec ce budget, Kikoïne emmène son équipe de tournage dans les rues de Budapest où sera reconstitué le Londres de l’époque victorienne.

Une imagerie de film érotique s’installe d’emblée dans ce Dr Jekyll et Mr Hyde à travers le cauchemar – ou le souvenir refoulé ? – du bon docteur qui se voit enfant en train de regarder un couple en pleine fornication dans une grange. Les amants le surprennent et corrigent violemment le jeune voyeur. Le médecin se réveille alors en sueur puis reprend ses activités respectables, partagées entre l’hôpital et son propre laboratoire installé à domicile. Des expériences pratiquées sur de la cocaïne lui démontrent qu’il peut en tirer un anesthésiant efficace. Mais un soir, il absorbe accidentellement la poudre blanche mélangée à de l’éther et l’impensable se produit : son double maléfique émerge. A l’instar du Docteur Jekyll et Sister Hyde de David WIckes, le Dr Jekyll et Mr Hyde de Gérard Kikoïne entremêle le récit imaginé par Robert Louis Stevenson avec les exactions de Jack l’éventreur. L’alter-ego violent du médecin s’appelle d’ailleurs ici Jack Hyde et arpente les rues de Whitechapel à la recherche de prostituées qui lui rappellent la femme libidineuse de ses souvenirs/cauchemars d’enfance. Londres s’ensanglante, Scotland Yard ne sait plus où donner de la tête et Elizabeth (Glynis Barber), la femme de Jekyll, commence à se demander si son époux se rend bien à l’hôpital chaque nuit, comme il le prétend…

En roue libre

Le film fait l’économie des séquences de métamorphose et des effets spéciaux de maquillage. Tout se joue dans l’expression du visage d’Anthony Perkins, abandonnant toute velléité de subtilité au profit d’une mine crispée, d’un regard fou encadré de rimmel, d’un teint blafard et d’une tignasse désordonnée. Visiblement laissé en roue libre, l’acteur gesticule bizarrement, tord sa bouche, malaxe les fesses et les poitrines des prostituées, débite des propos grossiers et insultants, bref part dans tous les sens comme s’il se savait déjà en bout de course (déjà très malade, il s’éteindra en 1992). Dans le film, la distinction entre Hyde et Jekyll finit par devenir floue. Car le gentil docteur, après deux ou trois transformations, devient lui-même arrogant, cynique et provocateur, non seulement avec sa femme mais aussi avec ses collègues et son entourage social. Si la mise en scène se révèle souvent aussi fonctionnelle que celle d’un téléfilm des eighties, Kikoïne se laisse aller chaque fois qu’il le peut à des sursauts baroques, inclinant sa caméra, allongeant les ombres portées et saturant son image d’éclairages colorés. Ce Docteur Jekyll et Mister Hyde est donc à cheval entre deux écoles, classique par moments, complètement bis et déviant par ailleurs, comme s’il était lui-même frappé de schizophrénie. Présenté hors compétition en 1989 au festival d’Avoriaz puis sorti en salles en catimini, le film de Kikoïne n’aura guère déplacé les foules et serait sans doute tombé dans l’oubli s’il n’offrait pas au public curieux la possibilité d’assister à l’une des dernières prestations – si outrée soit-elle – d’Anthony Perkins.

 

© Gilles Penso


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THE HOUSE OF THE DEVIL (2009)

Dans ce faux film des années 80 conçu par un Ti West au sommet de son art, la soirée d’une jeune babysitter bascule dans le cauchemar…

THE HOUSE OF THE DEVIL

 

209 – USA

 

Réalisé par Ti West

 

Avec Jocelin Donahue, Tom Noonan, Mary Woronov, Greta Gerwig, A. J. Bowen, Dee Wallace, Danielle Noe

 

THEMA DIABLE ET DÉMONS

« Dans les années 1980, plus de 70% des Américains croyaient en l’existence de cultes sataniques. 30% pensaient que les preuves étaient étouffées par le gouvernement. Cette histoire est basée sur des faits réels inexpliqués. » C’est sur ce texte d’introduction que commence House of the Devil. En réalité, aucun « fait réel » ne sous-tend le scénario écrit par Ti West, et il y a fort à parier que les pourcentages énoncés soient purement imaginaires. Le principe de ce texte d’ouverture exploitant l’argument de « l’histoire vraie » est avant tout un gimmick que le cinéaste emprunte aux films de genre des années 70/80 comme Massacre à la tronçonneuse ou Amityville, la maison du diable. A vrai dire, la seule information importante de ce texte introductif est d’ordre temporel. The House of the Devil se déroule en effet au début des années 80, ce qui permet à West d’imiter les films d’exploitation de cette époque. Tourné sur pellicule 16mm, préférant les effets de zoom aux mouvements de travelling, affichant son générique de début en caractères jaune vif sur des plans en freeze-frame tandis que retentit une musique vintage électro-rock composée par Jeff Grace, The House of the Devil ressemble tant à un long-métrage de l’aube des eighties qu’on pourrait facilement s’y tromper. La démarche du réalisateur n’est pourtant pas comparable aux effets de style nostalgiques d’un Super 8 ou d’un Stranger Things. S’il connaît bien ses classiques, Ti West ne cherche pas à les imiter servilement ou à leur rendre hommage à coup de clins d’œil appuyés, mais surtout à retrouver une atmosphère, un esprit et une coloration qui semblaient ne pouvoir appartenir qu’au passé.

Samantha Hughes (Jocelin Donahue) est à court d’argent. Maintenant qu’elle vient d’emménager dans un petit appartement, cette jeune étudiante cherche le moyen de pouvoir rapidement payer son premier loyer. Sur le campus, une petite annonce attire son attention : un certain monsieur Ullman est à la recherche urgente d’une babysitter. Au téléphone, l’homme semble affable, alors pourquoi pas ? La grande maison où Samantha doit passer la soirée étant isolée et à l’écart de la ville, sa meilleure amie Megan (Greta Gerwig, la future réalisatrice de Barbie) décide de l’accompagner en voiture en lui donnant une consigne simple : si les potentiels employeurs semblent bizarres, toutes deux décampent aussitôt et rebroussent chemin. La maison est certes un peu sinistre, bâtie non loin d’un cimetière, mais les occupants sont plutôt chaleureux et accueillants. Mais il faut évidemment se méfier des apparences, et Samantha s’apprête à vivre la nuit la plus éprouvante de son existence…

Voyage dans le temps

Bien sûr, choisir d’offrir des seconds rôles à Tom Noonan (Le Sixième sens, Robocop 2) et Dee Wallace (Hurlements, E.T., Cujo) n’est pas innocent et ravive volontairement les souvenirs cinéphiliques des spectateurs amateurs du cinéma de genre des années 80. Il n’est pas non plus impossible de deviner l’influence des synthétiseurs de John Carpenter ou des violons de Vendredi 13 et Evil Dead dans la bande originale. Mais encore une fois, Ti West ne cherche pas le post-modernisme. Le voyage dans le temps auquel il nous convie est avant tout sensoriel. Dans l’époque où se situe le film, dénuée de smartphones et d’Internet, la perception du temps n’est pas la même, les minutes s’allongent, il faut trouver le moyen de tromper son ennui, l’esprit est aux aguets car l’attention n’est pas détournée par un écran déversant un flot ininterrompu d’informations. Voilà pourquoi West prend le pari de faire durer très longtemps l’attente de son héroïne dans cette maison de moins en moins rassurante. Le film ne cède pas à la tentation de l’effet choc toutes les cinq minutes. Sans se précipiter, en étirant plus que de raison des situations à priori banales, The House of the Devil rend bientôt angoissante chaque touche d’étrangeté. Le moindre zoom avant sur un lavabo ou sur une poignée de porte, le moindre grincement, la moindre variation lumineuse devient support d’un effroi insidieux. Et lorsque la violence éclate soudain et que la retenue n’est plus de mise, son impact en est décuplé, jusqu’à un climax ébouriffant et un épilogue d’une noirceur vertigineuse.

 

© Gilles Penso


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