LE MONDE PERDU : JURASSIC PARK (1997)

Après La Liste de Schindler, Steven Spielberg signe la suite de Jurassic Park, mais on sent que le cœur n'y est plus…

THE LOST WORLD – JURASSIC PARK

1997 – USA

Réalisé par Steven Spielberg

Avec Jeff Goldblum, Julianne Moore, Richard Attenborough, Peter Postlethwaite, Richard Attenborough, Vince Vaughn 

THEMA DINOSAURES I SAGA JURASSIC PARK I STEVEN SPIELBERG

Deux périodes distinctes partagent la carrière de Steven Spielberg. La première s’achève avec Jurassic Park. La seconde commence avec Le Monde perdu. Entre les deux, une œuvre définitive, bouleversante, irréversible, marqua à tout jamais le cinéaste : La Liste de Schindler. Reculant sans cesse la réalisation de ce projet qui l’effrayait, essayant même de convaincre Roman Polanski ou Martin Scorcese de le réaliser à sa place, il le prit finalement à bras le corps en en fit le chef d’œuvre que l’on sait. Mais en braquant ses caméras sur la Shoah, il changea sa manière d’appréhender le cinéma. Ecartant désormais les cadrages larges au Cinémascope, les éclairages trop artificiels (comment oublier les nuits sublimement irréelles de Rencontres du troisième type ou E.T. ?), les partitions chargées de thèmes épiques à la Richard Wagner, les figures héroïques trop archétypales, il se mit en quête de réalisme, ce qu’Il faut sauver le soldat Ryan allait confirmer avec un immense brio. Du coup, Le Monde Perdu : Jurassic Park s’est imprégné de la noirceur de La Liste de Schindler, ne serait-ce qu’à travers son traitement visuel. Désormais, Janusz Kaminski est l’alter ego visuel de Spielberg, signant la photographie de tous ses films. Et son approche de la jungle préhistorique arpentée par les humains transpire la moiteur, la peur et le sang. 

« J’interviens toujours sur la lumière », précise Spielberg. « J’essaie de l’utiliser en tant qu’outil de narration. Je décide de l’emplacement de la caméra, de l’optique. Souvent, Janusz et moi sommes d’ailleurs en désaccord sur le choix de la focale, mais ce sont toujours des discussions constructives. Je m’occupe toujours moi-même de la composition des plans que je soumets ensuite au cadreur, pour qu’il comprenne ce que j’essaie d’obtenir. Mais je n’éclaire rien moi-même. Je laisse Janusz faire des miracles avec la lumière. » (1) Mais la richesse du traitement graphique du Monde perdu ne suffit pas à sauver le film. Il faut dire qu’avec le médiocre roman de Michael Crichton comme point de départ (tellement moins palpitant que le précédent), Spielberg partait entravé d’un sérieux handicap. Le scénario de David Koepp s’éloigne donc du matériau littéraire, reprend quelques éléments du premier livre (l’attaque de la petite fille par les minuscules compsognathus, le ptéranodon qui menace les héros) et semble surtout conçu pour accumuler les scènes qui firent le succès du film précédent : la première apparition en plein jour des gigantesques herbivores, les véhicules des héros attaqués en pleine nuit et sous la pluie par un tyrannosaure, l’assaut final des vélociraptors dans les locaux du parc…

Hommages répétés à King Kong

L’effet de surprise ne jouant plus, seules quelques idées visuelles font vraiment mouche, notamment la battue des raptors qui se camouflent dans les hautes herbes pour mieux fondre sur leurs victimes ou la chasse aux dinosaures, variante antédiluvienne de celles d’Hatari. Le trop-plein de protagonistes empêche toute identification de la part du spectateur, et le summum de l’absurde est probablement atteint dans cette scène impensable où la fille adoptive de Ian Malcolm effectue des figures d’acrobatie sur des barres parallèles pour affronter les raptors ! Si le premier Jurassic Park entretenait de nombreuses similitudes avec King Kong, cette séquelle se pare d’allusions encore plus flagrantes au classique de Schoedsack et Cooper. Cette fois-ci, le tyrannosaure vedette est carrément ramené en ville dans un navire baptisé « Venture », comme celui qui transportait le gorille géant en 1933, et saccage la cité comme tout bon dinosaure qui se respecte (est-ce pour justifier le titre de Monde perdu emprunté sans vergogne à Arthur Conan Doyle ?). Renforçant la référence, la partition de John Williams oublie en grande partie les thèmes composés dans le premier Jurassic Park pour imiter les accents martiaux de la musique de Max Steiner. Spielberg s’épanouissant dans la diversité, il alternera dès lors les œuvres sombres et les exercices de style plus légers.

(1) Propos recueillis par votre serviteur en janvier 2012.

 

© Gilles Penso

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A.I. INTELLIGENCE ARTIFICIELLE (2001)

En 2001 - année ô combien symbolique - Steven Spielberg reprend un projet que lui avait confié Stanley Kubrick pour s'interroger sur l'âme des créatures artificielles

A.I. ARTIFICIAL INTELLIGENCE

2001 – USA

Réalisé par Steven Spielberg

Avec Haley Joel Osment, Jude Law, Frances O’Connor, Brendan Gleeson, Sam Robards, William Hurt, Jake Thomas

THEMA ROBOTS I FUTUR I SAGA STEVEN SPIELBERG

Lorsqu’il découvre la nouvelle “Les Supertoys durent tout l’été“, Stanley Kubrick décide d’en tirer un film. Pendant longtemps, le réalisateur d’Orange mécanique et l’écrivain Brian Aldiss travaillent sur la transformation du texte original en scénario. Mais après maintes réunions de travail, les deux hommes ne parviennent à rien de concret. En 1984, Stanley Kubrick parle du projet à Steven Spielberg, qui le trouve intéressant mais peine à entrer en phase avec cet univers noir et désespéré. Quinze ans plus tard, Spielberg se sent enfin prêt à reprendre le projet, avec la bénédiction du vénérable réalisateur de 2001. Mais ce dernier meurt le 7 mars 1999. Spielberg s’emploie alors à reprendre les rênes de ce projet dont rêvait Kubrick et se livre à un exercice qu’il n’avait pas pratiqué depuis plus de vingt ans : l’écriture de scénario. Il veille aussi à respecter l’envie farouche de Kubrick d’intégrer dans le film le motif de Pinocchio et de la Fée Bleue. 

L’objet du film, ambitieux, est un questionnement sur l’émotion chez les robots. Hélas, le résultat pèche par trop d’ambition, mais aussi par une incapacité manifeste à savoir sous quel angle aborder sa thématique. Ainsi A.I. renferme-t-il plusieurs films en un, qui ne s’apprécient pas comme autant de niveaux de lecture parallèles, mais plutôt comme diverses approches du même sujet, pas forcément complémentaires, juxtaposées de manière un peu arbitraire. Cette sensation est due au respect des volontés initiales de Kubrick, qui souhaitait diviser le film en trois chapitres distincts. Mais la fluidité du récit en souffre terriblement. Nous sommes en l’an 2142. La plupart des villes côtières du monde ont été submergées par les océans suite au réchauffement climatique. Réfugiés à l’intérieur des terres, les survivants ont créé les « méchas », des androïdes qui imitent à la perfection l’anatomie et le comportement humain. Lorsque le professeur Hobby (William Hurt) finit par créer le premier enfant robot, David (Haley Joel Osment), on propose que ce dernier soit adopté par un couple dont le petit garçon souffre d’une maladie qui le cloue dans un caisson. Tout se passe à merveille, jusqu’au jour où le petit garçon est guéri et retrouve ses parents. S’ensuivent la jalousie, la rivalité et la cruauté enfantine, qui vont pousser le petit androïde à commettre une erreur et à être abandonné dans la forêt, comme un Petit Poucet solitaire. Nous qui espérions un film sur la difficulté d’intégration sociale des robots au sein des groupes humains, nous en sommes pour nos frais.

Un grand film malade

Car à partir de là, c’est une toute autre histoire qui commence. Égaré dans les bois, David semble devenir un nouveau de ces « enfants perdus » si chers à Spielberg, livré à lui-même à cause de l’absence de ses parents. Il rencontre tout un tas de freaks – en fait des robots en partie détruits qui se réparent comme ils peuvent en fouillant les décharges publiques – ainsi que Joe, un androïde gigolo interprété par Jude Law. Alors qu’ils sont en cavale, les deux robots échappent de peu à la « Foire de la Chair », une kermesse ultra-violente au cours de laquelle les humains détruisent les robots de mille et une manières. Cette ambiance post-apocalyptique façon Mad Max est soulignée par de maladroites guitares électriques que John Williams intègre comme il peut à sa partition trépidante. Malgré quelques idées visuelles saisissantes, nous sommes pour le moins déstabilisés. Il nous semble même assister à une sorte de mise à mort du cinéma de Spielberg tel que nous le connaissions jusqu’alors. La Lune par exemple, symbole de la liberté et de l’imagination des enfants spielbergiens, change soudain de signification. Ce n’est plus le cercle de lumière féerique devant lequel Eliott et E.T. passent avec leur vélo volant dans le logo d’Amblin, ni celui sur lequel repose l’enfant pêcheur de Dreamworks. C’est désormais un signe de mort et de destruction, une illusion sinistre, une montgolfière maquillée en astre pour mieux traquer, capturer et abattre les fugitifs ! Le film bascule peu à peu dans le chaos, s’achevant sur un étrange hommage au final de 2001, et laissant le spectateur complètement déboussolé. Séparément, Kubrick et Spielberg avaient su plonger dans une délicieuse ambigüité teintée d’espoir le climax de leurs deux chefs d’œuvre de science-fiction respectifs, 2001 l’odyssée de l’espace et Rencontres du troisième type. Mais la fusion de leurs deux univers n’aura pas été aussi heureuse. Kubrick jugeait le sujet trop chaleureux pour lui et c’est pour cette raison qu’il le confia à Spielberg. Ce dernier, à force de vouloir respecter les volontés, le style et l’univers de son mentor, semble s’être perdu lui-même. Ni l’ironie de Kubrick, ni la chaleur de Spielberg n’ont survécu à ce mariage de raison. On en trouve seulement des simulacres, dans un grand film malade où le pessimisme et la mélancolie s’immiscent de toute part et où les sentiments exprimés semblent finalement aussi artificiels que l’intelligence du petit David.


© Gilles Penso 

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MINORITY REPORT (2002)

Dans un monde futuriste où les criminels sont arrêtés avant leurs forfaits, quelle place reste-t-il pour le libre-arbitre ?

MINORITY REPORT

2002 – USA

Réalisé par Steven Spielberg

Avec Tom Cruise, Colin Farrell, Steve Harris, Max Von Sydow, Samantha Morton, Kathryn Morris, Jessica Capshaw

THEMA FUTUR I SAGA STEVEN SPIELBERG

A.I. ayant divisé l’opinion, cette seconde incursion de Steven Spielberg dans la SF futuriste était attendue avec une prudente circonspection. Mais c’était sans compter sur le formidable sens de l’innovation et que cultive inlassablement l’auteur de Rencontres du troisième type. Et de fait, Minority Report, inspiré d’une nouvelle de Philip K. Dick, démarre sur des chapeaux de roue. Nous sommes en 2054, et la police de Washington possède une division dite de « pré-crime » qui permet d’intervenir avant que les délits ne soient commis, grâce à trois êtres doués de pouvoir de divination, les précogs. Au service de cette unité spéciale, John Anderton (Tom Cruise) apprend un jour qu’il est accusé d’un meurtre qu’il n’a pas encore commis. Devenu fugitif, il se retrouve pourchassé par sa propre équipe… Dans le futur terriblement plausible de Minority Report, des caméras scannent les yeux des passants pour les abreuver de messages publicitaires personnalisés, les dessins sur les paquets de céréales s’animent en chantant, les policiers sont équipés de réacteurs dorsaux et de matraques provoquant les vomissements, les images holographiques en relief sont omniprésentes… « L’idée était de poser un dilemme au spectateur : le pré-crime représente-t-il une avancée technologique pour le bien de la société, ou une menace pour la liberté individuelle ? », nous raconte le chef décorateur Alex McDowell. « Pour que le public ait le sentiment que les événements décrits dans le film pourraient un jour arriver, il fallait les situer dans un environnement réaliste, directement inspiré du monde que nous connaissons. » (1)

Au milieu des multiples trouvailles du film, on trouve de moins convaincantes voitures aérodynamiques qui arpentent par milliers l’asphalte et les façades des buildings. Cette figure futuriste, qui semble imposée depuis Blade Runner et ses imitations (Le Cinquième élément, La Menace fantôme), donne lieu à une poursuite peu crédible, laquelle semble n’exister que pour relancer une action sans doute jugée pas assez nerveuse. Cette petite réserve mise à part, Minority Report est une formidable réussite, Spielberg s’étant efforcé de rester fidèle à l’esprit de Philip K. Dick, tout en payant son tribut à la meilleure adaptation cinématographique de l’auteur à ce jour, l’incontournable  Blade Runner. Du coup, tout comme le film de Ridley Scott, Minority Report est un film noir déguisé en récit de SF, nimbé d’une étonnante photographie quasi monochrome. Spielberg revient également à ses influences de jeunesse, autrement dit les films d’Hitchcock, comme au bon vieux temps de Duel et des Dents de la mer, et John Williams renforce le trait en composant une partition qui cligne par moments de l’œil vers Bernard Herrmann.

L'individu au cœur de la technologie

Au fil du récit, on sent aussi des réminiscences de Brian de Palma (le formidable coup de théâtre dans l’hôtel), de Strange Days (le protagoniste drogué aux souvenirs vidéo) ou de L.A. Confidential (la véritable identité du vilain), mais Minority Report n’en perd jamais son identité et sa foncière originalité. Réflexion vertigineuse sur le libre-arbitre et sur la place de l’individu au sein d’une société ultra-technologique, cette œuvre d’exception multiplie les motifs métaphoriques et les récurrences à l’univers de son cinéaste. L’une des plus belles images du film est peut-être la plus simple : Anderton et Agatha s’étreignent, chaque visage tourné dans une direction opposée, symbole du choix cornélien qui s’impose. Quelle direction prendre ? Cette image nous renvoie quelques années plus tôt, à l’époque d’Indiana Jones et la dernière croisade, lorsqu’Indy et son père s’avéraient incapables de choisir entre deux destinations, l’une signifiant la régression confortable, l’autre la progression vers le danger et l’inconnu. Quels que soient les genres et les thèmes abordés, Spielberg prouve ainsi une étonnante constance. C’est la marque des grands auteurs.

(1) propos recueillis par votre serviteur en juillet 2005

© Gilles Penso

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LA GUERRE DES MONDES (2005)

Steven Spielberg réinvente le classique de H.G. Wells en proposant un film catastrophe à hauteur d'homme

WAR OF THE WORLDS

2005 – USA

Réalisé par Steven Spielberg

Avec Tom Cruise, Dakota Fanning, Justin Chatwin, Miranda Otto, Tim Robbins, Rick Gonzalez, Yul Vazquez, Lenny Venito 

THEMA EXTRA-TERRESTRES I SAGA STEVEN SPIELBERG

L’annonce d’une nouvelle Guerre des mondes signée Steven Spielberg avait de quoi laisser perplexe. D’abord parce que les écrans ont été saturés d’invasions d’extra-terrestres agressifs depuis des décennies, ensuite parce que le cinéaste a toujours opté pour une vision pacifiste du sujet, comme le prouvent ses deux chefs d’œuvre Rencontres du troisième type et E.T. l’extra-terrestre. Mais ces deux arguments volent en éclat face à l’inventivité constante dont a toujours su faire preuve Spielberg, et à la noirceur qu’ont acquis ses films depuis La Liste de Schindler. Contrairement au célèbre film de Byron Haskins, qui réadaptait très librement le texte d’H.G. Wells, le scénario de David Koepp suit ici fidèlement les étapes de l’invasion extra-terrestre décrite par le romancier. Mais le contexte a été modernisé, et les personnages recentrés sur deux thématiques chères au réalisateur : l’individu ordinaire confronté à une situation extraordinaire, et les liens qui unissent une famille recomposée.

Tom Cruise interprète donc Ray Ferrier, un docker new-yorkais divorcé qui entretient des relations épisodiques avec son fils de dix-sept ans Robbie et sa fille de onze ans Rachel. Alors qu’il se voit confier leur garde le temps d’un week-end, un puissant orage éclate et la panique s’empare soudain de la ville. Car une monstrueuse machine vient de surgir du bitume, désintégrant tous ceux qui passent à sa portée et annonçant une inéluctable offensive… Les séquences de destruction massive qui s’ensuivent atteignent les sommets du traumatisme spectaculaire, mais l’ambition de Spielberg n’est ni pyrotechnique, ni numérique. La grande force de son film est de se situer à échelle humaine, ne nous décrivant l’ampleur du cataclysme que du point de vue de son héros. Ici, nul montage parallèle décrivant des dizaines de protagonistes qui obéissent aux sempiternels quotas sociaux et raciaux, nul débat d’éminents scientifiques, nulle réunion au pentagone, nul discours du président des États-Unis. Laissant ces clichés à Independence Day, Spielberg enterre ainsi Roland Emmerich, l’un de ses plus fervents imitateurs, et invente quasiment un nouveau genre : le film catastrophe intimiste !

Le choc de l'ordinaire et de l'extraordinaire

Ce qui ne l’empêche pas pour autant de livrer au public quelques nouvelles preuves de sa maestria visuelle, notamment lors du surgissement du premier tripode hors du sol, lors des séquences d’émeutes hystériques, ou lors de l’attaque nocturne du ferry-boat. Sans compter cette longue et éprouvante scène de suspense dans la cabane, qui nous renvoie à la fameuse intrusion des raptors dans la cuisine de Jurassic Park. Abandonnant son approche mélodique et thématique, John Williams nous livre ici une partition nerveuse, sourde et inquiétante, empreinte d’influences classiques comme « Le Sacre du Printemps » de Stravinsky ou le « Sigfried » de Wagner. Quant à Janus Kaminski, il crée pour les besoins du film une lumière très contrastée, laissant briller les regards dans l’obscurité comme dans les films noirs des années 40. En bonus, la chaleureuse voix de Morgan Freeman introduit et conclut le film, en reprenant quasiment mot à mot le texte d’H.G. Wells.

© Gilles Penso

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CALTIKI, LE MONSTRE IMMORTEL (1959)

Une imitation italienne du Blob qui transporte le monstre visqueux aux confins de la jungle mexicaine

CALTIKI, MOSTRO IMMORTALE

1959 – ITALIE

Réalisé par Riccardo Freda

Avec John Merivale, Didi Sullivan, Gerard Herter, Daniella Rocca, Giacomo Rossi-Stuart, Daniele Vargas

THEMA BLOB

Les succès successifs de La Marque et Danger planétaire incitent bien vite les producteurs italiens à en initier une imitation. Le vétéran Ricardo Freda (sous le pseudonyme de Robert Hampton) la réalise en 1959 sous le titre Caltiki, le monstre immortel. Mais si le monstre ici mis en scène est très proche des blobs d’Irwin S. Yeaworth Jr et Val Guest, le cadre dans lequel il surgit n’a pas grand-chose à voir avec celui de ses modèles. Dans un somptueux noir et blanc, les membres d’une expédition archéologique étudient les ruines mayas de la cité de Tikal, au cœur de la jungle mexicaine. A la faveur d’une éruption volcanique, ils mettent à jour une caverne souterraine inconnue. Là trône la statue de la déesse antique Caltiki. Pour une raison mystérieuse, le site semble avoir été déserté il y a des siècles par la peuplade ayant bâti la cité.

Au cours de l’une des scènes les plus mémorables du film, des visions sous-marines de ce temple somptueusement gothique nous révèlent de nombreux squelettes épars. Bientôt un monstre visqueux et informe, vieux de vingt millions d’années, émerge du lac pour attaquer les savants. Deux d’entre eux découvrent à leurs dépens que le contact de ce blob antédiluvien s’avère particulièrement corrosif. Le film nous gratifie alors de quelques effets gore au cours desquels le visage d’un plongeur est affreusement décomposé et le bras d’un malheureux rongé jusqu’à l’os. « Je n’ai jamais rien vu de tel en médecine » déclare un chirurgien une heure plus tard. « La chose a absorbé dans le bras toute la substance vitale. » La curiosité du professeur John Fielding (John Merivale) n’en est que plus accrue. Ramenant de l’expédition un échantillon du monstre, il le conserve dans son bureau pour pouvoir l’étudier.

Des effets spéciaux signés Mario Bava

La prophétie inscrite dans le temple souterrain affirmait « Caltiki est une et immortelle, et quand l’époux du ciel viendra, la puissance de Caltiki détruira le monde ». Si le blob semble correspondre à Caltiki (c’est une créature monocellulaire et millénaire), qui est donc ce mystérieux époux ? La réponse ne tarde pas. Car une comète chargée en radio-activité, qui ne passe à proximité de la terre que tous les 1352 ans, s’apprête à apparaître dans les cieux. Pour couronner le tout, Max (Gerard Herter), le survivant du massacre, se laisse peu à peu gagner par la folie meurtrière et s’évade de l’hôpital où il était soigné. Quant au blob lui-même, il atteint d’inquiétantes proportions, se déploie et se multiplie… Les déplacements du monstre visqueux s’avèrent particulièrement réussis, même si les décors miniatures qu’il engloutit dans son inexorable avancée ressemblent bien souvent à des jouets (tout comme les véhicules qui explosent au fil du film ou les tanks qui encerclent le monstre pendant le climax). Ces effets spéciaux sont l’œuvre de Mario Bava, qui prêta main-forte à Ricardo Freda pour la réalisation de certaines séquences (voire de la majorité du film selon certaines sources), un an avant de diriger son chef d’œuvre Le Masque du démon. Sa patte est aisément reconnaissable dans les séquences les plus atmosphériques de cet étrange mixage de science-fiction et de mythologie antique.


© Gilles Penso

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LA NUIT DE TOUS LES MYSTERES (1959)

Cinq volontaires acceptent de passer une nuit dans une maison hantée en échange d'une forte somme d'argent…

HOUSE ON HAUNTED HILL

1959 – USA

Réalisé par William Castle

Avec Vincent Price, Carolyn Craig, Richard Long, Elisha Cook Jr, Carol Ohmart, Alan Marshal, Julie Mitchum, Leona Anderson

THEMA FANTÔMES

Grand amateur d’épouvante exubérante et de gadgets en tous genres, William Castle a bâti chaque pièce de sa filmographie comme autant de manèges d’un parc d’attractions. Avec La Nuit de tous les mystères, il pousse encore plus loin son goût du gimmick en élaborant un scénario-prétexte orchestré par le grand Vincent Price. Alors à l’aune d’une prolifique carrière vouée au fantastique, le charismatique moustachu incarne Frederick Loren, un milliardaire excentrique qui, pour honorer sa quatrième épouse, met au point un étrange pari. Il propose ainsi la somme de 10 000 dollars à celui qui osera passer une nuit dans son inquiétante et vaste demeure, laquelle est nimbée d’une fort inquiétante réputation. Il réunit donc cinq volontaires, qui peuvent encore changer d’avis tant que n’ont pas sonné les douze coups de minuit. Au-delà de cette heure fatidique, les portes et les fenêtres seront verrouillées, empêchant toute évasion. Fort d’un tel point de départ, le film s’apprécie dès lors comme un tour de train fantôme, pas vraiment effrayant dans la mesure où chacun de ses effets choc est appuyé par une mise en scène théâtrale évacuant tout potentiel réellement horrifique. 

Et en matière de clichés liés à la thématique de la maison hantée, William Castle ne recule devant rien : lustre qui tombe, cuve pleine d’acide, apparitions de spectres grimaçants, têtes ensanglantées dans une valise, assommage mystérieux d’un des invités, tache de sang qui suinte au plafond, pendaison spectaculaire, main velue derrière un mur, orgue qui joue tout seul, orage tonitruant, passages secrets… Tout y est, jusqu’à cette séquence étonnante où un squelette surgit de la cuve d’acide pour s’attaquer à l’une des infortunées héroïnes. Castle utilise là un fort efficace trucage mécanique, moins impressionnant qu’une animation image par image à la Ray Harryhausen (comme dans Le 7ème voyage de Sinbad sorti un an plus tôt), mais bien plus logique en regard de la suite de l’intrigue.

Un film gadget au succès remarquable

Et comme Castle est un farceur invétéré, il mit en place à l’époque un procédé désormais célèbre, qui consistait à équiper les salles de cinéma projetant le film de rails au plafond afin qu’un squelette grandeur nature vienne glisser au-dessus des spectateurs et les faire sursauter ! Aucun cinéaste n’oserait ça aujourd’hui, surtout à l’ère des multiplexes et du home cinéma. Une machination à la Diaboliques vient se greffer au scénario, qui s’achève brutalement, un peu en queue de poisson, comme si William Castle avait épuisé toutes ses munitions avant de pouvoir bâtir un dénouement digne de ce nom. La Nuit de tous les mystères demeure une véritable curiosité, un film catalogue qui aura au moins contourné un des lieux communs du genre : délaisser la traditionnelle maison victorienne au profit d’un bâtiment moderne et géométrique, en l’occurrence la Samuel Freeman House, un monument édifié à Los Angeles par Frank Lloyd Wright. Le succès remarquable du film eut une conséquence inattendue : inciter Alfred Hitchcock à réaliser lui-même un film d’horreur à petit budget l’année suivante, le magistral Psychose.  

© Gilles Penso

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JAMES BOND CONTRE DOCTEUR NO (1962)

La première aventure cinématographique de l'agent 007 le lance aux trousses d'un savant aux sinistres intentions

DR NO

1962 – GB

Réalisé par Terence Young

Avec Sean Connery, Ursula Andress, Joseph Wiseman, Eunice Gayson, Anthony Dawson, John Kitzmiller, Bernard Lee, Jack Lord 

THEMA ESPIONNAGE ET SCIENCE-FICTION I SAGA JAMES BOND

James Bond est né en 1953, sous la plume de l’écrivain Ian Fleming qui injecta dans ses aventures une bonne dose de souvenirs personnels hérités de ses années de service dans les renseignements britanniques pendant la guerre. Le premier roman de la série, « Casino Royale », connaît une adaptation télévisée dès 1954, avec Barry Nelson dans le rôle principal, mais pour inaugurer les aventures de 007 sur le grand écran, les producteurs Harry Salzman et Albert Broccoli optent pour le septième récit écrit par Fleming, un cocktail d’espionnage, d’action, d’érotisme et de science-fiction baptisé « Docteur No ». Armés d’un modeste budget d’un million de dollars alloué par United Artists, les deux hommes ont l’idée géniale de confier le rôle de Bond à Sean Connery. Malgré les protestations de Fleming, qui aurait plutôt vu David Niven dans le smoking de son agent, Connery incarne à merveille cet espion froid et méthodique que l’écrivain décrivait ainsi : « Un visage à la peau brune, aux traits bien dessinés, où se détachait sur la peau hâlée de la joue droite une cicatrice de sept centimètres environ. Les yeux grands et bien horizontaux, sous des sourcils noirs rectilignes et assez fournis. » 

Sa première mission sur grand écran consiste à contrecarrer les plans du sinistre docteur No (Joseph Wiseman), un agent de l’organisation criminelle S.P.E.C.T.R.E. installé dans une forteresse sur l’île de Crab Key, au large de la Jamaïque. Avec l’aide de Quarrel (John Kitzmiller), son contact local de la CIA, et de Honey Rider (Ursula Andress), une magnifique jeune pêcheuse, il infiltre le repaire du savant fou et l’empêche de détruire les fusées lancées par Cap Canaveral. Le film regorge de séquences légendaires, de l’apparition onirique de la sculpturale Ursula Andress émergeant des eaux telle la Vénus de Boticcelli à la très stressante intrusion d’une tarentule dans le lit de James Bond, en passant par l’attaque d’un tank déguisé en dragon cracheur de feu et le climax explosif dans le repaire du docteur No. Le thème musical principal, composé par Monty Norman et orchestré par John Barry, dote l’aventure d’une énergie peu commune, malgré quelques pertes de rythme au cours de la seconde moitié du métrage. 

Raciste, misogyne et anticommuniste ?

Même si Honey Rider dépasse à peine le statut de jolie potiche, et si Quarrel se contente de jouer le rôle du « bon Noir » de service, le film échappe fort heureusement aux dérapages misogynes et racistes auxquels se laissait volontiers aller Ian Fleming. « Les femmes sont faites pour la récréation », pouvait-on lire dans « Casino Royale », ou encore « pourquoi diable ne restent-elles pas chez elles avec leurs casseroles, leurs robes et leurs commérages, et ne laissent-elles pas aux hommes les travaux d’hommes ? » Tandis qu’en découvrant Quarrel dans le roman « Vivre et laisser Mourir », notre héros constatait que, malgré son allure avenante, « le nez épaté et les paumes de mains pâles révélaient le sang noir. » Mais à vrai dire, James Bond contre docteur No fut surtout taxé d’anticommunisme primaire par le Kremlin et de provocation sexuelle et sadique par le Vatican, ce qui ne fit qu’accroître l’intérêt du public et renforcer son colossal succès au box-office, le film rapportant 60 fois sa mise !

© Gilles Penso

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INDIANA JONES ET LA DERNIERE CROISADE (1989)

Indiana Jones part à la recherche du Graal mais découvre bien vite que cette quête est en réalité celle de son père…

INDIANA JONES AND THE LAST CRUSADE

1989 – USA

Réalisé par Steven Spielberg

Avec Harrison Ford, Sean Connery, Denholm Elliott, Alison Doody, John Rhys-Davies, Julian Glover, River Phoenix

THEMA EXOTISME FANTASTIQUE I DIEU, LES ANGES, LA BIBLE I SAGA INDIANA JONES I STEVEN SPIELBERG

Pas tout à fait satisfaits par l’ambiance sombre et cauchemardesque dont ils avaient nimbé Indiana Jones et le temple maudit, George Lucas et Steven Spielberg se sont efforcés de retourner aux sources du premier film pour cette Dernière croisade. Les nazis, le maladroit Marcus Brody, le jovial Sallah et les étudiants en archéologie sont donc de retour, l’Arche d’Alliance ayant été remplacée par le Graal. Du coup, ce troisième épisode prend presque les allures d’un remake des Aventuriers de l’Arche Perdue, et aurait viré au simple plagiat si le scénario de Jeffrey Boam n’avait pas intégré une idée extraordinaire, soufflée par Spielberg lui-même : mettre dans les pattes d’Indiana Jones son père, faire de ce père une espèce de professeur Tournesol excentrique, et surtout donner le rôle à Sean Connery. Ce choix de casting apporte beaucoup d’humour au film, via des ressorts comiques empruntés aux « buddy movies », mais s’avère surtout extrêmement symbolique, dans la mesure où James Bond est le père spirituel d’Indiana Jones. Pour la petite histoire, Sean Connery n’a que douze ans de différence avec Harrison Ford. C’est la subtilité de son jeu et la finesse de son maquillage qui font passer cette paternité fictive comme une lettre à la poste.

Pour enfoncer le clou et assouvir les goûts de Lucas en matière de « préquelles » (comme allait en témoigner sa reprise tardive de la saga Star Wars), le prologue du film, petit chef d’œuvre d’action, d’humour référentiel et de démesure, nous présente Indiana Jones encore adolescent. A cette occasion, Spielberg met à contribution ses propres souvenirs de boy scout. Interprété par River Phœnix, qui fut le fils d’Harrison Ford dans Mosquito Coast, le futur archéologue surprend un mystérieux étranger en train de profaner une tombe indienne où repose la légendaire Croix de Coronado, et la lui subtilise pour la confier à un musée. Mais, après une poursuite effrénée dans un train de cirque, le mercenaire récupère son bien. Par l’entremise d’un raccord elliptique vertigineuse, Indiana Jones devient adulte. Nous sommes ainsi propulsés en 1938, sur le pont d’un petit cargo, et notre héros parvient enfin à récupérer la Croix de Coronado. De retour à l’université où il enseigne l’archéologie, il est sollicité par un industriel fortuné, Walter Donovan (Julian Glover), qui cherche désespérément à trouver le Saint Graal. Indy décline l’offre, mais se ravise en apprenant que son père, Henry Jones, a disparu au cours de cette mission.

La quête du père

Aussi dépaysant qu’un épisode de 007, Indiana Jones et la dernière croisade nous transporte aux quatre coins du monde, des vastes étendues rocheuses de l’Utah jusqu’au somptueux site de Petra en passant par les canaux de Venise et la ville de Berlin où Indy rencontre adolf hitler en personne… lequel, croyant avoir affaire à un admirateur, lui signe un autographe ! D’ailleurs, si les nazis sont encore ici des méchants de bande dessinée, Spielberg a tenu à respecter une certaine rigueur historique, concoctant à cet effet une séquence d’autodafé qui fait froid dans le dos. Quatre ans plus tard, le cinéaste allait d’ailleurs nous livrer le bouleversant La Liste de Schindler. Témoignage d’une évolution du style spielbergien, les sentiments humains prévalent ici souvent sur les péripéties pures et dures. Ainsi la quête du Graal, symbole celte puis chrétien de la connaissance et de l’éternité, se mue rapidement en quête du père. Et c’est là que résident l’intérêt majeur et le génie intrinsèque du scénario d’Indiana Jones et la dernière croisade. Du coup, on en oublierait presque les incohérences narratives, les multiples faux raccords et les trucages terriblement maladroits qui parsèment le film (les techniciens d’ILM étaient à l’époque débordés par les effets spéciaux d’Abyss et de S.O.S. fantômes 2). De toute évidence, Spielberg s’est tant intéressé à ses personnages qu’il semble en avoir négligé les séquences d’action, assez pataudes à l’exception d’une formidable poursuite en side-car riche en cascades virevoltantes. Sans parler des multiples redites empruntées aux films précédents : le temple rempli de pièges mortels, le convoi allemand pris en chasse par Indy à cheval, les maléfices surnaturels frappant ceux qui ont osé profaner l’objet sacré… Malgré ces nombreuses réserves, le charme opère toujours, de manière presque miraculeuse, à tel point qu’Indiana Jones et la dernière croisade demeure pour le public et pour l’équipe du film l’un des épisodes préférés des aventures du célèbre archéologue au fouet et au Stetson.

 

© Gilles Penso

 

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INDIANA JONES ET LE TEMPLE MAUDIT (1984)

Un second épisode explosif qui alterne les séquences d'action ébouriffantes et les moments d'épouvante cauchemardesques

INDIANA JONES AND THE TEMPLE OF DOOM

1984 – USA

Réalisé par Steven Spielberg

Avec Harrison Ford, Kate Capshaw, Amrish Puri, Ke Huy Quan, Roshan Seth, Philip Stone, Roy Chiao, Dan Aykroyd

THEMA EXOTISME FANTASTIQUE I SORCELLERIE ET MAGIE I SAGA INDIANA JONES I SAGA STEVEN SPIELBERG

Premier exemple d’une séquelle signée par Steven Spielberg (qui avait échappé à la tentation après E.T), Indiana Jones et le temple maudit réussit à renouveler le mythe créé trois ans plus tôt. Quoique le terme séquelle soit quelque peu abusif, dans la mesure où ce second Indiana Jones se situe en 1935, soit un an avant Les Aventuriers de l’arche perdue. Lawrence Kasdan étant occupé par le tournage des Copains d’abord, Lucas sollicita deux autres scénaristes avec lesquels il avait collaboré sur American Graffiti : Willard Huyck et Gloria Katz. Tout en conservant les éléments clefs des Aventuriers de l’arche perdue, tant en ce qui concerne le rythme du film que la personnalité de son héros, cet « épisode 2 » met une fois de plus en évidence les influences cinématographiques de Spielberg et Lucas : la comédie musicale avec une séquence d’ouverture délicieusement hollywoodienne, puis la série James Bond au moment où Indiana Jones, paré du même smoking que Sean Connery dans Goldfinger, entre dans un cabaret de Shangaï pour négocier un gros diamant. La bagarre générale qui suit bascule dans une réjouissante frénésie. L’archéologue frôle cent fois la mort, ne devant son salut qu’à une fuite éperdue dans laquelle il entraîne la chanteuse Willie Scott (Kate Capshaw). Fort heureusement, Demi-Lune (Ke Huy Quan), le petit Chinois qui accompagne Indiana, est un as du volant et les tire de ce mauvais pas. Abandonné en plein vol dans un avion sans carburant au-dessus de l’Himalaya, sans pilote et sans parachute, ce trio hétéroclite (symbole de la famille recomposée chère à Spielberg) plonge en canot pneumatique. Emportés par un fleuve indien, ils se retrouvent dans un village où un vieux chaman semble les attendre.

Dès lors, le film bascule progressivement dans le cauchemar, en une descente aux Enfers si profonde que Spielberg aura tendance à renier quelque peu ce second Indiana Jones, rétrospectivement trop sombre à son goût. Les paliers de l’épouvante s’amorcent avec l’abominable repas à la cour du maharadjah de Pancott (serpents surprise, scarabées fourrés, soupes d’yeux et cervelles de singes en sorbet !), s’enchaînent avec la traversée d’un tunnel grouillant d’immondes insectes, dépassent les bornes avec ce sacrifice humain émaillé d’effets particulièrement gore (le cœur arraché, l’homme brûlé vif), et s’achèvent par l’outrage suprême : la transformation du héros en serviteur du mal, après qu’il ait absorbé de force le sang de Kali, tandis que le jeune maharadjah le torture à distance avec une poupée vaudou ! C’est Lucas qui orienta volontairement le film dans cette voie dépressive, car il avait appliqué un tel traitement à L’Empire contre-attaque et s’en montra très satisfait (on ne saurait lui donner tort, dans la mesure ou beaucoup le considèrent comme le meilleur épisode de la saga Star Wars). Le premier titre envisagé était d’ailleurs « Indiana Jones et le Temple de la Mort » !

Entre l'ombre et la lumière

Après avoir atteint une telle noirceur, le script rebondit enfin vers l’action énergisante et positive. En la matière, ce Temple maudit parvient à surpasser son prédécesseur, via deux séquences exceptionnelles : la course-poursuite en wagonnets dans la mine (prévue à l’origine pour Les Aventuriers de l’arche perdue) et le combat sur le pont suspendu à flanc de falaise, combinant prises de vues réelles et animation image par image. « Le mouvement humain est très difficile à imiter », explique l’animateur Tom Saint Amand. « J’ai passé beaucoup de temps à observer les prises de vues réelles de la séquence des wagonnets, notamment la manière dont Harrison Ford bougeait, et j’ai essayé d’incorporer sa gestuelle dans mon animation. Quelques-uns des plans nécessitaient de très longues journées de travail, d’autant qu’il fallait parfois animer simultanément six personnages qui interagissaient entre eux. » (1) Les clins d’œil abondent dans ce second Indiana Jones, du club chinois baptisé Obi Wan (le maître Jedi incarné par Sir Alec Guiness dans La Guerre des étoiles) à la petite apparition de Dan Aykroyd dans le rôle d’un ambassadeur (un renvoi d’ascenseur de Spielberg qui fut lui-même invité à jouer un comptable dans Les Blues Brothers) en passant par des figurants de luxe que repèrent les spectateurs les plus attentifs : Spielberg et Lucas en missionnaires et le producteur Frank Marshall en touriste. Harrison Ford nous rejoue même un remake du fameux gag de l’homme au sabre abattu par un coup de feu… Si ce n’est que cette fois, la poche à revolver d’Indiana est désespérément vide ! Bel exercice de surenchère et de variation sur un thème, oscillant sans cesse entre l’ombre et la lumière, Indiana Jones et le temple maudit entraînera presque aussitôt moult imitations plus ou moins inspirées.

 

(1) Propos recueillis par votre serviteur en septembre 1999.

 

© Gilles Penso

 

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LES AVENTURIERS DE L’ARCHE PERDUE (1981)

George Lucas et Steven Spielberg réinventent la grande aventure et lui donnent le visage d'Harrison Ford

RAIDERS OF THE LOST ARK

1981 – USA

Réalisé par Steven Spielberg

Avec Harrison Ford, Karen Allen, John Rhys-Davies, Denholm Elliot, Paul Freeman, Ronald Lacey, Alfred Molina, Wolf Kahler

THEMA EXOTISME FANTASTIQUE I DIEU, LES ANGES, LA BIBLE I SAGA INDIANA JONES I STEVEN SPIELBERG

Les premiers exploits cinématographiques d’Indiana Jones étaient annoncés à l’époque comme « Le Retour de la Grande Aventure ». Une fois n’est pas coutume, le slogan ne mentait pas, car ce film bourré d’action et d’idées se dévoila au grand public sous forme d’une véritable bande dessinée en trois dimensions ravivant avec une énergie extraordinaire le souffle épique des grandes saga exotiques d’antan. Les influences multiples des Aventuriers de l’arche perdue viennent principalement des serials des années 30, des films d’aventures des années 50 et de la série des James Bond. Après le tournage de Rencontres du troisième type, Steven Spielberg caressait d’ailleurs le projet de réaliser une des aventures de l’agent 007, ayant même tenté de convaincre le producteur Albert Broccoli de l’engager. Le reste de l’histoire est entré dans la légende : en attendant avec angoisse le résultat au box-office de La Guerre des étoiles, George Lucas proposa à Spielberg d’oublier James Bond au profit d’un nouveau héros de son invention, d’après une idée développée avec son ami Philip Kaufman. Le film se situe en 1936. Lorsqu’Indiana Jones fait son apparition dès les premières secondes du métrage, après le fameux fondu enchaîné muant la montagne de Paramount en cime sud-américaine, le cinéphile constate qu’il arbore la même panoplie qu’Humphrey Bogart dans Le Trésor de la Sierra Madre ou que Charlton Heston dans Sous le plus grand chapiteau du monde. Toujours en vadrouille aux quatre coins du monde à la recherche de trésors archéologiques, Jones est souvent entravé par son principal concurrent, le Français René Belloq (Paul Freeman) qui loue ses services à l’Allemagne d’hitler, lequel s’est mis en tête de retrouver l’Arche d’Alliance contenant les tables de la loi brisées par Moïse il y a près de trois mille ans. Tenancière d’un bouge au fin fond du Népal, Marion Ravenwood (Karen Allen) va aider Indiana à récupérer l’Arche sainte avant les nazis… 

Toute la richesse du personnage d’Indiana Jones repose sur une dualité mise en scène au sein de ses activités (alternativement tranquille professeur d’université ou intrépide aventurier) et de sa personnalité (tour à tour maladroit ou au contraire extrêmement habile). Pressenti à l’origine pour tenir ce rôle légendaire, Tom Selleck dut se désister à cause de son engagement sur la série Magnum. Sans doute eut-il incarné un aventurier très convaincant, mais force est de constater que le nom d’Indiana Jones est désormais indissociable de celui d’Harrison Ford. A ses côtés s’animent quelques seconds rôles savoureux, notamment le jovial Sallah (John Rhys-Davies), le conservateur lunaire Marcus Brody (Denholm Elliott) et le sinistre gestapiste Toht (Ronald Lacey). Le film regorge de séquences d’action époustouflantes, comme le prologue dans le temple truffé de piège, le combat contre un Allemand massif sur une piste de décollage, l’attaque des milliers de serpents dans le puits souterrain ou la poursuite en camion qui inspira très probablement le climax de Mad Max 2. Mais chacun de ces moments d’anthologie est contrebalancé par des éclats de rire, le plus célèbre ayant été improvisé à la dernière minute par un Harrison Ford patraque : au lieu d’affronter à coup de fouet un redoutable Égyptien armé d’un sabre, via une spectaculaire bataille que Spielberg avait soigneusement fait storyboarder, Indiana Jones se contente d’abattre son adversaire d’un coup de revolver avant de prendre la tangente l’air blasé !

Le Spectacle avec un grand S

Quant au final, qui visualise la colère de Dieu via l’attaque de spectres flottants et la décomposition grand-guignolesque de ceux qui ont osé profaner l’Arche, il évoque Les Dix Commandements puis bascule dans l’horreur graphique en annonçant plusieurs séquences de Poltergeist. Chef d’œuvre incontesté d’un genre alors moribond, ce premier Indiana Jones est un savant mélange de la mise en scène virtuose de Steven Spielberg et de l’imagination sans borne de George Lucas. Cette collaboration, sur laquelle repose le second slogan du film (« par ceux qui ont créé Les Dents de la mer et La Guerre des étoiles »), était à l’époque un événement à plus d’un titre, car les deux cinéastes avaient prouvé un penchant jamais démenti pour le Spectacle avec un grand S. Bénéficiant en outre d’une écriture sans faille signée Lawrence Kasdan (déjà scénariste de L’Empire contre-attaque), Les Aventuriers de l’arche perdue surprend par sa richesse et sa spontanéité. Et la musique de John Williams, enivrante, suit pas à pas le rythme extraordinairement alerte du film.

 

© Gilles Penso

 

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