MALEVIL (1980)

Un film post-apocalyptique tiré d'un roman de Robert Merle, d'autant plus inquiétant qu'il est sobre et réaliste

MALEVIL

1980 – FRANCE

Réalisé par Christian de Chalonge

Avec Jacques Villeret, Jean-Louis Trintignant, Jacques Dutronc, Michel Serrault, Robert Dhéry, Hanns Zischler

THEMA FUTUR I CATASTROPHES

S’appuyant librement sur un roman écrit en 1972 par Robert Merle, Christian de Chalonge nous propose avec Malevil une vision très personnelle de ce que pourrait être le monde rural après l’apocalypse. Très réaliste, évacuant tout glamour et tout héroïsme archétypal, le film prend place dans un petit village français digne d’une image d’Epinal. Emmanuel (Michel Serrault), le maire, discute plans d’urbanisation, distribution de courrier et dégustation de vin avec six hommes et une vieille femme réunis dans sa cave. Soudain une gigantesque explosion retentit au-dehors, suivie d’une immense vague de chaleur. Lorsqu’ils osent enfin mettre le nez dehors, tous les sept réalisent que le village s’est mué en amas de ruines fumantes. Tous les habitants et une bonne partie des animaux sont morts calcinés. Au cours des jours suivants, la survie commence à s’organiser. Tandis que Momo (Jacques Villeret), un attardé de 32 ans, ramène parmi leur petit groupe Evelyne (Pénélope Palmer), une jeune fille réfugiée dans une grotte devenue aveugle suite à l’éclair mystérieux, l’électricien Colin (Jacques Dutronc) essaie de fabriquer un émetteur afin de communiquer avec d’éventuels autres survivants.

Un dilemme moral commence à se poser lorsque des affamés viennent piller leur champ de blé. Pour sauvegarder leurs vivres, nos rescapés abattent trois de ces indésirables. Ont-ils eu raison ? N’ont-ils pas agi à la manière des naufragés sur un radeau qui coupent les mains de ceux qui veulent monter à bord avec eux ? Un jour, ils découvrent que non loin d’eux, dans un train abandonné au fond d’un tunnel, une autre communauté existe, dirigée d’une poigne de fer par Fulbert (Jean-Louis Trintignant), surnommé « le directeur ». Cette microsociété n’a pas grand rapport avec la leur, d’autant que l’autorité semble tout y régir et que les femmes sont obligées de s’accoupler avec les hommes pour procréer et repeupler la planète. Ce qui devait arriver arrive : les deux clans s’affrontent et s’entretuent, en un terrible constat de l’indécrottable stupidité de la nature humaine. 

L'apocalypse vue depuis la campagne française

Malevil présente ainsi l’originalité de nous montrer le point de vue des gens simples sur un cataclysme planétaire, de nous décrire un futur hyper-réaliste et terriblement familier, de nous laisser envisager une apocalypse ô combien plausible (jamais le mot nucléaire n’est d’ailleurs prononcé, et la véritable nature de la catastrophe demeure indéterminée, tout comme dans le livre qui se contente d’évoquer « l’événement »). La mise en scène, tirant son efficacité de sa simplicité, sait ménager de la place pour que l’atmosphère s’installe et pour que les comédiens – tous excellents – s’expriment librement. La musique de Gabriel Yared y est rare et discrète, et le vent sature bien souvent la bande son. Lorsque s’installe enfin un retour au calme, une intrusion brutale et inattendue du modernisme vient violer ce cadre naturel atemporel, brisant net la liberté symbolisée par un cheval galopant seul sur une étendue déserte, et laissant Malevil s’achever sur une note amère et désillusionnée. Malgré les qualités du film, Robert Merle n’y retrouva pas l’esprit de son roman et demanda le retrait de son nom au générique, lequel se contente donc de mentionner : « d’après un roman publié aux éditions Gallimard ».

 

© Gilles Penso

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MEURTRES SOUS CONTRÔLE (1976)

Du jour au lendemain, des individus se mettent à assassiner des inconnus parce que “Dieu le leur a ordonné”…

GOD TOLD ME TO / DEMON !

1976 – USA

Réalisé par Larry Cohen

Avec Tony Lo Bianco, Deborah Raffin, Sandy Dennis, Sylvia Sidney, Sam Levene, Robert Drivas, Richard Lynch

THEMA EXTRA-TERRESTRES

Homme à tout faire spécialisé dans la série B, Larry Cohen a toujours su développer des scénarios fascinants malgré des moyens souvent ridicules. Dans le cas de Meurtres sous contrôle, le sujet est tellement fort et tellement surprenant que les déficiences de la réalisation (cadrages approximatifs, éclairages pauvres, montage malhabile) n’en amenuisent pas pour autant l’impact. Posté en haut d’un immeuble, un homme abat plusieurs personnes au fusil à lunette. L’inspecteur Peter Nicholas (Tony Lo Bianco, dont Cohen avait fortement apprécié la prestation dans Les Tueurs de la lune de miel) parvient jusqu’à lui et tente de le raisonner. L’homme est serein et semble sain d’esprit. Mais lorsque Peter lui demande ce qui l’a conduit à commettre ces meurtres, l’homme lui répond : « Dieu me l’a ordonné ». Et il se jette dans le vide.

Peu de temps après, sans raison apparente, un homme tranquillement installé devant sa télé s’en va poignarder plusieurs personnes dans un supermarché. La réponse qu’il fait avant de mourir est : « Dieu me l’a ordonné ». Les événements de ce type se multiplient. Peter, qui vit entre son épouse et sa maîtresse, est d’autant plus affecté par cette affaire qu’il est très croyant. L’histoire s’amorce ainsi sous la forme d’un récit policier, vire peu à peu au fantastique mystique, puis bascule littéralement dans la science-fiction pure. Car l’enquête de Peter le mène jusqu’à un étrange jeune homme blond, aperçu en compagnie de plusieurs des meurtriers, qui n’est inscrit sur aucun registre civil. Or les attributs christiques de cet individu mystérieux, qui troublent grandement notre policier, semblent trouver leur origine sur une autre planète. Il s’agirait en fait d’un hybride né d’une Terrienne inséminée par une entité extraterrestre. D’où un flash-back mémorable au cours duquel une femme nue est enlevée dans un vaisseau spatial (provenant carrément de stock-shots de la série Cosmos 1999) puis pénétrée (en très gros plan !) par une force invisible.

Les tabous religieux joyeusement bousculés

La fusillade qui éclate en plein défilé de la Saint-Patrick est l’un des moments forts du film, mais d’autres séquences éprouvantes trouvent leur impact dans leur sobriété même, notamment celle où un père de famille, tout à fait détendu, raconte en détail comment il a abattu sa femme et ses deux enfants. La foi religieuse et les fondements de la religion catholique sont sérieusement mis à mal par le film de Cohen, qui n’a jamais eu peur de se confronter aux tabous pour mieux les démonter (comme le prouve son bébé monstrueux du  Monstre est vivant). Du coup, le titre original de Meurtres sous ContrôleGod Told Me To (« Dieu me l’a ordonné »), se transforma quelques années plus tard en plus sage Demon ! à la demande des chaînes de télévision américaines. Le film est dédié à Bernard Herrmann, qui composa la musique de Le Monstre est vivant et qui s’éteignit pendant le tournage de Meurtres sous Contrôle. En désespoir de cause, Cohen demanda au grand Miklos Rosza de composer la musique de son film, mais celui-ci déclina l’offre, rétorquant non sans humour « Gold told me not to » ! Le méconnu Frank Cordell se chargea donc de la bande originale.


© Gilles Penso

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YOU’RE NEXT (2013)

Une réunion de famille se transforme en jeu de massacre dans ce slasher moins classique qu'il n'y paraît

YOU’RE NEXT

2013 – USA

Réalisé par Adam WIngard

Avec Barbara Crampton, A.J. Bowen, Wendy Glenn, Sharni Vinson, Ti West, Nick Tucci, Rob Moran

THEMA TUEURS

La famille Davison s’apprête à célébrer l’anniversaire de mariage de ses aînés. Tout le monde s’installe autour de la table et s’apprête à faire du dîner un paroxysme de convivialité et d’amour. Les reproches fusent, chacun ajoute sa petite pique pour acculer l’autre. La joie des retrouvailles est à peine entamée qu’une série de flèches traversent les vitres du salon et viennent blesser les convives. La soirée s’annonce longue et violente… « Au suivant, au suivant «. A force de ressasser le refrain de Brel à chaque nouvelle œuvre d’Adam Wingard, l’espoir de voir cet amoureux du cinéma de genre et expert en système D trousser une bande capable de mettre tout le monde d’accord s’est essoufflé.

You’re Next, slasher aussi classique qu’inventif pourrait être ce coup de semonce destiné à mettre à l’amende tous les détracteurs du cinéaste. Cette œuvre d’apparence classique met le pied à l’étrier dès ses toutes premières minutes : en quelques plans, le bodycount s’affole tandis qu’une réunion de famille aux allures de Festen suffit à identifier les forces en présence et à acidifier le tableau. En guise de causticité, Wingard et Barrett déconstruisent la famille américaine archétypale en insistant sur les inimitiés régnant dans le clan Davison, censé se retrouver et célébrer dans la joie et l’allégresse l’anniversaire de mariage des parents. L’exposition s’arrête net dès qu’une première flèche pénètre dans le salon, bientôt suivies de dizaines d’autres destinées à dézinguer l’entièreté de la maisonnée. Ou presque, puisque les co-auteurs s’amusent à pousser encore un peu plus l’écaillement du vernis par une série de twists minutieusement agencés au sein de l’intrigue.

Surprises et retournements de situation

A défaut d’être décalé (les poncifs même détournés restent dans la lignée de ceux des aînés), You’re Next revigore pour l’ingéniosité de certains choix scénaristiques. Il en est ainsi de la sempiternelle final girl devenue… initial girl qui, dès le début des hostilités, illustre sa vigueur et sa force par une série de kicks et de pièges mettant à mal les plans des assaillants. Autre réjouissance : le récit offre un strapontin aux méchants, bien loin de l’image monolithique des Myers, Vorhees et consorts qui (attention, ça spoile) iront jusqu’à tomber le masque pour acquérir un surplus d’humanité. Assurément, You’re Next mérite amplement la réputation qui l’a précédé : le film de Wingard est un putain de slasher qui sait vraiment s’lâcher…

 

© Damien Taymans 

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PITCH BLACK (2000)

David Twohy crée un personnage de science-fiction iconique en offrant à Vin Diesel le rôle du monolithique Richard Riddick

PITCH BLACK

2000 – USA

Réalisé par David Twohy

Avec Vin Diesel, Radha Mitchell, Cole Hauser, Keith David, Rhiana Griffith, Claudia Black

THEMA SPACE OPERA I EXTRA-TERRESTRES I FUTUR I SAGA RIDDICK

David Twohy n’a jamais occupé le devant de la scène hollywoodienne. Coscénariste discret du Fugitif, de Waterworld et d’À Armes égales de Ridley Scott, il s’épanouit par ailleurs en tant que réalisateur dans des productions de facture modeste (TimescapeThe Arrival) qu’il s’efforce brillamment de transcender par de petites fulgurances d’écriture et une mise en scène inventive, dans le plus pur respect du genre abordé. Ce genre, c’est systématiquement la science-fiction – que le cinéaste va élire encore une fois, mais d’autre façon, pour son troisième film. Un an avant l’explosion de sa popularité via une autre production plus axée sur la cascade et les grosses cylindrées, Vin Diesel y endosse pour la première fois le débardeur moulant et les lunettes de soudeur ô combien iconiques de Richard Riddick, criminel notoire convoyé à travers l’espace en compagnie d’autres passagers plus respectables, vers une prison de laquelle il ne sortira pas de sitôt… Sauf qu’un accident de vol contraint le vaisseau à se crasher sur une planète désertique, apparemment inhabitée, où le soleil ne se couche jamais mais sur laquelle de mystérieuses créatures guettent dans l’ombre. Jeux de faux-semblants et luttes de pouvoir s’instaurent peu à peu dans le petit groupe de survivants pressés de quitter les lieux tandis que le sanguinaire Riddick, ayant profité de la panique générale pour s’échapper, rôde manifestement autour d’eux…

Limité sans aucun dommage par un budget modeste, Pitch Black s’impose haut-la-main dans le peloton de tête des excellentes surprises du genre qui auraient pu facilement tourner au vinaigre, quelque part entre Mimic et Planète hurlante. Économe, malin, viscéral, grouillant de partis-pris visuels (cadrages déformés, montage heurté, étalonnage monochromatique…) qui dynamisent efficacement un récit plus que linéaire, on sent planer sur le film de Twohy l’ombre du grand John Carpenter, tant dans son efficacité minimaliste que dans le traitement « musclé » de son héroïne intrépide, ou encore la caractérisation en creux du personnage de Riddick – sorte de version body-buildée du Napoléon Wilson d’Assaut ou du Snake Plissken de New York 1997, antihéros revendiqué et néanmoins porteur d’une éthique de la survie qui surpasse toute morale bien-pensante. 

Action généreuse et épouvante pure

Soutenu par une partition très énergique de Graeme Revell, dont les percussions entêtantes accélèrent et ralentissent au gré de la tension des situations, le film trouve non seulement sa pleine puissance dans ce mélange d’action généreuse et d’épouvante pure au sein d’une SF dépouillée, mais pose aussi de façon remarquablement intelligente le problème de la frontière ténue entre « bien » et « mal » à travers presque tous ses protagonistes. En effet, nombre d’entre eux ont un secret jalousement gardé (parfois déterminant pour l’intrigue globale) qui ne manquera pas de se dévoiler au mépris de tout manichéisme simpliste – puisque la définition même des deux mots, et par conséquent leur pertinence, s’en trouve constamment remise en cause. D’abord sorti de façon très confidentielle, puis réinvesti en grandes pompes suite à la notoriété nouvellement acquise de Vin Diesel, Pitch Black a heureusement fini par devenir un film-culte. Désormais appréciée d’un public assez large, l’imposante figure de Riddick (et son univers à peine esquissé) s’est vue déclinée depuis lors sous forme de nouveaux films, et même de jeux vidéo. La franchise Fast & Furious, indirectement, aura au moins eu ce mérite ! 


© Morgan Iadakan

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SOCIETY (1989)

Avec cette satire sociale qui bascule dans le gore surréaliste, Brian Yuzna signe sans doute son film le plus personnel et le plus ambitieux

SOCIETY

1989 – USA

Réalisé par Brian Yuzna

Avec Billy Warlock, Connie Danese, Ben Slack, Evan Richards, Patrice Jennings, Tim Bartell, Charles Lucia, Heidi Kozak

THEMA CANNIBALES I MUTATIONS

Heureux producteur de Re-AnimatorFrom Beyond et Dolls, tous trois réalisés par Stuart Gordon, Brian Yuzna décide de passer derrière la caméra à la fin des années 80 et porte ainsi à l’écran Society, un bien curieux film dont le style échappe aux canons du genre, à mi-chemin entre l’épouvante, la satire sociale et l’horreur burlesque. Pendant la première partie, Yuzna dissémine d’insolites détails au sein d’un contexte de soap opéra apparemment dénué d’intérêt pour le fantasticophile : Beverly Hills, la plage, les pom pom girls, les conseils de classe, les match de football américain… L’inquiétude s’installe peu à peu alors que rien ne s’est encore passé, à travers le regard de Billy Whitney, un adolescent de 17 ans qui sent le fossé s’agrandir entre lui et le reste de sa famille, huppée, snob et guidée à l’extrême. Puis viennent des hallucinations, de plus en plus persistantes et de plus en plus curieuses. Comme la sœur de Billy qui, vue à travers la porte vitrée de la douche, semble avoir le corps bizarrement contorsionné. Ou comme sa petite amie, dont les bras et les jambes, l’espace d’un instant, donnent l’impression de ne pas être à la bonne place… S’efforçant de persuader Billy qu’il a des troubles psychiques, ses parents l’emmènent consulter un thérapeute et souhaitent lui faire intégrer une institution spécialisée. Mais lorsque le jeune homme surprend sur une cassette audio une conversation entre ses parents et sa sœur, où il est question d’orgie et d’inceste, la cocote minute explose…

Survient alors l’événement lui-même, qu’on n’osait imaginer aussi excessif malgré la longue préparation. La paranoïa lancinante cède alors le pas à l’horreur excessive, au moment où Billy assiste à une massive réunion de toute la jet-set de Beverly Hills qui se mue bientôt en gigantesque orgie érotico-cannibalo-dégoulinante. La parabole « les riches dévorent les pauvres » est ici littéralement montrée à l’écran. Car telle est l’incroyable révélation : les nantis se sont réunis en secte anthropophage et élèvent en leur sein quelques individus de classe modeste, comme Billy, dont ils simulent des morts accidentelles pour mieux pouvoir les dévorer en toute impunité, à l’occasion de nocturnes festivités où les corps des mangeurs et des mangés se mêlent en une innommable masse de chair pantelante en perpétuelle mutation.

Mutations orgiaques

Les « effets spéciaux de maquillage surréalistes » (ainsi nommés au générique), sont l’œuvre de Screaming Mad George, s’inscrivant volontairement à contre-courant du gore traditionnel. Les bouches se prolongent en museaux flasques, les têtes deviennent des mains géantes, les visages surgissent au beau milieu des fesses, les membres inférieurs et supérieurs s’inversent… On n’avait encore jamais vu d’aussi délirantes atteintes à l’intégrité physiologique du corps humain, réminiscences de l’œuvre de Dali et Picasso. Ces visions hallucinantes justifient à elles seules la vision du film. A ce jour, et malgré la patine « années 80 » qui l’a fatalement dotée d’un petit coup de vieux, Society demeure l’un des travaux les plus intéressants de Brian Yuzna, se réappropriant les codes du slasher à la Vendredi 13 et du film de SF paranoïaque façon L’Invasion des profanateurs de sépulture pour mieux les transcender.

 

© Gilles Penso

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L’AUBE ROUGE (2012)

Un remake de la fable guerrière de John Milius avec Chris Hemsworth en chef de la rebellion armée

RED DAWN

2012 – USA

Réalisé par Dan Bradley

Avec Chris Hemsworth, Josh Peck, Adrianne Palicki, Josh Hutcherson, Isabel Lucas, Jeffrey Dean Morgan, Edwin Hodge

THEMA POLITIQUE FICTION 

L’Aube Rouge que John Milius réalisa en 1984, d’après un scénario qu’il co-écrivit avec Kevin Reynolds, s’appuyait sur la paranoïa générée par la Guerre Froide pour concocter un récit de politique-fiction extrêmement tendu. Objet de culte grâce à son casting d’étoiles montantes (Patrick Swayze, Charlie Sheen, C. Thomas Howell, Lea Thompson), le film véhiculait cependant une idéologie discutable : patriotisme exacerbé aux franges du racisme et de l’intolérance, fascination appuyée pour les armes à feu, bref du Milius pur jus débarrassé des filtres métaphoriques qui permettaient à Conan le barbare de tutoyer le sublime sans s’embarrasser de sous-texte douteux. C’est à Dan Bradley, réalisateur de seconde équipe de nombreux films d’action (Quantum of Solace, Indiana Jones et le royaume du crâne de cristal ou La Vengeance dans la peau), que fut confiée la mise en scène de ce remake qui reprend dans les grandes lignes le flux narratif de son modèle.

Nous sommes donc dans une petite ville américaine pétrie de sympathiques clichés (les deux frères rivaux dont l’un revient de l’armée et l’autre joue au football américain, sous l’œil bienveillant de leur père shérif) où surgit soudain le chaos. Un matin, le ciel est en effet envahi de centaines d’avions et de parachutes, en une vision spectaculaire qui n’aurait pas dépareillée dans Independence Day. Au milieu des explosions et des fusillades, la panique s’empare des braves citoyens qui se soumettent bientôt à l’assaut des forces armées venues tout droit de Corée du Nord. Mais un groupe de lycéens décide de battre retraite dans les bois et de résister contre l’envahisseur. Ils se font appeler les Wolverines, comme l’équipe de football locale, et se persuadent qu’un entrainement intensif, une volonté de fer et une organisation sans faille leur permettra d’enrayer les rouages de l’occupation militaire. Dan Bradley n’ayant eu jusqu’alors aucune expérience de réalisateur à temps plein, il se concentre sur ses points forts : les séquences d’action. De ce point de vue, il faut reconnaître à cette nouvelle Aube Rouge une certaine efficacité.

Au cœur du conflit

Malgré l’illisibilité de quelques échauffourées (héritée probablement du style exagérément nerveux hérité des Jason Bourne), la guérilla filmée par Bradley sait plonger ses spectateurs au cœur du conflit et les secouer sans ménagement. Mais c’est aussi là que le remake marque ses propres limites. Car les combats (beaucoup plus nombreux que dans le film précédent, et situés dans un environnement plus volontiers urbain) s’enchaînent sur le mode de l’ellipse sans qu’un véritable tissus relationnel fort ait été construit entre les protagonistes. Les conflits internes sont réduits à quelques lieux communs éculés, les remises en question n’existent quasiment pas, et nous voilà dès lors face à la mécanique d’un simple jeu vidéo guerrier (bâti de toute évidence sur le modèle de « Call of Duty ») dénué de la moindre implication émotionnelle. Quant au discours politique, il n’a pas évolué depuis les années 80, si ce n’est que la Corée a remplacé la Russie. En exacerbant les défauts de son modèle sans pouvoir en conserver les qualités, cette nouvelle Aube Rouge donne donc l’effet d’un pétard mouillé, et présente au moins le mérite de permettre une réévaluation à la hausse de la version de John Milius.

 

© Gilles Penso

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TURKISH BATMAN (1973)

Une version turque des aventures de Batman et Robin qui ne craint ni le pillage ni le plagiat… Il faut le voir pour le croire !

BETMEN YARASA ADAM

1973 – TURQUIE

Réalisé par Savas Esici

Avec Levent Çakir, Emel Özden, Altan Günbay, Nalan Çöl, Ceyhan Cem, Funda Ege 

THEMA SUPER-HEROS

La Turquie fut longtemps une zone de non-droit en matière de propriété intellectuelle. Du coup, dès qu’un film ou une BD faisait recette aux Etats-Unis, les cinéastes de l’ex-Empire Ottoman se dépêchaient d’en filmer leur propre version sans le moindre complexe. La même année que l’impensable 3 Dev Adam  (où Captain America et Santo affrontaient Spider-Man), Savas Esici réalisait donc ce Batman illégal parfaitement incongru. Comme toujours dans ce type de production, aucun budget n’est nécessaire pour la musique puisqu’on se contente de piller dans les bandes originales les plus populaires du moment, avec une prédilection pour les thèmes des James Bond composés par John Barry. Ici,  Au service secret de Sa Majesté sert de support musical principal à une sombre intrigue d’assassinats en série, leur instigateur étant un mystérieux individu dont on ne voit que les mains caressant un chat qui ronronne (déjà vu, vous êtes sûrs ?).

Alors que la police est sur les dents, un homme coiffé comme Mike Brant reçoit un ordre de mission sous forme d’un message enregistré sur bande et d’une pochette emplie de photos. Non, ce n’est pas Jim Phelps, le vénérable espion chenu de Mission impossible, mais Batman en civil ! Lorsqu’il s’entraîne au combat avec son fidèle Robin, le film révèle sont énorme potentiel comique involontaire. Ces deux gaillards en collants moulants, avec des slips noirs remontés jusqu’au nombril, qui effectuent des cabrioles dans un gymnase, nous offrent en effet un spectacle tout à fait délectable. L’un arbore une chauve-souris vaguement dessinée sur le poitrail et une cagoule noire, l’autre un R majuscule et un mignon petit loup, ce qui permet de les distinguer. Le styliste du film a fait ce qu’il a pu pour s’approcher du look des deux super-héros tels qu’ils furent popularisés dans la série américaine des sixties, mais le résultat laisse perplexe. Capables de se changer à la vitesse de l’éclair (ils sortent de leur voiture en civil puis, dans le contre-champ, sont déjà en panoplie de combat !), Batman et Robin se débarrassent systématiquement de leur cape pour se battre comme des catcheurs, avec en tout et pour tout un seul bruitage pour tous les coups et impacts.

Un must pour les amateurs de curiosités déviantes et exotiques

Ici, aucune ambigüité n’est possible sur la sexualité de l’homme-chauve-souris, qui adore assister à des spectacles de strip-tease, draguer les jolies passantes et galocher toutes les filles qui passent à sa portée. D’ailleurs, l’aventure est régulièrement interrompue par des numéros érotiques artificiellement intégrés dans l’intrigue : danseuse topless qui agite un faux serpent entre ses cuisses, fille qui se caresse lascivement et se déshabille en écoutant de la musique, scène de sexe torride entre Batman et une blonde peu farouche croisée dans la rue, vaudeville éléphantesque avec une fausse infirmière aux fesses nues ou encore strip-tease sur une version instrumentale de « Je t’aime moi non plus » de Serge Gainsbourg ! Comme en outre le jeu des comédiens est exceptionnel (l’homme de main qui meurt en avalant une pastille de cyanure mérite l’oscar de la meilleure grimace), on aura compris que ce Betmen Yarasa Adam est un must pour les amateurs de curiosités déviantes et exotiques.

 

© Gilles Penso

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THE INNKEEPERS (2011)

Ti West nous emmène dans un hôtel hanté en échappant comme toujours aux tendances de son époque pour chercher l'inspiration dans l'épouvante d'antan

THE INNKEEPERS

2011 – USA

Réalisé par Ti West

Avec Sara Paxton, Kelly McGillis, Pat Healy, George Riddle, Lena Dunham, Alison Bartlett

THEMA FANTÔMES

Auteur de l’old school The House of the Devil, Ti West récidive dans le registre du film de maison hantée avec The Innkeepers qui doit se contenter, refrain connu, d’une sortie en DTV en n’ayant connu qu’une seule projection sur le sol hexagonal lors du festival du PIFFF. Cette fois, l’exploration a lieu dans un hôtel réputé habité par quelque obscur fantôme, condamné à une fermeture définitive dans une poignée de jours. Seul le deuxième étage reste accessible aux rares clients qui poussent la porte et doivent traiter avec Claire et Luke, derniers employés assistant au naufrage pendant que leur patron est en vacances. Branchés par le paranormal, les deux geeks décident de mener l’enquête et, pour ce faire, d’enregistrer les manifestations du spectre légendaire résidant dans les lieux. Quitte à négliger, pour y parvenir, les locataires casse-bonbons (une mère et son braillard, une actrice en plein déclin passé maîtresse en utilisation du pendule – Kelly McGillis, savoureuse -, un veuf désireux de loger dans la chambre de sa nuit de noces) et les précautions élémentaires en termes de communication avec le monde de l’au-delà…

Qu’on se le dise, Ti West n’est pas homme à se conformer aux tendances actuelles. C’est avant tout un passionné qui conjugue un bagage cinéphilique démentiel et un sens aigu de la mise en scène et de l’écriture scénaristique. La conjonction de ces deux facettes aboutit à un cinéma d’épouvante à l’ancienne. L’exposition, devenue cache-misère dans la majorité des œuvrettes actuelles, se fait signifiante, la caractérisation des personnages ne s’encombre d’aucune fioriture (la relation entre le cynique Luke et la belle Claire est basée sur des sous-entendus et des non-dits, les personnages secondaires prennent de l’ampleur à mesure que l’intrigue évolue), la suggestion et le hors-champ supplantent le tout-effet-numérique ambiant.

Entre comédie et épouvante

En l’état, The Innkeepers, comme beaucoup de films-phares des 80’s, s’accommode d’ailleurs assez mal de l’étiquette horrifique et taquine le domaine de la comédie durant une heure avant de s’aventurer dans l’épouvante qui n’en devient que plus éprouvante. Avec la même efficacité que la sonnette qui retentit pour signifier la pénétration de l’invisible dans le champ des enquêteurs. West s’amuse ainsi dans un premier temps à faire peur « pour de faux », à l’image des zigotos s’offrant des frissons à partir de détails insignifiants. La menace d’abord diffuse s’intensifie, se densifie de minute en minute et l’apparent immobilisme imprimé au récit vire soudain à un tour en train-fantôme particulièrement efficace. Roublard, Ti West nous immerge lentement mais sûrement dans son hôtel hanté, nous met à l’aise dans ces murs défraichis, nous permet de copiner avec ses anti-héros pour mieux nous effrayer le moment venu. The Innkeepers rappelle à tous les vidéastes déviants et autres empaqueteurs de diables en boîte que la peur, la vraie, ne peut se satisfaire de quelques ressorts épisodiques : elle est avant tout affaire de contexte, de situation, n’émerge que dans un cadre défini, familier, réaliste. Le « grand frisson » mis au point par Ti West s’avère au final plus élégant et efficace que le « grand sursaut », symbolisé ici par ces vidéos absurdes réclamant l’attention de l’internaute avant qu’un monstre ne surgisse à l’écran.

 

© Damien Taymans

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DOCTOR STRANGE (1978)

La première adaptation des aventures de Docteur Strange à l'écran est un téléfilm disco tombé dans l'oubli

DOCTOR STRANGE

1978 – USA

Réalisé par Philip de Guere

Avec Peter Hooten, Clyde Kusatsu, Jessica Walter, Eddie Benton, Philip Sterling, John Mils, June Barrett, Sarah Rush, Diana Webster

THEMA SUPER-HEROS I SAGA MARVEL

A partir de la fin des années 70, le prolifique Marvel Comic Group décide de puiser dans son riche patrimoine pour créer de nouvelles séries télévisées au fort potentiel commercial. Première tentative, L’Incroyable Hulk est un succès qui donne même naissance – suite à un travail de remontage – à deux longs métrages exploités au cinéma en Europe. L’essai suivant est bien moins concluant. Il s’agit de L’Homme-Araignée, recyclé lui aussi sous forme de série TV, de films et même de feuilleton nippon bourré de monstres en caoutchouc. Là, l’échec artistique est flagrant et cuisant. Stan Lee refuse de vivre la même expérience. Il essaie alors de donner sa chance à un autre super-héros du groupe, le mystique Docteur Strange. Et pour tenter de réitérer le succès de Hulk, porté par la personnalité de l’auteur/réalisateur Kenneth Johnson, il laisse les rênes à un vétéran de la télévision ayant déjà fait ses preuves, Philip de Guere. Participant actif des Têtes brûlées et plus occasionnel de L’Homme invisible et Super Jaimie, De Guere décide d’intégrer le récit dans le contexte le plus réaliste possible, quitte à trahir quelque peu le matériau initial créé par Lee et Steve Ditko.

Stephen Strange n’est donc plus un chirurgien imbu de lui-même et avide d’argent qu’un accident prive de l’usage de ses mains et qu’un long voyage initiatique au Tibet transforme en magicien super-héroïque. Il s’agit ici d’un psychiatre bienveillant qui œuvre dans un hôpital public et qui se retrouve un jour face à une jeune femme amnésique terrifiée à l’idée de s’endormir. Plongée soudain dans le coma, elle est victime de l’envoûtement de la sorcière Morgan le Fay. Pour la sauver, Strange doit accepter l’aide d’un étrange vieil homme, Thomas Lindmer, qui affirme être un grand magicien. Incrédule, le médecin tombe des nues en apprenant que son défunt père était un confrère de Lindmer, et qu’il est lui-même appelé à devenir maître des Arts Mystiques, comme le prouve la bague magique que lui a léguée Strange Senior.

Une série qui ne verra jamais le jour

Dans le rôle-titre, Peter Hooten possède un certain charisme et porte plutôt bien la moustache et la robe du magicien, si ce n’est que sa coupe disco, qu’on croirait échappée des Village People, entrave sérieusement sa crédibilité. Les effets spéciaux assurent le service minimum – budget oblige – mais s’avèrent plutôt efficaces. La rotoscopie donne corps aux rayons d’énergie lumineux que les opposants s’envoient à la figure, et l’animation image par image est même sollicitée pour donner vie à l’entité maléfique que sert la vile Morgan (et qui semble s’inspirer du Dormammu de la bande dessinée originale). Noyée dans la fumée et dans l’ombre, le regard vert et perçant, elle fait son petit effet. Certes, ce Doctor Strange ne laisse pas un souvenir immuable après son visionnage, mais à côté de L’Homme-Araignée ou des effroyables téléfilms consacrés l’année suivante à Captain America, il ferait presque office de chef d’œuvre impérissable. Le téléfilm restera pourtant sans suite, sa diffusion le 6 septembre 1978 souffrant de la concurrence du remarquable show TV Racines, et la série envisagée restera donc un fantasme inassouvi.

 

© Gilles Penso

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KICK-ASS 2 (2013)

L'absence de Matthew Vaughn se fait cruellement sentir dans cette séquelle qui cherche à retrouver le juste équilibre de son modèle

KICK-ASS 2

2013 – USA

Réalisé par Jeff Wadlow

Avec Nicolas Cage, Jim Carrey, Chloe Moretz, John Leguizamo, Christopher Mintz-Plasse, Lyndsy Fonseca, Donald Faison, Aaron Taylor Johnson

THEMA SUPER-HEROS

Fort d’une exploitation à 100 millions de dollars pour une mise de départ de 30 millions, Kick-Ass  était devenu, voici quelques années, l’une des oeuvres les plus rentables d’Universal Pictures. C’est donc sans surprise que la firme annonçait rapidement la mise en chantier d’une séquelle que devait à nouveau diriger Matthew Vaughn . Le cinéaste, retenu sur un autre projet estampillé Mark Millar, The Secret Service, a laissé sa place à Jeff Wadlow, grand espoir du cinéma de genre depuis la réussite (financière) de son Cry Wolf en 2005. Tous les ingrédients étaient donc réunis pour faire de Kick-Ass 2 un film-événement, d’autant que les jeunes stars mises en présence, Aaron Taylor-Johnson et Chloe Moretz en tête, pouvaient compter sur l’aura d’un comédien tel que Jim Carrey. Lui aussi dans le camp des gentils sous les traits du Colonel Stars and Stripes, il fonde une troupe de défense face à la terrible menace que représente Red Mist, jeune méchant un brin débile qui désire se venger de Kick-Ass, qui avait causé la mort de son père dans le premier opus. Red Mist, rebaptisé The Mother Fucker, désire détruire la ville presque autant qu’il compte anéantir Kick-Ass…

Si la force de ce Kick-Ass 2 devait résider dans la multiplicité des personnages bien barrés, à commencer par le fameux Colonel Stars and Stripes, Jeff Wadlow et Mark Millar oublient tout principe de caractérisation en chemin. Dès lors, la machine s’enraye d’emblée là où le film de Matthew Vaughn brillait, lui, de mille feux : le manque de développement des différents protagonistes, de leurs caractères respectifs et de leurs attributions dans le groupe s’avère fortement dommageable. Entre un Kick-Ass qui couche avec une gentille nymphomane dans les toilettes et une Hit Girl qui se la joue fleur bleue pendant près d’une heure, ce second opus parvient même à faire oublier les excellentes dispositions de l’œuvre originale. Hormis une scène d’ouverture plutôt sympathique et dans l’esprit du film de Vaughn, l’oeuvre de Wadlow n’a donc rien à voir avec son glorieux modèle, alignant les poncifs détestables et composant avec une mise en scène des plus classiques et linéaires.

Vulgarité gratuite

Les quelques scènes de baston demeurent amusantes sans pour autant faire preuve d’une quelconque inventivité au niveau des chorégraphies et des mouvements de caméra. L’ensemble se laisserait néanmoins suivre si la vulgarité crasse des personnages, en rien justifiée et à mille lieues de « l’esprit Kick-Ass », n’entamait le reste d’efficacité que l’on pouvait encore prêter à la chose. A trop vouloir se la jouer badass, Jeff Wadlow et Mark Millar bafouent leur héros jusqu’à en faire des pantins vulgaires, victimes d’une fable ni drôle ni spécialement rythmée. Kick-Ass 2 est une véritable insulte à l’oeuvre littéraire de Millar mais aussi au film d’un Matthew Vaughn qui n’aurait sans doute pas toléré pareilles inepties…

 

© Quentin Meignant

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