ZOLTAN, LE CHIEN SANGLANT DE DRACULA (1977)

Le saviez-vous ? Le plus célèbre des contes vampires possède un chien aux crocs aussi acérés que les siens !

ZOLTAN, THE HOUND OF DRACULA

1977 – USA

Réalisé par Albert Band

Avec Reggie Nalder, Michael Pataki, Jose Ferrer, Jan Shutan, Libby Chase, John Levin, Cleo Harrington, Tom Gerrard 

THEMA DRACULA I VAMPIRES I MAMMIFERES

Albert Band est le père de l’entreprenant Charles Band (créateur des prolifiques compagnies de production Empire, Full Moon et Moonbeam) et du compositeur Richard Band (Re-AnimatorPuppet Master). Producteur lui-même depuis le début des années 50, il réalisa en 1977 cet improbable Zoltan dont le postulat laisse rêveur. Alors qu’ils effectuent plusieurs tests d’explosifs en Roumanie, des militaires russes mettent à jour le caveau de la famille Dracula. En attendant de pouvoir dépêcher un archéologue sur place, on poste un garde, qui a la mauvaise idée d’ouvrir un des cercueils et d’enlever le pieu fiché dans le cœur de la dépouille.

Aussitôt s’éveille Zoltan, un chien aux crocs acérés et aux canines proéminentes qui gratifie le curieux d’une belle morsure puis libère son maître Veidt Smith (Reggie Nalder, qui promena son physique inquiétant dans L’Homme qui en Savait Trop d’Alfred Hitchcock, version 1956). Le visage exagérément émacié, la peau fripée et le regard exorbité, celui-ci, ancien serviteur du comte Dracula, se promène en corbillard, transporte Zoltan dans une caisse et lui donne des ordres par télépathie. Tous deux se rendent ainsi à Los Angeles en quête de Michael Drake (Michael Pataki, qui incarna la même année le capitaine Barbera dans le calamiteux Homme Araignée), dernier descendant de la famille Dracula non encore converti au vampirisme. Or Michael est parti camper avec sa femme, ses deux enfants et ses chiens. Tandis que l’inspecteur Franco (José Ferrer), Van Helsing du pauvre, voyage jusqu’en Californie pour mener l’enquête, Zoltan commence à se mettre quelques confrères canins sous la dent.

Combats entre villageois et chiens-vampires

Le concept du film est déjà assez grotesque en soi, mais le traitement ne fait rien pour élever le niveau. Tout dans le film sonne faux, notamment les costumes des militaires (impeccablement repassés) et ceux des villageois, qu’on croirait échappés d’un pot de yaourt La Laitière. La musique assez catastrophique est digne d’un supermarché, les combats entre les hommes et les chiens vampires (qui poussent des cris mêlant joyeusement aboiements canins, feulements de fauves et hurlements de chimpanzés) sont souvent ridicules, les dialogues sont gentiment risibles, tout comme les scènes de flash-back (en particulier celles de Zoltan se souvenant avoir été mordu par Dracula changé en chauve-souris). Il y a bien quelques tentatives d’humour dans le métrage, comme lorsque Michael affirme qu’il pourrait amasser pas mal d’argent en intentant des procès à tous ceux qui ont fait des films sur la famille Dracula sans lui en demander l’autorisation. Mais les meilleurs moments comiques sont involontaires, comme lorsque Franco arpente la campagne, des pieux à la main, en quête de vampires à empaler. Il faut reconnaître que quelques scènes efficaces se détachent du lot, comme l’assaut nocturne des héros enfermés dans un chalet par les canidés assoiffés de sang, mais elles ne sont guère légion. Quant au final, il sacrifie au cliché éculé du faux happy end. Pour l’anecdote, les maquillages spéciaux sont l’œuvre d’un Stan Winston alors débutant.

 

© Gilles Penso

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Y’A-T-IL UN PILOTE DANS L’AVION ? (1980)

Le trio ZAZ reprend à son compte tous les clichés du cinéma catastrophe et réalise la parodie cinématographique ultime

AIRPLANE

1980 – USA

Réalisé par Jim Abrahams, David et Jerry Zucker

Avec Robert Hays, Julie Hagerty, Peter Graves, Lloyd Bridges, Leslie Nielsen, Robert Stack, Kareem Abdul-Jabbar 

THEMA CATASTROPHES

Le succès planétaire de Y’a-t-il un Pilote dans l’Avion ne s’est pas fait tout seul. C’est en réalité l’aboutissement d’une série de jalons posés par les frères David et Jerry Zucker et leur ami Jim Abrahams depuis le début des années 70. Encore étudiants, les trois compères louèrent l’arrière-boutique d’une bibliothèque du Wisconsin pour y monter leur petite troupe de théâtre : le Kentucky Fried Theater. Au menu : des pastiches à foison, de l’improvisation, des extraits de films détournés et des sketches absurdes. 150 000 représentations plus tard, le talent des « ZAZ » s’exportait dans un premier film réalisé par John Landis, Hamburger Film SandwichPotache mais joyeusement délirant, ce galop d’essai servit de tremplin à leur film suivant, Y’a-t-il un pilote dans l’avion, dont Zucker, Abrahams et Zucker signèrent eux-mêmes la mise en scène d’après leur propre scénario. 

Directement inspiré par le film catastrophe Zero Hour, dont il reprend minutieusement la trame, mais aussi par la franchise Airport du studio Universal, Airplane est un délire non-stop qui a littéralement révolutionné le genre comique cinématographique au tout début des années 80. Tandis que le capitaine Oveur (Peter Graves, le Jim Phelps de Mission impossible) et son co-pilote Roger Murdock (le basketteur Kareem Abdul-Jabbar) sont aux commandes du vol 209 assurant la liaison entre Los Angeles et Chicago, l’ancien pilote de chasse Ted (Robert Hays), traumatisé suite à un crash, tente de reconquérir l’hôtesse de l’air Elaine (Julie Hagerty). En plein ciel, tout ce beau monde s’apprête à vivre une catastrophe car les passagers et les membres de l’équipage ayant mangé du poisson tombent soudain malade. Seul Ted semble dès lors capable de prendre les commandes de l’avion…

Caricature à outrance et sérieux imperturbable

Y’a-t-il un Pilote dans l’Avion s’érige en modèle parodique exemplaire. Son principe consiste à caricaturer à outrance les clichés du grand écran en parfaite connaissance de cause, les protagonistes restant imperturbables quelles que soient les situations. Le résultat a des vertus profondément hilarantes, surtout pour les habitués des films détournés. Répliques, situations et personnages archétypiques se succèdent ainsi avec un singulier parfum de déjà-vu. A cet enchaînement de gags référentiels suscitant la connivence du public, les ZAZ ajoutent une bonne dose de scènes burlesques très proches des univers de Tex Avery et de Hellzapoppin (auquel Airplane emprunte mot à mot le gag des journalistes qui prennent des photos). Généralement, chaque séquence de Y’a-t-il un pilote dans l’avion s’entame le plus sérieusement du monde, puis dégénère tranquillement jusqu’à l’absurde. Témoins cette chorégraphie démentielle sur le « Staying Alive » des Bee Gees, ces scènes de panique nonsensiques ou ces journaux télévisés à travers le monde. Cerise sur le gâteau, Airplane imite le genre catastrophe jusqu’à solliciter des guest-stars sur le retour, lesquels s’en donnent visiblement à cœur joie dans le registre de l’autodérision. Leslie Nielsen, ex-astronaute très sérieux de Planète Interdite, se prend tellement au jeu qu’il en fera dès lors une marque de fabrique.

 

© Gilles Penso

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VIRUS CANNIBALE (1981)

L'une des imitations italiennes de Zombie les plus excessives, les plus gores et les plus portées sur le mauvais goût

VIRUS INFERNO DEI MORTI-VIVANTI

1981 – ITALIE

Réalisé par Bruno Mattei

Avec Margit-Evelyn Newton, Franco Garofalo, José Gras, Selan Karay, Gaby Renom, Josep Lluis Fonoll, Piero Fumelli

THEMA ZOMBIES

Entre la fin des années 70 et le début des années 80, une vogue éphémère s’empara du cinéma italien : celle du film de zombies ultra-gore.  Directement influencés par le succès du Zombie de George Romero, une demi-douzaine de réalisateurs transalpins se laissèrent ainsi aller aux excès horrifiques les plus extrêmes. Certains en tirèrent de fascinantes variations en y injectant leur propre personnalité, notamment Lucio Fulci via sa célèbre tétralogie infernale. D’autres n’hésitèrent pas à entacher le genre d’avatars plus que douteux. A ce titre, Virus Cannibale bat sans doute tous les records. Alors qu’il inspecte la tuyauterie d’une usine, un ouvrier découvre le cadavre d’un rat qui s’anime soudain, se glisse sous sa combinaison et le dévore avec force jets de sang. Bientôt, tous les ouvriers se muent en zombies au visage noirci, dévorant les vivants avec un bel appétit (une épaule est croquée à pleines dents, un corps entièrement ouvert et étripé). Le responsable de l’usine constate alors avec lucidité que leur projet a échoué, déclarant solennellement : « Que Dieu nous pardonne pour ce que nous avons créé ici ».

L’action se transporte ensuite dans une forêt sauvage où bivouaque tranquillement un petit groupe de randonneurs. Mais la sérénité est de courte durée. Bientôt, le père est dévoré par son petit garçon, la mère attaquée par un vieillard au visage écarlate, et des corps décomposés surgissent un peu partout avant de déambuler en traînant la patte. Au beau milieu du carnage, une journaliste et son caméraman semblent ne s’étonner que très modérément face au surgissement de ces zombies anthropophages. « Regarde leurs visages, on dirait des monstres », remarque tranquillement la jeune femme. Les « héros » du film sont les membres d’un commando dépêché sur place. Racistes, fascistes, stupides, ils tirent d’abord et réfléchissent après (y compris sur le petit garçon zombie). Mais comme aucun autre pôle d’identification n’est proposé aux spectateurs, il est difficile de savoir si le réalisateur se moque de ces détestables protagonistes ou se prend de sympathie pour eux. Régulièrement pendant la traversée du petit groupe dans la forêt, le montage insère très maladroitement des stock-shots animaliers au ralenti.

Des effets volontairement repoussants

Et pour que le cocktail gore/exotisme se pare également d’un soupçon d’érotisme, Mattei filme en gros plan les seins de la journaliste lorsque celle-ci, prise d’une soudaine inspiration, se déshabille pour essayer d’infiltrer une tribu locale. Le gore poétique de Lucio Fulci est ici supplanté par des effets volontairement repoussants : vomissements face à la caméra, autochtone affamé qui mastique des asticots grouillant sur un cadavre, chat dévorant les entrailles d’une vieille femme, jambes mangées, doigts arrachés… Mattei tente même de combattre Fulci sur son propre terrain lorsqu’un zombie plonge sa main dans la bouche d’une jeune femme, lui arrache la langue, puis lui fait sauter les yeux des orbites de l’intérieur, avec ses doigts ! Le tout en gros plan, bien sûr ! Pour manger aussi au râtelier de Romero, Mattei filme les débats animés des politiciens s’interrogeant sur le sort à réserver aux zombies, tandis que le montage insère arbitrairement des images d’archives de populations du Tiers-Monde en détresse… Virus Cannibale s’érige ainsi en véritable monument de mauvais goût.

 

© Gilles Penso

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URBAN LEGEND (1998)

Dans la foulée de Scream et Souviens-toi l'été dernier, ce slasher tente maladroitement d'exploiter un concept tiré par les cheveux

URBAN LEGEND

1998 – USA

Réalisé par Jamie Blanks

Avec Alicia Witt, Tara Reid, Rebecca Gayheart, Jared Leto, Joshua Jackson, Brad Dourif, Loretta Devins, Robert Englund

THEMA TUEURS

Scream et Souviens-toi l’été dernier ayant redoré le blason du psycho-killer avec succès, tout Hollywood fut tenté d’apporter sa pierre à l’édifice, dans l’espoir d’en tirer de coquets bénéfices. Etant donné que les deux films pré-cités marchaient sur les traces de La Nuit des Masques et Le Bal de l’Horreur, il fallait trouver une manière de surprendre le public en élargissant le champ des sources d’inspiration. Le scénariste Silvio Horta et le réalisateur Jamie Blanks, s’attaquant chacun pour la première fois à un long-métrage, s’efforcèrent donc d’y intégrer l’idée d’une vengeance méthodique obéissant à un schéma prédéfini. En la matière, les exemples les plus prestigieux sont probablement L’Abominable Docteur Phibes et Théâtre de Sang, dont les meurtres spectaculaires reproduisaient respectivement les dix plaies d’Egypte et les assassinats imaginés par Shakespeare. Visiblement incapable de trouver une idée aussi limpide que ces deux shockers mettant en vedette Vincent Price, Horta et Blanks se sont orientés vers les légendes urbaines, ces petites histoires terrifiantes qui se répandent comme la rumeur sans que personne n’ait jamais pu les prouver.

Le scénario d’Urban Legend prend ainsi place en Nouvelle-Angleterre, dans l’Université de Pendleton, dont le cours préféré des étudiants concerne justement ces mythes contemporains. Le professeur Wexler, qui enseigne cette matière hors norme, est interprété par Robert Englund en personne, plus connu sous le feutre usé et le maquillage boursouflé de Freddy Krueger. L’une des légendes les plus en vogue concerne l’université elle-même, dans laquelle un professeur fou aurait assassiné six étudiants 25 ans plus tôt. Les élèves les plus assidus de ce cours atypique sont la belle Natalie (Alicia Witt), sa meilleure amie Brenda (Rebecca Gayheart), le fêtard Parker (Michael Rosenbaum), l’apprenti-journaliste Paul (Jared Leto) et la DJ branchée Sasha (Tara Reid). L’ambiance sitcom étant établie et les principaux protagonistes étant présentés au public, le drame peut s’amorcer. Il prend la forme d’un tueur encapuchonné qui décime le campus à coup de hache, s’inspirant des fameuses légendes urbaines.

Clichés en série

Le concept s’avère plutôt bancal, à tel point que les protagonistes se voient obligés de le réexpliquer régulièrement, pour que le spectateur puisse en saisir la mécanique. Pour le reste, tout n’est que routine, les mignons étudiants servant de chair à pâté au serial killer tandis que le mystère s’épaissit et que les suspects se multiplient. Les protagonistes entrent dans des pièces sombres sans prendre la peine d’allumer la lumière, les voitures refusent désespérément de démarrer au moment où on en a le plus besoin, les chats entrent dans le champ en miaulant pour faire sursauter le spectateur, les téléphones sonnent avec stridence… Bref, rien de bien neuf à l’horizon, hélas. Le meilleur moment d’Urban Legend est probablement son prologue, qui fonctionne presque comme un court-métrage autonome. La mise en scène y est habile, les comédiens convaincants (l’excellent et trop rare Brad Dourif en tête), et la chute redoutablement efficace. Dommage que le reste du film ne soit pas à l’avenant.

 

© Gilles Penso

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TUSK (2014)

Entre éclat de rire et cri d'effroi, Kevin Smith tente un audacieux mélange des genres qui suscite un malaise durable

TUSK

2014 – USA

Réalisé par Kevin Smith

Avec Michael Parks, Justin Long, Genesis Rodriguez, Haley Joel Osment, Johnny Depp, Harley Morenstein, Ralph Garman

THEMA MEDECINE EN FOLIE I MAMMIFERE

L’air de rien, Kevin Smith se constitue une carrière passionnante. On l’a longtemps cru condamné à broder éternellement autour des concepts autobiographiques de son hit Clerks (les déboires sentimentaux et amicaux de geeks passant difficilement à l’âge adulte). Impression rapidement démentie par la profondeur et la sensibilité de Méprise multiple (son chef-d’œuvre), le sérieux du mystico-politique Red State, ou le bien étrange film qui nous occupe ici.  A l’origine de Tusk, une petite annonce complètement « autre » : le rescapé d’un naufrage ayant survécu auprès d’un morse cherchait un colocataire, à la condition qu’il soit prêt à revêtir un costume de morse pendant deux heures par jour, et qu’il se comporte comme tel. Smith, forcément fasciné par la folie de la chose, en avait d’abord fait le sujet d’une émission de son podcast Smodcast (crée avec son complice Scott Mosier), débattant avec son espièglerie légendaire. Le scénario ne reprend que le point de départ de l’anecdote, le réalisateur faisant le choix de la comédie horrifique : Wallace Bryton (Justin Long, qui se sort plutôt bien d’un rôle ingrat refusé par Tarantino) est un podcasteur star dont le fonds de commerce est un cynisme sans limites, brocardant impitoyablement les travers les plus ridicules de ses semblables. Au cours d’un voyage au Canada, appâté par une annonce étrange, il se rend dans la demeure de Howard Howe (Michael Parks, effrayant) qui va lui conter sa folle aventure avec un morse… Et tenter de le transformer littéralement en mammifère.

Soyons directs, Tusk est une semi-réussite, voire un semi-échec. La faute à une oscillation de ton permanente entre la farce grotesque (Smith n’oublie jamais l’absurdité de son sujet, à tort ou à raison), le torture porn, et la tragédie à résonance philosophique, ce qui apparente le résultat à un mix improbable entre Boxing HelenaThe Human Centipede, et une comédie estampillée Kevin Smith. Ce dernier point est sûrement le plus problématique, l’humour potache et référencé du bonhomme faisant souvent irruption de façon artificielle dans le récit, à l’image de ce personnage ridicule de détective français incarné par Johnny Depp (grimé et non crédité), caricatural ad nauseam (béret et accordéon inclus). Les moments plus tendus, dérangeants ou carrément surréalistes sont bien plus réussis, notamment les séquences dans l’antre ou Howe enferme son compagnon d’infortune, dont un combat de morses rythmé par le mythique « Tusk » de Fleetwood Mac. Autre réussite, l’inversement des figures attendues : le calvaire de Bryton s’avérant très rapidement inéluctable, l’enjeu du métrage n’est plus de le sauver des griffes de son bourreau mais au contraire l’enseignement profond qu’il tirera de sa métamorphose. Tusk prend ainsi des chemins Kafkaïens ou aborde des thématiques que n’aurait pas reniées le Cronenberg de la grande époque, comme la mutation des chairs ou les amours déviantes (le regard déchirant du personnage féminin sur son amour devenu monstre rappelle beaucoup La Mouche).

Quand l'homme devient animal…

Derrière tout ceci se dessine en filigrane un aspect encore plus intéressant : l’identification à ce Wallace/walrus (morse en anglais), non du spectateur puisque le personnage est imbuvable, mais de Kevin Smith lui-même. Le metteur en scène est en effet connu pour son cynisme et son humour méchant vis-à-vis des membres de son métier, est podcasteur lui-même et a ri de la petite annonce originelle dans son émission. L’arrogant et condescendant héros (il faut voir son mépris très « South Park » pour les Canadiens) a oublié toute empathie ou humilité pour survivre et devenir célèbre dans une société carnassière. Smith se livre-t-il à une autocritique, condamne-t-il les « haters » d’Internet ou manifeste-t-il son angoisse de devenir à son tour un blasé suffisant tel que les frères Weinstein qui lui ont causé tant de torts ? Un peu tout cela, sûrement. La philosophie qui se dégage de ce conte macabre est à la fois désespérée et porteuse d’un positivisme tordu : Howe, qui considère l’Homme comme une bête sans foi ni loi (il avait lui-même fini par manger le morse qui l’avait sauvé), arrive in fine dans sa folie à révéler Bryton à lui-même. L’animateur déshumanisé retrouve une sensibilité inespérée en devenant un animal, comprenant tardivement qu’il est passé à côté de l’essentiel. Toute la dualité de Kevin Smith dans le traitement de son sujet s’exprime dans l’enchaînement d’un ultime plan crépusculaire et émouvant et d’un générique de fin où résonnent sa propre voix off et celle de Mosier, commentant ce qu’ils viennent de voir avec détachement et méchanceté. En cela et pour quelques fulgurances, même si auparavant on s’était pris à rêver de ce que Cronenberg aurait tiré d’un tel matériau de départ, le regard décalé de Smith rend cette curiosité tout à fait recommandable. 

 

© Julien Cassarino

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RENDEZ MOI MA PEAU (1980)

Derrière ses allures de comédie franchouillarde aux gags potaches, ce conte moderne abonde en salves anti-machistes et anticléricales

RENDEZ-MOI MA PEAU

1980 – FRANCE

Réalisé par Patrick Schulmann

Avec Bee Michelin, Erik Colin, Chantal Neuwirth, Jean-Luc Bideau, Danièle Gueble, Alain Flick, Mario d’Alba, Myriam Mézières

THEMA SORCELLERIE ET MAGIE

Patrick Schulmann a toujours été attiré par l’humour au-dessous de la ceinture mâtiné de satire sociale. Cet étrange cocktail avait fait mouche avec Et la Tendresse ?… Bordel !, gros succès public lors de sa sortie en 1979. L’année suivante, le réalisateur décida d’ajouter au mélange un nouvel élément : le fantastique. Rendez-Moi Ma Peau nous fait donc découvrir Zora (Chantal Neuwirth), une sorcière qui mène une vie pépère dans son petit appartement et jette des sorts pour l’aider dans ses tâches ménagères. Mais le fait est qu’elle perd un peu ses pouvoirs. Seul le grand maître Krishmoon (Jean-Luc Bideau) semble être en mesure de l’aider à « recharger » son énergie. Zora prend la route afin de retrouver sa trace. Mais au milieu d’un carrefour, elle manque d’emboutir deux voitures : celle de Jean-Pierre (Erik Colin), un réparateur de téléviseurs, et de Marie (Bee Michelin), une jeune bourgeoise. Contrariée, notre sorcière inverse les corps de ce couple qui ne se connaît pas (via un trucage cartoonesque en rotoscopie) puis file à l’anglaise. Les deux malheureux ont conservé leur voix et leur esprit, mais tout le reste a changé. « Je ne peux pas vous laisser partir avec mon corps, je ne vous connais même pas », s’exclame Marie. « Je vous laisse le mien en garantie » répond Jean-Pierre.

Au-delà de ce postulat absurde qui génère des quiproquos et des gags à répétition (certains efficaces, d’autres très anecdotiques), Rendez-Moi Ma Peau permet à Schulmann de s’interroger sur la condition humaine. Jusqu’à quel point est-on soi-même ? Notre identité est-elle définie par notre corps ou notre esprit ? Derrière la farce se camoufle donc une vraie dimension philosophique, avec en prime une bonne claque à quelques préjugés machistes. Comme lorsque le patron de Jean-Pierre, découvrant que son employé a désormais un corps féminin, s’inquiète des conséquences : « je ne peux tout de même pas payer une femme le même prix qu’un homme ! » L’autre cible du cinéaste est le monde des sciences occultes, tournées ici en dérision avec une bonne humeur manifeste. Car les anciens collègues de Zora sont tous devenus voyants. L’une d’elle lit dans les lignes des fesses, un autre dans le rire de ses patients, un troisième est carrément devenu prêtre pour arrêter de travailler dans la clandestinité (« j’ai choisi la superstition officielle «  argue-t-il). 

« La magie a foutu le camp ! »

Krishmoon, pour sa part, dirige une secte très lucrative sur une île tropicale, fabriquant en quantité industrielle des talismans, des grigris et des porte-bonheur. Quand on lui demande pourquoi il a fui l’Occident, le gourou se laisse aller à la nostalgie : « comment voulez-vous que les ondes magiques, le magnétisme et les esprits se fraient un chemin au milieu des ondes radios, des satellites, des télés et du béton ? La magie a foutu le camp ! » Dommage que le potentiel d’un tel scénario soit gâché par une mise en scène aussi conventionnelle et des comédiens si peu dirigés (avec une mention spéciale pour les consternants détectives Shoms et Datson !). Quant à la chute du film, au cours de laquelle un alien atterrit sur le plancher des vaches, elle utilise des trucages tellement improbables qu’elle ferait presque passer Le Gendarme et les Extra-Terrestres pour un épisode de Star Wars !

 

© Gilles Penso

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QUELQUE PART DANS LE TEMPS (1980)

Christopher Reeve et Jane Seymour rayonnent dans cette romance fantastique inspirée d'un roman de Richard Matheson

SOMEWHERE IN TIME

1980 – USA

Réalisé par Jeannot Szwarc

Avec Christopher Reeve, Jane Seymour, Christopher Plummer, Teresa Wright, Bill Erwin, George Voskovec

THEMA VOYAGES DANS LE TEMPS

Les écrits de Richard Matheson ont toujours entretenu un rapport privilégié avec le cinéma. Dynamique, le verbe de l’écrivain appelle des images et s’appuie souvent sur des ressorts proches de ceux de la dramaturgie filmique. Il était donc logique que bon nombre de ses nouvelles et de ses romans muent du papier vers l’écran, la plupart du temps sous sa propre supervision. Le cinéma et la télévision lui doivent de nombreux épisodes de La Quatrième Dimensionmais aussi L’homme qui rétrécitJe suis une légendeLe SurvivantDuel ou encore La Maison des damnés. En 1975, l’écrivain change de registre, délaissant provisoirement la science-fiction et l’horreur, ses terrains de jeu favoris, pour les besoins du roman « Le Jeune Homme, la Mort et le Temps » (« Bid Time Return »). Ce dernier aborde le thème du voyage dans le temps en se soustrayant volontairement à toute technologie. Ici, aucune machine n’est à l’origine du paradoxe temporel. Le voyage s’effectue en effet par la simple force de la concentration et le pouvoir de l’amour. Le réalisateur français Jeannot Szwarc, qui fit ses preuves à Hollywood avec Les Insectes de feu et Les Dents de la mer 2ème partie, s’empare du roman cinq ans après sa publication pour en tirer un très beau film où le fantastique s’immisce en douceur, à pas feutrés, sous le titre Quelque part dans le temps.

En 1972, Richard Collier, un jeune auteur dramatique, est abordé en coulisse, le soir de l’inauguration de sa première pièce de théâtre, par une vieille dame qui lui remet une montre et lui demande de revenir à elle. Huit ans plus tard, en quête d’inspiration pour une nouvelle pièce, Collier découvre dans un hôtel le portrait d’Elise McKenna, une actrice du siècle dernier. Fasciné par sa beauté, il apprend que cette femme était la vieille dame qu’il a croisée brièvement huit ans plus tôt, et qu’elle est morte le soir de leur rencontre. Par la seule force de la pensée, il parvient à remonter le cours du temps pour la retrouver et l’aimer. « Le secret, ça ne peut être que de se soustraire aux restrictions de l’environnement », expliquait Matheson dans son roman. « On ne peut le faire physiquement ; il faut donc le faire mentalement. » L’auteur nous permettait ainsi d’accepter l’incroyable en rationnalisant l’insoupçonnable pouvoir de suggestion de l’énergie amoureuse. Et le film y parvient tout autant. 

Accepter l'incroyable

Débarrassé de la cape rouge et des effets spéciaux spectaculaires de Superman qui lui permit de triompher deux ans plus tôt sur les écrans du monde entier, Christopher Reeve endosse avec subtilité le rôle de Richard Collier et prouve que ses talents d’acteur ne se limitent guère aux exploits de Kal-El. Il tient probablement ici l’un de ses meilleurs rôles, et constitue avec Jane Seymour un duo de charme sublimé par la partition enivrante de John Barry. Les mythes d’Orphée et de Loth transparaissent de toute évidence dans ce récit, qui n’est pas non plus sans évoquer la nouvelle « Arria Marcella » de Théophile Gautier. Point culminant de la carrière inégale de Jeannot Szwarc, Quelque part dans le temps remporte en 1981 le prix de la critique du festival international du film fantastique d’Avoriaz.

 

© Gilles Penso

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PLAN 9 FROM OUTER SPACE (1959)

Le film le plus célèbre d'Ed Wood est un festival de faux-raccords, d'effets spéciaux ratés et de dialogues involontairement hilarants

PLAN 9 FROM OUTER SPACE

1959 – USA

Réalisé par Edward D. Wood Jr

Avec Gregory Walcott, Mona McKinnon, Duke Manlove, Tom Keene, Tor Johnson, Bela Lugosi, Vampira, Criswell, Joanna Lee

THEMA EXTRA-TERRESTRES

En 1959, Ed Wood avait déjà un bon palmarès de films improbables à son actif, notamment Glen or GlendaBride of the Monster et Night of the Ghouls, mais avec Plan 9 From Outer Space il nous offrit son « chef d’œuvre » absolu. Le scénario nous apprend que des extra-terrestres cherchent à conquérir la Terre, après huit tentatives ratées, grâce à un nouveau plan qui consiste à ressusciter les morts. Financé par l’église baptiste, Ed Wood se débrouilla avec un budget des plus dérisoires. Du coup, les décors ne s’embarrassent guère de fignolage. Lorsque Wood veut nous montrer un cimetière, il plante deux arbustes et trois pierres tombales dans le sol. Le scénario nécessite-il la cabine d’un avion ? Deux chaises et un rideau font l’affaire ! Quant à l’intérieur du vaisseau spatial, il se réduit à une pièce nue ornée de tables sur lesquelles sont posés des postes de radio. Les costumes sont à l’avenant, en particulier ceux de nos fiers extra-terrestres engoncés dans des pyjamas en aluminium du plus curieux effet.

Mais c’est du côté de ses effets spéciaux que Plan 9 atteint les sommets du ridicule. Comment oublier ces soucoupes volantes en plastique suspendues par des fils de pêche bien visibles ? Il faut pourtant avouer qu’en quelques furtifs moments, Ed Wood parvient à créer une atmosphère intéressante, notamment lors des déambulations erratiques de Vampira et Tor Johnson dans le cimetière nocturne. Mais la poésie macabre dégagée par ces plans miraculés tient plus du casting (ces deux comédiens ont une présence physique indéniable) que des prises de vue elles-mêmes. Le plus étrange reste le sort réservé à Bela Lugosi. L’ancien Dracula d’Universal avait accepté de jouer quelques scènes autour de sa propre maison, dans le costume de vampire qu’il porta souvent sur scène. Ed Wood espérait utiliser ces images pour un projet baptisé « Tomb of the Vampire », mais après la mort de Lugosi, il décida finalement de les inclure dans Plan 9. Wood, qui n’en était pas à une extravagance près, transforma le vampire en zombie, et demanda à Tom Mason, le chiropracteur de sa femme, de doubler Lugosi dans toutes les séquences qui nécessitaient la présence de ce nouveau personnage, en prenant bien soin de cacher son visage derrière sa cape ! Cette solution de remplacement est évidemment saugrenue, d’autant que Mason est beaucoup plus grand que Lugosi et que ses cheveux n’ont sensiblement pas la même couleur. N’empêche qu’Ed Wood put se targuer d’avoir réalisé le dernier film avec Bela Lugosi ! 

Le dernier film avec Bela Lugosi

On n’en finirait plus de décrire les incohérences du scénario, l’ineptie des dialogues ou les grossières fautes de raccord (la plus célèbre d’entre elles étant cette même scène qui se déroule en plein jour dans le champ et la nuit dans le contre-champ). Mais il serait injuste de réduire Plan 9 From Outer Space à ses maladresses et ses aberrations. Qu’on le veuille ou non, derrière cette absurde fable de science-fiction se cache un cinéaste dont la sincérité et la détermination ne furent jamais entachées par l’anémie de ses budgets ou l’inexpérience de ses équipes. Voilà sans doute pourquoi – étrange paradoxe – Ed Wood est l’un des pires mais aussi l’un des plus attachants réalisateurs de l’histoire du cinéma fantastique.

 

© Gilles Penso

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ORCA (1977)

Le producteur Dino de Laurentiis tente de surfer sur la vague des Dents de la Mer en remplaçant le requin par un orque à la mâchoire bien garnie

ORCA, THE KILLER WHALE

1977 – USA

Réalisé par Michael Anderson

Avec Richard Harris, Charlotte Rampling, Bo Derek, Keenan Wynn, Robert Carradine, Will Sampson, Charles Scott Walker

THEMA MONSTRES MARINS I MAMMIFERES

Un an après avoir massacré en règle le mythe de King Kong, le producteur Dino de Laurentiis décide de manger au râtelier des Dents de la Mer en y ajoutant une bonne dose de Moby Dick. Pour tout avouer, le résultat n’est pas si catastrophique qu’on aurait pu le craindre. Car Orca est un honnête film d’action qui ne lésine ni sur les effets spéciaux, ni sur les séquences mouvementées. Quant au réalisateur Michael Anderson (L’Âge de Cristal), il s’acquitte de sa tâche avec un talent indéniable. Le capitaine Nolan (Richard Harris), désireux de s’attirer la fortune en capturant un orque-épaulard, y entreprend une expédition au large des côtes du Canada pour chasser l’un de ces mammifères marins. Mais le seul résultat de cette chasse est la mort d’une femelle enceinte et la blessure du mâle. Le monstre marin, face à la perte de sa compagne, est déchiré par la douleur, qui se transforme vite en haine. Et l’orque géant se vengera terriblement, ravageant les embarcations d’un village côtier, dévorant les pêcheurs, et menaçant le capitaine Nolan qui accepte, bien malgré lui, de relever le défi et de combattre l’animal. 

Certes, Orca ne surprend pas vraiment dans la mesure où ses thèmes ont tous déjà été développés et parce que le suspense et les scènes dramatiques, pour efficaces qu’ils soient, n’évitent pas les lieux communs du genre. Mais le scénario de Sergio Donati et Luciano Vincenzoni présente la particularité d’inverser les rôles tenus par la baleine et le capitaine chez Herman Melville et tous ses descendants. Ici, en effet, c’est le mammifère marin qui a pris l’homme en grippe et le pourchasse inlassablement dans l’espoir de le réduire à néant. Parmi ses atouts, Orca compte des effets visuels soignés de Frank van Der Veer, des créations mécaniques convaincantes de Giuseppe Carozza et Jim Hole, une partition envoûtante d’Ennio Morricone et un climax très spectaculaire visualisant avec emphase l’affrontement final entre l’homme et le cétacé. Les amateurs de beautés exotiques apprécient également la présence très photogénique (à défaut d’être très charismatique) de Charlotte Rampling en biologiste marine et de Bo Derek en assistante du capitaine Nolan.

Moby Dick à l'envers

Signe des temps, le film se pare d’une dimension écologique bienvenue. Ici, l’orque n’est pas un simple monstre destructeur (comme le laisse imaginer son surnom américain « killer whale », autrement dit « baleine tueuse ») mais un mammifère monogame et intelligent, doté d’émotions, de mémoire et du sens de la communication. A travers l’analyse scientifique du professeur Bedford (Rampling) et les légendes ancestrales évoquées par le brave Umilak (Will Sampson), c’est donc à une créature complexe et insaisissable que nous avons affaire. Cette approche passionnante est quelque peu amenuisée par l’anthropomorphisme avec lequel est traité l’animal vedette et par le sens du mélo qui teinte trop outrageusement certaines scènes. Fort déconsidéré au moment de sa sortie, notamment à cause de ses trop grandes similitudes avec le drame aquatique de Steven Spielberg, Orca n’est finalement pas le plagiat tant décrié et mérite sans doute une plus juste réévaluation.

 

© Gilles Penso

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LE MASQUE DU DEMON (1960)

Le premier et sans doute le plus beau des films de Mario Bava, qui consacra Barbara Steele reine de l'épouvante

LA MASCHERA DEL DEMONIO

1960 – ITALIE

Réalisé par Mario Bava

Avec Barbara Steele, John Richardson, Andrea Checchi, Ivo Garrani, Arturo Dominici, Enrico Olivieri

THEMA SORCELLERIE ET MAGIE

Après avoir souvent secondé d’autres réalisateurs, le directeur de la photographie Mario Bava s’apprête au tout début des années soixante à réaliser son premier long-métrage avec Le Masque du démon, pour lequel il n’a pas encore trouvé son actrice principale. Or la compagnie Galatea Film, pour laquelle il travaille à l’époque, s’apprête à coproduire avec 20th Century Fox une épopée biblique pour laquelle Bava doit signer les images. Le studio américain a donc fait circuler à son partenaire italien des photographies d’actrices susceptibles d’apparaître dans le film. Parmi elles se trouve Barbara Steele, dont le charme particulier intéresse beaucoup Mario Bava. Ravie de cette opportunité, la comédienne ne prend même pas le temps de lire le scénario. Elle fait ses bagages et part pour l’Italie à la rencontre du cinéaste. La barrière de la langue l’inquiète un peu et le cinéma d’épouvante n’est pas spécialement sa tasse de thé, mais elle accepte de tenir la vedette du film qui – elle ne le sait pas encore – fera d’elle une star internationale. Le Masque du démon s’inspire très librement de la nouvelle « Viy » de Nicolas Gogol. Au 18ème siècle, la princesse Asa est condamnée pour sorcellerie. Les bourreaux la tuent avec le masque du démon, à l’intérieur duquel se dressent des pointes qui lui transpercent le visage. Deux siècles plus tard, son cadavre putréfié retrouve la vie grâce à des gouttes de sang. Elle utilise alors Vavuvitch (Arturo Dominici), son serviteur vampire, afin de prendre la place de la princesse Katia…

En assumant le double rôle de réalisateur et de directeur de la photographie, Bava parvient à doter Le Masque du démon d’une mise en forme somptueuse, chaque plan témoignant de son perfectionnisme. La magnifique photographie noir et blanc joue sur les ombres, les lumières, les contrastes et les clairs/obscurs, au sein de décors extrêmement photogéniques. Plusieurs passages horrifiques assez saisissants ponctuent le film, en particulier la terrible scène du prologue, avec le masque hérissé de pointes planté à coup de masse sur le visage de la sorcière (une vue subjective menaçant même le spectateur de subir lui-même le supplice !), la mise à nu du visage d’Asa, dont les orbites vides sont habitées par de petits scorpions, ou encore la résurrection spectaculaire de son compagnon, aux allures de zombie masqué. Bava aura le bon goût de refuser d’affubler ses acteurs de dents de vampire, contre l’avis de la production. Ces attributs peuvent cependant être aperçus sur certaines photos publicitaires de l’époque.

Ange et démon

La double prestation de Barbara Steele dans Le Masque du démon, à la fois innocente Katia et maléfique Asa, synthétise les deux postures ambivalentes de la femme dans l’épouvante classique (la victime et le bourreau) mais aussi dans une imagerie judéo-chrétienne volontiers manichéenne (la vierge et la tentatrice). Il faut bien sûr saluer le flair de Mario Bava, qui sut trouver chez la belle Barbara l’incarnation idéale de cette dualité. Le cinéaste estimait à l’époque, avec une touchante modestie, que ses talents de metteur en scène, surestimés à son goût, se limitaient simplement à ses connaissances dans la photographie, son expérience des effets spéciaux et sa capacité à créer des atmosphères particulières. Au vu du Masque du démon, force est de constater que la simple juxtaposition de ces spécialités n’eut pas suffi. De toute évidence, Bava eut le génie de les combiner en une extraordinaire alchimie, qu’il retrouvera ensuite à maintes occasions (Six femmes pour l’assassin, Les Trois visages de la peur, Hercule contre les vampires), mais rarement avec la même intensité. La qualité du film est d’autant plus remarquable que le tournage ne fut pas une partie de plaisir et que l’entente entre le réalisateur et son actrice principale ne fut pas toujours simple. Barbara Steele reconnaîtra plus tard que son manque d’expérience, sa confiance limitée dans les capacités de Mario Bava et ses difficultés avec la langue italienne n’en firent pas une actrice facile à diriger. Mais face au film, tout le monde s’accorde à dire que la rencontre Bava/Steele fut providentielle. Deux talents écloraient en même temps, se nourrissant l’un l’autre pour mieux s’épanouir et redynamiser un cinéma gothique alors encore ancré dans les figures de style des années 50. Avec Le Masque du démon, Mario Bava devenait l’un des cinéastes phares de l’épouvante, et Barbara Steele se muait en égérie du genre, destinée à marquer définitivement les mémoires dans des rôles reprenant souvent à leur compte la dualité ambigüe de la perverse sorcière Asa et de l’innocente princesse Katia.

 

© Gilles Penso

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