FRANKENSTEIN (1910)

Produite par Thomas Edison, la première adaptation officielle du roman de Mary Shelley transforme l'expérience scientifique en une sorte de rituel alchimique

FRANKENSTEIN

1910 – USA

Réalisé par J. Searle Dewley

Avec Charles Stanton Ogle, Augustus Philips, Mary Fuller

THEMA FRANKENSTEIN

Financé par le studio de Thomas Edison, ce Frankenstein de douze minutes est la première adaptation cinématographique du roman de Mary Shelley. C’est, pour être honnête, l’un de ses seuls mérites majeurs, dans la mesure où il s’agit d’une relecture plutôt simpliste et primaire du texte original. Augustus Philips y joue le jeune Frankenstein. Au début du film, il quitte son père et sa fiancée pour poursuivre ses études de médecine. Deux ans plus tard, sans que l’on ne sache ni pourquoi, ni comment, le jeune homme a découvert « le mystère de la vie ». Pour mettre en pratique ses connaissances nouvellement acquises, il décide de créer un être humain de toutes pièces. « Chérie », écrit-il à sa promise, « ce soir mon ambition sera assouvie : j’ai découvert le secret de la vie et de la mort, et d’ici quelques heures, je donnerai la vie à l’humain le plus parfait que le monde ait connu. Quand j’aurai accompli ce merveilleux travail, je viendrai te demander ta main. » A vrai dire, l’expérience décrivant l’élaboration de la créature semble plus se rattacher à l’alchimie ou la sorcellerie qu’à une pratique scientifique quelconque, dans la mesure où Frankenstein mélange toutes sortes d’ingrédients fumeux et vaporeux dans un grand chaudron, futur berceau du monstre.

La naissance de « la bête » est le véritable morceau d’anthologie du film. Car la forme squelettique, fumante et vaguement humanoïde qui s’extrait de la grande cuve est une vision de cauchemar étonnante, mixant diverses techniques habiles : marionnette mécanique, projection en marche arrière, pyrotechnie… Lorsque survient enfin le monstre, c’est Charles Ogle, un mime au visage particulièrement expressif alors âgé de quarante-cinq ans, qui lui prête ses traits. Selon la même méthode que Lon Chaney, Ogle composa lui-même son maquillage monstrueux, arborant un crâne proéminent, une longue tignasse désordonnée, des yeux exorbités et une mâchoire hideuse, le tout surmontant un corps contrefait et bossu. Sa première apparition, penché les doigts crispés au-dessus de son créateur terrifié, est très impressionnante, rivalisant sans rougir avec des icônes telles que Le Fantôme de l’Opéra de Chaney ou le Nosferatu de Murnau.

« Vaincu par l'amour »

Mais pourquoi l’« être humain parfait » tant convoité s’est-il mué en être monstrueux et diabolique ? S’éloignant des écrits de Mary Shelley, le scénario propose une explication pour le moins évasive, par l’entremise d’un carton expéditif : « Au lieu de créer un humain parfait, l’esprit maléfique de Frankenstein crée un monstre. » Sans doute faut-il lire dans cette réinterprétation une allusion à la dualité qui guette tout scientifique, tour à tour humaniste et apprenti sorcier. Le monstre prenant la fuite, Frankenstein retrouve les siens et décide d’épouser sans plus tarder sa bien-aimée. Mais le soir des noces, alors que tous les invités rentrent chez eux, la créature revient hanter le jeune docteur. Le jeu de cache-cache auquel ils se livrent fait beaucoup perdre de a superbe au monstre, la stature peu impressionnante d’Ogle et ses allures de Quasimodo minimisant l’impact de ses interventions. Jusqu’à un final bizarre où le Monstre, effrayé par son propre reflet dans un miroir, disparaît purement et simplement, « vaincu par l’amour. »

   

© Gilles Penso

THE WARD (2010)

John Carpenter revient sur le tard à l'épouvante minimaliste de ses débuts en développant une intrigue à tiroirs

THE WARD

2010 – USA

Réalisé par John Carpenter

Avec Amber Heard, Mamie Gummer, Danielle Panabaker, Laura-Leigh, Lyndsy Foncesca, Jared Harris, Sali Sayler 

THEMA FANTÔMES I SAGA JOHN CARPENTER

John Carpenter s’était fait discret depuis Ghosts of Mars. Allait-il désormais se contenter de toucher les dividendes des remakes de ses films (The Fog, Assaut, Halloween, The Thing) et déserter définitivement les plateaux de tournage ? Provisoirement, le réalisateur de New York 1997 était repassé derrière la caméra pour signer deux épisodes de la série Masters of Horror, mais ce n’étaient que des soubresauts ne portant qu’en filigrane la signature du grand maître qu’il fut. Pourtant, ce retour sur la chaise du metteur en scène esquissa son envie de retrouver ses premières amours. Et voilà enfin John Carpenter à la tête d’un nouveau long-métrage : The Ward. Bien sûr, tous les espoirs et toutes les craintes se focalisèrent, et quelles que furent les réactions après le visionnage du film, sans doute furent-elles trop extrêmes. Pour l’appréhender le plus justement possible, mieux vaut considérer The Ward comme un film d’épouvante modeste et sincère aux ambitions certes limitées, mais à l’efficacité indéniable. Le générique de début, magnifique, décline avec maestria le motif visuel du verre brisé et de la figure féminine meurtrie pour annoncer graphiquement les thématiques du scénario. Et lorsque le film démarre, dans un décor oppressant étalé sur un généreux format Cinemascope, la patte de Carpenter s’affirme ouvertement.

Nous sommes en 1965, dans la petite ville de North Bend, au fin fond de l’Oregon. Après avoir inexplicablement incendié une ferme, Kristen (Amber Heard) est arrêtée par la police locale et internée dans un institut psychiatrique pour jeunes filles dirigé par le docteur Gerald Stringer, qui expérimente des thérapies d’avant-garde pour soigner ses patientes. Kristen rencontre Emily, Sarah, Zoey et Iris qui, comme elle, sont sous haute surveillance. Persuadée qu’elle n’a pas sa place dans une maison de fous, notre héroïne se met en tête de quitter les lieux. Mais une présence inquiétante rôde dans l’institut et sème bientôt la terreur dans les couloirs sombres, les chambres et même les douches…

Un savoir-faire intact

Avec un savoir-faire que les années n’ont guère émoussé, Carpenter concocte ainsi des séquences d’épouvante d’autant plus efficaces qu’elles se placent à contre-courant de la vogue horrifico-gore dont The Ward est contemporain. Les apparitions spectrales évoquent même par moments celles de Fog, via leur traitement « à l’ancienne », et constituent les morceaux de choix du film. Une fois n’est pas coutume, Carpenter prend beaucoup de plaisir à diriger un casting presque exclusivement féminin. Jusqu’alors habitué aux « films d’hommes » dans la grande tradition du western classique, quitte à supprimer parfois tout élément féminin de ses longs-métrages (comme dans The Thing), le cinéaste arpente ainsi un terrain nouveau. Se jugeant trop vieux (de son propre aveux) pour composer la musique, il confie la bande originale à Mark Kilian, comme pour mieux se concentrer sur ses personnages et sur la mise en image de leurs tourments. Certes, au sein de la flamboyante filmographie de John Carpenter, The Ward est une œuvre mineure, parfois un peu routinière, mais elle témoigne d’une constance indéniable et surtout d’un indéfectible amour du cinéma.

 

© Gilles Penso

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HORRIBLE (1982)

Joe d'Amato retrouve George Eastman, l'acteur principal d'Anthropophagous, pour un nouveau slasher ultra-gore

ROSSO SANGUE

1982 – ITALIE

Réalisé par Joe d’Amato

Avec George Eastman, Annie Belle, Charles Borromel, Katya Berger, Kasimir Berger, Hanja Kochansky, Ian Danby 

THEMA TUEURS

Fidèle à son réalisateur fétiche Joe d’Amato, George Eastman incarne ici une variante du monstre cannibale d’Anthropophagous. On sent bien d’ailleurs que l’outrance du jeu d’Eastman et l’excès des séquences gore s’efforcent de retrouver la recette qui fit du film précédent une œuvre culte. Le lien entre les deux films n’a rien de scénaristique (puisqu’ils racontent deux histoires totalement distinctes) mais une filiation artificielle est cependant entretenue par plusieurs éléments, l’un d’eux consistant à doter le personnage incarné par Eastman d’un patronyme à consonance grecque (Mikos Stenopolis) très proche de celui de l’anthropophage qui se mangeait lui-même deux ans plus tôt (Nikos Karamanlis). Dans certains pays, Horrible se nomme d’ailleurs Anthropophagous 2. Mais qu’on ne s’y trompe pas, le cannibale fou est bien mort à la fin d’ Anthropophagous.

Ici, Eastman est un colosse au regard fou qui, dès le début du métrage, court comme un dératé pour échapper à un mystérieux poursuivant, escalade une grille et s’empale. Le ventre ouvert, les entrailles pantelantes, il est hospitalisé dans un état critique. Mais quelques minutes plus tard, sa santé s’améliore miraculeusement. L’identité de l’homme qui le prenait en chasse est alors révélée. C’est un prêtre, qui s’efforce de cesser les exactions de Stenopolis, fruit d’une expérience secrète du Vatican cherchant à percer les secrets de l’immortalité. Désormais indestructible et capable de régénérer ses cellules, leur cobaye s’est également mué en tueur psychopathe. Ce dernier s’échappe de l’hôpital et sème un terrible massacre dans les parages…

L'outrance excessive des scènes de meurtres

Le postulat n’est pas inintéressant, mais Horrible est une œuvre souvent poussive qui peine à développer cette idée scénaristique imaginée par George Eastman lui-même. Le spectateur s’y ennuie ferme, attendant patiemment les scènes d’horreur qui interviennent à un rythme régulier pour le réveiller de sa torpeur. Gratinées et inventives (une infirmière trépanée, un boucher au crâne tranché par une scie électrique, une pioche plantée dans la tête d’une jeune femme, une autre dont le visage est brûlé vif dans un four), elles souffrent d’effets spéciaux souvent maladroits (la peau fleure bon le plastique et le sang a d’évidentes allures de peinture) et ne bénéficient aucunement de la poésie macabre dont Dario Argento ou Lucio Fulci savaient nimber leurs œuvres les plus extrêmes. Le premier degré prime ici, avec un manque de recul qui laisse pantois. Ce sont pourtant ces séquences horrifiques qui, par leur outrance et leur manque total de retenue, valent le détour, et permirent à Horrible de devenir l’un des titres vedettes des vidéoclubs en 1983. Les usagers savaient à l’époque faire bon usage de leur télécommande, et la touche accéléré était salutaire pour éviter de subir les scènes inutiles et interminables qui ponctuent le film, comme ces gens qui n’en finissent pas de regarder un match de foot à la télé en mangeant des spaghettis ! Un beau climax détournant l’imagerie du conte de fées (l’ogre contre la jeune fille) clôt cependant cet œuvre atypique, que d’Amato signa sous le pseudonyme Peter Newton, et qui sortit aux Etats-Unis sous le titre Absurd… Titre qui, avouons-le, lui va comme un gant !

 

© Gilles Penso

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S.O.S. FANTÔMES (1984)

Maintes fois imitée mais jamais égalée, cette comédie fantastique a su combiner l'alchimie d'une brochette de comédiens en état de grâce et d'un concept joyeusement délirant

GHOSTBUSTERS

1984 – USA

Réalisé par Ivan Reitman

Avec Bill Murray, Dan Aykroyd, Sigourney Weaver, Harold Ramis, Rick Moranis, Annie Potts, Ernie Hudson, William Atherton

THEMA FANTÔMES I SAGA S.O.S. FANTÔMES

Initialement, Ghostbusters devait marquer les grandes retrouvailles à l’écran de Dan Aykroyd et John Belsuhi, quatre ans après Les Blues Brothers. Mais la mort du second poussa le premier à embarquer dans l’aventure d’autres amis comiques, en l’occurrence Bill Murray et Harold Ramis. La première version du script se déroulait dans un futur fantaisiste, mais après qu’Ivan Reitman ait revu le budget à la baisse, Aykroyd et Ramis concoctèrent finalement un scénario situé dans le New York des années 80. Trois étudiants attardés, convaincus de l’existence de phénomènes paranormaux, s’y font renvoyer de l’université. Malgré le professionnalisme indiscutable d’Egon Spengler (Ramis), leurs travaux sont difficiles à prendre au sérieux, en particulier ceux de Peter Venkman (Murray) qui a un penchant très prononcé pour le sexe féminin. Tous trois décident alors de fonder avec l’argent de Raymond Stantz (Aykroyd) une agence spécialisée dans la capture des fantômes. Après la capture d’un spectre glouton dans un hôtel, la gloire et l’argent viennent frapper à leur porte, ainsi qu’un quatrième larron qui se joint à l’équipe (Ernie Hudson). Tout serait simple si Peter n’était tombé amoureux de Dana Barrett (Sigourney Weaver), dont l’immeuble donne sur une autre dimension dirigée par la reine Zul. Lorsque le chef du service d’hygiène de New-York oblige nos chasseurs de fantômes à libérer tous les spectres qu’ils ont capturés, ceux-ci envahissent la ville en semant la panique. C’est le signe que Zul attendait pour envahir la terre…

La grande réussite de Ghostbusters repose sur les étincelles provoquées par son trio vedette, Bill Murray crevant tout particulièrement l’écran grâce à son humour pince sans rire et ses répliques absurdes. Mais là où le film surprend, c’est dans son admirable exercice d’équilibrisme entre la comédie et le fantastique, chacun étant traités avec le même soin, à la manière des bons vieux Abbott & Costello des années 40/50. Du coup, entre les nombreux gags qui ponctuent le récit, l’équipe des effets spéciaux de Richard Edlund nous gratifie d’apparitions spectrales très spectaculaires, variante exacerbée des esprits frappeurs de Poltergeist : un squelette grimaçant dans une bibliothèque, un fantôme vert répondant au surnom de « Slimmy », ou encore d’impressionnants Chiens de la Terreur.

Un bibendum qui se prend pour King Kong

« Pour définir le design de ces créatures, j’ai dû retravailler des dessins de Thom Enriquez, eux-mêmes inspirés du monstre ID de Planète Interdite », explique l’animateur Randy Cook. « Selon les plans, il s’agissait de figurines animées image par image ou de marionnettes grandeur nature. Mon souci principal était de m’assurer qu’on ne détecte pas de différence entre les deux techniques, pour éviter les déconvenues que j’avais eues sur The Thing. » (1) Le clou du spectacle est probablement l’intervention d’un bibendum Marshmallow géant, parodiant joyeusement King Kong au cours d’un climax vertigineux. Succès colossal, Ghostbusters entraîna une séquelle, une série animée et une infinité de produits dérivés portant le célèbre logo du fantôme barré dans un panneau de signalisation.

(1) Propos recueillis par votre serviteur en mai 1999

© Gilles Penso

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LA COLERE DES TITANS (2012)

Distrayante mais totalement facultative, cette seconde "modernisation" du classique de Ray Harryhausen ne vaut que pour son bestiaire original

THE WRATH OF THE TITANS

2012 – USA

Réalisé par Jonathan Liebesman

Avec Sam Worthington, Liam Neeson, Ralph Fiennes, Rosamund Pike, Edgar Ramirez, Toby Kebbell, Bill Nighy, Danny Huston 

THEMA MYTHOLOGIE

Le Choc des Titans de Louis Leterrier nous avait laissé une impression plutôt mitigée. Si quelques séquences marquantes surnageaient, notamment le climax et son très impressionnant Kraken, le scénario péchait par manque de finesse, et certains choix artistiques – des faire-valoir pseudo-comiques, un Pégase noir, une Méduse trop numérique pour convaincre, une 3D bricolée à la va-vite – laissaient singulièrement à désirer. Pourtant, les salles se remplirent et le studio Warner mit aussitôt en chantier une suite. Exit Leterrier, place donc à Jonathan Liebesman, dont la filmographie très inégale compte notamment Massacre à la tronçonneuse : le commencement et World Invasion: Battle Los Angeles. Le cahier des charges du cinéaste était pour le moins prometteur, puisqu’il annonçait ce second opus comme un film de monstre mixé avec le Gladiator de Ridley Scott. Alléchant n’est-ce pas ? Pourtant, face au résultat final, la désillusion s’avère cruelle. Les amateurs du Choc des Titans original de Ray Harryhausen et Desmond Davis crient une nouvelle fois à la trahison, les férus de mythologie grecque s’arrachent les cheveux face à une réinterprétation aussi farfelue qu’indigente des grands mythes fondateurs, et les autres se disent que, finalement, le film de Louis Leterrier n’était pas si mal.

Dix ans après avoir vaincu le Kraken, Persée (Sam Worthington, toujours) est devenu un brave pêcheur, père d’un gentil Helios et veuf de la belle Io. Un jour, papa Zeus (Liam Neeson, venu cachetonner sans conviction sous sa fausse barbe) annonce à Persée que rien ne va plus et que si les hommes arrêtent de prier les dieux, ces derniers perdront tous leurs pouvoirs et disparaîtront. Alors, le redoutable Cronos, qui sommeille au fin fond du Tartare, s’éveillera et sèmera le chaos. Bientôt, une créature infernale surgit des tréfonds de la terre et nous laisse espérer que le film va finalement décoller. Car cette superbe chimère bicéphale, mi-chèvre mi-lion, affublée d’un serpent en guise de queue et d’une haleine enflammée, est la vedette d’une séquence de combat extrêmement spectaculaire. Hélas, ce sera le seul vrai morceau de bravoure du film.

La grande foire d'empoigne

Car si d’autres créatures pittoresques pointent le bout de leur nez et semblent se référer ouvertement au bestiaire de Ray Harryhausen (le cheval ailé Pégase, trois cyclopes géants, un minotaure aux allures de démon cornu, des guerriers siamois et bicéphales et enfin le gigantesque et incandescent Cronos), la mise en scène de Liebesman ne sait jamais les mettre en valeur. Batailles illisibles, topographie imprécise, montage épileptique, tous les travers du cinéma d’action mal maîtrisé sont ici de mise. C’est d’autant plus dommage que les studios d’effets spéciaux sollicités par la production (Framestore et The Motion Picture Company en tête) ont effectué un travail par ailleurs remarquable. Cette grande foire d’empoigne où s’agitent des dieux déchus, des guerriers humains et des monstres féroces finit donc par nous laisser indifférent, et nous rappelle que Ray Harryhausen disait vrai lorsqu’il nous affirmait avec un sourire en coin : « On ne peut pas raconter la mythologie grecque avec une explosion toutes les cinq minutes ! »

© Gilles Penso

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TRAUMA (1976)

Talentueux spécialiste de l'épouvante télévisée, Dan Curtis passe au grand écran pour conter une effrayante histoire de maison hantée

BURNT OFFERINGS

1976 – USA

Réalisé par Dan Curtis

Avec Oliver Reed, Karen Black, Bette Davis, Burgess Meredith, Lee Montgomery, Eilen Heckart, Dub Taylor, Joseph Riley

THEMA FANTÔMES

Si Dan Curtis est un grand spécialiste du fantastique et de l’épouvante, ses talents se sont principalement déployés à la télévision. En ce sens, Trauma fait quasiment figure d’exception dans la mesure où il s’agit d’une de ses rares incursions sur le grand écran. S’appuyant sur le roman « Burnt Offerings » écrit en 1973 par Robert Marasco, Curtis démontre une fois de plus la grande efficacité de sa mise en scène sans recourir pour autant au moindre maniérisme, témoin de son expérience télévisuelle le poussant à aller à l’essentiel avec une économie de moyens remarquable. Ben Rolf (ce bon vieux Oliver Reed) et son épouse Marian (Karen Black, enceinte de quatre mois pendant le tournage), mariés depuis maintenant treize ans, viennent passer leurs vacances avec leur fils David (Lee Montgomery) et leur tante Elizabeth (Bette Davis) dans une immense maison étonnamment bon marché. Les propriétaires sont un frère et une sœur bizarres (Burgess Meredith et Eilen Heckart) qui ne leur réclament que 900 dollars pour tout l’été ainsi qu’une clause inhabituelle : servir les repas de leur vieille mère de 85 ans, cloîtrée dans une chambre au dernier étage de la maison. Dès les premières minutes du film, l’étrangeté s’immisce en douceur, notamment à travers la musique de Bob Cobert qui dote le moindre détail d’une touche insolite. Puis les comportements commencent à vaciller.

Tout commence lorsque Ben, en jouant dans la piscine avec David, tente subitement de le noyer, comme s’il était possédé par une force extérieure. Puis ses cauchemars d’enfance viennent le hanter : pendant l’enterrement de sa mère, un corbillard passe, derrière le volant duquel un croque-mort aux yeux cachés derrière des lunettes noires le regarde avec un rictus démoniaque. Marian elle-même commence à agir bizarrement. Apparemment obnubilée par leur mystérieuse hôtesse, elle ne laisse personne d’autre qu’elle s’en occuper et la visiter. Son apparence se met d’ailleurs à changer subtilement. Elle troque bientôt le jean et la chemise des années 70 contre une robe et un châle d’un autre âge, s’éclaire à la bougie, mange avec des couverts en argent… Quant à la tante Elizabeth, elle perd peu à peu toute son énergie, s’épuisant de plus en plus fréquemment.

La maison est vivante !

Un soir, à minuit, les horloges déréglées de la maison se mettent à l’heure toutes seules, et David manque d’être asphyxié par une fuite de gaz dans le chauffage de sa chambre. Plus tard, la mort frappe de plein fouet nos héros. La maison, comme ayant acquis une énergie nouvelle, se débarrasse alors de son écorce et rajeunit de surnaturelle manière. Même la serre, où toutes les plantes étaient en train de pourrir, refleurit soudain miraculeusement. Ben et David tentent bien de s’enfuir, mais les arbres et les plantes s’animent pour les en empêcher… La maison agit ainsi comme une entité propre, une mère possessive qui envoûte ses occupants, les prive d’autonomie, les rend dépendants et les empêche de quitter son giron. S’achevant sur un dénouement choc d’une étonnante brutalité, Trauma est assurément un grand moment d’épouvante.

 

© Gilles Penso

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INVASION LOS ANGELES (1988)

Une pièce maîtresse de la filmographie de John Carpenter qui exprime sa colère contre une société de consommation apathique et conformiste

THEY LIVE !

1988 – USA

Réalisé par John Carpenter

Avec Roddy Piper, keith David, Meg Foster, George Flower, Peter Jason, Raymond St. Jacques, Jason Robards 

THEMA EXTRA-TERRESTRES I SAGA JOHN CARPENTER

Autant le dire tout de suite : avec They Live (traduit n’importe comment en français pour faire écho à New York 1997), John Carpenter est passé à deux doigts du chef d’œuvre. Car son film, en partie inspiré de la nouvelle « Eight o’clock in the morning » de Ray Nelson, repose sur une idée science-fictionnelle absolument géniale. L’argument est d’une simplicité confondante. Fraîchement débarqué à Los Angeles, John Nada, un ouvrier sans le sou, cherche du travail sur un chantier. Squattant dans un bidonville en attendant de pouvoir gagner décemment sa vie, il découvre qu’un petit groupuscule semble organiser une résistance contre quelque chose dont il ignore la nature. Avant qu’il ait pu en savoir plus, une violente descente de police ravage le bidonville et Nada s’enfuit en récupérant un carton que les résistants n’ont pas eu le temps d’emporter avec eux. Lorsqu’il l’ouvre, il y trouve plusieurs paires de lunettes noires. Un peu déconcerté par cette découverte, il chausse une des paires et là, c’est le choc, à la fois pour le héros et le spectateur. Car ces lunettes révèlent le monde tel qu’il est : tout est en noir et blanc, et des messages subliminaux sont disséminés sur les affiches publicitaires, les magazines, les panneaux de signalisation, à la télévision. Ces messages ordonnent aux humains d’obéir, de ne pas remettre en cause l’autorité, de consommer, de rester endormis, de se marier et de se reproduire, de regarder la télé… Les auteurs de ces instructions sont des extra-terrestres infiltrés parmi la population, qui entendent bien asservir la race humaine en se servant de l’argent, de la mode et de la consommation.

Très motivé par son sujet, et désillusionné par les valeurs que défendait à l’époque l’Amérique de Ronald Reagan, John Carpenter signe là l’un de ses films les plus subversifs et réalise quelques séquences de pure anthologie. Mais visiblement trop confiant en ce postulat d’une très grande force, il n’a pas jugé bon de le développer avec rigueur. They Live se traîne donc un peu, et se permet même une assez grotesque scène de bagarre qui dure dix bonnes minutes et qui ne sert à rien d’autre qu’exhiber les talents de catcheur de Roddy Piper, interprète de Nada. « On m’a demandé pourquoi je n’avais pas demandé à Kurt Russell de jouer ce personnage », raconte Carpenter, « mais Kurt est assez petit de taille. Or il me fallait un grand costaud au physique rude et marqué pour incarner Nada » (1).

Le repaire des envahisseurs

Dommage que la découverte du repaire des envahisseurs, point d’orgue du film, manque totalement de crédibilité. Les séquences de téléportation à la Star Trek, notamment, sont pour le moins déplacées dans un contexte par ailleurs réaliste. « John Carpenter m’a demandé de diriger moi-même ces séquences », raconte le superviseur des effets visuels Jim Danforth. « Les téléportations étaient des combinaisons de peintures, d’effets lumineux en dessin animé et de prises de vue sur fond bleu avec les comédiens. » (2) Mais ces scories n’entachent que partiellement l’impact du film, soutenu par une partition de Carpenter judicieusement sommaire, teintée de blues, qui tient sur les trois mêmes accords du début à la fin du métrage.

(1) Propos recueillis par votre serviteur en février 1995

(2) Propos recueillis par votre serviteur en avril 1998

© Gilles Penso 

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DRACULA (1979)

Deux ans après le succès de La Fièvre du samedi soir, John Badham signait l'une des plus belles adaptations du roman de Bram Stoker

DRACULA

1979 – USA

Réalisé par John Badham

Avec Frank Langella, Laurence Olivier, Donald Pleasence, Kate Nelligan, Jan Francis, Trevor Eve, Jamine Duvitski, Tony Haygarth

THEMA DRACULA I VAMPIRES

En 1977, John Badham triomphait grâce au succès planétaire de La Fièvre du samedi soir. Avec son second long-métrage (le premier portait le titre prémonitoire Bingo), ce vétéran de la télévision américaine collectait ainsi près de 240 millions de dollars de recettes et propulsait sa carrière cinématographique. Mais était-ce pour autant le réalisateur idéal pour une nouvelle adaptation du roman de Bram Stoker ? Les détracteurs de John Travolta et des boules à facettes pouvaient légitimement émettre des doutes, mais la magistrale réussite de ce nouveau Dracula tourné en Angleterre a tôt fait de faire taire les inquiets. Tous les choix artistiques de Badham sont en effet de premier ordre : un retour fidèle au texte initial mais aussi à la pièce de Hamilton Deane et John Balderston qui inspira Tod Browning en 1931, une partition envoûtante confiée à John Williams, des effets spéciaux haut de gamme signés Roy Arbogast et Albert Whitlock, et surtout un casting exceptionnel. Dans le rôle-titre, Frank Langella est tout simplement époustouflant. Il faut dire que ce fringuant quadragénaire au regard noir et au charme étrange faisait déjà des merveilles sur les planches dans le rôle du comte vampire. Sans la rondeur blafarde de Bela Lugosi ni les dents acérées de Christopher Lee, Langella campe le plus humain des Dracula, et si son look évoque quelque peu les années disco (la chemise grande ouverte, la coupe de cheveux seventies), l’atemporalité et l’universalité du film n’en pâtissent absolument pas.

Aux côtés de Langella, Laurence Olivier et Donald Pleasence crèvent l’écran, comme à leur habitude, incarnant respectivement Abraham Van Helsing et le docteur Seward. En rédigeant le script avec W.D. Richter (auteur du formidable remake de L’Invasion des profanateurs de sépultures et futur réalisateur du délirant Les Aventures de Buckaroo Banzai dans la 8ème dimension), John Badham s’est efforcé de concilier épouvante, humour et érotisme, et force est de constater qu’il y est parvenu, réalisant tout simplement l’un des meilleurs Dracula jamais portés à l’écran – et aussi accessoirement son meilleur film, malgré toute la sympathie que l’on peut éprouver pour Tonnerre de feuWar Games ou Etroite surveillance

Un vampire insaisissable

Le scénario décrit les actes de séduction vampiriques du comte, s’éprenant de Lucy Seward (Kate Nelligan) et tuant sous sa morsure Mina Van Helsing (Jan Francis). Le père de celle-ci, accompagné du docteur Seward et de Jonathan Harker, fiancé de Lucy, sont dès lors farouchement déterminés à éliminer le monstre. Mais ce dernier s’avère insaisissable, d’autant qu’il a l’étonnante capacité de se transformer en animal la nuit venue. Le climax, qui décrit l’inévitable mise à mort de Dracula, s’avère aussi baroque que ceux du Cauchemar de Dracula et des Maîtresses de Dracula, ce qui n’est pas peu dire ! Le suceur de sang y est hissé par un crochet au mât d’un navire et se décompose bientôt à la lueur brûlante du soleil, provoquant un élan d’empathie inattendu de la part du public. Frank Langella se fera ensuite plus discret (malgré son rôle improbable de Skeletor dans Les Maîtres de l’univers !), ce qui ne l’empêchera pas d’incarner toutes sortes de seconds rôles savoureux à travers des œuvres aussi variées que 1492La Neuvième porte ou Superman Returns.

 

© Gilles Penso

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ZARDOZ (1974)

Après Délivrance, John Boorman nous offre cette fable futuriste étrange restée célèbre grâce au slip rouge de Sean Connery !

ZARDOZ

1974 – GB

Réalisé par John Boorman

Avec Sean Connery, Charlotte Rampling, John Alderton, Sara Kestelman, Sally Anne Newton, Niall Buggy

THEMA FUTUR

Galvanisé par le succès de son magistral Délivrance, John Boorman envisagea dans la foulée d’adapter « Le Seigneur des Anneaux » de Tolkien. Le projet n’avançant guère, il se rabattit sur ce récit de science-fiction bizarroïde situé en l’an 2293, après un cataclysme planétaire. Dans ce monde futuriste revenu à une sauvagerie digne de La Planète des singes, les humains se livrent au meurtre et au viol, sous la domination du terrifiant dieu Zardoz. Celui-ci leur apparaît régulièrement sous la forme d’une gigantesque tête volante, déclamant « l’arme est le bien, le pénis est le mal » et crachant à ses adorateurs des centaines de fusils prêts à l’emploi. Zed, l’un des exterminateurs au service de Zardoz, passe ainsi ses journées à tuer et violer son prochain en toute impunité. Sous la défroque de cette brute épaisse, on retrouve Sean Connery qui, trois ans après Les Diamants sont éternels, casse son image d’espion en smoking au profit d’un look pour le moins improbable, à mi-chemin entre le péplum et le western. Le voilà ainsi affublé d’une queue de cheval, d’une grosse moustache, d’un slip rouge et de cartouchières en bandoulière.

Poussé par ses pairs, il décide de percer le mystère de la divinité autoritaire qui les maintient sous son joug et se cache dans la tête barbue de Zardoz. A l’issue d’un long voyage dans les airs, au sein d’un magnifique décor orné de cadavres humains encellophanés, notre barbare atterrit dans un champ et débarque au beau milieu d’un petit groupe d’élus qui vivent éternellement dans la paix, l’opulence… et l’ennui. Tous étaient jadis les riches, les puissants et les savants de notre société. Sentant le monde agoniser, ils se sont retranchés en communauté privilégiée, asservissant le reste de l’humanité en inventant le dieu Zardoz (contraction de « The Wizard of Oz », dans la mesure où ils s’inspirent du célèbre conte de fée pour faire régner la terreur à l’aide d’un masque effrayant).

Un reflet fantasmé de la lutte des classes

Tour à tour affublé des sympathiques surnoms de « brute », « animal » ou « monstre », Zed est admis au sein de cette peuplade nantie, malgré les vives protestations d’une Charlotte Rampling alors à l’apogée de sa glaciale beauté. Il fait office de serviteur, de cobaye, et sert à tromper l’ennui de ces immortels aux allures de dieux grecs efféminés et exagérément précieux trônant dans leurs costumes ridicules sur une sorte de Mont Olympe kitsch. Soucieux de renverser ce régime dictatorial, Zed s’est infiltré parmi eux pour fomenter une révolte intestine. Le sous-texte de Zardoz est donc une satire sociale et un reflet fantasmé de la lutte des classes, le tout étant assorti d’un érotisme timide et champêtre à la David Hamilton. Mais l’ensemble est trop maladroit et conceptuel pour convaincre. Sans compter que les délires psychédéliques du film, typiques du milieu des années 70, tournent un peu en rond et alourdissent considérablement le rythme du film. Quant au final, il prend la forme d’une grotesque séquence élliptique au cours de laquelle les héros se mettent à vieillir en accéléré… Zardoz restera principalement dans les mémoires pour l’image surréaliste de cette tête géante aux allures de dieu Zeus flottant majestueusement dans les airs, une vision qu’on croirait issue de l’imagination fertile d’un Terry Gilliam.

 

© Gilles Penso

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HARLEQUIN (1980)

Un film étrange qui mélange la satire sociale et le fantastique en offrant un rôle ambigu à Robert Powell

HARLEQUIN

1980 – AUSTRALIE

Réalisé par Simon Wincer

Avec Robert Powell, David Hemmings, Broderick Crawford, Carmen Duncan

THEMA POUVOIRS SURNATURELS

Vétéran de la télévision australienne, le réalisateur Simon Wincer signait avec Harlequin son second long-métrage, une œuvre atypique s’efforçant de mêler avec audace la satire politique et la magie. Interprété avec beaucoup de conviction par un David Hemmings dans la force de l’âge (inoubliable héros de Blow Up et des Frissons de l’angoisse), Nick Rast est un sénateur promis à un bel avenir politique. Entouré par plusieurs hommes influents et persuasifs, il ne prend jamais de décision seul, sa carrière suivant une voie tracée par des intérêts qui dépassent sa simple personne. Cet état de fait déborde largement sur sa vie privée, puisqu’il a épousé par intérêt Susan, une fille d’ambassadeur, et qu’ils n’ont eu un enfant, Alex, que pour valoriser l’image de Nick aux yeux du public. Ce cadre familial rigide bascule le jour où Alex est atteint de leucémie. Susan est persuadée qu’il s’agit d’une punition divine, Nick se réfugie dans son travail, et les médecins finissent par baisser les bras, jugeant que le petit garçon est condamné. C’est alors que surgit Gregory Wolfe, un homme mystérieux incarné par Robert Powell, personnification du Christ dans le Jésus de Nazareth de Franco Zeffirelli trois ans plus tôt. Wolfe affirme qu’il est capable de guérir Alex, et effectivement l’enfant va soudain beaucoup mieux, ne présentant bientôt plus aucun symptôme de la maladie.

Le guérisseur entre donc dans le cercle intime des Rast, se met à nouer des liens étroits avec Alex et devient la bête curieuse des grandes réceptions mondaines de la ville. Mais les dents finissent par grincer chez les conseillers de Nick. Ce Gregory Wolfe est-il vraiment un magicien capable de provoquer des miracles, ou plus probablement un vulgaire charlatan usant de la prestidigitation et de l’hypnose pour parvenir à ses fins ? Pour compliquer les choses, Susan finit par tomber sous le charme de l’étrange guérisseur. Le film repose beaucoup sur les épaules de Robert Powell, charismatique, séduisant et mystérieux à souhait. S’amusant du jeu des apparences, son personnage arbore les looks les plus divers, du clown grimaçant au magicien en cape en passant par la grande robe blanche couverte d’amulettes, le smoking impeccable, le déguisement de vieux professeur allemand, le cuir d’une rock star et le traditionnel costume d’arlequin.

« Les anges sont immortels, pas les étoiles filantes »

Ses intentions demeurent floues, tout comme sa véritable identité. Interrogé à ce sujet par Alex qui lui soupçonne une nature angélique, il se contente de répondre : « les anges sont immortels, pas les étoiles filantes ». Car Wolfe sent venir ses derniers jours à grands pas, l’entourage politique de Nick n’hésitant pas à recourir aux méthodes les plus expéditives pour écarter ceux qui entravent ses projets. Le scénario d’Everett de Roche se plaît ainsi à opposer au cynisme adulte des politiciens avides de pouvoir la magie au sens propre, celle dont rêvent les enfants et les poètes.  Mais le rôle de Wolfe demeurera ambigu jusqu’à la fin, de même que l’étendue même de ses pouvoirs, qui dépassent largement le simple cadre de l’illusionnisme. Au service d’un récit surprenant et inhabituel, Simon Wincer signe une mise en scène élégante et efficace, quelque peu entachée par une partition de Brian May qui ne fait pas dans la finesse.

© Gilles Penso

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