LA MONTAGNE SACRÉE (1973)

Montagne sacrée
Montagne sacrée

Surréalisme, cynisme et mysticisme se bousculent dans cette œuvre à l'image de son réalisateur : inclassable…

THE HOLY MOUNTAIN

1973 – MEXIQUE / USA

Réalisé par Alejandro Jodorowsky

Avec Alejandro Jodorowsky, Horacio Salinas, Ramona Saunders, Juan Ferrara, Adriana Page, Burt Kleiner, Valerie Jodorowsky

THEMA DIEU, LES ANGES, LA BIBLE I EXTRA-TERRESTRES

Dire qu’Alejandro Jodorowsky est un cinéaste atypique est le plus doux des euphémismes. En s’attaquant à La Montagne Sacrée, il décida de lui donner l’ampleur d’un évangile et, pour trouver l’inspiration, fit un périple de quarante jours à travers les villages du Mexique, chaque halte lui permettant d’écrire une scène de son scénario. La première partie du film est une collection d’images surréalistes parfois drôles, parfois horribles, souvent absurdes et grotesques. Pêle-mêle, un homme au visage couvert d’insectes, un vieillard qui ôte un œil de verre de son orbite pour l’offrir à une petite fille, des caméléons costumés en conquistadors qui escaladent une maquette de cité aztèque, une colombe qui s’envole du corps d’un fusillé s’enchaînent à l’écran. On se croirait dans un mixage entre Un Chien Andalou et Salo ou les 120 Journées de Sodome

Montagne sacrée - photo

Le héros est un voleur aux allures de Jésus qui erre au milieu de centaines de statues grandeur nature à son effigie puis escalade un tour immense avant de se retrouver nez à nez avec un étrange alchimiste incarné par Jodorowsky lui-même, friand de dialogues abscons (« la force dont a besoin le vautour pour s’agripper au bœuf est vitale au bœuf pour supporter le vautour »). Le délire surréaliste continue, de l’hippopotame qui prend son bain dans une fontaine aux excréments qui se transforment en or. Au bout d’une heure de métrage, le propos du cinéaste s’éclaircit enfin, à la faveur de la présentation de sept extra-terrestres. A travers leurs propos caricaturaux, la satire sociale prend corps. Le Vénusien est un chef d’entreprise qui entretient le culte de l’apparence en fabriquant des masques pour les humains ; la Martienne vend des armes à la mode (fusils psychédéliques, colliers de grenades, armes adaptées à toutes les religions) ; le Jupitérien tient une galerie d’art et a inventé une machine à orgasme ; la Saturnienne fabrique des jouets guerriers pour conditionner les enfants dès la naissance à haïr leurs ennemis futurs ; l’Uranien est conseiller du président et lui propose de tuer quatre millions de personnes pour sauver l’économie du pays ; le Neptunien est un chef de police qui, dans une tenue SM pré-Mad Max, émascule sur la place publique les condamnés ; le Plutonien est architecte et propose des cercueils monoplaces pour tous… Au cours de la dernière partie du film, le surréalisme et le cynisme s’évaporent au profit du mysticisme, tout ce beau monde partant en quête de l’immortalité au sommet d’une montagne sacrée. 

Des producteurs nommés John Lennon et Yoko Ono

Véritable patchwork des obsessions de Jodorowsky, de son attirance pour les freaks (le personnage sans bras ni jambes qui accompagne le voleur en rampant pathétiquement, la trompettiste cul de jatte, le nain sans bras qui hurle), de son goût pour l’horreur (l’homme nu recouvert de tarentules) et la comédie (son personnage éclate de rire à la fin, comme si tout n’était qu’une blague), La Montagne Sacrée est parfaitement inclassable et hors norme. Le film bénéficie pourtant de moyens très importants, de décors immenses et de figurations souvent impressionnantes, Jodorowsky ayant eu accès à une aide financière non négligeable de la part de John Lennon et Yoko Ono, alors en pleine période psychédélique.
 
© Gilles Penso

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ROSEMARY’S BABY (1968)

Le diable n'a jamais été aussi terrifiant que face à la caméra naturaliste de Roman Polanski

ROSEMARY’S BABY

1968 – USA

Réalisé par Roman Polanski

Avec Mia Farrow, John Cassavetes, Ruth Gordon, Sidney Blackmer, Maurice Evans, Ralph Bellamy, Victoria Vetri

THEMA DIABLE ET DÉMONS

Une berceuse envoûtante susurrée par la voix frêle de Mia Farrow, tandis que défile le paysage familier des toits de Manhattan : c’est ainsi que Roman Polanski décide de faire commencer Rosemary’s Baby, prenant à revers les spectateurs habitués aux codes traditionnels du cinéma d’horreur. Le parti pris est d’autant plus étonnant que William Castle, producteur du film, s’est justement spécialisé dans l’épouvante récréative bardée de gadgets et de facéties spectaculaires (La Nuit de tous les MystèresLe Désosseur de cadavres13 Ghosts). Mais Polanski veut conserver l’approche réaliste qu’avait choisie l’écrivain Ira Levin dans son roman « Un bébé pour Rosemary ». Pour son premier film hollywoodien, le cinéaste casse donc les mécanismes du genre en inscrivant le thème classique et archaïque de la sorcellerie et de l’adoration du diable dans un contexte contemporain et ordinaire.

Rosemary's baby photo

Rosemary et Guy Woodhouse (Mia Farrow et John Cassavetes) emménagent dans un cinq pièces au Bradford, en plein cœur de New York. Ils n’accordent que peu de crédit aux propos de Hutch (Maurice Evans), un ami de Rosemary, déclarant que l’immeuble est maudit, marqué par la magie noire. Selon lui, le sinistre sorcier Marcato y habita et les sœurs Trench y pratiquèrent des sacrifices immondes. La tension monte cependant d’un cran lorsqu’une jeune fille se jette par la fenêtre, peu de temps après l’installation du couple. La malheureuse était adoptée par les Castevet (Ruth Gordon et Sidney Blackmer), des voisins un peu trop affectifs et envahissants. Peut-être est-ce le fruit de l’imagination de Rosemary, mais le comportement de Guy semble changer. Et puis une nuit, sans préavis, il lui fait un enfant pendant qu’elle dort. Dès lors, Rosemary voit son sommeil envahi par des rêves inquiétants…

Avez-vous vraiment vu le bébé de Rosemary ?

Très apprécié par Ira Levin, qui le considère comme la meilleure adaptation d’un roman jamais produite par Hollywood, Rosemary’s Baby distille une terreur pernicieuse dans la mesure où, jusqu’au dénouement, le spectateur ne sait jamais vraiment si les craintes de Rosemary sont fondées ou s’il ne s’agit que d’une paranoïa engendrée par une série de faits inquiétants. Une secte diabolique sévit-elle vraiment dans le New York de 1968, ou tout se passe-t-il dans la tête de cette jeune femme tourmentée ? Cette angoisse indicible est transmise au spectateur par une mise en scène spontanée jouant le jeu du naturalisme (Polanski improvise plusieurs séquences, caméra au poing, ou ne donne pas toutes les informations à ses comédiens pour que leurs réactions soient crédibles) et par le jeu fragile de Mia Farrow. C’est à travers ses yeux que le spectateur vit les événements, forcé malgré lui de se laisser contaminer par les frayeurs de Rosemary. La musique de Krzysztof Komeda entretient ce climat malsain que le cinéaste commença à bâtir dans Répulsion et qu’il allait poursuivre avec Le Locataire, Rosemary’s Baby se positionnant comme le volet central d’une « trilogie de l’enfermement » (le huis-clos de l’appartement étant bien sûr la métaphore de celui de l’esprit). Entrée dans la légende, la séquence finale a ceci de fascinant qu’elle pousse très loin le pouvoir d’autosuggestion des spectateurs. Aujourd’hui encore, combien d’entre eux sont-ils persuadés d’avoir vu de leurs propres yeux les traits diaboliques du bébé de Rosemary ?
 
© Gilles Penso

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MISS PEREGRINE ET LES ENFANTS PARTICULIERS (2016)

Tim Burton s'intéresse à son thème favori - la marginalité - en y injectant une bonne dose d'autobiographie

MISS PEREGRINE’S HOME OF PECULIAR CHILDREN

2016 – USA

Réalisé par Tim Burton

Avec Asa Butterfield, Eva Green, Terence Stamp, Samuel L. Jackson, Ella Purnell, Cameron King, Lauren McCrostie

THEMA CONTES I VOYAGES DANS LE TEMPS I POUVOIRS PARANORMAUX I SAGA TIM BURTON

Sorti en librairie en été 2011, le roman « Miss Peregrine et les Enfants Particuliers » s’est hissé en tête des ventes, remportant un succès colossal que son auteur Ransom Rigg n’imaginait sans doute pas. Très vite, le studio 20th Century Fox acquiert les droits d’adaptation du livre et propose à Tim Burton d’en signer la réalisation. Le ton du roman est assombri, le prologue empruntant son atmosphère et ses effets au cinéma d’horreur : un passant aux yeux blanc qui surgit soudain d’une nappe de brouillard, un vieil homme dont les yeux ont été arrachés, un gigantesque monstre sans visage qui émerge des bois nocturnes… Cette noirceur s’accommode avec la vision très personnelle que Tim Burton a des contes de fées et de l’imaginaire des enfants. « J’essaie toujours de faire des films personnels, même s’ils sont tirés d’autres œuvres », nous explique le cinéaste. « Finalement, le cinéma est une forme de thérapie qui coûte très cher ! » (1) Le jeune héros du film, Jake (Asa Butterfield), est bercé depuis son enfance par les récits fascinants de son grand-père Abe (Terence Stamp). Abe prétend avoir vécu dans les années 40 sur une île du pays de Galle, Cairnholm, au milieu d’enfants différents des autres, sous la direction d’une gouvernante nommée Miss Peregrine. Sans doute ces enfants étaient-ils cachés pour fuir les nazis qui envahissaient alors la Pologne. Mais Abe affirme que ses camarades avaient tous des pouvoirs surnaturels, qu’ils cherchaient à échapper à des monstres tentaculaires sans yeux et que Miss Peregrine avait le pouvoir de se transformer en faucon. Après la mort de son grand-père, Jake veut aller visiter cette fameuse île, démarche qu’approuve sa psychiatre pour l’aider à séparer la réalité du fantasme. Là, il découvre les ruines du pensionnat, détruit par un bombardement le 3 septembre 1943. Personne n’a survécu au désastre. Pourtant, il existe une boucle temporelle dans laquelle Miss Peregrine et tous les enfants particuliers vivent toujours. Or Jake parvient à entrer dans cette boucle…
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C’est avec subtilité que Miss Peregrine et les Enfants Particuliers fait glisser ses spectateurs de la banalité vers la fantasmagorie, facilitant notre entrée dans ce pensionnat d’un autre âge où Eva Green, dans un rôle bien plus positif que celui de la sorcière de Dark Shadows, veille sur de bien étranges bambins. Emma pèse le poids d’une plume, Millard est un garçon invisible, Olive contrôle le feu, Fiona fait surgir les légumes de la terre, Enoch donne vie aux choses inanimées, Bronwyn a une force herculéenne, Hugh crache des abeilles, Claire a une gueule carnassière derrière la tête, Horace projette l’image de ses rêves… Tous ces enfants et cette école spéciale nous font penser à une version années 40 des X-Men dont Peregrine serait l’équivalent du professeur Xavier. Une scène très étonnante montre la remise à zéro de la boucle temporelle qui protège tout ce beau monde : les bombardiers allemands survolent le pensionnat une nuit d’averse, puis l’action se rembobine et la journée recommence. Cette boucle permet aux protégés de Miss Peregrine d’échapper à la menace des Faucheurs, d’anciens enfants particuliers qui, menés par le maléfique Barron (Samuel L. Jackson), se sont mués en abominables monstres sans yeux en cherchant à atteindre l’immortalité.

Le pensionnat des mutants

Le casting disparate du film est dominé par le charisme du tout jeune Asa Butterfield qui, avec son regard clair, sa tignasse brune et son visage d’adolescent trop sérieux, aurait été un Peter Parker formidable (il fut pressenti pour jouer Spider-Man dans Captain America : Civil War). Avec une mère inexistante et un père maladroit, son personnage se réfugie naturellement auprès de son grand-père. Le parallèle avec Tim Burton (« enfant particulier » par excellence) saute aux yeux, ce dernier ayant préféré vivre avec sa grand-mère dès l’âge de dix ans à cause d’une mésentente avec ses parents. Miss Peregrine et les Enfants Particuliers regorge de belles séquences surréalistes, comme le plongeon dans l’épave du navire, Emma qui flotte au bout d’une ficelle comme un cerf volant ou le surgissement du vieux navire à la surface des flots. Toujours prêt à rendre hommage à Ray Harryhausen, Tim Burton utilise la stop-motion pour animer les combats de pantins monstrueux et hybrides qu’Enoch s’amuse à organiser. Et pour ceux qui n’auraient pas saisi l’allusion, le cinéaste orchestre une bataille délirante au milieu d’une fête foraine entre quatre Faucheurs et une armée de squelettes qui semblent tout droit échappés de Jason et les Argonautes. Car chez Burton, le passé revient toujours hanter le présent.

(1) Propos recueillis par votre serviteur en mars 2012.

 
© Gilles Penso

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PLEASANTVILLE (1998)

Gary Ross démarre en force sa carrière de metteur en scène avec cette satire colorée du racisme et du conformisme

PLEASANTVILLE

1998 – USA

Réalisé par Gary Ross

Avec Tobey Maguire, Jeff Daniels, Joan Allen, William H. Macy, Reese Witherspoon, J.T. Walsh, Don Knotts

THEMA CINEMA ET TELEVISION I MONDES PARALLÈLES ET MONDES VIRTUELS

Gary Ross fait ses débuts de metteur en scène avec Pleasantville, mais il n’est pas nouveau venu dans l’univers hollywoodien. Scénariste talentueux, il est notamment l’auteur de Président d’un jour, de Mr. Baseball et de Big (co-écrit avec Anne Spielberg, la sœur de Steven). Ces œuvrettes intelligentes et pétillantes le préparent à sa première réalisation, dont il écrit également le script, prenant à revers les codes traditionnels de la comédie américaine pour jouer le jeu de la mise en abîme. Quelques années avant de s’engoncer dans la combinaison bicolore de Spider-Man, Tobey Maguire incarne David, un jeune homme naïf et rêveur qui ne raterait pour rien au monde un épisode de « Pleasantville », une sictom en noir et blanc des années 50. Un soir, un mystérieux réparateur de télévision (Don Knotts) rend visite à David et à sa sœur Jennifer (Reese Witherspoon), leur confiant une télécommande qui leur permet soudain de traverser l’écran. Et les voilà immergés dans l’univers sirupeux et achrome de cette série TV surannée. Bien que passablement désarçonné, David est là en terrain connu. Mais comment Jennifer, plus portée sur MTV que sur les soap-opéras rétros, va-t-elle pouvoir s’adapter à cet univers aseptisé ? 
Pleasantville photo

La télévision agit ici comme un tunnel entre deux mondes qui, à priori, n’auraient jamais dû se rencontrer, l’un étant le miroir déformant et fantasmé de l’autre. Et lorsque Jennifer, acceptant de jouer le jeu au cours d’un rendez-vous galant, fait découvrir le sexe à son partenaire, tout l’univers de Pleasantville se détraque. La visualisation de ce dérèglement est un véritable coup de génie : une touche de couleur dans un monde uniformément noir et blanc. Dès lors, chaque fois que la subversion ou l’anticonformisme montrent le bout de leur nez, les teintes vives éclosent un peu partout : une rose rouge, un chewing-gum rose, une voiture verte, un peigne jaune… La beauté de cette idée narrative et la perfection des effets numériques ne rendent que plus puissant le message véhiculé par un scénario résolument surprenant, qu’on pourrait simplifier en ces termes : « vive la différence ! » Du coup, même s’il n’a rien d’un film de science-fiction spectaculaire, Pleasantville est à l’époque le long-métrage contenant le plus de plans truqués de l’histoire du cinéma (environ 1700, supervisés par Chris Watts), un record qui sera battu l’année suivante avec La Menace Fantôme de George Lucas. 

La couleur des sentiments

Parabole du racisme et du conservatisme, Pleasantville offre un rôle en or à William H. Macy (« Honey, I’m home ! » lâche-t-il invariablement chaque soir, lorsqu’il rentre à la maison) et à Jeff Daniels (très touchant dans le rôle d’un Monsieur Johnson pas du tout prêt à voir sa routine se bouleverser). Le film se pare de séquences magnifiques, comme cette mère de famille (excellente Joan Allen) recouvrant son visage de maquillage gris pour ne pas révéler au monde qu’elle se sent enfin libre et maîtresse de sa destinée. À pas feutrés, Pleasantville a su s’imposer comme une étape importante dans l’histoire du cinéma fantastique et se revoit toujours avec autant de plaisir aujourd’hui, la force de son message n’ayant rien perdu de son impact.
 
© Gilles Penso

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THE SPIDER (1958)

Amoureux des monstres et de gigantisme, le réalisateur Bert I. Gordon imagine une araignée géante qui déteste le rock'n roll !

EARTH VS. THE SPIDER

1958 – USA

Réalisé par Bert I. Gordon

Avec Ed Kemmer, June Kenney, Eugene Persson, Gene Roth, Hal Torey, June Jocelyn, Mickey Finn, Sally Fraser, Troy Pattersonr

THEMA ARAIGNÉES 

Fidèle à son goût du gigantisme immodéré, Bert I. Gordon s’était jusqu’à présent frotté aux dinosaures (King Dinosaur), aux sauterelles géantes (Le Début de la fin), aux colosses (The Cyclops, Le Fantastique Homme Colosse, Le Retour de l’homme colosse) et aux lilliputiens (La Révolte des poupées). Ici, il s’attaque à une espèce qu’il n’avait pas encore affichée à son palmarès : l’araignée. Comme il l’avait fait en 1957 avec Le Fantastique homme colosse, qui racontait à l’envers l’histoire de L’homme qui rétrécit, Gordon trouve à nouveau son inspiration chez Jack Arnold, à qui il emprunte le monstre et les idées visuelles de Tarantula. Il confie le scénario à l’un de ses fidèles collaborateurs, George Worthing Yates, qui avait imaginé l’histoire du fameux Des Monstres attaquent la ville

The Spider photo
La première partie du film distille avec pas mal d’efficacité une certaine angoisse, surtout lorsque le jeune couple de héros, Mike Simpson et Carolyn Flynn, à la recherche du père disparu de cette dernière, s’aventure imprudemment dans une inquiétante grotte, un décor réel très photogénique prolongé et amplifié par des peintures sur verre. Bien vite, ils font face à une araignée grosse comme un bulldozer. L’intervention de l’armée et la capture du monstre obéissent à un schéma plus classique, et donc moins palpitant. En toute incohérence, la créature, que l’on croit morte suite à son bombardement massif avec du DDT, est installée dans le gymnase du lycée de la petite ville de River Falls, sous la responsabilité du professeur Kingman, enseignant en biologie. Là, plusieurs adolescents, sans s’étonner outre mesure de voir un arachnide de cette taille, jouent et dansent un rock’n’roll enjoué. Cette constante musicale du cinéma des années 50 de Gordon est destinée de toute évidence à séduire le public teenager. Le réveil de l’araignée géante – qui, visiblement, n’est pas très fan de rock’n roll ! – et surtout ses déambulations en pleine ville sont assez impressionnants, grâce à des effets visuels économiques mais très astucieux, qui reposent en grande partie sur des double expositions et des caches. Hélas, le manque de moyens de Gordon le pousse à réutiliser plus d’une fois les mêmes plans, émoussant du coup leur efficacité. 

« L'Araignée Vampire ! »

Visiblement inspiré de celui de Earth vs. The Flying Saucers (Les Soucoupes volantes attaquent), le titre original Earth vs. The Spider laisse imaginer un conflit à échelle planétaire opposant le monstrueux arachnide et toutes les forces armées de la terre. Mais il n’en est rien, l’action ne dépassant jamais le cadre de la petite bourgade de Kinston Falls. La dernière partie du film, qui se déroule à nouveau dans la grotte, traîne en longueur, sous le prétexte d’un suspense reposant sur la présence des jeunes héros dans la caverne, parallèlement au retour du monstre dans son repaire et à des explosifs sur le point de se déclencher. Le rythme s’étiole donc en même temps que l’intérêt du public, jusqu’à un final des plus classiques au cours duquel le monstre est détruit par une énorme décharge électrique. Dans certains pays francophones, le film fut titré L’Araignée ou L’Araignée Vampire.
 
© Gilles Penso

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GRAVE (2016)

Pour son premier long-métrage, Julia Ducournau utilise le cannibalisme comme parabole de l'intégration sociale

GRAVE

2016 – FRANCE

Réalisé par Julia Ducournau

Avec Garance Marillier, Ella Rumpf, Rabah Nait Oufella, Laurent Lucas, Joana Preiss, Bouli Lanners

THEMA CANNIBALES

Véritable « aimant à récompenses » à travers les nombreux festivals dont il aura marqué sa sulfureuse présence, Grave est un exercice d’équilibre osé qui joue audacieusement avec les sentiments du spectateur en suscitant tour à tour le rire, l’émotion et la répulsion la plus viscérale. Alors qu’elle fait ses premiers pas dans une prestigieuse école vétérinaire, Justine (Garance Marillier), étudiante végétarienne, découvre les rites d’intégration auxquels sont contraints de se soumettre les étudiants et se laisse guider par un étrange instinct qui l’attire irrésistiblement vers la chair humaine. « Le bizutage est un élément clef du film, car pour moi il symbolise la manière dont les gens se traitent entre eux dans notre société », explique la réalisatrice Julia Ducournau. « Je voulais parler d’uniformisation des masses et de révolte. Selon moi, ce type de comportement ne peut qu’engendrer l’ultra-violence. Dans le film, le bizutage sert d’élément déclencheur. Pour le personnage principal de Grave, devenir cannibale est un geste de rébellion contre un establishment extrêmement formaté. » (1) 

Grave photo

En cultivant des obsessions proches de celles du cinéma organique de David Cronenberg, Julia Ducournau fusionne les mutations psychologiques et physiologiques de sa jeune héroïne sans se laisser brider par le moindre tabou. Elle s’inscrit ainsi dans la suite logique de ses deux films précédents, qui donnaient déjà la vedette à la jeune comédienne Garance Marillier : le court-métrage Junior, dans lequel une jeune fille voit son corps se couvrir d’écailles, et le téléfilm Mange, où une ancienne obèse est hantée par le fantôme de la fille en surpoids qu’elle fut. « Ces deux films ont comme point commun le thème de la transformation physique radicale et de la dévoration », nous explique la réalisatrice. « En ce sens, Grave assure une certaine continuité avec eux. » (2) Généreux en séquences d’horreur graphique manifestement conçues pour provoquer le malaise et l’inconfort, Grave place cependant ses ambitions au-delà du simple effet d’aversion. Ici, l’anthropophagie sert de vecteur idéal pour évoquer le passage de l’adolescence à l’âge adulte, mais aussi pour s’interroger sur la destinée et sur le libre-arbitre. A fleur de peau, Garance Marillier se livre à une prestation étourdissante, tutoyant presque par moments les moments de folie furieuse d’Isabelle Adjani dans Possession

Sur les traces de David Cronenberg

Même s’il a été distribué tout autour du monde sous le titre Raw (qui a le double sens de « cru » et de « brut »), la réalisatrice reste attachée à son titre premier. « Le mot “grave“ a plusieurs sens qui correspondent bien aux thèmes développés dans le film », explique-t-elle. « Il y a d’abord la gravité terrestre, qui nous cloue au sol et nous empêche de nous envoler, même si notre environnement nous déplaît. Coincée dans une situation qui la bride, Justine est forcée de faire un choix moral et de se positionner pour définir la personne qu’elle souhaite devenir. Et puis, bien sûr, il y a la gravité de la situation elle-même, qui pousse les personnages à dire “c’est grave“ pour mieux souligner le caractère sérieux et dramatique des choses. » (3) De fait, même dans les moments les plus légers du film, la gravité de la situation reste prégnante, comme au cours de cette chute étrange à mi-chemin entre le gag absurde et le choc psychologique.
 
(1), (2) et (3) Propos recueillis par votre serviteur en septembre 2016
 
© Gilles Penso

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FRAYEURS (1980)

Lucio Fulci ouvre une des portes de l'Enfer en signant l'un de ses films les plus emblématiques…

PAURA NELLA CITA DEI MORTI VIVENTI

1980 – ITALIE

Réalisé par Lucio Fulci

Avec Christopher George, Catriona MacColl, Carlo de Mejo, Antonella Interlenghi, Giovanni Lombardo Radice, Daniela Doria

THEMA ZOMBIES

A l’horreur clinique et quasi-réaliste de L’Enfer des Zombies, Lucio Fulci et son scénariste Dardano Sachetti opposent ici une épouvante plus portée sur le fantastique et le surréalisme. Le cinéaste en profite pour se laisser volontiers influencer par ses auteurs de prédilection, Edgar Allan Poe et H.P. Lovecraft en tête. Et si les zombies sont toujours à l’honneur ici, leur origine s’écarte du vaudou pour s’inscrire au sein des superstitions les plus ancestrales. Le mal prend racine dans la petite ville de Dunwitch, où le père Thomas, un prêtre respectable, se pend inexplicablement au beau milieu du cimetière. A New York, en pleine séance de spiritisme, Mary Woodhouse (Catriona MacColl) a la vision de ce suicide et tombe morte de frayeur en poussant un cri déchirant. Mais son décès n’est qu’apparent, et c’est vivante qu’on la met en terre. La jeune femme sera sauvée in extremis par le journaliste Peter Bell (Christopher George) qui entend ses hurlements souterrains. Remise sur pied, Mary délivre à son sauveteur une terrible prophétie : la pendaison du prêtre a ouvert l’une des portes de l’Enfer, et si elle n’est pas refermée avant le soir de la Toussaint, tous les morts reviendront sur terre pour dévorer les vivants. Effectivement, d’inquiétants phénomènes commencent à se produire à Dunwitch : des corps décomposés apparaissent, les murs d’un pub se mettent à craquer mystérieusement, mais tout ceci n’est que le prélude d’un véritable cauchemar. 

Frayeurs photo

C’est l’occasion pour Fulci de se livrer à l’un de ses exercices favoris : les séquences gore outrancières. Les deux moments les plus gratinés sont d’une gratuité telle qu’ils pourraient aisément être retirés du film sans gêner le moins du monde sa compréhension. C’est d’ailleurs ce qu’exigea la censure de l’époque sur certaines copies d’exploitation. Dans la première, une jeune fille voit le fantôme du prêtre. Aussitôt, ses yeux se mettent à pleurer du sang, puis ses entrailles surgissent par sa bouche et se déversent sans fin dans un abominable bruit de succion et de vomissement. Dans la seconde, un jeune marginal est accusé par un villageois d’avoir fricoté avec sa fille, et se retrouve la tête transpercée par une énorme perceuse électrique. En gros plan et sans ellipse, bien sûr. 

La phobie des asticots

Parmi les autres chocs du film, il y a cette pioche qui manque de transpercer le visage de l’enterrée vivante, ou encore cette horrible pluie d’asticots qui se collent aux visages des héros. « J’ai toujours eu la phobie des vers depuis que je suis enfant », nous avoue Catriona MacColl. « Tourner avec des asticots était donc une véritable épreuve. Nous étions quatre comédiens dans cette séquence, et chacun de nous avait droit à son gros plan. On devait me filmer en dernier. Dans les plans larges, les techniciens utilisaient du riz. Mais pour les plans serrés, nos visages devaient réellement être couverts de vrais asticots. Le maquilleur Gianetto de Rossi a enduit mon visage d’une crème transparente pour éviter que les asticots ne touchent directement mon visage, j’ai bu deux cognacs et nous avons tourné ! » (1) Outre ses excès horrifiques, Frayeurs parvient à créer un véritable climat d’angoisse et d’oppression, jouant aussi – paradoxalement – sur le hors-champ et le non vu, le tout aux accents d’une partition envoûtante et gothique composée par Fabio Frizzi.
 
(1) Propos recueillis par votre serviteur en juin 2019.
 
© Gilles Penso

 

Pour en savoir plus

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ABOMINABLE (2006)

Pour sa première réalisation, le fils du compositeur Lalo Schifrin s'offre un monstre velu délicieusement old school

ABOMINABLE

2006 – USA

Réalisé par Ryan Schifrin

Avec Matt McCoy, Haley Joel, Christien Tinsley, Karin Anna Cheung, Jeffrey Combs, Natalie Compagno, Michael Deak

THEMA YETIS ET CHAÎNONS MANQUANTS

Abominable est le premier long-métrage de Ryan Schifrin, le fils du célèbre compositeur Lalo Schifrin (à qui nous devons quelques bandes originales mythiques comme Mission impossible, Bullit ou Amityville). Le vénérable artiste accepte donc de sortir de sa retraite pour composer la musique du film de son fiston, accentuant la patine « old school » dont le jeune réalisateur dote son galop d’essai. Abominable nous évoque du coup certains téléfilms de genre des seventies qui compensaient leurs faibles moyens par une mise en scène efficace et des comédiens solides. Six mois après un accident d’alpinisme ayant coûté la vie à son épouse dans la ville montagneuse de Flatwood, Preston Rogers (Matt McCoy) est désormais cloué sur un fauteuil roulant. Pour combattre ce traumatisme, son psychiatre lui demande de retourner sur les lieux du drame, en compagnie d’Otis, un garde-malade patibulaire. Déjà peu rassuré entre les quatre murs du chalet qu’il occupe avec son rude « co-locataire », Preston voit son malaise s’accroître en apercevant une paire d’yeux rouges dans la forêt. Evidemment, Otis ne le prend guère au sérieux…

Abominable - photo
Les choses se compliquent lorsqu’un groupe de jeunes filles s’installent dans le chalet voisin et que l’une d’elles semble disparaître dans les bois sous les yeux de Preston. Toutes ses tentatives pour alerter son entourage semblent vouées à l’échec : la police – qu’il contacte via sa connexion internet – croit à un canular, et ses jeunes voisines sont persuadées d’avoir affaire à un voyeur pervers qui les espionne sans complexe. Preston va donc devoir faire fi de son handicap et de ses phobies pour se jeter dans la gueule du loup… Ou plutôt du Yéti, comme semble le confirmer la déclaration d’un scientifique à la télévision : « Ce que nous avons là est beaucoup plus grand que le Bigfoot, et plus méchant. C’est plutôt le genre abominable homme des neiges de l’Himalaya ». Nous voilà prévenus ! Le héros cloué sur un fauteuil roulant, qui observe les alentours avec ses jumelles, évoque bien sûr celui de Fenêtre sur cour, en accord avec une série de séquences de suspense plutôt bien troussées ponctuant régulièrement le métrage.

« Beaucoup plus grand que le Bigfoot… et plus méchant ! »

Le choix de placer Abominable à contre-courant des effets de style de son époque se répercute sur tous les aspects du film, notamment un casting qui emprunte ses seconds rôles au cinéma de genre des années 80 comme Dee Wallace Stone (Cujo et Hurlements), Jeffrey Combs (Re-Animator) ou Lance Henriksen (Aliens) et un refus opiniâtre d’utiliser des effets visuels numériques. Le monstre est donc réalisé en direct, à l’aide d’un acteur engoncé dans un costume pas très convaincant conçu par Christien Tinsley. Le faciès de la bête, notamment, figé et exagérément grimaçant, n’a pas du tout la mobilité et l’expressivité requises. Malgré cet important handicap, les scènes de tension fonctionnent grâce à une mise en scène au cordeau, que Schifrin Junior agrémente d’une poignée d’effets choc (un homme se fait littéralement dévorer la tête) et un peu de nudité décomplexée (la séquence de douche). Le climax – un peu mou – s’achève toutefois sur un plan ultime plutôt gratifiant qui accentue l’indéniable charme de ce film de monstre anachronique.
 
© Gilles Penso

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LES VISITEURS (1993)

En plongeant Christian Clavier et Jean Réno dans une comédie fantastico-médiévale, Jean-Marie Poiré trouve la formule magique d'un succès inespéré

LES VISITEURS

FRANCE – 1993

Réalisé par Jean-Marie Poiré

Avec Christian Clavier, Jean Reno, Valérie Lemercier, Marie-Anne Chazel, Christian Bujeau, Isabelle Nanty

THEMA VOYAGES DANS LE TEMPS I SORCELLERIE ET MAGIE I SAGA LES VISITEURS

Auteur du mythique Le Père Noël est une ordure, Jean-Marie Poiré essuya un terrible échec en 1989, au moment de la sortie de Mes meilleurs copains, une variante des Copains d’abord de Lawrence Kasdan qui demeure pourtant à ce jour l’un de ses films les plus réussis, les plus drôles et les plus touchants. « A l’époque, j’étais devenu tellement impopulaire que les gens de la profession avaient tendance à changer de trottoir lorsqu’ils me croisaient », nous confie-t-il avec amertume. (1) Se souvenant des couples antithétiques de Francis Veber, façon L’Emmerdeur ou La Chèvre, Poiré créa alors le duo Christian Clavier/Jean Réno à l’occasion d’Opération Corned Beef, une comédie policière balourde qui connut pourtant un certain succès et redora son blason. D’où l’initiative des Visiteurs, neuvième long-métrage de Poiré qui unit à nouveau Réno et Clavier et s’avère franchement plus réjouissant que le film précédent, dans la mesure où le comique de situation y est plus riche et où l’humour flirte ici avec un Fantastique pleinement assumé. 

En cette belle année 1122, le preux et vaillant chevalier Godefroy Le Hardi (Réno), victime de l’envoûtement d’une sorcière, tue d’un tir d’arbalète le père de sa gente fiancée, Frénégonde de Pouille (Valérie Lemercier), en le prenant pour un ours. Pour réparer cette méprise, Godefroy et Jacquouille La Fripouille (Clavier), son fidèle écuyer, avalent une potion concoctée par le mage Eusaebius et censée les renvoyer dans le passé quelques secondes avant le drame. Mais, comble de malchance, une erreur de dosage dans le breuvage propulse les deux infortunés compagnons en 1992, où ils se retrouvent nez à nez avec leurs descendants. Le château de Montmirail, jadis propriété de Godefroy, est aujourd’hui un hôtel-relais dont le propriétaire, un certain Jacquart, ressemble étonnament à Jacquouille, tandis que la descendante de Godefroy, Béatrice, est mariée à un dentiste et vit dans une résidence en lisière de la ville… 

Attention aux crises d'épilepsie !

Les Visiteurs sacrifie aux joies du vaudeville, accumule les numéros d’acteurs (avec une mention spéciale pour Christian Bujeau et Isabelle Nanty) et joue à fond la carte de l’anachronisme, multipliant les décalages humoristiques et les dialogues ciselés. L’année de fabrication des Visiteurs marquant en outre la démocratisation des effets spéciaux numériques, Poiré peut se permettre des séquences truquées bien plus ambitieuses que ce à quoi le cinéma français nous avait habitué. « Évidemment, nous n’avions pas les moyens de James Cameron », nous avouait-il à l’époque, « et de toutes façons je ne voulais pas faire un film d’effets spéciaux. Nous avons donc écrit l’histoire sans jamais nous préoccuper des problèmes techniques » (2). La mise en scène de Poiré est certes discutable. Ses champs et contre-champs tournés au grand-angle et montés de manière frénétique sans le moindre respect du raccord le plus élémentaire ne sont pas loin de provoquer des crises d’épilepsie ! Quant à sa manière d’embarquer sa caméra sur les flèches en plein vol, elle s’inspire directement du Robin des Bois de Kevin Reynolds, lui-même sous influence manifeste de Sam Raimi. A l’avenant, le compositeur Eric Levi plagie sans vergogne le thème principal composé par Michael Kamen pour Robin des Bois. Succès colossal, Les Visiteurs se mua en véritable phénomène de société, et Jean-Marie Poiré s’efforça d’en retrouver plus tard la recette. Mais visiblement, cette formule magique était à usage unique.
 
(1) Propos recueillis par votre serviteur en septembre 2002.
(2) Propos recueillis par votre serviteur en janvier 1993.
 
© Gilles Penso

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JE SUIS UNE LÉGENDE (1964)

La première - et sans doute la meilleure - adaptation du classique de Richard Matheson avec un Vincent Price halluciné…

L’ULTIMO UOMO DELLA TERRA / THE LAST MAN ON EARTH

1964 – ITALIE / USA

Réalisé par Ubaldo Ragona et Sidney Salkow

Avec Vincent Price, Franca Bettoia, Emma Danielli, Giacomo Rossi-Stuart, Umberto Rau, Christi Courtland, Antonio Corevi

THEMA VAMPIRES

Dès sa sortie en 1954, le roman « Je suis une légende » de Richard Matheson s’est propulsé au rang de classique de la science-fiction, s’inscrivant dans le même courant post-apocalyptique que John Wyndham dans « La Révolte des Triffides » ou Robert Merle avec « Malevil ». Adaptation fidèle de cette impérissable fable pessimiste, le film homonyme d’Ubaldo Ragona et Sidney Salkow aborde donc lui aussi le thème du vampirisme sur fond de fin du monde et d’apocalypse. Suite à une monstrueuse épidémie planétaire, la race humaine a été éradiquée de la surface de la Terre, à l’exception d’un seul homme, le docteur Robert Morgan. Celui-ci a en effet été immunisé contre le vampirisme suite à la morsure d’une chauve-souris contaminée tandis qu’il travaillait en Amérique Centrale plusieurs années plus tôt. Tristement privilégié, le voilà devenu le dernier homme vivant sur la planète, en butte à des cadavres récalcitrants transformés en vampires assoiffés de sang.

Je suis une légende 64 - photo

Ôtant au mythe classique du vampirisme ses atours paranormaux afin de l’inscrire pleinement dans la science-fiction, le texte de Matheson insistait sur les nombreuses recherches scientifiques effectuées par son anti-héros pour comprendre le métabolisme des monstres, détournant du même coup les fameuses règles établies par Bram Stoker dans « Dracula ». D’où des réflexions généralistes telles que « tout ce qui les concernait était décidément bizarre : le fait qu’ils se cachent le jour, qu’ils évitent l’ail, qu’il faille les exterminer avec un pieu, l’effroi que leur inspirait la vue d’une croix, leur supposée terreur à l’endroit des miroirs… » Le film, lui, se concentre surtout sur l’organisation drastique que Morgan s’impose quotidiennement pour survivre et éviter la folie. Vincent Price, impeccable comme toujours, campe ce héros désabusé et épuisé.

L'ancêtre de La Nuit des Morts-Vivants ?

Loin des standards capés aux dents longues, les vampires se comportent ici comme des zombies. Vêtus comme le jour de leur mort, le teint blafard, la démarche traînante, les gestes désordonnés, ils assaillent toutes les nuits la maison de Morgan, faisant écho aux sombres avertissements proférés par le héros de Matheson : « voulez-vous ramper hors de la tombe tels des monstres vomis par l’enfer ? ». George Romero s’en inspirera très explicitement lorsqu’il réalisera quatre ans plus tard sa célèbre Nuit des Morts-Vivants. Les deux films baignent dans le même désespoir désenchanté et le même réalisme cru. Car ici, toute stylisation est évacuée. Les décors sont réels, la lumière naturaliste, la caméra sur le qui-vive, et cet aspect pseudo-documentaire renforce le cauchemar de la situation. Co-production américano-italienne, Je suis une Légende évoque aussi par moments certains exercices d’épouvante de Mario Bava ainsi que la série des adaptations d’Edgar Poe par Roger Corman où Vincent Price tient justement la vedette, en particulier dans cette scène éprouvante où l’épouse de Morgan, fraîchement enterrée, revient lui rendre visite sous forme de cadavre ambulant. Le film s’achève sur un final nihiliste et désespéré, qui trouvera lui aussi un écho dans le chef d’œuvre de George Romero.

 
© Gilles Penso

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