ANGEL HEART (1987)

Alan Parker filme la lente descente aux enfers d’un détective privé engagé par un mystérieux commanditaire

ANGEL HEART

 

1987 – USA / CANADA / GB

 

Réalisé par Alan Parker

 

Avec Mickey Rourke, Robert de Niro, Lisa Bonet, Charlotte Rampling, Stocker Fontelieu, Brownie McGhee

 

THEMA DIABLE ET DÉMONS

Alan Parker est un cinéaste fascinant. Capable de passer instantanément d’un genre à l’autre, il imprime à chacun de ses films un style unique, ancré dans les années 80 et pourtant résolument atemporel. Quelle que soit l’histoire qu’il décide de raconter, sa « patte » est immédiatement reconnaissable. Personne n’utilise la musique comme il le fait. Personne n’éclaire ses plans comme lui. Pour n’importe quel metteur en scène, monteur ou directeur de la photographie, visionner un film d’Alan Parker est la meilleure des leçons de cinéma. Après le film de gangsters en culottes courtes Bugsy Malone, l’oppressant drame carcéral Midnight Express, la cultissime comédie musicale Fame, la tragédie désespérément quotidienne L’Usure du temps, le film d’animation surréaliste Pink Floyd : The Wall et le splendide drame poétique Birdy, Parker s’attaque à l’adaptation du roman « Falling Angel » (« Le Sabbat dans Central Park ») écrit en 1978 par William Hjorstberg. C’est l’occasion pour lui de pousser encore plus loin les expérimentations. Non content d’élargir sans cesse son exploration des genres cinématographiques, il décide ici d’en mixer deux à priori peu compatibles : le film noir à l’ancienne, descendant d’un long héritage remontant aux années 40, et le conte horrifique puisant ses racines dans les cérémonies vaudou, la sorcellerie et l’adoration du Mal. Angel Heart est le fruit de ce croisement contre-nature, une perle vénéneuse unique en son genre.

Nous sommes dans le New York de 1955. Mickey Rourke, dont le jeu désinvolte évoque celui de Bruce Willis en début de carrière, incarne Harry Angel, un détective privé sans le sou, imbibé de tabac et d’alcool, vivotant grâce aux petites enquêtes qu’on veut bien lui confier sporadiquement. Un jour, il est contacté par un cabinet d’avocat qui souhaite lui faire rencontrer l’un de ses clients : un certain Louis Cyphre (Robert de Niro, dont la présence magnétique repose sur un jeu tout en retenue). Ce dernier souhaite confier à Angel une investigation très particulière : retrouver Johnny Favorite, un ancien crooner défiguré et devenu amnésique depuis son retour de la guerre. Le détective sent que l’affaire est trop grosse pour lui, mais l’importante somme d’argent que Cyphre est prêt à lui céder finit par le convaincre. L’enquête que mène Angel le transporte en Louisiane, contrairement au roman qui ne quittait pas New York. La grisaille de Brooklyn, accentuée par une photographie presque monochrome, cède ainsi le pas à une palette de couleurs plus vaste. Et parmi ces couleurs, le rouge sang occupe bientôt une place alarmante. Car tous ceux que le privé interroge finissent atrocement massacrés, tandis que le fin mot de l’histoire semble se rattacher aux rites vaudou et à un culte d’adorateurs des forces démoniaques.

Voyage au bout de l'enfer

Le choc des univers – d’un côté la tangibilité moite d’une ville du vingtième siècle qui charrie la misère sur ses trottoirs délavés, de l’autre les croyances séculaires d’une Louisiane hors du temps où le diable semble se nicher dans le moindre recoin – s’illustre dans chaque confrontation des deux acteurs-clé du drame : Harry Angel et Louis Cyphre. L’un est débraillé, mal rasé, le cheveu gras, le manteau trop grand, les yeux fuyants ; l’autre est ceint dans un costume noir impeccable, la barbe drue, le regard noir, une canne d’un autre âge dans la main, les ongles anormalement effilés. Même si Robert de Niro n’occupe l’écran qu’en creux, par ponctuations mesurées, sa présence irradie tout le métrage. Et c’est bien dans le choc du naturel et du surnaturel qu’Angel Heart puise toute sa force. La violence et la mort n’en sont que plus marquantes. Ce jeu des contrastes se répercute dans la bande originale de Trevor Jones, appuyant les plaintes mélancoliques d’un saxophone sur des nappes angoissantes, ou laissant les arpèges d’un piano désaccordé se poser sur un rythme de percussions pesantes. Jalonné d’images récurrentes et obsessives pas immédiatement compréhensibles, le film d’Alan Parker ne révèle ses mystères qu’au fur et à mesure, ces gros plans réguliers de pales de ventilateurs ou cet ascenseur aux portes grillagées qui descend dans l’obscurité ne prenant tout leur sens qu’en toute fin de métrage.

 

© Gilles Penso

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LE MÉTÉORE DE LA NUIT (1953)

Un classique de la SF des années 50, réalisé par Jack Arnold d’après une nouvelle de Ray Bradbury

IT CAME FROM OUTER SPACE

 

1953 – USA

 

Réalisé par Jack Arnold

 

Avec Richard Carlson, Barbara Rush, Charles Drake, Kathleen Hugues, Russel Johnson

 

THEMA EXTRA-TERRESTRES

Le Météore de la Nuit est le troisième long-métrage de Jack Arnold et sa première incursion dans la science-fiction, un genre dans lequel il allait pleinement s’épanouir en lui offrant quelques classiques indémodables. A l’origine du projet se trouve une nouvelle de Ray Bradbury, « The Meteor », qui séduit le producteur William Alland. Pas encore porté aux nues par ses best sellers « Fahrenheit 451 » ou « Chroniques Martiennes », le jeune romancier rédige lui-même une adaptation de son court récit, sous forme d’un traitement détaillé et dialogué qui sera ensuite peaufiné et finalisé par le scénariste Harry Essex. L’intrigue se situe dans une petite ville d’Arizona où l’astronome John Putnam (Richard Carlson) et l’institutrice Ellen Fields (Barbara Rush) se content fleurette par une belle nuit étoilée. Soudain, un étrange objet lumineux tombe des cieux et vient s’écraser en plein désert. Ce qu’ils prennent d’abord pour une météorite est en réalité un vaisseau spatial aux allures de grande sphère couverte d’alvéoles. A l’intérieur se trouvent d’hideuses créatures cyclopéennes.

A l’origine, le département des maquillages spéciaux d’Universal, dirigé par Bud Westmore, avait envisagé un autre design pour les monstres extra-terrestres, sous forme d’êtres humanoïdes cuirassés affublés d’une tête d’insecte au cerveau apparent, d’yeux globuleux et de pinces en guise de mains. Ce concept, très frappant visuellement, ne fut pourtant pas jugé adapté au scénario, et fut conservé pour un autre film : Les Survivants de l’Infini de Joseph Newman (1955). Dans Le Météore de la Nuit, les aliens sont finalement des espèces de blobs à l’œil unique, et sans doute leurs interventions auraient-elles été involontairement drôles si la caméra s’était attardée trop longtemps sur eux. Jack Arnold a donc l’intelligence de jouer la carte de la furtivité, adoptant souvent une vue subjective déformante, aux accents menaçants de la partition supervisée par Joseph Gershenson.

« Nous avons une âme et nos cœurs sont purs… »

Le principe des « body snatchers », qu’allait populariser quelques années plus tard L’Invasion des Profanateurs de Sépultures, est au cœur du récit, puisque les extraterrestres imitent les traits des Terriens. Mais le manichéisme y est moins prononcé, les aliens ne cherchant nullement à conquérir la Terre mais tout simplement à passer inaperçus pour pouvoir réparer leur vaisseau et regagner leur planète natale. « Nous avons une âme et nos cœurs sont purs », déclarent-ils d’ailleurs pour rassurer les humains. « Ce que nous ne comprenons pas, nous voulons le détruire », reconnaît John, exprimant sans équivoque le véritable sujet du film : l’intolérance et la peur de l’inconnu. Les succès respectifs de Bwana Devil et L’Homme au Masque de Cire, pionniers dans l’utilisation de la prise de vue en relief adaptée au long-métrage, poussent le studio Universal à employer un procédé voisin pour Le Météore de la Nuit, qui sera ainsi le tout premier film de science-fiction en 3D. Le succès du film incita de nombreux studios à tourner leurs films suivants en stéréoscopie, et Jack Arnold lui-même réutilisa le procédé dans L’Etrange Créature du Lac Noir et La Revanche de la Créature.

 

© Gilles Penso

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GIRLS WITH BALLS (2018)

Une équipe de volleyeuses professionnelles se retrouve coincée au milieu d’une forêt où sévissent de dangereux psychopathes

GIRLS WITH BALLS

 

2018 – FRANCE

 

Réalisé par Olivier Afonso

 

Avec Manon Azem, Dany Verissimo, Denis Lavant, Camille Razat, Tiphaine Daviot, Anne Solenne Hatte, Artus, Orelsan, Guillaume Canet

 

THEMA TUEURS

Vétéran des effets spéciaux de maquillage depuis le début des années 2000, Olivier Afonso a créé l’atelier 69 et participé aux films de cinéastes aux styles aussi variés que Jan Kounen, Xavier Gens, Florent Emilio-Siri, Michel Gondry, Julien Maury, Alexandre Bustillo, Fabrice du Weltz ou Julia Ducournau. Membre incontournable de la famille restreinte du cinéma de genre français, il décide finalement de passer lui-même à la mise en scène en concoctant un film atypique qui se réclame autant de la comédie burlesque que du slasher horrifique. Un tel cocktail n’est pas si simple et se prête volontiers aux écueils. Mais le manque de complexes du réalisateur, sa bonne humeur communicative et sa générosité sans borne emportent immédiatement l’adhésion. Le point de départ a pourtant de quoi laisser perplexe : l’autocar d’une équipe de volleyeuses professionnelles s’égare dans des bois isolés où sévit un groupe de rednecks psychopathes et armés jusqu’aux dents qui décident de les prendre en chasse.

Afonso va jusqu’au bout de son concept, multipliant les scènes sanglantes excessives héritées de Sam Raimi ou de Peter Jackson, dirigeant avec enthousiasme un groupe de jeunes comédiennes prises d’une folle énergie et réservant quelques morceaux choisis à ses guest stars : Denis Lavant en chef effrayant d’une secte anthropophage, Orelsan en barde qui commente en musique les faits et gestes des héros (sous l’influence évidente du coq chanteur du Robin des Bois de Walt Disney), Artus en coach surexcité et pleutre ou encore Guillaume Canet en chef scout malsain. Le film est très drôle (si l’on accepte de jouer le jeu avec légèreté sans chercher un émule de la perfection de Shaun of the Dead ou Frankenstein Junior, références absolues dans le domaine de la parodie d’horreur),  très sanglant (avec une belle accumulation de gags gore désopilants), et réussit même l’exploit de nous faire momentanément oublier son caractère comique pour concocter des moments de suspense éprouvants ou de pure épouvante.

Bête et méchant !

On regrette évidemment qu’Olivier Afonso n’ait pas pu mener à bien quelques-unes de ses idées les plus délirantes, faute d’un budget adéquat. « Dans la première version du scénario, j’avais prévu la métamorphose de tous les méchants en cochons monstrueux », nous avoue-t-il, « mais je n’en ai pas eu les moyens. Je voulais aussi prolonger le gag à répétition du tueur décapité qui n’en finit pas de revenir dans le champ. Mais les moyens à ma disposition et mon planning étaient très limités. » (1) Ce qui ne l’empêche pas de diriger des scènes efficaces de combats et de poursuites, et de briser la linéarité de son intrigue à travers les histoires personnelles des héroïnes. Leurs rivalités ou leurs complicités se mêlent à l’action et permettent quelques surprenants retournements de situation, les plus héroïques d’entre elles n’étant pas forcément celles qu’on imagine. Bien sûr, Girls With Balls est loin d’être parfait et pèche sans doute par excès de gaudriole. Mais voilà une première œuvre qui ne place pas ses ambitions plus haut que son postulat, assume sa légèreté et même son caractère « bête et méchant ».

 

(1) Propos recueillis par votre serviteur en janvier 2018

 

© Gilles Penso

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CAP SUR LES ÉTOILES (1986)

Une astronaute de la NASA et cinq adolescents se retrouvent accidentellement propulsés dans l’espace à bord d’une navette à la dérive

SPACECAMP

 

1986 – USA

 

Réalisé par Harry Winer

 

Avec Kate Capshaw, Tom Skerritt, Lea Thompson, Tate Donovan, Larry B. Scott, Kelly Preston, Joaquin Phoenix, Frank Welker, Terry O’Quinn

 

THEMA SPACE OPERA

Au cours de la décennie 80, le cinéma et la télévision ont souvent réuni les deux ingrédients suivants : teenagers et technologie. Parmi les avatars réussis de ce cocktail figurent War Games de John Badham en 1983 ou encore la série Les Petits Génies (Whizkids). L’espace en tant qu’élément technologique devait donc logiquement devenir un terrain de jeu pour la génération née au début des années 70. Produit en 1986, Cap sur les étoiles narre les aventures de cinq adolescents, âgés de 12 à 18 ans, venus passer un séjour d’été dans le Spacecamp de Huntsville en Alabama. Notre sympathique petite troupe se retrouve sous la coupe d’Andie Bergstrom (Kate Capshaw), une astronaute de la NASA pas encore assignée à un vol de navette spatiale, qui va leur servir d’instructrice tout au long de leur séjour. Parmi ce groupe hétéroclite se trouve le jeune Max (Joaquin Phoenix) qui sert de souffre-douleur à Kevin (Tate Donovan). Cherchant à extérioriser sa colère à la suite d’une énième moquerie de son ainé, Max déclare qu’il voudrait réellement se retrouver dans l’espace. Il ne le sait pas mais son vœu le plus cher va être exaucé par Jinx, un robot expérimental de la NASA (préfigurant le Johnny 5 de Short Circuit), qui prend au pied de la lettre les mots du jeune homme. Quelques jours plus tard, notre petit groupe se retrouve autorisé à prendre place à bord de la navette spatiale Atlantis installée sur le pas de tir pour un test des moteurs. A l’insu de tous, le robot provoque alors un incident qui oblige les contrôleurs de vol de Cap Kennedy à lancer la navette dans l’espace avec les cinq enfants et leur instructrice à bord. L’objectif pour cet improbable équipage est désormais de revenir au sol le plus vite possible après moult péripéties en orbite autour de la Terre.

Sorti le 6 juin 1986, Spacecamp a été un monumental bide. Sorte de Gravity pour enfants, ce petit film manque cruellement de crédibilité. Dans la réalité, le postulat de base n’a aucune chance d’arriver. Lorsqu’on teste en conditions réelles les moteurs d’une fusée, toute présence humaine est en effet exclue dans un rayon d’au moins plusieurs centaines de mètres. Cap sur les étoiles a toutefois le mérite de montrer un lieu parfaitement authentique puisque le Spacecamp de Huntsville existe réellement. Depuis 1982, les jeunes gens du monde entier viennent s’initier aux différents métiers de l’espace en utilisant du matériel déclassé de la NASA. L’une des principales installations de l’agence spatiale américaine est basée à proximité.

Un contexte défavorable

Côté acteurs, Kate Capshaw a troqué sa tenue de chanteuse de cabaret d’Indiana Jones et le temple maudit pour un scaphandre. Madame Spielberg fait ce qu’elle peut mais n’est certainement pas aussi crédible que le sera Sandra Bullock 26 ans plus tard dans Gravity. Tom Skerrit est, au propre comme au figuré, quasiment invisible. En contrôleur de vol, on distinguera furtivement Terry O’Quinn, le John Locke de la série Lost. On reconnaitra également la regrettée Kelly Preston dans l’une de ses toutes premières apparitions. Et dans le rôle du jeune Max, c’est Joaquin Phoenix qui fait ici ses premières armes. Mais outre ses évidentes faiblesses, le contexte qui a entouré la sortie du film n’a pas été favorable puisque le 28 janvier précédent, la navette spatiale Challenger explosait après seulement 73 secondes de vol, tuant du même coup les sept membres d’équipage de la mission STS-51L. La conséquence au box-office a été sans appel. Spacecamp n’a rapporté que 10 millions de dollars pour un budget de départ de 25 millions. Ce fut le dernier film produit par la société ABC Motion Pictures, dissoute fin 1985.

 

© Antoine Meunier

 

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BLOOD MACHINES (2019)

Un space opéra lyrique et surréaliste réalisé par deux artistes passionnés compensant leur budget très modeste par une inventivité en effervescence

BLOOD MACHINES

 

2019 – FRANCE

 

Réalisé par Seth Ickerman

 

Avec Elisa Lasowski, Anders Heinrichsen, Christian Erickson, Natasha Cashman, Walter Dickerson, Joëlle Berckmans, Alexandra Flandrin

 

THEMA SPACE OPERA ROBOTS ET INTELLIGENCE ARTIFICIELLE

Derrière le pseudonyme énigmatique Seth Ickerman se cachent deux réalisateurs français au talent fou et à l’audace insolente, Raphaël Hernandez et Savitri Joly-Gonfard, bravant leur manque de moyens et la défiance compréhensible de la plupart des producteurs et distributeurs de l’industrie cinématographique « classique » par un enthousiasme communicatif, une opiniâtreté inébranlable et un savoir-faire impressionnant. En 2011, ils nous avaient subjugués avec Kaydara, un moyen-métrage de science-fiction qui semblait coûter mille fois plus que son budget réel et n’avait finalement qu’un défaut majeur : construire son intrigue en marge de la franchise Matrix au lieu de s’épanouir dans un univers original propre à ses auteurs. C’est le lot de tous les fan-films, si réussis soient-ils, fixant leurs limites narratives et empêchant la moindre exploitation commerciale de l’œuvre. Mais Kaydara joua son rôle de bande-démo et permit aux duettistes d’adapter leur expertise technique aux besoins de nombreuses compagnies prestigieuses (LG, Ubi Soft, Samsung) jusqu’à la réalisation du clip Turbo Killer pour l’artiste Carpenter Brut (alias Franck Hueso) dont l’influence majeure – comme son pseudonyme l’indique en partie – est la musique synthétique des années 80. L’expérience fut un succès et posa les jalons de leur projet suivant : le film Blood Machines.

S’il présente de nombreuses similitudes avec le clip Turbo Killer, Blood Machines n’en est pas vraiment une séquelle mais plutôt une variante, quittant la terre ferme pour s’envoler dans l’espace. Vascan (Anders Heinrichsen) et Lago (Christian Erickson) sont deux pilotes chargés de traquer une machine qui semble vouloir s’émanciper. Ils parviennent à l’abattre et rejoignent la planète sur laquelle elle s’est écrasée. Là, ils reçoivent l’accueil glacial de la mystérieuse Corey (Elisa Lasowski) et de son groupe de prêtresses, dont la mission semble être de préserver l’âme des machines. Vascan répond à cette attitude par un mépris amusé, jusqu’à assister à un phénomène totalement inattendu : la forme spectrale d’une jeune femme nue comme un premier né s’extrait de la carcasse métallique de l’épave abattue et prend son envol. Abasourdi, Vascan fait de Corey sa prisonnière et décolle aussi sec pour partir à la poursuite de la forme féminine à travers le cosmos, dans l’espoir de comprendre la nature de ce phénomène… L’odyssée spatiale qui commence transcende dès lors la narration traditionnelle pour se vivre comme un « trip », un voyage sensoriel inédit rythmé sur les compositions électroniques de Carpenter Brut.

Le fantôme dans la machine

Dès ses premières secondes, Blood Machines annonce la couleur : le spectacle qui nous attend échappe aux normes et aux codes habituels de la science-fiction. Les vaisseaux spatiaux ressemblent à des oiseaux mécaniques capables de se déployer ou de se rétracter à loisir, les ordinateurs de bord ne se contentent pas d’adopter une voix féminine mais en possèdent également les attributs physiques (en l’occurrence une relecture psychédélique du robot Maria de Metropolis) et le postulat dépasse le questionnement habituel de l’intelligence artificielle pour s’intéresser à l’âme artificielle. Bien plus qu’un prétexte scénaristique, ce point de vue décrit la démarche du film tout entier, sollicitant moins l’intellect des spectateurs que ses émotions. Car si la trame reste intelligible – une course poursuite cosmique visant à ramener l’étrange « objet » échappé de la machine – elle s’efface progressivement derrière une succession de tableaux surréalistes vertigineux fusionnant l’organique et le mécanique jusqu’à positionner la Femme avec un grand F au centre de l’univers. Cette expérience fascinante mérite bien sûr d’être vécue sur un grand écran et laisse rêveur sur le potentiel de ces deux intrépides réalisateurs qu’aucun challenge technique ou artistique ne semble impressionner.

 

© Gilles Penso

 

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BATMAN – LE FILM (1966)

La série TV kitschissime des années 60 se transforme en long-métrage tout aussi délirant, multicolore et décomplexé

BATMAN – THE MOVIE

 

1966 – USA

 

Réalisé par Leslie H. Martinson

 

Avec Adam West, Burt Ward, Lee Meriwether, Cesar Romero, Burgess Meredith, Frank Gorshin, Alan Napier

 

THEMA SUPER-HÉROS I CLOWNS I SAGA BATMAN I DC COMICS

Imaginé en 1939 par Bob Kane et Bill Finger pour le n°27 de la revue Detective Comics, Batman creva l’écran dès les années quarante à l’occasion de deux serials jouant la carte de l’aventure feuilletonnante : Batman de Lambert Hillyer en 1943, et Batman & Robin de Spencer Gordon Bennett en 1949, avec respectivement Lewis Wilson et Robert Lovery sous le masque noir. Mais c’est surtout la série télévisée semi-parodique Batman réalisée par William Dozier entre 1966 et 1968, avec Adam West dans le rôle titre, qui marqua les mémoires. Le succès de cette adaptation délicieusement kitsch fut tel qu’une variante pour le grand écran s’offrit généreusement aux spectateurs dès 1966, sous la houlette du réalisateur Leslie H. Martinson. Dans ce long-métrage excessif, tourné entre les deux premières saisons de la série, l’homme chauve-souris et son fidèle Robin entrent en lutte contre les quatre grands du crime qui ont enlevé l’inventeur d’un procédé permettant de déshydrater les corps et de les réduire, avant de kidnapper les membres du conseil de sécurité de l’ONU.

Reprenant très fidèlement tous les éléments thématiques, stylistiques et narratifs de la série TV, ce Batman version cinéma est parfaitement grotesque si on se contente de l’appréhender tel quel au premier degré, mais s’avère tout à fait savoureux lorsqu’on se prend au jeu du pastiche au second degré. L’une des scènes les plus hilarantes, à ce titre, est cette course effrénée de Batman soucieux de se débarrasser d’une bombe sur un port peuplé de badauds innocents, de couples d’amoureux, d’enfants jouant ou de canards s’ébattant gaiment ! D’emblée, le ton du film est donné avec ce requin tenace (en caoutchouc bien sûr) qui s’accroche à la jambe du justicier, suspendu au bout d’une échelle au Batcoptère piloté par le « petit génie » Robin. Après avoir vainement tenté de chasser le squale, Batman s’en débarrasse à l’aide d’un vaporisateur « anti-requins » !

Le best-of des super-vilains

Les vilains les plus populaires de la série (le Joker, le Pingouin, le Sphinx et Catwoman) unissent ici leurs forces pour perpétrer leurs méfaits, comme pour donner à ce film les allures d’un « best of ». Si les trois premiers super-méchants rivalisent de ridicule, une touche sexy bienvenue nous est offerte par la femme chat (Lee Meriwether) dont la contrepartie en civil, Miss Kitka, séduit Bruce Wayne dans les grandes règles de l’art : dîner au violon, promenade nocturne dans un fiacre, dernier verre dans un luxueux appartement, le tout dans une ambiance délicieusement sixties digne d’un film de Blake Edwards. Au détour de ses débordements cartoonesques, le film se permet parfois quelques jolies envolées lyriques, notamment lorsque les vilains chevauchent des parapluies, comme des sorcières qui se seraient échappées du Magicien d’Oz. Relatif échec au box-office, ce Batman déçut un public qui s’attendait sans doute à autre chose qu’une simple répétition des épisodes télévisés sous forme de long métrage. Aujourd’hui, bien sûr, les amateurs de kitsch le revoient inlassablement avec une délectation toujours accrue.

 

© Gilles Penso

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BIRDS OF PREY ET LA FANTABULEUSE HISTOIRE DE HARLEY QUINN​ (2020)

L’anti-héroïne acidulée de Suicide Squad s’émancipe et bénéficie de son propre long-métrage

BIRDS OF PREY (AND THE FANTABULOUS EMANCIPATION OF ONE HARLEY QUINN)

 

2020 – USA

 

Réalisé par Cathy Yan

 

Avec Margot Robbie, Mary Elizabeth Winstead, Jumee Smollett-Bell, Rosie Perez, Chris Messina

 

THEMA SUPER-HEROS I SUPER-VILAINS I SAGA DC COMICS

Tout commence par un chagrin d’amour, et pour combler le manque, une envie de cheeseburger au petit-déjeuner qui doit être payé en partie à crédit. Non seulement Harley Quinn est seule, pauvre, et noie son chagrin dans l’alcool, mais celle qui fut le docteur Harleen Quinzel n’est toujours pas à l’abri de ses propres troubles de la personnalité. Cependant, même si toute la ville profite qu’elle n’ait plus la protection du Joker pour chercher à se venger, elle ne se laisse pas abattre et retrouve le sourire grâce à une hyène qu’elle sauve de l’enfermement, l’animal sauvage se révélant bien plus humain que les hommes de Gotham ! Jolie métaphore et bon exemple de l’humour second degré qui anime cet agréable film d’action/comédie post #metoo. Si ce n’est pas la première fois qu’une héroïne badass sur le papier est portée à l’écran par une réalisatrice (cf. Tank Girl de Rachel Talalay en 1995), c’est en revanche la première fois que les filles prennent totalement le pouvoir sur une licence de cette envergure, de la production (Margot Robbie), à l’écriture (Christina Hodson) en passant par la réalisation (Cathy Yan).

Sans surprise, Margot Robbie crève l’écran dans chaque plan du film, avec ses tenues acidulées mi-punk (entre Debbie Harry et Nina Hagen), mi-cheerleader (avec ses pom poms détournés et sa batte de baseball en main). Autour d’elle sont réunies d’autres héroïnes issues de l’univers des DC Comics : Huntress (Mary Elisabeth Winstead, vue entre autres dans Boulevard de la Mort de Tarantino), et  Black Canary (Jurnee Smollett-Bell, vedette du petit écran), membres du groupe vedette du comic book « Birds of Prey » ; Renee Montoya, détective en mal de promotion à cause d’une dépendance à l’alcool, vue notamment dans la série animée Batman, interprétée par Rosie Perez, qui avait entre autres marqué les années 80-90 dans Do The Right Thing de Spike Lee ou dans Perdita Durango d’Alex de la Iglesia ; Cassandra Cain (interprétée par Ella Jay Basco), fille de David Cain et Lady Shiva, ennemis de Batman, qui en fait finalement sa protégée, tout comme Harley Quinn.

Une équipe de choc

Le film nous en met plein les yeux question couleurs, action, beauté des protagonistes féminines, décors, successions de combats façon jeu de plateforme. Pourtant, en grattant un peu le vernis de cette fantabuleuse émancipation d’Harley Quinn, se révèle en filigrane une palette de sentiments profonds et une peinture de notre monde, égoïste et violent, qui a mal digéré sa culture pop. Chacun y est capable d’aimer l’autre provisoirement, comme de le trahir par intérêt. Dans les méandres de l’action, ces cinq personnages de femmes, sortes de Spice Girls augmentées et rebelles, vont s’émanciper chacun à sa manière, de la souffrance, du deuil, de la hiérarchie, de la mauvaise éducation, de la dépendance affective ou financière, avec le cri libérateur et ravageur de Black Bird (#girlpower, #blacklivesmatter) qui inscrit le film dans son époque. Harley Quinn sauve in extremis sa réputation de bad girl en évitant une fin trop moralisatrice, ce qui nous permet d’attendre une suite à cette franchise, de préférence avec la même équipe et surtout la même réalisatrice !

 

© Quélou Parente

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THE TRUMAN SHOW (1998)

Jim Carrey incarne un homme qui, sans le savoir, est le héros de l'émission de télé-réalité la plus populaire de tous les temps

THE TRUMAN SHOW

 

1998 – USA

 

Réalisé par Peter Weir

 

Avec Jim Carrey, Laura Linney, Noah Emmerich, Natascha McElhone, Ed Harris, Holland Taylor, Brian Delate, Una Damon, Peter Krause, Paul Giamatti

 

THEMA CINÉMA ET TÉLÉVISION

Peter Weir adapte avec The Truman Show un scénario passionnant d’Andrew Niccol, par ailleurs auteur/réalisateur de Bienvenue à Gattaca, Simone et Lord of War. Offrant à Jim Carrey son premier vrai rôle dramatique, The Truman Show présente surtout l’intérêt de prophétiser de manière ludique – mais non moins angoissante – un avenir possible de la télé-réalité, alors en plein essor sur tous les continents. Variante cathodique de la série Le Prisonnier, ce récit paranoïaque nous présente Truman Burbank, un jeune homme qui, sans le savoir, est héros d’un show télévisé réalisé par le mégalomane Christof (Ed Harris). Né et élevé dans une gigantesque ville témoin, ne fréquentant que des comédiens prétendant être ses proches, il ne se doute pas que des téléspectateurs du monde entier épient avidement chacun de ses faits et gestes. Mais un jour, un grain de sable vient enrayer la machine, et Truman commence à se poser quelques questions sur la véracité du monde qui l’entoure.

Si en l’état The Truman Show est une perle rare qui touche à la perfection, la juste tonalité ne fut pas si simple à trouver. Face à la noirceur pessimiste des premières versions du scénario d’Andrew Niccol, le studio Paramount commença à s’inquiéter. Pour un film budgété à 60 millions de dollars, avec Jim Carrey en tête d’affiche, il fallait tout de même trouver un moyen de ne pas trop brusquer le grand public. Peter Weir lui-même souhaitait plus de légèreté dans ce récit, sans pour autant lui ôter sa force et sa substance. La carrière passée du cinéaste avait prouvé sa capacité à adapter aux codes hollywoodiens des thématiques complexes – et à priori anti-commerciales (Witness, L’Année de tous les dangers, Le Cercle des poètes disparus). Pendant que Niccol s’escrima à réécrire le script maintes et maintes fois (il y aura seize versions du scénario), Weir en profita pour écrire l’histoire et le passé de tous ses personnages, sous forme de mémos particulièrement détaillés.

Le dieu télévision

Il fallut certes un temps d’ajustement entre le cinéaste et sa star, mais une fois leur rythme trouvé, les choses allèrent bon train. Peter Weir laissa même parfois la bride sur le cou de Jim Carrey, non pour le pousser à multiplier devant la caméra ses facéties habituelles mais plutôt pour l’inciter à s’exprimer librement dans un cadre donné, comme dans cette séquence empreinte de poésie – et non prévue – dans laquelle Truman se dessine une tenue de cosmonaute avec du savon dans le miroir de la salle de bains. Les dons de pantomime de Carrey, que Weir avait détectés en visionnant Ace Ventura (et qui lui firent penser à Charlie Chaplin), sont donc mis à contribution dans un registre moins exubérant qu’à l’accoutumée. Pour la carrière du comédien, The Truman Show marque un tournant décisif. Formidable pamphlet contre le voyeurisme et pour la préservation de l’intimité (si « true man » signifie en anglais « un homme vrai », ce n’est sans doute pas un hasard), The Truman Show dénonce l’escalade au sensationnalisme des directeurs de chaîne, la vacuité des programmes télévisés et l’élévation de la télécommande au statut de décisionnaire tout puissant – comme le prouve un judicieux clin d’œil final.

 

© Gilles Penso

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FREAKS, LA MONSTRUEUSE PARADE (1932)

Sœurs siamoises, hommes-troncs, femmes à barbe et autres étranges créatures s’animent dans le cirque monstrueux du réalisateur de Dracula

FREAKS

 

1932 – USA

 

Réalisé par Tod Browning

 

Avec Daizy Earles, Wallace Ford, Harry Earles, Olga Baclanova, Leila Hyams, Roscoe Ates, Henry Victor, Rose Dione, Daisy et Violet Hilton

 

THEMA FREAKS

Face au succès des films d’horreur produits par le studio Universal, la compagnie MGM ne pouvait rester les bras croisés. Mais comment apporter sa pierre à l’édifice sans plagier Dracula et Frankenstein ?  La réponse à cette épineuse question fut trouvée dans « Spurs », un mélodrame écrit par Tod Robins et situé au beau milieu des phénomènes de foire d’un cirque, dont on décida de tirer un long-métrage budgété à 316 000 dollars. Le choix du réalisateur Tod Browning est évidemment lié au fait qu’il dirigea Bela Lugosi dans Dracula, avec le succès que l’on sait, mais ce n’est pas la seule raison. Browning passa en effet ses jeunes années dans les milieux du music-hall, de la foire et du cirque, connaissant donc comme sa poche l’univers décrit par « Spurs ».

Le scénario, rédigé par Willis Goldbeck, se situe sous un chapiteau où s’exhibent de vrais monstres biologiques : nains, hommes-troncs, culs de jatte, femmes à barbe… Dans cet univers pour le moins atypique, l’écuyère Cléopâtre s’éprend du nain Hans et le pousse à abandonner sa fiancée. Elle rêve de l’épouser, mais en réalité la belle en veut à son héritage et entretient une liaison avec l’Hercule du cirque. Lorsqu’ils découvrent ses noirs desseins, les « freaks » lui tendent un piège et préparent une terrible vengeance. Tod Browning joue ainsi le jeu du manichéisme inversé, révélant la dignité et l’humanité des êtres les plus laids et dévoilant sous des atours séduisants la pire hideur morale. Mais les phénomènes contrefaits ne restent pas victimes jusqu’au bout, et lorsqu’ils se transforment en bourreaux, la situation s’inverse pour s’achever sur une chute très cruellement ironique.

Une cohabitation difficile

Désireux d’éviter les effets spéciaux pour solliciter de véritables phénomènes de foire, Tod Browning trouve son bonheur au sein du cirque Barnum, au grand dam de l’équipe du film qui vit très mal cette cohabitation avec de tels comédiens. Les techniciens s’écartent avec dégoût, les autres acteurs ne veulent pas déjeuner avec eux, même le monteur s’indispose. La situation est presque invivable, mais elle n’est finalement que le reflet des travers que le cinéaste cherche à dénoncer à travers cette fable prônant un certain droit à la différence et à la tolérance. Le spectacle de ces humains difformes est troublant parce qu’il renvoie aux autres leur propre peur de l’anormalité, une peur qui contamine bien sûr les spectateurs, forcément mal à l’aise pendant la projection de cette Monstrueuse Parade. La nature même du film brouille aussi les cartes, puisque si chacun le considère comme un film d’horreur – et même un chef d’œuvre du genre –, il ne met en réalité en scène aucune créature surnaturelle mais des monstres bien réels. Le Fantastique n’existe finalement qu’à travers le regard du public, si l’on excepte peut-être le final qui, lui, sacrifie plus frontalement aux règles du genre. Suite aux réactions outrées provoquées par les projections test, le montage fut tronqué de près de 25 minutes. Interdit pendant trente ans sur le territoire anglais, le film connaîtra un cruel échec au box-office mondial, et ce n’est qu’au fil des ans qu’il gagnera ses galons de classique incontournable.

 

© Gilles Penso

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THE VIGIL (2019)

Un homme ayant perdu la foi accepte de veiller le corps d’un défunt, au risque d’y laisser son âme…

THE VIGIL

 

2019 – USA

 

Réalisé par Keith Thomas

 

Avec Dave Davis, Menashe Lustig, Malky Goldman, Fred Melamed, Lynn Cohen, Ronald Cohen, Nati Rabinowitz, Moshe Lobel, Lea Kalisch

 

THEMA DIABLE ET DÉMONS

Yakov Ronen (Dave Davis) appartenait à une communauté juive orthodoxe de Brooklyn dont il était l’un des piliers. Mais un violent traumatisme l’a poussé à renoncer à cette vie ultra-religieuse pour une existence plus « classique », optant pour la voie de l’assimilation. Il n’est pas seul dans ce cas, ce que confirment les petites réunions qu’il organise chez lui pour échanger avec d’autres anciens dévots souhaitant comme lui s’écarter d’une pratique trop rigoriste du judaïsme. Mais ce n’est pas un virage facile à amorcer, d’autant que Yakov a du mal à joindre les deux bouts. Un soir, Reb Shulem (Menashe Lustig), un des piliers de son ancienne communauté, le sollicite. En échange de quelques centaines de dollars, il lui demande de veiller un mort, conformément à la tradition. Il jouera le rôle de « chomer », autrement dit de « surveillant », d’où le titre du film. C’est une lourde responsabilité riche de sens, et Yakov n’est pas dupe : Shulem espère sans doute profiter de cette mission pour le « ramener dans le droit chemin ». Le besoin d’argent le pousse cependant à accepter. Il ignore que la nuit qu’il s’apprête à passer sera la plus longue et la plus terrifiante de son existence…

Le premier long-métrage de Keith Thomas emprunte une voie inattendue pour aborder le thème classique de la présence démoniaque et de la possession diabolique. D’ordinaire, c’est l’imagerie chrétienne qui est sollicitée et non la tradition juive. Mais plus que le passage du nouveau à l’ancien testament, c’est l’approche stylistique de Thomas qui marque une rupture notable. Loin du déferlement d’effets spéciaux et de la quête absolue d’un choc tous les quarts d’heure, The Vigil construit une atmosphère pesante à partir de presque rien, limite la quasi-totalité de son environnement au salon vieillot d’un appartement new-yorkais, resserre son intrigue autour d’un seul protagoniste et laisse l’imagination des spectateurs travailler à plein régime pour construire des terreurs primaires qui seront à peine visualisées, voire évoquées. Un homme seul, hanté par ses propres démons, un corps inerte recouvert d’un drap, quelques bougies vacillantes, une vieille dame sénile qui dort à l’étage supérieur… il n’en faut pas plus pour que le cauchemar s’instille et monte crescendo jusqu’au paroxysme. Toutes proportions gardées, la trilogie claustrophobe de Roman Polanski n’est pas loin. Certes, Keith Thomas ne se prive pas de quelques gimmicks un peu faciles mais diablement efficaces pour faire sursauter ses spectateurs, détournant un smartphone ou un téléviseur de leurs usages premiers pour semer la panique. Mais là n’est pas le vecteur principal des mécanismes d’épouvante de The Vigil.

Crise de foi…

Le choix d’un protagoniste ayant perdu la foi et qui sera contraint de la retrouver – ne serait-ce que provisoirement – pour affronter une entité démoniaque nous ramène directement à l’essence du scénario de L’Exorciste. William Friedkin lui-même, élevé dans le judaïsme avant de se tourner vers le christianisme, avait bâti son chef d’œuvre horrifique autour de cette question cruciale de la perte de foi. Et même si le héros de The Vigil troque le latin et l’eau bénite contre l’hébreu et les téfilines (autrement dit les phylactères portés près du cerveau et du cœur), la démarche est la même. Les rituels et les vêtements sacerdotaux ne sont finalement que les accessoires d’une certaine forme de spiritualité. Si ce n’est que d’autres spectres viennent flotter dans l’espace intérieur de cette nuit sans fin, le moindre n’étant pas celui de la Shoah. Malgré les limites qu’il s’impose volontairement, ce film d’horreur minimaliste reste un remarquable exercice de style, dont la réussite repose sur une belle conjonction de talents : une mise en scène millimétrée, une photo jouant sans cesse à cache-cache avec les zones d’ombre, une bande originale qui joue ses arpèges sur les nerfs des spectateurs et surtout l’interprétation à fleur de peau de Dave Davis.

 

© Gilles Penso

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