FANTOMAS (1964)

Louis de Funès et Jean Marais partagent la vedette de cette adaptation rocambolesque, burlesque et science-fictionnelle des romans de Souvestre et Allain

FANTOMAS

 

1964 – France / ITALIE

 

Réalisé par André Hunebelle

 

Avec Louis de Funès, Jean Marais, Mylène Demongeot, Jacques Dynam, Robert Dalban 

 

THEMA SUPER-VILAINS I SAGA FANTOMAS

En revoyant ce Fantomas délicieusement sixties, on s’étonne encore du curieux mélange quasi-surréaliste qu’il représente. Car il fallait oser marier les romans à mystère de Pierre Souvestre et Marcel Allain, les facéties grimaçantes de Louis de Funès, alors au début de son vedettariat malgré une filmographie déjà très longue, et l’espionnage science-fictionnel à la James Bond, assuré par un Jean Marais imperturbablement sérieux dans un double rôle qui nous ramène à sa performance bicéphale de La Belle et la Bête. Pour bien marquer ces deux facettes, c’est d’ailleurs le comédien Raymond Pellegrin qui lui prête sa voix lorsqu’il arbore le masque bleu de Fantomas. A vrai dire, c’est la personnalité même des deux acteurs vedette qui orienta la tonalité du film. De Funès aurait dû logiquement garder sa place de faire-valoir comique, comme à l’époque où il partageait l’écran avec Marais dans les films de cape et d’épée valorisant la fougue de la star du Bossu. Mais le réalisateur André Hunebelle, qui avait compris très tôt son immense potentiel en lui offrant son premier grand rôle dans Taxi, Roulotte et Corrida (en 1958), le laisse occuper ici le devant de la scène et voler la vedette de Marais. D’où certaines tensions entre les deux têtes d’affiche, l’un s’apprêtant à devenir l’acteur le plus populaires du cinéma français, l’autre étant déjà sur la pente descendante.

Au début du film, Fantomas (Marais) se fait passer pour le richissime Lord Shelton et achète d’inestimables bijoux avec un chèque truqué. Peu impressionné, le commissaire Juve (De Funès) fait le malin devant à la télévision en clamant : « Tu peux trembler, Fantomas. Tu peux bien avoir cent visages, tu n’as qu’une seule tête ! » De son côté, le journaliste Fandor (Marais toujours), avec la complicité de sa petite amie photographe (Mylène Demongeot), cherche le scoop qui le rendra célèbre. Il se grime alors en Fantomas (tout de noir vêtu, proche des serials de Louis Feuillade) et pose fièrement dans un cimetière. Il monte ainsi un canular et les ventes du journal « Le Point du Jour » grimpent d’un seul coup. Mais le vrai Fantomas ne l’entend pas de cette oreille et le kidnappe. Son superbe repaire, mi-gothique mi-baroque, s’orne d’arcades, de colonnes, de lustres, de chandeliers, d’une peau de zèbre, d’un miroir à dorures, de murs coulissants et d’un grand orgue digne du Fantôme de l’Opéra… « Je tue pas mal, bien sûr, mais toujours avec le sourire », affirme le super-vilain derrière son masque inoubliable conçu par Gérard Cogan. « Un procédé de mon invention me permet de reconstituer à la perfection la peau humaine », poursuit-il, épaulé par la mystérieuse Lady Beltham (Marie-Hélène Arnaud). « J’ai réalisé la plupart de mes forfaits avec le visage de mes propres victimes ». Et ce disant, il se grime successivement en Fandor puis en Juve. D’où une hilarante séquence de portrait-robot où tous les témoins décrivent le visage de De Funès.

Un festival de cascades vertigineuses

Même si, avec l’impitoyable recul des années, le film a pris un petit coup de vieux, la mayonnaise prend toujours. Malgré sa cinquantaine passée, Marais est ici en grande forme. La petite histoire dit qu’il accepta le rôle après que celui de l’agent secret OSS 117 lui soit passé sous le nez. Il se lance dans des bagarres échevelées, court sur les toits de Paris, s’accroche aux grues de chantier et aux hélicoptères, cavale sur les trains, comme le fera Jean-Paul Belmondo quelque dix ans plus tard. L’une des scènes les plus spectaculaires est une cascade automobile dans laquelle Mylène Demongeot et lui, dans une voiture sans freins, dévalent une route de montagne tortueuse au milieu des autres automobiles, jusqu’à ce que leur véhicule finisse à peu de choses près comme la 2CV de Bourvil dans Le Corniaud. S’ensuit une poursuite mouvementée en moto, en train, en bateau et enfin en sous-marin. Le tout aux accents d’une partition de Michel Magne qui rend un hommage délicieusement jazzy aux musiques de la saga James Bond. Quant à De Funès, il s’en donne à cœur joie, nous gratifiant d’un véritable best of de mimiques et de pitreries, multipliant les grimages intempestifs et pavant la voie qui le mènera au vedettariat.

 

© Gilles Penso

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MAUSOLEUM (1983)

Victime d’une malédiction ancestrale, la playmate Bobbie Bresee se transforme régulièrement en démon pour déchiqueter tous ceux qui passent à sa portée…

MAUSOLEUM

 

1983 – USA

 

Réalisé par Michael Dugan

 

Avec Bobbie Bresee, Marjoe Gortner, Norman Burton, Maurice Sherbanee, LaWanda Page, Laura Hippe, Sheri Mann

 

THEMA DIABLE ET DEMONS

Les intentions qui motivèrent la réalisation de Mausoleum semblent avoir été pour le moins simplistes : profiter des charmes de Bobbie Bresee, popularisée par les pages en papier glacé du magazine « Playboy », en construisant un film d’horreur autour de sa présence affriolante. Selon certaines rumeurs, une autre explication encore plus triviale justifie la mise en chantier du film : du blanchiment d’argent orchestré par le producteur Michael Franzese, connu pour ses activités mafieuses à New York. Quelle que soit la véracité de ces allégations, Mausoleum s’apprécie comme une série B dispensable mais distrayante dont les seuls véritables atouts sont la plastique de son actrice principale et les effets spéciaux de maquillage excessifs de John Carl Buechler.

À peine âgée de dix ans, la petite Susan Nomed (lisez son nom à l’envers et vous aurez un indice crucial sur la suite des événements !) assiste à l’enterrement de sa mère. En entrant dans le mausolée familial, elle tombe sous l’emprise d’un démon qui jette un sort à tous les premiers nés de la famille. Vingt ans plus tard, Susan est jeune femme blonde et gironde mariée à un psychiatre (Marjoe Gortner, échappé de Star Crash). Lorsqu’elle est prise d’accès de colère démoniaque, sa chambre s’emplit de fumigènes éclairés par des projecteurs rouges, ses yeux brillent et elle se met à décimer son entourage en utilisant des méthodes très variées. L’homme qui voulait l’obliger à danser dans un club, par exemple, finit brûlé dans sa voiture, laissant imaginer que Susan a des pouvoirs pyrokinétiques. Mais avec le gardien qui la regarde d’un peu trop près, elle adopte un autre mode opératoire : elle se promène les seins nus, l’attire dans la maison, lui fait l’amour, puis se transforme en démon et le met en pièces. Avec la mère de ce dernier, elle procède encore différemment : la malheureuse entre en lévitation et ses entrailles sortent de son corps ! Et que dire de ce livreur de fleur qu’elle aguiche avec un décolleté vertigineux et dont elle déchiquète le visage à distance en prenant des allures de sorcière ?

« Une régression schizophrénique extrême… »

Légitimement inquiet, son mari l’envoie consulter l’un de ses confrères. Celui-ci l’hypnotise et se retrouve illico plongé dans une sorte de remake de L’Exorciste, la belle ricanant soudain en retroussant les lèvres, tandis que ses yeux brillent d’une lueur verte étrange. Peu impressionné, le psychiatre diagnostique « une régression schizophrénique extrême se manifestant par des impulsions intérieures et des projections physiques extérieures avec des fantaisies vocales et faciales », ce qui ne veut pas dire grand-chose mais enrichit agréablement le dialogue de considérations pseudo-médicales. Le maquilleur John Buechler peut vraiment se lâcher au moment du climax du film, qui permet au démon d’apparaître dans toute sa monstruosité grotesque et difforme. Sorti brièvement aux États-Unis en 1983, Mausoleum vivra surtout grâce à son exploitation en VHS. La France lui réservera un accueil plutôt chaleureux, puisqu’il remportera le prix du public et le prix de la meilleure actrice lors du 13ème festival du Film Fantastique de Paris.

 

© Gilles Penso

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AD ASTRA (2019)

Brad Pitt traverse l’espace à la recherche de son père disparu et finit par perdre pied dans le vertige cosmique de cette quête initiatique

AD ASTRA

 

2019 – USA

 

Réalisé par James Gray

 

Avec Brad Pitt, Tommy Lee Jones, Donald Sutherland, Liv Tyler, Ruth Negga, Kimberly Elise, Loren Dean, Donnie Keshawarz

 

THEMA SPACE OPERA

James Gray n’est pas un cinéaste qu’on aurait a priori imaginé à la tête d’une saga de science-fiction transportant son héros aux confins de l’espace, le confrontant à des pillards du futur, l’entraînant dans des combats spatiaux en apesanteur, le plongeant au cœur de séquences de destruction à échelle titanesque… Tous ces éléments dignes d’un serial ou d’un roman pulp de science-fiction sont bien présents dans Ad Astra, mais le réalisateur de La Nuit nous appartient ne cherche pas pour autant à conter les exploits modernisés d’un Buck Rogers ou d’un Flash Gordon. Son style inimitable est toujours là, partagé entre la mélancolie, la sobriété, l’élégance et un certain désenchantement. Pour lui, cette odyssée de l’espace est avant tout un moyen de revisiter « Au cœur des ténèbres » de Joseph Conrad, qui demeure sa référence majeure. Brad Pitt incarne donc Roy McBride, un ingénieur et astronaute de la NASA qui, après avoir échappé de peu à la mort dans une séquence vertigineuse digne de Gravity, apprend que la Terre est menacée par des radiations électriques provenant de la planète Neptune. Or c’est dans cette zone qu’a disparu seize ans plus tôt son père (Tommy Lee Jones), un éminent astronaute fasciné par la recherche de formes de vie extra-terrestres. Pour remonter à la source de ces dangereuses surcharges électriques qui menacent l’équilibre de la Terre, Roy va devoir entamer un voyage spatial de longue haleine dans l’espoir de retrouver la trace de son père… et de sauver l’avenir de l’humanité.

L’aventure à grande échelle qui sert de prétexte à une quête du père absent par un garçon perdu nous évoque bien sûr l’une des thématiques récurrentes du cinéma de Steven Spielberg, et notamment le cœur de l’intrigue d’Indiana Jones et la dernière croisade. Mais si la recherche désespérée d’un lien paternel trop tôt rompu réunit les deux cinéastes, la comparaison s’arrête là. Car l’approche de James Gray se veut extrêmement réaliste, voire banalisée. Face à sa caméra, les péripéties les plus folles (la dégringolade 30 kilomètres au-dessus de la Terre, la course-poursuite sur la Lune, le corps-à-corps dans la fusée qui quitte la planète Mars) prennent une tournure étonnamment naturaliste, presqu’anodine. Malgré la dimension cosmique de cette épopée, le récit reste centré sur l’inexorable fuite en avant d’un explorateur solitaire. Et c’est justement cette narration à hauteur d’homme, ponctuée par la voix off maussade de Brad Pitt, qui dote Ad Astra d’une personnalité très particulière et d’un style unique.

Perdu dans l’espace

Les partis pris de James Gray dotent donc Ad Astra d’un indiscutable supplément d’âme. Selon la sensibilité de chaque spectateur, ce choix d’un rythme lent et répétitif sera vecteur d’une fascination quasi-hypnotique ou d’une certaine lassitude confinant à l’ennui. D’où probablement l’accueil mitigé que reçut le film, et qui ne lui permit qu’à peine de rentrer dans ses frais. Il faut aussi préciser que le métrage fit l’objet d’un bras de fer entre le réalisateur et la 20th Century Fox, entre-temps rachetée par le studio Disney. Cette discorde, portant principalement sur le dénouement du film, donna lieu à un compromis n’ayant finalement convaincu personne : ni Gray, ni Disney, ni une grande partie des spectateurs. Ad Astra reste pourtant un exercice de style captivant. Et c’est aussi, pour les cinéphiles, l’occasion de retrouver Tommy Lee Jones et Donald Sutherland en tenue d’astronautes près de vingt ans après le Space Cowboys de Clint Eastwood.

 

© Gilles Penso

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EXIT (2018)

Une journaliste part enquêter sur une tête de forage, ignorant que son investigation va se muer en descente aux enfers

CUTTERHEAD

 

2018 – DANEMARK

 

Réalisé par Rasmus Kloster Bro

 

Avec Christine Sønderris, Kresimir Mikić, Samson Semere, Adrian Heili, Salvatore Striano, Lilli Fernanda Kondrup, Rasmus Hammerich

 

THEMA CATASTROPHES

Découvert lors de la onzième édition du Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg où il rafla les deux plus grosses récompenses, l’Octopus d’Or décerné par le jury et le Prix du public, le premier long-métrage du jeune réalisateur danois Rasmus Kloster Bro aura mis deux ans à se frayer une place dans nos salles de cinéma, mais l’attente valait la peine. En effet, l’expérience de claustrophobie ultime vécue lors du visionnage de ce « film catastrophe intimiste » ne trouve pleinement son sens que si elle est vécue dans une salle obscure. L’efficacité d’Exit est d’autant plus remarquable que ses moyens sont extrêmement limités et que son instigateur fait ici ses premiers pas derrière la caméra. Le postulat est réduit à sa plus simple expression. Une journaliste (Christine Sonderris) se mêle à un groupe de techniciens œuvrant sur une tête de forage pour les photographier et recueillir leurs impressions. Pour y parvenir, elle doit entrer en immersion avec cette équipe exclusivement masculine et plonger dans les entrailles de la terre. Tout se passe bien jusqu’à ce qu’un accident imprévu l’enferme dans un sas de décompression avec deux ouvriers. A partir de là, l’enquête d’investigation se transforme en parcours du combattant cauchemardesque…

Exit puise sa force dans l’extrême réalisme de son approche, non seulement du point de vue de sa mise en scène (le spectateur ressent presque physiquement la claustrophobie, le vertige, la peur panique, l’inconfort extrême de la décompression) mais aussi des réactions de ses personnages. Le manichéisme et l’héroïsme n’ont pas leur place dans ce récit minimaliste où les instincts les plus primaires s’éveillent alors que la survie ne tient plus qu’à un fil. Empruntant le langage filmique du documentaire, Rasmus Kloster Bro prend conseil auprès de véritables techniciens de construction – dont certains apparaissent même dans le film en jouant leur propre rôle – et laisse place à l’improvisation pour capter le naturalisme qui donne à Exit tout son sel. Dans ce but, il travaille de près avec la comédienne Christine Sønderris, pôle d’identification immédiat des spectateurs et seul élément féminin du casting, bien que cette dernière composante soit quasiment accessoire aux yeux du cinéaste. « C’est le tempérament et le caractère de Christine qui m’ont donné envie de tourner avec elle, plus que le fait qu’il s’agisse d’une femme », confesse-t-il. « Je plaisantais d’ailleurs avec elle en lui disant que je l’aurais choisie même si elle avait été un homme ! » (1)

Le point de non-retour

Exit s’apprécie donc au maximum de son potentiel dans une salle pleine de spectateurs. En effet, pour reprendre directement les termes de Rasmus Kloster Bro, « il a été conçu comme une expérience collective » (2). Tout le monde retient son souffle en même temps, cale sa respiration sur celle de l’héroïne, essayant collectivement de percer l’obscurité du regard pour savoir ce qu’elle cache. La magie du cinéma opère alors dans toute sa splendeur. Le réalisateur décrit son film en ces termes : « c’est un survival claustrophobique, un film catastrophe à petite échelle, qui n’est donc pas du tout comparable avec ses homologues américains. » (3) Et de fait, au lieu des centaines de personnages de mise dans les superproductions cataclysmiques financées par les grands studios hollywoodiens, Exit ramène progressivement ses protagonistes au nombre d’une toute petite poignée, resserrant inexorablement son récit jusqu’au point de non-retour. Savoir que cette descente aux enfers ultra-réaliste a été en réalité filmée sur un minuscule site en construction à deux pas de la maison du réalisateur ne rend son visionnage que plus fascinant.

 

(1), (2) et (3) Propos recueillis par votre serviteur en septembre 2018

 

© Gilles Penso

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LES CLOWNS TUEURS VENUS D’AILLEURS (1988)

Les inventifs frères Chiodo imaginent une rencontre du troisième type délirante dans laquelle les envahisseurs extra-terrestres sont des clowns grimaçants

KILLER KLOWNS FROM OUTER SPACE

 

1988 – USA

 

Réalisé par Stephen Chiodo

 

Avec Grant Cramer, Suzanne Snyder, John Allen Nelson, John Vernon, Michael Siegel, Peter Licassi, Royal Dano

 

THEMA EXTRA-TERRESTRES I CLOWNS

Certains films naissent de manière insolite. S’il trottait depuis quelques années dans la tête des frères Chiodo (talentueux créateurs d’effets spéciaux à l’œuvre notamment sur la saga Critters), le projet des Clowns tueurs venus d’ailleurs ne fut pas vendu au producteur Moshe Diamant grâce à un scénario détaillé ou à un casting prestigieux, mais simplement avec la maquette d’un clown armé d’un pistolet futuriste, un poster provisoire et un synopsis de deux pages. « Il a regardé tout ça et nous a dit : “J’adore le titre !“ Et voilà comment les choses se sont passées » (1), raconte Stephen Chiodo. Avec à leur disposition un modeste budget de moins de deux millions de dollars, les trois frères rivalisent d’ingéniosité pour mettre sur pied ce film délirant qui n’est pas à proprement parler une parodie de série B de science-fiction mais un hommage énamouré à tout un pan du fantastique naïf et coloré dont furent bercés Stephen, Edward et Charlie Chiodo pendant leur enfance. Tous les clichés d’usage s’alignent joyeusement sans le moindre cynisme : le jeune couple un peu niais, le vieux fermier, le policier jeune et sympa, son collègue plus âgé et colérique…

Comme dans une infinité de films de science-fiction des années 50, l’intrigue tourne autour d’une petite ville des États-Unis qui subit les outrages d’une invasion extra-terrestre. L’originalité du film – sa raison d’être – réside dans le fait que les aliens ressemblent à des clowns et que toutes leurs armes sont rattachées à l’imagerie du cirque. Le film égrène du coup une série de vignettes qui ne sont pas dénuées de poésie, comme ce chapiteau multicolore qui s’illumine en pleine forêt nocturne ou ce clown qui amuse les badauds avec des ombres chinoises étranges et inquiétantes. Partant du principe qu’un clown est effrayant en dehors de son contexte – Stephen King l’a prouvé avec maestria dans son roman fleuve « Ça » sorti en librairie deux ans plus tôt -, les Chiodo occupent tous les postes clé du film (scénario, réalisation, production, direction artistique, effets spéciaux) pour concevoir une galerie de personnages truculents à la fois comiques et monstrueux, tour à tour risibles et inquiétants.

Klownzilla passe à l’attaque

« Nous rêvions que Klownzilla, le clown géant qui apparaît à la fin du film, soit réalisé en stop-motion », raconte Stephen Chiodo, grand fan comme ses frères des films de Ray Harryhausen. « Mais ça nous aurait pris trop de temps, et ça aurait sans doute coûté plus cher que l’utilisation d’un homme costumé, technique que nous avons finalement choisie. » (2) Au fil du scénario, une intéressante hypothèse est finalement évoquée : ces êtres grotesques, venus d’une autre planète, auraient visité la Terre dans le passé à bord de leur vaisseau-chapiteau et auraient ainsi inspiré aux humains le personnage du clown et l’idée du cirque. Sans doute trop atypique pour faire des éclats au box-office, Les Clowns tueurs venus d’ailleurs sortit discrètement en salle sans attirer les foules. Mais il se transforma quelques années plus tard en objet de culte, non seulement via sa sortie en VHS puis en DVD mais aussi à travers une série de produits dérivés au succès croissant.

 

(1) et (2) Propos recueillis par votre serviteur en avril 2018

 

© Gilles Penso

 

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THE OLD GUARD (2020)

Charlize Theron dirige un commando qui présente une petite particularité : chacun de ses membres est immortel !

THE OLD GUARD

 

2020 – USA

 

Réalisé par Gina Prince-Bythewood

 

Avec Charlize Theron, Kiki Layne, Matthias Schoenaerts, Marwan Kenzari, Luca Marinelli, Chiwetel Ejiofor, Harry Melling

 

THEMA POUVOIRS PARANORMAUX

C’est en mars 2017 que la société Skydance Media fait l’acquisition des droits de « The Old Guard », une série de comics créée par Greg Rucka et Leandro Fernandez dont la baseline se résume en quelques mots : « quand on est immortel, on a tout le temps d’apprendre qu’il existe pire que la mort ». Dans cette BD éditée originellement par Image Comics (et par Glénat en nos contrées), l’éternité et l’indestructibilité se vivent en effet moins comme un don que comme une malédiction. Pour mettre toutes les chances de son côté, la production demande à l’auteur du comics d’en signer lui-même l’adaptation, engage la réalisatrice Gina Prince-Bythewood (Love & Basketball, le pilote de la série Cloak & Dagger) et confie à Netflix la distribution internationale du film. Il ne reste plus qu’à trouver une tête d’affiche : ce sera Charlize Theron, l’inoubliable Furiosa de Mad Max Fury Road, entrant comme un gant dans la peau de la vénérable Andromaque de Scythie, « Andy » pour les intimes. À la tête d’un trio de guerriers immortels, elle s’efforce de donner du sens à son existence sans fin en s’opposant chaque fois que possible aux forces du mal. Mais le secret de leur vie éternelle finit par fuiter et attire la convoitise d’un géant de l’industrie pharmaceutique qui cherche à percer le secret de leur pouvoir miraculeux de guérison. C’est alors qu’une nouvelle immortelle fait son apparition : une jeune soldate américaine qui meurt au cours d’une opération en Afghanistan et ressuscite aussitôt…

Autant dire que The Old Guard part avec de nombreux atouts en main, le moindre n’étant pas un casting de choix dominé (dans tous les sens du terme) par la haute stature et le charisme intact de Charlize Theron. Autre mérite que l’on doit sans conteste à son scénariste Greg Rucka : sa volonté d’aborder le thème de l’immortalité sous toutes ses facettes et d’en assumer pleinement les implications physiques et morales. Certes, The Old Guard n’est pas un essai philosophique pas plus qu’il n’ambitionne d’aborder le sujet sous un angle métaphysique. Pour autant, le fardeau d’une vie éternelle et les chagrins qui en sont corollaires sont déclinés tout au long du métrage et transpirent à travers le regard embué, blasé ou meurtri de ces « Indestructibles » bien plus faillibles qu’ils n’y paraissent. Ces existences millénaires nous valent une poignée de flash-backs historiques mouvementés et les conséquences immédiates de l’immortalité se visualisent par des guérisons parfois spectaculaires (comme lorsque nos guerriers disloqués se « reconstruisent » à la manière de la Christine de John Carpenter). Le film de Gina Prince-Bythewood était donc la promesse d’un thriller d’action mémorable et surprenant, quelque part à mi-chemin entre Highlander et The Raid. Mais cette promesse n’aura été tenue qu’à moitié…

La reine des Amazones

On n’en finirait pas de lister les incohérences et les illogismes comportementaux qui ponctuent le récit. Pourtant, notre suspension d’incrédulité est prête à fournir de beaux efforts pour passer outre ces raccourcis scénaristiques. Il est cependant plus difficile de s’impliquer émotionnellement dans un film dont les choix de mise en scène sont primaires voire inexistants. Traînant inutilement en longueurs (plus de deux heures de métrage), le film est régulièrement ponctué de scènes d’action maladroites où chaque geste de cascadeur est visible, où les chorégraphies manquent de crédibilité, où les impacts de balle se multiplient sans véhiculer le moindre enjeu. Entre deux bagarres, la réalisatrice juge bon d’emplir sa bande son de chansons pop dont les paroles édictent à voix haute les pensées des personnages. La finesse n’est donc guère de mise, ce que confirme un dénouement ouvert qui donne officiellement à The Old Guard les allures d’un pilote de série TV (tourné d’ailleurs comme un téléfilm, malgré l’emploi du format cinémascope). Cerise sur le gâteau, une saynète post-générique sous l’influence visiblement incontournable des productions Marvel tente d’attiser gauchement la curiosité. Le bilan est donc très mitigé, même s’il convient de saluer l’implication de la grande Charlize, parfaite incarnation de la guerrière Amazone telle que la décrit la mythologie antique.

 

© Gilles Penso

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ELMER LE REMUE-MÉNINGES (1987)

Le réalisateur de Frère de Sang mixe une fois de plus le gore et le burlesque sans la moindre modération

BRAIN DAMAGE

1987 – USA

Réalisé par Frank Henenlotter

Avec Gordon Mac Donald, Jennifer Lowry, Rick Hearst, Theo Barnes, Lucille Saint-Peter, Vicki Darnell, Joseph Gonzalez, Bradlee Rhodes

THEMA MUTATIONS PETITS MONSTRES

Fort du succès underground de son très étonnant Frère de Sang, Frank Hennelotter en reprend plusieurs éléments scénaristiques pour composer ce non moins surprenant Brain Damage, notamment l’idée d’un jeune protagoniste masculin et de ses rapports amour/haine avec un parasite monstrueux qui lui colle à la peau. Cette fois-ci, le cinéaste peut délaisser le format 16 mm au profit du 35 mmm, ce qui lui permet d’obtenir un rendu visuel moins granuleux que sur Frère de Sang. Elmer est une bestiole échappant à toutes les normes zoologiques établies. Gros comme un chaton, il a vaguement la forme d’un étron pustuleux orné de deux petits yeux malicieux et d’une bouche carnivore capable de s’ouvrir démesurément pour révéler une impressionnante rangée de crocs, de crochets et d’aiguilles. 

Ce charmant animal de compagnie, qui aurait traversé les âges en passant entre les mains de plusieurs personnages historiques, a finalement échu chez un couple de vieux excentriques dans un appartement new-yorkais. Très attachés à lui, ces derniers écument les meilleures boucheries du quartier pour lui fournir sa pitance préférée : des cervelles bien dodues. Un jour, en quête de repas plus frais, Elmer s’échappe et s’installe chez leur voisin, le jeune Brian. Tous deux concluent un pacte tacite : Brian aide Elmer à trouver des victimes dont le cerveau est encore palpitant, et Elmer permet à Brian de vivre des trips bien plus enivrants que ceux que procurent les drogues traditionnelles. Car en plantant l’une de ses aiguilles bucales dans la nuque de Brian, Elmer distille directement dans son cerveau un étrange liquide bleuté et lui permet de vivre des moments hallucinatoires d’une incroyable intensité. Peu à peu, Brian a de sérieux remords et décide de cesser cette étrange association. A partir de là, évidemment, les choses se gâtent… 

Un défouloir accumulant les séquences gore excessives

Même s’il tente une satire acerbe de la drogue et de la jeunesse new-yorkaise paumée, Henenlotter semble surtout avoir conçu son film comme un défouloir, accumulant les séquences gore excessives. Notamment une fellation d’un genre très spécial où Elmer entre dans la bouche d’une jeune fille pour lui dévorer le cerveau (une séquence qui fut coupée pour l’exploitation du film sur grand écran et sa première sortie en vidéo, puis réintégrée par la suite), ou une scène onirique au cours de laquelle des litres de sang s’écoulent de l’oreille de Brian. Tour à tour marionnette mécanique ou figurine animée image par image, Elmer est la grande réussite du film, les acteurs humains qui lui donnent la réplique s’avérant, eux, plutôt catastrophiques. Elmer le Remue-Méninges est donc un OVNI, une curiosité mixant gore et burlesque, conforme au reste de l’œuvre de son atypique réalisateur. On pourrait presque évoquer un « Hennelotter Cinematic Universe », dans la mesure où Elmer et Frère de Sang semble se dérouler dans la même réalité, comme le confirme ce clin d’œil savoureux le temps d’une séquence où Brian croise dans le métro Duane Bradley (héros du film précédent) transportant son fameux panier d’osier !

© Gilles Penso

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EN EAUX TROUBLES (2018)

Jason Statham affronte un mégalodon à côté duquel même le requin des Dents de la Mer ressemble à une sardine !

THE MEG

2018 – USA

Réalisé par John Turteltaub

Avec Jason Statham, Li Bingbing, Rainn Wilson, Ruby Rose, Winston Chao, Shuya Sophia Cai, Cliff Curtis

THEMA MONSTRES MARINS

Jason Statham qui affronte un requin gros comme un building dans un mixage des Dents de la Mer et de Abyss tiré d’un best-seller des années 90. Comment ne pas être séduit par un tel concept ? Tous les clichés d’usage se bousculent joyeusement sans le moindre complexe, autour d’un motif scénaristique usé jusqu’à la corde : le héros dur à cuire qui, après un trauma exposé en début de film, coule des jours paisibles dans un coin exotique, loin de toutes responsabilités, mais accepte de reprendre du service lorsqu’il est le dernier espoir d’une mission quasi-impossible. Il s’agit en l’occurrence d’aller sauver son ex-femme et ses deux co-équipiers, coincés à l’intérieur de leur submersible dans des profondeurs insondables et menacés par une créature inconnue que notre héros, lui, a déjà affronté. À l’époque, personne ne croyait ce qu’il clamait à tue-tête à propos de ce monstre marin titanesque. Mais aujourd’hui, il faut bien se rendre à l’évidence : il avait raison. 

Il y a donc un peu de « Moby Dick » dans ce blockbuster composite aux allures de direct to vidéo au budget colossal. Par ailleurs, notre héros s’appelle Jonas, une petite allusion biblique pas très subtile mais assez drôle. Le monstre, lui, n’apparaît qu’au bout de 35 minutes, mais l’attente des spectateurs est franchement récompensée. Il s’agit d’un mégalodon (« meg » pour les intimes) de 25 mètres de long, qui traverse l’écran avec autant d’ampleur que le stardestroyer de Dark Vador. On croyait son espèce disparue depuis la préhistoire. Encore une fois, on se trompait. Peu avare en références, The Meg puise donc au passage quelques idées du côté de Jurassic Park. L’esprit de Michael Crichton n’est d’ailleurs pas loin au fil de ce récit mouvementé, la finesse et la rigueur scientifique en moins. Le T-rex était attiré par le bruit ? Qu’à cela ne tienne : le mégalodon l’est par la lumière et les vibrations (une idée pas plus absurde qu’une autre dans le monde du silence). D’où quelques moments de suspense intéressants construits autour de ce postulat bien pratique pour des scénaristes en totale roue libre. 

« Il n'est pas question que je me fasse bouffer par un poisson préhistorique ! »

Dans ces abysses inexplorées, d’autres créatures étranges évoluent sous les yeux ébahis des protagonistes et des spectateurs, comme un calamar géant digne de 20 000 lieues sous les mers. Désireux de multiplier les images iconiques mémorables – toujours bienvenues pour alimenter efficacement les bandes annonces – le film de John Turteltaub nous offre la vision très impressionnante d’une fillette dans une station océanographique qui, devant une grande baie vitrée, fait face à la gueule démesurée du monstre, ou cette scène d’attaque sur une plage chinoise bondée qui donne au film les allures d’un Dents de la Mer gonflé aux hormones. Les séquences d’action survitaminées, la romance improbable, la violence soft, le sens du sacrifice sont au menu de The Meg, qui s’agrémente en outre de dialogues plein de lyrisme. Nos favoris ? « L’homme contre le meg, c’est pas une bataille, c’est un carnage », « il y a un monstre, et il nous regarde », « il n’est pas question que je me fasse bouffer par un poisson préhistorique », « prends ça dans les dents, saloperie de charogne », ou encore le très poétique « t’es peut être un fils de pute mais t’es pas un trouillard. » Nous ne sommes pas loin de la verve des Serpents dans l’avion, ce qui permet de situer assez justement les ambitions du film.
 
© Gilles Penso

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LE SPECTRE DE FRANKENSTEIN (1942)

Boris Karloff cède son maquillage à Lon Chaney Jr pour une troisième suite délirante des aventures de Frankenstein

THE GHOST OF FRANKENSTEIN

1942 – USA

Réalisé par Erle C. Kenton

Avec Lon Chaney Jr, Bela Lugosi, Lionel Atwill, Sir Cedric Hardwicke, Evelyn Ankers, Dwight Frye, Ralph Bellamy

THEMA FRANKENSTEIN  I SAGA UNIVERSAL MONSTERS

A la fin du Fils de Frankenstein, le monstre incarné par Boris Karloff était précipité dans un puits de souffre en fusion et le sinistre bossu Ygor (Bela Lugosi) passait de mort à trépas. Comment produire une séquelle dans de telles circonstances ? Pas d’inquiétude : tout ce beau monde se retrouve sain et sauf – au mépris de la logique la plus élémentaire – dans ce Spectre de Frankenstein rocambolesque. Souhaitant en découdre une bonne fois pour toutes avec la malédiction du savant et de son monstre, les habitants du village de Frankenstein dynamitent son château, avec l’aval d’un maire qui ne pense qu’à sa réélection, et malgré les gravats jetés du haut des tours par un Ygor en pleine forme se prenant par Quasimodo. Le château (une très belle maquette) explose donc, mais des débris émerge bientôt une main qui projette son ombre gigantesque sur le mur face à Ygor : celle du monstre. Ce qui nous laisse imaginer que ce bon vieux docteur Frankenstein n’a pas seulement trouvé le moyen de ranimer les morts mais a également percé le secret de la vie éternelle. Comment expliquer autrement les résurrections successives d’une créature décidément indestructible ? 

Spectre de Frankenstein - photo

Préservé par le souffre, le monstre s’échappe avec Ygor avant la destruction totale du château. Dans les bois, il est frappé par la foudre, qui semble soudain raviver ses forces. « Frankenstein était ton père, mais la foudre était ta mère ! » s’exclame alors Ygor. Ce dernier n’a désormais qu’une idée en tête : faire transplanter son cerveau dans le corps du monstre. Dans ce but, il contacte le docteur Theodore Bohmer (Lionel Atwill, qui fut l’inspecteur de police manchot du film précédent), adjoint et rival du fils cadet du célèbre savant, lequel est interprété par Sir Cedric Hardwicke et répond au doux nom de Ludwig Von Frankenstein… Au moment de lancer ce quatrième opus de la saga Frankenstein, Universal se heurte à un problème épineux:  Boris Karloff refuse de jouer à nouveau le rôle de la créature dans ce quatrième opus, déçu par la tournure que prend le personnage. Le studio décide alors de le remplacer par Lon Chaney Jr, promu star de l’épouvante depuis ses rôles monstrueux dans Le Loup-Garou et La Tombe de la Momie

Un nouveau visage pour le monstre

Le visage de Chaney, rondouillard et un brin empâté, laisse moins transparaître que Karloff la détresse et la candeur du monstre, même si Jack Pierce lui applique un maquillage identique à celui des trois films précédents. C’est la preuve irréfutable que le succès du design d’une telle créature repose autant sur le talent du maquilleur que sur l’incarnation du comédien. En ce sens, le travail conjoint – et quasiment fusionnel – de Pierce et Karloff reste à ce jour imbattable. Au détour du casting, on note la présence de Dwight Frye, ex-assistant bossu de Frankenstein dans le tout premier film de la série, devenu ici chef de village. Alors que le second fils de Frankenstein souhaite détruire le monstre en le démembrant, le fantôme de son père lui apparaît dans une scène surprenante (ce qui justifie le titre du film) et lui demande de poursuivre ses travaux. Ludwig envisage alors de doter la créature du cerveau du docteur Kellerman, l’une des victimes du monstre, mais c’est finalement la cervelle d’Ygor qui atterrira dans le crâne de la créature. La transplantation est une réussite exemplaire, mais les effets secondaires ne tardent pas à se manifester et à précipiter la chute du monstre et l’incontournable brasier purificateur… Jusqu’au prochain épisode, bien sûr.
 
© Gilles Penso

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SLEEPY HOLLOW, LA LÉGENDE DU CAVALIER SANS TÊTE (1999)

Le premier « vrai film d'horreur » de Tim Burton est un hommage direct aux productions gothiques de la Hammer

SLEEPY HOLLOW

1999 – USA

Réalisé par Tim Burton

Avec Johnny Depp, Christina Ricci, Miranda Richardson, Michael Gambon, Casper Van Dien, Lisa Marie, Christopher Lee

THEMA FANTÔMES I SAGA TIM BURTON

Créateur des effets spéciaux de maquillage de La Revanche de FreddyJeu d’Enfant et Les Contes de la Crypte, Kevin Yagher développe à la fin des années 90 le projet d’un film qui s’inspirerait de la nouvelle « La Légende du Val Dormant » écrite en 1820 par Washington Irving. Il co-écrit donc un scénario avec l’aide du futur auteur de Seven Andrew Kevin Walker et fait le tour des studios hollywoodiens, en vain. Personne ne semble s’intéresser à ce cavalier fantôme sans tête jusqu’à ce que Tim Burton ait vent du projet. Après avoir assisté impuissant au massacre de la franchise Batman par Joel Schumacher et avoir tenté en vain de porter à l’écran une aventure inédite de Superman avec Nicolas Cage, Burton cherche à retrouver ses amours premières. Il voit dans Sleepy Hollow la possibilité de réaliser son premier vrai film d’horreur tout en rendant hommage aux classiques de l’épouvante produits par la compagnie britannique Hammer dans les années 60, ainsi qu’à d’autres œuvres phares de la même époque comme Le Masque du Démon de Mario Bava. Kevin Yagher reste rattaché au projet en tant que créateur des maquillages spéciaux et co-producteur. Un autre nom prestigieux vient compléter l’équipe de production : Francis Ford Coppola. 

Sleepy Hollow photo

Le récit démarre dans le New York de 1799. Johnny Depp incarne Ichabod Crane, un inspecteur de police en bute à l’autorité car les méthodes d’enquête utilisées par ses pairs lui semblent archaïques et dépassées. Gêné par cet individu embarrassant, un juge austère  (Christopher Lee) décide d’envoyer Crane enquêter dans le petit village de Sleepy Hollow, frappé par trois meurtres successifs. Toutes les victimes ont été décapitées et leurs têtes ayant disparu. La légende locale affirme que le coupable est le « Cavalier sans tête ». Missionné pour maintenir le peuple américain sous le joug de l’empire britannique, ce mercenaire sanguinaire aux dents taillées en pointe fut décapité et enterré par des soldats au cours de l’hiver 1779. Mais désormais, on murmure que son fantôme erre dans les bois. Bien sûr, notre policier n’apporte aucune foi à ces racontars. Mais la suite des événements va mettre à mal son cartésianisme et son approche scientifique. A travers son antagoniste spectral incarné par Christopher Walken, Tim Burton construit des séquences parfois assez éprouvantes, comme lorsque le monstre vient décapiter un couple et leur jeune enfant à coup de hache ! Le film s’avère d’ailleurs particulièrement sanglant, multipliant les gros plans de têtes coupées, les bras tranchés, les corps empalés et les morts violentes. En d’autres moments, les visions d’horreur sont burlesques, comme cette sorcière qui hurle et dont les yeux sortent des orbites (équivalent numérique des trucages en stop-motion de Pee-Wee et Beetlejuice). Même s’il n’est pas spécialement à l’aise avec les séquences d’action, Burton parvient à concocter quelques poursuites très mouvementées au cours desquelles chevaux et carrioles filent à vive allure dans les bois nocturnes et embrumés.

À mi-chemin entre la terreur et le burlesque…

Du côté du casting, quelques nouveaux visages viennent intégrer l’univers du cinéaste, notamment Christina Ricci (que Burton décrit comme un croisement entre Peter Lorre et Bette Davis !) et Casper Van Dien (tout juste échappé de Starship Troopers et de Tarzan et la Cité Perdue). Mais le cinéaste aime aussi retrouver ses fidèles comédiens, offrant une apparition en forme de clin d’œil à Martin Landau et à Lisa Marie et proposant une fois de plus le rôle principal à Johnny Depp. « Pour moi, le seul vrai ingrédient indispensable aux films de Tim Burton est Tim Burton lui-même », avoue le comédien. « Peu importent le casting ou l’équipe. La signature de Tim est toujours là. » (1) Loin de la naïveté et de la candeur des personnages qu’il incarnait dans Edward aux Mains d’Argent et Ed Wood, Depp se prête ici aux facéties d’un personnage dont le fort potentiel comique ne semble pas totalement assumé. Pas assez drôle pour susciter le rire, trop exubérant pour être pris au sérieux, son Ichabod Crane devient agaçant sans vraiment susciter l’identification des spectateurs. Le scénario s’encombre en outre d’une quantité astronomique de dialogues explicatifs qui n’en finissent plus de justifier les faits et gestes des personnages et de commenter tous les rebondissements de l’intrigue. C’est donc sur l’aspect purement visuel que le film se rattrape, Sleepy Hollow se distinguant par la qualité de sa mise en forme, sa somptueuse atmosphère gothique, sa très belle photographie aux tons désaturés et ses décors tourmentés. « Construire un décor de cinéma a quelque chose de magique, notamment lorsqu’on joue avec de fausses perspectives, comme dans Sleepy Hollow », témoigne Tim Burton. « Certains arbres d’arrière-plans étaient conçus à des échelles de plus en plus réduites, pour accentuer l’effet de profondeur. D’autres avaient des formes de personnages effrayants. » (2) Une grande partie de ce rendu visuel est à mettre au crédit du directeur artistique Rick Heinrichs, dont le défi consiste ici à détourner les codes du style expressionniste pour les adapter à un environnement colonial. On se souviendra notamment de ce superbe arbre des morts qui saigne quand on l’entaille et sous l’écorce duquel sont cachées toutes les têtes coupées ou de ce grand moulin décrépi qui se réfère au Frankenstein de James Whale. 
 
(1) Propos recueillis par votre serviteur en janvier 2008
(2) Propos recueillis par votre serviteur en mars 2012
 
© Gilles Penso

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