VORACE (1999)

Antonia Bird aborde le thème du cannibalisme sous un angle inattendu en s'appuyant sur un contexte historique réel

RAVENOUS

1999 – USA / GB / MEXIQUE / REPUBLIQUE TCHEQUE

Réalisé par Antonia Bird

Avec Guy Pearce, Robert Carlyle, David Arquette, Jeremy Davies, Jeffrey Jones, John Spencer, Stephen Spinella

THEMA CANNIBALES

Vorace aborde le thème du cannibalisme sous un angle surprenant, en s’inspirant de la légende indienne du Wendigo, une créature anthropophage qui tire sa force de la chair humaine qu’elle dévore. Mais loin de toute atmosphère fantastique ou surnaturelle, le film d’Antonia Bird prend place dans un contexte historique réel : la guerre américano-mexicaine de 1847. Le capitaine John Boyd est parvenu à franchir les lignes ennemies et à renverser les troupes adverses. Mais on découvre bien vite que son acte était guidé par la lâcheté, puisqu’il s’est fait passer pour mort et s’est laissé entasser dans la fosse commune sans se manifester. En guise de promotion, le voilà donc relégué dans un placard, c’est-à-dire envoyé en mission dans le Fort Spencer, perdu au beau milieu des montagnes enneigées de la Sierra Nevada. Là, ses compagnons et lui recueillent un soir Colquhoun, un homme hagard et terrifié qui leur conte une effrayante histoire : lui et son groupe se sont égarés dans les bois et ont trouvé refuge dans une caverne aux alentours. Pour survivre, ils ont dû manger leurs animaux, puis se sont attaqués au corps de l’un des leurs, mort entre-temps. Mais Ives, le chef du groupe, décida d’accélérer le processus en tuant les autres pour les dévorer. Touchés par ce récit, John Boyd et ses compagnons partent en quête de cette fameuse caverne pour faire cesser les agissements de Ives… et l’expédition tourne au cauchemar.

Ici, le cannibalisme a des vertus toutes particulières : il guérit les blessures, ravive les mourants, rend plus fort, mais aussi plus avide et plus affamé. Ceux qui s’en sont rendus compte le pratiquent donc comme une thérapie, violente et agressive certes, mais justifiée par un instinct de survie transformé peu à peu en voracité insatiable. Le sang coule donc à flots dans Vorace, les chairs se déchirent et les armes blanches frappent plus que de raison, accompagnés des effets spéciaux de maquillage du trio KNB. Mais nous avons moins affaire ici à un film gore qu’à une satire acerbe sur le pouvoir et les vertiges qu’il procure. Le consumérisme pathologique de la société américaine est également en ligne de mire, métaphoriquement transposé ici en cannibalisme obsessionnel et maladif.

Consumérisme pathologique et anthropophagie

Habituée jusqu’alors aux drames intimistes et contemporains pour le petit et le grand écran, la réalisatrice Antonia Bird nous surprend dans un registre qui semblait lui être jusqu’alors étranger, à mi-chemin entre la reconstitution historique et le film d’horreur. Guy Pearce, futur amnésique de Memento, et Robert Carlyle, strip-teaser amateur de The Full Monty, nous offrent des prestations tout à fait étonnantes, et portent à eux deux toute l’intensité de cette inquiétante fable. Leur affrontement final, excessif et dantesque, voit sa violence compensée par le cynisme du ton. A leurs côtés, Jeffrey Jones (comédien calamiteux dans Ed Wood) et David Arquette (policier maladroit dans Scream) campent de fort pittoresques soldats. Les décors naturels magnifiques captés en République Tchèque, la mise en scène nerveuse à souhaits et une bande originale folklorique jouant volontiers les contrepoints achèvent de faire de Vorace une œuvre fort curieuse qui regorge d’idées et d’intérêt.


© Gilles Penso

À découvrir dans le même genre…

 

Partagez cet article

RIDDICK (2013)

David Twohy et Vin Diesel se retrouvent pour clore sur une note minimaliste la trilogie entamée avec Pitch Black

RIDDICK

2013 – USA

Réalisé par David Twohy

Avec Vin Diesel, Matt Nable, Katee Sackhoff, Jordi Mollà, Dave Bautista, Karl Urban 

THEMA SPACE OPERA I EXTRA-TERRESTRES I FUTUR SAGA RIDDICK

Depuis la sortie des Chroniques de Riddick, opus maudit d’une saga qui ne survit décidément que par la pugnacité de son réalisateur David Twohy et de son acteur Vin Diesel, neuf années ont passé. Le projet de développer une saga spatiale à grand spectacle n’aura été qu’une rêverie de courte durée pour les deux hommes, eu égard au succès très mitigé de ce deuxième film sur les écrans en 2004. Ils étaient alors parvenus à multiplier le budget alloué par six ! Cette fois-ci, c’est en le re-divisant par trois qu’ils peuvent enfin rempiler. La première règle dictée par l’économie d’un tel projet ne sera pas non plus pour déplaire au public de la première heure : à défaut de gros moyens, laisser tomber le faste des Chroniques et revenir sans transition à l’âpreté minimaliste de Pitch Black ! Alors qu’on avait quitté le furyen légendaire en seigneur de l’armée Necromonger, on le retrouve sans transition à demi enterré sous la roche d’une planète aride.

Un court flash-back nous donnera le fin mot de l’histoire, et c’est par une citation malicieuse du Rocky III de Sylvester Stallone que le personnage reviendra aux affaires : « J’ai commis la pire des erreurs, je me suis civilisé ! » Cette brève sentence vaut comme profession de foi et commentaire du film précédent : peut-être Riddick avait-il un peu trop perdu de sa substance en poursuivant un but qui s’aventurait quelquefois au-delà de sa propre survie. A l’instar de ses Chroniques, qui avaient peut-être eu le malheur de voir trop grand…  De toute évidence, le personnage n’a jamais autant métaphorisé l’aventure de la saga elle-même au cinéma : malmené, récupéré, parvenu au sommet, chutant aussitôt de son trône, ressuscitant d’entre les morts, il personnifie un acharnement à vivre sur la durée qui ne dépend que de sa volonté inébranlable. Nul doute que l’écriture de Twohy se sera inspirée peu ou prou des vicissitudes laborieuses qu’il aura connu derrière la caméra.

Un récit hors du temps

Pourtant, rien ne l’arrête dans son approche courageuse d’une science-fiction « hard-boiled » : indifférent aux éventuelles protestations d’un jeune public habitué à l’action non-stop, le scénariste / réalisateur assume un récit complètement hors de son temps, lorgnant volontiers vers le Mad Max 2 : Road Warrior de George Miller, qui se permet de commencer par une demi-heure de pérégrinations solitaires et se poursuit par un survival jouissif, d’inspiration délibérément westernienne, où deux groupes rivaux de chasseurs de prime vont tenter de s’emparer de la « bête » dans le chaos le plus absolu – survival qui, lui-même, n’est pas sans rappeler une fois encore le John Carpenter de Vampires ou  Ghosts of Mars – c’est-à-dire le plus décomplexé. Les aficionados des premières aventures de Richard B. Riddick, prisonnier convoyé à travers l’espace et dont le vaisseau s’était écrasé sur une planète hostile où les longues nuits traînent l’enfer dans leur obscurité, se sentiront chez eux – d’autant qu’un des maillons les plus importants de cette nouvelle intrigue a directement à voir avec celle de Pitch Black, accentuant encore la parenté des deux films. Ne reste plus qu’à attendre la prochaine résurrection du furyen nyctalope dans un, cinq ou dix ans ? Peut-être quinze…?! Plus rien ne saurait nous étonner de la part de cette saga hors-normes ; et le public de Riddick – bon gré mal gré – a appris à se montrer patient !


© Morgan Iadakan

Partagez cet article

LE MORT-VIVANT (1974)

Bob Clark utilise le motif du zombie comme parabole de la difficile réinsertion des vétérans du Viêt-Nam

DEAD OF NIGHT / DEATHDREAM

1974 – USA

Réalisé par Bob Clark

Avec Richard Backus, Lynn Carlin, Henderson Forsythe, John Marley, Anya Ormsby, Jane Daly, Michael Mazes, Arthur Anderson

THEMA ZOMBIES

L’utilisation du motif du zombie comme véhicule d’un discours politique et social n’est pas le seul apanage de George Romero. C’est ce que prouve Bob Clark avec cet excellent Mort-Vivant, qui détourne les mécanismes du cinéma d’horreur pour traduire le traumatisme des jeunes soldats incapables de se réadapter à la société après avoir vécu l’abomination des champs de bataille. Nous sommes dans une petite ville de Floride, et la famille Brooks attend fébrilement des nouvelles d’Andy parti guerroyer au Viêt-Nam. Si Charlie, le père, et Catherine, la sœur, ne se font guère d’illusions sur le destin du jeune homme après de longues semaines passées sans nouvelles, Christine, la mère, s’avère exagérément optimiste. Un soir, un télégramme leur annonce officiellement qu’Andy a passé l’arme à gauche. Tous s’effondrent de chagrin, mais Christine finit par refuser la réalité. Pour elle, il ne peut s’agir que d’une erreur. Andy va revenir, elle en est certaine.

Or le soir même, répondant à ses prières, le jeune homme est effectivement de retour. Passée la surprise, on tâche de se réhabituer à sa présence. Ce qui ne s’avère guère aisé, dans la mesure où Andy adopte un comportement de plus en plus étrange. Il ne mange rien, parle très peu et reste assis seul dans le noir à se balancer sur son rocking-chair. Car Andy est un mort-vivant au sens le plus strict du terme, c’est-à-dire un cadavre en sursis qui se maintient dans un semblant de vie en volant le sang des autres (à l’instar d’un vampire) et finira d’ailleurs par s’enterrer dans la tombe qu’il a lui-même creusée. A l’une de ses victimes, il déclare : « je n’ai plus peur de la maladie, de la vieillesse, de la fatigue, de la faim ». Mais son état n’est pas enviable pour autant. Sitôt qu’il n’a pas sa dose de sang frais, prélevée à l’aide d’une seringue hypodermique, ses traits juvéniles se flétrissent et son visage s’altère progressivement. La lente décrépitude court ainsi en douceur tout au long du film. Ce sont d’abord des cernes sous les yeux, puis des rides envahissantes et d’étranges marques aux poignets.

L'inexorable métamorphose

A l’issue de l’inexorable métamorphose, Andy arbore une figure de cauchemar. Ses yeux sont blancs, sa peau décomposée, son sourire carnassier et grimaçant. Ce maquillage saisissant, digne du grand Lon Chaney, est l’œuvre d’Alan Ormsby, qui signa également le scénario du film et joue même le petit rôle du témoin d’un meurtre. Son assistant est le tout jeune Tom Savini, futur créateur des zombies de Romero. Le casting, impeccable, bénéficie du charisme de John Marley, qu’on venait de voir dans la scène mythique de la tête de cheval du Parrain, et qui livre ici la performance d’un père torturé par le changement irréversible de son fils, offrant au spectateur le seul véritable pôle d’identification. Le compositeur Carl Zittrer contribue grandement à l’atmosphère oppressante du film, proposant une musique « concrète » pour le moins originale à base de cordes trillées et frappées, de coups de violons intempestifs, d’accords plaqués au piano et de sons électroniques étranges. Bob Clark poursuivra sa carrière de metteur en scène en signant une poignée de films d’épouvante avant de bifurquer vers la comédie à l’occasion du mythique Porky’s.

 

© Gilles Penso

Partagez cet article

THOR : LE MONDE DES TENEBRES (2013)

Les nombreuses maladresses de cette seconde aventure solo du fils d'Odin nous feraient presque réévaluer à la hausse l'opus réalisé par Kenneth Branagh

THOR, THE DARK WORLD

2013 – USA

Réalisé par Alan Taylor

Avec Chris Hemsworth, Natalie Portman, Tom Hiddelston, Anthony Hopkins, Rene Russo, Ray Stevenson, Idris Elba

THEMA SUPER-HEROS I SAGA THOR I AVENGERS I MARVEL

Thor ne nous avait qu’à moitié convaincus lors de sa première incursion sur grand écran sous l’égide de Kenneth Branagh, et il fallut attendre sa réunion avec l’équipe des Avengers pour que le super-héros nordique s’exprime enfin avec le panache dû à sa divine personne. Un second long-métrage consacré à ses exploits semblait donc pouvoir rajuster le tir. Pour inscrire le fils d’Odin dans la continuité d’Avengers, la mise en scène est confiée à Alan Taylor (transfuge de la série Game of Throne), avec en filigrane une volonté manifeste de baigner ce nouvel opus dans une atmosphère d’heroïc-fantasy plus affirmée. Ces belles intentions ne font hélas pas longtemps illusion à l’écran. Thor, le Monde des Ténèbres accumule en effet les fautes de goût avec une constance qui laisse perplexe, s’efforçant de masquer sa vacuité sous un déluge pyrotechnico-numérique d’une grande laideur.

Les faiblesses du film sautent aux yeux dès ses premières minutes. Alors qu’une voix off sentencieuse nous raconte la lutte séculaire entre le royaume d’Asgard et les elfes noirs menés par le redoutable Malekith, le spectateur assiste à une bataille gorgée de morceaux de bravoure techniques et chorégraphiques mais n’en apprécie qu’un dixième dans la mesure où ni la narration ni la mise en scène ne parviennent à mettre en valeur la dimension épique de la séquence et surtout les enjeux qui la sous-tendent. Or chacun sait que sans dramaturgie, les effets spéciaux et les cascades les plus spectaculaires ne sont que de jolies parures cosmétiques. Le film entier est à l’avenant, traitant par-dessus la jambe de nombreuses données scénaristiques éparses (la contamination de Jane Foster par une force maléfique convoitée par le vilain de service, l’obligation pour Thor de pactiser avec son frère ennemi Loki pour sauvegarder le royaume d’Asgard, la nécessité impérieuse de préserver l’équilibre des neuf royaumes, les relations complexes et conflictuelles unissant Odin avec son épouse et ses fils) sans parvenir à les lier avec cohérence.

Une dramaturgie déficiente

Partisan de l’ellipse paresseuse, Alan Taylor sautille donc d’une scène à l’autre sans laisser au spectateur la moindre possibilité d’implication, et rate même la plupart de ses scènes d’action en optant pour des choix de montage hasardeux (au moment de l’impact imminent entre deux belligérants gonflés à bloc, la caméra filme l’échauffourée de loin et de dos, allez comprendre !). Que reste-t-il à sauver de ce second Thor ? Une belle direction artistique rétro-futuriste, (quelque part à mi-chemin entre Le Seigneur des Anneaux, La Menace fantôme et John Carter), quelques traits d’humour s’appuyant la plupart du temps sur des anachronismes dignes de Star Trek 4: Retour sur Terre (Thor qui accroche son marteau sur le portemanteau d’un appartement londonien ou qui emprunte placidement le métro sous le regard médusé des passagers) et le charisme ravageur de Tom Hiddleston dans la peau d’un Loki plus ambigu qu’à l’accoutumée. Un peu léger tout de même…

 

© Gilles Penso

À découvrir dans le même genre…

 

Partagez cet article

C’EST LA FIN (2013)

Evan Goldberg et Seth Rogen nous racontent la fin du monde en rallongeant un de leurs courts-métrages burlesques

THIS IS THE END

2013 – USA

Réalisé par Evan Goldberg et Seth Rogen

Avec Paul Rudd, Emma Watson, Jay Baruchel, Seth Rogen, James Franco, Jonah Hill, Jason Segel, Rihanna

THEMA CATASTROPHES

Seth Rogen et Evan Goldberg, en étirant sur un format long l’idée de base du court-métrage Jay & Seth vs the Apocalypse, ne composent rien d’autre qu’une bromédie faisant de l’œil à tous les amateurs de la Apatow Academy. Une brochette d’acteurs sur le devant dans la scène vous invite dans ses coulisses avant d’affronter des démons priapiques. Tout un programme… Hasard du calendrier des productions, deux œuvres envisagent, à quelques mois d’intervalle, l’Apocalypse à traverse le prisme d’une bande de losers. Et quelle bande ! Côté britannique, la bande d’Edgar Wright fait le tournée des pubs et se retrouvent nez à nez avec des extraterrestres robotiques. Côté américain, la fiesta organisée chez James Franco réunit entre autres Seth Rogen, Jay Baruchel, Jason Segel, Michael Cera, Christopher Mintz-Plasse, Jonah Hill, Craig Robinson, Danny McBride et Rihanna.

N’en jetez plus, le gotha de la nouvelle vague hollywoodienne est au quasi complet pour une blague de potaches remplie d’autodérision qui fait s’effriter quelque peu le vernis de la bienséance. Presque quarantenaires et plus du tout puceaux, les enfants d’Apatow relèguent les faux-semblants au placard et se paient une heure de vérité à coups de répliques virulentes, de dialogues surréels (le débat autour de l’éjaculation de Franco et McBride) et peintures grossières (Michael Cera, bien loin de l’image de Juno, est un cocaïnomane patenté se livrant à une série de débauches). Evidemment, l’équipée décadente ne peut éviter longtemps les foudres divines et ne trouvera le salut et la rédemption qu’en se détachant de la vie matérielle et en se montrant altruiste, une quête des plus ardue pour ce concentré de mégalomanie.

Improvisations et roue libre

Si, en théorie, C’est la fin atteint, en termes de comédie, l’apogée du genre (une certaine authenticité due à la grande place laissée à l’improvisation et au jeu en roue libre), à l’écran, la réalité s’avère moins excitante. La mécanique de l’humour s’attarde invariablement sous la ceinture et accorde une part déraisonnable aux diverses sécrétions humaines (du vomi, de la pisse, de la merde à la pelle). En outre, le scénario patine sévère et enferre ses protagonistes entre quatre murs, ce qui contraint l’histoire à se cantonner à une pléiade de répliques rarement drôles et à un ersatz de possession démoniaque directement tiré de L’Exorciste. Lorsque les parois s’écroulent, le métrage loupe une nouvelle fois les rails (l’intrigue n’évolue pas d’un iota, les effets spéciaux oscillent du médiocre au mauvais) mais offre ponctuellement l’une ou l’autre idées un tant soit peu loufoques (un come-back inespéré pour les enfants des 90’s, un Channing Tatum méconnaissable, un démon géant aussi bien monté que mal foutu). C’est la fin possède un certain tonus et de très bonnes intentions mais ne peut éviter la noyade à force de devoir suivre au plus près chacun de ses personnages qui tentent tant bien que mal de tirer leur épingle dans cette mélasse ultra-référentielle. Un trop-plein qui vire à l’indigestion… Avec son lot de vomi…  

 

© Damien Taymans 

Partagez cet article

PHILADELPHIA EXPERIMENT (1984)

Après une expérience qui tourne mal en 1943, deux militaires américains se retrouvent propulsés dans les années 80

THE PHILADELPHIA EXPERIMENT

1984 – USA

Réalisé par Stewart Raffill

Avec Michael Paré, Nancy Allen, Bobby Di Cicco, Eric Christmas, Louise Latham, Kene Holliday, Joe Dorsey, Michael Currie

THEMA VOYAGES DANS LE TEMPS

En 1943, la marine américaine s’évertua à rendre invisible ses navires aux yeux des radars ennemis, tentant notamment une expérience sur l’USS Eldridge qui se solda par un terrible échec et la mort de plusieurs marins. La part de vérité de cet événement n’a jamais été précisément clarifiée, même si les auteurs Charles Berlitz et William Moore, spécialisés dans les grands mystères de notre temps, en tirèrent un ouvrage pseudo-scientifique en 1979. S’en inspirant librement, les scénaristes William Gray et Michael Janover concoctèrent un scénario de science-fiction qui inverse quelque peu le principe de Nimitz retour vers l’enferPhiladelphia Experiment démarre donc en octobre 1943, à bord du destroyer Eldridge. Le professeur Longstreet y expérimente une théorie élaborée par Albert Einstein. Dans un premiers temps, le résultat semble concluant, car le bâtiment disparaît des écrans radars. Mais lorsqu’il lève les yeux de son moniteur, le savant déchante, car l’USS Eldridge est également en train de disparaître de la réalité ! Une dose massive de radiation envahit les coursives, et deux marins, David Herdeg et Jim Parker, ont tout juste le temps de sauter par-dessus bord…

Lorsqu’ils s’éveillent, le désert les entoure, et ils constatent bien vite qu’ils ont été propulsés dans le futur, plus exactement en 1984. Alors qu’ils se remettent de leurs émotions, le professeur Longstreet, désormais plus vieux de quarante ans, a du souci à se faire. En effet, l’expérience de 1943 a ouvert une brèche dans l’espace, laquelle est restée béante à cause d’un second essai effectué dans les années 80, et visant à faire disparaître une ville tout entière. Tandis qu’un trou noir menace peu à peu d’aspirer toute matière autour de lui, provoquant maints phénomènes climatiques étranges, nos deux matelots ont leurs propres problèmes. Jim Parker attire la foudre et les éclairs électriques, jusqu’à disparaître littéralement. David, lui, devient fugitif. La police aux trousses, il est aidé par une jeune fille qu’il prend en otage et qui s’amourache de lui.

Anachronismes et cinéphilie

En tête d’affiche de Philadelphia Experiment, on retrouve Michael Paré, héros des Rues de Feu, et Nancy Allen, alors familière des films de Brian de Palma. Ce casting impeccable porte sur ses épaules les circonvolutions d’un scénario complexe ne reculant pas devant le gag anachronique lorsque l’occasion se présente. Les années 80 réservent en effet quelques surprises à nos héros, notamment des canettes de coca, des bières allemandes, des punks et un Ronald Reagan devenu président des USA. L’humour prend aussi la forme de clins d’œil cinéphiliques, sans doute sous l’influence de Roger Corman, alors  à la tête de la compagnie New World qui produisit le film. Le film se pare ainsi d’extraits des Monstres de la Mer diffusés à la télévision, tandis que le patronyme de l’héroïne, Allison Hayes, s’avère être le nom de l’actrice vedette du mythique Attack of the 50 Foot Woman. Mais Philadelphia Experiment a d’autres atouts que son humour, notamment une solide dose de suspense et d’émouvantes séquences de retrouvailles entre les figures vieillissantes du passé et un héros n’ayant pas pris une ride en quarante ans. Passionnant d’un bout à l’autre, Philadelphia Experiment s’achève par un apocalyptique plongeon dans le vortex qui évoque irrésistiblement l’inoubliable final de 2001 l’Odyssée de l’Espace.

 

© Gilles Penso

Partagez cet article

TERREUR A L’HÔPITAL CENTRAL (1982)

Michael Ironside campe un tueur psychopathe effrayant dans ce très efficace slasher canadien

VISITING HOURS

1982 – CANADA

Réalisé par Jean-Claude Lord

Avec Michael Ironside, Lee Grant, Linda Purl, William Shatner, Lenore Zann, Harvey Atkin, Helen Hughes

THEMA TUEURS

En 1981, Michael Ironside avait été l’une des révélations du Scanners de David Cronenberg, où il incarnait un être doué de pouvoirs télépathiques dirigeant une véritable escouade de terroristes parapsychologiques. Un an plus tard, les mêmes producteurs (Claude Héroux et Pierre David) profitèrent de son potentiel pour lui faire incarner Colt Hawker, un tueur fou, sadique et profondément misogyne, dans Terreur à l’Hôpital Central de Jean-Claude Lord. Tout au long d’un scénario sur le fil du rasoir, l’effrayant Hawker traque Deborah Ballin (Lee Grant), une journaliste qui représente tout ce qu’il déteste, en une croisade sanglante particulièrement perturbante. Après une première séquence éprouvante où la malheureuse est agressée chez elle, l’intrigue se déplace dans l’hôpital où elle est admise. Hawker se fait alors passer pour un fleuriste afin de pénétrer dans l’enceinte de l’établissement et reprend une mission que rien ni personne ne semble pouvoir stopper. Malgré elle, l’infirmière Sheila Munroe (Linda Purl) entre à son tour dans la ligne de mire du tueur. Bientôt, la mort frappe à tous les étages, comme l’illustre de manière superbement métaphorique l’un des posters du film sur lequel les fenêtres du bâtiment dessinent un crâne grimaçant.

Toute la première partie du film joue sur la déshumanisation d’Hawker. Son visage nous est caché par une multitude d’astuces de mise en scène (très gros plans, cadres larges, plongées et contre-plongées, reports de point, éclairages contrastés) et ce n’est qu’une ombre anonyme qui frappe impitoyablement. Terrifiant lorsqu’il regarde tranquillement ses victimes rendre leur dernier souffle tout en les photographiant comme un émule du Voyeur de Michael Powell, implacable lorsqu’il décide envers et contre tous de marcher droit vers ses victimes comme un ancêtre du Terminator, Michael Ironside trouve ici l’un des rôles les plus marquants d’une carrière pourtant à peine entamée.

Un monstre désespérément humain

Les exactions de ce tueur psychopathe dans les couloirs d’un hôpital évoquent Halloween 2, si ce n’est qu’ici l’assassin ne porte aucun masque et finit par trahir une nature banalement humaine. Car lorsque Jean-Claude Lord décide enfin de montrer Colt Hawker frontalement, il lève également le voile sur son intimité. Peu à peu, nous découvrons son cadre professionnel, son voisinage, ses hobbies, son père, et les racines du traumatisme qui le firent définitivement basculer. Le scénario de Brian Taggert s’efforce d’ailleurs de briser régulièrement la routine du slasher pour révéler les failles de ses protagonistes : la vanité de la journaliste qui vérifie immédiatement l’état de son visage après son agression, l’infirmière bien sous tous rapports qui révèle une vie personnelle plus complexe qu’il n’y paraît… Quant à la mise en scène remarquable de Jean-Claude Lord, elle se hisse par moment au niveau des plus grands praticiens du suspense, Brian de Palma, John Carpenter et Alfred Hitchcock en tête. En cette période surchargée en slashers et en serial killers, Terreur à l’Hôpital Central se hisse donc largement au-dessus de la masse de ses contemporains et demeure l’une des plus grandes réussites du genre.

 

© Gilles Penso

Partagez cet article

HARDWARE (1990)

Un premier long-métrage exemplaire qui confronte une jeune femme et un robot indestructible dans un oppressant huis-clos futuriste

HARDWARE

1990 – GB

Réalisé par Richard Stanley

Avec Stacey Travis, Dylan McDermott, John Lynch, William Hootkins, Mark Northover, Iggy Pop, Carl McCoy, Paul McKenzie

THEMA FUTUR I ROBOTS

Armé d’un budget modeste d’un million et demi de dollars, d’un sens artistique extrêmement développé et d’une détermination imparable, le réalisateur Richard Stanley s’est lancé à corps perdu dans Hardware, un premier long-métrage bourré d’énergie, d’idées visuelles et de morceaux d’anthologie. Certes, le scénario se résume en quelques lignes, les personnages sont caractérisés à gros traits et la double influence de Terminator et Blade Runner transpire dans de nombreuses séquences. Pourtant, Hardware revendique une singularité qui semble n’appartenir qu’à lui. Objet de culte auprès de nombreux amateurs de science-fiction, ce film marque aussi une rupture nette entre les années 80 et les années 90, empruntant à chaque décennie ses effets de style pour mieux les fusionner. En ce sens, sa valeur historique n’est pas négligeable.

Nous sommes sur la Terre du futur, ravagée par un cataclysme qui l’a muée en désert jonché de débris, derniers témoins d’une civilisation qui s’est progressivement effondrée. Les radiations nimbent les cieux d’envahissantes nuées écarlates, et les cités qui tiennent encore debout se hérissent d’immeubles high-tech où squattent tous les rebuts d’une société défunte. Chacun gagne sa vie comme il peut, et le troc va bon train. C’est ainsi que la carcasse rouillée d’un robot enfouie dans le sable d’une dune déserte est ramenée en ville par un nomade soucieux d’en tirer quelques billets de banque. Moses (Dylan McDermott, future star de la série The Practice), ancien soldat en retraite anticipée, rachète quelques pièces de la machine pour les offrir à sa petite amie Jill (Stacey Travis), qui occupe ses journées à sculpter des œuvres originales à grands coups de fer à souder. La jeune fille est ravie, mais le cadeau est empoisonné. Car ce robot en pièces détachées est un prototype de l’armée abandonné à cause de son manque de fiabilité. Il s’agit du Mark-13, une machine redoutable et autonome capable de se recharger sur n’importe quelle source d’énergie et de muer chacun de ses six membres préhensibles en arme polyvalente. Entre le monstre mécanique et la jeune femme désarmée, un duel redoutable se prépare…

Les robots ne meurent jamais…

Les ombres de James Cameron et de Ridley Scott s’estompent peu à peu grâce à la personnalité forte de Richard Stanley, à ses effets de montage surprenants hérités du clip musical, à la photographie rouge qui inonde chaque image, à une direction artistique dont le futurisme recyclé évoque parfois les univers de George Miller et Terry Gilliam, à une partition synthétique enivrante signée Simon Boswell. Il faut également saluer le remarquable travail de l’atelier d’effets spéciaux Image Animation dont les marionnettistes manipulèrent directement sur le plateau les mouvements complexes du Mark-13. La morphologie exacte de cet androïde s’appréhende difficilement, mais les ustensiles tranchants et perforants qu’il emploie à l’encontre de ses victimes humaines véhiculent un sentiment permanent d’anxiété, que couronnent parfois quelques morts sanglantes assez gratinées. Lors de son passage au mythique festival du film fantastique d’Avoriaz en 1991, Hardware remporta d’ailleurs le prix des meilleurs effets spéciaux.

 

© Gilles Penso

Partagez cet article

PATRICK (1978)

Ce premier long-métrage du talentueux Richard Franklin s'inscrit dans une véritable âge d'or du cinéma fantastique australien

PATRICK

1978 – AUSTRALIE

Réalisé par Richard Franklin

Avec Susan Penhaligon, Robert Thompson, Robert Hekpmann, Rob Mullinar, Bruce Barry, Julia Blake, Helen Hemingway

THEMA POUVOIRS PARANORMAUX

Grand admirateur d’Alfred Hitchcock, qu’il eut l’occasion de côtoyer lorsqu’il était étudiant, Richard Franklin a participé à l’essor du cinéma fantastique australien en réalisant Patrick. Ce premier long-métrage sollicite d’ailleurs plusieurs artistes destinés à une prolifique carrière sur le continent océanien, notamment le scénariste Everett de Roche (Long Week End, Harlequin, Razorback) et le compositeur Brian May (Mad Max, Soif de Sang, Les Traqués de l’An 2000). Après sa séparation avec son mari, Kathy Jacquard (Susan Penhaligon, héroïne du Sixième Continent) accepte un travail d’infirmière dans une clinique privée. Elle est accueillie par la très sèche infirmière en chef Cassidy (Julia Blake) et par l’étrange patron de l’établissement, le docteur Roget (Robert Helpmann). D’emblée, Franklin plante une ambiance insolite. Ainsi, alors que Cassidy énumère à la postulante toutes les perversités sexuelles dont l’homme est capable, Roget s’affaire avec obsession sur les grenouilles qu’il collectionne pour pouvoir les soumettre à des expériences. La mission de Kathy consiste à s’occuper du mystérieux Patrick, un jeune homme dans le coma depuis trois ans, époque à laquelle il assassina sa mère et son amant. Kathy se lie d’affection pour son patient, qui semble n’être qu’un jouet pour Roget, pratiquant sur lui toutes sortes d’expérience pour essayer de comprendre quel est le lien ténu qui différencie la vie de la mort.

Bientôt, des phénomènes étranges sont constatés autour du jeune comateux : la fenêtre de la chambre s’ouvre toute seule, des objets semblent soudain animés, un docteur est happé par une force invisible dans une piscine… Patrick serait-il doté de pouvoirs paranormaux ? Le neurochirurgien Brian Wright (Bruce Barry), qui commence à flirter avec Kathy, développe la théorie suivante : « Un homme qui perd la vue compense en général en développant son ouïe ou le sens du toucher. Patrick, lui, a perdu tous ses sens. S’il en existait un sixième, il a eu trois ans pour le perfectionner. » Cette assertion se confirme lorsque Patrick, soucieux de communiquer avec Kathy, agit par psychokinésie sur une machine à écrire. La fascination que développe l’infirmière pour ce cas unique vire à la panique lorsque le jeune homme révèle son véritable caractère : possessif, jaloux et profondément psychopathe. Or rien ne semble l’arrêter, et l’étendue de ses pouvoirs paraît sans limite…

Le pouvoir de l'esprit

Chiche en effets choc, Patrick est surtout un film d’atmosphère, dont la mise en scène millimétrée est ouvertement sous influence hitchcockienne (les effets de violons ainsi que les plongées et les contre-plongées sur les lentes montées des marches sont directement hérités de Psychose). La galerie de personnages insolites que le scénario nous présente participe pour beaucoup au caractère atypique du métrage, et certaines séquences n’hésitent pas à pousser assez loin les motivations des personnages. Témoin ce passage surprenant où Kathy masturbe le comateux dans l’espoir de capter la moindre réaction. Malgré une chute un peu excessive, Patrick demeure une œuvre de grande qualité, récipiendaire en 1979 du Grand Prix du Festival du Film Fantastique d’Avoriaz.

 

© Gilles Penso

Partagez cet article

NO ONE LIVES (2012)

Des gangsters minables en quête d'un coup fumant vont tomber sur un imprévu qui s'apprête à transformer leur vie en enfer

NO ONE LIVES

2012 – USA

Réalisé par Ryuhei Kitamura

Avec Luke Evans, Adelaide Clemens, America Olivo, Derek Magyar, Beau Krapp, Lee Tergesen

THEMA TUEURS

Une ribambelle de gangsters à la petite semaine recherche le coup qui pourra leur remplir les poches durablement. D’autant que leur dernière petite magouille (le cambriolage d’une baraque cossue) vient de tourner en eau de boudin, laissant quelques pauvres innocents sur le carreau. Dès lors, le tocard du groupe prend les choses en main et réussit un coup de maître en kidnappant un touriste et sa compagne, croisés dans un resto du coin. Alors qu’il vide la voiture de sa victime dans le but d’en revendre les pièces détachées, il constate qu’elle contient, dans le coffre, un faux fond derrière lequel se trouve une jeune femme. La proie va s’avérer être le plus terrible des prédateurs, un tueur sadique et invincible. Les vannes sont ouvertes, le bain de sang peut commencer…

A n’en point douter, ce qui aura séduit le japonais Ryuhei Kitamura dans ce projet est une nouvelle possibilité de modeler à sa façon une icône, en l’occurrence l’impitoyable « Driver » dont le patronyme évoque celui du « Hitcher » de Robert Harmon. Les deux œuvres partagent d’ailleurs une ambiance très poisseuse, un scénario rempli de rebondissements (pas toujours très heureux pour l’heure) et un impitoyable serial killer décimant, avec une étourdissante habileté, le moindre petit caillou traînant sur son itinéraire. Succédant à Tak Sakaguchi (l’ultime guerrier à la lame affûtée de Versus) et au monolithique Vinnie Jones plutôt adroit dans le maniement du maillet (The Midnight Meat Train), Luke Evans troque les frusques mythologiques d’Apollon et Zeus pour la dégaine d’un monstre assoiffé de sang, adepte des mises en scène macabres et particulièrement ingénieux dans l’utilisation d’un arsenal de fortune (un moteur, une paire de menottes suffisent à alimenter cette machine à tuer).

La chasse vire au carnage

Mais au moment où le raisiné s’écoule en flots et que le jeu de chasse vire au carnage, No one Lives révèle sa plus grosse faiblesse : un script qui, malgré une construction plutôt maligne dans son premier tiers, s’avère incapable de tailler une carrure à ses personnages secondaires (si ce n’est la belle Adelaïde Clemens), simples chairs à canon destinées au dézingage en règle de l’équarrisseur Evans. Dès lors, le show ne repose plus que sur les épaules du meurtrier qui, pour renforcer son sadisme, emprunte les tics du Mister Blonde de Reservoir Dogs, reprend à son compte une tactique d’Hannibal Lecter et affole les papilles des cinéphiles avec une scène de meurtre sous la douche lorgnant davantage vers le cinéma de Brian De Palma que vers celui de Alfred Hitchcock. No one lives se situe qualitativement bien en-deçà de l’adaptation de la nouvelle de Clive Barker, mais se révèle être un honnête direct-to-video généreux en débordements gore et plutôt habile dans l’édification d’une nouvelle machine à tuer. On regrettera cependant que certaines idées n’aient pas été menées à terme (les cicatrices que portent les préférées du tueur) ainsi qu’un humour noir assez pataud… 

 

© Damien Taymans 

Partagez cet article