LA CHOSE DERRIÈRE LA PORTE (2023)

Pour faire revenir son mari tombé au front pendant la première guerre mondiale, une jeune femme désespérée se tourne vers la magie noire…

LA CHOSE DERRIÈRE LA PORTE

 

2023 – FRANCE

 

Réalisé par Fabrice Blin

 

Avec Séverine Ferrer, David Doukhan, Clémence Verniau, Philippe Lamendin, Fabien Jegoudez, Yves Lecat, Quentin Surtel

 

THEMA SORCELLERIE ET MAGIE

Voilà plusieurs années que Fabrice Blin taquine la camera. Après avoir signé une poignée de courts-métrages et un documentaire consacré au légendaire format Super 8, il s’attaque avec La Chose derrière la porte à son premier long de fiction en se réappropriant partiellement une imagerie qu’il avait déjà mise en scène dans l’un de ses courts, Mandragore. Si les écrits de H.P. Lovecraft et de ses contemporains (notamment Clark Ashton Smith) peuvent naturellement venir à l’esprit, et si les mutations organiques de David Cronenberg ne semblent pas très loin, Fabrice Blin se réclame aussi d’une littérature fantastique très hexagonale, celle de Maurice Renard et Claude Seignolle. Les influences composites qui le nourrissent auraient pu entraver le résultat final et muer La Chose derrière la porte en patchwork de clins d’œil, travers parfois imputables aux baptêmes de mise en scène. Or ce premier film possède au contraire une personnalité et une singularité indiscutables, justement parce que ses sources d’inspiration ont été digérées et régurgitées sous une forme nouvelle. Boosté par sa pulsion créatrice, motivé par l’enthousiasme de son coproducteur Jean-Marc Toussaint, épaulé par une petite équipe de tournage dévouée, Fabrice Blin plante ses caméras pendant trois semaines dans la maison de campagne de ses beaux-parents et y construit pièce par pièce son film.

Nous sommes en 1914. Alors que la Première Guerre mondiale fait rage dans les campagnes françaises, Jean (David Doukhan), le fusil à l’épaule, s’en va combattre les Allemands au grand dam de sa bien-aimée Adèle (Séverine Ferrer) qui reste seule dans sa maison au milieu de la campagne, dans l’espoir fragile de le voir rentrer sain et sauf. Mais la nouvelle tant redoutée finit par arriver : Jean a succombé dans les tranchées. Dévastée par la douleur et incapable d’accepter cette perte, Adèle sombre peu à peu dans le désespoir. Ses nuits sont hantées de cauchemars où elle voit son mari disparu, et ces visions la guident jusqu’à un mystérieux grimoire enfoui dans les ruines d’une forêt proche. Ce livre ancien, qui n’est pas sans nous rappeler bien sûr le Necronomicon, renferme des secrets occultes et des formules interdites. Au fil de sa lecture, Adèle comprend qu’elle détient peut-être le pouvoir de faire l’impensable : ramener Jean d’entre les morts. Mais peut-on impunément jouer les nécromanciens sans en payer le prix fort ?

Body Snatchers

L’un des partis pris artistiques les plus radicaux du film est l’épure de ses dialogues, qui se résument finalement à peu de choses. Et ce n’est pas plus mal, puisque nous tutoyons ici l’indicible cher à Lovecraft, l’abomination innommable à laquelle aucun mot ne saurait rendre justice. La Chose derrière la porte baigne d’ailleurs en permanence dans une atmosphère onirique qui nous laisserait presque imaginer que tout ce que s’y passe pourrait être le fruit d’un cauchemar enfiévré. Ce qui expliquerait les réactions un peu décalées du personnage incarné par Séverine Ferrer – mi sidération mi fascination – face à l’horreur sans cesse renouvelée qui se présente à sa porte. Convoquer le mythe de la mandragore entraîne forcément une imagerie de « body horror » végétale qui n’est pas sans rappeler L’Invasion des profanateurs de sépultures et toutes ses variantes, une référence une fois de plus pleinement assumée et intelligemment détournée. Malgré un budget qu’on imagine extrêmement restreint, Fabrice Blin soigne sa mise en scène avec un étonnant souci du détail. La photographie, les décors, le design sonore, la musique oppressante de Raphael Gesqua, les impressionnants maquillages spéciaux de David Scherer, rien n’est laissé au hasard, tout concourt à bâtir cette ambiance moite qui s’immisce dès les premières minutes du métrage et ne le quitte plus jusqu’à son climax déchirant. On saluera au passage la pleine implication de Séverine Ferrer et la présence imposante de David Doukhan, un rôle qui – espérons-le – lui ouvrira la porte vers d’autres personnages et d’autres univers.

 

© Gilles Penso


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SPEAK NO EVIL (2024)

Habité par son rôle de psychopathe exubérant, James McAvoy tient la vedette de ce remake américain de Ne dis rien

SPEAK NO EVIL

 

2024 – USA

 

Réalisé par James Watkins

 

Avec James McAvoy, Mackenzie Davis, Scoot McNairy, Aisling Franciosi, Alix West Lefler, Dan Hough, Kris Hitchen, Motaz Malhees, Jakob Højlev Jørgensen

 

THEMA TUEURS

L’idée d’un remake du glacial Ne dis rien de Christian Tafdrup pouvait sembler parfaitement incongrue, uniquement mue par l’appât du gain des studios hollywoodiens et les mauvaises habitudes prises par le grand public outre-Atlantique. Pourquoi risquer de distribuer sur le territoire de l’Oncle Sam un film dano-hollandais avec des acteurs inconnus alors qu’une version américaine avec un comédien populaire en tête d’affiche a de plus grandes chances d’attirer les spectateurs en masse ? Tel fut le raisonnement tristement logique du producteur Jason Blum au moment de la mise en chantier de Speak No Evil, deux ans seulement après la sortie du film original (dont la plupart des dialogues étaient pourtant échangés en langue anglaise, ce qui n’aurait pas dû représenter une barrière pour le public US). La réalisation de cette nouvelle version est confiée à James Watkins, à qui nous devons deux autres films de genre très remarqués : Eden Lake en 2008 et La Dame en noir en 2012. Ce choix est loin d’être inintéressant, dans la mesure où Tafdrup lui-même avoue s’être partiellement inspiré d’Eden Lake pour réaliser Ne dis rien. La boucle serait-elle en quelque sorte bouclée ?

Les nationalités des protagonistes ont changé mais la situation de départ reste rigoureusement identique. Pendant leurs vacances en Italie, Louise et Ben Dalton (Mackenzie Davis et Scoot McNairy), un couple d’Américains accompagné de leur fille de 12 ans Agnes (Alix West Lefler), se lient d’amitié avec Paddy et Ciara (James McAvoy et Aisling Franciosi), deux Anglais au tempérament volcanique, et avec leur fils Ant (Dan Hough), extrêmement timide et handicapé par une atrophie de la langue. De retour chez eux après les vacances, Louise et Ben reçoivent une lettre de Paddy et Ciara qui les invitent à séjourner quelques jours avec eux dans leur ferme isolée du Devon. Nos Américains biens sous tous rapports connaissant quelques problèmes de couple et leur fille souffrant d’une anxiété maladive qui la pousse à s’attacher à son lapin en peluche, ce petit séjour de détente dans la campagne semble être une bonne idée. L’accueil sur place est certes chaleureux, mais une série d’incidents et le comportement passif-agressif des hôtes gâchent un peu l’ambiance…

Surenchère

On le voit, Speak No Evil joue dans un premier temps la carte de la fidélité extrême à son modèle, qu’il reproduit presque plan par plan, réplique par réplique. Le montage ajoute certes des petites choses ici et là, accentuant surtout le caractère fantasque de Paddy, mais nous restons en terrain très connu. Ce que le remake cherche à apporter par rapport au film original, c’est d’abord une certaine légèreté de ton (l’humour noir y est frontalement assumé), quitte à forcer un peu le trait. Le scénario tient aussi à expliciter les incidents survenus dans le passé des protagonistes pour leur donner un peu de chair. L’intention est louable, même si nous aurions tendance à préférer les non-dits de Ne dis rien qui jouait habilement sur la suggestion. Speak No Evil s’éloigne surtout de son modèle au moment du dernier acte, différant la révélation finale pour distiller les informations plus en amont. L’objectif est manifestement de renforcer le suspense de la situation. Mais le final vire brusquement à la caricature, oubliant toute demi-mesure, surexpliquant tout, convoquant les fusillades, la pyrotechnie et les cascades, transformant McAvoy en émule hurlant et gesticulant du Jack Nicholson de Shining, bref caressant dans le sens du poil un public américain décidément jugé infantile. Le film reste très efficace, jouant habilement avec les nerfs des spectateurs, mais l’audace nihiliste de Ne dis rien cède ici le pas à une sorte de Vaudeville grandguignolesque qui tourne presque à la parodie et amenuise du même coup l’impact de l’œuvre originale – laquelle tournait justement le dos aux canons hollywoodiens.

 

© Gilles Penso


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NE DIS RIEN (2022)

Après avoir sympathisé pendant des vacances en Italie, une famille danoise et un couple hollandais décident de se revoir… Mais le pire les attend !

SPEAK NO EVIL

 

2022 – DANEMARK / HOLLANDE

 

Réalisé par Christian Tafdrup

 

Avec Morten Burian, Sidsel Siem Koch, Fedja van Huet, Karin Smulders, Liva Forsberg, Marius Damslev, Hichem Yacoubi

 

THEMA TUEURS

Ne dis rien est le troisième long-métrage du réalisateur danois Christian Tafdrup, surtout connu jusqu’alors pour ses activités d’acteur. Après avoir dirigé le drame fantastique Parents en 2016 et la romance tourmentée A Horrible Woman en 2017, il s’attaque à ce thriller psychologique basculant progressivement dans l’horreur, dont le sujet lui aurait été inspiré par une expérience personnelle. Alors qu’il était en vacances en Toscane avec sa famille, il fit la rencontre d’un couple très amical mais plutôt bizarre, qui lui écrivit par la suite pour l’inviter à passer quelques jours chez eux. Tafdrup déclina l’invitation, mais son imagination se mit dès lors en branle. Que se serait-il passé s’il était allé leur rendre visite ? C’est avec cette supposition en tête que le réalisateur et son frère Mads écrivent le scénario anxiogène de Ne dis rien. Ce script commence à faire le tour du Danemark et de la Hollande, mais il n’est pas simple de trouver des comédiens susceptibles de s’engager dans un récit aussi nihiliste, cultivant un malaise croissant jusqu’à une apothéose glaciale. C’est finalement le couple à la ville Karina Smulders et Fedja van Huêt qui accepte d’incarner les « Hollandais inquiétants », tandis que Morten Burian et Sidsel Siem Koch jouent leurs invités danois. Interrompu à quatre reprises à cause des contraintes sanitaires imposées par la pandémie du Covid 19, le tournage de Ne dis rien se sera étalé sur une année entière.

Conformément à l’anecdote réelle vécue par le cinéaste, l’histoire démarre en Toscane. Bjorn y passe des vacances paisibles avec son épouse Louise et leur petite fille Alice, qu’il aimerait bien voir un peu murir et accepter notamment de prendre ses distances avec son doudou. Ces Danois à la vie bien rangée font sur place la rencontre d’une autre famille, venue de Hollande : Patrick, Karin et leur fils Abel, dont la timidité maladive est accrue par une atrophie de la langue l’empêchant de parler. La tranquillité « petite-bourgeoise » des uns tranche avec la jovialité un peu exubérante des autres, mais le courant passe. De retour chez eux, Bjorn et Louise reçoivent une lettre du couple hollandais leur proposant de venir leur rendre visite dans leur maison champêtre. Ils hésitent un peu : après tout, ils se connaissent à peine. Mais ce week-end au vert ne leur ferait-il pas du bien, ainsi qu’à la petite Alice ? Ils finissent par accepter, sans savoir que leur destin s’apprête à basculer définitivement…

Les limites de l’acceptable

Dès les premières secondes de son film, Christian Tafdrup crée une rupture entre ce que montre l’image (une voiture qui s’approche d’une maison de vacances puis une piscine ensoleillée) et ce qu’évoque la bande son (une musique particulièrement oppressante aux tonalités lourdes et agressives). Le jeu des contraires s’impose donc immédiatement. Ces nappes musicales stressantes continuent de s’inviter plus tard, dans les scènes les plus banales et les plus quotidiennes, comme pour prévenir les protagonistes que quelque chose de terrible se prépare, qu’il est encore temps d’éviter le pire et de faire machine arrière. Mais bien sûr, seuls les spectateurs entendent cet avertissement, la mise en scène créant un effet de suspense insidieux sur la base d’une menace encore mal définie. Or bientôt, Bjorn et Louise font face à des comportements de la part de leurs hôtes qui dépassent clairement les bornes. Ils s’en accommodent pourtant, par politesse, par réserve, par bienséance. Mais quelle est la limite au-delà de laquelle l’incongruité finit par devenir inadmissible ? Tel est le sujet de Ne dis rien, qui s’appuie sur les différences de mentalités entre la société danoise et hollandaise pour creuser un fossé croissant, jusqu’au point de rupture. L’horreur finit par surgir frontalement, avec d’autant plus d’impact qu’elle semble gratuite, illogique, injustifiée. Révélé à Sundance en 2022, ce film coup de poing, porté par des acteurs pleinement investis et une mise en scène redoutablement efficace, fera l’objet d’un remake américain deux ans plus tard.

 

© Gilles Penso


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GROSSE FATIGUE (1994)

Pour son deuxième long-métrage derrière la caméra, Michel Blanc se met en scène dans son propre rôle face à un sosie maléfique qui lui pourrit la vie !

GROSSE FATIGUE

 

1994 – FRANCE

 

Réalisé par Michel Blanc

 

Avec Michel Blanc, Carole Bouquet, Philippe Noiret, Josiane Balasko, Marie-Anne Chazel, Christian Clavier, Charlotte Gainsbourg, Gérard Jugnot, Thierry Lhermitte

 

THEMA DOUBLES

Le succès de Marche à l’ombre fut vertigineux. Sorti en 1984 dans toute la France, le premier long-métrage de Michel Blanc en tant que réalisateur cassa la baraque, enregistra six millions d’entrées et fit la joie de son producteur Christian Fechner. Blanc étant plutôt d’une nature angoissée, il ne sut comment appréhender un tel triomphe. « J’ai un tempérament peut-être un peu tordu qui fait que je me dis : “Ouh là, attention, c’est le moment au contraire d’être extrêmement prudent, ce n’est pas le moment de se laisser porter” », racontera-t-il quelques années plus tard, le sourire aux lèvres. « Ce qui fait que j’ai mis dix ans à écrire un deuxième film, mais ça c’est ma nature ! » (1) Ce deuxième film, c’est Grosse fatigue, et son accouchement est effectivement douloureux. L’envie première consiste pour l’acteur/réalisateur à casser son image de petit loser râleur et hypocondriaque, puis à traiter le rapport étrange qui se noue entre les stars de cinéma et les spectateurs. Avec la bénédiction du producteur Patrice Ledoux, il écrit une première mouture avec Josiane Balasko mais se retrouve dans une impasse. Bertrand Blier, qui a dirigé Blanc dans Tenue de soirée, propose de lui donner un coup de main, mais ses idées emmènent le film dans une dimension fantastique délirante (avec notamment une usine qui fabrique des clones d’acteurs !) qui coupe court à la collaboration entre les deux hommes. L’une des suggestions de Blier va pourtant faire mouche : demander à tous les acteurs principaux du film de jouer leur propre rôle.

C’est finalement une mésaventure réelle vécue par Gérard Jugnot qui va permettre au scénario de Grosse fatigue de trouver sa forme définitive. Pour les besoins du tournage de Pinot simple flic, Jugnot avait en effet engagé un sosie qui décida par la suite de se faire passer pour lui en se prêtant à des animations dans des grandes surfaces de la région parisienne ! Lorsque Grosse fatigue commence, Michel Blanc – dans son propre rôle, donc – découvre que Josiane Balsako, Charlotte Gainsbourg et Mathilda May l’accusent d’avoir abusé d’elles sexuellement. Ils se serait également comporté de manière inacceptable pendant le dernier Festival de Cannes, aurait provoqué un scandale dans la discothèque de Régine et se prêterait à l’insu de son agent à des animations dans des supermarchés en échange de quelques cachets minables. Les accusations sont graves et flagrantes. Pourtant, Blanc sait qu’il est innocent. À moins que sa santé mentale ne soit en train de vaciller ? Pour l’aider à comprendre pourquoi sa vie est en train de virer au cauchemar, il demande l’aide de Carole Bouquet et découvre l’invraisemblable vérité : Patrick Olivier, un homme qui lui ressemble comme deux gouttes d’eau, a usurpé son identité, s’appropriant même ses amis et son cercle professionnel…

C’est pas moi, c’est lui

Si la mise en scène de Marche à l’ombre laissait encore entrevoir l’influence de Patrice Leconte chez l’apprenti-réalisateur qu’était alors Blanc, celle de Grosse fatigue adopte un style résolument différent cherchant à immerger les spectateurs dans un sentiment d’authenticité brute. D’où les prises de vues caméra à l’épaule, l’absence de musique, le montage nerveux. Cette mise en forme brute et naturaliste – renforcée par la présence d’acteurs et de personnalités médiatiques qui interprètent des versions fictionnées d’eux-mêmes – permet à l’argument fantastique de s’intégrer en douceur. Certes, nous n’avons finalement affaire ici qu’à un banal sosie cherchant à se placer sous le feu des projecteurs. Mais sa ressemblance quasi-surnaturelle avec son modèle (le physique, la voix, la gouaille) et sa capacité à se substituer à lui sans que personne ne soit capable d’apercevoir la supercherie nous éloignent de toute quête de réalisme pour basculer dans la métaphore (comme en témoigne ce final désenchanté avec un Philippe Noiret incroyablement touchant). Et si Blanc conserve sa personnalité d’auteur d’un bout à l’autre du métrage (tous les dialogues sont de lui), l’influence de Blier finit par transparaître dans ce troisième acte troquant le comique de situation contre une certaine poésie surréaliste. Primé à Cannes pour son scénario et ses effets spéciaux (le dédoublement de Blanc à l’écran repoussait à l’époque les limites de ce que savaient faire les outils numériques), Grosse fatigue se redécouvre à chaque fois avec autant de jubilation, confirmant que Michel Blanc n’était pas seulement un acteur exceptionnel mais aussi un grand cinéaste.

 

(1) Propos recueillis par votre serviteur en septembre 2002.

 

© Gilles Penso


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LE MIROIR AUX MERVEILLES (1996)

Une petite fille traverse le miroir de son arrière-grand-mère et se retrouve propulsée dans un monde parallèle habité par de vilains canards !

MAGIC IN THE MIRROR

 

1996 – USA

 

Réalisé par Ted Nicolaou

 

Avec Jamie Renée Smith, Kevin Wixted, Saxon Trainor, David Brooks, Godfrey James, Eileen T’Kaye, Eugen Christian Motriuc, Ion Haiduc, Ileana Sandulescu

 

THEMA CONTES I SAGA CHARLES BAND

Au milieu des années 80, le scénariste Ed Naha (Troll, Les Poupées, Chérie j’ai rétréci les gosses) développe l’idée d’un conte de fées familial, Mirrorworlds, destiné à la compagnie de production Empire Pictures que dirige Charles Band. Mais Empire ferme ses portes et le projet est abandonné. Lorsque Band met sur pied Full Moon Entertainments puis Moonbeam, une branche spécialement consacrée aux films pour enfants (Prehysteria, Le Château du petit dragon), l’idée de Mirrorworlds est ressortie des tiroirs. Kenneth Carter s’attelle au nouveau scénario et la réalisatrice Linda Hassani, qui vient de réaliser Dark Angel : The Ascent, est chargée de réaliser le film. « Nous avons passé beaucoup de temps sur les préparatifs, en créant notamment un book complet qui présentait tous les personnages, en nous inspirant des fleurs et des plantes pour leur design », se souvient-elle. « Malheureusement, ce projet s’est heurté à des obstacles financiers et nous n’avons jamais lancé la production. C’est dommage, parce que ce film, qui s’appelait alors Mary Margaret’s Mirror, aurait été magnifique. » (1) Il est évidemment regrettable qu’Hasani n’ait pas pu apporter sa vision de cinéaste sur ce Miroir aux merveilles, qui sera finalement récupéré par « l’homme à tout faire » de Charles Band, le réalisateur tout-terrain Ted Nicolaou.

Habitué aux tournages roumains depuis qu’il a lancé la franchise Subspecies, Nicolaou se débrouille comme toujours avec un budget très modeste pour réaliser non pas un seul film mais deux en même temps. Le Miroir aux merveilles et Le Miroir aux merveilles 2 sont en effet tournés dans la foulée, en prévision de leur double sortie dans les bacs vidéo. Le script final, rédigé par Ken Carter et Frank Diez, reprend la même mécanique qu’« Alice au pays des merveilles » (dont il emprunte de très nombreux éléments) et les mélange avec… Howard the Duck ! Comment définir autrement cette histoire délirante dans laquelle une fillette prénommée Mary Margaret (Jamie Renée Smith), hérite d’un miroir ancestral légué par son arrière-grand-mère et découvre qu’un monde parallèle se cache de l’autre côté du reflet, peuplé par des lutins aux oreilles tombantes, des hommes-arbres, des petites fées lumineuses qui ne sont autre que les amies imaginaires de la jeune héroïne, une reine autoritaire et surtout toute une armée de canards anthropomorphes belliqueux qui adorent boire du thé en obéissant aux ordres de leur souveraine capricieuse ?

Prises de bec

L’une des premières qualités du film est la direction de ses acteurs, malgré son concept joyeusement absurde. La petite Jamie Renée Smith, révélée trois ans plus tôt et future habituée des séries TV, y est délicieusement pétillante. La séquence à priori anodine du repas familial dans laquelle sa mère physicienne (Saxon Trainor) est fière de célébrer une découverte scientifique de premier ordre auprès de son collègue, tellement obnubilée par ses travaux que personne ne peut en placer une, est une petite merveille de timing, l’incommunicabilité et la gêne finissant par s’installer durablement. De l’autre côté du miroir, Nicolaou tire parti comme il peut des décors mis à sa disposition, nous montrant notamment un jardin hérissé de portes qui donnent chacune accès à la chambre à coucher d’un foyer humain. Le parallèle avec Monstres et compagnie nous vient naturellement à l’esprit, d’autant qu’ici aussi, l’arrivée d’une petite fille dans cet univers peuplé d’étranges créatures risque de provoquer le chaos. Mais irions-nous jusqu’à dire que l’équipe de Pixar s’est inspirée du Miroir aux merveilles ? Charles Band serait bien sûr le premier à répondre par l’affirmative. Toujours est-il que la vision de tous ces canards surexcités qui font bouillir des humains dans une théière géante pour boire leur breuvage préféré puis volent en formation dans les cieux en criant « coin coin » à l’unisson a quelque chose de follement surréaliste. Le gentil happy end final laisse bien sûr une porte ouverte vers le second épisode.

 

(1) Propos extraits du livre « It Came From the Video Aisle ! » (2017)

 

© Gilles Penso

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SHANDRA, LA FILLE DE LA JUNGLE (1999)

Selon une vieille légende, une femme sauvage vivrait depuis des siècles dans une forêt reculée d’Amérique du Sud…

SHANDRA THE JUNGLE GIRL

 

1999 – USA

 

Réalisé par Sybil Richards

 

Avec Lisa Throw, Mia Zottoli, Drake Tatum, Tori Sinclair, Burke Morgan, David Christensen, John Lopez, Steve Ginzburg, Nicholas Yee, Kristina Renee

 

THEMA EXOTISME FANTASTIQUE I SAGA CHARLES BAND

En parfait émule de son aîné Roger Corman, Charles Band n’est jamais à court d’idées lorsqu’il faut surfer sur les modes du moment. Ainsi, lorsqu’il entend parler de la diffusion imminente de la série TV Sheena, reine de la jungle, avec Gena Lee Nolin dans le rôle principal, le patron de la compagnie Full Moon Entertainment décide de lancer sur les écrans sa propre sauvageonne en peaux de bêtes. Il n’en faut pas plus pour initier Shandra, la fille de la jungle, qui vient grossir les rangs des autres héroïnes sexy du catalogue Surrender Cinema dirigé par Pat Siciliano, aux côtés d’Andromina la planète du plaisir, Les Vierges de la forêt de Sherwood ou encore Zorrita la vengeresse de la passion. Dans un premier temps, le titre envisagé est Shandra, reine de la jungle, comme le laissent entendre les paroles de la chanson du générique (qui n’est pas sans évoquer celle de Virtual Encounters 2) dans laquelle une crooneuse à la Shirley Bassey décrit les exploits de « Shandra, Queen of the Jungle ». Sans doute Band et Siciliano décidèrent-ils de remplacer « La reine de la jungle » par « La fille de la jungle » pour éviter de risquer un procès avec les ayants droits du personnage de « Sheena ». Le rôle-titre est confié à Nenna Quiroz, une actrice de 26 ans créditée au générique sous le pseudonyme de Lisa Throw.

Selon une légende tenace qui se perpétue de génération en génération, Shandra est donc une femme sauvage, à la fois séduisante et redoutable, qui vit au fin fond de la jungle d’Amérique du Sud et semble posséder le secret de la jeunesse éternelle. Parti à sa recherche, le professeur Armstrong (Steve Ginzburg) fait son rapport au milieu de la nuit, seul dans son campement : « Aucune trace de la créature dont nous ont parlé les indigènes » dit-il d’un air désabusé. « J’ai bien peur que Shandra rejoigne Bigfoot et Nessie dans le dossier des affaires bidon. » Soudain, il est attaqué et on ne retrouve plus que son cadavre, vidé de son énergie vitale. Malgré les réticences des collègues du défunt (Mia Zotoli et Drake Tatum), une nouvelle expédition est confiée à Karen Sharp (Tori Sinclair), experte de la chasse en terrain hostile. L’instigateur de cette mission est Travis Fox (David Christensen), qui entend bien capturer la créature et la monnayer au prix fort. Pour bien nous faire comprendre que ce film n’est pas à prendre trop au sérieux, la chasseuse se prépare dans son bain moussant en regardant des extraits de Cave Girl Island, avant que l’avion ne transporte le petit groupe en Amérique du Sud (avec une animation du trajet sur une carte façon Indiana Jones). Sur place, ils finissent par tomber nez à nez avec Shandra…

Pas très vierge cette forêt…

Traitée ouvertement sous un angle surnaturel, la belle sauvageonne possède le pouvoir de vider les hommes de leur essence vitale après les avoir soumis à ses torrides étreintes, ce qui explique sa longévité (et ce qui permet au film d’enchaîner les séquences érotico-exotiques). « C’est une créature sexuelle » commente très sérieusement l’une des scientifiques pour les spectateurs distraits qui n’auraient pas compris. Les deux scènes les plus (involontairement ?) drôles la montrent en train d’empoigner le couple de chercheurs qui l’a prise sous son aile. La première fois, ils entrent en transe et voient soudain des animaux préhistoriques en stop-motion qui battent la campagne (des extraits de La Planète des dinosaures qui tombent comme un cheveu dans la soupe et que Charles Band avait déjà utilisés dans Cave Girl Island). La seconde fois, ils s’imaginent tous nus en train de gambader dans la forêt en riant et en se faisant des mamours, sous le regard torve d’une panthère et d’un perroquet empruntés sans doute à un autre film. La jungle elle-même – filmée en réalité en Californie – n’a rien de particulièrement sauvage, mais le vrai point faible de Shandra est le manque d’expressivité de Lisa Throw dans le rôle principal. Sa présence physique peu impressionnante et ses déplacements apathiques dans la forêt peinent à nous faire croire à la légende vivante qu’elle est censée incarner. Force est de constater que n’importe laquelle des autres actrices du film aurait sans doute été plus convaincante qu’elle. Cela dit, voilà sans doute l’un des opus les plus distrayants et les plus originaux du catalogue Surrender Cinéma.

 

© Gilles Penso

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PAS DE CETTE TERRE (1957)

Un extra-terrestre dont la civilisation est mourante se fait passer pour un Terrien dans le but d’étudier le sang des humains…

NOT OF THIS EARTH

 

1957 – USA

 

Réalisé par Roger Corman

 

Avec Paul Birch, Beverly Garland, Morgan Jones, William Roerick, Jonathan Haze, Roy Engel, Dick Miller, Anna Lee Carroll

 

THEMA EXTRA-TERRESTRES I SAGA ROGER CORMAN

Après avoir travaillé avec Roger Corman sur le western La Loi des armes, le scénariste Charles B. Griffith lui propose de poursuivre cette collaboration avec deux petits films de science-fiction : Pas de cette Terre et It Conquered the World. Coutumier du genre depuis son début de carrière (avec des films comme Le Monstre de l’océan, The Beast with a Million Eyes ou Day the World Ended), Corman accepte tout de suite, à condition de pouvoir tourner chacune de ces séries B en deux semaines pour moins de 100 000 dollars. Pas de cette Terre raconte l’histoire d’un extra-terrestre qui se fait passer pour un être humain (Paul Birch). Sous le nom de Mr Johnson, il se promène avec un chapeau sur la tête, des lunettes de soleil sur les yeux et une étrange mallette à la main. Venu de la planète Davanna, où les habitants ont développé une maladie du sang incurable à la suite d’une guerre nucléaire, il a été envoyé sur Terre dans le but d’examiner le sang des humains pour déterminer s’il pourrait être utile pour guérir sa race mourante. Afin de remplir sa mission, Johnson s’installe dans un luxueux manoir à Griffith Park, puis engage un chauffeur/garde du corps (Jonathan Haze) et une infirmière (Beverly Garland) qui ignorent tout de sa vraie nature…

Dotant son film d’un rythme nerveux et sans temps morts, adoptant une mise en scène simple mais très fluide, Roger Corman semble gagner en assurance et en efficacité au fil des longs-métrages qu’il réalise, tout en s’appuyant sur un casting judicieux. Paul Birch est parfait sous la défroque de cet alien glacial et sans émotion aux manières guindées, Beverly Garland impeccable dans le rôle d’une infirmière pétillante au caractère trempé, Jonathan Haze joyeusement cabotin en ancienne petite frappe muée en « employé modèle ». On apprécie aussi la petite apparition de ce bon vieux Dick Miller en vendeur d’aspirateurs qui fait du porte-à-porte, improvisant une partie de ses répliques en s’inspirant de sa propre expérience passée de représentant de commerce. Malgré le budget minuscule qu’il s’octroie, Corman assume le caractère frontalement science-fictionnel du film en visualisant les pouvoirs étranges de Mr. Johnson. Sans jamais perdre son impassibilité, ce dernier brûle ses victimes humaines avec son regard blanc, conserve leur sang dans son frigo, fait disparaître les corps dans sa chaudière, puis communique régulièrement avec une autorité supérieure qui prend les allures d’une tête flottante au-dessus d’une espèce de cabine de téléportation. Le « clou du spectacle » est l’apparition finale d’un alien volant mi-chauve-souris mi-parapluie du plus bel effet !

« Je suis un acteur, je n’ai pas besoin de ça ! »

Le tournage du film est entaché par une tension croissante entre Paul Birch et Roger Corman. Très incommodé par les lentilles de contact blanches qu’il est forcé de porter chaque jour (même lorsque ses yeux sont cachés par des lunettes de soleil, dans la mesure où le planning des prises de vues évolue sans cesse), Birch finit par craquer. « Je suis un acteur, je n’ai pas besoin de ça ! » crie-t-il sur le plateau avant de claquer la porte avant la fin du tournage. Corman est donc forcé de faire appel à une doublure pour les plans manquants. Le cinéaste garde malgré tout un très bon souvenir de Pas de cette Terre et de l’accueil que lui réserva le public. « C’était une histoire assez peu banale et le film a tout de suite bien marché », raconte-t-il. « Y avoir ajouté un humour pince-sans-rire a porté ses fruits : il a rapporté environ un million de dollars. C’était là un tournant majeur, car le film a confirmé que mélanger science-fiction et humour décalé ne faisait qu’augmenter l’intérêt pour le genre. » (1) Présenté en double-programme avec L’Attaque des crabes géants sous le slogan « Terrorama ! Double Horror Sensation ! », Pas de cette Terre fera l’objet d’un remake en 1988, Le Vampire de l’espace, avec Traci Lords en tête d’affiche.

 

(1) Extrait de la biographie “Comment j’ai fait 100 films sans jamais perdre un centime” par Roger Corman et Jim Jerome, publiée en 1990

 

© Gilles Penso

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SHRIEKER (1998)

Six étudiants qui logent illégalement dans un hôpital désaffecté font face à un démon hurleur capable de se téléporter…

SHRIEKER

 

1998 – USA

 

Réalisé par David DeCoteau

 

Avec Tanya Dempsey, Jamie Gannon, Parry Shen, Alison Cuffe, Thomas R. Martin, Chris Boyd, Jenya Lano, Jason-Shane Scott, Brannon Gould, Rick Buono

 

THEMA DIABLE ET DÉMONS I PETITS MONSTRES I SAGA CHARLES BAND

Entre 1998 et 2000, pas moins de treize longs-métrages réalisés par le stakhanoviste David DeCoteau seront sortis dans les bacs vidéos pour le compte du producteur Charles Band, qu’il s’agisse d’alimenter la compagnie Full Moon (Le Retour des Puppet Masters, Talisman, Alien Arsenal, Witchouse, Totem, Retro Puppet Master, Voodoo Academy), d’enrichir le catalogue des aventures calibrées pour le jeune public (Frankenstein Reborn !) ou d’enfiler les escapades érotiques destinées à un public plus averti (Contes macabres : la reine du château, The Killer Eye). Fidèle à ses habitudes, DeCoteau parvient à boucler Shrieker en un temps record (six jours de tournage seulement) et en le signant d’un de ses nombreux pseudonymes (ici Victoria Sloan). Malgré les restrictions de temps et d’argent, notre homme tient à soigner ce petit film d’horreur qu’il tourne au format Cinemascope 2 :35, même si malheureusement son exploitation en VHS n’offrira aux spectateurs qu’une version recadrée en 4/3. Le concept de Shrieker, qui s’appuie sur un scénario de Neal Marshall Steven (sous son nom d’emprunt habituel Benjamin Carr) semble vouloir concilier trois motifs horrifiques disparates en un tout relativement cohérent : le monstre tapi dans l’ombre façon Alien, les rites occultes voués à éveiller une créature démoniaque et le slasher pour ados réactivé par le succès de Scream. La mayonnaise ne prend pas toujours très bien, mais l’initiative reste très sympathique.

Nous suivons cette histoire étrange avec les yeux de Clark (Tanya Dempsey), une étudiante en mathématiques sans le sou qui n’a ni les moyens de se payer un logement sur le campus où elle travaille, ni même une colocation. Un autre étudiant, Zak (Jamie Gannon), lui fait alors part d’une solution inespérée : un hôpital abandonné dans lequel il s’est installé avec plusieurs amis. L’endroit est spacieux, organisé comme une petite communauté que mène l’autoritaire David (Parry Shen), avec à ses côtés l’étudiante en médecine Elaine (Jenya Lano), l’activiste communiste Tanya (Alison Cuffe) et le roi du bricolage Mike (Chris Boyd). Clark est acceptée par le groupe à condition de ne parler à personne de ce squat de luxe. La situation semble idéale. Mais parfois, des grognements bestiaux se font entendre dans les couloirs au beau milieu de la nuit. En effectuant des recherches, Clark découvre que l’hôpital a été abandonné à cause d’une série de meurtres commis dans les années 1940 par « le hurleur », un étrange tueur qui n’a jamais été capturé. Or quelqu’un, caché dans l’hôpital, semble pratiquer des rites occultes pour ramener à la vie un monstre qui serait l’auteur de ces crimes du passé…

Le cri qui tue

DeCoteau s’efforce de pratiquer le grand écart entre les codes du slasher classique (les étudiants et leurs histoires personnelles ou sentimentales, la recherche du coupable) et ceux d’un conte fantastique déconnecté de la réalité tangible. Nous avons donc d’un côté des personnages plutôt attachants, quelques dialogues incisifs et des traits d’humour réussis (comme le personnage de Mike qui insiste lourdement pour dire qu’il n’est pas gay, ce qui ne manque pas de sel quand on connaît la filmographie et la personnalité du réalisateur). De l’autre, nous découvrons cette créature au concept original (une sorte de démon humanoïde affublé de deux têtes simiesques siamoises) capable de traverser les murs et de se téléporter avant de frapper ses victimes. Les deux idées fonctionnent indépendamment, mais lorsque le scénario s’efforce de les combiner, Shrieker devient chaotique. Car à ce stade, les dialogues se révèlent surexplicatifs dans le but de nous donner le mode d’emploi qui régit le comportement de la bête et la suspension d’incrédulité s’évapore. On note que le principe du parchemin dont les victimes potentielles doivent se débarrasser avant d’être attaquées par le démon est directement emprunté à Rendez-vous avec la peur de Jacques Tourneur. Le film se suit sans déplaisir malgré ses faiblesses d’écriture, agrémenté d’une belle photographie de Brad Rushing et de maquillages spéciaux originaux signés Mark Williams (qui concevait la même année la créature de Frankenstein Reborn !).

 

© Gilles Penso


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MEGALOPOLIS (2024)

Le film le plus fou de Francis Ford Coppola réunit un casting hétéroclite dans une Amérique alternative aux allures de Rome antique…

MEGALOPOLIS

 

2024 – USA

 

Réalisé par Francis Ford Coppola

 

Avec Adam Driver, Giancarlo Esposito, Nathalie Emmanuel, Aubrey Plaza, Shia LaBeouf, Jon Voight, Laurence Fishburne, James Remar, Talia Shire, Dustin Hoffman

 

THEMA POLITIQUE FICTION

Francis Ford Coppola aurait pu abandonner des dizaines de fois, décréter qu’il y eut plus d’un signe l’intimant à passer à autre chose, se concentrer sur des projets plus sûrs et plus rémunérateurs. Mais Megalopolis s’est mué en obsession. Coûte que coûte, il fallait que ce film se concrétise. La première version du scénario date du début des années 1980. Après le spectaculaire échec au box-office de Coup de cœur, qu’il avait financé de sa poche, Coppola doit d’abord éponger ses dettes. Ce n’est qu’en 2001 que Megalopolis redémarre. Cette fois-ci, ce sont les attentats du 11 septembre qui stoppent tout. Quand le cinéaste relance les hostilités en 2019, il se heurte cette fois-ci à la pandémie du Covid-19. Coppola n’étant pas du genre à baisser les bras, il laisse passer la crise et puise dans ses deniers personnels les 120 millions de dollars exigés par le budget. La démarche pourrait sembler presque suicidaire, étant donné le caractère résolument non-commercial de l’œuvre. Mais quand on se lance dans un film comme Megalopolis, la pulsion créatrice l’emporte sur la logique du tiroir-caisse. Coppola est mû par un désir ardent : établir un parallèle entre la chute de Rome et l’avenir des États-Unis, en transposant dans un monde parallèle contemporain les événements de la conspiration des Catilinaires survenus en 63 avant J.C.

Dans New Rome, version alternative de New York, l’architecte César Catilina (Adam Driver) s’oppose à Franklyn Cicero (Giancarlo Esposito), le maire archi-conservateur de la ville. Inventeur visionnaire, César a développé le Megalon, un matériau bio-adaptatif révolutionnaire qu’il est convaincu de pouvoir utiliser pour changer le monde. Son rêve est désormais de bâtir Megalopolis, une cité utopique futuriste.  Or Cicero trouve ces idées fantasques et dangereuses. Il lance donc une campagne de diffamation contre César, l’accusant d’être responsable de la mort mystérieuse de sa femme. C’est le moment que choisit Wow Platinum (Aubrey Plaza), animatrice télé arriviste et maîtresse de César, pour séduire puis épouser le banquier millionnaire Hamilton Crassus III (Jon Voight). Entretemps, Julia (Nathalie Emmanuel), la fille du maire, engagée au départ pour espionner César, finit par tomber sous son charme et découvre qu’il a le pouvoir de stopper le temps. Elle sera une alliée de poids pour concrétiser le projet de Megalopolis, malgré les manigances du vil Clodio Pulcher (Shia LaBeouf), le cousin jaloux de César…

Boulimie créative

La science-fiction est donc ici convoquée pour aborder sous un angle allégorique les travers de notre société, sans pour autant que Coppola joue le jeu trop frontal de la satire politique. Redoublant d’idées de mise en scène, submergé par une boulimie créative qui n’est pas sans rappeler certaines fulgurances de Coup de cœur ou de Dracula, le père du Parrain et d’Apocalypse Now gorge son écran de trouvailles poétiques et symboliques, osant marier le cinéma du 21ème siècle transfiguré par les effets numériques avec celui des pionniers du cinéma muet. Mégalopolis évoque d’ailleurs beaucoup Metropolis, la forte similitude entre les titres des deux films n’étant probablement pas fortuite. Le surréalisme surgit partout, de ces immenses statues antiques qui s’effondrent mollement dans les rues à cette main qui surgit des nuages pour attraper la pleine Lune, en passant par les ombres immenses qui s’agitent sur les façades des bâtiments ou le bureau du maire qui s’enfonce dans le sable comme un navire qui sombre… Le temps étant l’un des motifs récurrents du film – César le décrit comme une sorte de ruban qui nous entoure en reliant le passé et le futur -, le cinéaste semble vouloir boucler la boucle en se référant à son tout premier long-métrage, Dementia 13, le temps d’une image macabre sous-marine. Ce retour en arrière positionnerait-il Megalopolis comme une œuvre-testament ? Il s’agit en tout cas d’un film-somme, d’un rêve de longue date enfin sorti des limbes, envers et contre tous. Et si les critiques se jetèrent sur sa carcasse comme des loups affamés lors de sa présentation au Festival de Cannes, gageons qu’il sera réévalué et fera même date dans l’histoire du cinéma. Combien de fois dans une vie assiste-t-on à un tel spectacle sur grand écran ?

 

© Gilles Penso


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L’APPARTEMENT 7A (2024)

Que s’est-il passé avant les événements racontés par Roman Polanski dans Rosemary’s Baby ? Voici la réponse…

APARTMENT 7A

 

2024 – USA

 

Réalisé par Natalie Erika James

 

Avec Julia Garner, Dianne West, Kevin McNally, Jim Sturgess, Marli Siu, Rosy McEwen, Andrew Buchan, Anton Blake Horowitz, Raphael Sowole, Tina Gray

 

THEMA DIABLE ET DÉMONS

S’attaquer à un classique aussi « sacré » que Rosemary’s Baby était un redoutable challenge. Bien conscients du risque, les producteurs John Krasinski et Michael Bay, via leurs compagnies respectives Sunday Night Productions et Platinum Dunes, décident de s’appuyer sur la sensibilité de la réalisatrice Natalie Erika James, signataire d’un très efficace Relic en 2020. Pour éviter toute comparaison avec l’œuvre originale – et peut-être aussi pour se défaire du nom de Roman Polanski devenu embarrassant -, cette prequel opte pour un titre énigmatique qui ne parlera qu’aux connaisseurs et cherche à prendre ses distances. « L’une de nos principales considérations était de s’assurer qu’il y ait une séparation et que les créateurs du film original ne soient pas impliqués dans celui-ci », confirme Natalie Erika James. « Nous avons donc essayé de faire référence au livre d’Ira Levin autant que possible et de l’utiliser comme source principale. Mais en même temps, Rosemary’s Baby est tellement emblématique que la comparaison est en quelque sorte inévitable. » (1) Pas de « fan service » ni de guest-star échappée du premier film, donc, dans cet Appartement 7A qui s’attache à raconter le parcours de Terry Ginoffrio, une jeune femme ayant habité l’immeuble Bramford avant Rosemary et son époux. Chez Polanski, ce personnage apparaissait brièvement sous les traits de l’actrice Victoria Vetri. Ici, il prend le visage de Julia Garner.

Nous sommes dans le New York de 1965. Après une mauvaise chute au beau milieu d’un spectacle qui l’a laissée blessée à la jambe, Terry court les auditions sans succès, accumule les factures et carbure à l’anti-douleur. Elle qui rêvait d’une carrière de star à Broadway, la voilà affublée d’une humiliante réputation, celle de « la fille qui est tombée ». Un jour, alors qu’elle est prise d’un malaise dans la rue, la jeune danseuse est recueillie par un couple de gens âgés, Minnie et Roman Castevet (Dianne Wiest et Kevin McNally). Ces derniers possèdent un appartement inoccupé dans le prestigieux immeuble Bramford et lui proposent de l’héberger gratuitement. Mieux : ils connaissent personnellement le très influent producteur Alan Marchand (Jim Sturgess), qui vit dans le même immeuble, et lui glissent deux mots pour que Terry rejoigne la troupe de son prochain spectacle. Tous les rêves de la jeune femme semblent donc sur le point de se réaliser. Mais ce cadeau est bien sûr empoisonné et l’ombre de Faust plane bientôt sur ces revirements de situation trop beaux pour ne pas cacher quelque chose de diabolique…

Les diaboliques

La mise en scène au cordeau de Natalie Erika James et l’interprétation impeccable de sa petite troupe d’acteurs emportent l’adhésion dès les premières minutes. Difficile de ne pas entrer en empathie avec cette danseuse sur qui le destin semble d’abord vouloir s’acharner. Absent de l’intrigue pendant une bonne demi-heure, le surnaturel ne surgit que par petites touches oniriques. Les choses basculent au cours d’un cauchemar que la réalisatrice a l’excellente idée de muer en show musical déviant. Mais le public des années 2020 étant sans doute plus impatient et moins curieux que celui des sixties, L’Appartement 7A finit par sacrifier à quelques effets un peu surlignés (justifiés par les hallucinations et les rêves tourmentés de la protagoniste). Tout ne se joue donc pas entre les lignes. Ici, le diable et son rejeton jouent à cache-cache avec les spectateurs au lieu de rester logés dans son imagination comme chez Polanski. Ainsi, peu à peu, le film qui partait si bien tombe dans les travers qu’il semblait vouloir éviter, oublie l’épure et ne laisse plus de place au doute… Fort heureusement, Natalie Erika James parvient à redresser la barre au cours d’un climax glaçant qui nous renvoie cette fois-ci frontalement – et ouvertement – non seulement à Rosemary’s Baby mais aussi au Locataire. Après avoir été présenté en avant-première au Fantastic Fest en 2024, L’Appartement 7A a débarqué directement sur la plateforme de streaming de Paramount + et en VOD. C’est dommage. Une sortie en salles n’aurait pas été de refus.

 

(1) Extrait d’une interview paru dans Hollywood Reporter en septembre 2024

 

© Gilles Penso

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