MOWGLI, LA LÉGENDE DE LA JUNGLE (2018)

Andy Serkis réalise une version très personnelle du « Livre de la Jungle », plus proche de Kipling que de Disney…

MOWGLI: LEGEND OF THE JUNGLE

 

2018 – USA

 

Réalisé par Andy Serkis

 

Avec Rohan Chand, Matthew Rhys, Freida Pinto et les voix de Christian Bale, Cate Blanchett, Benedict Cumberbatch, Naomie Harris, Andy Serkis, Peter Mullan

 

THEMA EXOTISME FANTASTIQUE

Il aurait pu sembler hardi, pour ne pas dire inconscient, de lancer sur les écrans une version « live » du « Livre de la jungle » deux ans à peine après celle – couronnée de succès – de Jon Favreau. Comment éviter la comparaison et espérer faire concurrence à Disney ? En réalité, le projet de ce Mowgli était en développement depuis plusieurs années avec en ligne de mire une distribution en salles en 2016 ou 2017. C’est en entendant parler de la sortie imminente du remake disneyen que les producteurs décidèrent de repousser sa date de sortie. Et c’est finalement la plateforme Netflix qui hérita du bébé. Connu pour ses talents d’acteur – surtout en tant que spécialiste de la « performance capture » via ses prestations dans Le Seigneur des Anneaux, King Kong ou la saga La Planète des singes -, Andy Serkis caressait depuis quelques années l’ambition de passer à la mise en scène. Il fit son baptême derrière la caméra avec la romance Breathe, avant de s’attaquer à ce Mowgli qui, selon ses propres aveux, est la concrétisation d’un rêve d’enfant. Alors tant pis si Le Livre de la jungle de Disney menace de laisser planer son ombre sur son second long-métrage. Serkis entend bien proposer une vision personnelle des écrits de Rudyard Kipling et refuse d’ailleurs le recours à un univers 100% virtuel – c’était le choix de la version de Favreau – pour partir tourner plusieurs séquences dans des extérieurs naturels d’Afrique du Sud.

Pour s’affranchir du dessin animé de 1967, qui demeure la référence absolue et le modèle de nombreuses adaptations ultérieures, Serkis et la scénariste Callie Kloves tiennent à redonner aux animaux la place qu’ils occupaient dans le matériau littéraire d’origine. Baloo (qu’incarne Serkis lui-même) redevient donc le tuteur autoritaire de Mowgli, Bagheera (Christian Bale) son « grand frère » conciliant et magnanime, Kaa (Cate Blanchett) un être énigmatique et tout-puissant. Le Roi Louie, lui, n’a pas droit de cité, puisque sa présence (imaginée spécifiquement pour le film animé de 1967) est contradictoire avec la vision anarchique du peuple singe tel que le décrivait Kipling. Quant au tigre Shere Khan (Benedict Cumberbatch), il apparaît ici sous des atours particulièrement effrayants. Le design ne cherche jamais à rendre les personnages particulièrement mignons ou attendrissants, opérant un exercice délicat d’équilibrisme entre l’hyperréalisme et la fantasmagorie. D’où ce serpent monumental qui déploie des anneaux interminables ou ce vénérable éléphant, aussi grand qu’un mammouth, dont le corps gigantesque semble presque avoir fusionné avec la forêt. La performance technique qui donne vie à ces créatures en motion capture est remarquable, rivalisant sans mal avec celle du film de Favreau.

L’enfant sauvage

Au milieu de cette faune hétéroclite, Mowgli trouve son interprète idéal sous les traits juvéniles de Rohan Chand. Ni homme ni loup mais un peu des deux, la « petite grenouille » (c’est la traduction de son nom) est comme un poisson dans l’eau au milieu des loups, même si certains d’entre eux ne se privent pas de lui faire savoir qu’il est trop différent pour faire partie du clan, comme une sorte de « vilain petit canard » en somme. Mais lorsqu’il se retrouve momentanément recueilli dans un village d’homme, il a tout d’une bête féroce, conforme à l’enfant sauvage que mettait en scène François Truffaut en 1970. Nulle part à sa place, étranger partout, c’est peut-être justement ce statut d’éternel « inadapté » qui lui permettra d’assurer une paix fragile entre humains et animaux. Tel est le moteur dramatique majeur de Mowgli. La sauvagerie est de mise dans le film, car telle est la loi de la jungle, quitte à proposer un spectacle qui ne sera pas adapté au public le plus jeune. On saigne et on meurt – parfois brutalement – dans ce Mowgli audacieux et pas particulièrement consensuel. Andy Serkis y démontre la vision et la virtuosité d’un metteur en scène talentueux, même si ces qualités s’évaporeront hélas lorsqu’il s’attèlera au calamiteux Venom : Let There Be Carnage quelques années plus tard.

 

© Gilles Penso


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CURSE OF THE RE-ANIMATOR (2022)

Et voici le troisième et dernier volet de la petite saga lovecraftienne qui s’inspire à la fois de From Beyond et des aventures d’Herbert West…

CURSE OF THE RE-ANIMATOR

 

2022 – USA

 

Réalisé par William Butler

 

Avec Josh Cole, Dane Oliver, Christina Hélène Braa, Amanda Jones, Michael Paré, Chase Howard, Victoria Monai Richards, Nate Blair, Mabel Thomas

 

THEMA MONDES PARALLÈLES I DIABLE ET DÉMONS I MÉDECINE EN FOLIE I ZOMBIES I SAGA RE-ANIMATOR CHARLES BAND

Curse of the Re-Animator : avec un titre pareil, on aurait pu s’attendre à une suite tardive de Re-Animator, Re-Animator II et Beyond Re-Animator, la fameuse trilogie consacrée au savant fou Herbert West. Mais en réalité, cette « malédiction du Re-Animator » provient d’une autre trilogie, réalisée avec un micro-budget pour la plateforme de streaming de Full Moon Entertainment. Le producteur Charles Band capitalise ainsi sur des titres qui firent son succès dans les années 80 tout en rendant hommage au cinéaste Stuart Gordon qui en fut le metteur en scène. Conçue d’abord comme une série de six épisodes d’une demi-heure chacun, cette modeste saga d’inspiration lovecraftienne fut ensuite remontée sous forme de trois longs-métrages : The Resonator – Miskatonic U, Beyond the Resonator et donc Curse of the Re-Animator. Ce troisième volet réunit les deux derniers épisodes de la web série et donne une fois de plus la vedette à deux scientifiques issus des écrits de H.P. Lovecraft : Herbert West le ré-animateur et Crawford Tillinghast l’inventeur du « resonator ». Si Jeffrey Combs incarnait tour à tour ces deux personnages sur grand écran (avec une exaltation mémorable qui le fit découvrir aux yeux du public), ils sont ici interprétés respectivement par Josh Cole et Dane Oliver. Les deux jeunes comédiens n’arrivent certes pas à la cheville de Combs, mais leur prestation est tout à fait respectable.

Dans cet ultime opus, Crawford réactive à contrecœur la machine infernale qui ouvrait la porte vers d’autres dimensions et laissait pénétrer dans notre monde des créatures bien peu recommandables. L’étudiant s’exécute sous la pression du professeur Wallace (Michael Paré) et de Julia (Kate Hodge), la mère d’un de ses camarades qui espère voir son fils revenir d’entre les morts. Mais en mettant en route le « resonator », tous les trois risquent d’ouvrir la porte à un terrible démon féminin qui pourrait bien provoquer la fin du monde. Un malheur n’arrivant jamais seul, les expériences que mène parallèlement Herbert West tournent à la catastrophe. En essayant de stopper un cadavre agressif qu’il vient de ramener à la vie, West provoque la mort de Kelly (Victoria Monai Richards), la petite-amie de son colocataire. Ce dernier lui injecte le sérum de West pour la ramener à la vie (ce qui nous rappelle l’épilogue du tout premier Re-Animator). Bien sûr, les conséquences vont se révéler désastreuses…

« Il n’y a pas de Dieu, il n’y a que la science »

Le sang continue de couler à flots dans ce troisième opus, les protagonistes se retrouvant régulièrement recouverts de liquides poisseux et de litres d’hémoglobine. Le réalisateur William Butler semble même prendre un malin plaisir à souiller les habits et le visage de son jeune casting. Ainsi, tandis que West maîtrise de plus en plus mal la horde de zombies qui s’agitent dans son laboratoire de fortune, Tillinghast est régulièrement agressé par des bestioles violettes gluantes et bizarroïdes issues du « resonator ». Petite amie de l’un et assistante de l’autre, Mara Esteban (Christina Hélène Braa) assure le lien entre les deux personnages, mais l’on peut regretter que leurs deux intrigues n’interagissent pas vraiment. En ce sens, la promesse de ce crossover n’est pas totalement tenue. Tillinghast continue à lutter contre ses propres démons tandis que West s’amuse à jouer les apprentis-sorciers. « Il n’y a pas de Dieu, il n’y a pas de vie après la mort, il n’y a que la science » affirme-t-il, ce qui nous rappelle le slogan du film original de Stuart Gordon : « Il se prend pour Dieu, mais Dieu a horreur de la concurrence ». Ce n’est qu’au moment du climax, lorsque les démons du « resonator » et les zombies de West s’affrontent, que les deux intrigues s’entrecroisent enfin le temps d’un climax joyeusement délirant.

 

© Gilles Penso


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BEYOND THE RESONATOR (2022)

Les protagonistes de From Beyond et de Re-Animator entremêlent leurs destins dans cette relecture modernisée des écrits de Lovecraft…

BEYOND THE RESONATOR

 

2022 – USA

 

Réalisé par William Butler

 

Avec Josh Cole, Dane Oliver, Christina Hélène Braa, Amanda Jones, Chase Howard, Victoria Monai Richards, Nate Blair, Mabel Thomas, Michael Paré

 

THEMA MONDES PARALLÈLES I DIABLE ET DÉMONS I MÉDECINE EN FOLIE I ZOMBIES I SAGA RE-ANIMATOR CHARLES BAND

Beyond the Resonator est la suite directe de The Resonator – Miskatonic U et en reprend le même principe. Comme son prédécesseur, ce film est donc le fruit du remontage de deux épisodes de la web série The Resonator, en l’occurrence le deuxième (« The Rise of Katthogra ») et le troisième (« Herbert West Returns »). Si le film précédent était une sorte de remake rajeuni et modernisé de From Beyond, celui-ci consacre une grande partie de son intrigue à revisiter le scénario de Re-Animator. Les deux étudiants apprenti-sorciers Crawford Tillinghast et Herbert West fréquentent ici la même université et pratiquent leurs expériences douteuses simultanément à deux endroits différents du campus. Ce part pris permet d’entremêler leurs histoires, de rendre un double hommage à Stuart Gordon (qui fut le metteur en scène des deux longs-métrages servant ici d’inspiration majeure au script) et de créer une sorte de « Miskatonic Cinematic Universe » (pour reprendre les termes du critique Mitch Lovell). On sait Charles Band grand amateur des comics Marvel et de leur propension à faire s’entrecroiser leurs personnages d’un épisode à l’autre. Si Spider-Man et Iron Man peuvent partager des aventures en commun, pourquoi pas Tillinghast et West ?

Suite aux expérimentations réalisées dans le film précédent avec le « resonator », les étudiants exposés à la machine sont en proie à des visions très inquiétantes. Le plus perturbé d’entre eux est Brandon (incarné ici par Nate Blair, alors que le rôle était précédemment tenu par Austin Woods) qui, un soir de grande panique, se donne la mort. Tillinghast lui-même voit apparaître son défunt père qui lui fait une annonce bien peu rassurante : non content d’avoir ouvert la porte vers des univers parallèles, le « resonator » menace de laisser débarquer Katthogra, un démon femelle ancestral et redoutable. Pendant ce temps, Herbert West emménage dans un logement universitaire, au grand dam de son colocataire qui regarde d’un mauvais œil cet étudiant austère, antipathique et rigide. West installe son laboratoire dans la cave de l’appartement et commence à mener des expériences contre-nature qui consistent à ramener les morts à la vie. Après quelques tests non concluants avec une araignée et un marsupial, il décide de passer à la vitesse supérieure en utilisant des cadavres humains fraîchement recueillis à la morgue…

Lovecraft en folie

Moins soigné visuellement que The Resonator – Miskatonic U, Beyond the Resonator accuse un peu plus cruellement son manque de moyens. William Butler s’efforce malgré tout de faire fi des restrictions budgétaires pour multiplier les idées folles et les séquences extrêmes, notamment l’apparition d’un homme dont le visage n’est plus qu’un trou béant, le surgissement d’une sorte d’araignée géante pourpre et grimaçante ou encore – cerise sur le gâteau – l’attaque d’un koala zombie qui finit par exploser ! Les maladresses de la mise en scène et les limitations techniques gâchent un peu la fête, mais on apprécie l’ambition de ce film composite et son grain de folie. Les créatures et les nombreux effets gore liés aux expériences de West (notamment quelques morceaux de cadavres particulièrement gluants) sont l’œuvre de Greg Lightner (Corona Zombies, Baby Oopsie, Doktor Death). La vraie bonne surprise du film provient de la prestation de Josh Cole. Le jeune acteur campe un Herbert West d’autant plus réussi que la prestation de Jeffrey Combs, encore dans toutes les mémoires, reste insurpassable. Cole ne cherche pas à combattre dans la même catégorie que son prédécesseur mais nous offre une réinterprétation très honorable du savant fou et tire son épingle du jeu. Il domine d’ailleurs allègrement le reste du casting, beaucoup plus fade que lui. Le final est un cliffhanger préparant l’ultime opus de cette saga délirante : Curse of the Re-Animator.

 

© Gilles Penso

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DEADPOOL & WOLVERINE (2024)

Le buddy movie le plus improbable du Marvel Cinematic Universe se concrétise face à la caméra du réalisateur de Free Guy et La Nuit au musée…

DEADPOOL & WOLVERINE

 

2024 – USA

 

Réalisé par Shawn Levy

 

Avec Ryan Reynolds, Hugh Jackman, Emma Corrin, Morena Baccarin, Rob Delaney, Leslie Uggams, Aaron Stanford, Matthew Macfadyen

 

THEMA SUPER-HÉROS I SAGA MARVEL COMICS I DEADPOOL I X-MEN

Dès la sortie de Deapool 2 et son succès international, un troisième épisode est logiquement envisagé par Ryan Reynolds et la 20th Century Fox. Tant que le public répond présent, il faut continuer de l’alimenter. Mais le studio est finalement racheté par Disney, bouleversant quelque peu ce projet de suite. Le super-héros irrévérencieux et ses aventures interdites aux mineurs – sauf s’ils sont accompagnés d’un adulte – ont-ils leur place dans le Marvel Cinematic Universe ? Sentant probablement l’odeur des billets verts, Kevin Feige donne son feu vert et permet officiellement au projet de décoller. Après Tim Miller et David Leitch, c’est Shawn Levy qui hérite de la réalisation, fort de l’expérience heureuse qu’il eut avec Ryan Reynolds sur Free Guy et Adam à travers le temps. Mais le cinéaste, son acteur principal et la batterie de scénaristes embauchés pour l’occasion peinent à trouver une idée suffisamment convaincante pour relancer les exploits du « mercenaire à grande bouche ». La solution vient d’Hugh Jackman, qui accepte de participer au film en reprenant le rôle de Wolverine. L’acteur australien avait pourtant annoncé qu’il raccrochait définitivement les griffes après Logan. Il faut croire que la perspective de passer du bon temps avec Ryan Reynolds et avec Shawn Levy (qui le dirigea dans Real Steel) le fit changer d’avis. Place donc à Deadpool & Wolverine, un « buddy movie » aussi improbable que ce que laisse entendre son titre surréaliste.

Pour inscrire officiellement Deadpool & Wolverine dans le MCU, plusieurs éléments empruntés à la franchise chapeautée par Feige s’invitent dans le scénario, et ce dès le prologue qui met en scène les agents du TVA (le Tribunal des Variations Anachroniques découvert dans la série Loki). Un étrange exercice d’équilibre s’opère alors, le film de Levy étant le premier à directement jeter les ponts entre l’univers Marvel de la Fox et celui de Disney (même si Sam Raimi lançait déjà les hostilités dans Doctor Strange in the Multiverse of Madness). Comme les deux Deadpool précédents, celui-ci est injurieux, graveleux, gore et autoparodique, ce qui ne surprend pas outre-mesure si ce n’est que cette fois-ci le personnage devient officiellement une propriété intellectuelle de Disney. Or les dialogues ne cessent de brocarder la compagnie de Mickey, ses délires hégémoniques, ses achats compulsifs de toutes les franchises disponibles et même son phagocytage de la 20th Century Fox. La démarche pourrait sembler incroyablement courageuse, voire autodestructrice. Il n’en est rien bien sûr, et l’on sait que la moindre de ces salves satiriques a été validée par un comité de lecture et procède donc d’une posture savamment calculée. S’il y a un vent de fraîcheur inattendu à glaner dans ce troisième épisode, il ne provient donc pas tant de son caractère pseudo-subversif (les deux premiers Deadpool essayaient déjà de jouer les faux garnements insolents) mais de l’hommage visiblement sincère qu’il tient à rendre à tout un pan de l’univers cinématographique de Marvel antérieur à la création du Marvel Studio.

Deadpool aux œufs d’or

La convocation des multiverses, des personnages alternatifs et d’une multitude de guest-stars se plie certes aux contraintes du « fan service » façon Spider-Man No Way Home et entretient l’adhésion d’un public dont la cause est d’emblée acquise – Deadpool est devenu une poule aux œufs d’or inespérée pour les tiroir-caisse des salles de cinéma. Mais derrière ce feu d’artifice de clins d’œil conçus pour caresser les aficionados dans le sens du poil, il y a visiblement autre chose, comme une envie de saluer toutes les tentatives précédentes de porter les idées de Stan Lee et de ses équipes à l’écran, souvent oubliées par les générations biberonnées au MCU. Après tout, Logan lui-même n’eut-il pas droit à plusieurs vies contradictoires face aux caméras respectives de Bryan Singer, Brett Ratner, Gavin Hoods, Matthew Vaughn ou James Mangold ? Ryan Reynolds ne campait-il pas déjà dans X-Men Origins : Wolverine un Wade Wilson bien différent de celui qui le rendit populaire ? Et s’il y avait plus de déférence et de respect envers les aînés qu’on ne voudrait bien le croire dans ce Deadpool & Wolverine ? Ceux qui n’y verront que de l’action virtuose ultra-violente et parodique, des dialogues bêtes et méchants et des blagues référentielles en auront largement pour leur argent. Les autres y dénicheront peut-être un supplément d’âme inattendu, à l’image de ce montage d’extraits candides et étonnamment émouvants diffusés pendant le générique de fin.

 

© Gilles Penso


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THE RESONATOR – MISKATONIC U (2021)

Dans ce remake à petit budget de From Beyond, un étudiant invente une machine capable d’ouvrir la porte à des créatures venues d’autres dimensions…

THE RESONATOR – MISKATONIC U

 

2021 – USA

 

Réalisé par William Butler

 

Avec Dane Oliver, Alex Keener, Amanda Wyss, Michael Paré, Amanda Jones, Christina Hélène Braa, Austin Woods, Jeffrey Byron, Josh Cole

 

THEMA MONDES PARALLÈLES ET MONDES VIRTUELS I SAGA RE-ANIMATOR CHARLES BAND

Dans les années 2020, le marché des films de genre « direct-to-video » n’est plus ce qu’il était. Les plateformes de streaming et la VOD ont largement pris le dessus, et Charles Band doit s’adapter. Pionnier de la production en masse de séries B modestes pour le cinéma, puis la VHS, puis le DVD, le créateur des compagnies Empire et Full Moon mise beaucoup sur les franchises qu’il a lancées dans les années 80-90 en les adaptant aux nouveaux usages. D’où l’idée de capitaliser sur deux de ses plus gros succès en salles, Re-Animator et From Beyond, librement inspirés des écrits de Lovecraft. Le concept, développé par William Butler, consiste à produire des remakes modernisés des deux films de Stuart Gordon, le tout dans le format d’une web serie à tout petit budget diffusée sur le site de Full Moon. La mayonnaise prend plutôt bien auprès des fans qui réservent un accueil relativement chaleureux aux six épisodes. « C’était un travail de passionnés, parce qu’il nous fallait rester dans les limites de notre budget tout en retrouvant l’esprit et l’ambiance des films que nous avions créés avec Stuart Gordon il y a bien longtemps », raconte Charles Band (1). Pour offrir une seconde vie à cette mini-série et éviter que sa petite popularité soit trop éphémère, Band propose de remonter les six épisodes sous forme de trois longs-métrages. Le premier d’entre eux, The Resonator – Miskatonic U, prend donc les allures d’une version rajeunie de From Beyond.

« Pour Stuart Gordon. Artiste. Rêveur. Raconteur d’histoires. Les légendes ne meurent jamais. » C’est ce texte qui ouvre les hostilités. Décédé le 24 mars 2020, le cinéaste était un ami de longue date de la famille Band, et cette dédicace s’imposait. Nous sommes dans la prestigieuse université de Miskatonic, qui forme les futurs médecins du pays. L’un des étudiants les plus brillants du campus, Crawford Tillinghast (Dane Oliver), a décidé de reprendre les recherches de son père liées aux univers parallèles et aux dimensions alternatives. Pour y parvenir, il achève une machine révolutionnaire, le « resonator », en empruntant illégalement plusieurs matériaux à l’université. Mais d’étranges créatures commencent à apparaître, l’une d’entre elles décapitant un étudiant qui assistait Tillinghast. Le jeune savant n’entend pas abandonner pour autant ses expériences. Après avoir dissimulé le corps, il réactive le « resonator » en présence de sa petite amie Mara (Christina Hélène Braa) et de plusieurs de ses amis proches. Le déclenchement de l’engin provoque une vague de sensations inédites, partagées entre la peur et le plaisir intense. Mais les choses ne vont pas tarder à dégénérer…

Expériences interdites

Pour pleinement apprécier The Resonator, il est préférable d’éviter toute comparaison avec From Beyond, ne serait-ce parce que l’interprétation de Jeffrey Combs et Barbara Crampton, la mise en scène de Stuart Gordon et les effets spéciaux de John Buechler étaient un ravissement de tous les instants pour les amateurs d’horreur exubérante à l’ancienne. William Butler ne cherche pas à rivaliser avec son modèle, d’autant qu’il est lui-même familier avec les productions Empire et Full Moon depuis longtemps. À l’œuvre sur les effets spéciaux de From Beyond, Ghoulies IICreepozoids, Cellar Dweller, Transformations, puis réalisateur de quelques micro-productions comme Madhouse, La Prison hantée ou Dead Voices, il soigne du mieux qu’il peut son Resonator (notamment sa photographie joliment ciselée signée Justin Jones). Certes, les effets numériques sont souvent maladroits, mais le film se rattrape avec quelques bestioles caoutchouteuses et baveuses qui surgissent furtivement en fin de métrage pour égayer les spectateurs. La relative platitude des acteurs (y compris les vétérans Michael Paré et Amanda Wyss) et la linéarité de l’intrigue jouent bien sûr en défaveur du film, qui n’entrera pas dans les mémoires. Mais l’initiative reste intéressante et permet de redonner un petit coup de jeune au récit en évoquant même – toutes proportions gardées – L’Expérience interdite avec ses étudiants en médecine bravant les interdits dans l’espoir de révolutionner la science et de répondre à des questions métaphysiques.

 

(1) Extrait d’un entretien paru dans « Killer Horror Critic » en mars 2021

 

© Gilles Penso


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TWISTERS (2024)

Dans cette suite tardive du film de Jan De Bont, une nouvelle équipe de chasseurs de tornades brave tous les dangers…

TWISTERS

 

2024 – USA

 

Réalisé par Lee Isaac Chung

 

Avec Daisy Edgar-Jones, Glen Powell, Anthony Ramos, Maura Tierney, Harry Hadden-Paton, Sasha Lane, Brandon Perea

 

THEMA CATASTROPHES

Parmi les suites que personne n’attendait, Twisters se pose bien là, même si les premiers résultats au box-office le positionnent déjà comme un des grands succès de l’année 2024. Le recul aidant, on constate que le film original de 1996 bénéficie d’une côte de popularité jusque-là insoupçonnée, comme en témoignent de nombreux commentaires sur la toile. La nostalgie commençant à faire son œuvre, Twister semble même aujourd’hui trouver une place aux côtés des classiques des années 90 tels que Jurassic Park ou Forrest Gump. Alors qu’il fut critiqué à l’époque pour son scénario schématique et ses personnages unidimensionnels, ces défauts sont peut-être aussi ses atouts : il ne faut en effet pas confondre « simplisme » et « simplicité ». Le scénario de Michael Crichton introduisait ses protagonistes et ses enjeux au développement prévisible dans les dix premières minutes, pour mieux se focaliser sur ses formidables scènes d’action. Et si Jan de Bont est tombé en disgrâce depuis, il offrait à ses acteurs un espace pour faire exister des personnages certes taillés d’un seul bloc mais profondément charismatiques et sympathiques, au milieu d’un tournage à la logistique complexe. Pourquoi ce retour sur le film original ? Parce que Lee Isaac Chung, réalisateur indépendant signant comme tant d’autres avant lui un pacte avec le diable Hollywoodien, a visiblement pris le temps lui aussi de le revoir et l’analyser pour mieux en reproduire la recette.

L’accroche sur l’affiche « Par les producteurs de Jurassic World » rappelle à quel point l’industrie du cinéma a cyniquement admis sa propension à capitaliser encore et encore sur des franchises familières. Sans surprise donc, Twisters a été écrit avec un photocopieur Xerox : même introduction établissant le trauma de l’héroïne, rivalité entre deux équipes et intensité des tornades allant crescendo jusqu’à la fameuse F5, avec en guise de fil rouge la mise au point d’appareils permettant de neutraliser les tornades par un procédé scientifique improbable mais suffisamment crédible dans le contexte du film. Mais ce qui permet de dépasser le statut de simple remake sans âme, c’est le charisme indéniable des acteurs. Daisy Edgar-Jones incarne une émule d’Helen Hunt (jusqu’à porter la même tenue pantalon kaki/débardeur blanc en guise de clin d’œil)) mais devient cette fois plus clairement le personnage principal. Anthony Ramos, transfuge de Broadway (il faisait partie du cast original du phénomène Hamilton), ne parvient toujours pas à crever l’écran en évitant néanmoins l’embarras de son emploi de figurant de luxe dans Transformers – Rise of the Beasts. Mais la « révélation » ici, c’est Glen Powell (Top Gun : Maverick et la rom-com Anyone but you), incarnant l’archétype du cowboy du Midwest. Débordant d’arrogance et se mettant lui-même en scène au travers de sa chaine YouTube, il ne rate jamais une occasion de vendre des T-shirts et autres objets à son effigie. Flirtant habilement avec le ridicule et l’auto-parodie, le playboy de l’année 2024 imprègne le film d’un humour et d’une décontraction bienvenus. On appréciera également que l’inévitable romance ne vienne jamais détourner l’attention de l’attraction principale : les tornades !

Let’s twist again !

Nanti d’un budget confortable de 200 millions de dollars, Twisters tient toutes ses promesses en termes de spectacle visuel mais aussi acoustique, le mixage son poussant tous les potards jusqu’à 11 dès la première scène. Les impeccables effets spéciaux numériques sont à nouveau l’œuvre d’ILM et il va sans dire que la technologie a bien sûr évolué, ce qui pourrait d’ailleurs constituer un petit bémol par rapport à l’original : de la même manière que Spielberg avait su compenser les limitations techniques de son requin mécanique par l’inventivité de la mise en place de chacune de ses apparitions pour Les Dents de la mer, Jan De Bont créait une ambiance et adoptait une approche spécifique pour chacune de ses cinq tornades. Tout étant virtuellement possible aujourd’hui, on pourra déplorer une certaine banalisation des SFX et, pour faire un parallèle « olé-olé » (mais justifié car la métaphore était au cœur du film de De Bont!) avec le cinéma X, une réalisation plus « gonzo », apportant moins d’importance et de temps aux préliminaires. Pour autant, Twisters ne ressemble jamais à un film de 2024 et donne même l’impression de regarder un inédit de la fin du siècle dernier, un sentiment renforcé par le fait que Lee Isac Chung ait décidé de tourner sur pellicule pour retrouver la lumière et l’aspect de la photo de l’original. Twisters n’innove peut-être pas mais ne déçoit jamais non plus. Et si la majorité des grosses productions peinent aujourd’hui à remplir les salles obscures et à laisser une empreinte dans la mémoire collective allant jusqu’à questionner l’avenir même des cinémas et du Cinéma, le succès assez inattendu de cette suite tardive nous indique peut-être qu’en cette décennie marquée par l’incertitude (une pandémie, la polarisation politique et sociale, des guerres, …rien que ça), offrir un « simple » divertissement populaire pour toute la famille est aussi un acte d’utilité économique et publique pour le 7ème Art. Alors, déposez vos cerveaux à l’entrée et à vos popcorns !

 

 © Jérôme Muslewski


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PIRANHA WOMEN (2022)

Un médecin injecte de l’ADN de piranhas à des jeunes femmes et les transforme en redoutables prédatrices…

PIRANHA WOMEN

 

2022 – USA

 

Réalisé par Fred Olen Ray

 

Avec Jon Briddell, Houston Rhines, Carrie Overgaard, Shary Nassimi, Bobby Rice, Sof Puchley, Richard Gabai, Michael Gaglio, Jonathan Nation, Keep Chambers

 

THEMA MÉDECINE EN FOLIE I MONSTRES MARINS I SAGA CHARLES BAND

Vieux routier de la série B depuis le milieu des années 70, Fred Olen Ray a touché à tous les genres, avec une nette préférence pour l’horreur, l’érotisme et la science-fiction (et si possible les trois en même temps). À partir des années 2010, notre homme est obligé de se diversifier pour continuer à faire bouillir la marmite, quitte à signer plusieurs téléfilms de Noël très éloignés de son univers de prédilection. « Si je me suis démené pour faire ce que j’aimais au début de ma carrière, je me sens aujourd’hui un peu vieux pour continuer à me battre vainement contre un système qui ne veut de toute façon plus de nous », avoue-t-il. « Comme je l’ai toujours dit, si j’ai une préférence pour les films d’horreur, j’aime le cinéma en général. Mais vous devriez encore entendre parler de moi, et pas seulement pour des téléfilms formatés. Pour preuve, je viens même de réaliser Piranha Women pour Charles Band, un projet qu’il m’a proposé clé en main » (1). Ce retour aux sources a forcément quelque chose de très rafraîchissant, même si le film ne lui était pas initialement destiné. En 2021, Full Moon commence en effet à faire la promotion de Piranha Women avec un poster délirant (trois bimbos en bikini qui font du ski nautique sont tirées par des piranhas géants !) en confiant le scénario et la mise en scène du film à Lindsey Schmitz (Femalien : Cosmic Crush). Les ambitions du projet sont finalement revues à la baisse et c’est là qu’entre en scène ce bon vieux Fred Olen Ray.

Du concept initial, il ne reste qu’un générique de début excessif dans lequel une surfeuse est accompagnée par des piranhas géants qui surgissent de l’eau à ses côtés (en images de synthèse très approximatives) au rythme d’un morceau de « surf music » enjoué. Cette imagerie fun et exubérante est très éloignée du reste du film, et ce n’est pas plus mal. Tourné d’abord en deux parties de 30 minutes chacune avant d’être rassemblé sous forme d’un long-métrage d’à peine plus d’une heure, Piranha Women s’intéresse à Richard (Bobby Rice), très préoccupé par l’état de santé de sa petite-amie Lexi (Sof Puchley) qui décline de jour en jour. En désespoir de cause, celle-ci consulte le docteur Sinclair (Shary Nassimi) qui prétend avoir mis au point un traitement miraculeux à base d’ADN de piranha. Dès la première injection, la jeune femme se sent beaucoup mieux, puis décide de quitter Richard sans raison apparente. Ce dernier mène l’enquête et découvre l’impensable : toutes les patientes de Sinclair se sont transformées en monstres assoiffés de sexe et de chair humaine…

Fish and Tits

Digne de la plus déjantée des séries Z, le scénario de Piranha Women laisse imaginer une approche potache et graveleuse tutoyant l’humour en dessous de la ceinture des joyeux drilles de Troma. Pourtant, bizarrement, le film s’appréhende la plupart du temps au premier degré. Les acteurs s’efforcent de rester convaincants, la mise en scène est carrée, la photographie est soignée, bref Olen Ray emballe la chose avec professionnalisme. On serait presque tenté d’espérer un peu plus de fantaisie. Fort heureusement, lorsque les femmes piranhas se déchaînent, le réalisateur retrouve le grain de folie que nous lui connaissons. Les prédatrices se mettent alors à nu, se lovent langoureusement contre leurs victimes masculines, ouvrent soudain une bouche pleine de crocs acérés mais arborent aussi – cerise sur le gâteau – des dents pointues voraces au bout de leurs seins ! Les parties de jambes en l’air se muent alors en massacres excessifs laissant la police et notre pauvre Richard parfaitement démunis. On peut regretter que les situations finissent par être répétitives et que la courte durée du film ne permette pas le développement d’une intrigue un peu plus palpitante. Mais le contrat est allègrement rempli. La promesse d’un spectacle absurde et décomplexé annoncée par l’équation Fred Olen Ray + Charles Band + des femmes piranhas est allègrement tenue ! Que demander de plus ?

 

(1) Propos extraits du livre « Fred Olen Ray : il était une fois à Hollywood » de Damien Granger (2023).

 

 

© Gilles Penso

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BIG DRIVER (2014)

Violemment agressée par un tueur près d’une station-service désaffectée, une romancière à succès prépare sa sanglante vengeance…

BIG DRIVER

 

2014 – USA

 

Réalisé par Mikael Salomon

 

Avec Maria Bello, Ann Dowd, Will Harris, Joan Jett, Olympia Dukakis, Jennifer Kydd, Andre Myette

 

THEMA TUEURS I SAGA STEPHEN KING

Le réalisateur Mikael Salomon a plusieurs fois eu l’occasion de s’attaquer aux écrits de Stephen King, avec des fortunes diverses. Si son Salem palissait de la comparaison avec Les Vampires de Salem de Tobe Hooper, ses épisodes de la collection Rêves et cauchemars sortaient agréablement du lot. Avec le téléfilm Big Driver (parfois retitré Détour mortel chez nous, au risque d’être confondu avec le slasher de Rob Schmidt), écrit et produit par Richard Christian Matheson (fils du célèbre auteur de « L’Homme qui rétrécit » et « Je suis une légende »), Salomon adapte une nouvelle éditée dans le recueil « Nuits noires, étoiles mortes » paru en 2010. Dans ce texte court, brutal et amer, nombre d’obsessions récurrentes de Stephen King affleurent, l’angoisse de l’écrivain séquestré se mêlant à la violence dont sont victimes les femmes, un peu comme si « Misery » rencontrait « Rose Madder ».

 

Maria Bello, déjà présente dans Fenêtre secrète, incarne Tess Horne, une romancière policière à succès qui donne une conférence auprès d’un cercle d’admiratrices dans une bibliothèque du Massachusetts puis reprend la route en empruntant un raccourci. Effrayée par les voyages en avion, elle préfère largement la voiture, même pour des trajets aussi longs. Mais des planches hérissées de clous crèvent un de ses pneus près d’une station-service désaffectée. Là, un automobiliste massif propose de l’aider. Sa proposition n’est malheureusement qu’un mensonge éhonté. Car le sinistre autochtone la viole et la laisse pour morte dans une canalisation. Le tueur n’en est visiblement pas à son premier meurtre, comme en attestent les cadavres féminins qui gisent à ses côtés. Or Tess survit miraculeusement à son agression et fomente dès lors un acte de vengeance désespéré, selon le principe de bon nombre de récits tortueux se rattachant au concept du « rape and revenge ».

La mort au tournant

Si cette adaptation est honorable, on peut regretter son caractère un peu scolaire et mécanique, sans doute trop « propre », alors que le sujet aurait dû bénéficier d’une approche plus sensitive et plus émotionnelle. Le basculement du personnage dans l’autodéfense et dans une sorte de folie auto-protectrice, décrit avec beaucoup de profondeur dans le texte de King, méritait des partis pris de mise en scène plus forts et plus audacieux. Cela dit, malgré les restrictions télévisuelles, Mikael Salomon traite frontalement les passages les plus crus de la nouvelle, abordant sans détour le viol, les meurtres, la déviance des personnages et l’abondant écoulement d’un sang pas vraiment libérateur. On peut aussi saluer la performance de Maria Bello, qui donne beaucoup de sa personne – émotionnellement et physiquement – et le travail remarquable du compositeur Jeff Beal, déjà à l’œuvre sur la série Rêves et cauchemars. Diffusé une première fois sur LIfetime le 18 octobre 2014 puis distribué en DVD quelques mois plus tard, Big Driver divise les critiques, même si toutes s’accordent à reconnaître son caractère « perturbant ».

 

© Gilles Penso


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DREAM HOME (2010)

Pour pouvoir habiter dans le quartier de ses rêves, une jeune femme bien sous tous rapports se transforme en tueuse psychopathe…

WAI DOR LEI AH YUT HO

 

2010 – HONG-KONG

 

Réalisé par Pang Ho-Cheung

 

Avec Josie Ho, Eason Chan, Derek Tsang, Lawrence Chou, Michelle Ye, Norman Chu, Hee Ching Paw

 

THEMA TUEURS

Dream Home est un film incroyable, un véritable coup de poing qui se livre aux séquences gore les plus extrêmes tout en développant un discours social et économique très ancré dans son époque. Le générique s’ouvre d’ailleurs sur une série de chiffres édifiants, comparant le salaire moyen d’un habitant de Hong Kong avec les prix des loyers, pour mieux saisir l’absurdité de l’état des lieux immobilier de la ville. « Pour survivre dans une ville folle, il faut devenir plus fou qu’elle », conclue ce texte pré-générique, annonçant avec précision le spectacle qui nous attend. Un spectacle qui va s’avérer insoutenable, même pour les estomacs les mieux accrochés, et qui surprend de la part de Pang Ho-Cheung, dont la filmographie ne recelait jusqu’alors aucune œuvre de ce genre. Dès le prologue, le gardien d’un immeuble s’égorge au cutter en essayant de couper l’attache plastique qui s’enroule autour de son cou, avec force gros plans explicites et jets de sang douloureux. Ce ne sera que la première victime d’une tueuse acharnée et dénuée de la moindre émotion.

Qui pourrait soupçonner d’une telle folie meurtrière la douce Cheng Lai-sheung (Josie Ho), une modeste employée de banque qui a grandi en contemplant de sa fenêtre le quartier Victoria de Hong Kong et qui s’est jurée de pouvoir un jour s’offrir un appartement avec vue sur la mer ? Toujours attachée à son serment, elle n’a cessé de travailler, sans pour autant parvenir à s’aligner sur les prix exorbitants de l’immobilier à Hong Kong. Même l’assurance vie qu’elle touche après la mort de son père ne suffit pas à la concrétisation de son rêve. Prête à tout pour y parvenir, elle bascule alors dans la psychopathie et le meurtre, partant du principe qu’un immeuble jonché de cadavres ensanglantés risque fort de voir sa cote baisser. Dream Home a tout pour plaire : un discours politique brûlant d’actualité et appuyé sur des données terriblement tangibles, une approche généreuse et décomplexée de l’horreur qui expose sur un grand écran cinémascope les morts les plus violentes, les plus effroyables et les plus graphiques qu’un cerveau puisse imaginer, une mise en scène intelligente truffée d’allégories visuelles et d’idées graphiques originales.

La crise de l’immobilier

Pourtant, la mayonnaise ne prend jamais tout à fait. Une antinomie se dessine bien vite entre les flash-backs (nostalgiques, néo-réalistes, tragi-comiques) et les séquences présentes (horrifiques, écœurantes, excessives jusqu’au basculement assumé vers le grotesque). Tout se passe comme si Pang Ho-cheung avait en tête deux films bien différents sans parvenir à les mixer en un seul long-métrage cohérent. Corollaire de cette opposition entre deux styles aux antipodes : l’impossibilité de ressentir la moindre empathie pour la tueuse, dont l’étude psychologique – malgré tout le passif développé au cours des flash-backs – ne s’approfondit guère plus que celle d’un Jason Vorhees ou d’un Michael Myers pendant les scènes de carnages. Pourquoi nous présenter d’un côté une petite fille équilibrée et de l’autre une jeune femme dangereusement perturbée sans chercher à raconter le trauma qui l’a faite basculer d’un état à l’autre ? Reste une critique très farouche de la société hongkongaise et une vision inédite de la crise de l’immobilier !

 

© Gilles Penso


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MAXXXINE (2024)

Au milieu des années 80, l’héroïne de X tente de percer à Hollywood tandis qu’un tueur en série satanique sème la terreur dans la ville…

MAXXXINE

 

2024 – USA

 

Réalisé par Ti West

 

Avec Mia Goth, Elizabeth Debicki, Moses Sumney, Giancarlo Esposito, Kevin Bacon, Michelle Monaghan, Bobby Cannavale, Lily Collins, Simon Prast

 

THEMA TUEURS I SAGA X

En réalisant coup sur coup X et Pearl, Ti West n’imaginait pas l’impact de ce diptyque sur le public. Farouchement attaché à son statut de cinéaste indépendant, cet amoureux du cinéma de genre s’est toujours distingué par une approche de l’horreur à la fois singulière et respectueuse de ses aînés. Face à l’enthousiasme soulevé par ses deux petits derniers, il décide de leur donner une suite. « Quand nous avons réalisé les deux premiers, personne ne savait ce qu’on était en train de faire », explique le réalisateur. « Pour MaXXXine, j’étais conscient des attentes du public, mais j’ai essayé de ne pas m’en préoccuper pour éviter de me sentir dépassé. Cela dit, les trois films sont exactement comme je les ai imaginés et tournés » (1). Si le fil conducteur est d’abord narratif (MaXXXine prolonge directement les événements racontés dans X, qui lui-même se situe cinq décennies après Pearl), le véritable point commun entre les trois films est leur description sans fard d’une quête désespérée de célébrité, quel qu’en soit le prix. « Ce qui lie mes personnages les uns aux autres, c’est une même ambition : celle de faire des films ou d’avoir la vie qu’on voit dans les films » confirme West (2). D’où la citation de Bette Davis qui s’affiche plein écran en tout début de métrage : « Dans ce métier, tant qu’on n’est pas considéré comme un monstre, on n’est pas une star. »

Le « monstre » en question, c’est Maxine Minx (Mia Goth), seule survivante du massacre qui eut lieu en 1979 pendant le tournage d’un film X dans la campagne texane. Six ans plus tard, l’actrice souhaite sortir du ghetto du cinéma porno pour percer à Hollywood. Choisir d’inscrire ce troisième opus en 1985 n’est pas innocent. Si l’on sait Ti West très amateur de la décennie qui l’a vue naître (et à laquelle il rendait déjà un vibrant hommage dans House of the Devil), le mitan des eighties est une période charnière qui voit se développer de manière massive le format VHS (et donc une nouvelle manière de consommer le cinéma, désormais à domicile). 85 fut aussi une année marquée par de grandes manifestations de ligues catholiques indignées contre les représentations du sexe et de la violence à l’écran et par les exactions à Los Angeles d’un tueur en série surnommé « night stalker » (« le traqueur de la nuit ») par les médias. C’est au beau milieu de ce contexte bien réel (images d’archive à l’appui) que se développe le scénario de MaXXXine. Ti West brouille alors volontairement les frontières entre la réalité et la fiction. Car la comédienne en quête de célébrité, qui s’apprête à jouer dans la séquelle d’un film d’horreur à succès, se retrouve bientôt elle-même cernée par les meurtres sanglants du « night stalker »…

Wild West

En localisant l’action de ce troisième film dans la Mecque du cinéma, Ti West élargit son scope et revoit ses ambitions à la hausse. Plus lucide sur ce qu’il fait et sur ce que les spectateurs attendent de ce chapitre, il multiplie les références cinéphiliques frontales. Au cours d’une discussion avec un ami tenancier de vidéoclub, Maxine évoque ainsi les acteurs célèbres qui ont fait leurs débuts dans un film d’horreur. Ironiquement, Kevin Bacon, qui incarne ici un détective privé délicieusement détestable, en fait partie, puisqu’il démarra sa carrière avec Vendredi 13. Son look dans MaXXXine se réfère par ailleurs ouvertement à celui de Jack Nicholson dans Chinatown. Le film évoque aussi Marilyn Chambers (l’héroïne de Rage de David Cronenberg), St Elmo’s Fire, Psychose (via une surprenante séquence de mise en abyme), et rend un hommage direct à Mario Bava à travers ce tueur tout de cuir vêtu qui semble échappé de Six femmes pour l’assassin. Cet enchevêtrement de clins d’œil, couplé à une augmentation substantielle du budget mis à disposition de West, fait de MaXXXine un film plus complexe, plus sophistiqué, mais aussi – c’est le revers de la médaille – moins « pur » dans sa narration et dans sa mise en forme que X et Pearl, comme s’il péchait par excès. Bref, MaXXXine en fait sans doute un peu trop. Mais comment ne pas se laisser griser par cette générosité et par cette passion sincère qui continue d’animer le cinéaste ? Comme toujours, Mia Goth crève l’écran, détournant l’image de la « final girl » prude, sage et vertueuse popularisée par Jamie Lee Curtis dans Halloween pour en camper une variante beaucoup plus « trash ». Son personnage semble décidément vouloir donner raison à Bette Davis : être une star, c’est aussi être un monstre !

 

(1) et (2) Extraits d’un entretien paru dans « Trois Couleurs » en juillet 2024

 

© Gilles Penso


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