DÉTOUR MORTEL (2002)

Un jeune médecin et un groupe de campeurs tombent dans les griffes des habitants dégénérés d'une cabane au fin fond de la forêt américaine…

WRONG TURN

2002 – USA

Réalisé par Rob Schmidt

Avec Eliza Dushku, Desmond Harrington, Jeremy Sisto, Emmanuelle Chriqui, Kevin Zegers, Lindy Booth, Julian Richings 

THEMA TUEURS I CANNIBALES I SAGA DETOUR MORTEL

Produit par le maquilleur Stan Winston (TerminatorJurassic ParkA.I. Intelligence Artificielle), Détour Mortel marche ouvertement sur les traces de Massacre à la Tronçonneuse, Délivrance et La Colline a des Yeux. Dès les premières minutes, en effet, il apparaît clairement que nous sommes en terrain connu. Après un prologue proposant une variante horrifique sur celui de Vertical LimitsDétour Mortel se centre sur Chris Flynn (Desmond Harrington), un jeune médecin coincé dans un embouteillage qui a la mauvaise idée de prendre un détour via une petite route de terre accidentée. Au beau milieu de la forêt, son attention est attirée par le cadavre d’un cervidé, et il heurte de plein fouet un 4X4 arrêté en plein virage. Ses occupants, cinq jeunes gens venus camper dans la région, sont tombés dans ce qui ressemble à un piège, car leurs quatre pneus ont éclaté en même temps. En quête de secours, le petit groupe s’enfonce dans la forêt et tombe sur une cabane au contenu inquiétant… et aux habitants proprement terrifiants. A partir de là, Détour Mortel décolle réellement, et s’arrache à ses prestigieuses influences pour malmener les nerfs des spectateurs au cours d’une petite heure et quart de tension ininterrompue.

Car le réalisateur Rob Schmidt et son scénariste Alan McElroy rivalisent d’ingéniosité pour multiplier les situations cauchemardesques, ne reculant devant aucun effet gore. Le plus gratiné d’entre eux est probablement celui d’une des héroïnes dont la bouche est tranchée par une serpe. La partie supérieure de sa tête reste ainsi clouée à un arbre, tandis que le reste de son corps s’écroule lamentablement et tombe dans le vide quelques dizaines de mètres plus bas ! Les assaillants eux-mêmes, dont le maquillage est évidemment l’œuvre de Stan Winston et son équipe, sont tellement hideux que les anthropophages de La Colline a des Yeux, à côté d’eux, ressemblent à des top models. Jonglant en virtuose avec les codes du film d’horreur traditionnel, Détour Mortel puise une grande partie de son impact chez les terreurs enfantines qu’il parvient à retranscrire dans le contexte du « survival ».

Des ogres hideux et anthropophages

Car les trois cannibales dégénérés qui sévissent dans les bois sont rien moins qu’une relecture des ogres des contes de fées, la fameuse séquence de la cabane fonctionnant de fait comme une nouvelle version de la rencontre du Petit Poucet et de ses frères avec le fameux mangeur de chair fraîche. Machiavélique en diable, le scénario ôte un à un tous les espoirs d’échappatoires auxquels aspirent les protagonistes, les piégeant progressivement dans un cauchemar duquel la seule issue semble être le réveil, comme si tout ceci n’était qu’un mauvais rêve. Du coup, le processus d’identification fonctionne à plein régime, le spectateur se sentant embarqué dans le même crescendo d’épouvante. Bref une œuvre bien plus novatrice qu’il n’y paraît, même si les thématiques développées par Hooper, Boorman et Craven (la violence communicative, la folie engendrée par l’inactivité, la nature agressive) ont ici été évacuées au profit d’un simple tour de train fantôme. Basique, certes, mais redoutablement efficace.

 

© Gilles Penso

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CRITTERS (1986)

Cette réponse directe au Gremlins de Joe Dante met en scène des boules de poils aux mâchoires garnies de dents acérées

CRITTERS

1986 – USA

Réalisé par Stephen Herek

Avec Dee Wallace Stone, M. Emmet Walsh, Billy Green Bush, Scott Grimes, Nadine Van der Velde, Don Opper, Billy Zane 

THEMA EXTRA-TERRESTRES I SAGA CRITTERS

Pour son premier long-métrage, Stephen Herek a choisi de se lancer dans une imitation bête et méchante du Gremlins de Joe Dante, qui triomphait deux ans plus tôt sur les écrans, en y adjoignant des éléments de science-fiction. L’histoire démarre sur un astéroïde-prison quelque part dans l’espace. Les « critts », une horde de minuscules créatures velues et carnivores, s’en échappent pour envahir une petite ville de l’ouest américain. Deux chasseurs de prime extra-terrestres les prennent aussitôt en chasse. Dénués de visages, ils ont la faculté d’imiter les traits qu’ils veulent. Le premier se fait donc la tête d’un mauvais chanteur de rock des années 80, tandis que le second adopte tour à tour le visage d’un policier, d’un curé et de l’idiot du village.

Avec un tel scénario, il ne fallait pas s’attendre à des miracles, et comme prévu Critters assure le service minimum en la matière, alternant les séquences d’épouvante gentille et de comédie tiède au beau milieu d’un casting visiblement peu convaincu, parmi lequel on reconnaît tout de même Dee Wallace, reprenant le rôle de mère de famille qu’elle tenait dans E.T. l’extraterrestre, Billy Zane, futur fiancé jaloux de Titanic, et Don Opper, qui incarna un mémorable robot dans Androïde. Les critters constituent l’attraction principale du film. Sommaires marionnettes mécaniques créées par les astucieux frères Chiodo, ces vilaines bestioles se déplacent en roulant comme des ballons, projettent des épines comme des porcs-épics et sont dotées d’un appétit insatiable. Aucune séquence ne surprend vraiment, mais le manque de prétention du film rachète un peu son absence d’innovations. 

Clins d'œils et références

Quelques trucages sommaires font mouche cependant, comme ce visage d’un des chasseurs de prime qui fond littéralement pour imiter des traits humains. Bizarrement, cette idée de mimétisme aurait pu donner lieu à quelques quiproquos intéressants, mais elle n’est absolument pas exploitée au fil du scénario. Le film s’accorde quelques clins d’œils cinéphiliques, à travers un extrait d’Androïde, un poster de Mutant, un t-shirt recyclant le logo de S.O.S. Fantômes ou une figurine d’E.T. l’extraterrestre que dévore l’un des Critters. On repère aussi, ça et là, des références à TerminatorStarman, et même la vieille série Star Trek (le fameux épisode des « Tribules »). Vers la fin du film, le plus vorace des petits monstres atteint des proportions humaines et enlève une jeune fille jusque dans sa soucoupe. Tout se termine à peu près comme on s’y attendait, avec le faux happy end de mise, ouvert vers une suite possible. Et effectivement, le film connaîtra un très honorable succès, rapportant presque sept fois sa mise initiale de deux millions de dollars. Trois séquelles furent donc mises en chantier, réalisées respectivement par Mick Garris (1988), Kristine Peterson (1991) et Rupert Harvey (1992), toujours avec le concours des frères Chiodo. Stephen Herek, pour sa part, entrera  dans la cour des grands en réalisant notamment un très hollywoodien Les Trois Mousquetaires, la version live des 101 Dalmatiens ou le très remarqué Professeur Holland avec Richard Dreyfuss.

 

© Gilles Penso

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CYPHER (2002)

Après Cube, Vincenzo Natali se lance dans un récit d'espionnage futuriste qui questionne la déshumanisation et la quête d'identité

CYPHER

2002 – USA

Réalisé par Vincenzo Natali

Avec Jeremy Northam, Lucy Liu, Nigel Bennett, Tomothy Webber, David Hewlett, Kari Matchett, Anne Marie Scheffler 

THEMA ESPIONNAGE ET SCIENCE-FICTION I FUTUR

Après le coup de maître de Cube, Vincenzo Natali persiste dans la voie du fantastique conceptuel avec cet étrange Cypher qui se situe dans un futur indéterminé. C’est l’occasion pour le jeune cinéaste de retrouver certains membres clefs de son équipe précédente, notamment la chef décoratrice Jasna Stefanovic et le chef opérateur Derek Rogers. Morgan Sullivan (Jeremy Northam) est le protagoniste de Cypher. Pour échapper à sa monotone vie banlieusarde, il accepte de devenir espion industriel pour le compte de la compagnie Digicorp Technologies. Sa mission consiste à se rendre sous l’identité de Jack Thursby au sein de diverses conventions autour des Etats-Unis et d’enregistrer tout ce qui se dit à l’aide d’un stylo émetteur. Sur son chemin, il rencontre une belle inconnue, Rita Foster, (Lucy Liu) qui l’incite à ne pas se fier aux apparences. Elle lui affirme que toutes les conférences auxquelles il assiste ne sont que des façades destinées à laver le cerveau de ceux qui y assistent afin de les doter d’autres identités. Pour sauver sa peau, Sullivan va devoir faire croire à ses supérieurs que leur manipulation a fonctionné. Mais Rita dit-elle la vérité ?

Une fois de plus, Natali cisèle sa mise en scène avec la minutie d’un orfèvre, confirme son goût pour les designs épurés et révèle de véritables dons d’esthète. L’univers rétro-futuriste épuré de Cypher semble avoir été inspiré au réalisateur et son équipe artistique par 2001 l’Odysée de l’Espace, l’un de ses films de chevet. Certains plans, et notamment ceux du début du film, sont de magnifiques tableaux quasi-surréalistes, nimbés d’une photographie presque monochrome rendant un hommage manifeste aux films noirs. Hommage que confirme le personnage de Rita, femme fatale archétypique dont la première rencontre avec le héros est soulignée par une partition jazzy de Michael Andrews. Mais la suite du film n’est pas à la hauteur de ce démarrage prometteur. Car le scénario s’efforce alors systématiquement de créer un coup de théâtre toutes les vingt minutes autour des interrogations “qui suis-je vraiment ?“ et “qui manipule qui ?“, jusqu’à ce que le spectateur perde un peu le fil de l’histoire et que son intérêt ne s’émousse malgré plusieurs scènes de suspense remarquablement mises en scène.

L'ombre d'Alfred Hitchcock

Admirateur manifeste d’Alfred Hitchcock, Natali semble avoir voulu rendre hommage à La Mort aux Trousses, à travers son espion à la double identité manipulé par des autorités qui le dépassent. Mais d’autres films viennent à l’esprit en cours de route, notamment MatrixDark CityTotal Recall et Mission Impossible, ôtant peu à peu toute l’originalité d’un script qui, à force de vouloir surprendre, sombre au contraire dans la convention et le lieu commun. Dommage, car Vincenzo Natali semblait vouloir dénoncer avec pertinence la déshumanisation qui gagne peu à peu toutes les grandes villes du monde. « Avec Cypher, j’avais les romans de Philip K. Dick en tête, et ce sont ses thématiques clefs que j’ai tenté de développer », raconte le réalisateur. « A l’époque, aucun de ses livres n’avait été adapté en respectant l’essence de son propos, même si je considère Blade Runner comme un chef d’œuvre absolu. C’était donc une manière, pour moi, de rendre hommage à cet immense écrivain. »  (1)

 

(1) Propos recueillis par votre serviteur en février 2010

© Gilles Penso

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LE FILS DE FRANKENSTEIN (1939)

Ce troisième épisode des aventures du Monstre de Frankenstein incarné par Boris Karloff s'oriente vers une intrigue volontiers rocambolesque

SON OF FRANKENSTEIN

1939 – USA

Réalisé par Rowland V. Lee

Avec Boris Karloff, Basil Rathbone, Bela Lugosi, Lionel Atwill, Josephine Hutchinson, Donnie Dunagan, Emma Dunn 

THEMA FRANKENSTEIN I SAGA UNIVERSAL MONSTERS

Après les deux chefs d’œuvre qu’elle consacra au mythe de Frankenstein, la compagnie Universal produisit Le Fils de Frankenstein, dans le but très pragmatique d’exploiter un filon particulièrement rémunérateur. Mais ce troisième épisode dépasse largement son statut de séquelle servile pour s’ériger en nouveau classique du genre. La tonalité a changé et le monstre, survivant miraculeux de l’explosion du laboratoire de Frankenstein, est redevenu un automate muet. L’empathie envers cette triste créature ne passe donc plus par les dialogues, si laconiques soient-ils, mais à nouveau par la pantomime balourde et l’expressivité douloureuse de Boris Karloff. Même s’il ne s’élève pas au niveau du diptyque de James Whale, Le Fils de Frankenstein demeure un spectacle foncièrement distrayant, assorti de décors somptueux et d’une très belle photographie en noir et blanc, dans la droite lignée des influences expressionnistes du premier film de la série. Il fut pourtant question de tourner cette séquelle en Technicolor à l’origine, mais les tests sur le maquillage de Jack Pierce s’avérèrent peu convaincants (Boris Karloff se retrouvait affublé d’un visage verdâtre du plus curieux effet).

Succédant à James Whale, Rowland V. Lee, vétéran du cinéma d’aventure des années vingt, assure une mise en scène efficace et élégante. Ici, Basil Rathbone, habitué au rôle de Sherlock Holmes, incarne Wolf Von Frankenstein, le fils du célèbre savant qui donna vie au monstre. Il débarque d’Amérique en compagnie de sa femme et de son enfant dans le village où son père vécut, afin de prendre possession du château familial qui lui a été légué. Mais les villageois se montrent très hostiles. En effet, personne n’a oublié la créature qui dévasta le village vingt-cinq ans plus tôt, même si ce Frankenstein, apparemment guère piqué par le virus de la science, semble être un homme affable et équilibré. Un jour, Wolf visite le laboratoire de son père et y rencontre Ygor, le serviteur de ce dernier qui fut pendu pour profanation de sépulture mais survécut à sa peine (d’où un cou tordu, une voix rauque et un port de tête franchement étrange). On note que cet étrange et hirsute subalterne est incarné par Bela Lugosi, celui-là même qui fut Dracula en 1931 et qui refusa le rôle du monstre de Frankenstein.

La fin d'une trilogie

Ygor montre au baron le corps inanimé mais toujours vivant de la créature. Effrayé puis progressivement fasciné, Wolf décide de poursuivre les travaux de son père et réussit à ranimer le monstre. Mais il semble qu’Ygor ait une grande influence sur la créature qui lui obéit servilement. L’ancien pendu en profitera pour la faire tuer les hommes qui jadis le condamnèrent, et c’est Wolf qui se trouve accusé des crimes. C’est alors qu’intervient l’inspecteur Krogh, un méticuleux policier affublé d’un bras en bois qu’incarne avec beaucoup de saveur Lionel Atwill… Même si la saga Frankenstein se poursuivit au-delà du Fils de Frankenstein, le film de Rowland V. Lee clôt une trilogie, dans la mesure où ce sera la dernière fois que Boris Karloff interprètera le monstre (si l’on excepte une ultime apparition déguisée en forme de clin d’œil dans un épisode de la série Route 66). 

 

© Gilles Penso

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RING (1998)

Hideo Nakata adapte le roman de Koji Suzuki et crée une icône inoubliable du cinéma d'horreur asiatique

RINGU

1998 – JAPON

Réalisé par Hideo Nakata

Avec Nanako Matsushima, Miki Nakatani, Hiroyuki Sanada, Yuko Takeuchi, Hitomi Sato, Yoichi Numata, Yutaka Matsushige 

THEMA SORCELLERIE ET MAGIE I CINEMA ET TELEVISION I SAGA RING

Le troublant roman de Koji Suzuki, effrayant à souhaits et proche de l’univers de Stephen King, a donné naissance à une prolifique descendance cinématographique, dont ce film posait les premiers jalons. Après la mort de sa cousine Tomoko, la journaliste Reiko entend parler d’une étrange histoire, celle d’une cassette vidéo censée tuer ceux qui l’ont regardée une semaine après le visionnage. L’incrédulité cède le pas à l’inquiétude lorsque l’amie de Tomoko, qui a regardé la vidéo avec elle, meurt exactement en même temps. Reiko commence donc à enquêter et regarde à son tour la cassette maudite. Peu à peu, son investigation la mène jusqu’à une jeune fille nommée Sadako Yamamura, accusée comme sa mère de sorcellerie, et morte dans d’étranges circonstances. Le compte à rebours pour la mort se met alors à commencer… En adaptant Suzuki, Hideo Takama et son scénariste Hiroshi Takahashi ont opté pour la fidélité, dans la mesure où le texte initial est très visuel, quasi-scénaristique.

La seule grosse différence réside dans le changement de sexe du héros. Ainsi, le journaliste Kazuyuki Asakawa, au comportement relativement machiste dans la prose de Suzuki, s’est transformé ici en Reiko Asakawa, à qui la charmante comédienne Nanako Matsushima prête son visage. Corollaire de ce changement décisif : le second protagoniste n’est plus le meilleur ami d’Asakawa mais son ex-mari. Ce choix narratif offre l’indéniable avantage de féminiser le récit – la figure de la femme était très effacée dans le livre – mais entraîne du coup un certain nombre d’incohérences au fil de l’intrigue. En effet, alors que dans le roman le héros laissait sa femme et son enfant au foyer pour pouvoir mener l’enquête, ici, l’enfant reste seul. Qui le garde ? Que fait-il en l’absence de sa mère ? Le scénario ne le dit pas. Ring ménage quelques très efficaces moments d’épouvante, notamment au cours du climax où Sadako attaque Takano en surgissant de l’écran de son téléviseur. Entrée dans la légende, cette séquence horriblement surréaliste procure un délicieux frisson et n’est pas sans évoquer l’un des passages choc du Démons 2 de Lamberto Bava. 

Sadako surgit de l'écran

On peut légitimement regretter que la froideur de la mise en scène de Nakata, l’inhibition des émotions de ses personnages et l’austérité de ses dialogues émoussent considérablement le potentiel horrifique du film. A l’exception de la séquence sus-nommée, nous n’avons jamais vraiment peur pour les héros. Un comble pour un tel film. D’autre part, alors que dans le roman les protagonistes accumulaient patiemment chaque indice pour comprendre les origines de la cassette meurtrière, leurs homologues filmiques devinent tout avec une déconcertante facilité, comme s’ils étaient extralucides. Dans ces conditions, il devient difficile de s’identifier à eux. Malgré les scories de son scénario, l’argument de départ de Ring est tellement fort que le film est devenu une référence incontournable du genre, ainsi qu’un véritable objet de culte générant moult séquelles, préquelles, remakes et même plusieurs adaptations sous formes de mangas.

 

© Gilles Penso

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LA MAISON DU DIABLE (1963)

Robert Wise signe l'un des films de maison hantée les plus emblématiques, en écartant les effets spectaculaires au profit d'une terreur invisible…

THE HAUNTING

1963 – USA

Réalisé par Robert Wise

Avec Julie Harris, Claire Bloom, Richard Johnson, Russ Tamblyn, Fay Compton, Rosalie Crutchley

THEMA FANTÔMES

Couronné par le succès de West Side Story, Robert Wise décide de revenir au cinéma d’épouvante qui lui permit de démarrer avec succès sa carrière de réalisateur dans les années 40. Il adapte donc un roman qui lui a fait une forte impression : « The Haunting of Hill House » écrit en 1959 par Shirley Jackson. Le film démarre par une énumération inquiétante de drames survenus dans une vaste demeure victorienne. Son premier propriétaire y perdit deux épouses et s’y noya. Sa fille y vieillit et y mourut. La jeune femme sensée s’occuper d’elle y devint folle et s’y pendit. Aujourd’hui, le professeur Markway (Richard Johnson), un anthropologue passionné par les phénomènes paranormaux, souhaite analyser les étrangetés de la demeure pour pouvoir déterminer si leur source est surnaturelle ou non. A la question sur ce qu’il espère y trouver, le scientifique répond : « peut-être la clef qui ouvre sur un autre monde ». Pour les besoins de son étude, il s’entoure d’un petit groupe de gens triés sur le volet : un jeune homme sceptique nommé Luke Sannerson (Russ Tamblyn), une médium extravertie, Theodora (Claire Bloom), et une femme à la sensibilité exacerbée, Eleonor (Julie Harris). Cette dernière nous apparaît dès le début du métrage comme névrosée et taciturne. Accablée par la culpabilité de la mort de sa mère, elle voit dans la proposition du professeur Markway une échappatoire, une fuite vers l’indépendance. Et l’on sent bien que l’expérience ne la laissera pas indemne. 

Dans La Maison du Diable, le surnaturel est suggéré par des mouvements de caméra traduisant le vertige des protagonistes, par des cadrages les enfermant dans des coins exigus de l’écran, par des éclairages les plongeant partiellement dans le noir, par la musique d’Humphrey Searle ponctuant le silence de notes insolites. Ces effets de mise en scène, auxquels Robert Wise ajoute un emploi intensif des courtes focales et des contre-plongées sur les visages effrayés, atteignent leur point culminant au moment de la célèbre séquence de la porte qui se tord. Recluses dans leur chambre, les deux médiums y sont assaillies par des bruits de plus en plus menaçants, tandis que la porte qui les sépare du couloir est en proie à d’étranges torsions. Ce sera le seul véritable effet spécial du film, le plus gros des phénomènes se déroulant hors-champ, et donc dans l’imagination des spectateurs. 

La clef de l'énigme est-elle surnaturelle ou psychiatrique ?

Voilà tout le génie de Robert Wise, qui applique ici les méthodes apprises au contact du producteur Val Lewton tout en les enrichissant de l’expérience acquise entre-temps. Ainsi, dans La Maison du Diable, un simple aboiement de chien au loin nous effraie, un innocent arpège à la harpe nous inquiète, un cognement derrière une porte nous pétrifie. Plus le film avance, plus il semble que la maison est animée d’une volonté propre, d’une conscience qui réagit à la présence de ses occupants… La fin du film s’avère éprouvante pour les nerfs, d’autant que Wise laisse le doute subsister. La clef de l’énigme est-elle surnaturelle ou psychiatrique ? La question reste sans réponse, et nous renvoie à un autre chef d’œuvre du genre, presque contemporain de La Maison du Diable Les Innocents de Jack Clayton.

 

© Gilles Penso

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LE FAISEUR D’EPOUVANTES (1978)

Tony Curtis incarne un voyant charlatan confronté à une jeune femme qui voit croître dans son cou le foetus d'un sorcier démoniaque

THE MANITOU

1978 – USA

Réalisé par William Girdler

Avec Susan Strasberg, Tony Curtis, Jon Cedar, Paul Mantee, Michael Ansara, Burgess Meredith

THEMA SORCELLERIE ET MAGIE

Adapté du passionnant roman « Manitou » écrit en 1975 par Graham Masterton, Le Faiseur d’épouvante est le dernier film de William Girdler (Grizzly, Day of the Animals), décédé peu après le tournage du film dans un accident d’hélicoptère. L’histoire, pour le moins originale, prend pour héroïne Karen Tandy (incarnée par Susan Strasberg), qui découvre avec inquiétude qu’une tumeur croit à la vitesse grand V sur sa nuque. Après avoir consulté d’éminents médecins à San Francisco, elle fait une terrible constatation : cette tumeur est un fœtus en pleine croissance ! Et l’être à qui elle va donner naissance bien malgré elle sera la réincarnation de Misquamacus, un sorcier indien vieux de quatre cents ans bien décidé à se dégourdir les jambes. Ce film d’épouvante très insolite donne également la vedette à Tony Curtis, dans le rôle d’un voyant charlatan du nom d’Harry Erskine, ex-fiancé de l’infortunée « porteuse » du manitou vengeur. Pour aider cette dernière à se débarrasser du monstrueux parasite, Erskine fait appel à un spirite qui répond au doux nom de John Singing Rock. Sans aller aussi loin que les horreurs décrites dans le roman de Masterton (très influencé par l’univers d’H.P. Lovecraft avec le réveil d’un démon millénaire et tentaculaire baptisé « Le Grand Ancien »), Girdler se permet tout de même quelques débordements gore orchestrés par l’expert en maquillages spéciaux Tom Burman (L’île du docteur MoreauL’Invasion des Profanateurs).

On se souviendra notamment de ces instruments chirurgicaux acérés qui viennent se planter dans le visage de Singing Rock, de ces deux policiers éventrés et accrochés par leurs tripes à l’intérieur d’un ascenseur, ou encore de l’éprouvante séquence de résurrection de Misquamacus qui arrache les chairs de Karen Tandy pour voir enfin le jour. D’autres séquences choc, moins sanglantes mais tout aussi mémorables, émaillent le film, notamment la séance de spiritisme orchestrée par Erskine au cours de laquelle la tête du Manitou finit par émerger du centre de la table, fidèlement reprise au roman initial et rythmée par une partition de Lalo Schifrin alors en pleine expérimentation (l’année suivante il allait composer la bande originale d’Amityville la Maison du Diable).

Un exorcisme sous l'influence de Star Wars

Le sorcier du film est une espèce de gnome hideux à la peau reptilienne et aux traits ratatinés, et ses méfaits dans l’hôpital, successifs à sa renaissance violente, provoquent de curieux phénomènes climatiques, notamment une chape de froid et de glace qui recouvre l’intégralité des lieux. Quant au final, il se déroule carrément dans l’espace, comme pour sacrifier à la mode du space opéra relancée à l’époque par La Guerre des Etoiles. Hélas, les effets visuels ne sont pas à la hauteur des intentions de ce climax, malgré l’audacieuse utilisation avant-gardiste de trucages holographiques pour donner corps à un démon appelé « Le Lézard des Arbres ». Les lecteurs du roman furent d’ailleurs frustrés de ne pouvoir découvrir sur grand écran la plupart des monstres démoniaques décrits par la plume inspirée de Masterton, lequel donnera plusieurs suites à « Manitou » : « La Vengeance du Manitou », « L’Ombre du Manitou » et la nouvelle « Le Retour du Manitou. »

 

© Gilles Penso

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CATACOMBES (2014)

Une étudiante en archéologie se met en quête de la pierre philosophale au fin fond des catacombes de Paris

AS ABOVE, SO BELOW

2014 – USA / FRANCE

Réalisé par John Erick Dowdle

Avec Erwin Hodge, Ben Feldman, Perdita Weeks, François Civil, Marion Lambert, Ali Marhyar, Cosme Castro

THEMA SORCELLERIE ET MAGIE 

As Above, So Below (Catacombes) illustre la quête insensée d’une jeune archéologue intrépide, incarnée avec charme et aplomb par la craquante Perdita Weeks (la Mary Boleyn de la série Les Tudors). Cette pasionaria prolonge le rêve de son père en partant à la recherche de la pierre philosophale chère à l’alchimiste Nicolas Flamel. Sa « chasse au trésor » la mènera tout droit en Iran puis à Paris, dans les entrailles de la ville, sombrant de plus en plus profondément dans les catacombes en compagnie de son partenaire, expert en textes anciens (l’excellent Ben Feldman, aperçu dans Cloverfield et surtout dans la série Mad Men), d’un caméraman et d’une équipe bigarrée d’urban explorers. Mais plus que de rétablir la vérité historique, cette périlleuse expédition fera essentiellement ressurgir leurs secrets personnels les plus enfouis…

A quelques petites incongruités inhérentes au genre près (du style, pourquoi le caméraman s’évertue-t-il à filmer alors que sa survie est en jeu), le réalisateur John Erick Dowdle (En Quarantaine, remake US de [Rec]) parvient étonnamment à éviter bon nombre d’écueils du found footage, qui, il faut bien l’avouer, s’était érigé ces dernières années en refuge pour petits malins et en alibi idéal aux productions les plus désargentées (les DTV s’inscrivant dans le genre sont innombrables) ; un domaine où règnent la fainéantise et la roublardise – dernier exemple en date : l’horripilant Willow Creek, subi au BIFFF 2014. Nous n’accordions dès lors que peu de crédit à Catacombes, alors qu’il s’agit du found footage le plus efficace depuis le [Rec] (2007) du duo Balaguero/Plaza. Un honneur qu’il partage avec l’éprouvant The Bay (Barry Levinson, 2012).

Un found footage souterrain

L’œuvre se démarque du tout-venant par une véritable empathie envers ses personnages, pour la plupart finement caractérisés et éloignés des habituels pantins du genre, ainsi que par un travail tangible de documentation historique, offrant au récit des frères Dowdle (John Erick et Drew) l’assise et l’épaisseur nécessaires. D’une noirceur sidérante – presque nihiliste (si, si !) – dans son dernier tiers, lorsque la lumière du jour ne semble plus qu’un songe, As Above, So Below suscite un réel sentiment de claustrophobie chez le spectateur et l’embarque dans un grand huit anxiogène, en n’épargnant aucun de ses protagonistes. A l’image du (néo) slasher teuton – tout dur ! – Urban Explorer (Andy Fetscher, 2011), avec qui il entretient quelques similitudes (pratique de l’exploration urbaine, résurgence d’un passé douloureux, longtemps enseveli dans les profondeurs de la ville), le judicieusement nommé Catacombes (comment faire plus clair ?) est une série B très rythmée, qui sans renouveler le genre, offre un tel impact sur le spectateur… qu’elle en contenterait presque les allergiques au found footage (dont l’auteur de ces lignes n’est pas loin de faire partie) !

 

© Alan Deprez 

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LE CHAT NOIR (1934)

Les deux monstres sacrés Bela Lugosi et Boris Karloff s'affrontent dans un huis-clos mêlant jalousie, vengeance et sorcellerie

THE BLACK CAT

1934 – USA

Réalisé par Edgar G. Ulmer

Avec Bela Lugosi, Boris Karloff, David Manners, Julie Bishop, Lucille Lund, Egon Brecher, Harry Cording, Henry Armetta 

THEMA SORCELLERIE ET MAGIE

Après le succès de Dracula et Frankenstein, les studios Universal se sont mis en tête de réunir leurs deux vedettes respectives dans une petite série de films d’épouvante aux budgets réduits, tournés principalement en studio. Le Chat Noir est le premier d’entre eux, et il n’entretient à vrai dire aucun rapport avec la nouvelle d’Edgar Poe dont il emprunte le titre, le félin du titre se contentant d’errer sinistrement dans le décor pour effrayer Bela Lugosi. Celui-ci incarne le docteur Vitus Werdegast, venu rendre visite à un architecte sorcier à ses heures, du nom de Hjalmar Poelzig, interprété par Karloff. Redoutable criminel de guerre, Poelzig a jadis assassiné la femme de Vitus et a épousé sa fille. Werdegast est donc assoiffé d’une vengeance longuement mûrie. « Je peux encore sentir la mort dans l’air » murmure ainsi Lugosi en arpentant la vaste demeure de son hôte sinistre. Au beau milieu de cet affrontement qui couve se retrouve un jeune couple en plein voyage de noces, échoué dans la demeure de Poelzig après un accident d’autocar.

Le scénario s’articule alors autour de ce huis clos, mélangeant la rivalité de Karloff et Lugosi, la surprise des jeunes mariés pris au piège, des cachots camouflés comme dans les bons vieux serials d’aventure, une ancienne épouse conservée morte dans une vitrine et coiffée comme la fiancée de Frankenstein, une cérémonie satanique avec une poignée de figurants encapuchonnés, et ce chat noir qui se ballade nonchalamment en projetant son ombre sur les murs. Proche stylistiquement de celle de Tod Browning pour le Dracula de 1931, la réalisation d’Edgar G. Ulmer joue la carte de la théâtralité, le jeu des acteurs  étant à l’avenant : outré, extrême et presque surréaliste. Visuellement, le film bénéficie de fort belles compositions, d’un splendide décor de verre et d’acier dont l’influence art-déco tranche avec les habituels donjons gothiques, et d’une somptueuse photographie de John J. Mescall sous influence de l’expressionnisme allemand. 

« Ne sommes-nous pas tous deux des morts vivants ? »

Point culminant du récit, la scène de la partie d’échecs entre Lugosi et Karloff a pour enjeu la jeune mariée, Karloff annonçant la couleur avec force grandiloquence : « Ne sommes-nous pas tous deux des morts vivants ? Or maintenant, vous venez me voir en jouant le rôle d’un ange vengeur, puérilement assoiffé de mon sang. Nous allons jouer à un petit jeu, Vitus. Un jeu mortel, si vous le voulez bien ». On pourra regretter qu’Ulmer expédie cette séquence en quelques plans, au lieu du surdécoupage dramatique qu’aurait mérité ce face à face. Mais n’est-ce pas justement ce parti pris minimaliste qui finit par instiller le malaise et qui tranche avec les productions Universal précédentes. ? Ce sentiment se confirme avec l’apparition de l’épouse conservée sous verre après sa mort, révélée tranquillement dans un plan large anodin et – du coup – assez perturbant. Fait curieux pour un film du milieu des années 30, la bande originale du film mixe des morceaux originaux de Heinz Roemheld avec des reprises de Beethoveen, Schubert, Liszt et Tchaïkovsky. 

 

© Gilles Penso

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L’ÎLE DU DOCTEUR MOREAU (1932)

Charles Laughton et Bela Lugosi s'ébattent dans la toute première - et sans doute la meilleure - des adaptations du célèbre roman d'H.G. Wells

ISLAND OF LOST SOULS

1932 – USA

Réalisé par Erle C. Kenton

Avec Charles Laughton, Bela Lugosi, Richard Arlen, Leila Hyams, Kathleen Burke, Arthur Hohl, Stanley Fields, Robert Kortman

THEMA MEDECINE EN FOLIE

La première version cinématographique officielle du roman « L’île du Docteur Moreau », que H.G. Wells publia en 1896 et qui annonçait avec des décennies d’avance les dangers de la manipulation génétique, date de 1933, année faste pour le cinéma fantastique puisque ce fut également celle de King KongMasques de Cire et L’Homme Invisible. Signée Erle C. Kenton, qui se spécialisera plus tard dans le recyclage folklorique des Dracula, Frankenstein et autre Loup-Garou d’Universal, cette Island of Lost Souls (littéralement « L’île des âmes perdues ») est probablement l’un des films d’épouvante les plus terrifiants de l’époque, et son impact ne s’est guère amoindri aujourd’hui. Le docteur Moreau y fait des greffes expérimentales sur des animaux et les transforme en caricatures de l’homme. Ayant dû quitter l’Angleterre à cause de manifestations contre la vivisection, il s’est retiré dans une île privée où il peut jouer à être Dieu vis-à-vis de ses créatures.

Bien que le film de Kenton, produit par le studio Paramount, date de l’âge d’or du cinéma fantastique américain, il ne s’inscrit pas vraiment dans la lignée des classiques d’Universal ou de la RKO, dont l’esthétique est largement inspirée par l’expressionnisme allemand, et bénéficie de décors extérieurs naturels filmés à Catalina island. Ce qui n’empêche pas pour autant cette Ile du Docteur Moreau de dégager un climat malsain, une angoisse assez dérangeante due en grande partie à Charles Laughton, détestable en docteur Moreau bien en chair et doucereux. Cette atmosphère pesante est également imputable aux insulaires bestiaux dont l’aspect monstrueux n’est expliqué que tardivement, et à ces cris terrifiants qui déchirent le silence, provenant de la mystérieuse « maison de la souffrance ». Autre élément troublant : Lota, la belle et insouciante sauvageonne qui s’éprend du héros, lequel, fiancé à une blondinette citadine, n’est pas insensible à son charme exotique… jusqu’à ce qu’il découvre que Lota est une panthère transformée en humaine par Moreau, et que ses ongles longs sont en réalité des griffes de fauve ! Cette idée très forte, bien qu’absente du roman de Wells qui ne contient aucun personnage féminin, eut un tel impact qu’elle fut réutilisée dans les deux adaptations suivantes.

Lota la femme panthère

A l’instar de Boris Karloff dans Frankenstein ou d’Elsa Lanchester dans La Fiancée de Frankenstein, la comédienne Kathleen Burke, interprète de Lota qui n’avait que 19 ans à l’époque, ne fut pas mentionnée dans le générique de début, son nom étant remplacé par un mystérieux « The Panther Woman ». La foule d’« humanimaux » clamant la loi, dirigée par un Bela Lugosi couvert de poils, fait froid dans le dos et se révolte finalement contre Moreau en le découpant à coup d’instruments chirurgicaux. Ce lynchage sanglant se déroule hors champ, mais tout de même, quel choc ! Le tout se termine par un grand incendie purificateur – et presque libérateur pour le spectateur – sacrifiant quant à lui à la tradition des grands classiques de l’épouvante. Pendant plusieurs années, le film fut tout bonnement interdit en Angleterre, et l’on prétend que Wells lui-même fut proprement choqué par cette adaptation.

 

© Gilles Penso

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