SIMETIERRE (1989)

La talentueuse Mary Lambert s'empare d'un des romans les plus noirs de Stephen King et en tire un film désespérément nihiliste

PET SEMATARY

1989 – USA

Réalisé par Mary Lambert

Avec Fred Gwynne, Denise Crosby, Dale Midkiff, Brad Greenquist, Michael Lombard

THEMA ZOMBIES I ENFANTS I SAGA STEPHEN KING

L’inéluctabilité de la mort… Stephen King s’est penché sur cet obsédant sujet en 1983 avec son roman « Simetierre », qui rencontra malgré sa noirceur un grand succès. Six ans plus tard, quand vint le moment de l’adapter sur grand écran, l’écrivain, par souci de contrôle très certainement, décida de rédiger le scénario lui-même, et tint à ce qu’il soit suivi à la lettre. George A. Romero et Tom Savini furent tour à tour envisagés derrière la caméra, mais la petite nouvelle Mary Lambert (clippeuse pour Madonna ayant réalisé un seul film, Siesta, tiède ersatz Lynchien) emporta le morceau et imprima sur pellicule ce chant funèbre. La famille Creed, Louis, son épouse Rachel et leurs deux jeunes enfants, Ellie et Gage, quittent les turpitudes de Chicago pour s’installer dans le Maine. La maison est magnifique, Louis a une bonne situation, médecin à l’hôpital universitaire, son couple est solide, et leur famille unie. Très vite, le chat d’Ellie se fait écraser sur la grande route qui borde la maison, et Louis, n’osant avouer à sa fille la mort de son compagnon, décide de l’enterrer au-delà du cimetière pour animaux, bien plus loin, sur un mystérieux site indien au sol acide et rocailleux, malgré les mises en garde de leur vieux voisin qui prédit un drame. Car « il y a des états pires que la mort », et quand ce sera au tour de Gage de se faire renverser et tuer par un camion, Louis se retrouvera face à des choix cruciaux et irréversibles…

Une telle tragédie n’aurait pu souffrir une transcription timide ou un ton léger (nous sommes quand même à l’orée des années 90, et l’humour est de bon ton dans la série B). La bonne idée de King est de traiter son roman avec un sérieux imperturbable, et de ne faire l’impasse sur aucun élément sulfureux du drame des Creed : la mort de Gage (qui rappelle fortement celle de la famille de Mad Max), le suicide très cru de la voisine, l’enterrement qui tourne à l’empoignade désespérée, le fantôme au crâne béant qui suit Louis, la terrifiante sœur de Rachel rongée par la méningite, l’infanticide, le matricide… Les tabous hollywoodiens sont pulvérisés, la violence graphique et psychologique est frontale et sans retenue, et le sujet, universel, frappe au cœur. La performance des acteurs y est pour beaucoup, notamment le bouleversant Dale Midkiff, père en perdition face à la dissolution de la cellule familiale (un certain Bruce Campbell n’avait pas été retenu pour le rôle), qui provoque une forte identification et soulève nombre de questions cornéliennes. Au moment où l’enfant se retrouve confronté à la mort, faut-il le bercer de douces et rassurantes métaphores, ou bien lui expliquer l’issue logique de toute vie avec sincérité, en prenant le risque de le traumatiser ? Et si nous avions le choix de faire revenir nos morts et de corriger nos pires erreurs, quitte à y perdre la raison, que choisirions-nous ?

Un tétanisant parfum mortifère

Évidemment, la réanimation des cadavres rappelle Frankenstein, mais là où le personnage de Mary Shelley péchait par orgueil avant tout dans son désir de concurrencer Dieu, Louis (dont le métier est de sauver des vies) n’est mu que par l’amour, la culpabilité et un certain égoïsme dans le fait de ne pas vouloir laisser partir les siens, quitte à ce qu’ils soient condamnés à devenir des abominations. On pourra simplement reprocher une mise en images quelque peu « téléfilm » (mais néanmoins au service du récit et des personnages) et le morceau du générique final des Ramones (choisi par King) qui, bien que réussi, atténue quelque peu l’horreur du dernier plan par sa bonne ambiance typiquement 80’s, tranchant avec le score mystique et oppressant d’Elliot Goldenthal. Une suite vit le jour en 1992, toujours sous l’égide de Mary Lambert, cherchant visiblement à prendre le contre-pied du premier volet en jouant la carte de la surenchère et du grand-guignol rigolard. Inutile. Plus de 20 ans après, Simetierre n’a rien perdu de sa puissance émotionnelle et de son tétanisant parfum mortifère, désintégrant à chaque nouvelle vision la grande majorité des piètres tentatives actuelles dans le genre. 

 

Julien Cassarino

 

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LES AVENTURES DE JACK BURTON DANS LES GRIFFES DU MANDARIN​ (1987)

John Carpenter se fait plaisir en rendant hommage aux films de sabre asiatiques avec une totale décontraction, quitte à déconcerter son public

BIG TROUBLE IN LITTLE CHINA

1987 – USA

Réalisé par John Carpenter

Avec Kurt Russell, Kim Cattrall, Dennis Dun, James Hong, Victor Wong, Kate Burton, Donald Li, Carter Wong

THEMA SORCELLERIE ET MAGIE I SAGA JOHN CARPENTER

Chaque grand metteur en scène adoubé par un succès a décidé le temps d’un film de se faire plaisir, faisant fi de toute considération mercantile et laissant libre cours à un mélange d’influences débridé : Spielberg avec 1941, Mc Tiernan avec Last Action Hero, Dante avec Gremlins 2… Œuvres qui ont dérouté lors de leur sortie, et ont été réhabilitées avec le temps (et leurs ventes en vidéo). Les Aventures de Jack Burton… (titre français opportuniste surfant sur la vague des Indiana Jones auquel on préférera le Big Trouble in Little China d’origine) est en 1986 le film « autre » de John Carpenter, véritable récréation artistique après la commande Starman qui a lui a donné la confiance des studios. Nanti d’un bon budget, le réalisateur entend bien profiter de ce confort pour matérialiser ses idées les plus folles (les effets visuels de Richard Edlund sont majestueux) et rendre hommage au Wuxiapian, film de sabre chinois encore méconnu aux USA. Big John choisit comme action star son comédien fétiche, Kurt Russell, qui incarne avec malice un antihéros macho, grande gueule, pas très fin et surtout complètement à côté de la plaque car dépassé par une culture qu’il ne connaît et ne comprend absolument pas.

Le pauvre Jack Burton, simple camionneur américain, se retrouve ainsi propulsé dans les affres des luttes ancestrales ethniques pour aider un ami chinois à sauver sa fiancée. Carpenter choisit avec l’espièglerie qui le caractérise de faire de l’habituel sidekick étranger le véritable héros de l’histoire, qui mène la danse et gagne les combats, là où Burton, symbolisant ici clairement le public américain lambda, ne fait que subir les événements et encaisser les déculottées peu glorieuses. En découlent une série ininterrompue d’affrontements incroyables et de folles péripéties, rythmées par un humour décomplexé et dévastateur où la punchline est reine (quelle vf !) et où le ridicule le plus assumé côtoie la prouesse martiale la plus spectaculaire. Folie jubilatoire, esprit BD, références savoureuses à Tsui Hark et à la Shaw Brothers aussi bien qu’au western ou au jeu vidéo, humour potache, bad guys et créatures monstrueuses fantaisistes, esprit parodique acéré, le tout servi par le magnifique scope cher au réalisateur et par la photo léchée du grand Dean Cundey, autant d’éléments réunis pour que le plaisir du public soit total.

Un rendez-vous manqué

Et pourtant, le film ne rapporta même pas la moitié de sa mise de départ, trop avant-gardiste et métissé pour plaire au plus grand nombre, et trop tranché dans son refus d’une consensualité rassurante. Le « héros » américain se tiendra à son but de départ (retrouver son camion) et ne repartira pas avec sa belle vers le soleil couchant (« Vous allez pas l’embrasser avant de partir ? -Non »), son individualisme primaire lui tenant chaud, non sans avoir acquis au passage un certain respect vis-à-vis de l’inconnu culturel (les Chinois se voyant eux aussi gentiment brocardés sur leur sens du business à tout crin). Comme quoi le cynisme de Big John envers ses semblables laisse entrevoir un espoir de conciliation dans l’épreuve… Déçu et profondément blessé par cet « échec » (le film appelait clairement une suite), Carpenter dut quitter sa maison de production et revint immédiatement aux budgets modestes avec deux films coup de poing au format plus indépendant, Prince des ténèbres et Invasion Los Angeles, le second étant une charge très vindicative contre le libéralisme sauvage… Cependant, comme le prouve son long silence artistique brisé avec le timide et rebattu The Ward,  il semble ne jamais s’être vraiment remis de la douloureuse expérience Big trouble, pari manqué qui montre tristement que le plus souvent, même animé de toute la fougue et la générosité du monde, on ne peut espérer plaire à la masse en refusant de la brosser dans le sens du poil. Le vieux Jack Burton en tirait déjà les conséquences à l’époque, en un ultime et prophétique pied-de-nez : « Tu peux toujours tonner camarade, moi, rien ne m’étonne ».

 

© Julien Cassarino

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DREDD (2012)

Très éloignée de la version avec Sylvester Stallone, cette adaptation sans concession se rapproche de l'esprit du comic book original

DREDD

2012 – USA

Réalisé par Pete Travis

Avec Karl Urban, Olivia Thirlby, Lena Headey, Wood Harris, Domhnall Gleeson, Langley Kirkwood, Deobia Oparei

THEMA FUTUR

L’anti-héros casqué imaginé en 1977 par John Wagner et Carlos Ezquerra n’a pas été gâté par ses premiers pas sur grand écran. L’adaptation signée Danny Cannon était en effet un spectaculaire ratage, dans lequel Sylvester Stallone ôtait très vite son casque pour justifier son nom en haut de l’affiche. Cette hérésie – parmi bien d’autres – hérissa quelque peu le poil de l’auteur John Wagner. Aussi, lorsque le scénariste Alex Garland (28 Jours plus tard) le contacta pour une nouvelle adaptation du légendaire comic book, son enthousiasme demeura très mesuré. D’autant que cette fois-ci, Judge Dredd ne bénéficie plus du traitement de faveur d’un gros studio mais atterrit entre les mains d’une petite structure de production. Or c’est justement ce qui explique en grande partie la prodigieuse réussite de cette seconde chance. Avec un budget raisonnable, un réalisateur solide (à qui nous devons entre autres Angles d’attaque), un scénariste passionné et une petite équipe chevronnée, Dredd peut se permettre de frapper fort sans se soucier de plaire à tous, assumant pleinement le caractère ultra-violent de l’univers créé par Wagner et Ezquerra, et se concentrant sur une unité de lieu et de temps à l’efficacité implacable.

Dredd nous décrit une mégalopole décrépie, hérissée d’immenses tours de béton abritant une faune désemparée, noyée dans un nuage ocre de pollution stagnante et sillonnée par les « Judges ». Ces nouveaux gardiens de la paix, à la fois policiers, juges et bourreaux, sont conçus pour accélérer considérablement les procédures judiciaires et pénales. Après constatation sommaire des faits et des méfaits, la sentence tombe très vite. Le choix est généralement restreint : la prison ou la mort. Dredd est l’un de ces soldats zélés et durs à cuire. Lorsqu’on lui met entre les pattes une jeune recrue télépathe pour l’évaluer, il ne montre aucune émotion mais ne semble guère aux anges. D’autant que tous deux atterrissent dans un redoutable guet-apens. Enfermés dans une tour titanesque contrôlée par la baronne de la drogue Ma-Ma, livrés à eux-mêmes, ils entrent dans la ligne de mire d’une horde de gangsters armés jusqu’aux dents qui ont reçu l’ordre de les réduire en charpie.

L'étau se resserre inexorablement

Dredd évoque beaucoup les films d’action bruts des années 80. La situation rappelle Piège de cristal et les débordements de violence nous ramènent à l’époque des films d’anticipation de Paul Verhoeven, mais ici aucun second degré secourable ne permet au spectateur de reprendre son souffle. L’étau scénaristique se resserre inexorablement, porté par des séquences de suspense haletantes et des fusillades aux proportions alarmantes. La radicalité de ces partis pris trouve un écho dans la mise en forme impeccable du long-métrage. A ce titre, il faut souligner la perfection des effets visuels et la beauté troublante des séquences surréalistes décrivant les effets de la drogue slo-mo, qui ralentit mille fois les perceptions humaines. La 3D est à l’avenant, le réalisateur se réappropriant le gimmick pour s’en servir de véhicule d’immersion totale. Limité hélas à une distribution en DVD en nos contrées, ce Dredd nouvelle génération aurait largement mérité une exploitation sur grand écran.

 

© Gilles Penso

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DES SERPENTS DANS L’AVION (2006)

Un avion plein à craquer, des centaines de serpents agressifs, et c'est parti pour 100 minutes de spectacle régressif et décomplexé

SNAKES ON A PLANE

2006 – USA

Réalisé par David R. Ellis

Avec Samuel L. Jackson, Julianna Marguiles, Nathan Philips, Rachel Blanchard, Flex Alexander, Kenan Thompson, Keith Dallas

THEMA REPTILES ET VOLATILES I CATASTROPHES

L’avantage, avec Des Serpents dans l’avion, c’est qu’en lisant le titre du film, on sait très exactement ce qu’on va y trouver. De ce point de vue-là, il n’y a pas tromperie sur la marchandise, et tout porte à croire que cette série B improbable ait été conçue comme un croisement contre-nature entre Airport et la scène des serpents des Aventuriers de l’Arche Perdue. Cette dernière référence semble être confirmée par la typo du titre sur l’affiche du film, visiblement très inspirée de celle des Indiana Jones, et par le patronyme du jeune personnage principal (Jones). Le Jones en question est un sympathique Américain venu surfer à Hawaï, qui assiste par mégarde à la mise à mort d’un procureur de Los Angeles par une bande de gangsters patibulaires. Désormais témoin à charge, il est placé sous la protection de l’agent spécial Neville Flynn (Samuel L. Jackson, qui clame fièrement avoir accepté de tourner dans le film parce qu’il adorait le titre !). Tous deux empruntent le vol South Pacific Air 121 qui relie Honolulu à Los Angeles. A bord du Boeing se trouve un bel échantillon de passagers caricaturaux, version à peine modernisée des stéréotypes mis en exergue dans 747 en péril et consorts. Nous avons donc droit au businessman acariâtre, au pilote macho et dragueur, aux enfants astucieux, à l’hôtesse courageuse, au jeune couple amoureux, à la grosse femme portée sur la bouteille, au rappeur arrogant, au steward efféminé… il ne manque plus que la bonne sœur et sa guitare 

Après la présentation de tout ce beau monde et le décollage de l’avion, le scénario ne perd pas de temps. Des centaines de serpents exotiques, shootés aux phéromones, s’échappent de la soute et envahissent l’appareil. Ce qui nous vaut une réplique de Jackson que n’importe quel spectateur pourrait tout aussi bien prononcer : « on avait prévu tous les scénarios catastrophe, mais on n’avait pas anticipé celui-là ! » La scène de panique qui s’ensuit est franchement réussie, les serpents tombant sur les passagers en même temps que les masques à gaz, puis entreprenant de mordre tous ceux qui passent à leur portée. L’un d’entre eux surgit d’un sac à vomi, un autre occit un couple en plein coït dans les toilettes, un python engloutit carrément un homme… Bref les attaques s’avèrent variées, violentes et répulsives à loisir, mixant reptiles réels (450 spécimens furent sollicités sur le plateau) et répliques 3D plutôt réussies.

Samuel L. Jackson à la rescousse

Bien sûr, Jackson prend tout de suite les choses en main, et tandis qu’il lutte contre la menace rampante, une cellule de crise est mise en place au sol. S’il n’était pas autant porté sur le premier degré, Des Serpents dans l’avion aurait tout de la parodie, d’autant qu’à un moment clef du film, le cockpit se retrouve désert et l’une des hôtesses doit prendre les commandes, exactement comme dans Y’a-t-il un pilote dans l’avion ! Gageons d’ailleurs que si Ronnie Yu, pressenti au départ, avait dirigé le film, l’humour y aurait sans doute été plus marqué. Tel quel, le résultat est plutôt stupide, mais il faut avouer qu’on ne s’y ennuie pas une seconde, jubilant même lorsque Jackson prononce des dialogues aussi improbables que : « je veux qu’on débarrasse ce foutu avion de ces foutus serpents de merde ! »

 

© Gilles Penso

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JACK LE TUEUR DE GEANTS (1962)

Une imitation du 7ème Voyage de Sinbad maladroite mais pleine de charme, de monstres et de merveilles

JACK THE GIANT KILLER

1962 – USA

Réalisé par Nathan Juran

Avec Kerwin Matthews, Judi Meredith, Thorin Thatcher, Walter Burke, Don Beddoe, Barry Kelley, Dayton Lummis

THEMA CONTES I DRAGONS

Difficile d’évoquer Jack le tueur de Géants sans penser au 7ème voyage de Sinbad, dont il constitue une imitation maladroite assez appauvrie, artistiquement, techniquement et narrativement, malgré un déploiement de moyens conséquents et une armada d’hommes d’effets spéciaux embauchés pour effectuer le travail que Ray Harryhausen, quatre ans plus tôt, avait effectué seul. Celui-ci nous avouera d’ailleurs, en parlant du film : « On dirait Le 7ème voyage de Sinbad avec des costumes différents ! » (1) Adapté d’un conte populaire du moyen âge anglais, le scénario s’ouvre sur l’anniversaire de la princesse Elaine (Judi Meredith), au royaume de Cornouailles. Sous une fausse identité, le sorcier Pendragon (Thorin Thatcher) lui offre une boîte à musique d’où sort un petit automate. Le soir, l’automate se transforme en un hideux géant baptisé Cormoran qui s’empare d’Elaine. Le monstre gagne bientôt la côte et remet la princesse au gnome Garna. Un jeune fermier, Jack (Kerwin Matthews), intervient hardiment, libère Elaine et réussit à tuer Cormoran. Pour le récompenser, le roi le fait chevalier et le désigne pour accompagner la jeune fille au couvent. Mais Constance, la dame de compagnie de la princesse, les trahit après avoir été ensorcelée par Pendragon. Pour retrouver le chemin du château maudit, Jack devra suivre les conseils d’un lutin enfermé dans une bouteille.

Jack le tueur de Géants tente donc ouvertement de recycler les éléments qui firent le succès de Sinbad (héros sautillant, princesse en péril, sorcier maléfique, géants, dragon, squelette, génie dans la bouteille) et le producteur va jusqu’à engager le même réalisateur et les mêmes acteurs principaux ! Mais il manque l’élément essentiel : Harryhausen. De fait, les créatures, malgré un design souvent intéressant, n’ont pas la moindre finesse, ni dans leur morphologie, ni même dans leur animation. « Le travail de sculpture n’était pas très soigné », nous avoue l’animateur Jim Danforth, « et lorsque j’ai finalement été engagé pour participer à l’animation du film, j’ai eu beaucoup de mal à travailler avec sensibilité sur ces figurines grossières. Autant les pattes de bouc des cyclopes de Ray Harryhausen étaient élancées et réalistes, autant celles des géants de ce film étaient grossières et rigides. On aurait dit de simples tubes tordus recouverts de poils ! » (2)

Géants, monstres marins et dragons

De fait, le premier géant, Cormoran, est une réplique servile du cyclope de Sinbad. Le second, Galligantua, est une version bicéphale et chevelue du premier. Le film nous gratifie aussi de deux dragons surprenants, affublés de traits caricaturaux qu’on croirait échappés d’un cartoon. Le premier, surgi des mers, ressemble à un croisement entre un dinosaure et une pieuvre. Le second, attaquant nos héros dans les airs, a un corps de reptile, des ailes de chauve-souris et un faciès canin ! Au détour de quelques séquences, le film évoque La Belle et la Bête (les bras animés dans le couloir) et La Belle au bois dormant (le méchant transformé en dragon). Malgré tous ces emprunts, et un ton général un peu sinistre, le tout jeune spectateur trouvera bien des attraits à ce Jack le tueur de Géants, riche en couleurs, en surprises et en magie.

 

(1) Propos recueillis par votre serviteur en février 2004

(2) Propos recueillis par votre serviteur en avril 1998

 

© Gilles Penso

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LOS ANGELES 2013 (1996)

John Carpenter réalise une suite tardive de New York 1997 encore plus subversive que son modèle, malgré ses nombreuses maladresses

ESCAPE FROM LOS ANGELES

1996 – USA

Réalisé par John Carpenter

Avec Kurt Russell, Stacy Keach, John Buscemi, Peter Fonda, Cliff Robertson, Pam Grier, Bruce Campbell, George Corraface

THEMA FUTUR I SAGA JOHN CARPENTER

Quinze ans après le mythique New York 1997, John Carpenter et Kurt Russell se sont réunis pour donner suite aux aventures du mercenaire Snake Plissken, lâché dans une nouvelle mégapole apocalyptique. Le tremblement de terre qui frappa Los Angeles en 1994 donna l’impulsion nécessaire au réalisateur, à son acteur fétiche et à la productrice Debra Hill pour se lancer dans cette suite, dont ils signèrent à trois le scénario. Comme Terminator 2 ou Desperado, ce Los Angeles 2013 est à vrai dire autant une séquelle qu’un remake du film original, dans la mesure où sa structure narrative, ses moments forts et son rythme sont directement calqués sur leur modèle. Cette fois-ci, Snake Plissken se voit obligé d’intervenir au sein de Los Angeles, devenue, après le séisme qui la ravagea et le raz de marée qui la submergea en 1998, une île et un lieu d’exil pour les marginaux, les rebelles, les anarchistes et les gangsters. La mission de Snake : se débarrasser du guérillero Cuervo Jones (George Corraface) et récupérer la fille du président des USA (A.J. Langer), ralliée à sa cause. S’il refuse, un virus inoculé dans son sang causera sa perte.

Une fois de plus, la faune humaine que croise Plissken est pour le moins excentrique. Le casting vaut donc son pesant de « gueules », souvent bizarrement employées d’ailleurs, notamment un Bruce Campbell méconnaissable sous des kilos de prothèses, ou Pam Grier transfigurée dans le rôle d’un transsexuel ! Isaac Hayes, le fameux Duke du film précédent, fait même de la figuration référentielle et non créditée lors de la séquence du match de basket. Le budget ayant littéralement été multiplié par sept par rapport à celui de New York 1997, atteignant cinquante millions de dollars, Carpenter a pu visualiser des choses qu’il s’était contenté de suggérer dans le premier film. « Dans New York 1997, nous avions utilisé des trucages simples », nous expliquait Carpenter à l’époque. « Mais pour la suite, il me fallait un gros budget. Les temps ont changé. Le spectateur veut du Terminator 2  » (1).

Une série B survitaminée mais sans surprise

Parmi les décors futuristes les plus marquants de cette séquelle, on note une reconstitution de Sunset Boulevard et un cimetière de voiture où s’entassent quelque deux cents carcasses. Mais ce déploiement de moyens n’empêche pas Los Angeles 2013 de ressembler à une série B survitaminée. Malheureusement, la nouveauté et l’inventivité qui avaient frappé de plein fouet le public quinze ans plus tôt se sont évaporées ici. Tout y est attendu sans que la surprise ne pointe vraiment le bout de son nez. Comme en outre certains effets spéciaux à vocation spectaculaire font sombrer par leur maladresse plusieurs séquences dans le ridicule, notamment la course en surf sur le raz-de-marée avec « Pipeline » (Peter Fonda) ou la bataille finale en deltaplane menée par le gang de Hershe Las Palmas (Pam Grier), Los Angeles 2013 déçoit beaucoup. Seule amélioration notable par rapport à l’original, et pas des moindres : le scénario a pris ici un caractère encore plus subversif, Carpenter ayant depuis le film original accumulé un bon paquet d’amertume et de cynisme.

 

(1) propos recueillis par votre serviteur en février 1995
 

© Gilles Penso

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LE TESTAMENT DU DOCTEUR CORDELIER (1959)

Une variante française de Docteur Jekyll et Mister Hyde mise en scène à la fin des années 50 par Jean Renoir

LE TESTAMENT DU DOCTEUR CORDELIER

1959 – FRANCE

Réalisé par Jean Renoir

Avec Jean-Louis Barrault, Michel Vitold, Jean Topart, Jacques Catelain, Gaston Modot, Teddy Bilis, Micheline Gary

THEMA JEKYLL ET HYDE I DOUBLES

Renfloué par la ressortie de son chef d’œuvre La Grande illusion après une longue traversée du désert financière, Jean Renoir décide à la fin des années 50 de se tourner vers les nouveaux médias et accepte de tourner Le Testament du docteur Cordelier pour la RTF. Cette co-production destinée à la fois au grand et au petit écran lui permet ainsi d’expérimenter le tournage en multicaméras. Le cinéaste apparaît d’ailleurs lui-même au cours du prologue, sur un plateau de télévision, pour introduire le récit, qui n’est rien d’autre qu’une adaptation officieuse du roman « L’Etrange Cas du Docteur Jekyll et de Mister Hyde ». A l’exception des noms des personnages et de la transposition de l’intrigue dans la banlieue ouest de Paris, le texte de Robert Louis Stevenson est quasiment respecté à la lettre. Éminent psychiatre, le Docteur Cordelier laisse au notaire Joly un testament dont le légataire est un certain Opale. Or cet Opale est un personnage repoussant qui agresse sous les yeux de Joly une petite fille en pleine nuit, puis se réfugie dans le laboratoire de Cordelier. Joly supplie ce dernier de réviser son testament. Mais Cordelier proteste fermement, affirmant qu’Opale lui est nécessaire pour ses expériences sur le cerveau. En désespoir de cause, Joly consulte le docteur Séverin, farouche concurrent de Cordelier, mais celui-ci se contente de lui conseiller de ne pas se mêler de cette affaire, qu’il résume sous forme d’« un testament d’un fou à un autre fou ». Entre-temps, Opale poursuit ses exactions, agressant une femme avec son bébé, un homme malade, un infirme, finissant même par assassiner Séverin.

Dans le double rôle vedette, Jean-Louis Barrault est étonnant. Digne comme un sociétaire de la comédie française dans le rôle de Cordelier, il se barde de tics et s’octroie une démarche bizarrement balancée sous la défroque d’Opale, une canne à la main, des habits trop grands et un maquillage l’enlaidissant (mains velues, fausses dents, joues gonflées), le tout aux accents d’une partition claudicante pour xylophone signée Joseph Kosma. Traité sous l’angle d’une enquête policière, le scénario suit les piétinements de la police, incapable de mettre la main sur le sinistre individu malgré leur perquisition dans son cloaque à Pigalle. Jusqu’à l’épilogue qui nous révèle le fin mot de l’histoire (que les lecteurs de Stevenson avaient évidemment deviné depuis le début).

Guérir l'infection morale

On découvre dans ce flash-back révélateur un Cordelier en début de carrière, qui n’hésite pas à fricoter avec sa servante allemande, l’accorte Lise, ou à abuser d’une de ses patientes endormies. Dégoûté par son propre comportement, il abandonne sa clientèle et s’adonne à la recherche pour régler le problème du mal. Son objectif : « guérir l’infection morale comme les antibiotiques guérissent l’infection physique », à l’aide d’un remède de son cru. On connaît le résultat : un dédoublement de personnalité extrême qui s’achemine inexorablement vers un drame insoluble. Dynamique, la mise en scène de Renoir ne parvient pas à éviter totalement la théâtralisation un peu déplacée de certaines séquences (Séverin, notamment, surjoue à outrance), ce qui n’empêche pas Le Testament du docteur Cordelier de s’afficher comme l’une des meilleures adaptations – non officielle, mais qu’importe – du roman de Stevenson.

 

© Gilles Penso

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LES SURVIVANTS DE LA FIN DU MONDE (1977)

Future star de Supercopter, Jan-Michael Vincent erre dans un désert post-apocalyptique peuplé d'insectes mutants

DAMNATION ALLEY

1977 – USA

Réalisé par Jack Smight

Avec Jan-Michael Vincent, George Peppard, Dominique Sanda, Paul Winfield, Jackie Earle Haley, Kip Niven, Robert Donner

THEMA FUTUR I INSECTES ET INVERTEBRES

Les Survivants de la fin du monde raconte l’épopée d’une poignée d’être humains après un gigantesque holocauste nucléaire, avec la froide brutalité qui caractérise bon nombre de films de science-fiction de la décennie 1968-1978, La Planète des singes en tête. Adapté d’un roman de Roger Zelazny, le scénario ne nous dira jamais ce qui a provoqué la guerre atomique ni qui sont les belligérants. Nous constatons seulement l’ampleur de la catastrophe, d’abord sur la carte d’état-major de l’armée, et ensuite sur le terrain. Nous avons affaire là à un Hiroshima puissance mille, à tel point que la terre s’est carrément décrochée de son axe. Notre planète n’est plus désormais qu’un immense désert jonché de ruines, que surplombe un ciel traversé en permanence par d’étranges aurores boréales. Certaines espèces animales en ont profité pour subir d’inquiétantes mutations, notamment les scorpions, désormais gros comme des vaches. Au milieu de ce chaos, la survie s’organise. Protégé des radiations au cœur de la base militaire où il travaillait, le major Eugene Denton, incarné par le vétéran George Peppard, parvient à construire deux énormes véhicules blindés tout-terrains, amphibies, armés de missiles et équipés pour de longs trajets. Son objectif : traverser le désert pour rejoindre d’éventuels autres survivants dont il a capté le signal. Il embarque avec lui quelques compagnons de route, notamment son ex-collègue Tanner, interprété par Jan-Michael Vincent, futur héros de la série Supercopter.

Dès lors, le récit prend l’allure d’un road-movie post- apocalyptique, qui vire tour à tour au film d’horreur (la terrible séquence des hordes de cafards carnivores ayant envahi une bourgade abandonnée), au western (l’affrontement avec les villageois armés de fusils) et au film catastrophe (le monstrueux orage magnétique qui engloutit tout sur son passage). Les effets spéciaux mis en œuvre oscillent entre l’excellence (l’attaque des cafards, les cieux électriques) et le passable (les scorpions maladroitement incrustés, les maquettes lors de l’inondation). Les deux véhicules blindés du film nécessitèrent la construction d’un exemplaire grandeur nature, tâche dont s’acquitta la compagnie Jefferies Automobile pour un coût de 300 000 dollars.

Une adaptation reniée par Roger Zelazny

Quand on connaît l’œuvre littéraire originale et les enjeux mis en présence, on pourrait reprocher à ces Survivants de la fin du monde une intrigue linéaire, un propos basique et une absence de réflexion approfondie sur la folie des hommes et les horreurs de la guerre (Zelazny clama d’ailleurs haut et fort qu’il détestait cette adaptation). Mais ce serait se tromper sur l’ambition du film. Ce vieux routier de Jack Smight (Les Naufragés du 747La Bataille de Midway) se sert simplement du contexte futuriste pour trousser un film d’aventure original et distrayant d’un bout à l’autre, ce qui ne sera guère le cas pour la majeure partie des séries B post-apocalyptiques qui fleuriront sur les écrans dans la foulée de Mad Max 2 et  New York 1997Les Survivants de la fin du monde ne fut pas le succès escompté, d’autant qu’un redoutable concurrent nommé La Guerre des étoiles sortit sur les écrans la même année.


© Gilles Penso

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LE CHOC DES MONDES (1951)

Dans ce film catastrophe aux répercussions bibliques, une planète s'apprête à heurter la Terre et à la pulvériser…

WHEN WORLDS COLLIDE

1951 – USA

Réalisé par Rudolph Maté

Avec Richard Derr, Barbara Rush, Peter Hansen, John Hoyt, Larry Keating, Rachel Ames, Alden Chase, Frank Cady, hayden Rorke

THEMA CATASTROPHES

Chef opérateur de renom passé à la mise en scène à la fin des années 40, Rudolph Maté fut sollicité par le producteur George Pal pour diriger Le Choc des mondes, adaptation du roman homonyme de Philip Wylie et Eric Balmer. Le film s’ouvre sur un extrait de la Bible, annonçant le déluge provoqué par Dieu pour laver la Terre de sa corruption. L’action démarre en Afrique du Sud. David Randall, pilote d’avion et coureur de jupons, s’y voit confier par le docteur Bronson des documents secrets qu’il doit remettre en main propre au professeur Cole Hendron. D’après Bronson, la planète Bellus, des centaines de fois plus grosse que la Terre, va entrer en collision avec elle dans huit mois, la détruisant totalement, précédée par son satellite naturel Zyra qui provoquera des raz de marées et des séismes. Selon ses calculs, Bellus va percuter la Terre le 12 août à 9 heures, et Zyra provoquera des catastrophes le 24 juillet à 13 heures. Pour sauver quelques humains de la fin du monde, il faudrait bâtir un vaisseau et déménager sur Zyra. Ces théories sont ridiculisées au sein de l’ONU. « Prédire la fin du monde est une idée tordue à laquelle nous avons droit tous les ans », juge un confrère d’Hendron. « Simple tentative pour faire les gros titres des journaux ». Hendron réunit donc des capitaux privés pour construire une fusée capable de transporter 44 personnes (soit 3175 kilos), quelques machines et du bétail. Stanton, un milliardaire misanthrope qui veut sauver sa peau, donne la somme nécessaire pour finaliser le projet. Lorsque l’annonce du désastre est publique, la loi martiale est instaurée et les villes côtières sont évacuées.

Passionnant d’un bout à l’autre, Le Choc des mondes manque tout de même d’une dimension planétaire. Car la catastrophe qui s’abat à l’échelle de la Terre n’est jamais vraiment ressentie comme telle. On ne voit finalement qu’une poignée d’Américains faire face à la situation. Le film ne nous montre aucune scène de panique géante ou d’émeute, pas plus que le scénario ne s’avère très explicite sur la fabrication d’autres fusées ailleurs dans le monde. Même les séquences de tremblements de terre, d’éruptions volcaniques, de coulées de lave, d’incendies géants, de fontes des neiges, de tsunamis ou d’inondations, pour spectaculaires qu’elles soient, manquent de présence humaine, dans la mesure où les villes ont été désertées.

Une nouvelle Genèse ?

Du coup, les décors miniatures créés par Gordon Jennings révèlent facilement leur nature de maquettes. Tout comme les peintures visualisant les épaves de bateaux qui flottent dans un New York inondé ou le panorama final de la planète Zyra, dont le manque de réalisme et le statisme nuisent à la crédibilité du film. Restent quelques images fort impressionnantes, comme la fusée en cours de construction posée sur sa rampe de lancement (un beau matte painting) et un suspense éprouvant lors du tirage au sort désignant ceux qui auront le droit d’embarquer. Au moment du dénouement, la bande originale à base de chœurs et de cloches prend ouvertement une tournure biblique, tandis que l’écran s’emplit d’un texte sans équivoque : « Et le premier jour du nouveau monde commença ».

 

© Gilles Penso

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CADAVRES A LA PELLE (2010)

John Landis livre une version personnelle du fameux récit des profanateurs de sépultures Burke et Hare, pleine d'humour noir et de dérision

BURKE AND HARE

2010 – GB

Réalisé par John Landis

Avec Simon Pegg, Andy Serkis, Tom Wilkinson, Tim Curry, Jessica Hynes, Isla Fisher, Bill Bailey, David Schofield, Jenny Agutter

THEMA TUEURS I MEDECINE EN FOLIE

A l’exception de sa participation à la série Masters of Horrors, John Landis était porté disparu des écrans depuis de nombreuses années. Son grand retour était donc attendu avec beaucoup de circonspection. L’auteur des Blues Brothers et d’Un fauteuil pour deux allait-il encore réussir à nous faire rire ? La réponse est oui, mais la forme choisie est pour le moins surprenante. Car Landis, connu pour son humour typiquement américain (ne fut-il pas le metteur en scène de moult transfuges du « Saturday Night Live » ?), nous revient avec une comédie 100% anglaise qu’on croirait parfois issue de l’esprit nonsensique des Monty Pythons. « J’adore les Monty Pythons ! », confirme John Landis. « Mais je crois que l’humour du film reste très américain. L’aspect Monty Pythons vient probablement de tous ces personnages en costumes qui s’agitent dans des situations absurdes avec leur accent typiquement anglais. » (1) Témoin cette entrée en matière où un bourreau volubile s’adresse aux spectateurs, dans l’Edimbourg du 19ème siècle, tandis que la foule qui se masse sur la grand-place dans l’attente d’une exécution applaudit soudain à tout rompre avant de reprendre tranquillement le cours de ses occupations. Noyés dans la masse crasseuse de cette ville grouillante, Simon Pegg et Andy Serkis incarnent William Burke et William Hare, deux profanateurs de sépultures qui découvrent que les cadavres se monnaient cher auprès des facultés de médecine. Ils font bientôt fortune en pourvoyant régulièrement le docteur Knox (Tom Wilkinson). Lorsque les corps frais se raréfient, les deux comparses n’hésitent pas à provoquer les trépas pour continuer à faire fructifier leur petite affaire…

Cette histoire folle, inspirée par des faits réels et romancée par Robert Louis Stevenson dans « The Body Snatchers », a déjà fait l’objet de nombreuses adaptations cinématographiques, l’une des plus fameuses étant L’Impasse aux violences de John Gilling avec Peter Cushing dans le rôle de Knox et Donald Sutherland et George Rose dans celui de Burke et Hare. John Landis, en bon cinéphile, n’ignore pas ce patrimoine et en tire parti, nimbant même certaines de ses séquences d’une aura gothique du plus bel effet. « J’étais d’abord fasciné par le fait que Burke et Hare soient des personnages réels », explique le cinéaste. « De nombreux films leur ont été consacrés, j’en ai recensé quatorze ! Ce sont tous des films d’horreur. L’idée qui m’intéressait était de détourner ces abominables personnages issus de la réalité pour les transformer en anti-héros romantiques. Nous avons donc ajouté la petite amie de Hare, qui est une pure fiction. Nous avons également pris quelques libertés avec le photographe français Nicephore Niepce. Il a réellement existé, comme vous le savez sans doute, et il a vraiment réalisé des photographies pour le docteur Knox, mais c’était dix ans plus tard. Nous avons donc déplacé son intervention dans le temps. Ainsi, malgré quelques écarts, nous avons respecté de nombreux éléments de l’histoire vraie. Ironiquement, notre version est peut-être même celle qui se rapproche le plus des faits réels ! » (2) Le gore est aussi convoqué, quoique sous un jour forcément burlesque. Car si Le Loup-Garou de Londres était un film d’horreur teinté d’humour noir, Cadavres à la pelle est une comédie noire saupoudrée d’horreur. La nuance est importante, même si étrangement une œuvre plus récente nous vient naturellement à l’esprit en cours de métrage : le très sombre Sweeney Todd de Tim Burton.

Les sacrifices de la science moderne

Le casting du film, ingénieux, permet à Simon Pegg et Andy Serkis de camper un duo burlesque digne de Laurel et Hardy ou Abbott et Costello, tout en donnant un visage très humain aux résurrectionnistes, dans le mesure où leurs agissements sont guidés par l’amour, l’appât du gain n’en étant que le corollaire. A leurs côtés, Tom Wilkinson et Tim Curry excellent en médecins rivaux, tandis que quelques guest-stars savoureuses telles que Christopher Lee, Ray Harryhausen ou Costa Gavras montrent le bout de leur nez le temps d’une petite apparition. Cerise sur le gâteau : derrière son caractère grotesque, Cadavres à la pelle développe un passionnant discours sur les paradoxes moraux et sociaux d’une science en plein progrès et sur les sacrifices qu’elle semble vouloir réclamer. « Le film raconte un moment clef de l’histoire, qui est la révolution industrielle », explique Landis. « Mais d’où proviennent la plupart des grandes avancées technologiques ? De la guerre. C’est un fait avéré, et quasi-systématique. Partant de là, il est difficile d’appréhender le progrès d’une manière neutre et innocente. » (3)


(1), (2) et (3) Propos recueillis par votre serviteur en avril 2011

© Gilles Penso

 

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