ZARDOZ (1974)

Après Délivrance, John Boorman nous offre cette fable futuriste étrange restée célèbre grâce au slip rouge de Sean Connery !

ZARDOZ

1974 – GB

Réalisé par John Boorman

Avec Sean Connery, Charlotte Rampling, John Alderton, Sara Kestelman, Sally Anne Newton, Niall Buggy

THEMA FUTUR

Galvanisé par le succès de son magistral Délivrance, John Boorman envisagea dans la foulée d’adapter « Le Seigneur des Anneaux » de Tolkien. Le projet n’avançant guère, il se rabattit sur ce récit de science-fiction bizarroïde situé en l’an 2293, après un cataclysme planétaire. Dans ce monde futuriste revenu à une sauvagerie digne de La Planète des singes, les humains se livrent au meurtre et au viol, sous la domination du terrifiant dieu Zardoz. Celui-ci leur apparaît régulièrement sous la forme d’une gigantesque tête volante, déclamant « l’arme est le bien, le pénis est le mal » et crachant à ses adorateurs des centaines de fusils prêts à l’emploi. Zed, l’un des exterminateurs au service de Zardoz, passe ainsi ses journées à tuer et violer son prochain en toute impunité. Sous la défroque de cette brute épaisse, on retrouve Sean Connery qui, trois ans après Les Diamants sont éternels, casse son image d’espion en smoking au profit d’un look pour le moins improbable, à mi-chemin entre le péplum et le western. Le voilà ainsi affublé d’une queue de cheval, d’une grosse moustache, d’un slip rouge et de cartouchières en bandoulière.

Poussé par ses pairs, il décide de percer le mystère de la divinité autoritaire qui les maintient sous son joug et se cache dans la tête barbue de Zardoz. A l’issue d’un long voyage dans les airs, au sein d’un magnifique décor orné de cadavres humains encellophanés, notre barbare atterrit dans un champ et débarque au beau milieu d’un petit groupe d’élus qui vivent éternellement dans la paix, l’opulence… et l’ennui. Tous étaient jadis les riches, les puissants et les savants de notre société. Sentant le monde agoniser, ils se sont retranchés en communauté privilégiée, asservissant le reste de l’humanité en inventant le dieu Zardoz (contraction de « The Wizard of Oz », dans la mesure où ils s’inspirent du célèbre conte de fée pour faire régner la terreur à l’aide d’un masque effrayant).

Un reflet fantasmé de la lutte des classes

Tour à tour affublé des sympathiques surnoms de « brute », « animal » ou « monstre », Zed est admis au sein de cette peuplade nantie, malgré les vives protestations d’une Charlotte Rampling alors à l’apogée de sa glaciale beauté. Il fait office de serviteur, de cobaye, et sert à tromper l’ennui de ces immortels aux allures de dieux grecs efféminés et exagérément précieux trônant dans leurs costumes ridicules sur une sorte de Mont Olympe kitsch. Soucieux de renverser ce régime dictatorial, Zed s’est infiltré parmi eux pour fomenter une révolte intestine. Le sous-texte de Zardoz est donc une satire sociale et un reflet fantasmé de la lutte des classes, le tout étant assorti d’un érotisme timide et champêtre à la David Hamilton. Mais l’ensemble est trop maladroit et conceptuel pour convaincre. Sans compter que les délires psychédéliques du film, typiques du milieu des années 70, tournent un peu en rond et alourdissent considérablement le rythme du film. Quant au final, il prend la forme d’une grotesque séquence élliptique au cours de laquelle les héros se mettent à vieillir en accéléré… Zardoz restera principalement dans les mémoires pour l’image surréaliste de cette tête géante aux allures de dieu Zeus flottant majestueusement dans les airs, une vision qu’on croirait issue de l’imagination fertile d’un Terry Gilliam.

 

© Gilles Penso

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HARLEQUIN (1980)

Un film étrange qui mélange la satire sociale et le fantastique en offrant un rôle ambigu à Robert Powell

HARLEQUIN

1980 – AUSTRALIE

Réalisé par Simon Wincer

Avec Robert Powell, David Hemmings, Broderick Crawford, Carmen Duncan

THEMA POUVOIRS SURNATURELS

Vétéran de la télévision australienne, le réalisateur Simon Wincer signait avec Harlequin son second long-métrage, une œuvre atypique s’efforçant de mêler avec audace la satire politique et la magie. Interprété avec beaucoup de conviction par un David Hemmings dans la force de l’âge (inoubliable héros de Blow Up et des Frissons de l’angoisse), Nick Rast est un sénateur promis à un bel avenir politique. Entouré par plusieurs hommes influents et persuasifs, il ne prend jamais de décision seul, sa carrière suivant une voie tracée par des intérêts qui dépassent sa simple personne. Cet état de fait déborde largement sur sa vie privée, puisqu’il a épousé par intérêt Susan, une fille d’ambassadeur, et qu’ils n’ont eu un enfant, Alex, que pour valoriser l’image de Nick aux yeux du public. Ce cadre familial rigide bascule le jour où Alex est atteint de leucémie. Susan est persuadée qu’il s’agit d’une punition divine, Nick se réfugie dans son travail, et les médecins finissent par baisser les bras, jugeant que le petit garçon est condamné. C’est alors que surgit Gregory Wolfe, un homme mystérieux incarné par Robert Powell, personnification du Christ dans le Jésus de Nazareth de Franco Zeffirelli trois ans plus tôt. Wolfe affirme qu’il est capable de guérir Alex, et effectivement l’enfant va soudain beaucoup mieux, ne présentant bientôt plus aucun symptôme de la maladie.

Le guérisseur entre donc dans le cercle intime des Rast, se met à nouer des liens étroits avec Alex et devient la bête curieuse des grandes réceptions mondaines de la ville. Mais les dents finissent par grincer chez les conseillers de Nick. Ce Gregory Wolfe est-il vraiment un magicien capable de provoquer des miracles, ou plus probablement un vulgaire charlatan usant de la prestidigitation et de l’hypnose pour parvenir à ses fins ? Pour compliquer les choses, Susan finit par tomber sous le charme de l’étrange guérisseur. Le film repose beaucoup sur les épaules de Robert Powell, charismatique, séduisant et mystérieux à souhait. S’amusant du jeu des apparences, son personnage arbore les looks les plus divers, du clown grimaçant au magicien en cape en passant par la grande robe blanche couverte d’amulettes, le smoking impeccable, le déguisement de vieux professeur allemand, le cuir d’une rock star et le traditionnel costume d’arlequin.

« Les anges sont immortels, pas les étoiles filantes »

Ses intentions demeurent floues, tout comme sa véritable identité. Interrogé à ce sujet par Alex qui lui soupçonne une nature angélique, il se contente de répondre : « les anges sont immortels, pas les étoiles filantes ». Car Wolfe sent venir ses derniers jours à grands pas, l’entourage politique de Nick n’hésitant pas à recourir aux méthodes les plus expéditives pour écarter ceux qui entravent ses projets. Le scénario d’Everett de Roche se plaît ainsi à opposer au cynisme adulte des politiciens avides de pouvoir la magie au sens propre, celle dont rêvent les enfants et les poètes.  Mais le rôle de Wolfe demeurera ambigu jusqu’à la fin, de même que l’étendue même de ses pouvoirs, qui dépassent largement le simple cadre de l’illusionnisme. Au service d’un récit surprenant et inhabituel, Simon Wincer signe une mise en scène élégante et efficace, quelque peu entachée par une partition de Brian May qui ne fait pas dans la finesse.

© Gilles Penso

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NUITS DE CAUCHEMAR (1980)

Un film d'horreur gorgé d'humour noir qui éloigne Kevin Connor de ses habituels continents fantastiques

MOTEL HELL

1980 – USA

Réalisé par Kevin Connor

Avec Rory Calhoun, Paul Linke, Nina Axelrod, Nancy Parsons, Wolfman Jack, Elaine Joyce, Monique St. Pierre 

THEMA CANNIBALES

Au milieu des années 70, Kevin Connor s’est spécialisé dans les aventures fantastiques naïves et épiques, aux titres aussi exotiques que Le Sixième continentLes Sept cités d’Atlantis ou Le Trésor de la montagne sacrée. C’est donc non sans surprise qu’on le retrouve aux commandes de ce film d’horreur cynique et cruel qui nous propose une vision du cannibalisme pour le moins inattendue. Le sympathique fermier Vincent Smith (Rory Calhoun, héros du Colosse de Rhodes et de bon nombre de westerns) et sa sœur boulimique Ida (Nancy Parsons, futur personnage récurrent de la série Porky’s) tiennent un motel réputé dans une petite bourgade de l’Amérique profonde. Leur renommée, ils la doivent à une viande fumée unique au monde, dont le goût et le bouquet déplacent les amateurs de toute la région. Mais Vincent et Ida ont un jardin secret… Au sens propre, car il s’agit d’une parcelle de terrain cachée par des barrières imitant la végétation. Là, ils enterrent jusqu’au cou les malheureux visiteurs qui leur tombent sous la main, leur coupent les cordes vocales pour éviter qu’ils ne donnent l’alerte, puis les gavent patiemment en attendant qu’ils soient fin prêts pour se muer en viande fumée ! Depuis quelque trente ans, Vincent passe ainsi une bonne partie de ses nuits à tendre des embuscades aux automobilistes, du traditionnel piège à loups jusqu’aux fausses vaches en plastique grandeur nature…

On le voit, le ton du film est ouvertement celui de la comédie noire, et c’est tant mieux car sans cette distanciation, la vision de l’infortuné bétail humain gémissant d’écœurants borborygmes en attendant une mort prochaine serait proprement insupportable. Fort heureusement, un petit grain de sable va venir enrayer la machiavélique entreprise des Smith : une jeune fille rescapée d’un de leurs pièges, dont Vincent s’éprend peu à peu, et qui va découvrir l’abominable pot aux roses. Certes, Connor s’était déjà frotté à l’horreur à l’occasion du film à sketches Frissons d’outre-tombe, mais ici il dépasse allégrement toutes les audaces. Il faut voir les fermiers hypnotiser gaiement leurs victimes pour que leur mort soient plus douce, ou s’extasier devant leur vaste projet humanitaire, partant du principe qu’il y a trop de monde et pas assez de nourriture sur notre planète.

Le motel de l'enfer

Quant au final, il est carrément dantesque, puisqu’il commence comme une variante de La Nuit des Morts-Vivants, les martyrs aphones s’extrayant de la terre pour réclamer vengeance d’un pas traînant, puis s’achève à la façon d’un remake burlesque de La Guerre des étoiles, les sabres laser se muant ici en tronçonneuses et le casque de Dark vador ayant été troqué contre une tête de cochon ! Massacre à la tronçonneuse est aussi bien sûr en ligne de mire de ce dénouement outrancièrement parodique. Le titre original, qui joue sur les mots « Hell » et « Hello », trouve son écho visuel dans l’enseigne au néon du fameux motel, dont le dernier « o » ne s’allume plus, annonçant implicitement que l’accueil chaleureux des joyeux fermiers dissimule une véritable plongée aux enfers. Le titre français, hélas, se prive de cet astucieux calembour au profit d’un Nuits de cauchemar passe-partout.

 

© Gilles Penso

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ORANGE MECANIQUE (1971)

Trois ans après 2001 l’Odyssée de l’espace, Stanley Kubrick s’ancre sur la terre ferme pour livrer une satire cruelle et sans concession d’une société déshumanisante

A CLOCKWORK ORANGE

1971 – GB

Réalisé par Stanley Kubrick

Avec Malcolm McDowell, Patrick Magee, Michael Bates, Warren Clarke, John Clive, Adrienne Corri, David Prowse 

THEMA MEDECINE EN FOLIE

Après son odyssée spatiale, Stanley Kubrick décide de s’attaquer à un autre projet pharaonique narrant la vie de Napoléon Bonaparte. Mais ce film d’époque ne voit pas le jour, et le cinéaste se plonge alors dans le roman « L’Orange Mécanique » d’Anthony Burgess que lui a glissé le scénariste Terry Southern en espérant en tirer un long-métrage. Peu intéressé à priori par ce récit d’anticipation aux fortes connotations autobiographiques, Kubrick est pourtant happé dès les premières pages et se laisse transporter par la prose surprenante de Burgess. Orange mécanique est donc une adaptation fidèle du roman que Burgess écrivit en 1962. L’écriture du script, signée par Kubrick lui-même, est d’autant moins aisée que le livre, raconté à la première personne, emprunte un argot étrange inventé de toutes pièces, riche en néologismes aux consonances russes. Conformément au texte original, le spectateur suit cette sordide histoire à travers les yeux d’Alex, chef d’un quatuor de voyous londoniens qui sont responsables d’agressions violentes, en particulier auprès des personnes âgées et des clochards. Une discorde sépare le groupe et Alex, au moment où il s’en prend à une riche femme excentrique entourée de chats et de sculptures en forme de phallus, est abandonné par ses compagnons. Emprisonné, il accepte d’être le cobaye d’une expérience scientifique destinée à éliminer les pulsions violentes chez les individus. Il se retrouve bientôt attaché dans une salle de cinéma, un casque à électrodes sur la tête, les yeux maintenus grand ouverts, face à un écran projetant des images atroces sur une musique de Beethoveen, son compositeur favori. Relâché dans la société à l’issue du traitement, Alex est sapé de toute sa violence et déteste Beethoveen. Mais ses anciennes victimes ne l’ont pas oublié, et le bourreau se mue bientôt en victime…

Kubrick était jusqu’alors habitué aux tournages à rallonge, multipliant les prises par dizaine jusqu’à obtenir le résultat parfait. Mais dans le cas d’Orange mécanique, le cinéaste révise quelque peu ses méthodes, comme si le modernisme rétro-futuriste du récit l’incitait à filmer plus vite et plus instinctivement. De fait, le tournage d’Orange mécanique, situé entre septembre 1970 et avril 1971, aura été le plus court de toute sa carrière, la logistique étant facilitée par le fait que la plupart des séquences se déroulent à Londres et dans sa banlieue. Cette relative spontanéité transparaît dans le jeu de Malcolm McDowell, que Kubrick sélectionne après l’avoir vu dans If, et qui trouve ici le rôle le plus marquant de toute sa carrière, dotant son personnage pourtant détestable d’une sympathie irrésistible. Ce sentiment est renforcé par le fait qu’aucun des personnages du film n’est plaisant, et donc impropre au phénomène d’identification. C’est là que réside une grande partie du malaise distillé par le film. Certes, le ton est satirique, comme souvent chez Kubrick, mais le cynisme ne tempère nullement la violence de certaines scènes, en particulier l’agression du couple Alexander, un épisode douloureux qui fut inspiré à Anthony Burgess par l’agression réelle dont sa femme fut victime en 1944.

Autocensure

Le titre surréaliste apparaît comme la métaphore de l’homme, fruit de la nature altéré par les mécanismes de la société, mais cette image n’est clairement définie que dans les pages du roman, le film ne s’embarrassant pas d’expliquer ce qu’est une orange mécanique.  Kubrick profite surtout de ce postulat science-fictionnel pour dresser un portrait vitriolé des grandes institutions (police, armée, science, médecine, système judiciaire…), retrouvant là la verve caustique de Docteur Folamour et Les Sentiers de la gloire. L’inconfort permanent que suscite le film trouve sa résonnance dans une bande son qui recycle des morceaux classiques réorchestrés électroniquement. Très avant-gardiste pour l’époque, cette démarche s’avère totalement cohérente avec le sujet central du film – et avec son titre : la nature (l’instrument acoustique) dénaturée par la technologie (le synthétiseur). Cette idée n’est pourtant pas immédiate. Initialement, Kubrick souhaite utiliser des morceaux du répertoire classique, comme il l’avait fait pour 2001. Mais en écoutant les expérimentations de Wendy Carlos, interprétant des morceaux baroques au synthétiseur mood pour l’album « Switched on Bach », il décide de lui confier la bande originale d’Orange mécanique. Celle-ci revisite donc des pièces célèbres de Beethoveen, Rossini, Purcell et Elgar, avec ce fameux synthétiseur qu’utilisa deux ans plus tôt John Barry pour la musique d’Au service secret de Sa MajestéVoyant son film taxé de violence gratuite et complaisante, voire récupéré par certains mouvements d’extrême droite, Kubrick préfère interdire Orange mécanique sur le territoire britannique à partir de 1974 plutôt que de consentir à en sortir une version raccourcie et dénaturée. Cette autocensure prendra fin en 1999, date de la mort du cinéaste. Aujourd’hui, ce classique inclassable n’a rien perdu de son impact. Les fantasticophiles y glanent même quelques clins d’œil inattendus, comme la pochette du disque de 2001 l’odyssée de l’espace chez un disquaire, un extrait du cataclysme d’Un million d’années avant JC au milieu des fantasmes destructeurs d’Alex, et la présence musclée de David Prowse, futur Dark Vador !

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THE THING (2011)

Une prequel du classique de John Carpenter qui ne manque pas de séquences choc et d'effets spéciaux spectaculaires

THE THING

2011 – USA

Réalisé par Matthjis Van Heijningen Jr

Avec Mary Elizabeth Winstead, Joel Edgerton, Ulrich Thomsen, Erich Christian Olsen, Adewale Akinnuoye-Agbaje 

THEMA EXTRA-TERRESTRES

Sans aller jusqu’à dire comme le réalisateur Paco Plaza que The Thing de John Carpenter est le meilleur film de l’histoire du cinéma, on ne peut que le hisser au rang de chef d’œuvre du genre, transfigurant le classique La Chose d’un autre monde d’Howard Hawks dont il constitue un remake/hommage. Initier une nouvelle version de cet objet de culte semblait à priori absurde, même si, après les remakes en série de Massacre à la tronçonneuseLa Nuit des masquesZombie, Les Griffes de la nuit et consorts, une telle entreprise de recyclage n’avait rien de bien surprenant. Petite différence avec les films précédents : The Thing 2011 est une prequel de The Thing 1982. Les événements se déroulent donc avant ceux décrits par le thriller paranoïaque de Carpenter. L’intrigue se situe toujours dans une base scientifique en Antarctique, menée par une équipe de chercheurs internationale, et démarre avec la découverte d’un vaisseau spatial prisonnier des glaces. Par accident, l’occupant est réveillé de sa léthargie et s’avère redoutable, puisqu’il s’agit d’une créature capable d’imiter toutes les formes de vie à sa portée, à l’issue d’abominables métamorphoses. La biologiste Kate Lloyd se retrouve bientôt en première ligne d’un affrontement homérique.

Partant du principe que les mêmes causes produisent les mêmes effets, cette prequel prend bien vite des allures de remakes, puisque la plupart des situations qui s’y déroulent ressemblent comme deux gouttes d’eau à celles que Carpenter décrivait déjà avec maestria. Pour autant, il serait injuste de condamner aveuglément ce troisième The Thing. Car le savoir-faire du réalisateur Matthijs van Heijningen Jr, jusqu’alors spécialisé dans les spots publicitaires, est indéniable. Ses séquences de suspense fonctionnent à plein régime, sa gestion de l’espace est irréprochable, et sa direction d’acteurs de haute tenue, d’autant qu’aucun d’entre eux n’est connu du grand public, comme à l’époque d’Alien. Héroïne malgré elle d’un drame qui la dépasse, la scientifique incarnée par Mary Elizabeth Winstead évoque d’ailleurs davantage l’Helen Ripley de Ridley Scott que celle –archétypale – de James Cameron.

Une relecture efficace et respectueuse

Succédant au génialissime Rob Bottin, Tom Woodruff Jr. et Alec Gillis, spécialistes des maquillages spéciaux et des effets mécaniques (Alien 3, Starship Troopers) concoctent des créatures incroyables et des mutations hallucinantes, majoritairement réalisées en direct sur le plateau. Leur travail admirable est prévu pour ponctuer régulièrement le film de séquences d’anthologie qui nous ramènent aux grandes heures de l’animatronique des années 80. Hélas, signe des temps, une grande partie de leurs effets est considérablement « augmentée » après le tournage, voire purement et simplement remplacée par des effets numériques. « Notre expérience sur ce film fut horrible », raconte avec amertume Tom Woodruff Jr. « Initialement, 80% des effets devaient être réalisés en direct sur le plateau et le reste serait obtenu avec des effets numériques. Nous adorons mélanger les techniques et les outils, comme sur Starship Troopers. Mais à un moment donné, en cours de post-production, j’ai senti que tous les effets que nous avions réalisés et filmés risquaient d’être jetés au rebut. Et c’est ce qui s’est passé. Ils n’ont quasiment rien gardé et tout refait numériquement. Si nous n’avions pas tourné de making of ni gardé quelques-unes de nos créations, nous ne pourrions même pas prouver que nous avons travaillé sur ce film ! » (1) A cette réserve près, cette prequel tournée dans les studios Pinewood de Toronto n’entache guère son illustre modèle, dont elle constitue finalement une relecture efficace et respectueuse. Le dernier plan du film (avant l’épilogue post-générique qui assure un lien direct avec le Carpenter) semble même se référer au final du Vieux fusil. Une référence pour le moins inattendue, qui prouve que ce The Thing sait réserver des surprises…


(1) Propos recueillis par votre serviteur en juillet 2018


© Gilles Penso

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REC 3 GENESIS (2012)

Ni séquelle ni prequel, ce troisième opus de la saga [Rec] se situe simultanément au premier épisode et laisse beaucoup de place à l'humour noir

[REC] 3 GENESIS

2012 – ESPAGNE

Réalisé par Paco Plaza

Avec Leticia Dolera, Diego Martin, Ismael Martinez, Alex Monner, Claire Baschet, Jana Soler, Emilio Mencheta, Adolf Bataller 

THEMA ZOMBIES I DIABLE ET DEMONS I SAGA [REC]

Il ne faut pas se fier au sous-titre de ce troisième [Rec]. Plutôt qu’une préquelle, il s’agit  d’une variante dont l’intrigue pourrait se situer simultanément à celles narrées dans les deux premiers [Rec]. Car l’origine de la contamination muant les citoyens catalans en zombies reste un mystère. A peine évoque-t-on en début de métrage la morsure d’un chien dans un laboratoire. Réalisant seul ce troisième opus, Paco Plaza en profite pour démonter les codes qu’il a lui-même mis en place avec son compère Jaume Balaguero, n’hésitant jamais face à l’auto-parodie assumée. Les premières images, qui imitent l’interface d’un DVD de mariage puis pastichent un diaporama romantique sous-tendu par une chanson d’amour sirupeuse, donnent le ton : [Rec]3 n’est pas vraiment à prendre au sérieux.

Lorsque les caméras vidéos se mettent en marche, c’est pour nous faire découvrir le parvis de l’église où se préparent les noces de Clara (Leticia Dolera) et Koldo (Diego Martin). A l’aide du double point de vue subjectif d’un camescope amateur et d’une caméra HD de reportage, nous faisons connaissance avec les futurs époux, leurs parents, leurs cousins et amis, dans une ambiance de liesse familière et réjouissante. Lorsque les premiers morts-vivants surviennent enfin au bout d’un bon quart d’heure et propagent la contamination, le cinéaste opte pour un parti inattendu et plutôt culotté : il jette les caméras vidéos au sens propre (un bon coup de pied dans le caméscope amateur et la destruction de la caméra HD professionnelle) et s’affranchit de la mécanique en caméra subjective des deux films précédents pour adopter une mise en scène plus traditionnelle.

L'adieu au « found footage »

L’humour omniprésent de [Rec]3 oscille entre le clin d’œil référentiel (à L’Armée des ténèbres, Braindead, Re-Animator), la culture de l’absurde (le personnage improbable de « John l’éponge » sollicite régulièrement nos zygomatiques) et le gore caricatural. Plaza iconise volontiers ses héros, muant le jeune marié en chevalier médiéval (il emprunte une armure dans une église et une épée près de la pièce montée) et sa promise en superbe scream queen (sa robe de mariée déchirée et tachée de sang et son bras armé d’une tronçonneuse sont irrésistibles !). Les intentions sont donc extrêmement louables, mais la mise en forme du film manque cruellement de rigueur. La photographie de Pablo Rosso s’avère désespérément plate (un comble pour un film qui veut célébrer le retour du format cinéma au détriment de la vidéo HD), les maquillages spéciaux donnent dans l’approximation, le montage aurait mérité un sérieux affinage et la partition de Mikel Salas ne brille guère par sa richesse harmonique ou orchestrale. Ces défauts n’altèrent pas foncièrement le plaisir que procure [Rec]3, mais en amenuisent les effets, d’autant que l’épilogue, à force de jouer la douche écossaise entre l’horreur, la dérision et la tragédie, finit par désensibiliser le spectateur qui prend de la distance et ne s’émeut plus guère pour les personnages. Imparfait mais résolument attachant, ce troisième opus servira de tremplin au quatrième (et dernier ?) épisode de la saga, que Jaume Balaguero réalisera seul sous le titre [Rec] Apocalypse.

 

© Gilles Penso

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LE RETOUR DES MORTS-VIVANTS (1985)

En marge de la saga de George Romero, Dan O'Bannon propose une relecture gore et humoristique du mythe du zombie

RETURN OF THE LIVING DEAD

1985 – USA

Réalisé par Dan O’Bannon

Avec Clu Gulager, James Karen, Don Calfa, Thom Mathews, Beverly Randolph, John Philbin, Jewel Shepard

THEMA ZOMBIES I SAGA LE RETOUR DES MORTS-VIVANTS

Cinéphile compulsif et auteur de nombreux scénarios fantastiques (Dark StarAlienMétal HurlantLifeforce), Dan O’Bannon s’est mis en tête d’apporter une nouvelle pierre à l’édifice des films de zombies, genre qu’il avait abordé avec beaucoup de maestria en écrivant l’excellent et injustement méconnu Réincarnations. Ici, il propose une séquelle alternative et rigolarde à La Nuit des Morts-Vivants, sans tenir compte de Zombie qui en constitue la suite officielle. Occupant lui-même le siège du réalisateur après le désistement de Tobe Hooper, O’Bannon part d’un postulat pour le moins original. D’après son scénario, le film que George Romero réalisa en 1968 repose sur des faits réels, et l’armée a vraiment expérimenté un produit chimique gazeux censé ramener les morts à la vie. Or, comme par hasard, le gaz en question est entreposé dans des fûts au sous-sol d’une morgue. Il suffit alors que les récipients soient ouverts par inadvertance suite à la maladresse d’un employé pour que le carnage commence. D’autant qu’un groupe de punks surexcités a eu la bonne idée de festoyer dans le cimetière voisin, offrant aux zombies affamés un lot non négligeable de chair fraîche.

Les cadavres ramenés à la vie s’avèrent indestructibles, puisque même coupés en morceaux ils continuent à s’agiter avec sauvagerie. Et contrairement à ceux de Romero, ils ne se laissent guère intimider par un simple impact de balle en plein cerveau. Seul le feu semble susceptible de les arrêter. Mais un orage gronde bientôt, et lorsque la pluie s’abat sur les lieux, le gaz s’éparpille en tous lieux, multipliant de manière alarmante le nombre de morts-vivants alentour. Si O’Bannon rejoint Romero dans la satire des autorités, du gouvernement et de l’armée, il se distingue cependant par un ton résolument parodique. Ses morts-vivants parlent, blaguent, courent comme des dératés et se livrent joyeusement à l’anthropophagie, notamment ce jeune homme zombifié qui court après sa petite amie en lui déclarant sa flamme… tout en n’ayant d’yeux que pour son appétissant cerveau !

« Cerveau ! »

Chacune des sanglantes exactions de ces morts décidément très dynamiques vire donc quasi-systématiquement au gag. Dans ce registre, on se souvient surtout de cette séquence burlesque où les zombies, ayant dévoré tous les occupants d’une voiture de police, appellent des renforts à la radio pour se mettre d’autres pandores sous la dent. La légèreté générale du ton peut rebuter quelque peu l’amateur d’épouvante pure et dure (d’autant qu’O’Bannon sature sa bande originale de morceaux de hard rock pour séduire le public ado), mais les effets spéciaux horrifiques emportent forcément l’adhésion du zombiphile le plus exigeant. Notamment cette morte coupée en deux qui s’agite sur une table d’opération, ou ce cadavre ambulant au corps goudronneux qui se décompose pendant tout le film en vociférant « cerveau ! » chaque fois qu’il croise un humain. Le dénouement, pour le moins radical, voit le gouvernement lâcher sur la ville contaminée une bombe atomique, carrément, pour éradiquer la menace… Comme si la mort avait peur de l’atome !

 

© Gilles Penso

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BILLY THE KID VS DRACULA (1966)

Sous la caméra du vétéran William Beaudine, John Carradine endosse la cape de Dracula et s'en va vampiriser le Far West

BILLY THE KID VS. DRACULA

1966 – USA

Réalisé par William Beaudine

Avec John Carradine, Chuck Courtney, Melinda Plowman, Roy Barcroft, Harry Carey Jr 

THEMA DRACULA I VAMPIRES

Billy the Kid vs. Dracula : voilà un titre qui annonce clairement la couleur. Âgé de soixante-quatorze ans, à l’apogée d’une filmographie ornée de plus de trois cents films, le vénérable William Beaudine (surnommé « one shot Beaudine », par son habitude à ne tourner qu’une seule prise pour gagner du temps et de l’argent) osait ainsi l’impensable : plonger le comte vampire de Bram Stoker en plein Far West ! Il faut dire que Beaudine nous avait déjà fait le coup avec Jesse James Meets Frankenstein’s Daughter, les deux films ayant été tournés coup sur coup pour être exploités ensuite en double programme. Tourné en seulement huit jours, cet improbable mixage de film d’épouvante et de western met donc en scène Dracula, interprété tour à tour par une chauve-souris en plastique assez risible ou par un John Carradine vieillissant aux yeux exagérément écarquillés (Carradine portait déjà la cape noire dans La Maison de Frankenstein et La Maison de Dracula d’Erle C. Kenton). Vampirisant toutes les jeunes filles de l’Ouest qui passent à sa portée (indifféremment visages pâles ou peaux-rouges), il jette finalement son dévolu sur la belle Betty Bentley (Melinda Plowman), en se faisant passer pour son oncle John Underhill. Or Betty est fiancée au gérant du ranch familial William Boney (Chuck Courtney), qui n’est autre que l’as de la gâchette Billy the Kid.

Quelques bagarres, un petit échange de coups de feu, deux ou trois chevauchées et beaucoup de parlotte comblent péniblement les soixante-quinze minutes du métrage, au fil d’une intrigue archi convenue qui se contente de transposer au Far West tous les clichés inhérents au vampirisme. L’aconit, les crucifix et les miroirs sont donc de mise, tous les protagonistes s’efforçant de convaincre Betty que son oncle est en réalité un vampire. Mais la belle n’y voit que du feu, jusqu’à ce qu’une nuit, le visage éclairé par un projecteur rouge, Dracula ne l’hypnotise en lui déclarant sa flamme : « demain tu rejoindras les morts-vivants, comme moi ». Cette technique de drague, pas très orthodoxe, fait pourtant son petit effet, et les canines du vampire finissent plantées dans la jolie gorge de cette émule de Mina Harker. Et tandis que Dracula transporte sa promise vampirisée dans le lit douillet qu’il a aménagé au fin fond d’une mine désaffectée, Billy the Kid s’échappe de la prison où un rival l’a fait jeter pour mener la bataille promise par le titre du film.

Cowboy contre vampire !

« Le tireur le plus mortel de l’Ouest ! Le tueur le plus diabolique du monde ! » s’écriait le slogan de l’époque pour préparer le public à un affrontement homérique. Mais le combat en question n’a rien d’excitant. Un cow-boy fadasse et inexpressif se faisant mollement empoigner par un vampire amaigri et barbichu en haut-de-forme, tel est le climax de Billy the Kid Vs. Dracula, une petite curiosité dont le seul intérêt réside finalement dans son humour involontaire et dans les charmes gracieux de Melinda Plowman, une habituée des prestations télévisées dans les années 60 (Bonanza, Le Fugitif, Les Mystères de l’Ouest). Billy the Kid Vs. Dracula fut le chant du cygne de William Beaudine, s’éteignant en 1970 après une carrière sacrément bien remplie.

 

© Gilles Penso

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MISSION IMPOSSIBLE : PROTOCOLE FANTÔME (2011)

Signataire de chefs d'œuvre du cinéma d'animation, Brad Bird offre à la saga Mission Impossible l'un de ses épisodes les plus distrayants

MISSION IMPOSSIBLE : GHOST PROTOCOL

2011 – USA

Réalisé par Brad Bird

Avec Tom Cruise, Simon Pegg, Paula Patton, Jeremy Renner, Michael Nyqvist, Vladimir Mashkov, Josh Holloway

THEMA ESPIONNAGE ET SCIENCE-FICTION I SAGA MISSION IMPOSSIBLE

Au cœur de ses prodigieux films d’animation (Le Géant de fer, Les Indestructibles, Ratatouille), Brad Bird avait su intégrer des touches de réalisme et d’émotion propres aux longs métrages en prises de vues réelles. En s’attaquant à son premier film « live », il semblait logique qu’il inverse la tendance, plongeant ses héros en chair et en os dans une action dynamique dont la folle énergie et la gestion virtuose de l’espace filmique évoquent les morceaux de bravoure de ses œuvres animées. Le quatrième opus de la saga Mission Impossible marque ainsi le mariage de deux modes d’expression cinématographiques a priori antithétiques, mariage d’autant plus heureux que le film joue résolument la carte du divertissement à grand spectacle, multipliant jusqu’à plus soif les séquences d’action vertigineuses et les moments de suspense intense.

Parrainé par J.J. Abrams, Brad Bird concocte un épisode qui s’inscrit dans la directe continuité de son prédécesseur, tout en l’imprégnant de sa forte personnalité, l’un des coups de génie de cette franchise étant de laisser chaque réalisateur y apposer une patte reconnaissable et personnelle, dans l’esprit de la saga Alien. Le travail d’équipe qui fut le moteur principal de la série de Bruce Geller, et que Bird avait si bien traité dans Les Indestructibles et Ratatouille, irradie tout le récit, même si de nombreux grains de sable grippent la mécanique d’ordinaire bien huilée de l’Impossible Mission Force. D’emblée, le motif du dysfonctionnement s’invite comme élément dramatique majeur : Ethan Hunt est en prison, puis refuse de respecter le protocole qui aurait facilité son évasion, avant de se retrouver accusé d’avoir provoqué un attentat au Kremlin. Désavoué par sa hiérarchie, il se crée une équipe dont il ne maîtrise pas les motivations individuelles, et ne peut même plus compter sur le matériel high-tech à sa disposition, tant les pépins mécaniques et électroniques s’accumulent autour de lui !

Perte de contrôle

Malin, le scénario de ce Protocole fantôme puise ainsi dans les figures narratives habituelles de la série (le double rendez-vous truqué dans l’hôtel de Dubaï est à ce titre un pur moment de délectation, doublé d’une belle leçon de montage parallèle) pour mieux les dynamiter. En gros, rien ne se passe comme prévu dans cette mission décidément quasi-impossible, et le spectateur, tenu en haleine comme rarement sur un grand écran (un très grand écran, même, si on profite du spectacle dans une salle Imax), se laisse joyeusement ballotter d’une péripétie à l’autre sans comprendre comment ses héros comptent se tirer d’affaire. Plus inspiré que jamais, Brad Bird collecte les séquences inédites (la poursuite dans la tempête de sable, l’illusion d’optique dans le couloir du Kremlin, un climax digne de celui de Monstres et compagnie) tandis que le compositeur Michael Giacchino se surpasse, ajoutant à ses reprises symphoniques de la célèbre partition de Lalo Schifrin des teintes jazzy délicieusement sixties. Seule petite ombre au tableau : un épilogue exagérément positif qui boucle en vitesse toutes les sous-intrigues et efface l’intéressante noirceur qui mordait l’âme de son personnage principal.

 

© Gilles Penso

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SORTILEGE (2011)

Une tentative de rajeunissement et de modernisation du motif de la Belle et la Bête dans un milieu lycéen

BEASTLY

2011 – GB

Réalisé par Daniel Barnz

Avec Alex Pettyfer, Vanessa Hudgens, Justin Bradley, Mary-Kate Olsen, Dakota Johnson, Erik Knudsen, Peter Krause

THEMA SORCELLERIE ET MAGIE

Depuis sa mise en forme et sa popularisation par Jeanne-Marie Leprince de Beaumont en 1757, le mythe universel de « La Belle et la Bête » a été accommodé à toutes les sauces, de la sublime relecture concoctée par Jean Cocteau en 1946 jusqu’au dessin animé ultra-populaire des studios Disney en passant par les versions télévisées des années 70 et 80. Une adaptation post-moderne, adaptée aux adolescents du 21ème siècle, était inévitable. Le romancier Alex Flinn s’y colla en écrivant « Beastly », dont les droits furent acquis par CBS Films en 2007 en vue d’une adaptation cinématographique. Le prince transformé en monstre est donc devenu Kyle (Alex Pettyfer, héros d’Alex Rider et Numéro 4). Fils d’un présentateur vedette (Peter Krause, échappé de Six Feet Under), beau gosse populaire dans son lycée, gâté, ambitieux et vantard au-delà de toute mesure, le jeune homme attire immédiatement l’antipathie. Un jour, il a la mauvaise idée d’humilier publiquement Kendra (Mary-Kate Olsen), une fille gothique et marginale qui refuse de faire partie de sa cour. Or Kendra est une sorcière, et lui jette aussitôt un sort : la laideur intérieure de Kyle va contaminer son apparence physique. Condamné à se terrer telle une bête traquée, il échappera à sa malédiction si quelqu’un tombe amoureux de lui d’ici une année…

Les partis pris initiaux de Sortilège semblent pertinents, notamment un regard acerbe sur le culte de l’image cher aux teenagers et une évacuation du look lycanthropien classique de la Bête au profit d’une défiguration moins iconique. Hélas, un fossé se creuse entre les intentions et le résultat final, comme si le cinéaste Daniel Barnz n’avait pas su – ou n’avait pas voulu ? – échapper aux lieux communs du film pour ados romantico-fantastique, dont le mètre étalon semble être devenu la « saga » Twilight. La bande son se sature donc de morceaux pop-rock sirupeux (Lady Gaga entonne dès le générique un « Vanity » qui donne d’emblée le ton), la mise en scène joue volontiers la carte du vidéo clip et les jeunes protagonistes ne sont jamais filmés avec réalisme (nous sommes bien plus proches ici de la gravure de mode pour magazine que de l’adolescent américain réel).

Trop sage pour convaincre

Même l’excellent Tony Gardner, maquilleur spécial du Blob, de Darkman et de L’Armée des ténèbres, se casse un peu les dents sur le design de la « créature ». Plusieurs idées se cumulent sur l’altération du visage d’Alex Pettyfer (perte de pilosité, maladie de peau, scarifications, piercings, tatouages, végétation grimpante), mais le résultat à l’écran manque singulièrement de cohérence et surtout de « présence ». A ces réserves liées à la forme plastique du film s’ajoute une frustration d’ordre narratif. Car dès que Kyle se mue physiquement, son caractère semble s’adoucir sans souci de réelle progression dramatique. Comme en outre la jeune fille dont il s’éprend, incarnée par Vanessa Hudgens, ne semble guère rebutée par ses allures de zombie imberbe et végétal, l’issue de l’idylle ne laisse guère de doute, la carence de conflits et d’obstacles internes amenuisant singulièrement la dramaturgie de ce Sortilège finalement trop sage pour convaincre.

 

© Gilles Penso

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