LE CIRQUE DES VAMPIRES (1972)

Au 19ème siècle, un village en quarantaine est visité par un cirque ambulant que dirigent de redoutables suceurs de sang…

VAMPIRE CIRCUS

 

1972 – GB

 

Réalisé par Robert Young

 

Avec Adrienne Corri, Thorley Walters, Anthony Higgins, Laurence Payne, John Moulder-Brown, Richard Owens, Lynne Frederick, Elizabeth Seal

 

THEMA VAMPIRES

En découvrant le scénario du Cirque des vampires écrit par Jud Kinberg, James Carreras, président et fondateur de Hammer Films, s’affole. Ses relations avec son fils Michael, à la tête des productions de la compagnie, sont tendues depuis bien longtemps. Il lui fait donc part de ses réserves dans l’un de leurs nombreux échanges épistolaires conservés dans les archives de la Hammer. « Nous avons déjà eu des problèmes considérables par le passé avec la censure », écrit-il. « Je prédis que si le film est tourné tel qu’il est écrit, 50% finira sur le sol de la salle de montage. Essaie un peu d’imaginer les ventes télévisées – qui représentent une grande part de nos revenus. Tu risques de te retrouver avec un film de 50 minutes. Qu’est-il arrivé à nos beaux films de vampires et de Frankenstein que nous faisions sans besoin d’y ajouter tout ce gore et tout ce contenu malsain ? » (1). Nostalgique de l’âge d’or de la Hammer, celui de Frankenstein s’est échappé et Le Cauchemar de Dracula, Carreras Sr. a du mal à épouser l’air du temps et tient à le faire savoir. Son fils lance pourtant la production à peu près telle qu’elle est prévue et en confie les rênes à Robert Young en utilisant les mêmes décors que ceux des Sévices de Dracula.

Futur metteur en scène des comédies britanniques Grandeur et descendance et Créatures féroces, Young n’a encore réalisé aucun long-métrage à cette époque et n’est guère familier avec les méthodes économes de la compagnie. Son tournage finit par prendre un retard considérable. Au bout de sept semaines, Carreras est contraint d’interrompre la production pour stopper l’hémorragie financière et confie les images au monteur Peter Musgrave en lui demandant de se débrouiller avec ce qu’il a. Malgré ces conditions de travail chaotiques, Le Cirque des vampires se tient plutôt bien. L’intrigue se situe en 1810, dans le petit village européen de Schtettel où les jeunes femmes sont corrompues par le comte vampire Mitterhouse (Robert Tayman), maudissant les lieux avant de périr sous les assauts des villageois. Quinze ans plus tard, alors qu’une sorte de peste s’est abattue sur les habitants de Schtettel, le petit « Cirque des Nuits » s’installe dans le village. Or son directeur, Emil (Anthony Higgins), n’est autre que le cousin de Mitterhouse, bien décidé à assouvir une vengeance familiale…

Du sang sur la piste

Le prologue du film donne le ton : nudité, châtiments corporels, sadomasochisme, meurtres sanglants et même la suggestion malsaine d’un acte pédophile. Le spectacle nocturne qu’offre d’ailleurs le cirque aux habitants médusés est loin d’être orthodoxe. N’y voit-on pas une chorégraphie évoquant l’accouplement entre un dompteur de fauve et une femme entièrement nue maquillée en tigre ? De fait, les corps se dénudent souvent dans le film de Young, conformément à la libération des mœurs qui influençait alors le genre fantastique. Mais outre l’érotisme habituellement associé au vampirisme, le mythe se complète ici d’un don magique pour la métamorphose. Non contents de se muer en chauves-souris, les suceurs de sang peuvent adopter l’apparence de fauves, reflet idéal de la bestialité à peine camouflée par leur apparence humaine. L’association du monde du cirque au folklore vampirique est loin d’être inintéressante, même s’il faut reconnaître que l’intrigue du Cirque des vampires finit par patiner un peu en répétant inlassablement les mêmes situations. Les spectateurs attentifs reconnaîtront sous les traits de l’homme fort du cirque, bâti comme une statue d’Hercule, l’acteur David Prowse, qui incarna à deux reprises le monstre de Frankenstein pour la Hammer (dans Les Horreurs de Frankenstein et Frankenstein et le monstre de l’enfer) avant de devenir célèbre sous le casque de Dark Vador. Comme James Carreras l’avait prévu, le film fut sévèrement raccourci et radouci pour son exploitation aux États-Unis et à la télévision.

 

(1) Extrait d’un courrier datant du 26 juillet 1971.

 

© Gilles Penso


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HELL NURSE (2022)

Après avoir été violemment agressée et laissée pour morte, une infirmière pactise avec le diable pour pouvoir se venger…

HELL NURSE

 

2022 – USA

 

Réalisé par Bobby Blood

 

Avec Fiona Kennedy, Nailya Shakirova, Brad Stein, Garvin Lee, Julie Anne Prescott, Bradford Eckart, Lauren Blood, Dai Green, Dorie Knutson Nichols, Rachel Rigall

 

THEMA DIABLE ET DÉMONS

Derrière le pseudonyme de Bobby Blood se cache Bobby Ponte, connu des amateurs de musique punk, rap et métal en tant que batteur des groupes Merauder et Downset. Entre deux concerts, Ponte/Blood réalise des courts-métrages, des clips, des films à sketches et finalement un premier long-métrage, Hell Nurse. « Attention : ce film contient des visions extrêmes de violence, de nudité et de sang » annoncent certaines jaquettes du film, moins pour préserver les spectateurs sensibles que pour attiser la curiosité des autres, bien sûr. Le film se situe dans les années 70, plus précisément quelques semaines avant les événements décrits dans La Nuit des masques si l’on en croit les nombreux clins d’œil au slasher de John Carpenter (notamment la présence de la pierre tombale de Judith Myers dans le cimetière de Smith’s Grove). Le réalisateur tient d’ailleurs à consteller Hell Nurse de clins d’œil au cinéma qu’il aime, qu’il s’agisse du nom de certains personnages (Perkins pour Psychose, Carrie pour le classique de Brian de Palma), d’annonces radio (une publicité pour Un Justicier dans la ville s’entend en début de métrage) ou d’extraits diffusés à la télévision (L’Invasion des araignées géantes et La Malédiction).

Alors qu’elle étudie pour pouvoir devenir infirmière, Darla Perkins (Fiona Kennedy) arrondit ses fins de mois en s’occupant d’un sympathique couple de retraités, les Sinclair. Ces derniers, dont les occupations principales sont le backgammon et les soirées TV, la considèrent un peu comme un membre de leur famille. Mais un soir, trois repris de justice en cavale, Wayne (Brad Stein), Terry (Steve Miller) et Stacy (Rachel Rigall), s’invitent dans la maison, massacrent les Sinclair, violent Darla et la laissent pour morte. Or Darla a survécu. Recueillie dans l’institut psychiatrique de Shady Grove où elle partage sa chambre avec une pensionnaire passablement perturbée, elle quitte les lieux au bout d’un an, visiblement remise de son traumatisme, et commence à travailler comme infirmière assistante dans l’hôpital de Woody Pines. Mais un jour, elle tombe par hasard sur ses agresseurs et décide de prendre sa revanche. Pour y parvenir, Darla fait appel à un culte satanique…

Tripes and Blouses

Hell Nurse sent l’amateurisme à plein nez dès ses premières minutes. Une incrustation hideuse tente de nous faire croire que Darla conduit une voiture, les raccords sont ratés, les décors d’une pauvreté désarmante, les acteurs mauvais comme des cochons, la musique martelée sur un piano qui n’en demandait pas tant, bref ça commence très mal. Pour couronner le tout, l’intégralité des dialogues du film est très maladroitement post-synchronisée. Il y a bien ça et là quelques idées insolites (tous les produits de consommation étiquetés de manière générique avec leur nom écrit en noir sur blanc comme dans le monde achrome d’Invasion Los Angeles), quelques scènes macabres intéressantes (l’héroïne en robe blanche pendue à un arbre au milieu de la nuit, le prêtre satanique qui lui grave le signe du diable sur la poitrine) et une poignée de personnages singuliers (le prêtre lubrique qui met la main aux fesses des infirmières et se masturbe devant les patientes endormies !). Mais tout ça ne mène nulle part. Le spectateur se raccroche alors aux bonnes vieilles recettes du cinéma d’exploitation dont Hell Nurse semble vouloir se réclamer, comme en témoignent les effets de pellicule abîmée façon « grindhouse » : le sexe (via des plans insistants sur la poitrine généreuse de Fiona Kennedy) et le gore (une tête qui explose, une langue arrachée à pleines dents, un visage découpé façon Massacre à la tronçonneuse, un pénis tranché à la scie). Avec une mise en forme un peu plus soignée, le film aurait pu concourir dans la même catégorie que les Terrifier de Damien Leone. Mais le travail de Bobby Blood est beaucoup trop bâclé pour convaincre.

 

© Gilles Penso


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LE MÉDIUM (2023)

Un médium, qui hérite de la capacité de sa défunte mère de communiquer avec les personnes décédées, fait face à une demande inhabituelle…

LE MÉDIUM

 

2023 – SUISSE

 

Réalisé par Emmanuel Laskar

 

Avec Emmanuel Laskar, Maud Wyler, Louise Bourgoin, Noémie Lvovsky, Alexandre Steiger, Maxence Tual, Christophe Paou, Leslie Bernard, Anne-Elodie Sorlin

 

THEMA FANTÔMES

Le Médium est une jolie (et sombre) histoire de deuils, d’amour et de fantômes qui ne sont pas prêts à accepter la mort et continuent de hanter leur maison et les âmes qu’ils aiment toujours et qu’ils répugnent à quitter. Certains vivants ne sont pas mieux lotis qu’eux lorsqu’ils les ont en permanence dans leur tête. C’est ainsi que le médium de l’histoire joue un rôle essentiel, car lui seul peut communiquer avec les âmes dans l’au-delà et donc tenter de négocier leur départ avec elles. En effet, la vie avec des fantômes s’avère compliquée, le propre de leur existence étant justement d’exister par ceux qu’ils hantent, même lorsque c’est par amour. Entre dépendance et habitudes, l’amour perdu ne se retrouve plus, c’est bien connu, et les amants délaissés peuvent toujours chercher, dit la chanson. Chercher l’oubli, en perdre le sommeil, mais éventuellement le retrouver lorsque le médium en question sort de sa fonction et tombe amoureux d’Alice, une jolie veuve artiste-peintre (Louise Bourgoin) que son défunt mari architecte continue d’aimer et surveiller.

Le jeune médium, Michael Monge (interprété par le metteur en scène et scénariste du film, Emmanuel Laskar), ayant hérité des dons de sa mère décédée (la réalisatrice Noémie Lvovsky lui prête ses traits et apparaît ici en guest-star), sa sœur voudrait bien le voir reprendre son commerce pour les sauver de la ruine. Mais Michael se contente, sans grand enthousiasme, de son emploi de professeur de musique et ne tient pas du tout à exploiter financièrement la clientèle de sa mère. C’est devant le chagrin d’Alice, qu’il a aimé dès le premier regard, et pour l’aider à surmonter son deuil, qu’il va au moins faire semblant et que la vie va reprendre ses droits.

Amours perdus et chers fantômes

Comme dans le film d’Elise Girard Sidonie au Japon, lui-même inspiré de L’Aventure de Madame Muir, il ne s’agit pas ici de fantômes destinés à faire peur, mais simplement d’êtres qui, après avoir habité nos vies, continuent de hanter nos cœurs. Tendrement métaphoriques, nous pensons évidemment au fait que les fantômes qui ne partent pas sont peut-être simplement retenus par les pensées des vivants. Quelles que soient nos croyances, Emmanuel Laskar signe un film agréable qui déroule son histoire tout en douceur et en autodérision, pour nous faire réfléchir encore sur le sens de nos vies et la place de la douleur face à la perte des êtres aimés.

 

© Quélou Parente


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COMTE YORGA, VAMPIRE (1970)

Robert Quarry incarne un émule de Dracula sévissant dans le Los Angeles des années 70…

COUNT YORGA, VAMPIRE

 

1970 – USA

 

Réalisé par Bob Kelljan

 

Avec Robert Quarry, Roger Perry, Michael Murphy, Michael Macready, D.J. Anderson, Judy Lang, Edward Walsh

 

THEMA VAMPIRES

Count Yorga, vampire a bien failli être un film pornographique soft. C’est en tout cas sous cette forme que le projet est initialement envisagé, sous le titre de The Loves of Count Iorga, Vampire ! Le cinéma d’exploitation fait alors la joie des salles spécialisées et un marché florissant s’offre aux films adultes de tous poils. Le producteur Michael Macready contacte l’acteur Robert Quarry pour en tenir le rôle principal, mais celui-ci n’accepte qu’à une seule condition : oublier la pornographie au profit d’un film d’horreur pur et dur. Samuel Z. Arkoff, directeur d’American International Pictures, fait alors retitrer le film (même si l’orthographe « Iorga » avec un I apparaît encore sur plusieurs copies) et réoriente sa tonalité. L’érotisme est certes toujours présent, mais de manière moins frontale, laissant la part belle à la violence et au sang, conformément aux goûts d’une frange du public de l’époque. La mise en scène est confiée à Bob Kelljan, qui n’a alors réalisé que l’obscur Flesh of My Flesh, dans lequel il tient lui-même la vedette et qu’il co-dirige justement avec le producteur Michael Macready. Kelljan allait ensuite poursuivre dans une voie similaire (Le Retour du Comte Yorga, Scream Blacula Scream) avant de se spécialiser dans les séries TV jusqu’en 1982, date de son décès.

C’est la voix off de George Macready, fils du producteur du film, qui ouvre les hostilités. L’histoire débute à Los Angeles lors d’une séance de spiritisme organisée par Donna (Donna Anderson), en présence de ses amis Paul (Michael Murphy), Erica (Judy Lang) et le charismatique comte Yorga (Robert Quarry), un hypnotiseur récemment installé aux États-Unis après avoir quitté l’Europe. Yorga avait entretenu une relation avec la mère de Donna peu avant son décès, insistant pour qu’elle soit enterrée malgré ses volontés d’être incinérée. Après la séance, Paul et Erica raccompagnent le comte chez lui. Mais leur camionnette s’enlise inexplicablement dans la boue. Contraints de passer la nuit sur place, ils deviennent les victimes du comte, qui s’avère être un vampire : il assomme Paul et mord Erica. Le lendemain, le couple revient à Los Angeles, désorienté et incapable de se rappeler les événements de la nuit. Leur ami, le docteur Jim Hayes (Roger Perry), remarque alors qu’Erica souffre d’une perte de sang inexplicable. Plus tard, elle est surprise en train de dévorer un chaton ! La jeune femme est désormais prise d’accès de violence, de tentatives de séduction envers Paul et de moments de lucidité où elle s’effondre, terrifiée par ce qu’elle est en train de devenir…

« La magnificence au-delà de l’existence »

Nous voilà donc face à une version seventies de l’histoire de Dracula qui en reprend les mêmes motifs et la même structure narrative. La mise en scène brute et moderne de Bob Kelljan privilégie les caméras portées et les lumières naturelles, tandis que les dialogues laissent les personnages tourner en dérision les séances de spiritisme et le vampirisme – pour mieux s’en inquiéter plus tard face au surgissement du surnaturel dans leur quotidien. Interprété avec beaucoup de charisme par Robert Quarry, Yorga, venu tout droit de sa Bulgarie natale, annonce à ses victimes : « La magnificence au-delà de l’existence, c’est ce que je donne ». Son assistant hideux Brudah est incarné par Edward Walsh. Le film dépasse ses simples ambitions de pur produit d’exploitation pour révéler d’indiscutables qualités d’écriture et de réalisation. Les acteurs sont globalement convaincants, l’atmosphère contemporaine se teinte de gothisme et le scénario parvient habilement à contourner l’éternelle question : « Mais pourquoi ne vont-ils pas chercher la police ? » Par ailleurs, une tension très palpable se joue dans les séquences où les héros rendent visite au comte en pleine nuit et tentent de gagner du temps en attendant le lever du jour. Ayant échappé de peu à une classification X à cause de son contenu violent et sexuel, Comte Yorga, vampire connaîtra un joli succès, surtout en drive in, et aura droit à une suite réalisée par la même équipe : Le Retour du comte Yorga.

 

© Gilles Penso


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MONOLITH (2022)

Une journaliste en disgrâce anime un podcast consacré aux phénomènes inexpliqués et tombe sur le récit d’un étrange objet noir d’origine inconnue…

MONOLITH

 

2022 – AUSTRALIE

 

Réalisé par Matt Vesely

 

Avec Lily Sullivan, Erik Thomson, Kate Box, Terence Crawford, Damon Herriman, Ling Cooper Tang, Ansuya Nathan, Matt Crook, Rashidi Edward, Brigid Zengeni

 

THEMA EXTRA-TERRESTRES

Une journaliste déclassée (Lily Sullivan) se retrouve prise au jeu d’une machination dont le but semble être de la confronter à un passé familial peu glorieux. Contrainte, après la perte de son emploi, de réaliser des podcasts autour d’histoires mystérieuses, seule dans la grande maison de ses parents pendant leur absence, elle monte les récits abracadabrants de ses intervenants de façon à en maximiser le suspense et la crédibilité et à fidéliser son auditoire. Elle invite ainsi les auditeurs à lui faire part de leurs expériences par téléphone. Une histoire étrange commence à se construire autour d’une brique noire bizarre, d’abord rapportée par une femme de ménage nommée Floramae (Ling Cooper Tang), et suivie par de nombreux autres témoins qui racontent l’apparition inexpliquées d’un objet similaire dans leur vie.

Reclus dans une spacieuse résidence toute en baies vitrées entourée de verdure, ce huis-clos joue d’ores et déjà sur les oxymores pour troubler les pistes. Très prometteur, Monolith démontre l’indéniable talent de son réalisateur à exploiter l’espace dans un lieu unique, ainsi que celui de son actrice principale qui met toute sa vigueur au service d’une histoire qui, malheureusement, reste le point faible de l’entreprise. Des versions miniatures du grand monolithe noir de 2001 l’odyssée de l’espace de Stanley Kubrick semblent ici provoquer des introspections dramatiques chez ceux qui les reçoivent. Karin, avec l’âme d’une journaliste d’investigation, s’investit de plus en plus dans une enquête qui, loin de lui révéler les secrets escomptés, l’entraîne dans sa propre culpabilité d’avoir menti à l’âge de neuf ans à propos d’une bêtise dont a été accusée celle qui semble bien décidée désormais à se venger.

Odyssée dans l’espace intérieur

Les liens de cause à effets semblant très disproportionnés, et les scènes impliquant les monolithes très énigmatiques, on s’interroge sur l’intérêt de tant de mystère pour une vérité qui ne semble même pas se dérober. La musique soutient la tension et le suspense, mais il est difficile d’adhérer entièrement à un film – aussi réussi soit-il formellement – s’il ne lie pas harmonieusement la forme et le fond. Et ici, le fond est semble-t-il l’âme humaine, la psyché et sa représentation par les monolithes, nous laissant espérer en vain un dénouement science-fictionnel qui ne viendra finalement ni nous éblouir, ni nous surprendre. Cependant, Monolith laisse attendre le prochain film de Matt Vesely, dans un exercice peut-être moins périlleux que ce premier long-métrage.


© Quélou Parente


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JOSH KIRBY : TIME WARRIOR ! CHAPITRE 2 – THE HUMAN PETS (1995)

Dans ce second épisode, nos voyageurs temporels quittent le moyen-âge et les dinosaures pour se retrouver dans les griffes d’un bébé mutant géant…

JOSH KIRBY TIME WARRIOR! CHAPTER 2: THE HUMAN PETS

 

1995 – USA

 

Réalisé par Frank Arnold

 

Avec Corbin Allred, Jennifer Burns, Barrie Ingham, John DeMita, Spencer Rochfort, Heinrich James, Sandra Guibord, Richard Lineback, Dumitru Bogomas, Derek Webster

 

THEMA VOYAGES DANS LE TEMPS I DINOSAURES I MUTATIONS I FUTUR I SAGA CHARLES BAND I JOSH KIRBY

Si le scénario de ce second opus de la saga Josh Kirby semble bizarrement agencé, c’est parce qu’il résulte d’une décision de dernière minute. Initialement, The Human Pets devait en effet être le premier épisode, suivi par Planet of the Dino Knights. Mais en cours de post-production, les producteurs jugent que l’histoire des dinosaures apprivoisés en plein monde médiéval permettront à cette série de longs-métrages fantastiques de démarrer sur des chapeaux de roue. On ne saurait leur donner tort, dans la mesure où l’intrigue de The Human Pets est beaucoup moins palpitante. Mais ce changement de cap entraîne une restructuration artificielle du récit. Ce second Josh Kirby reprend donc les personnages exactement là où nous les avions laissés, en l’an 1205, dans une ambiance à la Robin des Bois où des rebelles cachés dans la forêt s’apprêtent à se révolter contre le vil Lord Henry (Spencer Rochfort). Tandis que Josh Kirby (Corbin Alfred), le scientifique Irwin AA38 (Barrie Ingham) et une troupe de paysans gonflés à bloc prend le château d’assaut et sauve de la hache du bourreau la guerrière Azabeth Siege (Jennifer Burns), le bon William de Dearborn (John DeMita), frère du tyran, l’affronte à dos de dinosaure. Le clou du spectacle est donc un combat entre un tyrannosaure et un tricératops, transformés en montures médiévales par des belligérants en armure.

Si l’animation en stop-motion des deux mastodontes manque singulièrement de fluidité (nous sommes loin du savoir-faire de l’animateur David Allen, alors très occupé par son film The Primevals), cette séquence reste délicieusement iconique et montre bien l’ambition d’une saga faisant fi de ses faibles moyens pour offrir au jeune public le spectacle le plus original possible. Certes, l’affrontement entre les soldats et les paysans dans la cour du château ressemble plus à un spectacle médiéval de parc d’attraction qu’à une véritable échauffourée, mais la foule costumée s’y agite tout de même avec panache. Après cette seconde moitié de métrage, au cours de laquelle le héros Josh Kirby est relégué à l’arrière-plan et ne fait finalement pas grand-chose, la machine à voyager dans le temps décolle et nos protagonistes se retrouvent brutalement propulsés ailleurs, preuve que les monteurs ont fait ce qu’ils pouvaient pour tenter de raccorder deux intrigues censées initialement être racontées dans le sens inverse. Sans transition, Josh, Irwin et Azabeth se retrouvent donc sur une Terre futuriste alternative, en l’an 70 379, peuplée par une civilisation de mutants géants, les Fatlings. Capturés aux côtés de quatre humains venus de différentes époques (un cow-boy, un viking, un mousquetaire et un pilote allemand), ils deviennent les jouets d’un bébé gigantesque qui les force à se battre entre eux pour se distraire.

Chérie, j’ai agrandi le bébé !

Cette seconde partie prend donc les allures d’une sorte de remake en couches culottes de Docteur Cyclope. L’idée est amusante, mais les designs, les costumes, les décors et les effets spéciaux ont du mal à suivre. Le look des Fatlings est parfaitement improbable, avec leur costume mal ajusté de bibendum Michelin, leurs lunettes de soudeurs et leur tête chauve boursouflée. Le décor de la chambre d’enfant lui-même est réduit à sa plus simple expression, quelques trucages sommaires s’efforçant de visualiser le changement d’échelle (de timides incrustations, une poignée de perspectives forcées et le remplacement des personnages par des poupées lorsque le bébé géant les manipule), avec en prime l’apparition furtive d’une araignée géante (en caoutchouc) qui semble vouloir cligner de l’œil vers L’Homme qui rétrécit. Cette aventure au pays des géants manquant cruellement de péripéties, plusieurs flash-backs de la vie lycéenne de Josh y sont insérés pour tenter de varier un peu les plaisirs. Le concept reste intéressant, même s’il est mal exploité, jusqu’à l’échappée de nos héros vers une autre destination pour un troisième épisode qu’on imagine aussi exubérant et fantasque que les deux premiers.

 

© Gilles Penso

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WICKED (2024)

La première partie de l’adaptation de la comédie musicale racontant la jeunesse de la méchante sorcière de l’ouest du Magicien d’Oz

WICKED

 

2024 – USA

 

Réalisé par Jon M. Chu

 

Avec Cynthia Erivo, Ariana Grande, Jeff Goldblum, Michelle Yeoh, Jonathan Bailey, Marissa Bode, Peter Dinklage

 

THEMA CONTES

Wicked est l’adaptation d’une comédie musicale à succès qui se joue à New-York et Londres depuis 2003, elle-même tirée du roman homonyme de Gregory Maguire, auteur prolifique qui, à plusieurs reprises, a revisité les contes pour en renverser le manichéisme. Il imagine ici la jeunesse d’Elphaba (Cynthia Erivo) (un nom dérivé phonétiquement des initiales de L. Frank Baum, l’auteur des romans originaux) et les circonstances qui l’amèneront à devenir la tristement célèbre sorcière de l’Ouest, incarnée par Margaret Hamilton dans le Magicien d’Oz. Wicked débute d’ailleurs là ou s’achevait le classique de Victor Fleming, les habitants de Munchkinland célébrant la mort de la vilaine à la peau verte, une victoire qui laisse néanmoins un goût amer à la bonne sorcière du Sud, Glinda (Ariana Grande, succédant à Billie Burke), qui se remémore l’amitié qui la liait jadis à Elphaba, lorsque toutes les deux étudiaient à l’Université de magie de Shiz. Wicked ne reprend que le premier acte de la comédie musicale, pour une durée pourtant égale au show complet et un second film à sortir en décembre 2025. Si on pouvait craindre légitiment que la sauce s’en trouverait diluée, il n’en est rien : conservant toute la richesse dramatique et thématique du texte original, le réalisateur Jon M. Chu a ainsi le temps (et les moyens !) de poser l’univers et les personnages et d’ajouter des petites respirations là où tout devait s’enchainer à un rythme effréné sur scène. Il opte également pour des décors « en dur », afin d’assurer la continuité esthétique avec le film de 1939, une rupture bienvenue avec le tout numérique des productions Disney des années 2010 (Le Monde fantastique d’Oz de Sam Raimi notamment). Et au détour d’un bref plan en contreplongée sur la fameuse route de briques jaunes, on se prend à croire que nous sommes de retour dans le même décor qu’arpentait Judy Garland en 1939. Le chef décorateur Nathan Crowley qui, pour avoir régulièrement collaboré avec Christopher Nolan, n’est plus à un défi près, aura pu dépenser sans compter : pour sa ville des Munchkin édifiée en extérieur et visible une dizaine de minutes à l’écran, il a ainsi fait planter des milliers de jonquilles dans les collines à l’arrière-plan plutôt que de recourir à une peinture numérique. À ce niveau, on peut parler d’une production pharaonique digne de l’âge d’or hollywoodien !

Ces décors fastueux offrent de plus une liberté totale de cadrage et de placement à la caméra, permettant de nous immerger totalement dans un monde crédible. A l’instar de la saga Harry Potter, Wicked se déroule en grande partie dans une université. Intégrant des éléments de l’architecture vénitienne, le lieu met d’emblée en exergue la marginalité d’Elphaba avec ses habits noirs et sa peau verte, alors que Glinda, en émule de la Reese Witherspoon de La Revanche d’une blonde, tout de rose vêtue, se fond parfaitement dans le décor. Bien sûr, ILM (et d’autres prestataires) se charge d’augmenter numériquement les panoramas de ce monde merveilleux mais les acteurs sont toujours ancrés dans leurs environnements. Au niveau musical, c’est le parolier et compositeur du show, Stephen Schwartz (déjà à l’œuvre sur Pocahontas et Le Bossu de Notre-Dame pour Disney, ou encore Le Prince d’Égypte chez Dreamworks) qui se charge de réorchestrer sa partition, en passant d’une quinzaine de musiciens au théâtre à un ensemble symphonique ici. Et grâce à sa distribution composée de chanteurs émérites, toutes les performances vocales ont pu être enregistrées en direct sur le plateau, ce qui permet de lier parfaitement les intonations au jeu d’acteur. Bien que le doublage des chansons soit un mal nécessaire pour ne pas s’aliéner le public français, il parait impensable de ne pas découvrir Wicked en version originale pour apprécier la précision et la subtilité des textes de Schwartz. Soutenue par des chorégraphies hypnotisantes, chaque numéro a des allures de grand final, en un crescendo menant au titre « Defying Gravity » emportant tout sur son passage en mêlant le drame intimiste à l’action, les dilemmes personnels devenant les principaux enjeux du suspens.

En vert et contre tous

Comme tout conte qui se respecte, Wicked décrit le combat du bien et du mal, sauf que la frontière entre les deux y est décrite comme floue et tortueuse. L’affiche du show représentait les silhouettes d’Elphaba et Glinda, respectivement noire et blanche, s’entremêler comme le symbole du Ying et du Yang, ce qui illustre parfaitement le propos du film, les personnages déjouant toujours nos premières impressions. Voire ainsi comment la chanson « Dancing through Life », dans laquelle plusieurs couples se déclarent leur flamme, entre en échos contradictoires avec la scène sur le quai de la gare, durant laquelle les sentiments et intentions réels mais réprimés nous sont signifiés. Quant à Elphaba, elle est tout à la fois portée aux nues par la directrice de l’université pour ses capacités, et rejetée par les autres étudiants pour son apparence physique et son attitude mal assurée en société. C’est cette souffrance et sa foi déçue dans les institutions qui vont la pousser à enfourcher son balai et employer ses pouvoirs pour imposer sa justice ; un chemin pavé de bonnes intentions qui la mènera à sa perte et qu’Anakin Skywalker avait déjà emprunté dans La Revanche des Sith : une similitude parmi d’autres avec les préquelles de Star Wars, mais aussi une thématique dans l’air du temps puisque depuis la fin des années 90, le public semble avoir succombé au pouvoir de séduction des figures du mal : les antagonistes d’antan sont devenus les héros, ceux auxquels on aime s’identifier, de Darth Vader à Hannibal Lecter, en passant par Dexter, Norman Bates ou… Elsa ! Oui, la Reine des neiges… car il apparait clairement que Disney a emprunté à Wicked son arc dramatique principal pour ce qui reste son plus grand succès populaire de ce siècle. Aveu silencieux de cette inspiration : c’est Idina Menzel, la Elphaba originale, qui prête sa voix à Elsa. Même la fameuse chanson « Let it go » (« Liberée, delivrée ») est un démarquage brillant mais évident de « Defying Gravity ». Ainsi, le parcours tragique d’Elsa suit celui d’Elphaba, et leur relation respective avec Anna et Glinda repose sur la même dynamique. Il y a fort à parier que Wicked parviendra à conquérir le cœur des fans de la Reine des neiges qui ont aujourd’hui grandi, ce qui parait déjà chose faite aux États-Unis où le film suscite un engouement populaire totalement inattendu. Reprenant au mot et à la mimique près le show de Broadway, on attribuera donc plus volontiers la réussite du film à Stephen Schwartz qu’à Jon M. Chu, tout en reconnaissant la maestria visuelle et l’application de ce dernier dans la mise en scène. Impossible aussi de ne pas mentionner le charisme des deux actrices principales : Ariana Grande, célèbre fan du show depuis son plus jeune âge, prend un plaisir non dissimulé à incarner la très superficielle Glenda. Quant à Cynthia Erivo, elle parvient à exprimer tout à la fois la force intérieure d’Elphaba, sa colère contenue et une sensibilité à fleur de peau, faisant d’elle une véritable bombe à retardement. Si l’actrice militante semble vouloir faire du personnage un porte-étendard de la communauté noire américaine, il serait dommage de le limiter la portée du message du film à cette unique dimension raciale, la couleur de peau verte représentant initialement toutes formes de discriminations. Des nominations aux Oscars pour les décors, costumes, chansons et musiques semblent déjà acquises et il n’est pas impossible que Grande et Erivo retiennent également l’attention de l’académie.

 

 © Jérôme Muslewski


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RIDDLE OF FIRE (2023)

La virée innocente d’un trio de chapardeurs en culottes courtes se mue en aventure rocambolesque où s’invite une magie de contes de fées…

RIDDLE OF FIRE

 

2023 – USA

 

Réalisé par Weston Razooli

 

Avec Skyler Peters, Charlie Stover, Phœbe Ferro, Weston Razooli,  Lorelei Olivia Mote, Danielle Hoetmer, Lio Tipton, Charles Halford

 

THEMA CONTES

Weston Razooli, signe avec Riddle of Fire, filmé dans la réserve naturelle protégée de la Wasatch National Forest dans l’Utah, état dont il est originaire, un premier long-métrage enchanté à hauteur d’enfants, aussi lumineux que la secte matriarcale à laquelle ils vont s’affronter est sombre. Doté d’un budget lilliputien, le film, à l’instar de ses jeunes protagonistes, redouble d’une inventivité qui ne laisse jamais transparaître un manque de moyens, bénéficiant d’une image sur pellicule 16mm Kodak. Ce choix déterminé de l’argentique, bien que contesté par ses producteurs, était primordial pour le jeune cinéaste qui, ayant suivi des études d’art à San Francisco au CCA, revendique un rapport organique à ce support. Et effectivement, le film se distingue par sa photo dès les premières images. Un gang de chapardeurs en moto-cross mène une opération commando dans un hangar qui stocke des marchandises. Leur butin : une console de jeux vidéo, version fictionnelle de la Game Cube de Nintendo, estampillée judicieusement Otomo dans un clin d’œil évident au réalisateur d’Akira.

Victorieux, nos trois compères Jodie, Hazel et Alice, s’apprêtent à profiter du fruit de leur rapine lorsqu’ils découvrent que le nécessaire support TV réclame un code parental. C’est donc le début d’une aventure rocambolesque, une sorte de version indie et arty des Goonies de Richard Donner, où le trésor convoité est la permission de jouer pendant 2h à leur jeu vidéo. Pour convaincre la mère d’Hazel et Jodie, alitée dans un état grippal, la solution est de se mettre en quête d’une tarte aux myrtilles, ou à défaut de sa recette, puis des ingrédients et enfin de l’œuf tacheté garant de la réussite de ce gâteau d’amour aussi exceptionnel que le cake de Peau d’âne. Car nous sommes bien dans l’univers des contes tandis que nos jeunes Pieds nickelés vont s’attribuer au passage la complicité d’une autre enfant, Petal, dont les pouvoirs et l’apparence la rapprochent d’une fée des bois.

Dans la forêt enchantée

La bande au complet, qui n’a pas froid aux yeux, va se retrouver à protéger un grand cerf du coup fatal de la mère de Petal, taxidermiste tyrannique qui pratique la sorcellerie (mais aussi l’artisanat dans ses bons jours), et à se soutenir pour échapper à la violence de ces adultes hors-la-loi. Contrairement à la plupart des histoires où la jeunesse est livrée à elle-même, les parents n’y sont donc pas totalement absents. Il reste une mère dangereuse dans le cas de Petal, ou momentanément empêchée dans le cas de Jodie et Hazel, même si tous les rebondissements du film répondent à son interdiction initiale pour le bien de ses enfants. Les films qui font la part belle à la créativité et l’imaginaire des pré-ados, comme Microbe et Gasoil de Michel Gondry (2015), sont assez rares pour ne pas passer à côté de ce conte aussi réaliste que fabuleux dont certains passages évoquent les frissons de La Nuit du chasseur de Charles Laughton, tout en célébrant les vertus de l’amitié.

 

© Quélou Parente


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SIDESHOW, LE CIRQUE DES HORREURS (2000)

Un soir, cinq ados visitent un musée des horreurs itinérant dont le directeur, un nain mystérieux, propose d’exaucer leurs désirs les plus chers…

SIDESHOW

 

2000 – USA

 

Réalisé par Fred Olen Ray

 

Avec Jamie Martz, Michael Amos, Scott McCann, Jessi Keenan, Phil Fondacaro, Jeana Blackman, Peter Spellos, Luigi Francis Shorty Rossi, Curran Sympson

 

THEMA FREAKS I SAGA CHARLES BAND

Fred Olen Ray a toujours été fasciné par les spectacles itinérants de forains, que son père l’emmenait visiter dans l’Ohio quand il avait une dizaine d’années. « J’adorais l’ambiance qui y régnait, où tout le monde semblait se connaître, comme une seule et même famille », se souvient-il. « Je m’y sentais à l’aise, comme chez moi. J’adorais particulièrement ces tentes qui exhibaient des aberrations de la nature. Je découvrirais bien plus tard qu’il s’agissait en fait de spectacles d’illusions auxquels collaboraient même parfois des stars hollywoodiennes des effets spéciaux. » (1) Entre deux films, Olen Ray aura même l’occasion de monter lui-même quelques attractions de ce type (notamment avec un « homme alligator » et une « femme électrique » incarnée par sa propre épouse !) et de consacrer un livre complet sur le sujet. Il est donc le candidat idéal pour réaliser Sideshow, que lui propose le producteur Charles Band au tout début des années 2000. Mais il n’est pas simple pour lui de rendre correctement justice à ces « freakshows » qu’il aime tant à cause des conditions précaires dans lesquelles il doit travailler : 120 000 dollars de budget et six jours de tournage dans un lieu unique. Si le résultat est loin d’être grandiose, force est d’admettre que chaque centime est à l’écran et qu’Olen Ray a tiré parti du mieux qu’il pouvait du potentiel de son script.

Caricaturaux en diable et interprétés par des jeunes comédiens pas follement convaincants, les cinq protagonistes de Sideshow n’aident pas facilement à entrer dans le film. Il s’agit de deux couples et du jeune frère de l’un d’eux, cloué sur un fauteuil roulant, qui visitent une fête foraine itinérante abritant des « spécimens uniques ». Dès leur arrivée, nos cinq amis rencontrent une diseuse de bonne aventure (Brinke Stevens, une habituée des films de Fred Olen Ray) qui leur révèle ce que leur avenir leur réserve. Mais ses propos sont tellement nébuleux qu’il n’est pas simple de comprendre ce qui se glisse derrière ses prophéties. Prochaine étape : la visite du chapiteau du docteur Graves (Phil Fondacaro), un « Monsieur Loyal » au bagout inversement proportionnel à sa taille qui s’apprête à leur présenter une série de freaks tous plus bizarres les uns que les autres. S’agit-il d’erreurs de la nature bien réelles ou de trucs d’illusionniste ? Nos cinq héros ne vont pas tarder à le découvrir à leurs dépens…

La foire aux monstres

Si le concept de Sideshow évoque tour à tour Massacres dans le train fantôme, La Foire des ténèbres et Freaks, il place ses ambitions beaucoup moins haut que ses illustres prédécesseurs. Olen Ray se contente en effet d’exploiter le décor pittoresque de son film pour en tirer une succession de séquences insolites et horrifiques sans chercher à révolutionner le genre. Comment pourrait-il en être autrement, sachant que l’équipe de tournage doit mettre en boîte chaque nuit quinze pages de scénario ? Pas le temps de faire dans le détail ! L’un des aspects techniques du film ralentit tout de même considérablement le rythme des prises de vues, mais c’est un élément essentiel. Il s’agit du travail de Gabe Bartalos, chargé des effets spéciaux. Après s’être distingué dans les films de Frank Hennelotter (Frère de sang, Elmer le remue-méninges), il gratifie Sideshow d’une faune hétéroclite, notamment un homme-insecte visqueux, un hercule de foire taciturne avec un visage grimaçant à la place du ventre, une bimbo qui se baigne dans de l’acide digestif gluant, une strip-teaseuse qui s’arrache la peau pour révéler l’intérieur de son anatomie, une femme sans visage ou encore un mutant mi-homme mi-oiseau. Toutes ces créations, conçues à l’aide de prothèses et de marionnettes, sont les attractions principales du film… sa seule raison d’être, serait-on même tentés de dire, malgré l’abattage toujours savoureux de Phil Fondacaro, fidèle membre de la troupe de Charles Band.

 

(1) Propos extraits du livre « Fred Olen Ray : il était une fois à Hollywood » de Damien Granger (2023).

 

© Gilles Penso


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TIGER STRIPES (2023)

Gratifié du Grand Prix de la Semaine de la Critique à Cannes et censuré à son retour dans son pays d’origine, un film horrifique joyeusement campy…

TIGER STRIPES

 

2023 – MALAISIE

 

Réalisé par Amanda Nell Eu

 

Avec Zafreen Zairizal, Piqa, Deena Ezral, June Lojong, Khairunazwan Rodzy, Shaheizy Sam, Fatimah Abu Bakar, Bella Rahim, Ti Arneez, Natasha Rafizi

 

THEMA MUTATIONS

Amanda Nell Eu a grandi à Kuala Lumpur. À onze ans, elle rejoint sa grand-mère au Royaume-Uni où elle achèvera ses études. Après deux court-métrages, It’s Easier to Raise Cattle et Vinegar Baths, qui mettent en scène des monstres féminins, la réalisatrice malaisienne, libre et fougueuse, exprime avec Tiger Sripes à la fois son amour du fantastique et du folklore malaisien. Elle rend particulièrement hommage aux vieux films fantastiques malais en noir et blanc comme Revenge of the Pontianak (1957) ou à ceux distribués en Malaisie par la Shaw Brothers. C’est eux qui sont à l’origine de la création de Tiger Stripes. « Je voulais avoir dans le film des effets avec ce rendu organique, en jouant sur les lumières », explique-t-elle. « Nous avons fait réaliser des effets visuels mineurs à Taïwan, mais les maquillages spéciaux sont effectués par des artistes malaisiens que j’admire beaucoup. Avec mon directeur de photographie Jimmy Gimferrer, nous nous sommes inspirés aussi d’un film japonais des années 1970 : House (Hausu) de Nobuhiko Ōbayashi. » (1)

Tiger Stripes, que l’on pourrait traduire par « Camouflage » (celui qui évoque les rayures du tigre), met en scène Zafaan (Zafreen Zairizal), onze ans, dont la figure enthousiaste et souriante pourrait être emblématique d’une spécialité du pays, celle d’un islam tolérant qui cohabiterait paisiblement avec toutes les autres religions, même si cette harmonie semble de plus en plus menacée. Dans un contexte politique et religieux qui est également au centre des inquiétudes occidentales, il est cependant recommandé de se libérer de ce prisme pour regarder ce « feel-good movie », joyeux par l’énergie et la soif de liberté que dégage son héroïne, tout comme sa réalisatrice. Car la jeune fille en pleine puberté se retrouve, à l’instar de la Carrie de Brian de Palma, à affronter le harcèlement d’ex-copines, la mutation de son corps accompagnée d’une force bestiale, de démangeaisons et d’excroissances qui la dénaturent et la déforment, rappelant les créatures du Règne animal de Thomas Cailley. Une drôle de créature se montre à elle dans un arbre, sorte d’appel à rejoindre la jungle, loin de ses congénères humains qui la mettent en rage.

Une fable sur l’émancipation

Puisant dans le riche folklore malaisien qui abonde en créatures fantastiques comme le « pontianak », la réalisatrice partage avec nous, et avec bonheur, son amour des monstres et des vieux films d’horreur asiatiques des années 50 qui l’ont inspirée. Servi par une bande originale envoutante et des éclairages qui subliment la jungle, ce film de série B qui célèbre le genre a séduit la critique cannoise, qui l’a couronné d’un Grand Prix de la Semaine de la Critique. A son retour de France, le film s’est malheureusement retrouvé amputé par la censure dans son pays d’origine, poussant la réalisatrice à officiellement renier cette version. Mais c’est bien le director’s cut qui est finalement sorti sur nos écrans. Zafaan nous y entraine dans sa danse libératrice, et telle un beau tigre féroce, elle n’est monstrueuse qu’aux yeux de ceux dont elle suscite l’incompréhension. Une magnifique fable où le thème de l’émancipation est central.

 

(1) Propos recueillis par Quélou en mai 2024

 

© Quélou Parente


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