LE CHIEN DES BASKERVILLE (1939)

Pour la plus fantastique de ses aventures, le détective Sherlock Holmes trouve son interprète idéal sous les traits anguleux de Basil Rathbone…

THE HOUND OF THE BASKERVILLES

 

1939 – USA

 

Réalisé par Sidney Lanfield

 

Avec Basil Rathbone, Nigel Bruce, Richard Greene, Wendy Barrie, Lionel Atwill, John Carradine, Barlowe Borland, Morton Lowry, Eily Malyon, Beryl Mercer

 

THEMA MAMMIFÈRES

Le Chien des Baskerville de Sidney Lanfield est loin d’être la première des adaptations à l’écran d’une aventure de Sherlock Holmes, mais ce film fait tout de même office de pionnier d’une certaine manière. En effet, si toutes les versions précédentes modernisaient leur cadre pour en faire des récits contemporains, celle-ci prend le parti d’installer son intrigue dans le même contexte que celui décrit dans les romans, c’est-à-dire l’Angleterre victorienne. Tout commence donc en 1899 dans la sinistre lande de Datmoor, au cœur du Devonshire. Dès les premières secondes, une atmosphère inquiétante et irréelle s’installe, via ce manoir lugubre (une très belle maquette) niché au milieu d’arbrisseaux noyés de brume. Soudain, un homme court à perdre haleine et s’écroule dans la lande, mort. Il s’agit de Sir Charles Baskerville (Ian Maclaren), victime d’une crise cardiaque d’après le diagnostic du docteur Mortimer (Lionel Atwill, qui campait la même année le mémorable inspecteur Krogh dans Le Fils de Frankenstein). Après cette brutale entrée en matière, nous voilà à Londres, dans le mythique appartement du 221B Baker Street où Sherlock Holmes et John Watson nous apparaissent sous les traits de Basil Rathbone et Nigel Bruce. Il ne faut pas longtemps aux spectateurs pour constater que les deux personnages viennent de trouver là leurs interprètes idéaux.

Si le docteur Mortimer rend visite au célèbre détective, c’est pour lui avouer qu’il a caché un détail à la police : à côté du corps de Sir Charles se trouvaient les empreintes d’un chien gigantesque. Craignant que personne ne prenne son témoignage au sérieux, il n’en a rien dit. Or il existe une légende autour de la famille Baskerville qui remonte au 16ème siècle, époque où le vil Sir Hugo (Ralph Forbes) kidnappa une servante. Cette dernière prit la fuite, mais lorsqu’Hugo se lança à ses trousses, ce fut pour retrouver son corps sans vie avant d’être lui-même déchiqueté par un chien monstrueux. Charles aurait-il été occis par la même créature ? Alors que le mystère s’épaissit, l’héritier de la famille, Sir Henry Baskerville (Richard Greene), revient du Canada pour prendre possession des biens et du titre de son oncle. Mais lorsqu’il arrive dans le domaine familial, il reçoit une lettre de menaces et risque de se faire tuer. Sherlock Holmes décide alors de mener l’enquête…

Le début d’une longue série

Le Chien des Baskerville nous séduit d’emblée par sa reconstitution soignée du Londres embrumé du 19ème siècle. Si la mise en scène de Sidney Lanfield reste relativement académique, le cinéaste parvient à composer de très belles séquences chorales (avec parfois dix personnages actifs en même temps dans le même cadre) mais aussi d’intéressants gros plans s’attardant sur des regards qui en disent souvent bien plus long que ce que les mots prononcent. Sans doute Lanfield travaille-t-il alors sous l’influence d’Alfred Hitchcock, déjà virtuose dans ce type d’exercice. Les seconds rôles du film se révèlent savoureux, du sinistre couple de majordomes, incarné par John Carradine et Eily Malyon, à l’inquiétant mendiant barbu, qui n’est pas sans rappeler le Ygor du Fils de Frankenstein, en passant par le jeune scientifique Stapleton (Morton Lowry), sa charmante demi-sœur (Wendy Barrie), qui vit de l’autre côté de la lande, ou encore l’épouse du médecin (Beryl Mercer), adepte des séances de spiritisme. Peu confiant dans le succès du film, le studio Fox préfère capitaliser sur le nom de l’acteur Richard Greene en le plaçant en haut de l’affiche, reléguant Basil Rathbone et Nigel Bruce au second plan. Mais le public se déplace en masse et positionne Le Chien des Baskerville en tête du box-office. Rathbone et Bruce incarneront à nouveau Holmes et Watson dans treize autre films… et leurs noms occuperont cette fois-ci la place qu’ils méritent sur chacun des posters.

 

© Gilles Penso


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LES VALEURS DE LA FAMILLE ADDAMS (1993)

Le réalisateur Barry Sonnenfeld et son excellent casting se réunissent pour une seconde aventure macabre parfaitement délirante…

ADDAMS FAMILY VALUES

 

1993 – USA

 

Réalisé par Barry Sonnenfeld

 

Avec Raul Julia, Anjelica Huston, Christopher Lloyd, Joan Cusack, Christina Ricci, Carol Kane, Jimmy Workman, Carel Struycken, Peter MacNicol

 

THEMA FREAKS I MAINS VIVANTES

On ne change pas une équipe qui gagne. Barry Sonnenfeld reprend donc du service pour les besoins de ce second opus qui pousse encore plus loin le délire, ce qu’annonce d’emblée son titre détournant une expression chère aux défenseurs des bonnes vieilles « valeurs familiales » américaines. Comme nous l’annonçait le final de La Famille Addams, la petite tribu menée par les irrésistibles Gomez et Morticia s’agrandit avec la naissance de Pubert, troisième rejeton du clan, un adorable bébé au visage blafard avec une moustache et des cheveux gominés ! Si cette arrivée ravit les parents, on ne peut pas en dire autant de Mercredi et Pugsley, tellement jaloux qu’ils fomentent des stratagèmes dignes de Vil Coyote dans les Looney Tunes pour se débarrasser de ce petit frère encombrant. Morticia fait donc appel à une baby-sitter pour lui prêter main-forte. Après un hilarant défilé de candidates refroidies par l’accueil glacial de Mercredi et Pugsley, une nouvelle venue se présente et remporte tous les suffrages. Il s’agit de la candide Debbie (Joan Cusack), dont le sex-appeal ne laisse pas indifférent l’oncle Fester. Bientôt une idylle improbable naît entre la nounou pétillante et le freak imberbe. Mais Debbie est en réalité un être vil appâté par le gain qui assassine tous ses maris pour récupérer leur fortune…

Manifestement plus libre de ses mouvements, Sonnenfeld se livre ici à un humour plus adulte, plus macabre et encore moins politiquement correct que dans le premier Famille Addams, quitte à consteller son film d’allusions sexuelles déviantes. Quelques gags référentiels ponctuent aussi le métrage, comme cette allusion au Silence des agneaux, ce jeu de cartes à collectionner consacré aux tueurs en série les plus célèbres de tous les temps, cette apparition de Peter Graves en présentateur d’émissions d’enquêtes policières, ce clin d’œil final à Carrie ou cette photo de Michael Jackson. Le « roi de la pop » avait d’ailleurs été engagé pour écrire et interpréter une chanson destinée au film, projet que des complexités contractuelles empêchèrent finalement. La chanson existe pourtant. Il s’agit de « Is it Scary », qui sera intégrée dans le court-métrage Ghost et dans l’album « History in the Mix ». Jackson et Sonnenfeld auront l’occasion de se retrouver très brièvement le temps d’un gag furtif de Men in Black II.

Les jolies colonies de vacances

Les Valeurs de la famille Addams confirme surtout la perfection de son casting. Quelles que soient les versions ultérieures, aucun des membres de la famille Addams ne trouvera meilleur interprète que Raul Julia (Gomez), Anjelica Huston (Morticia), Christina Ricci (Mercredi), Christopher Lloyd (Fester), Jimmy Workman (Pugsley), Carel Struycken (Lurch) ou Judith Malina (la grand-mère). Il faut aussi saluer la prestation savoureuse de Joan Cusack en veuve noire dégoulinante de duplicité. Comme dans le film précédent, l’intrigue tourne d’ailleurs autour des problèmes de Fester et de sa capacité à être manipulé par les femmes (sa fausse mère dans le film précédent, sa nouvelle épouse dans celui-ci). On se régale aussi de la présence du fabuleux Peter MacNicol (Ally McBeal, S.O.S fantômes 2), irrésistible en responsable de camp d’été pour ados qui, engoncé dans sa tenue ridicule de chef scout étriqué, gesticule et se heurte aux facéties morbides de Mercredi et Pugsley. Cette colonie de vacances donne une fois de plus l’occasion à Sonnenfeld de moquer la bien-pensance et le racisme feutré de la « bonne société » américaine. Le film sera endeuillé par la mort de Raul Julia, formidable Gomez qui souffrit beaucoup de sa maladie pendant le tournage et s’éteignit quelques mois après la sortie en salles des Valeurs de la famille Addams, juste avant une dernière apparition posthume dans Street Fighter.

 

© Gilles Penso


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EXTRANEOUS MATTER (2021)

Dans ce film à sketches indéfinissable, des aliens tentaculaires s’immiscent dans la vie quotidienne et dans l’intimité des citoyens japonais…

IBUTSU – KANZENHAN

 

2021 – JAPONAIS

 

Réalisé par Ken’ichi Ugana

 

Avec Momoka Ishida, Kaoru Koide, Dankan Kyaluoko, Shûto Miyazaki, Mizuki Takanashi, Momoko Tanabe, Makoto Tanaka, Shunsuke Tanaka, Kaito Yoshimura

 

THEMA EXTRA-TERRESTRES

Le cinéma d’auteur naturaliste et les monstres visqueux extra-terrestre peuvent-ils cohabiter ? Extraneous Matter prouve que oui. Version longue d’un court-métrage que Ken’ichi Ugana réalisa en 2020 (et qui fit le tour des festivals du monde entier), ce film insolite se structure autour de plusieurs segments a pirori sans lien entre eux, si ce n’est un thème commun : l’apparition de créatures tentaculaires venues d’une autre planète qui s’immiscent dans la vie des gens et bouleverse leur quotidien. Le premier récit est celui d’une jeune femme morose (Kaoru Koide) souffrant d’une relation frustrante avec un petit-ami qui se contente de partager quelques repas avec elles et s’éclipse aussitôt. La routine terne de cette existence sans saveur se traduit par une mise en scène extrêmement minimaliste, répétant inlassablement les mêmes cadrages, s’attardant plus que de raison sur un café qui coule à travers un filtre ou sur un regard désabusé. Soudain, la déchirure du réel s’opère de la plus extravagante des manières, via un monstre tentaculaire caché dans un placard qui parvient à réveiller chez notre héroïne des sensations qu’elle croyait oubliées. Là, sans crier gare, Ken’ichi Ugana fait entrer en collision deux univers aux antipodes : le cinéma introverti de la Nouvelle Vague et l’imagerie érotico-horrifique héritée des hentaï dans lesquels des jeunes femmes plus ou moins consentantes sont livrées aux assauts lubriques de monstres à tentacules !

A peine remis de ce choc, nous découvrons un autre récit, beaucoup plus sobre mais tout autant déstabilisant. C’est l’histoire simple d’un jeune homme qui cherche à reconquérir son ex-petite amie. Tous deux échangent froidement des banalités dans un bar, coincés dans un plan large désespérément fixe. Comme dans le segment précédent, l’intrusion du monstre casse la routine et éveille les sentiments. La créature est hideuse, contre-nature. C’est pourtant elle qui permettra de recréer du lien et de raviver une flamme éteinte. La suite du film laisse entendre que chacune de ces petites histoires s’inscrit dans un grand tout et que l’apparition de ces bêtes venues d’ailleurs est en train de se généraliser, ce que confirment quelques séquences surréalistes au cours desquelles les monstres côtoient les humains le plus naturellement du monde. Ils rampent dans les rues, s’accrochent aux immeubles, s’installent dans les salles de spectacle… Et finissent par être jugés indésirables, comme le montre un autre des segments dans lequel l’employé d’une usine, dont le rôle consiste à éliminer méthodiquement tous ces monstres dans une machine à broyer, est soudain pris de remords.

Poulpes frictions

Voilà donc une œuvre parfaitement insaisissable mais résolument fascinante, déclinant son argument fantastique pour décrire l’in des plus grands maux de la société japonaise : l’incommunicabilité. Même la monstruosité la plus abracadabrante semble préférable à l’anesthésie des sentiments, à la froideur et à l’indifférence. Voilà pourquoi ces « poulpes » extra-terrestres titillent tant la libido de la jeune femme esseulée, attendrissent tant l’ex-petite-amie délaissée, provoquent la culpabilité de l’employé insensible et rendent si touchant cet épilogue qui semble vouloir traduire tout le désespoir d’une population en cruel manque d’attention et d’amour. Tourné dans un noir et blanc d’un autre âge (au format 4/3), jouant sur les ruptures de ton (avec des traits d’humour inattendus comme ce clin d’œil à E.T.), doté d’une bande son extrêmement soignée où la viscosité des monstres côtoie les nappes électroniques et les envolées lyriques, Extraneous Matter est un film « autre », l’une de ces sorties de route rafraîchissantes qui ne ressemblent à rien de connu et enrichissent de manière inattendue le champ des possibles du cinéma fantastique.

 

© Gilles Penso


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DEAD SILENCE (2007)

Après le coup d’éclat de Saw, James Wan et Leigh Whannell s’attaquent à une autre facette de l’horreur en convoquant une imagerie gothique…

DEAD SILENCE

 

2007 – USA

 

Réalisé par James Wan

 

Avec Ryan Kwanten, Donnie Wahlberg, Bob Gunton, Amber Valletta, Laura Regan, Steve Adams, Michael Fairman

 

THEMA JOUETS

Pour ceux qui n’avaient pas repéré dans Saw les références à l’univers de Dario Argento, ne voyant dans ce slasher atypique qu’une réadaptation gore des concepts de Seven et Cube, James Wan et Leigh Whannell semblent vouloir mettre les points sur les i avec Dead Silence dont le générique baroque, soutenu par une partition de Charlie Clouser très largement inspirée par les travaux du groupe Goblin (la mythique bande originale de Suspiria notamment), annonce clairement la couleur. Pourtant, ce n’est pas tant le réalisateur des Frissons de l’angoisse qui sert ici d’inspiration (malgré un hommage évident à Inferno au moment du climax dans le théâtre délabré) mais tout un pan du cinéma d’épouvante classique. Le film puise ouvertement son influence dans des œuvres telles qu’Au cœur de la nuit ou Magic. Mais face à de tels mastodontes, Dead Silence fait-il le poids ? Lorsque le film commence, Jamie (Ryan Kwanten) et son épouse Lisa (Laura Regan) reçoivent un cadeau sans savoir qui en est l’expéditeur : une poupée de ventriloque nommée Billy. Peu après, Lisa est retrouvée morte, la langue tranchée, et Jamie devient le suspect numéro un. Relâché faute de preuves, le jeune veuf découvre dans le paquet cadeau mystérieux un message concernant une certaine Mary Shaw. Il s’agit d’une défunte ventriloque originaire de sa ville natale, Raven’s Fair.

Le ton étant donné, James Wan et Leigh Whannell peuvent laisser l’intrigue avancer d’un cran et la faire lentement mais sûrement basculer vers le cauchemar. Lorsque Jamie revient à Raven’s Fair pour organiser les funérailles de Lisa avec un croque-mort local, Henry Walker (Michael Fairman), il retrouve son père Edward (Bob Gunton), qui se déplace en fauteuil roulant et vit avec une épouse beaucoup plus jeune que lui, Ella (Amber Valletta). Dans cette atmosphère trouble qui s’éloigne progressivement des codes du slasher classique pour tendre vers une épouvante plus gothique, plus « old school », notre héros se confronte à la légende urbaine des sortilèges de Mary Shaw (est-elle vraiment morte ?) et de ses poupées « vivantes », à la bigoterie inquiétante de l’épouse du croque-mort et à l’inspecteur de police Lipton (Donnie Wahlberg) qui l’a suivi jusqu’à Raven’s Fair et l’a toujours dans son collimateur…

Les poupées du diable

Convoquer l’imagerie des films de maisons hantées, des histoires à énigme façon Agatha Christie ou Edgar Wallace et des giallos des années 60/70 était une idée séduisante, permettant au duo Wan/Whannell de ne pas se contenter de surfer sur le succès de Saw. Mais ces belles intentions se heurtent à un scénario bardé d’incohérences et de clichés, à des personnages archétypaux (notamment le policier parfaitement improbable) et un twist final absurde. Où sont donc passées la rigueur et la méticulosité des deux cinéastes ? Certes, Wan reste un réalisateur talentueux attentif au moindre détail qui parvient à doter son film d’une superbe photogénie, à construire des moments d’angoisse efficaces et à jongler habilement avec les peurs d’enfance (dont le vecteur ici est bien sûr la collection de poupées inquiétantes). Mais Dead Silence reste très maladroit. Ses scores décevants au box-office annuleront d’ailleurs tout projet de suites. Whannell expliquera en grande partie cet insuccès par les nombreuses interférences du studio l’ayant contraint avec Wan à de trop nombreux compromis. Pour le coup, nous n’aurions pas été contre un director’s cut plus proche de leur vision initiale. Dead Silence servira tout de même de trait d’union entre les horreurs « réalistes » de Saw et celles – surnaturelles – d’Insidious qui, pour sa part, recevra un accueil beaucoup plus chaleureux de la part du public.

 

© Gilles Penso


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THE SHE-CREATURE (1956)

Chaque fois qu’elle est hypnotisée, une jeune femme se transforme en monstre marin invraisemblable attaquant tous les humains qu’il croise…

THE SHE-CREATURE

 

1956 – USA

 

Réalisé par Edward L. Cahn

 

Avec Chester Morris, Marla English, Lance Fuller, Tom Conway, Cathy Downs, Ron Randell, Freda Inescort, Paul Dubov

 

THEMA MONSTRES MARINS

Extrêmement prolifique en ces joyeuses années 50, Edward L. Cahn inaugura avec The She-Creature un « cycle » consacré à divers monstres improbables. Plutôt tordu, son scénario mixe dans le désordre monstre marin humanoïde, hypnose, possession et réincarnation. Nous faisons ainsi connaissance avec le docteur Carlo Lombardi (incarné par un Chester Morris émule de Bela Lugosi qui n’hésite pas à en faire des tonnes). Ce médium de fête foraine hypnotise régulièrement une jeune femme prénommée Andrea (la délicieuse Mara English). A chaque séance, l’âme de la jolie cobaye transmigre vers le corps qu’elle habitait il y a des millions d’années, celui d’une bestiole mi-femme mi-poisson du plus ridicule aspect. Échappant à toute description, la créature ressemble vaguement à un homme trapu en armure écailleuse dont la tête grimaçante, aux grands yeux noirs surplombés de sourcils froncés, s’affuble de longues oreilles pointues, d’antennes et de mandibules pendantes.

L’auteur de ce costume hallucinant est le spécialiste des effets spéciaux bon marché Paul Blaisdell, pas vraiment subtil dans ses œuvres, on l’aura compris, mais non dénué d’imagination. Cahn et Blaisdell entameront dès lors une heureuse collaboration, et le costume de la créature hybride resservira sous diverses variantes (une antenne par ci, une perruque par là) pour d’autres séries B du même acabit, notamment The Voodoo Woman ou How to Make a Monster. Vedette indiscutable du film, la bête n’apparaît pas beaucoup à l’écran en réalité, se contentant même parfois de quelques prestations sous une enveloppe invisible, ses pas creusant le sable de la plage comme le feront ceux des Invisible Invaders trois ans plus tard. Mais revenons à ce merveilleux scénario. Chaque fois que l’hypnotiseur invoque la vie antérieure d’Andréa et que son âme s’échappe sous forme d’une jolie fumée en surimpression, un meurtre est commis sur la plage, preuve que le monstre ressurgit réellement du fond des âges, habité par l’esprit de la jeune femme. Autant dire que la police piétine, ne sachant pas trop par quel bout prendre l’enquête.

Moitié-femme moitié-poisson

Persuadé qu’il y a de l’argent à faire avec cette étrange affaire, le businessman Chappel (le charismatique Tom Conway) tente de tirer profit des dons divinatoires de Lombardi en organisant des séances privées chez lui et en faisant éditer des ouvrages spécialisés. Mais le gendre de Chappel, l’éminent docteur Ted Erickson (un Lance Fuller assez monolithique) reste fort sceptique et demeure le détracteur le plus virulent de Lombardi. Cette rivalité déteindra bien vite sur leur vie privée, les deux hommes convoitant la troublante Andrea. Malgré son concept tarabiscoté, son approche risible de la science (Erickson, grand spécialiste de la métaphysique et de la recherche psychique, passe des heures dans son laboratoire à contempler des liquides dans des tubes à essai de petit chimiste) et son monstre de carnaval, The She-Creature se laisse voir sans déplaisir, en grande partie grâce à ses personnages pittoresques et à leurs dialogues savoureux. Vers la fin du film, refrain connu, Lombardi demandera à la créature d’éliminer son rival, mais cette dernière refusera et finira par se retourner contre lui, suivant donc la voie de tous les monstres de Frankenstein qui l’ont précédé.

 

© Gilles Penso


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SPIDER-MAN LOTUS (2023)

Produite sans l’autorisation de Marvel ou Sony, cette aventure inédite réalisée par un lycéen de 19 ans a pris tout le monde par surprise…

SPIDER-MAN LOTUS

 

2023 – USA

 

Réalisé par Gavin J. Konop

 

Avec Warden Wayne, Sean Thomas Reid, Moriah Brooklyn, Tuyen Powell, Maxwell Fox, Jack Wooton, John Salandria, Justin Hargrove, Mariah Fox, Paul Logan

 

THEMA SUPER-HÉROS I SAGA SPIDER-MAN

Au départ, rien ne semblait pouvoir distinguer Spider-Man Lotus des milliers de fan films réalisés avec les moyens du bord par des amateurs de l’homme-araignée. Aux Etats-Unis, il ne se passe pas un mois sans qu’un réalisateur en herbe déguise l’un de ses copains en Spider-Man pour le filmer avec sa caméra vidéo ou son smartphone et poste ensuite ses « exploits » sur YouTube. Certains de ces films de fans sont plus soignés que les autres, certes, mais il n’y a pas là de quoi affoler Marvel ou Sony. Et puis voilà que débarque Spider-Man Lotus, qui combat clairement dans une tout autre catégorie. Son metteur en scène, Gavin J. Konop, est encore au lycée lorsqu’il attaque ce projet. Son ambition : réunir 20 000 dollars et consacrer à son super-héros préféré un film extrêmement soigné. Lorsqu’il lance une campagne de financement participatif, la somme initialement prévue gonfle considérablement jusqu’à dépasser les 110 000 dollars ! Avec un tel budget en poche, le jeune homme va pouvoir revoir ses ambitions à la hausse. Mais plus qu’un film spectaculaire, Konop veut réaliser un drame intimiste. Son idée est de raconter les conséquences d’un des épisodes les plus traumatisants de l’histoire de la BD américaine : la mort de Gwen Stacy, la petite-amie de Peter Parker, une histoire écrite par Gerry Conway et dessinée par Gil Kane en 1973, qui marque pour beaucoup la fin d’une certaine innocence dans le monde du comic book.

La longue introduction de 15 minutes sur laquelle s’ouvre Spider-Man Lotus force l’admiration. Un Spidey numérique qui tient franchement la route file à toute allure entre les immeubles de New York, déclenche les radars de police pour cause d’excès de vitesse, prend en chasse trois gangsters puis affronte le Shocker qu’il neutralise non sans mal. S’ensuit une scène intime entre Peter Parker et Gwen Stacy, puis un générique extrêmement graphique sur fond de chanson romantique. Voilà qui s’annonce prometteur et surtout surprenant. Après cette mise en bouche, nous apprenons que Gwen est morte, provoquant une onde de choc émotionnelle dont les répercussions altèrent non seulement le comportement de Peter Parker mais aussi celui de Harry Osborn, Mary-Jane Watson et Flash Thompson. Le drame nous est raconté par le biais de flash-backs furtifs où apparaît un Bouffon Vert grimaçant très proche visuellement de celui du comic book original.

Peter par cœur

Konop élabore alors un film très introspectif conçu comme un voyage initiatique autour de l’acceptation du deuil, bref pas du tout ce qu’on peut attendre d’une aventure classique de Spider-Man. Et c’est justement ce qui rend ce projet si fascinant. Le réalisateur débutant semble plaquer sur le super-héros ses propres doutes, son propre mal-être, comme le firent tant de lecteurs adolescents en découvrant leurs premières aventures dessinées du monte-en-l’air. Pour y parvenir, Konop convoque sa connaissance visiblement encyclopédique de l’univers de Spidey, reprend plusieurs épisodes emblématiques (dont le fameux « The Kids Who Collects Spider-Man » de Roger Stern et Ron Frenz, ou la série « Spider-Man Blue » de Jeph Loeb et Tim Sale), évoque en quelques images les origines du héros et la culpabilité qui forgea sa vocation de justicier et cite dans sa bande originale les thèmes musicaux des séries animées des années 60 et 90. Le film est sans doute trop long, trop lent, trop larmoyant, pas toujours très subtil, pas rythmé comme il faudrait, peut-être même un brin prétentieux . Mais qui aurait cru qu’un réalisateur amateur puisse un jour pondre un Spider-Man « pirate » aussi abouti ? Les films très officiels dirigés par Marc Webb et Jon Watts semblent même gentiment puérils à côté de cet essai certes maladroit mais tellement plus risqué et moins formaté que ceux de ses aînés produits par les grands studios. Saluons donc l’initiative de cet étrange « Lotus » (la fleur qui symbolise la transcendance chez les bouddhistes), dont la mise en ligne gratuite sur YouTube en août 2023 battit des records de visionnage.


© Gilles Penso

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APE VS MECHA APE (2023)

Un gorille grand comme King Kong affronte un robot simiesque gigantesque dans ce petit film Asylum qui se prend pour une superproduction…

APE VS. MECHA APE

 

2023 – USA

 

Réalisé par Marc Gottlieb

 

Avec Tom Arnold, Anna Telfer, Lisa Lee, Jack Pearson, Corbin Timbrook, Xander Bailey, Iris Svis, Lindsey Marie Wilson, Sady Diallo, Eugenia Kuzmina, Jeff Rector

 

THEMA SINGES I ROBOTS

Bien sûr, le poster de Ape vs. Mecha Ape nous fait rêver et nous rappelle les grandes heures de King Kong s’est échappé, à l’époque un peu naïve où la version japonaise du plus grand des gorilles affrontait son double robotique au sein d’une aventure joyeusement délirante. Mecha-Kong avait même damé le pion à Mecha-Godzilla qui n’était apparu sur les écrans que six ans plus tard dans Godzilla contre Mecanick Monster. Ape vs. Mecha Ape allait-il raviver la flamme de ces kaijus décomplexés ? Nous aurions voulu y croire. Mais le studio Asylum nous avait déjà fait le coup avec Ape vs. Monster, qui s’annonçait comme un émule réjouissant de Godzilla vs. Kong mais n’était en réalité qu’une inutile série Z n’exhibant que très furtivement ses créatures numériques ratées. Notre niveau d’exigence était donc très faible. Or l’entrée en matière de Ape vs. Mecha Kong nous surprend agréablement. Dès les premières secondes, un gorille géant se déchaîne contre des militaires qui le mitraillent, révélant sous ses poils et sa peau qui se déchiquètent sa nature réelle de robot géant. Le monstre se débarrasse des soldats puis se frappe la poitrine en rugissant. Les effets spéciaux sont tout juste passables mais le dynamisme de cette intro a quelque chose de très rafraîchissant.

Le scénario de Ape vs. Mecha Ape prend directement la suite de celui de Ape vs. Monster. Abe, le singe géant ramené de l’espace et devenu grand comme King Kong, vit désormais dans un grand parc naturel sous surveillance d’une équipe de la NASA (pour une raison inexpliquée, le chimpanzé du film précédent est désormais un gorille, sans doute jugé plus photogénique). En s’inspirant de la force de ce grand primate, l’armée en a fait construire une réplique cybernétique, le Mechanical Apex Peacekeeper, ou Mecha-Ape, dont la première mission consiste à détruire une usine d’armes chimiques dans un pays d’Europe de l’Est imaginaire (d’où la scène pré-générique). Maintenant qu’Abe a pu être étudié sous toutes ses coutures, il est destiné à poursuivre le reste de son existence en captivité dans une gigantesque geôle. Mais un groupe de mercenaires anti-américains prend à distance le contrôle du Mecha-Ape et le dote d’un missile nucléaire. L’armée US n’a alors qu’une seule alternative : libérer Abe pour arrêter le robot colossal avant qu’il ne détruise la ville de Chicago…

Gorille contre Robogorille

Même si les images de synthèse se sont un peu améliorées depuis l’opus précédent, nous sommes encore loin d’un résultat un tant soit peu réaliste. Il faut donc au spectateur beaucoup de suspension d’incrédulité pour croire à ce grand singe numérique au faciès figé et au regard vide. La version robotique s’en sort mieux, sa morphologie mécanique et sa texture métallique se révélant plus soignées et plus convaincantes. L’affrontement invraisemblable entre les deux monstres nous rappelle au passage une autre production Asylum au titre d’ailleurs très similaire : Mega Shark vs. Mecha Shark. Mais pour respecter son budget ridicule, le film laisse beaucoup plus de place à ses longs dialogues (d’un intérêt très relatif) qu’aux scènes montrant les grosses bêtes. Comme on pouvait le craindre, le film ne respecte donc pas ses promesses en s’affublant des mêmes travers qu’Ape vs. Monster. Mieux vaut éviter de cligner des yeux si on veut avoir une chance d’apercevoir les mastodontes en action. Pour tromper son ennui, le spectateur s’amusera à relever les nombreux clins d’œil à travers des dialogues référentiels mentionnant la compagnie RKO Contractors, le Rambaldi Army Airfield, l’officier Peter Elliott ou encore le Honda Square. C’est un maigre lot de consolation, mais il faut bien se raccrocher à quelque chose…

 

© Gilles Penso

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PAUVRES CRÉATURES (2023)

Et si le Prométhée moderne donnait naissance à une merveilleuse femme libre, joyeuse et aimée ?

POOR THINGS

 

2023 – IRLANDE / GB / USA

 

Réalisé par Yórgos Lánthimos

 

Avec Emma Stone, Willem Dafoe, Mark Ruffalo, Ramy Youssef, Jerrod Carmichael, Christopher Abbott, Margaret Qualley, Kathryn Hunter, Hubert Benhamdine

 

THEMA MÉDECINE EN FOLIE

Lorsqu’il découvre le remarquable livre « Pauvres créatures » de l’artiste peintre et romancier écossais Alasdair Gray, sorti en 1992, Yórgos Lánthimos part à la rencontre de l’auteur pour obtenir les droits d’exploitation de cette version alternative du « Frankenstein » de Mary Shelley. Gray connaît son film Canine et l’a apprécié. L’accord est donc passé entre les deux artistes férus d’humour et de surréalisme. Malgré le potentiel de l’ouvrage, le film met du temps à se monter. Gray, décédé entretemps, n’aura pas eu le bonheur de découvrir ce splendide monument, déjà couronné du Lion d’or à la Mostra de Venise, et qui offre un rôle de rêve à son actrice principale. En effet, si le roman éponyme explorait de nombreux thèmes tout en conservant son ton et son humour, le réalisateur a choisi avec son scénariste de prédilection, Tony McNamara, de se focaliser sur le personnage de Bella Baxter. Envisager son histoire par le prisme de la créature est aussi une façon de se rapprocher de l’idée novatrice en son temps de Mary Shelley. Non seulement les correspondances entre les narrations y sont multiples mais elles font aussi écho avec la propre vie de l’écrivaine dont la mère, Mary Wollstonecraft, femme de lettres pionnière engagée pour la cause des femmes, est décédée quelques jours après sa naissance. Dans le film, Bella possède le corps d’une femme enceinte qui vient de se jeter volontairement d’un pont. Tout en respectant son choix d’en finir, le docteur Godwin Baxter (William Dafoe) veut lui donner une chance de transcender l’irréparable en lui implantant le cerveau de son propre bébé encore en vie. 

A contrario du monstre de Frankenstein, Bella Baxter est une expérimentation réussie qui dépasse les espérances du chirurgien, dont les pratiques évoquent également celles du docteur Moreau. Devenu à la fois tuteur et créateur, celui que Bella appelle God/Dad s’est attaché à elle au point que lorsqu’elle souhaite quitter le nid protecteur pour parcourir le monde avec un avocat coureur de jupons (Mark Ruffalo), il s’oblige à respecter encore sa volonté et son libre-arbitre. A noter qu’au-delà du jeu de mot, Godwin est aussi le prénom du père de Mary Shelley. « Je m’appelle Bella Baxter, je suis imparfaite et avide d’expérience (…) Il y a un monde à explorer, à sillonner. C’est notre but à tous de progresser, de grandir ». En s’attachant à définir sa perception si singulière d’un monde pour lequel elle n’est pas conformée, mais qu’elle tente de comprendre et d’appréhender au-delà de ses pulsions imprévisibles et de sa spontanéité, le réalisateur avoue être tombé amoureux du personnage, de son enthousiasme, de son appétence pour la vie, de sa liberté. A l’instar de la créature de l’abominable docteur Frankenstein, dont elle est une version joyeuse et aimée, elle a soif d’évoluer, d’apprendre, par la lecture et par l’observation des hommes. Imperméable aux jugements que l’on peut porter sur elle, elle ne connaît aucune honte, aucun tabou, et l’on suit son émancipation au milieu de ceux qui voudraient la contrôler, voire de la posséder, ou simplement lui imposer des règles fussent-elles bien intentionnées, sans toutefois avoir d’emprise sur sa détermination à grandir, apprendre et rester libre.

« Je m’appelle Bella Baxter… »

Tout se joue à Londres, berceau de l’intrigue : sa naissance artificielle, son éducation hors du monde dans un milieu fermé avec un bestiaire fantastique, ses fiançailles, la révélation de son histoire, et finalement son mariage que l’on prédit heureux, tandis qu’elle deviendra elle-même chirurgien, comme son drôle de père. Le scénario de ce conte pour adultes promet de nombreux rebondissements tout en offrant un rôle à sa (dé)mesure à Emma Stone qui, après La La Land, aura probablement la chance de remporter son second Oscar (avec mention !). Bella Baxter, mi-créature, mi-femme-enfant, nous y entraine dans sa folle course émerveillée à la découverte du monde et d’elle-même, dans une époque victorienne qui convoque tous les Beaux-Arts pour mieux se réinventer.  À noter que ce film résolument littéraire est également touchant dans son rappel d’un temps où la lecture était émancipatrice, particulièrement pour les femmes alors en quête de leurs droits civiques. L’œuvre de Mary Shelley semble s’entre-chasser avec sa propre vie comme les vers d’un poème, et résonne ici de façon bouleversante, comme un écho à sa propre enfance, à son éducation dans un foyer intellectuel hanté par les écrits de sa mère, et à son émancipation douloureuse en tant que femme, mère et écrivaine. Tandis que le récit bafoue les codes de son époque pour mieux en révéler les inégalités, comme il est dit dans la préface de son chef-d’œuvre : « L’invention, nous devons l’admettre humblement, ne consiste pas à créer à partir du vide, mais à partir du chaos. » C’est sans aucun doute le pari réussi de Yórgos Lánthimos !

 

© Quélou Parente


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THANKSGIVING : LA SEMAINE DE L’HORREUR (2023)

Eli Roth détourne le faux teaser qu’il avait réalisé pour le programme Grindhouse et en tire un slasher conventionnel malgré quelques fulgurances…

THANKSGIVING

 

2023 – USA

 

Réalisé par Eli Roth

 

Avec Patrick Dempsey, Neil Verlaque, Addison Rae, Jalen Thomas Brooks, Milo Manheim, Rick Hofman, Gina Gershon, Tomaso Sanello, Gabriel Davenport

 

THEMA TUEURS

Au départ, les teasers de faux films projetés en guise d’entractes pendant le double programme « Grindhouse » de Quentin Tarantino et Robert Rodriguez, Boulevard de la mort et Planète terreur, n’étaient que des blagues potaches censées raviver brièvement l’imagerie du cinéma d’exploitation des années 70. Mais en 2010, Rodriguez transforme la bande-annonce de Machete en vrai film et remporte un certain succès (il le dotera même d’une suite, Machete Kills). Dans la foulée, Jason Eisener se prête au jeu à son tour en tirant un long-métrage complet du trailer de Hobo with a Shotgun. Pourquoi ne pas continuer à prolonger le plaisir ? C’est dans cet état d’esprit qu’Eli Roth s’attaque à la version longue de Thanksgiving, dont il co-écrit le scénario avec Jeff Rendell. Le trailer réalisé en 2007 mettait en scène un tueur masqué semant la terreur dans une petite ville américaine, assassinant une ménagère, décapitant un homme déguisé en dinde et massacrant les jeunes couples en pleine extase, avec en prime des extraits de la bande originale de Creepshow, un flic incarné par Michael Biehn, une voix off exagérément grave, une patine de vieux film couvert de rayures et beaucoup d’humour noir. Ce réjouissant exercice de style allait-il passer sans heurt le cap du court au long format ?

L’entrée en matière de Thanksgiving est pour le moins surprenante : une émeute dans un supermarché local de la petite ville de Plymouth, dans le Massachusetts. La folie furieuse des clients transformés en bêtes sauvages, appâtés par la bonne affaire au point de tout piétiner sur leur passage, provoque un massacre dont Michael Myers ou Jason Voorhes eux-mêmes seraient jaloux. Endeuillée par ce bain de sang incontrôlable, la bourgade panse ses blessures. Un an plus tard, personne n’a oublié le drame. Alors que la période de Thanksgiving approche à grands pas, un tueur mystérieux habillé en noir et portant le masque de John Carver (le fameux « père pèlerin » qui organisa le voyage du Mayflower en 1620) commence à éliminer violemment plusieurs personnes présentes un an plus tôt dans le magasin. Tout le monde finit par se sentir menacé et à émettre des doutes sur l’identité de ce serial killer adepte des réseaux sociaux qui s’amuse à narguer la police en postant des photos de ses exactions…

« Il n’y aura pas de restes »

Le démarrage du film laissait espérer un peu de sang neuf, mais force est de constater que la mécanique classique des slashers post-Scream et Souviens-toi l’été dernier est très sagement appliquée par Eli Roth, comme si son film arrivait avec près de trente ans de retard. Les étudiants qui se chamaillent dans les couloirs du lycée, le tueur masqué qui se faufile dans l’ombre, la police qui cherche des pistes, les relations orageuses entre enfants et parents, rien ne nous est épargné. Tous les clichés brocardés par Roth dans la bande-annonce de 2007 sont ici méthodiquement appliqués au premier degré. Certes, quelques répliques jouent la carte de la dérision (« bientôt ce ne seront pas les prix qui seront coupés en deux mais nous »), mais elles sonnent faux dans la bouche de personnages désespérément monolithiques. Même la scène du massacre de la cheerleader sur le trampoline – reprise du teaser – a perdu son caractère parodique. Sans chercher à suivre la voix des Scary Movie, Thanksgiving aurait tout de même pu nous offrir autre chose que ce film d’horreur sympathique, certes, mais bien peu novateur, malgré quelques scènes de suspense inventives et une poignée de meurtres franchement gratinés. Dommage par exemple qu’Eli Roth n’ait pas cherché à retrouver la saveur rétro décomplexée qu’avait adoptée son camarade Robert Rodriguez dans Planète terreur. Le résultat aurait sans doute été plus réjouissant et moins convenu.

 

© Gilles Penso


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LA TÊTE VIVANTE (1963)

Dans cette variante mexicaine du mythe de la momie ressuscitée, la tête tranchée d’un guerrier aztèque revient à la vie…

LA CABEZA VIVIENTE

 

1963 – MEXIQUE

 

Réalisé par Chano Urueta

 

Avec Abel Salazar, German Robles, Mauricio Garces, Ana Luisa Peluffo, Guillermo Cramer, Antonio Raxel, Eric de Castillo

 

THEMA MOMIES

Si La Tête vivante semble être la réponse mexicaine à La Momie d’Universal et à ses suites, il faut reconnaître que le scénario de Federico Curiel et Adolfo Lopez Portillo n’emprunte pas le schéma classique de l’ancien prince tombant amoureux de la réincarnation de sa belle. Le folklore Sud-Américain permet en effet d’écarter le film des clichés pseudo-égyptiens véhiculés par Hollywood (puis les studios anglais Hammer) sans se départir pour autant de l’inévitable vengeance d’outre-tombe frappant les imprudents profanateurs de sépulture. Par le biais de quelques stock-shots savamment disséminés, le prologue situé en 1525 se paie le luxe de nombreux figurants costumés et de panoramas aztèques grandioses. Nous y assistons à une cérémonie sacrificielle au cours de laquelle la tête du grand guerrier aztèque Acatl est enterrée en compagnie du grand-prêtre Xihu et de la princesse Zochiquati. Le flash-forward jusqu’aux années 60 emprunte le même procédé que Le Baron de la terreur : les années s’affichent à l’écran tandis que les images d’arrière-plan symbolisent le temps qui passe. Par cette simple signature visuelle, le réalisateur Chano Urueta inscrit ainsi les deux films dans une certaine continuité, comme faisant partie intégrante d’une « collection ».

En 1963, une expédition scientifique exhume donc les précieuses reliques. Le temps d’un plan surprenant, le corps parfaitement préservé de la belle Zochiquati part littéralement en fumée, comme si l’appel d’air provoqué par l’intrusion des archéologues avait brisé net sa conservation. Nos hommes se rabattent donc sur la tête d’Acatl et le corps vigoureux de Xihu, dans un excellent état d’embaumement. Après son entrée en matière emphatique, La Tête vivante joue la carte de l’économie, répartissant la quasi-totalité de son action dans deux appartements. Véritables équivalents latinos des Christopher Lee et Peter Cushing du cinéma anglais, German Robles et Abel Salazar se donnent une fois de plus la réplique, l’un dans le rôle d’un archéologue cartésien, l’autre sous la défroque d’un policier sceptique. Ensemble, ils s’efforcent d’élucider les meurtres rituels qui frappent un à un les membres de l’expédition.

« Personne n’a le droit de violer la paix des morts… »

L’archéologue se place en bute aux superstitions locales, incompatibles selon lui avec la science moderne. « Nous avons des fusées, nous préparons des voyages sur la Lune, Mars et Vénus » clame-t-il pour étayer sa thèse. Mais lorsque le cœur arraché des victimes est retrouvé près de la tête naturalisée d’Acatl, et lorsque le couteau brandi par la momie de Xihu dégouline de sang, le doute s’immisce peu à peu. Bientôt, le vénérable scientifique découvre que sa propre fille, envoûtée par l’anneau aztèque qu’elle porte au doigt (et qui clignote régulièrement à la manière d’un feu de détresse), n’est pas étrangère aux assassinats qui s’abattent sur son entourage. Le film s’achève sur une séquence de suspense assez efficace, au cours de laquelle tous les protagonistes sont sous influence hypnotique et menacent de se tuer les uns les autres, jusqu’à une révélation finale plutôt habile. Et notre héros de conclure révérencieusement : « personne n’a le droit de violer la paix des morts ».

 

© Gilles Penso


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