FLOW : LE CHAT QUI N’AVAIT PLUS PEUR DE L’EAU (2024)

Dans un monde englouti par un déluge apocalyptique, un chat noir et ses compagnons d’infortune tentent de survivre…

STRAUME

 

2024 – FRANCE / BELGIQUE / LETTONIE

 

Réalisé par Glints Zilbalodis

 

THEMA MAMMIFÈRES I FUTUR

Après sept courts-métrages, le réalisateur letton Gints Zilbalodis s’est fait connaître en 2019 avec un premier long-métrage primé, Ailleurs (Away), avant de remporter avec Flow pas moins de quatre prix au Festival d’Annecy, dont les convoités Prix du Jury et Prix du Public, ainsi que celui de la meilleure musique originale qui vient souligner avec délicatesse toute la beauté de ce film sans paroles. Nous y suivons les péripéties d’un jeune chat noir aux grands yeux écarquillés dans un monde semi-englouti. Les humains ont disparu, et quelques animaux tentent de survivre, réfugiés sur un bateau à la dérive. Sur cette arche providentielle, notre héros va devoir apprendre à affronter ses peurs, plonger et nager sous l’eau, attraper des poissons, et même partager le fruit de sa pêche avec des compagnons d’infortune dont les différences lui dictent de se méfier de leur monstruosité apparente : un capibara, plus gros rongeur du monde mais inoffensif, un chien doux suivi d’une meute excitée, un lémurien malin et un échassier énigmatique. Au fil de la montée des eaux, les paysages en ruine disparaissent, inondés par les variations de lumières naturelles dont un cruel zénith qui réclame un coin d’ombre, tandis que la faim tenaille les estomacs vides.

La bande de compères sapprivoise et s’adapte en faisant preuve d’une résilience commune pour survivre à ce déluge dont nous constatons les conséquences, sans en connaître l’origine, ni la raison de la disparition des hommes. Ce conte philosophique et poétique soulève donc de nombreuses questions qui resteront sans réponse, mais aussi un flot d’émotions fortes en nous rappelant que nous sommes tous des animaux sur un même bateau, avec des ressentis et des besoins vitaux communs, les mêmes peurs et frissons, attirances ou répulsions. Le réalisateur, grâce à l’expérimentation et la combinaison de procédés appartenant à l’animation et au jeu vidéo, et en utilisant le logiciel 3D Blender, raconte une histoire fabuleusement onirique et contemplative qui nous emmène dans un univers aussi bien fantasmé par moments (la séquences avec l’oiseau), qu’hyper réaliste par d’autres.

Une splendide épopée initiatique

Un message écologique rappelle discrètement en filigrane celui de Pierre Boule avec La Planète des Singes : à force de ne pas collaborer avec la nature, on ne sait finalement pas si l’Homme ne sera pas le grand perdant de cette destruction programmée. Le flux et le reflux des flots font tour à tour le bonheur des uns ou le malheur des autres, rappelant que chacun se nourrit au dépend d’autres espèces vivantes. Lorsque l’eau se retire, le chaton se retrouve impuissant à sauver lui-même le monstre aquatique qui lui a sauvé la vie. Point de jugement, de condamnation, de manichéisme, nous suivons le flow de cette odyssée que le cinéaste dessine avec une immense grâce, et qui fait la part belle à lamitié inter-espèces. Tout en évoquant l’effondrement des civilisations et les légendes sur les mondes engloutis ou disparus, alors que la marée se retire, nous acceptons ici, à la douceur du crépuscule, notre condition d’être vivant, dépendant d’un écosystème plus ou moins capricieux qui a inspiré à Gints Zilbalodis cette œuvre unique et magistrale !

 

© Quélou Parente


Partagez cet article

UROTSUKIDOJI : LA LÉGENDE DU DÉMON (1989)

Des monstres baveux et tentaculaires, de l’érotisme débridé et des catastrophes à grande échelle sont au programme de ce film animé apocalyptique…

CHÔJIN DENSETSU UROTSUKIDÔJI

 

1989 – JAPON

 

Réalisé par Hideki Takayama

 

Avec les voix de Tomohiro Nishimura, Tsutomu Kashiwakura, Hirotaka Suzuoki, Kenyuu Horiuchi, Yasunori Matsumoto, Youko Asagami, Maya Okamoto

 

THEMA DIABLE ET DÉMONS

Prolifique créateur de mangas depuis le milieu des années 70, Toshio Maeda a très tôt voulu s’amender des bandes dessinées tout public pour explorer des contenus plus adultes, plus subversifs et plus érotiques. Si le champ des possibles est alors assez vaste en ce domaine, la représentation d’appareils génitaux masculins reste interdite par la censure. Maeda contourne le problème en utilisant des tentacules phalliques. « Dessiner des rapports sexuels était – et est toujours – illégal au Japon », confirme-t-il. « C’est notre grand casse-tête : comment créer des scènes sensuelles intenses ? Il nous a fallu trouver des astuces. J’ai donc conçu une créature avec des tentacules qui ressemblent à des pénis. Les créatures n’ont pas de sexe. Une créature est une créature. Ce n’est donc pas obscène, ni illégal. » (1) Cette imagerie, chère au genre « hentaï » alimente la culture nippone depuis fort longtemps, comme en témoigne par exemple la fameuse peinture « Le Rêve de la femme du pêcheur » de Hosukai (1814) qui décrit un accouplement zoophile avec une pieuvre. Mais Maeda l’a popularisée à grande échelle, notamment via son œuvre la plus célèbre, la série « Urotsukidoji » publiée à partir de 1985. Deux ans plus tard, le réalisateur Hideki Takayama adapte ce manga sous forme de trois moyens métrages en animation directement destinés au marché vidéo, puis les combine sous forme d’un film unique en 1989. Ce sera Urotsukidoji : la légende du démon.

En tout début de métrage, nous découvrons la mythologie sur laquelle va se construire le récit. Trois mondes parallèles coexistent : le monde des Ninjinkaï, c’est-à-dire le nôtre ; le monde des Makaï, autrement dit les démons ; et le monde des Jujinkaï, des êtres mi-humains mi-bêtes. Ces univers cohabitent selon un équilibre fragile, mais une légende vieille de trois millénaires annonce la venue prochaine du Chojin, un être aux immenses pouvoirs qui saura réunir ces trois mondes en un grand tout harmonieux. Envoyé chez les humains depuis 300 ans, l’homme-bête Amano cherche désespérément qui sera le nouveau Chojin. Il est crucial qu’il le trouve avant les démons qui, eux aussi, sont sur sa trace. Il se pourrait que cet être tant convoité se cache sous les traits d’un étudiant de l’université Myojin. Le choix d’Amano se porte sur Osaki, vedette de l’équipe de basket. Mais sa sœur, femme-bête elle aussi, penche plutôt pour Nagumo, un lycéen un peu idiot victime de harcèlement. Alors que ce dernier commence à découvrir ses nouveaux pouvoirs, Amano découvre que quelque chose ne tourne pas rond. Et si le Chojin n’était pas une créature de paix mais un monstre dont les pouvoirs menacent le monde entier ?

Tous les excès sont permis

Tout le paradoxe d’une certaine culture populaire japonaise jaillit sur l’écran d’Urotsokidoji. Les petites créatures comiques, les écolières mignonnes et les romances sirupeuses côtoient les monstres visqueux, le gore le plus outrancier et l’érotisme graveleux et déviant. Côté « body horror », toutes les limites sont allègrement franchies : les corps se déchirent, les chairs se disloquent, les ventres s’ouvrent pour déverser des litres de substances visqueuses, les membres s’arrachent et expulsent des tentacules pantelants, les visages se déforment, se multiplient, se garnissent de crocs acérés et de langues démesurées. C’est comme si The Thing se multipliait par cent, comme si Giger s’accouplait avec Bosch, Druillet et Brueghel. Tandis que le sang, le feu, le sperme et toutes sortes de substances indéterminées aspergent les personnages sans la moindre retenue, le film de Takayama multiplie les images apocalyptiques et dantesques, comme ces centaines d’hommes et de femmes qui hurlent tandis qu’un hôpital se mue en antichambre de l’enfer et qu’un démon colossal digne de Lovecraft s’en extirpe. Sans compter ces visions parfaitement surréalistes d’un Enfer peuplé de créatures dont l’anatomie défie l’entendement, ou cette vision d’un futur cataclysmique où des femmes à quatre seins d’accouplent avec des démons ou sont pénétrées par des tentacules. La gratuité manifeste et provocatrice de certains passages d’Urotsukidoji peut laisser perplexe, mais le jusqu’au-boutisme de ce film fou et la qualité de sa réalisation feront date dans l’histoire du cinéma d’animation japonais. Deux autres longs-métrages seront produits dans la foulée : Urotsukidôji : Birth of the Overfiend (1990) et Urotsukidôji : Curse of the Overfiend (1990).

 

(1) Extrait d’une interview parue dans « Sake-Drenched Postcards » en janvier 2003

 

© Gilles Penso


Partagez cet article

TRANSFORMERS : LE COMMENCEMENT (2024)

Cet opus animé revient sur les origines d’Optimus Prime et Megatron, à l’époque où ils n’étaient que de simples robots ouvriers sur la planète Cybertron…

TRANSFORMERS ONE

 

2024 – USA

 

Réalisé par Josh Cooley

 

Avec les voix de Chris Hemsworth, Brian Tyree Henry, Scarlett Johansson, Keegan-Michael Key, Steve Buscemi, Laurence Fishburne, Jon Hamm

 

THEMA ROBOTS I SAGA TRANSFORMERS

En 2014, la « Transformania » bat toujours son plein. Depuis le premier Transformers de Michael Bay, les robots géants multiformes ravissent le grand public et les exploitants des salles de cinéma. Dans la foulée de la sortie du quatrième opus « live » de la saga, Transformers : l’âge de l’extinction, Paramount Pictures décide donc de mettre en place une « salle des scénaristes » spécialement dédiée à l’échange d’idées pour d’éventuels futurs opus. Ainsi, parallèlement au développement des épisodes suivants en prises de vues réelles (The Last Knight en 2017, Bumblebee en 2018, Rise of the Beasts en 2023), l’idée d’un long-métrage en animation commence à s’élaborer (le dernier en date, La Guerre des robots, était sorti en 1986). Lorsque le projet commence à se concrétiser, le metteur en scène Josh Cooley est embauché sur la foi de son travail chez Pixar (il fut notamment le réalisateur de Toy Story 4). Une fois n’est pas coutume, la mise en forme du film n’est pas confiée à un studio d’animation mais à une société d’effets spéciaux, en l’occurrence Industrial Light & Magic, qui signa justement les séquences en images de synthèse des précédents Transformers.

Co-signé par Andrew Barrer, Gabriel Ferrari et Eric Pearson, le scénario s’efforce de faire entrer en cohérence la mythologie originale des robots de Hasbro telle qu’elle fut définie dans les années 80 et les itérations plus récentes déclinées à travers divers jeux vidéo, comics et romans. Ce Transformers étant le premier de la franchise à ne comporter aucun personnage humain, il a hélas tendance à accentuer l’un des défauts récurrents de cette saga pétaradante : l’anthropomorphisme balourd de ses personnages. Nous sommes prêts à admettre l’idée d’une planète uniquement peuplée par des androïdes, pourquoi pas ? Mais si ces robots n’ont jamais côtoyé un seul être humain de leur vie, selon quelle logique imiteraient-ils à ce point nos tics, nos manies, nos expressions et nos comportements ? Ce travers – accentué par la prestation vocale excessive d’un casting de stars dominé par Chris Hemsworth, Brian Tyree Henry, Scarlett Johansson et Keegan-Michael Key – joue clairement en défaveur de la nécessaire suspension d’incrédulité des spectateurs.

Rien ne se crée, tout se transforme

Les deux personnages principaux (Orion Pax et D-16, qui ne s’appellent pas encore Optimus Prime et Megatron) étant des robots incapables de se transformer, ils se retrouvent tout en bas de l’échelle sociale aux côtés de milliers de machines ouvrières condamnées comme eux à extraire de l’énergie dans les bas-fonds de la cité. L’enjeu principal du scénario semble alors se résumer à la question suivante : parviendront-ils un un jour à se transformer ? Attention spoiler : la réponse est oui. Après une première demi-heure un peu pesante, Transformers : le commencement trouve enfin un second souffle salutaire qui permet à son intrigue de prendre une tournure plus intéressante, collectant dès lors les séquences d’action joyeusement extravagantes comme cette poursuite dans la forêt au cours de laquelle nos héros maîtrisent encore très mal leur capacité à se transformer. Esthétiquement, il n’y a rien à dire, c’est du très beau travail. Les textures métalliques des robots sont bluffantes de réalisme, les chorégraphies rivalisent de dynamisme et certains designs singuliers valent le détour, notamment cette cité inversée (avec les buildings tête en bas) ou le premier look de D-16 qui évoque beaucoup (est-ce volontaire ?) Le Golem de Paul Weggener. Au final, ce Transformers n’a rien de très révolutionnaire ni de bien mémorable, même si le spectacle s’apprécie sans ennui ni temps mort. Son ambition n’allant visiblement pas beaucoup plus loin, le contrat est rempli.

 

© Gilles Penso


Partagez cet article

AKIRA (1988)

Dans un Tokyo post-apocalyptique, la fracture sociale mène la population au bord du chaos, tandis que d’étranges mutants font leur apparition…

AKIRA

 

1988 – JAPON

 

Réalisé par Katsuhiro Otomo

 

Avec les voix de Mitsuo Iwata, Nozomu Sasaki, Mami Koyama, Taro Ishidan Tessho Genda, Mizuho, Suzuki, Tatsuhiko Nakamura, Fukue Ito, Kazuhiro Shindo

 

THEMA FUTUR I MUTATIONS

Lorsqu’il se lance dans l’écriture du manga « Akira » en 1982, Katsuhiro Otomo ne pense pas du tout à une adaptation au cinéma. Il change cependant d’opinion en apprenant qu’il peut avoir un contrôle total sur la transformation du matériau original en œuvre filmique. La production est en effet disposée à le laisser écrire et réaliser le long-métrage lui-même. Otomo s’associe alors avec Izo Hashimoto et travaille d’arrache-pied sur le scénario. S’il s’efforce de rester fidèle au manga, il va devoir imaginer un dernier acte de toutes pièces, puisque les albums sont alors encore en cours de publication. Alejandro Jodorowsky aurait visiblement eu une influence cruciale sur la fin du film. « Otomo me dit qu’il est bloqué sur Akira, qu’il ne trouve pas la fin », raconte le réalisateur franco-chilien. « Je suis saoul, je lui raconte une fin délirante que j’invente en même temps que je la raconte, je dessine tout sur une nappe et je la lui offre. Le lendemain, je ne me souviens de rien. Un jour, je reçois une lettre de lui où il me remercie de lui avoir donné la fin d’Akira. » (1) Étant donné l’épilogue démentiel du film, nous serions tentés de croire ce bon vieux Jodo, même si cet apport n’a jamais été officiellement confirmé. Toujours est-il que la production d’Akira se met en branle de manière atypique, à l’initiative d’un partenariat des plus grandes sociétés de divertissement japonaises réunies sous le nom de « Akira Committee ». Le budget du film est estimé à une dizaine de millions de dollars. Du jamais vu à cette époque.

En 2019, donc dans le futur, Neo-Tokyo, érigée sur les cendres de la capitale japonaise dévastée en 1988, est une poudrière. La ville est gangrenée par la corruption, en proie à des vagues de manifestations antigouvernementales, des attentats terroristes, et une violence urbaine omniprésente. Au cœur de ce chaos, Shōtarō Kaneda, leader d’un gang de motards appelé les Capsules, mène une lutte sans merci contre les Clowns, un gang rival. Mais lors d’un affrontement à haute vitesse, tout bascule. Le meilleur ami de Kaneda, Tetsuo Shima, percute accidentellement Takashi, un enfant mutant aux traits étrangement vieillissants et doté de pouvoirs paranormaux. Ce dernier s’est échappé d’un laboratoire gouvernemental, grâce à l’aide d’une mystérieuse organisation rebelle. L’incident attire l’attention du colonel Shikishima des Forces japonaises d’autodéfense, qui récupère Takashi et fait hospitaliser Tetsuo dans une installation gouvernementale ultra-secrète. Là, il découvre que le jeune homme développe des pouvoirs psychiques d’une ampleur inédite, comparables à ceux d’Akira, le mutant légendaire, dont la puissance démesurée serait responsable de la destruction de Tokyo trente ans plus tôt…

Les enfants de l’apocalypse

Akira est le premier long-métrage réalisé par Otomo, après plusieurs formats courts et moyens depuis le début des années 80. Ce grand plongeon est assurément un coup de maître. Sa mise en scène extrêmement dynamique, vivante, presque organique, montre à quel point l’auteur a su s’emparer du grand écran pour y transfigurer son œuvre graphique. Son monde futuriste n’a jamais semblé si dévasté, chaotique et miséreux. À 24 images par seconde, les affrontements des bandes de motards sur les routes, le lent naufrage des soulards qui s’échouent sur les comptoirs, la déchéance des gens qui dorment dans les rues, la colère des étudiants qui manifestent, la transformation des lycées en dépotoir prennent une dimension vertigineuse. Et tandis qu’Otomo met sous le feu des projecteurs la rébellion de la population – et surtout de la jeunesse – contre une autorité volontiers dictatoriale, la violence se fait crue, graphique, sans concession. C’est d’abord ce décalage entre le contexte purement science-fictionnel du récit et la réalité très tangible de sa fracture sociale qui font d’Akira un objet fascinant. Peu à peu, le film bascule dans une épouvante organique et charnelle, s’amorçant avec les cauchemars de Testsuo au cours desquels les jouets de sa chambre d’hôpital se muent en vecteur de terreur. Au cours de son dernier acte, Akira prend une dimension apocalyptique, multipliant les visions dantesques, les catastrophes à grande échelle, les hécatombes massives. Car les scientifiques apprenti-sorciers, comme toujours, se retrouvent impuissants face au monstre incontrôlable qu’ils ont créé… jusqu’à cette épouvantable mutation finale qui ferait presque pâlir d’effroi H.P. Lovecraft. On comprend mieux pourquoi Shinya Tsukamoto appellera Tetsuo son premier long-métrage. Et l’on ne compte plus le nombre de films, de bandes dessinées, de jeux vidéo, d’œuvres picturales ayant puisé leur inspiration dans Akira, assurément l’un des films d’animation les plus influents de tous les temps.

 

(1) Extrait d’un entretien publié dans « Vice » en Octobre 2009

 

© Gilles Penso


Partagez cet article

ROBOT SAUVAGE (LE) (2024)

Suite à un naufrage, un robot programmé pour assister les humains se retrouve sur une île peuplée d’animaux…

THE WILD ROBOT

 

2024 – USA

 

Réalisé par Chris Sanders

 

Avec les voix de Lupita Nyong’o, Pedro Pascal, Kit Connor, Bill Nighy, Stephanie Hsu, Matt Berry, Ving Rhames, Mark Hamill, Catherine O’Hara, Boone Storm

 

THEMA ROBOTS

Tout est parti d’une seule image, comme souvent. Un jour, Peter Brown dessine machinalement un robot dans un arbre. Interpellé par ce croquis, il laisse alors vagabonder son imagination : « Que ferait un robot intelligent s’il se retrouvait en pleine nature ? » Voilà comment est née l’idée du roman « Robot sauvage », élu en 2016 meilleur livre de l’année par le Publishers Weekly, et que l’auteur dédie « aux robots du futur ». Le nom de son personnage principal, Rozzum ou Roz, cligne de l’œil vers le roman « RUR » de Karel Capek, dont le titre est l’acronyme de « Rossum Universal Robots ». Chris Sanders découvre ce roman grâce à sa fille, et lorsque Dreamworks lui propose quelques années plus tard de l’adapter à l’écran, il ne lui faut pas longtemps avant d’accepter. « Le livre de Peter Brown était à la fois d’une simplicité trompeuse et d’une grande complexité émotionnelle », explique-t-il. « Au fil des pages, j’ai senti de plus en plus que j’étais la bonne personne pour porter ce livre à l’écran. Protéger le caractère et l’esprit d’une histoire tout en trouvant le moyen de la traduire au cinéma est une chose délicate, que l’on n’a qu’une seule chance de réussir. Je me suis senti capable de le faire » (1). Le Robot sauvage devient ainsi le cinquième long-métrage de Sanders après Lilo & Stitch, Dragons, Les Croods et L’Appel de la forêt. Auparavant, il œuvra sur les scénarios de La Belle et la Bête, Aladdin, Le Roi Lion et Mulan. De toute évidence, il était effectivement « la bonne personne ».

« Notre histoire commence sur l’océan, avec du vent, de la pluie, du tonnerre, des éclairs et des vagues ». C’est ainsi que commence le roman de Brown, et c’est exactement de cette manière que démarre le film, respectueux du matériau initial même s’il choisit de prendre plusieurs fois ses distances, notamment à travers certains personnages. Mais le cœur du récit est le même, résumé en une seule phrase par un renard moins brutal qu’il ne voudrait le faire croire : « La gentillesse n’est pas une technique de survie ». La nature nous est de fait décrite de manière assez crue dans le film, le plus fort mangeant sans cesse le plus faible. Mais l’intrusion parfaitement surréaliste de ce grand robot naufragé va changer la donne et finir par prouver que, contrairement à ce que semble prôner le code de conduite de la nature sauvage, la gentillesse peut aussi se muer en technique de survie. Les bons sentiments affleurent en effet dans Le Robot sauvage, mais avec un tel naturel qu’ils font mouche. Le film prend justement le risque de tourner le dos au cynisme pour laisser s’exprimer des émotions universelles.

« Je ne suis pas programmée pour être une mère ! »

D’emblée, Sanders s’amuse du décalage entre les services d’assistance que propose l’intelligence artificielle et les besoins primaires de la vie en pleine forêt. La puissance technologique de Roz nous semble bien dérisoire et hors de propos en tel contexte. Pour permettre au robot – et aux spectateurs – de comprendre le langage des animaux dans un vocabulaire intelligible, le film utilise une idée scénaristique extrêmement habile qui évoque beaucoup les jeux de John McTiernan sur l’interprétation des langues étrangères (dans des films comme À la poursuite d’Octobre Rouge ou Le Treizième guerrier par exemple). Les bêtes restent sauvages, mais Roz utilise un algorithme de traduction qui permet d’entendre leurs propos. Lorsque la machine se découvre un instinct maternel absolument pas prévu dans ses circuits, le récit amorce son grand tournant dramatique. « Je ne suis pas programmée pour être mère », s’affole-t-elle. « Personne ne l’est ! » lui répond une maman opossum. Le parti pris esthétique du film traduit la cohabitation étrange entre la machine et la forêt, au fil d’un équilibre audacieux entre l’approche hyperréaliste (la texture métallique du robot) et un rendu impressionniste (la nature et les animaux). Le fond et la forme entrent ainsi en phase de manière somptueuse, sous l’influence manifeste des travaux de Hayao Miyazaki. Résultat : Le Robot sauvage est probablement l’un des plus beaux films d’animation de l’année 2024.

 

(1) Extrait d’un entretien publié dans « Animation Magazine » en juin 2024.

 

© Gilles Penso


Partagez cet article

DRÔLE DE NOËL DE SCROOGE (LE) (2009)

Robert Zemeckis réinvente le célèbre conte de Dickens en sollicitant la même technologie que pour Le Pôle express et La légende de Beowulf

A CHRISTMAS CAROL

 

2009 – USA

 

Réalisé par Robert Zemeckis

 

Avec Jim Carrey, Gary Oldman, Colin Firth, Cary Elwes, Robin Wright, Bob Hoskins, Steve Valentine, Daryl Sabara, Sage Ryan, Amber Gainey Meade, Ryan Ochoa

 

THEMA CONTES I FANTÔMES

Après Le Pôle express et La Légende de Beowulf, Robert Zemeckis continue de délaisser provisoirement les prises de vues réelles pour poursuivre ses expérimentations dans le domaine de la performance capture, via les technologies développées au sein de la compagnie ImageMovers Digital qu’il a fondée en 2007. « Je suis tombé amoureux du cinéma numérique lorsque j’ai réalisé Le Pôle Express », affirme-t-il. « Depuis lors, je n’ai cessé de chercher des idées de films pouvant bénéficier de ce moyen d’expression artistique. Il y a quelques années, j’ai pensé que “A Christmas Carol“ fonctionnerait parfaitement dans ce format. Je suis donc immédiatement retourné lire le livre pour me rafraîchir la mémoire. J’ai alors réalisé que la performance capture pourrait être le moyen idéal de reprendre cette histoire classique que tout le monde connaît et de la revisiter d’une manière nouvelle et passionnante ». (1) Pour prêter voix et corps aux personnages en images de synthèse du film, Zemeckis sollicite Gary Oldman, Colin Firth, Cary Elwes, Robin Wright, Bob Hoskins et surtout Jim Carrey qui hérite non seulement du rôle de Scrooge à tous les âges de sa vie mais aussi de celui des trois fantômes qui lui rendent visite la nuit de Noël.

Comme le prouve le générique de début du Drôle de Noël de Scrooge, le cinéaste est toujours adepte des mouvements de caméra vertigineux en plan-séquence. La technologie 100% numérique se met ainsi au service de sa virtuosité et laisse le champ libre à sa folle inventivité. Plusieurs scènes du film sont ainsi conçues comme des « rides » immersifs parfaitement adaptés à un visionnage en relief. Chaque apparition spectrale induit d’ailleurs une idée forte de mise en scène différente, permettant autant de déclinaisons du principe du voyage dans le temps, un thème que l’on sait cher au réalisateur de Retour vers le futur. Si l’esprit des Noëls passés nous transporte dans une envolée immersive en continuité (le plan-séquence dure près de douze minutes !), celui des Noëls présents nous offre un étrange don d’ubiquité en plaçant sa narration sur deux plans physiques superposés (Scrooge et le spectre contemplent le monde des humains qu’ils survolent depuis une pièce dont le plancher est transparent). Quant à l’esprit des Noëls futurs, il joue sur les ombres portées et les changements d’échelle, Scrooge se retrouvant soudain ramené à la taille d’une souris dans une sinistre ville fantôme.

Carrey…ment effrayant

La fameuse « uncanny valley », qui donne le sentiment désagréable que les avatars numériques ont le regard vide et le teint cadavéreux, est toujours un peu gênante pour tous les personnages aux traits humains trop réalistes. Fort heureusement, elle s’évapore lorsque les physionomies sont plus volontiers caricaturales, notamment avec Scrooge lui-même et tous les fantômes qui viennent lui rendre visite à tour de rôle. La mise en scène déborde d’idées visuelles, la musique d’Alan Silvestri dote le conte d’une dimension épique et la direction artistique de Doug Chiang est somptueuse. Le Drôle de Noël de Scrooge a donc à peu près tout pour plaire. Mais sa tonalité semble poser problème, notamment le grand nombre d’éléments sans doute trop effrayants qui le ponctuent et qui s’adaptent mal à un public d’enfants (le surgissement horrifique des spectres, le caractère macabre des « enfants de l’ignorance et de la misère », le corbillard lancé aux trousses de Scrooge, le sépulcral esprit des Noëls futurs…). Sans doute est-ce une des raisons de l’accueil très mitigé que reçut le film lors de sa sortie. Ses résultats décevants au box-office, tout comme ceux de Milo sur Mars deux ans plus tard, finirent d’ailleurs par précipiter la fermeture de la compagnie ImageMovers Digital.

 

(1) Extrait d’une interview publiée dans Movieweb en novembre 2010.

 

© Gilles Penso


Partagez cet article

LÉGENDE DE BEOWULF (LA) (2007)

Robert Zemeckis s’empare du célèbre conte scandinave pour en livrer une version épique et spectaculaire en images de synthèse…

BEOWULF

 

2007 – USA

 

Réalisé par Robert Zemeckis

 

Avec Ray Winstone, Anthony Hopkins, John Malkovich, Robin Wright Penn, Brendan Gleeson, Crispin Glover, Alison Lohman, Angelina Jolie

 

THEMA HEROIC FANTASY I DRAGONS

Jusqu’alors, les cinéphiles amateurs du poème épique « Beowulf » n’avaient guère que le sympathique nanar avec Christophe Lambert ou le modeste long-métrage de Sturla Gunnarsson à se mettre sous la dent. Pourtant, dès 1997, l’écrivain Neil Gaiman (« Coraline », « American Gods ») et le scénariste Roger Avary (Pulp Fiction, Killing Zoe) travaillent sur une adaptation cinématographique de cette célèbre légende germano-scandinave. Robert Zemeckis prend aussitôt une option sur leur scénario, prévoyant de produire ce film et d’en confier la réalisation à Avary. Au départ, ce Beowulf est conçu comme une aventure d’heroic fantasy au budget raisonnable, dans la veine d’Excalibur ou de Jabberwocky, deux références qu’Avary apprécie particulièrement. Mais le projet tarde à se concrétiser et ne renaît de ses cendres qu’en 2005, lorsque Zemeckis formule le souhait de le réaliser lui-même et de revoir à la hausse ses ambitions pour l’adapter à la technologie de la performance capture qu’il a expérimentée avec Le Pôle Express. Neil Gaiman et Roger Avary revoient donc leur copie en élargissant considérablement le scope des séquences d’action. Puisque le rendu final sera 100% numérique, toute folie des grandeurs est la bienvenue. Les deux auteurs ne se privent pas et lâchent complètement la bride de leur imagination.

Nous sommes en l’an 507, au fin fond du Danemark. Accablé par le monstre Grendel qui vient de massacrer une grande partie de ses hommes, le roi Hrothgar cherche désespérément un valeureux guerrier susceptible de se débarrasser de la bête. Le fier Beowulf se propose, persuadé qu’il saura en venir à bout et ainsi inscrire son nom dans l’Histoire. Ses hommes et lui festoient donc bruyamment dans la salle des fêtes du royaume pour attirer le monstre, qui ne tarde pas à débarquer avec perte et fracas… C’est le point de départ d’une épopée grandiose qui s’affirme d’emblée comme un spectacle pour public adulte : Grendel est en effet un troll immonde et contrefait propre à susciter les pires cauchemars, la violence des combats s’assortit de démembrements et d’abondants jets de sang, un érotisme déviant nimbe l’ensemble de l’aventure, bref Zemeckis durcit volontairement le ton. La Légende de Beowulf se distingue aussi par sa volonté d’écarter tout manichéisme. Ici, le « sauveur » est un homme imbu de lui-même que l’on peut légitimement soupçonner de mythomanie, le roi est un lâche qui couve un lourd secret, son épouse une femme glaciale qui masque silencieusement ses meurtrissures. Quant à la bête, elle autant terrifiante que pathétique. Dans ce monde, les héros ne sont donc pas si héroïques et les monstres pas toujours monstrueux.

L’antre de la bête

Certes, le recours à la performance capture autorise des folies de mise en scène qui auraient sans doute été impossibles – où trop coûteuses – à obtenir en prises de vues réelles, notamment des plans-séquence dingues comme ce long travelling qui nous transporte dans les airs depuis le royaume de Hrothgar jusqu’à la caverne de Grendel. Mais l’on ne peut s’empêcher de se demander ce qu’aurait donné un tel film si les personnages humains avaient été incarnés par des acteurs en chair et en os plutôt que par leurs avatars numériques. D’autant que la ressemblance physique de ces « clones » avec leurs modèles réels (notamment Anthony Hopkins, Robin Wright, John Malkovich, Brendan Gleeson, Alison Lohman ou Angelina Jolie) donne parfois l’impression de voir un « brouillon » du résultat final, comme une sorte d’animatique provisoire. La qualité de la direction artistique et la sophistication des images de synthèse ne sont pas en cause. Mais cette imitation presque trop parfaite de la réalité manque toujours de cette étincelle de vie qui fait la différence et crée le fameux malaise indicible connu sous le nom de « uncanny valley », la « vallée étrange », celle qui sépare le « vrai » du « presque vrai ». La Légende de Beowulf reste cependant un spectacle de très haute tenue, une saga d’heroïc-fantasy comme on n’en avait pas vue depuis longtemps, gorgée de séquence fantasmagoriques étourdissantes comme la lutte contre les monstres marins, la bataille insensée au cours de laquelle le héros nu comme un ver affronte un Grendel déchaîné, ou encore le vertigineux combat final à flanc de dragon, le tout aux accents d’une bande originale puissante d’Alan Silvestri mêlant l’orchestre symphonique à des rythmes électroniques et à des chœurs sauvages. Voilà de quoi oublier la belle coupe peroxydée de Christophe Lambert.

 

© Gilles Penso


Partagez cet article

LIVRE DE LA JUNGLE (LE) (1967)

Le dernier long-métrage supervisé par Walt Disney est une relecture jazzy des écrits de Rudyard Kipling…

THE JUNGLE BOOK

 

1967 – USA

 

Réalisé par Wolfgang Reitherman

 

Avec les voix de Phil Harris, Sebastian Cabot, Bruce Reitherman, George Sanders, Sterling Holloway, Louis Prima, J. Pat O’Malley, Verna Felton, Clint Howard

 

THEMA EXOTISME FANTASTIQUE

Pilier du studio Disney depuis les années 1930, Bill Peet est à l’origine de quelques-uns des longs-métrages animés les plus célèbres de la compagnie. Mais le Merlin l’enchanteur de 1963 dont il écrit le scénario ne reçoit pas l’accueil enthousiaste espéré. Craignant d’avoir perdu momentanément le secret de la formule magique, tonton Walt demande à Peet de redoubler d’efforts pour l’adaptation du « Livre de la jungle », œuvre phare de Rudyard Kipling dont le studio a acquis les droits. Le scénariste s’efforce de conserver l’esprit des textes originaux mais invente plusieurs personnages additionnels, notamment une petite fille indienne prénommée Shanti et le roi Louie, « monarque » d’une troupe de singes turbulents qui, sous la plume de Kipling, vivaient sans le moindre chef et en parfaite anarchie. Soucieux de suivre de près chaque étape de fabrication du film, Disney n’apprécie guère le traitement de Peet, qu’il juge trop sérieux et trop effrayant. Le scénariste en prend ombrage, claque la porte du studio et restera fâché avec son ex-ami et employeur. C’est Larry Clemmons qui est chargé de reprendre les choses en main avec comme consigne principale d’oublier la prose de Kilpling et de s’amuser. Walt veut un long-métrage dynamique et dans l’air du temps, susceptible de plaire au plus grand nombre. Et c’est le vétéran Wolfgang Reitherman (La Belle au bois dormant, Les 101 dalmatiens, Merlin l’enchanteur) qui hérite de la mise en scène.

Pour les besoins de ce Livre de la jungle « new-look », la caractérisation de chaque personnage principal s’appuie sur une exubérance assumée, les dessinateurs et les animateurs étant invités à s’inspirer fortement de leurs interprètes vocaux pour dresser leurs portraits visuels. L’ours Baloo, devenu un bon vivant candide, la panthère Bagheera, représentant la voix de la sagesse, et le redoutable tigre Shere-Khan sont donc des caricatures respectives des comédiens Phil Harris, Sebastian Cabot et George Sanders. Le désopilant roi Louie (survivant du premier scénario de Bill Peet) est fidèlement modelé autour de la personnalité du chanteur Louis Prima. Le quatuor de vautours qui recueille le jeune héros, quant à lui, est un clin d’œil aux Beatles qui sont censés les interpréter mais qui finissent par passer leur tour. Leur look et leurs coupes de cheveux resteront volontairement influencés par les « Fab Four ». Le rôle vocal de Mowgli, de son côté, est confié à Bruce Reitherman, le fils du réalisateur.

Il en faut peu pour être heureux

Si l’on tient compte de son développement chaotique et du cahier des charges imposé par Walt Disney, on aurait pu logiquement s’attendre à un résultat balourd modernisant maladroitement sa source d’inspiration littéraire pour s’adapter aux goûts du public des sixties. Certes, les amoureux de Kipling ont de quoi crier au sacrilège. Pourtant, le miracle opère et le charme du film de Reitherman emporte l’adhésion dès ses premières secondes. Le voyage initiatique que vit Mowgli tout au long de cette aventure mouvementée et ses légitimes crises identitaires (sa place est-elle parmi les humains ou au milieu des animaux de la jungle ?) nous touchent d’autant plus qu’elles s’inscrivent dans une mise en forme visuellement très attrayante qui doit sans doute beaucoup à la version de Zoltan Korda. La bande originale exotique de George Bruns et les chansons inoubliables des frères Sherman contribuent bien sûr énormément au succès du Livre de la jungle et à la bonne humeur qu’il procure – laquelle contamina une grande partie des artistes à l’œuvre sur le film. « Quand nous avons travaillé sur la chanson “I wanna be like you“ que chantent le roi Louie et Baloo, tous les animateurs s’agitaient, sautaient sur les tables et dansaient ! » confirme Floyd Norman, qui signa les storyboards des séquences clés du film (1). Walt Disney s’éteignit avant que le film ne soit achevé, provoquant une grande inquiétude au sein du studio. La compagnie de Mickey allait-elle survivre à son créateur ? Le succès gigantesque du Livre de la jungle prouva que oui. À ce jour, il s’agit d’un des longs-métrages animés Disney les plus aimés du public, toutes générations confondues.

 

(1) Propos recueillis par votre serviteur en avril 2018

 

© Gilles Penso


Partagez cet article

MARS EXPRESS (2023)

Une détective privée et son partenaire robotique mènent l’enquête sur la disparition de deux étudiantes sur la planète Mars…

MARS EXPRESS

 

2023 – FRANCE

 

Réalisé par Jérémie Perin

 

Avec les voix de Léa Drucker, Mathieu Amalric, Daniel Njo Lobé, Marie Bouvet, Sébastien Chassagne, Marthe Keller, Geneviève Doang, Thomas Roditi

 

THEMA ROBOTS I FUTUR

Suite au succès de la série d’animation Lastman, écrite par Laurent Sarfati et réalisée par Jérémie Périn d’après la bande dessinée de Balak, le producteur Didier Creste envisage d’en tirer un long-métrage et contacte logiquement les deux hommes pour plancher sur le projet. Mais Périn et Sarfati ont une autre idée en tête : un film d’animation futuriste s’appuyant sur un concept original. « La toute première idée était de faire de la science-fiction », explique le réalisateur. « Mais pas n’importe laquelle : de la hard SF. Le vertige que ce genre peut procurer nous manquait avec Laurent Sarfati. On visionnait toujours les mêmes films de SF qu’on adorait, et on en voulait d’autres » (1). La « hard science-fiction », autrement dit celle qui se met en quête d’un certain réalisme en s’appuyant sur des connaissances scientifiques tangibles, n’est pas la plus facile à traiter. Mais le défi n’effraie pas les duettistes, qui décident de spéculer sur les évolutions possibles de la robotique et de l’intelligence artificielle en insufflant à leur récit les codes hérités du film noir et du polar. Cette approche peut faire penser à Blade Runner, mais Mars Express parvient presque miraculeusement à échapper à l’influence du classique de Ridley Scott pour bâtir son propre univers.

Dans les années 2200 de Mars Express, l’humanité côtoie de près les « synthétiques », autrement dit des robots aux formes et aux fonctions multiples. La technologie a fait tellement de progrès que toutes les variantes sont possibles : des duplications de soi-même (pour abattre deux fois plus de travail grâce à un double cybernétique), des « augmentations » (qui permettent de muer les gens en cyborgs aux capacités physiques améliorées) ou des « sauvegardés » (des humains décédés répliqués sous forme d’androïdes au visage holographique). Or une nouveauté est en train de faire son apparition sur le marché : les « organiques », autrement dit des créations étranges qui n’utilisent aucune composante métallique et sembleraient presque issues d’un film de David Cronenberg. C’est dans ce contexte en pleine évolution qu’Aline Ruby, détective privé, et Carlos Rivera, version robotique de son partenaire mort depuis cinq ans, mènent l’enquête autour de la disparition de deux étudiantes sur la planète Mars. Leurs investigations mettent à jour des trafics et des secrets aux ramifications complexes…

Le parfait équilibre

Mars Express nous offre le plaisir rare de découvrir un film de science-fiction qui ne ressemble à rien de connu, qui ne cligne de l’œil vers aucun classique de la culture populaire ni ne s’inscrit dans aucune franchise de studio. Et même si Jérémie Périn assume et cite ses sources (Terminator 2, Ghost in the Shell, Métal Hurlant), elles ne viennent jamais contaminer sa propre esthétique, très personnelle, aux confluents des classiques de l’animation française et japonaise. « On n’échappe jamais aux influences extérieures quand on réalise un film, et c’est normal », confesse-t-il. « J’avais envie de trouver une esthétique qui donne une impression de réel au dessin » (2). La quête du réalisme (dans les mouvements, les expressions, les perspectives, les architectures) s’équilibre d’ailleurs parfaitement avec une certaine simplicité de traits qui, comme dans J’ai perdu mon corps de Jérémy Clapin, s’approprie les techniques de l’animation 3D tout en retrouvant la saveur du dessin animé « à l’ancienne », dans les pas d’un René Laloux ou d’un Jean-François Laguionie. La mise en scène millimétrée de Périn (débordant d’idées visuelles et narratives) s’associe ici aux rebondissements d’un scénario qui ne cesse de surprendre en changeant plusieurs fois en cours de route de point de vue et donc de protagoniste principal, achevant de positionner Mars Express aux côtés des meilleurs longs-métrages animés de SF, toutes origines confondues.

 

(1) et (2) Extraits d’une interview publiée sur CNC.fr en mai 2024

 

© Gilles Penso


Partagez cet article

AVENTURES DE IMPY LE DINOSAURE (LES) (2006)

Un zoologue excentrique vit tranquillement avec ses animaux sur une île volcanique jusqu’au jour où un œuf préhistorique s’échoue sur la plage…

URMEL AUS DEM EIS

 

2006 – ALLEMAGNE

 

Réalisé par Reinhard Klooss & Holger Tappe

 

Avec les voix de P.J. Battisti, Madeleine Blaustein, Wigald Boning, Pete Bowlan, J. David Brimmer, James Carter Cathcart, Anke Engelke, Florian Halm

 

THEMA DINOSAURES

Les romans pour enfants de Max Kruse, publiés dans les années 70, sont de véritables institutions en Allemagne. Le plus fameux d’entre eux est « Urmel aus dem Eis », traduit en France sous le titre « Plodoc, diplodocus de choc », vendu à des millions d’exemplaires et suivi par pas moins de onze volumes. Très vite, le petit dinosaure germanique se décline en produits dérivés et en série télévisée, mais son arrivée sur le grand écran s’avère bien tardive. Il faut attendre le développement des images de synthèse outre-Rhin et l’impulsion du studio Bavaria pour que l’adaptation cinéma de « Plodoc » voit enfin le jour. Aux commandes des Aventures d’Impy le dinosaure, on trouve les réalisateurs Reinhard Klooss et Holger Tappe. Le premier est surtout connu pour ses activités de producteur (sur des œuvres aussi diverses que Prince Vaillant, Astérix et Cléopâtre contre César ou Mortel transfert), le second est un transfuge du film publicitaire et du jeu vidéo (qui co-réalisa Le Monde de Gaya avec Lenard F. Krawinkel) et le projet a tout d’une superproduction. Même le compositeur Hans Zimmer, superstar internationale du monde de la bande originale, est à pied d’œuvre pour superviser la musique du film, confiée au talentueux James Michael Dooley.

Face aux moyens considérables mis en chantier pour assurer un succès immédiat au dinosaure vert et à ses compagnons de tous poils, nous étions en droit d’attendre un fier rival des productions Pixar ou Dreamworks. La déception est donc de taille. Malgré trois années de développement intense et soixante infographistes recrutés à temps plein pour gérer l’animation 3D et les sessions de motion capture, la qualité graphique des Aventures de Impy le dinosaure surpasse à peine celle d’un Oui-Oui ou d’un Adibou, et souffre sérieusement de la comparaison avec Le Manège enchanté produit à l’époque en nos contrées par les studios Pathé. Le design des personnages laisse perplexe, les textures manquent singulièrement de finesse et l’animation est loin d’être en phase avec les progrès du début des années 2000. Si l’on jette un coup d’œil rétrospectif à Toy Story, premier long-métrage du genre – réalisé il quatorze ans plus tôt -, force est de constater qu’aucune séquence de Impy n’arrive à la cheville du chef d’œuvre de John Lasseter.

Dino Junior

Ces carences techniques trouvent leur écho dans les errances du scénario de Oliver Huzly, Reinhard Kloos et Sven Severin, qui s’encombre de personnages inutiles (Tim, le neveu du professeur, n’a clairement aucun rôle à jouer ici) et de changements de personnalités illogiques (le roi Pumponell, tour à tour cruel ou sympathique). Une grande part des faiblesses du film s’évapore pourtant aux yeux du public auquel il est destiné, autrement dit les cinéphiles en culotte courte âgés de trois à sept ans. Contrairement à certaines idées reçues, ces spectateurs-là sont aussi exigeants que leurs homologues adultes, mais ils ne placent évidemment pas leurs critères de goût au même niveau. L’exubérance des personnages, la vivacité multicolore de l’univers visuel et la variété infinie des péripéties sont propres à faire de Impy un spectacle très agréable pour la tranche d’âge qu’il cherche à séduire. A la différence d’un Shrek ou d’un Ratatouille, et malgré quelques clins d’œil destinés aux « grands » (le générique de fin au cours duquel tout le monde danse sur le tube « We are family »), Les Aventures de Impy le dinosaure ne trouvera donc faveur qu’auprès de ceux n’ayant pas encore atteint leurs dix printemps.

 

© Gilles Penso


Partagez cet article