CENDRILLON (1950)

Mis à mal par la Seconde Guerre mondiale, le studio Disney renaît de ses cendres grâce à ce conte de fée qui servira de modèle à tous les autres…

CINDERELLA

 

1950 – USA

 

Réalisé par Clyde Geronimi, Wilfred Jackson, Hamilton Luske

 

Avec les voix de Ilene Woods, James G. MacDonald, Eleanor Audley, Rhoda Williams, Lucille Bliss, Luis Van Rooten, Verna Felton, William Phipps, June Foray

 

THEMA CONTES

Quand Cendrillon sort sur les écrans en 1950, le studio Disney n’a plus droit à l’erreur. Presque une décennie s’est écoulée depuis Bambi, et les caisses ne sont plus autant remplies qu’avant. La Seconde Guerre mondiale a condamné l’empire de Mickey à multiplier les films à sketchs (Mélodie Cocktail, Coquin de printemps…), tandis que Fantasia et Pinocchio, malgré leur génie artistique, ont plombé les finances. Le conte de Perrault, resté longtemps en suspens, devient alors une mission de sauvetage. Car si cette production à trois millions de dollars ne rameute pas le public en masse, c’est la fin de l’animation chez Disney. Heureusement, la magie opère. Cendrillon marque en effet un retour triomphal aux longs-métrages animés et, plus encore, au conte de fées purs et durs. Car le film reprend l’équation gagnante de Blanche-Neige et les sept nains : une héroïne douce et persécutée, un château scintillant à l’horizon, un bestiaire attachant et des chansons qui font avancer le récit. Mais loin d’être une simple redite, Cendrillon affine la formule, la rend plus lisible, plus fluide, plus «disneyenne» en somme.

Si la mise en scène peut sembler sage comparée à l’inventivité visuelle des opus précédents, c’est que chaque plan a été savamment pensé en amont. Près de 90 % des séquences ont été tournées en prises de vue réelles avant d’être animées, un procédé économique mais aussi terriblement efficace. La scène du bal, par exemple, tire sa force de cette précision millimétrée qui transforme une valse en quasi-rituel magique. La robe de Cendrillon, surgissant sous les étincelles de la bonne fée, devient une icône instantanée de l’imaginaire collectif. Mais la vraie trouvaille du film, ce sont les souris. Jacques et Gus-Gus, fripouilles au grand cœur, volent la vedette dans des séquences de cartoon pur. À travers eux, l’humour s’invite dans un conte souvent moralisateur. Le chat Lucifer, pantin du mal domestique, en est le parfait contrepoint : sournois, grotesque, savoureusement cruel. Ces scènes animalières, qui auraient pu alourdir le récit, donnent au contraire un relief burlesque qui équilibre le classicisme du reste.

L’empire Disney contre-attaque

Sur le plan narratif, le film joue la simplicité : pas de quête épique, juste l’espoir d’échapper à une vie de servitude. Le prince, pour sa part, est réduit à un pur symbole : il n’a ni nom, ni personnalité, juste une fonction. Et c’est bien Cendrillon qui porte le film. Sa résilience silencieuse et sa douceur sans mièvrerie en font l’archétype même de la princesse Disney, matrice de toutes celles qui suivront. Bien sûr, la symbolique de l’ascension sociale de notre héroïne – rendue possible à condition de gentiment se conformer aux usages princiers et à une future vie de femme au foyer qu’on imagine docile – semble aujourd’hui très datée. Nous sommes alors au début des années 50, et Cendrillon est le reflet logique des mentalités de l’époque. Il n’empêche qu’au moment de sa sortie en salles, le film est un succès colossal, sauve les studios, relance le merchandising, et marque l’entrée de Disney dans une nouvelle ère. En coulisses, Walt se détache peu à peu du dessin animé pour se tourner vers la télévision, les films live, et un certain parc à thème en Californie. Mais Cendrillon reste la pierre angulaire de ce tournant, une œuvre-charnière, à la fois fin d’un cycle et promesse du retour triomphal d’un empire vacillant.

 

© Gilles Penso

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GÉANT DE FER (LE) (1999)

Le premier long-métrage de Brad Bird est un chef d’œuvre de SF contant dans l’Amérique des années 50 l’amitié entre un jeune garçon et un robot…

THE IRON GIANT

 

1999 – USA

 

Réalisé par Brad Bird

 

Avec les voix de Eli Marienthal, Harry Connick Jr., Jennifer Aniston, Vin Diesel, James Gammon, Cloris Leachman, Christopher McDonald, John Mahoney

 

THEMA ROBOTS

À la fin des années 90, un vent d’audace souffle sur les studios Warner. Tandis que Disney domine le marché avec ses comédies musicales animées, un projet radicalement différent voit le jour : Le Géant de fer. À sa tête, Brad Bird, un ancien de chez Mickey désireux de faire bouger les lignes, après être passé par Les Simpsons où il aiguise sa narration et son sens du rythme. L’idée vient du roman The Iron Man, écrit par le poète Ted Hughes à l’attention de ses enfants. Embauché par Warner qui en a acquis les droits d’adaptation, Brad Bird propose de transposer l’histoire dans l’Amérique paranoïaque des années 50, au beau milieu de la guerre froide. Il injecte dans le scénario une vision personnelle, plus dramatique, en supprimant les chansons prévues initialement. Pas question pour lui de faire du Géant de fer une comédie musicale. Le film bénéficie d’une liberté créative rare pour un film de studio. Affichée sur les murs pendant la production, la question « Et si une arme avait une âme… et refusait de tuer ? » finit par devenir le mantra de tous les artistes à l’œuvre sur le film, reflétant la volonté de l’équipe de donner une dimension humaine au robot vedette. Loin des standards du genre, Le Géant de fer se dessine alors comme un OVNI. Ni conte musical, ni comédie familiale, il s’agira d’une fable pacifiste portée par une mise en scène d’une rare maturité.

Rockwell, Maine, 1957. Une nuit, un objet mystérieux tombe du ciel et s’écrase dans la mer. Le jeune Hogarth Hughes, rêveur invétéré et amateur de science-fiction, finit par le retrouver. C’est un robot géant, de plusieurs mètres de haut, aux yeux expressifs et à la curiosité d’enfant. Amnésique, pacifique et affamé de ferraille, le colosse devient l’ami improbable du garçon, qui s’efforce de le garder caché du monde. Avec l’aide de Dean, un ferrailleur marginal au look de beatnik, Hogarth installe le robot dans une décharge, où il peut s’alimenter sans alerter les autorités. Mais un agent du gouvernement, Kent Mansley, débarque en ville, bien décidé à enquêter sur les phénomènes étranges rapportés par les pêcheurs. Il flaire le mensonge du garçon et s’installe même chez les Hughes pour mieux le surveiller. À mesure que leur amitié se renforce, Hogarth découvre les capacités extraordinaires du géant… mais aussi ses zones d’ombre. Lorsqu’il est menacé, le robot semble activer un mode défensif redoutable, révélant une technologie de guerre enfouie. Qui est-il vraiment ? Une arme ? Un être pensant capable de choisir sa voie ?

« Et si une arme avait une âme ? »

À sa sortie en 1999, Le Géant de fer passe presque inaperçu. Et pourtant, vingt-cinq ans plus tard, il est devenu culte, considéré par beaucoup comme l’un des plus beaux films d’animation de tous les temps. Porté par une mise en scène d’une étonnante sobriété, le premier long-métrage de Brad Bird touche par ce qu’il évite : pas d’humour forcé, pas de clins d’œil appuyés, pas de morale assénée. À la place, une élégance discrète et une émotion à fleur de peau. Le design du robot, œuvre du talentueux Joe Johnston — maître d’œuvre de plusieurs concepts visuels de la première trilogie Star Wars et réalisateur de Rocketeer — est un modèle de lisibilité graphique. Son apparente simplicité, avec ses formes géométriques rétro et ses yeux lumineux, cache une expressivité bouleversante. Le géant n’a ni bouche ni sourcils, et pourtant il « joue », à la manière d’un acteur silencieux du muet. La musique de Michael Kamen accompagne ce ballet d’acier avec une douceur inattendue. Le compositeur livre ici une œuvre ample, mélodique, lyrique, qui épouse les émotions du récit. Enfin, difficile de ne pas saluer la finesse de l’écriture. Les personnages secondaires — notamment Dean, l’artiste outsider et Annie, mère courage — sont dessinés avec tendresse, tandis que le regard porté sur l’Amérique des années 50 évite la caricature. Le Géant de fer parle de choix, de peur, de sacrifice… mais aussi, et surtout, d’humanité. Un chef-d’œuvre discret qui continue de grandir avec le temps.

 

© Gilles Penso

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VOYAGE DE CHIHIRO (LE) (2001)

Après Princesse Mononoké, Hayao Miyazaki imagine l’aventure initiatique d’une fillette perdue dans un monde à la fois magique et cauchemardesque…

SEN TO CHIHIRO NO KAMIKAKUSHI

 

2001 – JAPON

 

Réalisé par Hayao Miyazaki

 

Avec les voix de Rumi Hiiragi, Miyu Irino, Mari Natsuki, Takashi Naitô, Yasuko Sawaguchi, Tatsuya Gashûin, Ryûnosuke Kamiki, Yumi Tamai, Yô Ôizumi

 

THEMA CONTES

En 1997, après l’immense aventure Princesse Mononoké, Hayao Miyazaki songe à prendre du recul. L’homme, perfectionniste jusqu’à l’obsession, sort exténué de la production. Son rêve ? Se consacrer au musée Ghibli et enfin laisser les jeunes prendre le relais. Mais la disparition prématurée de Yoshifumi Kondō, pressenti comme son successeur, le bouleverse. L’idée de raccrocher s’éloigne… Peu à peu, un nouveau projet prend forme. À l’origine, Miyazaki pense adapter La Cité des brumes oubliées de Sachiko Kashiwaba, l’histoire d’une fillette prisonnière d’un monde étrange. Si le projet est d’abord refusé, l’idée reste tapie dans un coin de sa tête. Tout change lorsqu’il séjourne chez un ami à la montagne. Là, cinq fillettes en vacances mettent son imagination en ébullition. L’une d’elles, discrète, un peu renfermée, l’inspire particulièrement. Miyazaki comprend qu’il n’a encore jamais directement parlé aux enfants de cet âge — à l’orée de l’adolescence, à cette génération flottante entre insouciance et inquiétudes. Il décide de leur offrir une héroïne à leur image. Ainsi naît Chihiro. Le décor du film, une maison de bains peuplée de créatures mythologiques, s’ancre dans un imaginaire japonais ancien. Miyazaki y injecte aussi une dimension plus personnelle. Car cette fourmilière en perpétuelle activité évoque le quotidien du studio Ghibli lui-même, avec sa hiérarchie, ses responsabilités, son rythme effréné. Le personnage de Yubaba ? Un clin d’œil à Toshio Suzuki, le producteur. Kamaji, l’homme-araignée du sous-sol ? Un double à peine déguisé de Miyazaki. Mais au-delà de l’autoportrait et de l’hommage au folklore nippon, Le Voyage de Chihiro sera avant tout une quête universelle.

Chihiro, dix ans, est en route vers sa nouvelle maison quand ses parents s’égarent et découvrent un parc à l’abandon. Attirés par la nourriture d’un étrange stand désert, ils s’empiffrent sans retenue… et se changent en porcs. Terrifiée, Chihiro se retrouve piégée dans un univers parallèle, un monde d’esprits où la magie et la tradition se mêlent à la cruauté. Pour survivre, elle doit accepter un contrat dans la maison de bains de Yubaba. Son nom lui est arraché, son identité effacée : elle devient « Sen ». Dans cet univers codifié, on ne s’impose qu’à la force du labeur et du courage. Nettoyer un dieu-pollué, supporter les caprices d’un bébé géant, résister aux illusions de l’or, autant d’épreuves qui, à chaque étape, forgent son caractère. Autour d’elle gravitent des figures ambivalentes : Kamaji le grincheux au grand cœur, Haku l’ambigu serviteur-dragon, l’effrayant Sans-Visage, créature qui révèle ce que chacun veut y voir. Tous incarnent des leçons de vie : la loyauté, la perte, l’attachement au nom. En regagnant son identité, Chihiro se sauvera elle-même et sauvera ses parents, métaphore évidente de l’enfant qui doit grandir pour libérer ceux qui l’ont élevé.

Chihiro au pays des merveilles

Si Le Voyage de Chihiro semble si déconnecté des codes du cinéma mondial, c’est d’abord parce que Miyazaki l’a construit sans script finalisé, laissant le récit se façonner au fil du storyboard. Cette méthode organique, si risquée en production, se traduit à l’écran par une fluidité presque instinctive. L’animation mêle avec brio dessin traditionnel et retouches numériques subtiles (liquides, reflets, jeux de lumière…). Mention spéciale au travail minutieux de la coloriste Michiyo Yasuda et à la partition envoûtante de Joe Hisaishi, qui offre au film une dimension émotionnelle intense. Avec plus de 20 millions d’entrées au Japon, le film est un triomphe qui détrône même Titanic. À l’international, il dépasse les 200 millions de dollars avant même sa sortie américaine. La critique est unanime. Certains y voient un Alice au pays des merveilles version shintoïste, d’autres saluent la subtilité de son discours écologique, spirituel et féministe. Mais au-delà de l’analyse, Le Voyage de Chihiro touche une corde universelle. C’est l’histoire de l’enfance qui se transforme, du nom qu’on oublie pour mieux se retrouver. C’est un conte, mais aussi une leçon de dignité, une ode au travail, au respect des traditions et à la persévérance. Couronné de l’Oscar du meilleur film d’animation en 2003, lauréat de l’Ours d’or à Berlin — une première pour un dessin animé —, Chihiro hisse l’anime au rang d’art majeur et prouve une fois de plus que Miyazaki est décidément un artiste unique en son genre.

 

© Gilles Penso

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BOSSU DE NOTRE-DAME (LE) (1996)

Les studios Disney proposent une nouvelle adaptation du classique de Victor Hugo, une de leurs productions les plus adultes

THE HUNCHBACK OF NOTRE-DAME

 

1996 – USA

 

Réalisé par Gary Trousdale et Kirk Wise

 

Avec les voix de Tom Hulce, Demi Moore, Kevin Kline, Tony Jay, Jason Alexander, Mary Wickes, Frank Welker

 

THEMA FREAKS

Les années 90 constituèrent le second âge d’or des studios Disney : sur le plan artistique, avec une nouvelle génération d’animateurs, mais aussi quantitativement, sous la direction de Jeffrey Katzenberg qui imposa la production d’un long-métrage animé par an dès 1988. Tel un rouleau compresseur, chaque millésime dominait le box-office international et s’accompagnait d’un raz-de-marée de produits dérivés qui déferlèrent dans les linéaires de nos supermarchés jusqu’aux menus enfants des fast-food. Une nouvelle adaptation de Notre-Dame de Paris de Victor Hugo par Disney, aussi aseptisée allait-elle pouvoir être, constituait donc un projet osé de par l’absence de figures princières ou animalières se prêtant facilement à la production de poupées et jouets. Inconscience ou courage, c’est pourtant Katzenberg lui-même qui valide le projet et choisit judicieusement de le confier à Gary Trousdale et Kirk Wise, réalisateurs de La Belle et la Bête qui offrit aux studios Disney une nomination à l’Oscar dans la catégorie du meilleur film, et qui leur valut d’être déjà acclimatés à une certaine sensibilité française. Avec un rythme de productions requérant de travailler sur plusieurs films en parallèle, des studios satellites virent le jour pour soutenir les équipes principales de Californie, en Floride mais également en France, ce qui s’avéra payant pour le projet. Paul et Gaetan Brizzi, réalisateurs/animateurs sur les films d’animation Astérix des années 70 puis La Bande à Picsou pour Disney, se retrouvent ainsi à la tête du studio de Montreuil. Leur première mission sur Le Bossu de Notre-Dame est de reprendre à zéro le travail sur la séquence d’ouverture suite à l’ajout d’une chanson.

Cette séquence figure parmi les plus grandes réussites du studio. S’ouvrant sur une représentation divine des tours de Notre-Dame émergeant au-dessus des nuages pour tutoyer le paradis, le plan plonge ensuite sans coupe jusqu’au ras des pavés d’une rue animée de Paris dans laquelle les habitants déversent leur déchets, révélant en fin de course une vue en contre-plongée de la cathédrale, signifiant cette fois le point de vue terrestre et humain, une dichotomie au cœur de l’histoire, Quasimodo étant lui-même perçu comme un monstre issu des enfers et un ange salvateur. La suite de la séquence est à l’avenant : les cadres et l’animation, alliés à une partition et un texte au lyrisme d’une ambition narrative rare, contribuent à poser le ton du récit, d’un sérieux et d’une noirceur que les apartés comiques hors-sujet des gargouilles (la faute à Kirk Wise, plus porté sur le « cartoon » que le drame pur) ne parviendront jamais vraiment à éliminer. Les frères Brizzi réalisent une seconde séquence chantée mettant en scène Frollo en proie à ses démons intérieurs et son désir luxurieux réprimé pour Esmeralda (et bien que Disney ait pris soin de faire de reconvertir Frollo d’archevêque en juge, il n’en conserve pas moins une autorité cléricale). La partition d’Alan Menken (La Petite boutique des horreurs, La Petite sirène, Aladdin, La Belle et la Bête) et Stephen Schwartz (parolier et compositeur de Broadway à qui l’on doit Wicked) extrapolait déjà sur le « Dies Irae » lors de l’ouverture, soutenu par des cloches battant la mesure comme pour célébrer une messe. Pour la chanson « Hellfire » de Frollo, le même thème est repris dans une tonalité lugubre illustrant la dualité du personnage, son dilemme intérieur, entre vertu et instincts inavouables. De grandes figures encagoulées jettent l’opprobre sur le pêcheur alors que le feu dans la cheminée dessine la silhouette d’Esmeralda dansant lascivement ; dans le storyboard des Brizzi elle était nue, mais on ne s’étonnera pas que son anatomie soit cachée dans la version finale, la production anticipant les recommandations de la MPAA (qui ne demandera in fine qu’à atténuer la respiration aux accents lubriques du juge lorsqu’il renifle les cheveux d’Esmeralda) pour échapper à une classification PG (Parental Guidance) plutôt que U (tous publics) qui porterait préjudice à la carrière du film.

Il est venu le temps des cathédrales

Bien qu’une production Disney doive toujours se plier à un cahier des charges strict autour des thématiques jugées trop adultes, le choix de Demi Moore pour prêter sa voix à la flamboyante brune s’avère des plus évocateurs, car elle venait de tourner Proposition indécente, Harcèlement et Strip-Tease, sorti aussi en 1996, une façon de caractériser le personnage en utilisant des références connues des seuls parents. Si la contribution des frères Brizzi est essentielle, le reste du métrage ne démérite pas. Le Paris historique bénéficie notamment d’un degré de finition remarquable. L’animation est soignée, et l’on notera la qualité du travail de James Baxter (animateur de Belle et Rafiki) sur Quasimodo, dont les proportions ne facilitent pas le dessin sous des angles complexes. Voir par exemple l’excellente tenue de l’animation lors de la séquence « Out There » lorsque le personnage escalade ou glisse le long d’une cathédrale modélisée en 3D permettant d’amples mouvements de caméra. Le numérique viendra aussi renforcer les rangs des figurants lors de la fête des fous – ceux-ci paraissent bien rudimentaires aujourd’hui, mais la gestion de foule suivant une panoplie de mouvements standards annonce déjà le travail de WETA et leur logiciel Massive sur Le Seigneur des Anneaux. Le Bossu de Notre-Dame n’est pas le film d’animation Disney le plus populaire, mais après Pocahontas, il témoigne de l’émancipation artistique de la nouvelle génération d’animateurs en place depuis Basil, détective privé, mettant l’accent sur des histoires plus dramatiques centrées sur des personnages adultes plutôt que les éléments « disneyens » habituels. Une approche qui explique peut-être, en plus de la concurrence des films d’animations numériques Pixar et Dreamworks, le succès déclinant de l’animation traditionnelle. Le duo Trousdale/Wise se reformera une ultime fois pour Atlantide, l’empire perdu, une autre réussite inspirée de l’œuvre d’un autre auteur français, Jules Verne.

 

© Jérôme Muslewski

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PRINCESSE MONONOKE (1997)

La quête d’équilibre entre l’homme et la nature est au cœur de ce conte somptueux et tragique, peut-être l’une des plus belles œuvres d’Hayao Miyazaki…

MONONOKE-HIME

 

1997 – USA

 

Réalisé par Hayao Miyazaki

 

Avec les voix de Yôji Matsuda, Yuriko Ishida, Yûko Tanaka, Kaoru Kobayashi, Masashiko Nishimura, Tsunehiko Kamijô, Sumi Shimamoto, Tetsu Watanabe

 

THEMA SORCELLERIE ET MAGIE I CONTES

Princesse Mononoke est le fruit d’une gestation longue et complexe, débutée dès la fin des années 1970 dans les carnets de croquis de Hayao Miyazaki. Initialement envisagée comme une adaptation sombre de La Belle et la Bête, l’histoire évolue au fil des années pour devenir une épopée mythologique ancrée dans l’ère Muromachi (1333-1573), une période charnière de l’histoire japonaise. Le projet est mis de côté pendant plusieurs années, notamment en raison de son ton jugé trop sombre pour une adaptation télévisée destinée aux enfants. Ce n’est qu’en 1995 que Miyazaki reprend le projet, transformant radicalement l’intrigue et les personnages pour aboutir à une œuvre plus complexe et ambitieuse. Le personnage principal devient Ashitaka, un jeune prince en quête de rédemption, tandis que la princesse San est élevée par des loups et incarne la lutte pour la préservation de la nature. La production du film s’annonce comme un véritable défi technique. Avec plus de 140 000 dessins à réaliser, dont 80 000 retouchés personnellement par Miyazaki, Princesse Mononoke repousse les limites de l’animation traditionnelle. Le film intègre également environ 10 % d’images de synthèse, principalement pour les effets de fluides et de particules, une première pour le Studio Ghibli.

L’histoire s’ouvre sur Ashitaka, un jeune prince d’une tribu reculée, qui est maudit après avoir tué un dieu sanglier devenu démoniaque. Condamné à une mort certaine, il part vers l’ouest à la recherche d’un remède. Son voyage le mène à la rencontre de Dame Eboshi, dirigeante de la forge des forges, une communauté industrielle qui exploite les ressources de la forêt pour prospérer. Eboshi est une femme forte et déterminée, offrant refuge à des femmes autrefois marginalisées et à des lépreux, mais sa quête de progrès menace l’équilibre naturel. Ashitaka découvre également San, une jeune femme élevée par des loups, qui lutte pour protéger la forêt et ses esprits contre les incursions humaines. Pris entre ces deux mondes, Ashitaka cherche à instaurer un dialogue et à rétablir l’harmonie entre l’homme et la nature. Le conflit atteint son paroxysme lorsque les forces humaines et les esprits de la forêt s’affrontent, menaçant de détruire tout sur leur passage. Ashitaka et San doivent alors faire des choix cruciaux pour l’avenir de leur monde.

Danse avec les loups

Rarement film d’animation aura su mêler avec autant de justesse le souffle du grand récit et la complexité morale d’une œuvre adulte. Il ne s’agit pas ici d’une simple lutte entre le bien et le mal, dans la mesure où tous les personnages agissent selon leur propre logique. San, l’héroïne sauvage, incarne la voix de la nature blessée, mais n’est pas exempte de rage destructrice. Dame Eboshi, pourtant responsable de la déforestation, est aussi une figure progressiste, émancipatrice, tournée vers un avenir meilleur pour les opprimés. Quant à Ashitaka, il n’est ni sauveur ni élu. C’est un médiateur imparfait, dont la quête de réconciliation est traversée de doutes. En cela, le film refuse le confort manichéen habituel du récit héroïque. Visuellement, Princesse Mononoke impressionne encore aujourd’hui par la richesse de son animation. Chaque plan fourmille de détails, chaque créature, du Dieu-cerf au sanglier corrompu, est animée avec puissance et subtilité. Le travail sur les textures, les sons organiques, le rythme hypnotique de certaines séquences confèrent au film une dimension quasi spirituelle. La sublime musique de Joe Hisaishi, sous l’influence assumée de la bande originale composée par James Horner pour Braveheart, amplifie cette impression de tragédie antique. Miyazaki livre ici un cri d’alarme percutant sur la rupture entre l’humain et la nature. Mais loin d’un discours pessimiste ou moralisateur, il y injecte des éclats de beauté, d’espoir et de grâce. Princesse Mononoke est un film sans victoire définitive, mais plein de promesses pour ceux qui cherchent à comprendre au lieu de dominer. À sa sortie en 1997, le film rencontre un succès phénoménal au Japon. Très impressionné, James Cameron y puisera allègrement pour bâtir les univers d’Avatar.

 

© Gilles Penso

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LILO ET STITCH (2002)

Une créature mutante, conçue par un savant fou extra-terrestre, s’échappe de sa planète et atterrit à Hawaï où elle rencontre une petite orpheline…

LILO & STITCH

 

2002 – USA

 

Réalisé par Dean DeBlois et Chris Sanders

 

Avec les voix de Daveigh Chase, Chris Sanders, Toa Carrere, David Ogden Stiers, Kevin McDonald, Ving Rhames, Zoe Caldwell, Jason Scott Lee, Susan Hegarty

 

THEMA EXTRA-TERRESTRE

Au début des années 2000, la machine Disney commence à battre de l’aile. Les tentatives de renouveau opérées avec des films comme Kuzco, l’empereur mégalo (2000) ou Atlantide, l’empire perdu (2001) ne remplissent pas les caisses comme prévu. Michael Eisner, alors à la tête de la firme aux grandes oreilles, cherche donc une idée inspirée sans doute par le triomphe de Dumbo qui, en 1941, avait réussi à faire oublier les échecs successifs de Pinocchio et Fantasia. Il décide donc de mettre en chantier un film peu coûteux mais qui puisse marquer les esprits. C’est dans cette optique qu’est exhumé un personnage oublié, griffonné en 1985 par un certain Chris Sanders pour un livre jeunesse jamais publié : Stitch, un « vilain petit canard » extraterrestre, à mi-chemin entre les Gremlins et Godzilla, affublé de la bouille d’un koala psychopathe. Ainsi naît Lilo et Stitch, qui sera orchestré par une équipe réduite bénéficiant d’une très grande liberté créative, mais – revers de la médaille – obligée de composer avec des moyens modestes. Après avoir initialement envisagé le Kansas, les coscénaristes et coréalisateurs Dean DeBlois et Chris Sanders décident de mettre le cap sur l’île de Kauai, à Hawaï, un décor à la fois paradisiaque et inédit dans l’histoire de l’animation Disney. Ce choix ne sera pas qu’esthétique. La culture hawaïenne imprègnera en effet le film en profondeur.

L’expérience 626, créature de laboratoire invincible conçue pour détruire tout ce qu’elle touche, échappe à ses geôliers intergalactiques et s’écrase sur la planète Terre, plus précisément, sur l’île de Kauai. En tombant sur ce mutant turbulent, Lilo, petite fille farouche et marginale, croit adopter un chien bizarre, le baptise Stitch et en fait son nouveau meilleur ami. Mais entre les catastrophes en série provoquées par la créature, les crises à répétition et les services sociaux qui menacent de séparer Lilo de sa grande sœur Nani, la cohabitation s’annonce explosive. Et ce ne sont pas Jumba et Pleakley, deux aliens bizarres chargés de récupérer Stitch, qui viendront apaiser les choses. Le film joue donc sans cesse la carte des contrastes. Au vernis SF pop et à la galerie de monstres cartoonesques répond une chronique familiale intime et mélancolique. Lilo n’est pas une héroïne Disney traditionnelle. Elle est peu sociable, excentrique, capricieuse. Stitch, lui, est un monstre agressif et brutal. Leurs douleurs respectives – solitude, rejet, peur d’être abandonnés – les rapprochent. Ensemble, ils vont apprendre à redéfinir ce qu’est une famille.

Grands écarts et anachronismes

Visuellement, Lilo et Stitch surprend dès les premières images. Car si la mise en couleur du film bénéficie des outils numériques et si la modélisation 3D permet notamment de concevoir les envolées des vaisseaux spatiaux, Sanders tient à employer la gouache traditionnelle, comme à l’époque de Blanche Neige et Pinocchio. Ce grand écart technologique n’est pas la moindre originalité de Lilo et Stitch, qui semble vouloir renforcer ce caractère singulier en invitant furtivement quelques éléments en prises de vues réelles (des photos d’Elvis Presley, des extraits du film The Spider) au beau milieu de l’animation. Les séquences de science-fiction pure – notamment celles du prologue – sont rehaussées par la musique orchestrale d’Alan Silvestri, tandis que l’ombre anachronique d’Elvis plane sur toute la BO. Lilo et Stitch s’impose donc à l’époque comme un ovni dans le monde formaté de Disney : pas de prince, pas de château, pas de chansons pour révéler les états d’âme des personnages. À la place, nous découvrons une chronique sociale sur la précarité, la résilience, le deuil et la reconstruction. Le film ose ainsi évoquer frontalement des blessures que le studio avait rarement osé explorer. Avec 145 millions de dollars au box-office américain, Lilo et Stitch offre au studio son plus gros succès depuis Tarzan (1999). Nommé à l’Oscar du meilleur film d’animation (finalement battu par Le Voyage de Chihiro de Miyazaki), le film marque un tournant, celui d’un Disney plus personnel, moins codifié, capable de mêler science-fiction exubérante, comédie débridée et chronique sociale sans jamais perdre sa cohérence.

 

© Gilles Penso

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GHOST IN THE SHELL (1995)

Dans un monde futuriste où l’homme fusionne de plus en plus avec la machine, une femme cyborg s’interroge sur sa propre identité…

KÔKAKU KIDÔTAI

 

1995 – JAPON

 

Réalisé par Mamoru Oshii

 

Avec les voix de Atsuko Tanaka, Akiko Ôtsuka, Kôichi Yamadera, Yutaka Nakaono, Tamio Ôki, Tesshô Genda, Namaki Masakazu, Masato Yamanouchi, Shinji Ogawa

 

THEMA FUTUR I ROBOTS

Publié à partir de 1989, le manga cyberpunk Ghost in the Shell de Masamune Shirow se distingue par son mélange d’action, de philosophie et de spéculations technologiques. L’éditeur japonais Kodansha flaire le potentiel cinématographique de l’œuvre et s’associe à Production I.G pour l’adapter à l’écran. Manga Entertainment UK, société britannique spécialisée dans l’import et la production de films d’animation japonaise, accepte de cofinancer le film et mise sur Mamoru Oshii, déjà reconnu pour Patlabor et son approche introspective de la science-fiction. Ce choix s’avère déterminant : Oshii s’empare du matériau original pour le réinventer sous un jour plus contemplatif et plus philosophique. L’équipe technique mêle des vétérans de l’animation traditionnelle et des pionniers du numérique. Car Ghost in the Shell s’annonce comme avant-gardiste en bien des domaines, fusionnant le dessin animé traditionnel et les effets numériques (sollicités notamment pour visualiser les interfaces informatiques et les séquences d’invisibilité). La production va mobiliser environ 70 animateurs et s’étendre sur près de deux ans. Si l’animation est principalement réalisée à Tokyo, la supervision du projet prend vite une dimension internationale, avec des échanges réguliers entre Production I.G, Kodansha et Manga Entertainment. Ghost in the Shell est clairement pensé pour le marché mondial.

Dans un futur proche, la frontière entre l’humain et la machine s’estompe. Les avancées cybernétiques permettent désormais aux individus d’augmenter leur corps avec des implants robotiques et, parfois, de transférer leur conscience dans des coquilles artificielles — les « shells ». Le « ghost », quant à lui, représente ce qui reste de l’âme ou de l’esprit. Au cœur de cette société technologique évolue le major Motoko Kusanagi, une agente d’élite de la Section 9, unité gouvernementale spécialisée dans la cybersécurité et l’antiterrorisme. Le major incarne à elle seule les paradoxes de son époque : un corps entièrement artificiel, mais habité par un esprit humain qui doute, s’interroge et cherche un sens à sa propre existence. Or la Section 9 est chargée d’enquêter sur un mystérieux hacker surnommé le « Puppet Master », capable de s’infiltrer dans les réseaux les plus sécurisés… mais aussi de pirater les cerveaux augmentés des citoyens, les forçant à agir à leur insu. Au fil de son enquête, Motoko finit par s’interroger sur sa propre identité…

Les simulacres de l’humanité

Ghost in the Shell impressionne d’emblée par son animation extrêmement dynamique, alternant les séquences d’action ultra-nerveuses et les moments de poésie pure, où la pesanteur n’a plus cours, où le temps suspens son vol, où l’organique et la mécanique fusionnent. La ville où se situe l’action, inspirée par Hong Kong, y est magnifiée : pluvieuse, verticale, labyrinthique, presque vivante. Parmi les scènes les plus marquantes du film, on retient la séquence d’ouverture où le major Kusanagi se jette dans le vide avant de se rendre invisible, l’immersion contemplative au cœur de la ville, ou encore l’affrontement final d’une brutalité sèche entre le major et un tank robotique arachnéen. Porté par la superbe musique de Kenji Kawai (qui mêle les percussions tribales, les chœurs religieux, les nappes planantes et hypnotiques), le film cultive un ton grave, méditatif. Il interroge le corps, l’identité, la mémoire et le libre arbitre, dans un monde dominé par la dématérialisation. Les simulacres d’humanité sont symbolisés par des mannequins en plastique qu’on aperçoit dans une vitrine, tandis qu’en fin de métrage, l’image des impacts de balles d’une machine détruisant des fossiles préhistoriques semble suggérer que la technologie est en train d’effacer le passé pour s’y substituer. L’influence de Ghost in the Shell sera immense. Les Wachowski y puiseront allègrement pour concevoir Matrix, tandis que James Cameron le qualifiera de « chef-d’œuvre philosophique ». Le film a aussi contribué à légitimer l’animation japonaise auprès d’un public adulte occidental, bien au-delà des cercles d’initiés, une démarche qui avait déjà été amorcée quelques années plus tôt par Akira.

 

© Gilles Penso

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PORCO ROSSO (1992)

Victime d’un sort, un ancien aviateur de l’armée italienne qui arbore un visage de cochon affronte des pirates de l’air…

TITRE ORIGINAL

 

1992 – JAPON

 

Réalisé par Hayao Miyazaki

 

Avec les voix de Shûichirô Moriyama, Tokiko Katô, Bunshi Katsura, Tsunehiko Kamijô, Akemi Okamura, Akio Ôtsuka, Hiroko Seki, Reizô Nomoto, Osamu Saka

 

THEMA SORCELLERIE ET MAGIE

Chez Hayao Miyazaki, les avions ne sont jamais de simples machines : ce sont des personnages, des extensions de l’âme, des témoins du ciel. Porco Rosso en est peut-être la plus belle incarnation. Né de la plume du maître nippon dans les pages du magazine Model Graphix en 1989, L’Ère des hydravions n’était à l’origine qu’un manga léger, hommage au modélisme et à l’aviation vintage. Un petit délire graphique où un pilote au faciès porcin sauvait une demoiselle en détresse des griffes de pirates volants. Séduite, la compagnie Japan Airlines commande une adaptation animée, censée être courte et contemplative, à diffuser dans ses vols. Problème : Miyazaki n’aime pas faire court. Très vite, le projet gonfle, s’enrichit, s’étoffe pour devenir un long-métrage complet. Tandis que son compère Isao Takahata vient d’achever Souvenirs goutte à goutte, Miyazaki se lance dans un film « pas sérieux »… mais qui se charge de gravité à mesure que la réalité s’invite dans le projet. Le décor ? Une Adriatique idéalisée, entre l’Italie et la Yougoslavie. Et c’est justement là, pendant la production, que la guerre éclate en ex-Yougoslavie. Ce qui devait être un conte aérien devient soudain une œuvre marquée par la perte et l’exil. C’est aussi un film d’amour : pour les hydravions, ces monstres gracieux que Miyazaki redessine entièrement ; pour l’Europe, qu’il réinvente avec tendresse ; et pour l’animation, qui trouve ici un terrain d’expression à la fois populaire et adulte.

Dans l’entre-deux-guerres, quelque part au-dessus de l’Adriatique, un pilote solitaire écume les cieux à bord de son hydravion rouge vif. Son nom : Porco Rosso. Sa particularité ? Il a le visage d’un cochon. Un sort mystérieux a frappé Marco Pagot, ancien héros de l’aviation italienne, le transformant en paria au faciès bestial. Fuyant les hommes et leurs guerres, il vit en reclus sur une île secrète, prenant parfois des contrats pour lutter contre la piraterie aérienne. Mais lorsque les Mamma Aiuto, bande de joyeux pirates, kidnappent une classe entière de fillettes, Porco reprend du service. Sa victoire est de courte durée : Donald Curtis, pilote américain arrogant, l’abat en plein vol. L’hydravion coule, Marco survit. Pour réparer son appareil, il se rend en Italie où il rencontre Fio, une jeune mécanicienne aussi brillante que tenace. Ensemble, ils reconstruisent le fameux avion rouge et repartent en mission, direction l’Adriatique…

« Mieux vaut être un cochon qu’un fasciste »

Avec Porco Rosso, Hayao Miyazaki signe une œuvre atypique, presque contradictoire : une fable drôle et grave, un récit d’aventures joyeux et mélancolique. Le ton est plus adulte que dans Totoro, plus politique que dans Kiki, et pourtant, le film s’adresse à tous. Ce paradoxe est sa force. Visuellement, c’est un bijou. L’animation des vols, précise et fluide, donne le vertige. L’Adriatique rêvée par Miyazaki, baignée de soleil et de vents marins, devient un personnage à part entière. La séquence où Porco, inconscient, aperçoit les avions de ses camarades morts s’élever vers le ciel est bouleversante. Une vision poétique de la mort, aussi belle que glaçante. Le film brille aussi par ses personnages féminins. Gina, figure tragique d’un amour en suspens, incarne une forme de grâce mélancolique. Fio, elle, symbolise la relève, l’intelligence et le courage qui manquent aux hommes engoncés dans leur orgueil. C’est elle, plus que Porco, qui mène le récit vers un espoir possible. Mais Porco Rosso est surtout un pamphlet pacifiste. Miyazaki dénonce l’absurdité de la guerre, la vanité des héros déchus et l’emprise des idéologies. La phrase-clé du film — « Mieux vaut être un cochon qu’un fasciste » — résonne encore aujourd’hui avec une acuité politique inattendue. Enfin, l’humour, omniprésent, désamorce la gravité. Les Mamma Aiuto, pirates gaffeurs au cœur tendre, rappellent ceux du Château dans le ciel. Le duel final est à la fois grotesque et libérateur, comme un pied de nez à la virilité toxique. Film hybride, entre western aérien et satire politique, Porco Rosso marquera un tournant, notamment en France. Récompensé au Festival d’Annecy en 1993, salué pour sa poésie et son audace, il contribuera à faire tomber les préjugés sur l’animation japonaise.

 

© Gilles Penso

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BELLE ET LA BÊTE (LA) (1991)

Le studio Disney réinvente la célèbre fable déjà portée aux nues par Jean Cocteau et signe l’un de ses plus grands films d’animation…

BEAUTY AND THE BEAST

 

1991 – USA

 

Réalisé par Gary Trousdale et Kirk Wise

 

Avec les voix de Paige O’Hara, Robby Benson, Jesse Corti, Rex Everhart, Angela Lansbury, Jerry Orbach, Bradley Pierce, David Ogden Stiers, Richard White

 

THEMA CONTES

Après le succès de La Petite Sirène, Disney entre dans une phase de renaissance ambitieuse. Parmi les projets exhumés des cartons, La Belle et la Bête refait surface. Ce conte français du XVIIIe siècle avait déjà tenté Walt Disney dès les années 30, mais l’adaptation s’était révélée plus complexe que prévu. Impressionné par la version de Jean Cocteau et refroidi par la réception mitigée de La Belle au bois dormant, Disney avait finalement renoncé. Il faudra attendre 1987 pour que le projet reparte.Mais la première version est jugée trop sombre, trop fidèle au matériau d’origine. Jeffrey Katzenberg, figure clé du renouveau Disney, décide de tout reprendre à zéro. La révolution est en marche : pour la première fois, l’écriture du film passe avant l’animation. La scénariste Linda Woolverton est donc missionnée pour construire une narration solide avant même de songer aux dessins. Le film s’oriente alors vers la comédie musicale, sous la houlette du duo Alan Menken et Howard Ashman, déjà auréolé du succès de La Petite Sirène. Ce choix s’avère déterminant : La Belle et la Bête comptera plus de 25 minutes de chansons, intégrées de manière fluide au récit. Pour enrichir l’univers visuel, les équipes artistiques partent en repérages dans les châteaux de la Loire. Chaque décor, chaque couleur, chaque atmosphère est pensée pour souligner l’évolution des personnages. La création des objets enchantés (le chandelier, la théière, la tasse, l’horloge), idée d’Howard Ashman, apporte une touche de légèreté à cette romance gothique.

Au cœur d’une forêt isolée, un prince égoïste et cruel est transformé en Bête hideuse par une enchanteresse, punition pour son absence de compassion. Seule une preuve d’amour véritable pourra briser le sort avant que le dernier pétale d’une rose magique ne tombe. Non loin de là, Belle, une jeune femme rêveuse, passionnée de livres et d’aventures, étouffe dans son petit village provincial, où elle est courtisée par l’arrogant et vaniteux Gaston. Refusant la vie monotone qu’on lui propose, Belle se voit embarquée dans une quête inattendue lorsque son père, Maurice, inventeur fantasque, se perd dans la forêt et trouve refuge dans le château de la Bête. Prête à tout pour sauver son père, Belle échange sa liberté contre la sienne, devenant prisonnière du mystérieux château. Tandis que la Bête lutte contre sa propre colère et son désespoir, Belle commence à entrevoir la gentillesse tapie sous l’effrayante apparence. Petit à petit, une relation unique se tisse entre eux, faite de maladresses, de découvertes et de gestes tendres… Mais à l’extérieur, Gaston, vexé par le rejet de Belle, fomente un plan pour forcer la jeune femme à l’épouser. Et il est prêt à utiliser tous les moyens possibles — même les plus violents — pour arriver à ses fins…

Histoire éternelle

Au départ, les cinéphiles que nous sommes attendaient cette relecture à la sauce Disney du fameux conte popularisé par Madame Leprince de Beaumont avec perplexité. Comment surpasser la beauté atemporelle du chef d’œuvre de Jean Cocteau, ou même les audaces baroques de la version de Juraj Herz ? Mais face au spectacle offert par le film de Gary Trousdale et Kirk Wise, toutes les réticences se sont effacées en un clin d’œil. Le soin extrême apporté à chaque étape de la fabrication du film se ressent à l’écran : l’équilibre entre humour, émotion et frisson est d’une précision redoutable. Le récit, d’une fluidité exemplaire, alterne avec brio les séquences drôles et les scènes poignantes. Le duo formé par Belle et la Bête fonctionne à merveille, porté par une animation magistrale qui parvient à insuffler aux personnages une palette d’émotions d’une rare finesse. Le génial design hybride de cette Bête mi-buffle mi-lion, œuvre de Glen Keane, y est pour beaucoup. La scène emblématique de la danse dans la grande salle de bal, sublimée par la première utilisation audacieuse d’images de synthèse, reste un moment d’anthologie. Pour couronner le tout, le tandem Menken/Ashman livre une partition mémorable. De « C’est la fête » à « Histoire éternelle », chaque chanson enrichit le récit, participant à l’immersion du spectateur dans ce monde féerique. La présentation du film au New York Film Festival, dans une version inachevée, déclenche un buzz phénoménal. Le bouche-à-oreille propulsera La Belle et la Bête vers une sortie triomphale qui, pour la première fois dans l’histoire du cinéma, permettra à un film d’animation d’être nommé aux Oscars dans la catégorie Meilleur Film.

© Gilles Penso

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FANTASIA (1940)

Walt Disney et Leopold Stokowski se lancent dans un « film concert » expérimental mêlant tous les styles et tous les genres avec panache…

FANTASIA

 

1940 – USA

 

Réalisé par James Algar, Samuel Armstrong, Ford Beebe Jr., Norman Ferguson, David Hand, Jim Handley, T. Hee, Wilfred Jackson, Hamilton Luske, Bill Roberts, Paul Satterfield et Ben Sharpsteen

 

Avec Leopold Stokowski, Deems Taylor et The Philadelphia Orchestra

 

THEMA MYTHOLOGIE I DINOSAURES I DIABLE ET DÉMONS I SORCELLERIE ET MAGIE

Après le raz-de-marée Blanche-Neige et en pleine production de Pinocchio, Walt Disney rêve d’une nouvelle révolution. Il veut redonner ses lettres de noblesse à Mickey, sa souris fétiche un peu éclipsée, en la propulsant dans une œuvre audacieuse : une animation rythmée par une pièce de musique classique, L’Apprenti sorcier de Paul Dukas. Mais la rencontre avec le chef d’orchestre vedette Leopold Stokowski va faire basculer le projet dans une autre dimension. Tous deux partagent une vision peu orthodoxe : populariser la musique classique à travers l’animation, en bousculant les codes et les esprits. L’idée se mue bientôt en long-métrage conceptuel. Le duo imagine un « film-concert » déployé auprès du public comme un spectacle vivant, enrichi au fil des années de nouveaux segments. Walt pense même diffuser des odeurs dans les salles, et met en chantier un format d’écran élargi préfigurant le CinemaScope. Les ambitions sont finalement revues à la baisse et le film finit par s’envisager sur un format plus traditionnel, ce qui n’empêche pas le budget d’exploser. Le segment L’Apprenti sorcier coûte à lui seul quatre fois plus qu’un court métrage classique de Mickey. Sept œuvres classiques sont sélectionnées, réarrangées par Stokowski, et confiées à des équipes d’animateurs à qui Disney accorde une liberté de création quasi totale. Le titre, lui, sera tout simplement celui soufflé par Stokowski dès le départ : Fantasia.

Fantasia ne suit pas une intrigue linéaire classique. C’est une anthologie, un enchaînement de tableaux, chacun mis en images à partir d’un chef-d’œuvre musical. Le film s’ouvre sur une présentation orchestrée par Deems Taylor, critique musical qui guide le spectateur à travers les segments. La Toccata et fugue en ré mineur de Bach donne le ton : un feu d’artifice d’abstractions visuelles, de formes fluides, de lumières mouvantes. Puis vient Casse-Noisette de Tchaïkovski, réinterprété en ballet naturel peuplé de fées, de champignons dansants et de fleurs aquatiques. Le segment suivant, L’Apprenti sorcier, reste le plus célèbre : Mickey, apprenti magicien, invoque une magie qu’il ne maîtrise pas… et provoque une inondation incontrôlable. Le Sacre du Printemps de Stravinsky propulse le spectateur à l’époque des dinosaures : naissance de la Terre, éruptions volcaniques, luttes de survie… avant l’extinction. La Symphonie pastorale de Beethoven nous offre une réinterprétation lyrique de plusieurs figures de la mythologie grecque. Puis l’ambiance change radicalement avec un interlude comique autour de La Danse des heures de Ponchielli, où des autruches, hippopotames et crocodiles se lancent dans un ballet improbable. Enfin, l’apothéose arrive avec un diptyque monumental : Une nuit sur le mont Chauve de Moussorgski, plongée dans un sabbat démoniaque mené par une créature titanesque aux ailes noires, immédiatement suivi par Ave Maria, qui apaise les ténèbres dans une procession mystique à la bougie.

Dantesque, baroque et surréaliste

Fantasia est donc un ovni. C’est aussi un film visionnaire, radical, qui balaye les conventions narratives pour proposer une symbiose totale entre image et son. Techniquement et visuellement, c’est un joyau. Certaines séquences dantesques sont des morceaux de cinéma inoubliables, comme Le Sacre du Printemps, digne des prouesses antédiluviennes du Monde perdu et de King Kong, ou La Nuit sur le mont Chauve, à l’image des folies surréalistes et baroques de Faust ou de L’Enfer. Le ballet des Heures joyeuses, quant à lui, est un éclat de rire aussi inattendu qu’époustouflant. Ce n’est pas tous les jours que des hippopotames en tutu se lovent contre des crocodiles en se prenant pour des danseuses étoiles ! Quant à Mickey, il s’essaie à la magie auprès d’un émule très sérieux de Merlin l’enchanteur avec les conséquences catastrophiques que l’on sait. Abstraction, épouvante, fantasy, slapstick… tout semble permis. Ce n’est donc pas un hasard si le film aura mis des décennies à être pleinement reconnu. Trop étrange, trop audacieux, Fantasia navigue entre les mondes. À sa sortie en 1940, le film ne trouve pas immédiatement son public. La guerre freine sa diffusion et la critique s’écharpe sur le mélange des genres. Les puristes hurlent au sacrilège, les parents s’inquiètent des scènes trop sombres. Disney, lui, vient de repousser les frontières du cinéma d’animation. Et même s’il n’en récolte pas les fruits tout de suite, l’histoire, elle, repositionnera plus tard Fantasia sur le piédestal qu’il mérite.

 

© Gilles Penso

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