LE PRESTIGE (2006)

En adaptant le roman "The Prestige" de Christopher Priest, Christopher Nolan trouve un nouveau terrain d'expérimentation filmique propice à tous les paradoxes

THE PRESTIGE

2006 – USA

Réalisé par Christopher Nolan

Avec Hugh Jackman, Christian Bale, Michael Caine, Scarlett Johansson, David Bowie, Andy Serkis, Rob Arbogast

THEMA DOUBLES

Même s’il a intégré sans complexe les grands studios hollywoodiens, Christopher Nolan demeure un cinéaste à part, imprégnant chacun de ses films d’une forte personnalité et d’une stylisation raffinée. Confiez-lui le remake d’un polar norvégien, il concocte un somptueux Insomnia dépassant en audace et en noirceur son modèle. Demandez-lui de reprendre la franchise Batman, il la dynamite en bonne et due forme pour revenir aux sources du comic book. On ne s’étonne donc guère, lorsqu’il s’attaque à l’adaptation du roman « Le Prestige » de Christopher Priest, de découvrir un film hors norme, surprenant d’un bout à l’autre et ciselé au millimètre près. Situé à Londres au début du siècle dernier, Le Prestige nous conte la rivalité entre deux jeunes magiciens surdoués, Robert Angier et Alfred Borden. Lorsque la mort de la femme du premier est provoquée par une erreur du deuxième, leur compétition amicale se mue en véritable guerre impitoyable dans laquelle tous les coups sont permis. Un jour, Borden met au point un tour spectaculaire, « l’homme transporté », dans lequel il semble se dédoubler sur scène. Fou de jalousie, Angier décide d’en percer le secret. Ce sera le début de la fin…

Dès les premières minutes, Le Prestige séduit par le charisme sans faille de Hugh Jackman et Christian Bale, deux ex-super-héros (respectivement dans X-Men et Batman Begins) livrant là l’une de leurs prestations les plus fines, les plus complexes et les plus tourmentées. A tel point que dans cette escalade à la destruction d’autrui, on ne sait trop pour lequel prendre fait et cause, tant la profondeur et les souffrances de chacun de leur personnage provoque l’empathie. L’habileté de leurs jeux de main est due à un entraînement intensif aux côtés du célèbre prestidigitateur Ricky Jay, rompu à l’art du coaching. A leurs côtés, on se délecte des excellentes prestations de Michael Caine, mentor avisé et ingénieux inventeur, de Scarlett Johansson, assistante au rôle complexe, et du trop rare David Bowie, incarnant un personnage bien réel, le génial scientifique Nikola Tesla qui vécut toujours dans l’ombre de son émule Thomas Edison. « Vous cherchez le secret », déclare dès le prologue Michael Caine à l’attention du spectateur. « Mais vous ne le trouverez pas parce que vous ne regardez pas vraiment. Vous ne voulez pas vraiment connaître le secret. Vous voulez être berné ». 

Quand la science devient magie

Plus le récit du Prestige avance, plus il devient évident qu’il dépasse le cadre de la prestidigitation classique pour basculer vers la magie véritable, pas celle des sorciers et des alchimistes, mais celle des scientifiques avant-gardistes dont les inventions transcendent les lois élémentaires de la physique. Le Prestige est donc un film de science-fiction. C’est là que réside une grande part de son originalité, mais aussi de ses faiblesses. Car dès que cette nouvelle donnée est assumée, l’intrigue perd de sa cohérence, les coïncidences prennent une tournure invraisemblable et les rebondissements, pour inattendus qu’ils soient, n’ont plus grand-chose de crédible. Dommage, car sous ses fanfreluches et ses haut de forme, Le Prestige n’était pas loin du chef d’œuvre inclassable, redéfinissant d’une manière inédite l’univers peu connu des magiciens et de leurs secrets.

 

© Gilles Penso

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FAHRENHEIT 451 (1966)

Quand l'un des maîtres de la Nouvelle Vague française s'intéresse à un classique de la littérature de science-fiction, le résultat possède un indéniable supplément d'âme

FAHRENHEIT 451

1966 – GB

Réalisé par François Truffaut

Avec Oskar Werner, Julie Christie, Cyril Cusack, Anton Diffring, Jeremy Spenser, Bee Duffell, Alex Scott, Noel Davis

THEMA FUTUR

François Truffaut et la science-fiction, le mélange semble antithétique, et l’auteur des 400 Coups avouait n’avoir à priori aucune affinité avec le genre. Mais il a trouvé dans le roman de Ray Bradbury matière à nourrir son univers tout en livrant une fable d’anticipation de haute tenue, s’attelant pour l’occasion à son unique film tourné en langue anglaise (ce qui fut une véritable gageure dans la mesure où, à l’époque, le cinéaste maîtrisait fort mal la langue de Shakespeare). Le monde futuriste de Fahrenheit 451 interdit à la population la détention de livres, quels qu’ils soient, car ils ont été jugés provocateurs de comportements antisociaux. Les pompiers n’ont donc pas comme mission d’éteindre les incendies, mais de brûler tous les ouvrages qu’ils trouvent chez les gens en marge de la loi. Le film est donc régulièrement scandé par les déplacements du camion des pompiers et par divers autodafés tous plus révoltants les uns que les autres. Le plus violent d’entre eux montre une vieille dame refuser d’abandonner ses livres et se laisser mourir au milieu du brasier.

Truffaut est parvenu à capter l’horrible photogénie des ouvrages qui brûlent, certaines pages se recroquevillant comme des pétales fanés. Parmi les livres promis au bûcher, on note « Mein Kampf », « Les Chroniques Martiennes » et un exemplaire des « Cahiers du Cinéma » avec A Bout de Souffle en couverture ! Dans cet univers totalitaire, les journaux ne comportent que des dessins, la population est incitée à la délation, des brigades anti-cheveux longs tondent les jeunes aux coupes non-conformistes, la télévision s’appelle « la famille », et le sommet de l’ascension sociale consiste à posséder plusieurs grands écrans muraux. Même si le plaidoyer en faveur de la lecture passe forcément mieux en livre qu’en film, l’adaptation de Truffaut et de son co-scénariste Jean-Louis Richard est une réussite indiscutable. Sa mise en scène s’amuse d’ailleurs à opposer en permanence la télévision et les livres, notamment lorsqu’un pompier découvre une pile d’ouvrages cachés derrière l’écran d’un téléviseur, ou lorsque le héros se sert de la lumière du grand écran pour lire en pleine nuit.

Les pompiers volants et les hommes-livres

Pour incarner Montag, le pompier qui refuse peu à peu d’assumer son rôle destructeur, Truffaut a choisi Oskar Werner, avec qui il venait de tourner Jules et Jim. Pour donner corps aux deux personnages féminins antithétiques, l’épouse conformiste et la voisine rebelle, il a opté pour une seule et même comédienne, la belle Julie Christie. A la fin du film, Montag quitte la ville, fuit une escouade de pompiers volants qui annoncent les brigades aériennes de Minority Report et rejoint les hommes-livres. Ce sont des marginaux qui ont chacun entrepris d’apprendre un livre par cœur, pour que la mémoire littéraire perdure à travers les temps. Une idée d’une magnifique poésie, née de l’imagination fertile de l’auteur des « Chroniques Martiennes », et que le film prolonge par un générique où les noms ne sont pas écrits mais dits à voix haute. Grand admirateur d’Alfred Hitchcock, Truffaut a eu la joie de confier la partition de son film à l’immense Bernard Herrmann. Onze ans plus tard, le cinéaste allait retrouver l’univers de la science-fiction en jouant l’improbable linguiste Lacombe dans Rencontres du Troisième Type.

 

© Gilles Penso

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LA SENTINELLE DES MAUDITS (1977)

Une histoire de fantômes insolite avec un John Carradine effrayant et d'impressionnants maquillages de Dick Smith

THE SENTINEL

1977 – USA

Réalisé par Michael Winner 

Avec Cristina Raines, Chris Sarandon, Martin Balsam, John Carradine, José Ferrer, Ava Gardner, Burgess Meredith

THEMA FANTÔMES

Film de fantômes relativement atypique, La Sentinelle des Maudits adapte un roman que Jeffrey Konvitz publia en 1975. Interprétée par une Cristina Raines pleine de charme, qui jouait la même année dans Les Duellistes de Ridley Scott, l’héroïne de ce récit tourmenté est le mannequin Alison Parker. Elle enchaîne avec succès les séances photo (avec Jeff Goldblum dans le tout petit rôle du photographe), est fiancée avec un jeune avocat brillant (Chris Sarandon) et vient d’emménager dans un bel appartement de Brooklyn. Les choses se gâtent lorsque son père meurt d’un cancer. Au cours d’un flash-back qui ne fait pas dans la dentelle, Alison se souvient avoir surpris ce dernier en train de faire l’amour avec deux grosses bonnes femmes, et avoir sous le choc tenté de se suicider. Désormais, la voilà sujette à de violentes migraines en pleines séances de travail. Lorsqu’elle fait connaissance avec ses nouveaux voisins, elle découvre une belle brochette d’excentriques : un homme affable qui vit avec un chat et un oiseau, deux lesbiennes exhibitionnistes, un couple étrange, une vieille dame qui tient des propos incohérents…

Sans compter ce vieux prêtre aveugle qui vit au dernier étage et ne bouge jamais de sa fenêtre (incarné par un John Carradine au visage frippé, aux cheveux argentés en bataille et aux yeux blancs). Mais sa surprise est immense lorsque son agent immobilier Miss Logan (Ava Gardner) lui affirme qu’à l’exception du prêtre, l’immeuble est entièrement vide depuis trois ans. Qui sont donc ces voisins ? Des fantômes ? Des hallucinations ? Une nuit, alertée par des bruits inquiétants au-dessus de son appartement, Alison se retrouve carrément nez à nez avec le fantôme blafard de son propre père. Prise de panique, agressée par le revenant, elle le défigure et le tue à coups de couteau (ce qui permet au génial maquilleur Dick Smith de s’en donner à cœur joie, nous gratifiant d’un nez tranché et d’un œil littéralement découpé en gros plan !). Un inspecteur de police et son adjoint (Eli Wallach et Christopher Walken) mènent une enquête de routine, tandis que le fiancé d’Alison pousse plus loin les investigations au sein même de l’immeuble, découvrant qu’il s’agit d’un accès direct vers l’Enfer, protégé par un ordre secret de l’église catholique répondant au nom de « Confrérie des Protecteurs »…

Un train fantôme empli de spectres hideux

La Sentinelle des Maudits est avant tout un film d’atmosphère, distillant une insidieuse ambiance d’épouvante croissante, et gratifiant le spectateur d’un véritable défilé de comédiens familiers (aux noms cités, on peut ajouter Martin Balsam, le détective de Psychose, ainsi que Tom Berenger dans un minuscule rôle à la fin du film). Le climax s’avère quant à lui grand guignolesque, muant l’immeuble en véritable train fantôme empli de spectres plus hideux et difformes les uns que les autres. Reposant sur un manichéisme de catéchisme assez basique, le scénario de La Sentinelle des Maudits a un peu de mal à convaincre, d’autant qu’il multiplie les incohérences. Et pourtant, miracle, le film fonctionne plutôt bien, en grande partie grâce à la mise en scène efficace de Michael Winner, à la qualité de son interprétation, et à l’intrigante étrangeté de son propos.

 

© Gilles Penso

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MISTER BABADOOK (2013)

Le héros très inquiétant d'un conte pour enfants semble vouloir prendre corps dans la réalité pour hanter une mère et son jeune fils

THE BABADOOK

2013 – AUSTRALIE

Réalisé par Jennifer Kent

Avec Essie Davis, Noah Wiseman, Daniel Henshall, Hayley McElhinney, Barbara West

THEMA DIABLES ET DEMONS

Mister Babadook est l’effrayant héros d’un conte pour enfants qui va causer bien des misères à Amélia, veuve et mère célibataire du petit Samuel, un enfant hyperactif à l’imagination débordante. Mister Babadook semble, à première vue, être l’un des amis imaginaires du petit garçon sauf que, comme Harry, cet ami ne lui veut pas que du bien. Loin de là. Par bien des aspects, Babadook rejoint l’excellent Citadel dans une espèce de version plus classiquement féminine. Ici, on retrouve l’histoire attendue d’une mère courage et de son fils livrés à des forces surnaturelles matérialisées par Babadook justement, un monstre représenté sous forme de papier au travers d’un livre vraiment effrayant avant de prendre vie dans la réalité afin de venir déranger le sommeil de la pauvre Amélia qui va peu à peu perdre tout contact avec la réalité. Dans sa forme et son déroulement, le film de Jennifer Kent est on ne peut plus classique : introduction, présentation des personnages et scène de la vie quotidienne qui viennent poser le contexte. On croit d’emblée à la matérialité des protagonistes que la réalisatrice a voulu ancrer dans une réalité tangible et socialement crédible.

Comme dans tout bon film d’épouvante, c’est par petites touches que le fil ténu de la réalité va se distendre sous le coup de l’incursion du fantastique dans la banalité quotidienne. Les propos de Samuel vont devenir un peu plus inquiétants, son comportement de plus en plus étrange, ses peurs de plus en plus irrationnelles et terrifiantes. Débordée, Amélia perd pied elle aussi. Le schéma est connu de tous et calqué sur de nombreux classiques du genre, en particulier ceux issus de la tradition du film de fantômes japonais à la Dark Water. Mais, Kent connaît son sujet, tient son film et sa mise en scène. Quand on a été formée à l’école Lars Von Trier, dont elle fut l’assistante, l’intransigeance est une notion bien connue. Là où le film marque des points, c’est dans son atmosphère et dans le design de l’univers du livre et du monstre Babadook. La grande et vieille maison est clairement influencée par le cinéma de genre italien seventies, tandis que le style du livre pour enfants et de la créature doit énormément à l’expressionnisme allemand et ses jeux d’ombres surréalistes à la limite du grotesque. Les sons exprimés par le monstre, eux, sortent tout droit de la bouche des fantômes Kayako et Toshio Saeki, terrifiantes créatures du Ju-On de Takashi Shimizu. Kent multiplie les influences et les emprunts pour booster l’efficacité de son film.

Un sentiment étrange d'abandon

Hélas, les routiniers du genre ne trouveront pas leur quota de frissons dans cette pellicule de bonne facture mais trop balisée dans son déroulement et ses effets que pour vraiment flanquer la frousse. Dommage, car le personnage de Babadook, très absent finalement, est porteur d’un potentiel de flippe non négligeable. Film sur le deuil et l’absence de père, Babadook distille un sentiment étrange d’abandon et une atmosphère un peu aigre, à travers cette mère de famille brisée par la mort de son mari le jour même de la naissance de son enfant. Le monstre symbolise ce lourd passé encombrant, effrayant, posant une chape de plomb sur la vie des personnages et les empêchant d’avancer. Babadook se nourrit de la tristesse qu’elle engendre jusqu’à plonger les protagonistes dans la folie. S’il échoue à totalement convaincre en tant que film d’horreur, le métrage de Jennifer Kent séduit par son aspect drame familial et le portrait d’une femme en détresse joliment brossé par la réalisatrice. On notera aussi la performance convaincante du jeune Samuel, cet enfant au visage lunaire aussi adorable que profondément étrange. Un film à moitié réussi donc qui, au contraire de Citadel, échoue à lier avec la même puissance angoisse et drame humain. Il en reste un film très correct, maîtrisé techniquement, bien rythmé mais trop classique, beaucoup trop classique.

 

© Seb Lecocq

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LE FANTÔME DE MILBURN (1981)

Quatre vieux amis cachent depuis des décennies un secret inavouable qui s'apprête à revenir faire surface…

GHOST STORY

1981 – USA

Réalisé par John Irvin

Avec Douglas Fairbanks Jr, Melvyn Douglas, Fred Astaire, John Houseman, Craig Wasson, Alice Krige, Patricia Neal

THEMA FANTÔMES

Peter Straub étant un auteur de romans d’épouvante à succès dans les années 80, les studios Universal misèrent beaucoup sur l’adaptation de son best-seller « Ghost Story » et parvinrent à réunir un casting de vétérans assez prestigieux. En tête d’affiche, nous retrouvons donc Fred Astaire (dont ce fut le dernier film), Douglas Fairbanks Jr (Sinbad le marin), Melvyn Douglas (Bienvenue Mister Chance) et John Houseman (Rollerball). Ces quatre célèbres octogénaires interprètent les principaux notables de la petite ville de Milburn, en Nouvelle Angleterre. Fondateurs et membres d’un club qu’ils ont baptisé « société de la chaudrée », ils se réunissent à intervalle régulier pour se raconter des histoires d’épouvante. Bientôt, nos braves vieillards sont harcelés par des cauchemars terrifiants et répétitifs. La situation s’aggrave lorsque David Wanderley, le fils d’un des quatre notables, meurt à New-York dans d’étranges circonstances. Don, le frère jumeau de David, revient alors à Milburn, et dès lors les événements inquiétants se multiplient dans la bourgade. Le temps est donc à la confession. Cinquante ans plus tôt, nos quatre compagnons sont tombés amoureux tous ensemble d’une belle et riche jeune femme du nom d’Eva Galli. Flirtant avec elle à tour de rôle, ils ont involontairement provoqué sa mort au cours d’une soirée trop arrosée. Pour camoufler leur crime, ils ont placé son corps dans une voiture qu’ils ont ensuite immergée dans un lac… Pour découvrir avec horreur que la jeune femme était encore vivante avant son engloutissement ! Désormais, son spectre hante les lieux, bien décidé à exercer sa sanglante vengeance. 

Le Fantôme de Milburn est avant tout un film d’atmosphère, transcendant une intrigue assez convenue par la grâce d’une narration complexe entremêlant les flash-back, d’une mise en scène élégante de John Irvin (Hamburger Hill), d’une photographie somptueuse de Jack Cardiff (Mort sur le Nil), de très beaux matte paintings d’Albert Whitlock (Les Oiseaux) et d’une partition envoûtante signée Philippe Sarde (La Guerre du feu), laquelle cligne régulièrement de l’œil vers Bernard Herrmann. Ces partis pris artistiques n’empêchent pas la ponctuation du récit par des effets choc extrêmement efficaces, par le biais des maquillages spéciaux de Dick Smith (L’Exorciste) révélant le cadavre d’Eva Galli à différents stades de sa décomposition.

Visions horrifiques d'outre-tombe

Horrifiques et furtives, ces visions sont tout à fait en accord avec les codes du cinéma d’épouvante des années 80, plus porté sur le démonstratif spectaculaire que sur la suggestion ambiancée. Le film oscille ainsi entre ces deux courants, comme en témoigne son étonnant casting, car les quatre vénérables vedettes tiennent le haut de l’affiche aux côtés de jeunes espoirs alors méconnus. Notamment Craig Wasson, futur héros claustrophobe de Body Double, qui incarne ici les frères jumeaux victimes de la malédiction de Milburn, et Alice Krige, future reine de Borgs dans Star Trek Premier Contact, qui prête son visage angélique et sa voix rauque à l’inquiétant spectre d’Eva Galli. Elle est la vraie révélation du film, et l’impact de ce Fantôme de Milburn repose en grande partie sur ses jolies épaules.

 

© Gilles Penso

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LES GARDIENS DE LA GALAXIE (2014)

Transfuge des productions Troma, le garnement James Gunn intègre l'univers Marvel sans rien perdre de son grain de folie

GUARDIANS OF THE GALAXY

2014 – USA

Réalisé par James Gunn

Avec Chris Pratt, Zoe Saldana, Dave Autista, Michael Rooker, et les voix de Bradley Cooper et Vin Diesel

THEMA SPACE OPERA I SUPER-HEROS I EXTRA-TERRESTRES I SAGA MARVEL I AVENGERS

Avec la construction méthodique d’un univers complexe conçu comme une gigantesque saga ultra-lucrative, le studio Marvel semblait avoir déniché la poule aux œufs d’or. De la trilogie Iron Man au diptyque Captain America en passant par les deux Thor et le choral Avengers, la firme aux super-héros balisait un terrain confortable, flattant les amateurs des comics de Stan Lee tout en se ralliant un raz de marée de jeunes spectateurs enthousiastes. Qu’est-il donc passé par la tête des cadres de Marvel/Disney en initiant Les Gardiens de la Galaxie ? Difficile d’imaginer un projet aussi risqué. Qu’on en juge : des héros totalement inconnus du grand public, un environnement de space opera qui valut au studio Disney l’un de ses plus gros flops (John Carter), un ton décalé en équilibre instable entre le premier degré et la parodie potache, des protagonistes improbables (un raton laveur hargneux, un homme-arbre taciturne) et surtout un réalisateur absolument pas consensuel. Car James Gunn, co-auteur de Tromeo et Juliette, scénariste de L’Armée des Morts, réalisateur de Horribilis et Super, n’a pas vraiment le profil d’un « yes man » acquiesçant face à toutes les demandes d’un studio tout-puissant. La réussite et le succès des Gardiens de la Galaxie n’en sont que plus remarquables, Gunn nous offrant un film de science-fiction grandiose et spectaculaire sans rien perdre de son irrévérence.

Dans un rôle qui semble conçu comme un hommage aux héros incarnés par Harrison Ford dans les années 70/80, quelque part à mi-chemin entre Han Solo et Indiana Jones, Chris Pratt incarne Peter Quill, un aventurier traqué par tous les chasseurs de prime pour avoir volé un mystérieux globe convoité par le redoutable Ronan. Pour éviter que cet item ne tombe en de mauvaises mains, Quill conclue une alliance avec quatre aliens qu’il rencontre dans une prison spatiale : le raton laveur génétiquement modifié Rocket, l’humanoïde végétal Groot, le massif Drax et la mystérieuse Gamora. Cette équipe hétéroclite et mal assortie devient bizarrement le dernier rempart contre la destruction qui menace la galaxie toute entière. 

Plus complexe et profond qu'il n'y paraît

Si Gunn connaît ses classiques et leur rend ici un vibrant hommage (la saga Star Wars initiale nous vient souvent à l’esprit), d’autres références moins évidentes affleurent au fil du film (la scène de l’évasion du pénitencier interstellaire évoque Star Crash de Luigi Cozzi), tandis que le cinéaste affirme fièrement ses origines en laissant apparaître quelques secondes son ancien employeur Lloyd Kaufman, légendaire patron de Troma Films. Mais l’un de ses apports les plus intéressants est le choix d’une bande originale scandée par des standards pop/rock des années 70/80. Totalement intégré au récit (les musiques sont les extraits d’une playlist sur cassette audio que la mère de Peter Quill lui légua avant de succomber), ce parti-pris n’est pas une simple démarche post-moderne visant à cligner de l’œil vers le spectateur et à affirmer le statut « cool » du film. Il s’agit aussi et surtout d’un vecteur d’émotion inattendu au sein d’une poignée de séquences en état de grâce. Voilà tout le paradoxe d’une œuvre finalement plus complexe et plus profonde qu’il n’y paraît.

 

© Gilles Penso

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LE CERCLE INFERNAL (1977)

Mia Farrow incarne une mère traumatisée par le deuil de sa fillette et dès lors hantée par des visions très perturbantes…

FULL CIRCLE / THE HAUNTING OF JULIA

1977 – GB

Réalisé par Richard Loncraine

Avec Mia Farrow, Keir Dullea, Tom Conti, Jill Bennett, Robin Gammell, Cathleen Nesbitt, Anna Wing, Edward Hardwicke 

THEMA FANTÔMES

Neuf ans après Rosemary’s Baby, six ans après Terreur Aveugle, Mia Farrow prête une fois de plus son joli visage androgyne à un drame viscéral nimbé d’épouvante. Œuvre rare, écrin de l’une des meilleures prestations de la comédienne, seul véritable titre de gloire de son réalisateur Richard Loncraine, Le Cercle Infernal adapte le roman « Julia » de Peter Straub, dont il reprend fidèlement la trame et l’atmosphère anxiogène. Dès les premières minutes, le ton est donné. Une scène banale de petit déjeuner vire à l’horreur lorsque la jeune Kathy s’étouffe en mangeant une pomme, face à deux parents désemparés et parfaitement incapables de la sauver. Cette mort brutale est d’autant plus éprouvante qu’elle est traitée de manière réaliste, sans fioriture. Richard Loncraine nous annonce ainsi la substance de sa mise en scène, empreinte de classicisme et d’élégance, privilégiant les mouvements de caméra amples, suivant les comédiens au plus près de leurs évolutions, n’hésitant jamais à les sertir de gros plans implacables jusqu’à frôler la claustrophobie. A l’avenant, la photographie douce et les lumières diffuses du chef opérateur Peter Hannan cultivent ce sentiment de fausse sérénité, tout comme la bande originale mélancolique de Colin Towns.

Après la mort de sa fille, Julia sombre dans la dépression et échoue dans une chambre d’hôpital. Une fois sur pied, elle refuse de rentrer chez elle et prend la fuite, en quête d’un nouvel environnement, d’un nouveau quartier, d’une nouvelle maison… Le traumatisme semble avoir agi comme un révélateur sur une vie de couple faite de convenances et de faux-semblants. Son époux Magnus (Keir Dullea, le héros de 2001 l’Odyssée de l’Espace) l’aimait-elle encore ? « Il était très important que je prenne un nouveau départ pendant que j’en avais encore le courage » explique-t-elle à sa belle-sœur Lily. Lorsque Julia visite sa nouvelle demeure, elle y découvre une ancienne chambre d’enfant avec de vieux jouets cassés. Dès lors, sa fêlure s’accroît. Comme le confirment ces visions furtives devant une école ou dans un square, où elle croit apercevoir l’espace d’une seconde la silhouette de sa défunte fille. Or il semblerait que sa maison ait elle aussi été le théâtre d’un drame passé, lié à la disparition d’une autre petite fille et à la mort d’un jeune garçon.

D'où la hantise vient-elle ?

Les pièces du puzzle s’assemblent ainsi une à une, au fil de l’enquête que mène Julia avec opiniâtreté, jusqu’à l‘invraisemblable vérité. Lorsque Richard Loncraine nous livre l’ultime plan de son film, c’est un choc d’un nihilisme absolu qu’il assène à ses spectateurs, l’effet de malaise étant une fois de plus accentué par la douceur avec laquelle s’affiche ce douloureux épilogue. Et, comme toutes les œuvres majeures ayant abordé avant lui le thème de la hantise, La Maison du Diable et Les Innocents en tête, Le Cercle Infernal se garde bien d’expliquer fermement et définitivement la nature du fantôme venu tourmenter Julia. La réponse est-elle d’ordre surnaturel ou psychiatrique ? A chacun de trancher, même si le roman initial, adepte lui aussi de l’ambigüité, laissait échapper quelques indices optant plus ouvertement pour une des deux hypothèses.

 

© Gilles Penso

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LES TRAQUÉS DE L’AN 2000 (1981)

Les gardiens d'un pénitencier futuriste dictatorial organisent des chasses à l'homme pour distraire une poignée de nantis

TURKEY SHOOT

1981 – AUSTRALIE

Réalisé par Brian Trenchard-Smith

Avec Steve Railsback, Olivia Hussey, Michael Craig, Carmen Duncan, Noel Ferrier, Lynda Stoner, Roger Ward, John Ley

THEMA FUTUR

« La liberté c’est l’obéissance, l’obéissance c’est le travail, et le travail c’est la vie ». Tel est le slogan sans cesse scandé dans les camps de rééducation du monde futuriste guère engageant décrit dans Les Traqués de l’An 2000, produit en Australie suite au succès des deux premiers Mad Max. Dans cette société totalitaire et anti-individualiste, les « déviants » sont parqués et torturés. Le scénario se centre sur l’un de ces sinistres lieux de détention, le camp 97 mené d’une poigne de fer par un dénommé Thatcher. Ce patronyme a-t-il été choisi en regard du premier ministre anglais de l’époque ? Difficile à dire. Toujours est-il que le film a été rebaptisé Blood Camp Thatcher en Grande-Bretagne. Paul Landers, animateur d’une radio pirate subversive, Chris Walters, arrêtée pour avoir tenté de lui porter secours, et Rita Daniels, accusée à tort de s’être prostituée, sont les derniers prisonniers en date de Thatcher. Fraîchement débarqués sous son giron, ils découvrent un environnement hostile et cruel, où les gardiens s’amusent à violer, battre à mort ou immoler certains détenus pour se distraire. Assez curieusement, les douches sont mixtes, mais les hauts parleurs répètent inlassablement que la grossesse et les maladies vénériennes sont des délits susceptibles d’être punis, et que l’homosexualité est un délit capital.

Afin de satisfaire les tendances sadiques de certaines personnalités de la haute société, Thatcher organise de temps en temps des chasses à courre avec les prisonniers. Certains d’entre eux se voient donc proposer une chance de s’échapper du camp, pour peu qu’ils ne soient pas abattus par les poursuivants lancés à leurs trousses. Paul, Chris, Rita et un quatrième compagnon d’infortune acceptent la proposition, dans l’espoir de gagner leur liberté. Les voilà donc poursuivis par Thatcher équipé d’un fusil à lunettes, d’une amazone chevauchant un étalon et armée d’une arbalète, ou encore d’un chasseur impitoyable qui conduit un bulldozer en compagnie d’un monstre de foire aux allures de loup-garou. Dès lors, Les Traqués de l’An 2000 reprend une trame voisine de celle de Punsihment Park, si ce n’est que ce film-ci se soucie bien moins de la satire sociale et du pamphlet politique que celui de Peter Watkins. Car ici, c’est l’action violente qui prime.

« La révolution commence avec les inadaptés »

Du coup, nous sommes surtout proches des Chasses du Comte Zaroff, avec en prime un petit soupçon de « survival », avec jungle hostile, torrent sauvage et serpents menaçants. Brian Trenchard-Smith ne recule devant aucun effet gore, réservant aux prisonniers et aux chasseurs des sorts guère enviables : orteil arraché et dévoré, corps coupé en deux, visage criblé de flèches, éventrement sanglant, œil crevé, mains tranchées, machette dans le crâne, tête qui explose… Bref c’est un véritable défouloir, que ne vient contrebalancer aucun humour distancié. Jusqu’à la grande fusillade finale, élément récurrent de maints « films de prisons » qui évoque ici les climax de la série des Ilsa. Le tout aux accents d’une musique synthétique assez datée de Brian May, compositeur des deux premiers Mad Max. Le film s’achève sur une citation d’H.G. Wells : « La révolution commence avec les inadaptés. »

 

© Gilles Penso

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DEFENDER (2013)

Un film de super-héros indien qui déploie les gros moyens pour pouvoir rivaliser avec la déferlante américaine

KRRISH 3

2013 – INDE

Réalisé par Rakesh Roshan

Avec Priyanka Chopra, Hrithik Roshan, Amitabh Bachchan, Vivek Oberoi, Kangana Ranaut

THEMA SUPER-HEROS

Un virus d’un nouveau genre venu d’Afrique du Sud ravage la planète. Tandis que les victimes s’accumulent aux quatre coins du globe, la communauté scientifique cherche désespérément un vaccin. Derrière cette épidémie se cache le Dr Kaal, un chercheur renégat entouré d’une armée de créatures mutantes issues de ses expériences. Alors que le chaos s’étend, tout espoir semble perdu. C’est sans compter sur Blast, un héros masqué, sombre et solitaire, qui hante les hauteurs des mégapoles. Ses pouvoirs sont démesurés : il vole à des vitesses supersoniques, bondit d’immeuble en immeuble et peut soulever des buildings. Mais tout cela est-il suffisant pour endiguer la funeste menace qui plane sur l’humanité ? Plus gros producteur de films au monde, devançant largement les Etats-Unis, l’Inde a eu bien du mal à faire connaître ses réalisations au monde occidental. Le changement s’est opéré en 2001 avec la sortie du film Coup de foudre à Bollywood qui a fait découvrir aux spectateurs un univers à part, coloré, flamboyant et musical. Rakesh Roshan est l’un des metteurs en scène qui a le plus de succès là-bas, avec à son palmarès Kaho Naa Pyaar Hai, réalisé en 2000, le film le plus récompensé du cinéma bollywoodien. En bon père de famille, Rakesh Roshan a mis sur le devant de la scène son fils Hrithik Roshan et en a fait une star. C’est d’ailleurs lui le héros du film qui nous intéresse ici, à savoir Defendertitre américanisé de Krrish 3, qui est donc le troisième volet de la saga Krrish débutée en 2006.

Krrish est le nom du super-héros qui devient dans la version européenne « Blast ». Une version européenne qui a zappé toutes les séquences dansées et chantées, raccourcissant la durée du film de 2h26 à 2h11 environ. Notre héros masqué possède tout un tas de supers pouvoirs et les utilise sans sourciller pour faire régner la justice. Les chorégraphies, confectionnées par un maître chinois expert en la matière, sont très réussies et les effets visuels sont également d’un bon niveau, permettant à Blast de courir à une vitesse prodigieuse, de sauter à des hauteurs incroyables, de franchir les immeubles en faisant des sauts gigantesques, de virevolter dans les airs, sur terre, et d’effectuer des prouesses en combat au corps à corps. Franchement, Defender n’a pas à rougir de la comparaison avec ses homologues américains. Qui plus est, Blast est un super-héros un peu hors norme : il est marié, se retrouve sans cesse à la recherche d’un emploi (son activité de super-héros le faisant continuellement arriver en retard à ses différents jobs, ce qui ne plait guère aux patrons), va prochainement devenir papa d’un petit garçon, se montre très attaché à sa famille, et surtout, il nous apparaît profondément touchant car derrière cette carapace de héros invincible se cache un être sensible qui n’hésite pas à pleurer devant les drames de la vie quotidienne ou lorsque des innocents périssent.

Une armée de mutants mi-hommes mi-bêtes

Qui dit film de super-héros dit obligatoirement super-vilain, ici interprété par Vivek Oberoi. Ce personnage détestable n’hésite pas à propager un terrible virus qui cause la mort de milliers de personnes pour ensuite en proposer l’antidote et gagner ainsi de nombreux billets verts. Il possède en outre lui aussi quelques pouvoirs qui mettront à mal l’invincibilité de Blast. A noter que l’armée de ce super-vilain est composée de mutants façon L’île du docteur Moreau, à savoir des hommes ayant le pouvoir de différents animaux, comme le caméleon, le rhinocéros ou la grenouille. Defender est donc un divertissement de grande qualité, épique, virtuose, qui mélange action, humour, drame, émotion, danse et chants dans un cocktail parfaitement dosé, bénéficiant d’un casting impeccable, d’une réalisation nerveuse et dynamique empruntant au standard de l’actionner US (on pense à Matrix entre autre pour certaines chorégraphies et le look du héros), d’une volonté de bien faire qui se ressent à chaque image, d’une composition musicale accompagnant parfaitement les images qu’elle illustre et d’un super-héros très charismatique. Un film à découvrir dans son montage original pour pouvoir apprécier toute la richesse de ce cinéma « autre » qui fait du bien par où il passe.

 

© Stéphane Ebisti

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KING KONG REVIENT (1976)

En réponse au King Kong de Dino de Laurentiis, la Corée du Sud nous offre ce nanar de compétition tourné en relief !

A.P.E. / SUPER KONG

1976 – COREE DU SUD / USA

Réalisé par Paul Leder

Avec Rod Arrants, Joanna de Varona, Alex Nicol, Nak-hun Lee, Jerry Hartke, Yoin Jang Woo, Paul Leder, Bob Kurez

THEMA SINGES

Le remake de King Kong version Dino de Laurentiis entraîna dans son sillage tout et n’importe quoi. D’où cette variante coréenne catastrophique, avec un acteur déguisé, un scénario absurde, des trucages risibles, et le tout en relief s’il vous plaît ! La scène d’introduction donne le ton : deux hommes à bord d’un cargo discutent gravement du gorille géant qu’ils transportent dans leur cale. Soudain, la caméra tremble et le monstre s’échappe. On découvre alors un homme dans une atroce panoplie velue, censé représenter ledit gorille, qui fait joujou dans un bassin avec une maquette de bateau, puis affronte un amalgame caoutchouteux aux vagues allures de requin à qui il écartèle la mâchoire, allusion désarmante de maladresse au combat avec l’allosaure du King Kong original. Le singe géant atteint ensuite le port, détruit de jolis docks miniatures et provoque un grand incendie. Semant la panique en Corée où il vient de débarquer, il lutte avec un serpent géant (en fait un petit reptile qui a l’air bien inoffensif) puis capture la comédienne Marilyn Chambers (Joanna de Varona).

L’armée intervient et Tom (Rod Arrants), le fiancé de Marilyn, la sauve in extremis des griffes du vilain primate pour la confier à une amie coréenne. Mais le gorille géant revient en ville après avoir détruit les hélicoptères de l’armée, se dirige dans le quartier où s’est réfugiée Marilyn, détruit les immeubles et l’enlève à nouveau avant de s’enfuir dans les montagnes. Là, les militaires décident d’en découdre une bonne fois pour toutes, et à l’issue d’un combat pas vraiment épique, au cours duquel le singe balance à tour de bras des tonnes de rochers et de gravats, le récit s’achemine vers la chute classique : celle du monstre ensanglanté, s’écroulant aux pieds des fiers humains en uniforme.

« Les limites de notre monde sont devenues trop étroites »

Visiblement peu conscient du grand potentiel comique involontaire de son film, Paul Leder (père de Mimi Leder, future réalisatrice des très sérieux Le Pacificateur et Deep Impact) croit bon d’y ajouter des touches d’humour gras, transformant son pseudo King Kong en voyeur (la scène où il regarde par la fenêtre d’une prostituée d’un air enjoué) ou en farceur vulgaire (l’autre scène où, après avoir abattu un hélicoptère, il lui adresse carrément un bras d’honneur !). Pour insister sur le gigantisme du gorille, on n’hésite pas à utiliser des vaches en plastique immobiles que l’acteur déguisé enjambe, ou une maquette de deltaplane suspendue par des fils bien visibles. L’héroïne ahurie se jette régulièrement en criant dans la main inerte du monstre, et le spectateur pleure de rire devant tant de niaiseries. Au moment de la mort du gorille, le dialogue final atteint des sommets philosophiques. « Oh, pourquoi Tom, pourquoi ? », s’exclame Marilyn en essayant de toutes ses forces d’imiter Jessica Lange. « Parce que les limites de notre monde sont devenues trop étroites », rétorque imperturbablement Tom qui, visiblement, en a vu d’autres. On note que si le titre original évacue volontairement toute référence à King Kong en se contentant d’un sobre Ape, les distributeurs français, eux, se sont montrés moins scrupuleux, sans toutefois oser exploiter le film en relief.

 

© Gilles Penso

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