L’OISEAU AU PLUMAGE DE CRISTAL (1970)

Le premier long-métrage de Dario Argento porte déjà en substance tout son univers, son esthétique et ses thématiques

L’UCCELLO DALLE PIUME DI CRISTALLO

1970 – ITALIE

Réalisé par Dario Argento

Avec Tony Musante, Suzy Kendall, Enrico Maria Salerno, Eva Renzi, Umberto Raho, Renato Romano

THEMA TUEURS I SAGA DARIO ARGENTO

Premier film de Dario Argento, L’Oiseau au plumage de cristal contient déjà en substance tout ce qui fera l’œuvre future du cinéaste : un recyclage du « giallo » que son mentor Mario Bava et maints autres cinéastes italiens ont longuement pratiqué (meurtres à l’arme blanche, assassins vêtus et gantés de noir, belles victimes féminines), quelques éléments thématiques et visuels empruntés à Hitchcock (en particulier à Psychose), un titre animalier poétique et mystérieux, et surtout un récit concentré sur une énigme liée à un souvenir faussé. Le film se déroule à Rome et prend pour héros Sam Dalmas (Tony Musante), un écrivain américain qui assiste en pleine nuit à l’agression d’une jeune femme par un homme tout de noir vêtu, à travers la vitrine d’une exposition d’art. La galerie étant fermée, Sam ne peut porter secours à la jeune femme qui se traîne de douleur, et il n’a pu apercevoir que la silhouette de l’agresseur. Mais son intervention permet au moins à l’assassin de s’enfuir avant de tuer sa victime. Devenu témoin numéro un, l’Américain voit sa vie menacée à plusieurs reprises, tandis que le tueur en série multiplie ses victimes. Sam essaie désespérément de se souvenir précisément du meurtre, mais tout s’est passé très vite, et il sent qu’un détail important échappe à sa mémoire. Sur l’enregistrement de plusieurs coups de téléphone anonymes que reçoit Sam, la police entend en arrière-plan un son répétitif, métallique, qui se révèle être le cri d’un oiseau rarissime, exposé dans un zoo à Rome. Cet élément va permettre aux enquêteurs de situer l’adresse du suspect…

Composant très adroitement sur le thème de l’interprétation arbitraire d’un événement aperçu brièvement, Argento renforce avec un talent alors très prometteur l’identification du public au personnage principal. « Ce qui m’intéressait dans ce film, c’était de jouer sur les à priori des spectateurs », nous explique-t-il. « Notre culture veut que si nous voyons une jeune femme en blanc lutter avec un homme tout en noir, nous pensions automatiquement qu’elle est la victime et lui l’agresseur. Cela altère nos perceptions, fausse notre jugement, et du coup nous croyons voir des choses alors qu’il n’en est rien. » (1) Ce motif deviendra récurrent dans l’œuvre d’Argento, et donnera naissance à quelques-unes de ses plus belles réussites.

Un style déjà très affirmé

A mi-chemin entre le récit policier et le film d’horreur, le réalisateur injecte déjà dans L’Oiseau au plumage de cristal un style très personnel, pas encore très marqué, certes, mais déjà fort reconnaissable. Les angles de prise de vue surprennent souvent, tout comme plusieurs rebondissements scénaristiques qui annoncent beaucoup ceux de Ténèbres. L’enquête policière, qui aurait pu emprunter la voie du classicisme, sert de prétexte à de nombreuses idées originales (la plus mémorable étant indiscutablement le bruit pendant l’appel téléphonique, qui donne au titre tout son sens, et dont l’idée sera reprise entre autres dans Peur sur la ville de Henri Verneuil et Le Fugitif d’Andrew Davis) ainsi qu’à des scènes d’épouvante relativement tempérées en regard des futures œuvres horrifiques de Dario Argento.

 

(1) Propos recueillis par votre serviteur en février 1994.

 

© Gilles Penso

 

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SUSPIRIA (1977)

Dario Argento s'éloigne des intrigues policières horrifiques dont il s'était fait une spécialité pour basculer dans le fantastique cauchemardesque

SUSPIRIA

1977 – ITALIE

Réalisé par Dario Argento

Avec Jessica Harper, Stefania Casini, Flavio Bucci, Miguel Bosé, Barbara Magnolfi, Susanna Javicoli, Udo Kier, Alida Valli

THEMA SORCELLERIE ET MAGIE I SAGA LES TROIS MERES I SAGA DARIO ARGENTO

Suspiria est la première incursion de Dario Argento dans l’univers du fantastique pur, la sorcellerie servant ici de base à l’intrigue. L’étrangeté s’y immisce d’emblée, dès l’arrivée de son héroïne Suzie (Jessica Harper) à l’aéroport. En pays étranger (elle est Américaine et vient s’inscrire dans une école de danse européenne, la prestigieuse Académie Talm), la jeune fille plonge dans un univers quasi-parallèle, ce que semble confirmer l’attitude bizarrement inquiétante des employés de l’établissement. Le surnaturel n’intervient pourtant pas tout de suite, Argento reprenant une partie des codes du « giallo » pour décrire un meurtre préliminaire extrêmement spectaculaire, au cours duquel une jeune fille est percée d’une dizaine de coups de couteau, le dernier perforant son cœur mis à nu. La victime traverse un vitrail et finit suspendue dans le vide. Pour autant, le traitement de l’horreur n’a rien de réaliste dans Suspiria. Le sang y ressemble à de la peinture rouge, muant presque la violence en une abstraction, une vue de l’esprit. D’ailleurs le rouge vif est très présent dans les décors et la lumière, évoquant le titre original d’un autre classique d’Argento, Profondo Rosso (Les Frissons de l’angoisse). Pour renforcer le caractère insolite du film, le cinéaste multiplie les cadrages inattendus, plaçant parfois sa caméra derrière une ampoule, à la place d’un verre de vin ou au-dessus d’un lavabo. 

Avec ce fameux premier meurtre, Argento exploite l’idée d’un témoin qui n’a aperçu que les bribes déformées d’un événement et tente d’en reconstituer le puzzle, comme dans L’Oiseau au plumage de cristal, récurrence que le cinéaste a toujours partagée avec Brian de Palma. On trouve également des correspondances avec l’univers de Lucio Fulci qui réutilisera plusieurs motifs de Suspiria : la pluie d’asticots (Frayeurs), l’agression du chien d’aveugle (L’Au-delà), l’attaque de la chauve-souris (La Maison près du cimetière). A pas feutrés, Suspiria bascule dans le Fantastique avec un grand F, les inquiétantes respirations nocturnes qui résonnent dans l’école de danse annonçant l’apparition furtive mais marquante d’une sorcière répondant à tous les critères physiques énoncés dans les contes des frères Grimm. « Pour ce film, je me suis beaucoup inspiré des contes de fées qu’on me racontait dans mon enfance, et même de certains dessins animés de Walt Disney », nous avoue d’ailleurs Argento. « Quand j’ai vu Blanche Neige et les sept nains, j’étais très jeune et le film m’avait sacrément effrayé. C’était une sorte de film d’horreur pour enfants. J’ai donc réutilisé toute cette imagerie pour Suspiria. C’est en quelques sortes un conte de fées moderne et horrifique. Voilà pourquoi on y trouve une héroïne innocente et fragile confrontée à l’adversité et à une méchante sorcière. Tous les symboles des contes traditionnels sont dans le film : la magie, l’école de jeunes filles, et même le loup (qui s’est transformé ici en chien d’aveugle dévorant son maître). » (1)

L'antre de la folie

Avec Suspiria se met en place la mythologie des « Trois Mères » que Dario Argento déclinera sur deux autres longs-métrages, Inferno et Mother of Tears. Un psychiatre que consulte Suzie lui apprend ainsi que l’Académie Talm a été fondée en 1895 par Elena Marcos, une sorcière répondant au doux surnom de « Reine Noire », avant d’affirmer avec matérialisme que « le malheur ne vient pas des miroirs fêlés mais des cerveaux fêlés ». Suspiria serait-il donc une allégorie de la folie ? « La folie et la magie ont toujours été associées dans l’histoire de l’humanité », nous répond Argento. « Les gens possédés par le démon sont systématiquement taxés de malades mentaux par la science et la médecine. La plupart de ceux qui prétendent disposer de dons paranormaux ou de pouvoirs magiques sont considérés comme des fous. Mais les choses ne sont peut-être pas aussi simples. D’ailleurs, dans cette même scène, un autre psychologue, beaucoup moins rationnel, affirme : “la magie est une chose à laquelle tout le monde a toujours cru“. C’est Rudolf Schündler, un acteur qui jouait dans de vieux films de Fritz Lang, qui interprète ce personnage. Je ne l’ai pas choisi au hasard ! » (2) A l’extraordinaire direction artistique du film s’ajoute une inoubliable bande originale du groupe Goblin, jouant sur les sonorités des boîtes à musique et les halètements oppressants, et parachevant ce que d’aucuns considèrent comme LE chef d’œuvre de Dario Argento.

 

(1) et (2) Propos recueillis par votre serviteur en février 2011

 

© Gilles Penso

 

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LA PLANETE DES DINOSAURES (1978)

Un groupe d'astronautes s'échoue sur une planète peuplée de créatures préhistoriques, dont un redoutable T-rex qui entend bien défendre son territoire

PLANET OF DINOSAURS

1977 – USA

Réalisé par James K. Shea

Avec James Whitworth, Pamela Bottaro, Harvey Shain, Louie Lawless, Charlotte Speer, Chuck Pennington, Derna Wylde

THEMA DINOSAURES

Voilà ma foi un petit film indépendant fort sympathique qui utilise un scénario de science-fiction prétexte pour accumuler de magnifiques séquences d’animation image par image mettant en scène des dinosaures très réussis et surtout très nombreux. Explorant les confins de notre galaxie, une fusée terrienne découvre une planète inconnue. Contraints d’abandonner leur vaisseau spatial, qui s’enfonce dans le lac sur lequel ils se sont posés, les nouveaux naufragés vont devoir affronter un monde peuplé de monstres préhistoriques agressifs ardemment décidés à protéger leur territoire. Conçus par James Aupperle, tous les animaux sont sculptés et moulés par Stephen A. Czerkas, spécialisé dans les reconstitutions de dinosaures pour les musées, les académies de sciences et les centres d’éducations, et principalement animés par le talentueux Doug Beswick (Evil Dead 2, Freddy 3, Beetlejuice).

Le premier saurien à faire son apparition est un massif brontosaure qui mâchonne tranquillement des fougères en observant les visiteurs. Bien plus pugnace, un quadrupède cornu aux allures de tricératops se met bientôt à courser l’un des hommes jusqu’au bord d’un précipice avant de lui planter sa corne dans le ventre, en une variante sanglante de la scène du chasmosaure de Quand les dinosaures dominaient le monde. Parmi les autres rencontres guère engageantes de l’équipage se trouve une araignée géante qui attaque l’une des naufragées dans une grotte. Mais la star du film est un redoutable tyrannosaure qui lutte contre un stégosaure, dévore un jeune allosaure et tue un sosie du Monstre des temps perdus, le temps d’un clin d’œil pour le moins inattendu au maître incontesté de la stop-motion. « C’était un vrai bonheur de faire bouger une créature que Ray Harryhausen avait animée avant moi ! » reconnaît avec joie Doug Beswick (1). Le tyrannosaure vedette finit d’ailleurs empalé sur un pieu, comme l’allosaure de Un million d’années avant JC.

D'excellentes séquences en stop-motion

C’est donc un véritable festival non-stop qui ne peut que combler les fans d’animation. Certes, les mouvements et les « expressions » des créatures ne vont pas aussi loin que les merveilles que nous offrirent jadis Ray Harryhausen et Jim Danforth, mais les monstres préhistoriques de La Planète des dinosaures restent dans le domaine des plus réussis jamais vus à l’écran, ce qui constitue un véritable exploit pour un film aussi modeste. En outre, les rétro-projections, les sols miniatures et les caches qui permettent la confrontation avec les humains ne trahissent jamais le travail des animateurs. Il faut également signaler les belles peintures sur verre de Jim Danforth qui prolongent les paysages réels. « Il fallait trouver des tas d’idées pour que rien ne coûte trop cher, car le budget de ce film était très faible », se souvient Beswick (2). Le seul véritable regret qu’on puisse formuler, en dehors du jeu très approximatif des comédiens, concerne la musique synthétique, assez peu audible. Quelque dix ans plus tard, Fred Olen Ray réutilisera des plans de ces dinosaures très photogéniques pour The Phantom Empire. Ces sauriens, qui ont décidément la vie longue, réapparaîtront également sous forme de stock-shots dans Galaxy of Terror en 1992.

 

(1) et (2) Produits recueillis par votre serviteur en avril 1998. 

© Gilles Penso

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5150 RUE DES ORMES (2009)

Un jeune cycliste est séquestré par un psychopathe aux allures de tranquille père de famille

5150 RUE DES ORMES

2009 – CANADA

Réalisé par Eric Tessier

Avec Marc-André Grondin, Normand d’Amour, Sonia Vachon, Mylène St-Sauveur, Elodie Larivière, Catherine Bérubé

THEMA TUEURS

Suite à une chute de vélo, Yannick, un étudiant en cinéma, frappe à la porte de Jacques Beaulieu, au 5150 rue des Ormes, au bout d’une allée tranquille dans une petite ville sans histoire. Mais sous ses airs affables, Beaulieu est un déséquilibré qui mène d’une main de fer sa famille et séquestre sans raison Yannick dans une petite chambre au premier étage. Tandis que le jeune homme tente par tous les moyens de s’échapper, son geôlier semble sur le point de peaufiner un mystérieux projet qu’il camoufle dans sa cave… Partagé entre l’humour noir, l’horreur psychologique et le suspense, 5150 rue des Ormes parvient sans faille à nous captiver et à conserver une unité de ton grâce à l’indéniable savoir-faire du réalisateur Eric Tessier, signant ici son troisième long-métrage après le drame d’épouvante Sur le seuil et la comédie Vendus. Sa mise en scène minutieuse et ses comédiens très convaincants emportent immédiatement l’adhésion et savent habilement jouer avec nos nerfs tout au long de cette œuvre atypique laissant entrevoir la possibilité d’un souffle de vent nouveau sur le cinéma populaire canadien. « Nous nous sommes efforcés de donner à chaque personnage sa propre courbe dramatique, et je trouvais intéressant de suivre chacun d’entre eux indépendamment », explique Eric Tessier. « Mais il est difficile, au cinéma, de multiplier les personnages sans perdre le spectateur. A la télévision, c’est beaucoup plus simple parce qu’on peut étaler les histoires sur de nombreux épisodes » (1). 

Évacuant tout manichéisme trop évident, Eric Tessier et son scénariste Patrick Sénécal (auteur du roman homonyme dont s’inspire le film) s’attachent ainsi tour à tour à tous les acteurs du drame, bourreaux ou victimes, et parviennent à développer pour chacun d’eux une problématique susceptible de toucher les spectateurs. Le père Beaulieu est tellement attaché aux valeurs morales qu’il bascule sans s’en rendre compte dans la psychopathie ; son épouse se soumet au régime autocratique familial en enterrant ses doutes sous d’épaisses couches de bigoterie judéo-chrétienne ; la fille aînée développe une frustration grandissante face à sa propre incapacité à satisfaire les exigences paternelles ; la cadette s’enferme dans un mutisme pathologique qui pourrait bien être une forme cachée de lucidité… 

Secrets de famille

« Chaque famille a son propre fonctionnement, sa propre logique », raconte Tessier. « Et quand on rencontre Beaulieu dans le film, le tortionnaire, on trouve ses actes épouvantables mais on n’arrive pas vraiment à le détester. Cet aspect ambigu, un peu malsain, m’intéressait beaucoup » (2). Quant à notre captif, il lutte comme il peut pour conserver sa raison et, à l’instar de l’infortuné héros du « Joueur d’échec » de Stefan Zweig, trompe son ennui en imaginant des affrontements de pièces noires et blanches sur un échiquier virtuel, ce qui plonge certaines séquences du film dans un onirisme surréaliste inattendu. De toute évidence, Eric Tessier est un réalisateur à suivre désormais de très près, et le final paroxystique de 5150 rue des Ormes, duquel personne ne ressortira indemne, nous donne déjà envie de découvrir ses futurs travaux de cinéaste.

 

(1) et (2) Propos recueillis par votre serviteur en février 2010.

 

© Gilles Penso

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LE DERNIER EXORCISME (2010)

Une variante de L'Exorciste en « found footage » qui hélas ne tient pas toutes ses promesses

THE LAST EXORCISM

2010 – USA

Réalisé par Daniel Stamm

Avec Patrick Fabian, Ashley Bell, Louis Herthum, Iris Bahr, Caleb Landry Jones, Tony Bentley, Becky Fly, Shanna Forrestall

THEMA DIABLE ET DEMONS

A priori, un film d’horreur tourné en vidéo, façon reportage à la première personne, n’a rien de foncièrement d’original après Le Projet Blair Witch, [Rec]CloverfieldDiary of the Dead ou encore Paranormal Activity. Si en outre le scénario tourne autour d’un prêtre parti exorciser une adolescente possédée, l’appréhension du sentiment de déjà-vu guette légitimement tout spectateur normalement constitué. Pourtant, dès ses premières minutes, Le Dernier exorcisme parvient à nous intriguer et à manifester une tonalité surprenante, loin des sentiers que l’on craignait battus. « Il est très difficile d’innover, notamment dans le domaine de l’horreur », avoue le réalisateur Daniel Stamm, repéré par les producteurs grâce à son faux documentaire A Necessary Death. « Tout tourne autour de sujets qui sont liés aux terreurs primaires que nous avons tous depuis notre enfance. Ce sont des thèmes fascinants auxquels tout le monde peut s’identifier, mais ils ont été déclinés des milliers de fois au cours de l’histoire du cinéma. Trouver un sujet inédit dans ce domaine est donc en soi très compliqué. Avec l’exorcisme, le champ se restreint davantage encore. Voilà pourquoi il est nécessaire de trouver l’angle narratif qui fera la différence. Dans le cas du Dernier exorcisme, nous avons choisi un protagoniste inhabituel tout en injectant dans l’intrigue beaucoup d’humour, du moins au début. » (1)

 

Le protagoniste du Dernier exorcisme est le révérend Cotton Marcus (Patrick Fabian), un homme d’église en perte de foi s’efforçant de démontrer la supercherie que camouflent la plupart des séances d’exorcisme. Il accepte donc qu’une équipe de tournage le suive au cours d’une de ses « missions divines » et s’équipe de tout un attirail d’accessoires truqués (crucifix à fumigène, enregistrement de fausses voix démoniaques, systèmes de câbles pour faire trembler le mobilier, etc…). Il choisit au hasard une des nombreuses lettres qu’il reçoit quotidiennement, en l’occurrence celle d’un fermier persuadé que sa fille est possédée par le démon, et s’enfonce dans la campagne profonde en compagnie d’un caméraman et d’une journaliste. L’accueil qu’il reçoit sur place est plutôt mitigé : si le père, un homme simple et bigot, et si sa fille Nell, une adolescente joviale mais visiblement troublée psychiquement, se réjouissent de sa venue, le fiston de la famille, pour sa part, le regarde d’un œil très mauvais. Les séances de faux exorcisme commencent, mais bientôt les convictions de Cotton et de sa petite équipe vont être mises à rude épreuve…

Un procédé filmique qui ne s'assume pas

Toute la première moitié du Dernier exorcisme s’avère savoureuse, grâce au jeu cynique de Patrick Fabian, au regard distancié que le film porte sur le fanatisme religieux (avec une parodie assumée des séquences clef de L’Exorciste entrées dans l’inconscient collectif) et à la mise en scène minutieuse de Daniel Stamm. Mais en cours de route, toute rigueur semble s’évaporer. Le langage filmique, qui respectait jusqu’alors le principe d’un documentaire tourné par une petite équipe vidéo, fait soudain fi de toute logique. Les discussions sont filmées en champ et contrechamp (un procédé évidemment impossible avec une seule caméra), une musique d’ambiance et des effets de montage purement cinématographiques brisent tout sentiment de réalisme… Pire : au moment où Nell, visiblement possédée, se contorsionne atrocement, le caméraman choisit de filmer les réactions des gens présents au lieu de rester concentré sur le phénomène ! Tous ces choix de réalisation, conçus pour dynamiser le montage et laisser vagabonder l’imagination du spectateur, sont incompatibles avec l’idée d’un tournage subjectif. Le scénario lui-même oublie ses innovations initiales, accumulant les lieux communs jusqu’à imiter servilement (et cette fois ci sans aucun second degré) L’Exorciste et Rosemary’s Baby. « Mieux vaut partir du cliché qu’y arriver » disait Alfred Hitchcock. Stamm et son producteur Eli Roth, hélas, ont fait exactement le contraire.

 

(1) Propos recueillis par votre serviteur en janvier 2022

© Gilles Penso

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PIRANHA 3D (2010)

Alexandre Aja revisite le petit classique de Joe Dante dont il tente de retrouver l'équilibre entre humour et horreur

PIRANHA 3D

2010 – USA

Réalisé par Alexandre Aja

Avec Elisabeth Shue, Jerry O’Connell, Steven R. McQueen, Jessica Szohr, Kelly Brook, Ving Rhames, Christopher Lloyd

THEMA MONSTRES MARINS I SAGA PIRANHAS I ALEXANDRE AJA

Troisième remake consécutif réalisé par Alexandre Aja, après La Colline a des yeux et MirrorsPiranha 3D ressemble à une parenthèse dans la carrière du jeune cinéaste, une sorte de récréation lui permettant de projeter sur grand écran un patchwork d’influences liées aux films de son adolescence. Ainsi, malgré l’outrance de ses effets gore craspecs et les déshabillages intempestifs de ses figurantes siliconées (héritage respectif des films d’horreur et des teen movies des années 2000), cette relecture du Piranhas de Joe Dante (qui fit déjà l’objet d’un remake en 1995) fleure bon les années 80. Le casting témoigne ouvertement de cette tendance, offrant des rôles référentiels à Elisabeth Shue (Karate Kid, Cocktail), Jerry O’Connell (Stand by me), Christopher Lloyd (Retour vers le futur) et Richard Dreyfuss (Les Dents de la mer).

L’utilisation du relief elle-même, argument marketing important du film, n’a jamais la prétention de révolutionner le langage cinématographique mais relève plutôt du gimmick de base qui consiste à envoyer un maximum de projectiles, de monstres grimaçants ou de poitrines plantureuses à la figure des spectateurs, comme au bon vieux temps des Dents de la Mer 3D ou de Meurtres en trois dimensions. S’il reprend le principe du film de Joe Dante et quelques éléments de sa structure narrative, le scénario de ce Piranha n’en conserve ni le scénario, ni les personnages. Ici, les poissons voraces ne sont pas le fruit de manipulations de l’armée mais trouvent leur origine au fin fond de la préhistoire, un séisme sous-marin les ayant soudain ramenés dans le lac Viktoria. Or c’est justement dans ce cadre idyllique que viennent s’ébattre tous les étés des centaines d’adolescents écervelés afin de jouir des innombrables activités culturelles offertes par le « Springbreak » : concours de t-shirts mouillés, beuveries à la bière, ski nautique topless, musique techno envahissante et orgies en tous genres. Evidemment, voilà un repas fort appétissant pour nos piranhas antédiluviens.

Sea, Sex and Blood

« À travers mes films, j’essaie toujours de me mettre du côté des gens qui vont traverser des expériences extrêmes et lutter pour leur survie », explique le réalisateur. « La seule exception est Piranhas 3D où, pour une fois, je suis du côté des monstres, pas de leurs victimes. Je me suis amusé à inverser la tendance parce que ce film est avant tout une comédie. » (1) Certes, le second degré omniprésent est souvent très réjouissant, les séquences horrifiques dégoulinent sans réserves (le massacre final est à ce titre un véritable morceau d’anthologie, porté par des effets de maquillage hallucinants de l’atelier KNB) et l’érotisme dévergondé force la sympathie. Mais à tant vouloir se défouler, Alexandre Aja omet l’essentiel : la construction de personnages intéressants et l’élaboration de séquences de suspense propres à solliciter la participation active du public. A force d’excès, rien ne nous touche et l’impact du film s’en ressent fatalement. Joe Dante lui-même, lorsqu’il décrivait les méfaits joyeux des Gremlins, n’oubliait jamais en cours de route de s’attacher à ses protagonistes. Rien de tel ici. Comme en outre l’humour graveleux frôle par moments l’indigestion (un pénis sectionné coule à pic, puis un piranhas s’en empare, avant qu’un autre ne lui dispute ce met de choix, le membre est enfin englouti avec voracité, puis régurgité avec un rôt bruyant, le tout en plan séquence…) et que les effets 3D approximatifs, bricolés à la va-vite après le tournage, nous assènent quelques dédoublements et effets de flous propices à la migraine, le bilan demeure finalement très mitigé.


(1) Propos recueillis par votre serviteur en juin 2021

 

© Gilles Penso

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DJINNS (2010)

Hughes et Sandra Martin transportent les démons antiques de la mythologie arabe en pleine guerre d'Algérie

DJINNS

2010 – FRANCE

Réalisé par Hughes et Sandra Martin

Avec Grégoire Leprince-Ringuet, Thierry Frémont, Aurélien Wiik, Saïd Taghmaoui, Stéphane Debac, Cyril Raffaelli

THEMA DIABLE ET DEMONS

Mêler un argument purement fantastique, issu de l’imagerie colorée des contes des Mille et Une Nuits, à un contexte historique rigoureusement tangible, en l’occurrence la guerre d’Algérie : tel est le pari audacieux de Djinns, premier long-métrage d’Hugues et Sandra Martin. Nous sommes dans le désert algérien, en 1960. Une section de paras français a pour mission de retrouver un avion écrasé quelque part au milieu des dunes. Après quelques kilomètres d’errances dans le désert, l’épave est localisée et, comme on pouvait le craindre, n’abrite plus aucun survivant. En revanche, une mallette estampillée « Secret Défense » y est dénichée au milieu des cadavres desséchés. Soudain assaillie par un groupe de snipers locaux, l’escouade bat en retraite et trouve refuge dans une petite ville isolée et en partie abandonnée. La Gardienne des lieux tient à mettre en garde les nouveaux arrivants, mais c’est trop tard : ils ont réveillé les Djinns, redoutables esprits du désert…

L’une des premières qualités de Djinns est son casting, mixant habilement les chouchous du cinéma d’auteur français aux spécialistes de l’action musclée, les « petits jeunes » aux vétérans. Ainsi Grégoire Leprince-Ringuet, Cyril Raffaelli, Thierry Frémont, Aurélien Wiik ou Saïd Taghmaoui partagent-ils sans heurt l’affiche du film en un cocktail plutôt harmonieux. L’autre atout majeur du film est le soin apporté à sa mise en forme, tant du point de vue de l’atmosphère (décors, photographie, musique, ambiance générale) que de la mise en scène (la séquence tournée en 8 mm devant l’épave de l’avion et la fusillade qui lui succèdent sont deux moments forts du métrage, alternant sans préavis la légèreté et l’hypertension). Les intentions sont donc louables, mais l’intérêt finit par décroître dans la mesure où le sujet même du film finit par manquer cruellement d’intelligibilité.

La mauvaise conscience

Certes, l’idée d’un démon ancestral symbolisant la mauvaise conscience des soldats français enlisés dans un conflit absurde était excellente, et l’on s’étonne d’ailleurs que le cinéma américain ne l’ait pas plus tôt utilisée dans le contexte de la guerre du Vietnam. Mais toute la portée métaphorique du concept s’évapore face au laxisme caractérisant l’utilisation de l’élément fantastique. Car les créatures qui rampent sournoisement autour des protagonistes sans jamais interagir avec eux, le temps de deux ou trois séquences furtives, n’ont finalement pas beaucoup plus d’incidence scénaristique que le ridicule fantôme voltigeant autour de Sophie Marceau et Frédéric Diefenthal dans le triste Belphegor de Jean-Paul Salomé. D’autres carences, moins rédhibitoires, handicapent Djinns, notamment une certaine monotonie dans les péripéties du troisième acte, ainsi que le sérieux manque de consistance du « chef de commando » incarné par Saïd Taghmaoui. Voilà donc un projet qui démarre fort pour s’achever un peu chaotiquement, malgré de grandes ambitions (la séquence du cauchemar post-apocalyptique ou celle de l’attaque des scorpion sont assez frappantes) et une chute assez savoureuse. Le manque de moyens des jeunes réalisateurs et les nombreuses concessions auxquelles ils durent se plier expliquent probablement certaines déficiences qui s’atténueront peur-être à l’occasion d’un éventuel « director’s cut ».

© Gilles Penso

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PREDATORS (2010)

Ni remake, ni séquelle, cette variante sur le mythe créé par John McTiernan enchaîne d'efficaces séquences d'action mais oublie au passage toute profondeur

PREDATORS

2010 – USA

Réalisé par Nimrod Antal

Avec Adrien Brody, Topher Grace, Alice Braga, Walton Goggins, Oleg Taktarov, Laurence Fishburne, Danny Trejo

THEMA EXTRA-TERRESTRES I SAGA PREDATOR

Robert Rodriguez n’est certes pas le cinéaste le plus fin du monde, mais son hommage au cinéma d’horreur des années 70/80, Planète Terreur, était un véritable bijou cinéphilique. Le réalisateur hongrois Nimrod Antal, quant à lui, avait franchi la frontière hollywoodienne avec succès grâce à son suspense horrifique Motel redoutablement efficace. Savoir les deux hommes aux commandes d’un nouvel épisode de la saga Predator, le premier au poste de producteur, le second sur le fauteuil du réalisateur, avait de quoi laisser planer quelques espoirs, d’autant que Rodriguez et Antal n’ont jamais tari d’éloges sur le premier épisode de John McTiernan qu’ils semblent vénérer au plus haut point. A tel point, d’ailleurs, que Predators ne tient compte ni de Predator 2, ni des deux affligeants Alien vs. Predator pour mieux se concentrer sur le tout premier opus, qui semble être ici la référence absolue.

Le schéma narratif est a priori très similaire : un commando armé affronte des chasseurs extra-terrestres dans une jungle luxuriante. Mais le postulat de départ, lui, a beaucoup changé. A mi-chemin entre Cube et Lost, le prologue de Predators plonge en effet une dizaine de personnages qui ne se connaissent pas dans un lieu qui leur est tout autant étranger. Comment sont-ils arrivés dans cette forêt inhospitalière ? Pourquoi ? Qui se cache derrière cet enlèvement collectif ? Telles sont les interrogations mises en exergue dans la première partie prometteuse de Predators. Au bout d’une bonne vingtaine de minutes, les protagonistes découvrent ce que les spectateurs ont deviné depuis longtemps : ils ont été kidnappés et largués sur une planète qui sert de terrain de chasse à des prédateurs extra-terrestres émules du comte Zaroff. A partir de là, Predators se contente hélas d’imiter maladroitement son illustre modèle sans jamais chercher à le transcender.

 

Adrien Brody se prend pour Arnold Schwarzenegger

Certes, les maquillages de Greg Nicotero reproduisent à merveille la créature du regretté Stan Winston, le compositeur John Debney imite note par note la partition originale d’Alan Silvestri (occupé semble-t-il par la bande originale de L’Agence Tous Risques) et même Adrien Brody se prend pour Arnold Schwarzenegger, mais la mayonnaise ne prend pas pour autant. A quoi bon vouloir prolonger un classique s’il s’agit simplement d’en reproduire servilement les mécanismes ? D’autant que Nimrod Antal et Robert Rodriguez semblent n’avoir retenu de Predator que sa cosmétique sans se soucier un seul instant des thématiques développées par John McTiernan, des complexes relations qu’il tissait entre l’homme et la nature et du manichéisme qu’il s’amusait à détourner. Comme en outre le scénario de cette suite/remake regorge d’incohérences et de coups de théâtre absurdes, que les comédiens ont laissé leur finesse au placard (mention spéciale à Laurence Fishburne dans le rôle le moins crédible de sa carrière) et que la jungle soi-disant extra-terrestre ressemble à une forêt américaine pas exotique pour un sou, Predators met en exergue séquence après séquence l’inutilité de sa mise en œuvre et présente finalement un seul véritable mérite : renforcer davantage notre attachement au chef d’œuvre matriciel de John McTiernan.

 

© Gilles Penso

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INCEPTION (2010)

Et si des agents secrets étaient capables de s'infiltrer dans les rêves pour manipuler les comportements ?

INCEPTION

2010 – USA

Réalisé par Christopher Nolan

Avec Leonardo di Caprio, Ken Watanabe, Joseph Gordon-Levitt, Marion Cotillard, Ellen Page, Tom Hardy, Cillian Murphy, Dileep Rao, Tom Berenger, Pete Postelthwaite, Michael Caine, Lukas Haas, Tai-Li Lee, Magnus Nolan

THEMA RÊVES I ESPIONNAGE ET SCIENCE-FICTION

Christopher Nolan n’est pas le genre de réalisateur à prôner la facilité et les sujets légers. Même lorsqu’il s’approprie le travail des autres à l’occasion d’un remake (Insomnia), de l’adaptation d’un roman (Le Prestige) ou de la relecture d’un comic book populaire (Batman Begins, The Dark Knight), Nolan est capable d’insuffler à ses œuvres une noirceur, une complexité et une profondeur extrêmement personnelles. Avec Inception, il s’attaque pour la première fois depuis douze ans à un sujet 100% original, et le résultat dépasse toutes les espérances. Mixage incroyable entre un épisode de Mission impossible et le thriller paranormal Dreamscape de Joseph Ruben, le scénario d’Inception est un passionnant casse-tête chinois qui sollicite la participation active des spectateurs. En ce sens, cette expérience nous rappelle celle de Memento qui, lui aussi, ne pouvait s’apprécier qu’en s’immergeant corps et âme dans les méandres d’un scénario incroyablement tortueux. Et comme entre-temps Nolan a su séduire le public le plus large grâce à des blockbusters d’une grande intelligence, les studios lui font les yeux doux en lui allouant de confortables budgets. Grâce aux 200 millions de dollars mis ici à sa disposition, il peut donner corps à ses folles idées visuelles, n’hésitant jamais à recourir aux effets spéciaux les plus spectaculaires et aux scènes d’action les plus mouvementées pour mieux nourrir les réflexions soulevées par son récit.

Leonardo di Caprio incarne Dom Cobb, un espion qui sait s’introduire dans les rêves d’autrui afin de voler les secrets les plus intimes en toute impunité. Cobb est très convoité pour ses talents, mais c’est aussi un fugitif recherché par les autorités du monde entier. Pour se racheter une conduite, il accepte une dernière mission qui n’a pas pour objet de voler une idée mais au contraire d’en implanter une dans l’esprit de quelqu’un… « La suggestion consiste à faire dans l’esprit des autres une petite incision où l’on met une idée à soi », écrivait Victor Hugo. Tel est exactement l’objet de la mission du héros d’Inception, et c’est là que réside tout le sel de ce scénario à tiroirs. Car pour pouvoir manipuler le rêveur et pratiquer cette « incision » psychologique, Cobb va devoir enchâsser plusieurs rêves les uns dans les autres, chacun se soumettant à des règles spatio-temporelles différentes.

Entre Dreamscape et Mission Impossible

Bien vite, le film devient vertigineux, les règles établies dès le prologue prenant une dimension inattendue en cours de métrage. Il est d’ailleurs étonnant de voir avec quelle facilité les spectateurs acceptent l’argument science-fictionnel initial, pourtant particulièrement insolite. C’est là toute la finesse de Christopher Nolan, soucieux de traiter son sujet sous l’angle le plus réaliste possible et s’attachant avant tout à ses personnages et à leurs tourments. D’où le choix d’un casting extrêmement judicieux où les acteurs vedettes s’effacent derrière leurs protagonistes et où quelques guest stars savoureuses comme Michael Caine, Pete Postletwaite ou le trop rare Tom Berenger nous offrent d’extraordinaires prestations. Passionnant de la première à la dernière minute, Inception est un spectacle inoubliable… Peut-être le meilleur film d’un réalisateur d’exception arrivé ici au sommet de son art.

 

© Gilles Penso 

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LE LIVRE D’ELI (2009)

Denzel Washington promène sa silhouette charismatique dans ce film post-apocalyptique qui cache bien son jeu

THE BOOK OF ELI

2001 – USA

Réalisé par Albert et Allen Hugues

Avec Denzel Washington, Gary Oldman, Mila Kunis, Jennifer Beals, Ray Stevenson, Malcolm McDowell, Michael Gambon

THEMA FUTUR

Les frères Hugues ne sont pas du genre à enchaîner les films comme on enfile des perles. Alors que certains réalisateurs boulimiques pondent un long-métrage tous les six mois, les duettistes ont attendu neuf ans avant de nous offrir Le Livre d’Eli, leur adaptation du comic book « From Hell » remontant au tout début des années 2000. Et il faut bien reconnaître que notre patience est sacrément récompensée, car cette fable post-apocalyptique désenchantée est un petit bijou ciselé avec minutie par deux cinéastes arrivés au sommet de leur art. Ravagée par une catastrophe qui semble trouver son origine dans la destruction de la couche d’ozone, la planète n’est plus qu’un désert jonché de ruines et de bandes rivales prêtes à s’entretuer pour survivre. C’est dans cet univers voisin de celui de la saga Mad Max qu’erre Eli, personnage solitaire et taciturne auquel l’impérial Denzel Washington prête son charisme imperturbable avec la même portée iconique que jadis Mel Gibson dans l’Australie futuriste imaginée par George Miller. Mais Eli ne se déplace pas dans une voiture customisée, pas plus qu’il ne guette les litres d’essence en voie de disparition. Marchant inlassablement vers le nord depuis de nombreuses années, il protège le dernier exemplaire de la bible encore en circulation, en quête d’un sanctuaire énigmatique. Ses pas le mènent dans l’ancienne Californie, revenue au temps du Far West sous la domination du redoutable Carnegie (Gary Oldman) qui rêve justement de mettre la main sur le livre sacré.

Le Livre d’Eli serait-il donc un acte de foi sur pellicule, un sermon judéo-chrétien adressé à tous les mécréants dans l’espoir de les remettre sur le droit chemin de la parole divine ? Le Mel Gibson de La Passion du Christ viendrait-il s’immiscer lui aussi dans les influences des frères Hugues ? Pas vraiment. La Bible n’est ici qu’un prétexte, ou plutôt une métaphore de la culture et de l’esprit érodés par des décennies de barbarie. C’est sans doute la raison pour laquelle les dernières minutes du film, après nous avoir réservé une surprise de taille, semblent vouloir faire directement écho au final de Fahrenheit 451, où les livres prohibés donnaient naissance à des « hommes livres », véritables bibliothèques humaines d’une folle poésie.

La traversée du désert

Mais avant d’atteindre cet épilogue emphatique, Le Livre d’Eli nous réserve son lot de séquences somptueusement graphiques, qu’on croirait tout droit issues des cases d’une bande dessinée. Le désert filmé au Nouveau Mexique et retouché numériquement y est magnifié, la figure de guerrier campée par Denzel Washington atteint une dimension surhumaine lorsqu’Eli, dans un magnifique contre-jour, abat un à un ses assaillants avec une dextérité sauvage qui coupe le souffle… Et que dire de cet incroyable plan séquence digne d’Alfonso Cuaron au cours duquel la caméra suit les projectiles que Carnegie et ses hommes lancent à l’assaut de la vieille bicoque où les fugitifs ont trouvé refuge ? Aux confluents du film d’action, du western, du récit futuriste et du conte initiatique, Le Livre d’Eli se déguste sans modération, au rythme des pas opiniâtres de son inébranlable héros.

 

© Gilles Penso

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