GRAVITY (2013)

Alfonso Cuaron plonge ses spectateurs en apesanteur pour une expérience unique qui n'a de véritable raison d'être que sur un grand écran… et en 3D

GRAVITY

2013 – USA

Réalisé par Alfonso Cuaron

Avec Sandra Bullock, George Clooney et les voix de Ed Harris, Eric Michels, Basher Savage

THEMA SPACE OPERA I CATASTROPHES

Gravity est un spectacle cinématographique à l’état brut, une expérience viscérale unique en son genre qui repousse les limites des avancées technologiques et du langage filmique pour saisir des instants d’émotion pure. Rarement cinéaste aura su capter avec autant de justesse le fossé insondable qui sépare la petitesse humaine de l’immensité cosmique. Et pour y parvenir sans détour, Alfonso Cuaron, épaulé dans l’écriture par son fils Jonás, a ramené le récit à sa plus simple expression. Pas de fioriture, pas de montage parallèle, pas d’intrigue secondaire. Le principal protagoniste du film est le seul point d’intérêt du spectateur, le vecteur unique du drame. Il s’agit du docteur Ryan Stone (Sandra Bullock), experte en ingénierie médicale effectuant sa première expédition à bord d’une navette spatiale en compagnie de l’astronaute chevronné Matt Kowalski (George Clooney). La sortie dans l’espace est routinière, malgré les appréhensions naturelles de notre scientifique en plein baptême de l’espace, mais Houston leur fait bientôt part d’une nouvelle inquiétante. En voulant détruire l’un de leurs satellites devenu obsolète, les Russes ont déclenché une réaction en chaîne véhiculant d’innombrables amas de débris au-dessus de l’atmosphère. Or cette myriade de projectiles métalliques file à grande vitesse en direction de la navette et la pulvérise corps et biens. Livrés à eux-mêmes en pleine apesanteur, Stone et Kowalski dérivent dans les ténèbres silencieuses, coupés soudain de tout contact avec la Terre…

Maintes fois imité depuis qu’il a éclaté au grand jour par l’entremise des Fils de l’homme et d’Harry Potter et le prisonnier d’Azkaban, le « style Cuaron » se distingue par l’élaboration de longs plans-séquences incroyablement immersifs qui – loin du gimmick ou du simple exercice de style – suscitent chez les spectateurs un profond sentiment de projection et d’identification. Mais jamais le metteur en scène n’avait poussé l’exercice aussi loin, filmant l’apesanteur et le vertige comme personne n’avait su le faire avant lui. Le travail des effets visuels, exécuté par l’équipe de Framestore, est absolument prodigieux, combinant les comédiens à des environnements 100% numériques avec un réalisme inouï. La technique s’oublie pourtant bien vite, tant le sort du docteur Stone nous émeut.

Retour à l'état foetal

Empruntant ses thématiques au space opéra, au survival et au film catastrophe, Gravity n’en conserve pourtant pas les codes et tisse à travers cette odyssée éprouvante une parabole de la gestation et de l’accouchement. Figure à la fois maternelle et enfantine, Stone lutte pour ne pas briser le lien avec la Terre mère, affronte les fantômes de la tragédie passée qu’elle vécut en tant que parent, et se replie même en position fœtale au sein d’un des plus beaux plans du film. Le périple spatial se vit donc comme une quête de la matrice nourricière, Gravity se rapprochant en ce sens d’œuvres séminales telles que 2001 ou Alien. Trop longtemps cantonnée aux comédies romantiques insipides, l’héroïne de Demoliton Man et Speed se livre ici à une prestation d’une rare intensité, tandis qu’Alfonso Cuaron assoit une fois de plus son statut d’un des cinéastes les plus doués de sa génération.

 

© Gilles Penso

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PHANTASM (1979)

Un film étrange et inclassable qui mêle l'horreur et la science-fiction dans une atmosphère onirique troublante

PHANTASM

1979 – USA

Réalisé par Don Coscarelli 

Avec Michael Baldwin, Bill Thornbury, Reggie Bannister, Angus Scrimm, Kathy Lester, Terrie Kalbus, Ken Jones, Lynn Eastman

THEMA MORT I SAGA PHANTASM

C’est à peine âgé de 21 ans que Don Coscarelli réalisa ses deux premiers films, Kenny and Company et Jim The World’s Greatest. Deux ans plus tard, il s’attaquait à un film d’horreur atypique, Phantasm , dont il signa à la fois la mise en scène, le scénario, la production, la photographie et le montage. Insolite, chaotique et déroutant, Phantasm aurait été inspiré à Coscarelli par un cauchemar, ce qui explique probablement sa narration peu orthodoxe. Cela dit, le premier montage ayant atteint les trois heures de métrage, finalement ramenées à 90 minutes, il n’est pas impossible qu’une part de la cohérence du film ait été évacuée au moment de son raccourcissement.

Mais bizarrement, c’est sans doute ce manque de cohésion et de logique qui fait la force, l’originalité et le charme de Phantasm. Au cours du prologue, Tommy Pearson est poignardé par une jeune femme avec qui il s’ébattait en pleine nuit au milieu d’un cimetière. Lors de son enterrement, ses deux autres frères, Jody et Michael, sont témoins de choses étranges : des chuchotements dans le mausolée, des silhouettes encapuchonnées qui se cachent furtivement derrière les pierres tombales, un immense croque-mort qui porte le cercueil comme si c’était une plume… Obsédé par des rêves étranges et la sensation d’être suivi par des créatures effrayantes, le jeune Michael entre par effraction dans le mausolée pour en avoir le cœur net. Là, au cours de la scène la plus incroyable du film, une boule d’argent se met à voler dans les couloirs avant de se planter dans le front d’un homme et de lui perforer le cerveau en expulsant des litres de sang !

Sphère tueuse, nains maléfiques et croque-mort géant

Pris en chasse par le croque-mort géant, sobrement surnommé « Tall Man », Michael lui tranche la main avec un couteau. Du sang jaune en jaillit, les doigts bougent encore, et le jeune homme en récupère un pour le montrer à son frère aîné Jody. « Je ne comprends rien à tout ça » s’exclame ce dernier. A vrai dire il n’est pas le seul, d’autant qu’ensuite le doigt se transforme en mouche géante et les attaque ! Phantasm collecte ainsi les séquences surréalistes, jusqu’à ce que le fin mot de l’histoire ne nous soit enfin asséné : le croque-mort géant appartient à une autre dimension, et il transforme les cadavres en nains afin d’avoir des esclaves adaptés à la pesanteur qui règne dans son univers ! Le concept est absurde, et prêterait volontiers à rire si Coscarelli ne le traitait pas ouvertement sous l’angle onirique, faisant du même coup passer comme une lettre à la poste de telles énormités. D’autant que la chute nous laisse imaginer que tout ce que nous avons vu est effectivement né d’un rêve agité de Michael. La musique, la mise en scène et l’agencement du scénario de Phantasm évoquent beaucoup les films d’horreur italiens. Les atmosphères chères à Lucio Fulci viennent ainsi souvent à l’esprit, et le film aurait d’ailleurs tout aussi bien pu s’appeler La Maison près du cimetière. Wes Craven lui-même s’inspirera de plusieurs éléments de Phantasm pour Les Griffes de la nuit, notamment la négation de la peur comme échappatoire aux assauts du monstre et le gimmick final. Le succès inattendu de ce petit film d’horreur donnera naissance à plusieurs séquelles, toutes orchestrées par Coscarelli.

 

© Gilles Penso

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APPEL DANS LA NUIT (1993)

Une séquelle tardive de Terreur sur la ligne que le réalisateur Fred Walton conçoit pour le petit écran

WHEN A STRANGER CALLS BACK

1993 – USA

Réalisé par Fred Walton 

Avec Carol Kane, Charles Durning, Jill Schoelen, Gene Lythgow, Karen Elizabeth Austin, Babs Chula, John B. Destry, Duncan Fraser

THEMA TUEURS

Suite au succès du mémorable Terreur sur la ligne, le sous-estimé Fred Walton réalise pour la télévision une séquelle à son chef-d’œuvre, 14 ans plus tard. Les acteurs principaux, Carol Kane et Charles Durning, rempilent et reprennent leurs personnages avec ferveur. Comment ne pas tomber dans la redite ? Walton est malin, et s’il calque le déroulement de sa trame sur le premier opus, il y injecte des éléments surprenants. La scène d’ouverture, évidemment, est attendue au tournant, la précédente étant rentrée dans l’Histoire. Celle-ci se hisse au niveau, sans la surpasser, mais provoquant un malaise durable et une peur effective. La jeune Jill Schoelen (habituée du genre, avec notamment Popcorn et l’excellent Le Beau-Père) joue la baby-sitter qui se retrouve menacée par un fou dangereux. Ce coup-ci, le téléphone est coupé, et la voix du maniaque sans visage passe directement à travers la porte d’entrée. Une idée très italienne, évoquant Les Frissons de l’angoisse de Dario Argento.

 Tout réside dans l’originalité du méchant, qui jouit de particularités très spéciales (qu’on ne déflorera pas, mais dont le côté tiré par les cheveux rappelle encore une fois les bisseries transalpines chères aux cœurs des aficionados). Ce dernier semble omniprésent et doué d’ubiquité, serait-il secondé par un comparse ? Mystère. Rappelons que nous sommes en 1993 et que Scream n’est pas encore sorti… La suite du film singe donc son prédécesseur, la baby-sitter se retrouvant à nouveau traquée, mais cette fois la menace est sourde, pas d’appels inquiétants (ici le téléphone sert à rassurer) mais plutôt une présence invisible qui déplace des objets, ouvre des fenêtres et sait se draper dans les ténèbres… 

Un dénouement angoissant à souhait

La personnalité déviante du criminel est mise en avant à travers une référence indirecte à un épisode culte de la Quatrième dimension, et la séquence de l’hôpital où le fou observe et tente de faire réagir le corps de sa victime dans le coma met carrément mal à l’aise, avec un clin d’œil à HalloweenA la lisière du fantastique, Walton lance plusieurs pistes au spectateur, et suggère même que la jeune héroïne hallucinerait tout ceci, jusqu’au dénouement, angoissant à souhait. Intelligemment écrit, prenant malgré sa facture télévisuelle, Appel dans la nuit a tout de la suite séduisante qui, même si elle est en deçà de son modèle, demeure très efficace et remplit le contrat de la peur, ce qui est assez rare pour être souligné dans une époque où les frissons au rabais se procurent à grands coups de sursauts malhonnêtes.

 

© Julien Cassarino

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TERREUR SUR LA LIGNE (1979)

Un slasher hors-norme qui commence comme une terrifiante légende urbaine avant de basculer vers le drame clinique

WHEN A STRANGER CALL

1979 – USA

Réalisé par Fred Walton

Avec Carol Kane, Charles Durning, Tony Beckley, Rutanya Alda, Carmen Argenziano, Kirsten Larkin, William Boyett, Ron O’Neal

THEMA TUEURS

« Êtes-vous allée voir les enfants ? »… Les fameux enfants dorment à l’étage, et un maniaque ne cesse de harceler au téléphone la baby-sitter apeurée. Elle a prévenu la police, mais l’issue risque d’être tragique… Impossible d’oublier cette introduction culte de 20 mn, se basant sur une légende urbaine bien connue outre-Atlantique, qui a largement inspiré celle de Scream (et rappelait vaguement à l’époque un autre monument de trouille, Black Christmas). La peur, la vraie, celle qui va au-delà de toute logique et ne se base que sur le ressenti, celle qui glace le sang, Fred Walton (Week-end de terreur, fine satire du slasher) la maîtrise parfaitement. Cette ouverture est un modèle d’écriture, de découpage et de suggestion, qui monte crescendo jusqu’à un plan paralysant. Cut. On ne verra pas le visage du psychopathe. On entendra tout juste sa voix, révélatrice d’une folie incontrôlable, sur des bandes à l’hôpital psychiatrique. Les années ont passé, et le cauchemar semble vouloir recommencer, notre baby-sitter subissant à nouveau des appels terrifiants…

On a beaucoup reproché au film sa construction, le réduisant à sa première séquence (au départ un court-métrage, The Sitter, gonflé en long par un Walton opportuniste suite au succès d’Halloween un an auparavant). Passé ce début traumatisant, comment proposer une suite au niveau sans que cela paraisse artificiel ? Le réalisateur choisit de transformer le thriller en enquête policière, introduisant le personnage du privé tenace incarné par l’immense Charles Durning. Ce dernier veut tout simplement retrouver le tueur pour… l’assassiner. Ce tueur, nous le découvrons avec surprise assez rapidement, amené de façon tellement banale que l’on se demande un moment si c’est bien lui. Pas de whodunit à révélation finale donc, mais une véritable étude de caractère : c’est un pauvre type qui traîne dans les bars la nuit, se fait rejeter par les femmes et se prend des raclées, rongé par ses névroses. 

Les errances pathétiques d'un psychopathe

Tony Beckley prête son physique inquiétant et frêle au personnage (en phase terminale pendant le tournage, il ne verra pas le film fini). Le fait de le suivre dans ses errances pathétiques l’humanise et empreint le film d’une étrange tristesse. Cependant lorsque ses terribles actes passés nous explosent au visage en de brefs flashbacks, et que nous pénétrons plus profond dans sa démence, la peur nous étreint à nouveau, nous rappelant que la bête est là, tapie dans l’ombre, et prête à frapper. Ce réalisme cru fait froid dans le dos, et l’on se prend à repenser à des profils similaires croisés dans la vie de tous les jours… Walton ne s’embourbe pas pour autant dans une simple traque, et remet face à face l’héroïne et son bourreau dans un final mémorable. Modifiant subtilement la séquence introductive et bouclant ainsi la boucle, il laisse libre court à son intelligence de la mise en scène et joue avec nos nerfs jusqu’au bout. Le stratagème utilisé par le dément pour piéger sa proie procure un sursaut mille fois plus puissant que n’importe quel jump scare des années 2000. Important pour laisser une trace indélébile, l’ultime image du film, soulignée par le score ultra stressant de Dana Kaproff, imprime le visage du Mal dans nos rétines. Walton tournera en 1993 une suite réussie pour la télévision, Appel dans la nuit (When a stranger calls back), et un remake inoffensif verra le jour en 2006. Quand le téléphone sonnera, la nuit, et que vous serez seul chez vous, oserez-vous aller voir les enfants ?

 

© Julien Cassarino

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LA MOMIE SANGLANTE (1972)

Une variante originale sur le mythe de la momie, tirée d'un roman de Bram Stoker, qui offre un double rôle envoûtant à Valérie Léon

BLOOD FROM THE MUMMY’S TOMB

1972 – GB

Réalisé par Seth Holt et Michael Carreras

Avec Andrew Keir, Valerie Leon, James Villiers, Hugh Burden, George Coulouris, Mark Edwards, Rosalie Crutchley

THEMA MOMIES

Dans cette adaptation du « Joyau des Sept Etoiles », un roman écrit par Bram Stoker en 1903 (soit six ans après « Dracula »), la sublime Valerie Leon incarne Margaret, une jeune femme hantée par un cauchemar récurrent. Toutes les nuits, elle s’imagine en reine égyptienne, le corps fort peu vêtu allongé dans un sarcophage. Affairés autour d’elle, des prêtres pratiquent alors un étrange rituel, versant du sang dans sa narine puis lui tranchant la main pour la jeter en pâture aux chacals à l’extérieur du temple. Mais la main, animée d’une vie propre, égorge les charognards et les prêtres, puis s’éloigne en rampant sinistrement sur le sable. Immanquablement, Margaret s’éveille de chacun de ces rêves étranges en hurlant. Pour son anniversaire, son père archéologue (Andrew Keir) lui offre un magnifique rubis ramené d’une de ses expéditions, dans lequel brillent sept joyaux. Fasciné par ce bijou antique, le petit ami de Margaret (Mark Edwards), qui se nomme rien moins que Tod Browning (!), décide de le montrer à son ami égyptologue Geoffrey (Hugh Burden). La réaction de ce dernier est pour le moins imprévisible : une violente crise de tétanie le frappe soudain et il s’écroule.

Alors que le mystère s’épaissit, un flash-back éclaircit quelque peu la situation. On y découvre l’expédition de Julian Fuchs, le père de Margaret, composée notamment de Geoffrey mais aussi du taciturne Corbeck (James Villiers). A leur grande surprise, nos archéologues mettent à jour le corps intact d’une belle reine égyptienne, dont le poignet tranché saigne encore. Sur la main qui gît non loin, Fuchs voit la fameuse bague dont les hiéroglyphes portent le nom de la défunte : Tera. Au même moment, la femme de l’archéologue donne naissance à Margaret et meurt pendant l’accouchement. Lorsque nous revenons au présent, c’est pour apprendre que Fuchs garde dans sa cave et à l’insu de tous le corps parfaitement conservé de la reine Tera. Or une nuit, on le retrouve en état de choc, la gorge ensanglantée. Alors que Margaret commence à être possédée par l’esprit de Tera, Corbeck lui fait part de son projet : ressusciter la reine antique en lisant un parchemin sacré et en réunissant les trois reliques que chaque membre de l’expédition a conservé chez lui : un cobra naturalisé, un crâne de chacal et une statue de la déesse-chat Bastet…

Une trop rare "Hammer Girl"

Véritable déclaration d’amour à la beauté de Valerie Léon, sertie dans des nuisettes noires ou de courts atours antiques lui seyant à merveille, Blood From the Mummy’s Tomb nous fait regretter que cette séduisante « Hammer Girl » se soit montré si peu présente sur les écrans par la suite. Car le double rôle qu’elle incarne ici avec beaucoup de conviction laissait espérer une carrière autrement plus prometteuse. Si le scénario détourne les clichés habituels des films de momies, la dernière image paie tout de même son tribut au genre, puisque la survivante du drame (Tera ou Margaret ?) nous regarde droit dans les yeux, allongée sur un lit d’hôpital, et le corps couvert de bandages. Le réalisateur Seth Holt ayant rendu l’âme en cours de tournage, c’est le producteur Michael Carreras qui fut contraint d’achever le film à sa place, ce qui explique leur double crédit au poste de la mise en scène.

 

© Gilles Penso

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L’IMPASSE AUX VIOLENCES (1960)

Un remarquable film d'épouvante britannique offrant des rôles inoubliables - et détestables ! - à Peter Cushing et Donald Pleasence

THE FLESH AND THE FIENDS

1960 – GB

Réalisé par John Gilling

Avec Peter Cushing, June Laverick, Donald Pleasence, George Rose, Renée Houston, Billie Whitelaw

THEMA MEDECINE EN FOLIE I TUEURS

En 1827, la chronique d’Edimbourg fut défrayée par l’arrestation de William Burke et William Hare, deux assassins qui approvisionnèrent d’une douzaine de cadavres un chirurgien renommé de l’époque, le docteur Knox. Robert Louis Stevenson en tira une nouvelle en 1884 et de nombreux films s’inspirèrent de ce fait divers sordide, mais L’Impasse aux Violences est probablement le plus marquant d’entre eux. La mise en scène raffinée et le scénario brillant de John Gilling y sont pour beaucoup, tout comme l’interprétation inoubliable de Peter Cushing et Donald Pleasence. Le premier, dans l’une de ses meilleures prestations – ce qui n’est pas peur dire ! – incarne un docteur Knox hautain, odieux avec ses détracteurs, sec comme un coup de trique et très proche du cynisme du Victor Frankenstein qu’il interpréta parallèlement pour la Hammer. Le second s’avère extraordinaire dans le rôle de Hare, un horrible individu ne s’embarrassant guère du moindre état d’âme et dégoulinant de duplicité. Toujours en quête de corps pour ses cours d’anatomie, Knox est très peu regardant sur l’origine de ceux qu’on lui livre régulièrement, même si la plupart d’entre eux sont tout bonnement déterrés dans le cimetière voisin par des fournisseurs sans scrupule.

Voyant là l’occasion rêvée d’arrondir leurs fins de mois, Hare et son complice Burke (George Rose) décident de recourir au meurtre pour proposer à Knox des cadavres d’une fraîcheur imbattable. Le médecin n’est pas dupe, mais à ses yeux la vie d’une prostituée ou d’un vagabond vaut moins que le moindre progrès en chirurgie. « L’individu ne compte pas » n’hésite-t-il pas à déclarer sans retenue. Parallèlement aux exactions de Burke et Hare, filmées avec une violence assez crue pour l’époque, le scénario s’intéresse à deux romances directement liées à l’intrigue principale : celle du docteur Mitchell (Dermot Walsh) avec la nièce de Knox (June Laverick), et celle de l’étudiant Chris Jackson (John Cairney) avec la prostituée Mary Patterson (Billie Whitelaw). Si ces seconds rôles sont tenus par des comédiens moins connus du public, leur performance n’en demeure pas moins remarquable.

Un classique du genre

Serti dans un magnifique cinémascope noir et blanc, bénéficiant d’une reconstitution assez luxueuse de l’Angleterre du 19ème siècle et paré d’excellents dialogues, L’Impasse aux Violences a tous les atours d’un classique du genre. L’apport créatif des producteurs Robert S. Baker et Monty Berman, réalisateurs par ailleurs du fameux Jack l’Eventreur de 1959, y est sans doute pour beaucoup. Gilling lui-même aura du mal a retrouver un tel niveau qualitatif, malgré les œuvres honorables qu’il signera plus tard pour le studio Hammer (La Femme Reptile, L’Invasion des Morts-Vivants, Dans les Griffes de la Momie). Certes, après un climax empruntant volontiers les sentiers battus – les villageois en colère s’arment de torches pour rendre justice eux-mêmes – le film s’achemine vers un final artificiellement moralisateur. Mais en dépit de ce dénouement un peu faible, L’Impasse aux Violences demeure magistral et marque une de ces conjonctions de talents dont est friand tout cinéphile qui se respecte.

 

© Gilles Penso

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TERREUR À DOMICILE (1983)

Seul dans son appartement, un homme lutte contre un énorme rat qui semble avoir décidé de lui faire vivre un cauchemar

OF UNKNOWN ORIGIN

1983 – USA / CANADA

Réalisé par George Pan Cosmatos

Avec Peter Weller, jennifer Dale, Lawrence Dane, Kenneth Welsh, Louis DelGrande, Shannon Tweed, Keith Knight, Maury Chaykin

THEMA MAMMIFERES

Deux ans avant de diriger Sylvester Stallone dans Rambo 2 : la Mission et Cobra, George Pan Cosmatos osait cet audacieux thriller d’épouvante. Inspiré du roman « The Visitor » de Chauncey Parker et tourné au Canada, Terreur à domicile (connu aussi chez nous sous le titre D’origine inconnue) s’attache à décrire le retour progressif de l’être humain à l’état animal pour peu que celui-ci se sente agressé sur son propre territoire. Tout commence dans le meilleur des mondes. Bart Hughes (Peter Robocop Weller) est un homme comblé. Sa femme est belle (Shannon Tweed, faisant ici ses débuts d’actrice), son fils adorable, son métier plein d’avenir, et son appartement new-yorkais est un petit bijou qu’il a entièrement aménagé de ses propres mains, centimètre par centimètre, avec une minutie frôlant la maniaquerie. Cet état des lieux étant trop beau pour durer, tout bascule au moment où femme et enfant s’évadent pour quelques jours de vacances. Dès lors, Bart découvre avec répulsion qu’un rat rôde quelque part dans son appartement.

Après avoir essayé en vain les pièges à souris, le poison et même un chat, notre homme doit se rendre à l’évidence : son envahisseur n’est pas un rongeur comme les autres. C’est un spécimen atteignant quasiment la taille d’un chat, féroce, intelligent, à la force inhabituelle et à la malice redoutable. Qui plus est, c’est une femelle, et lorsque Bart tue par mégarde ses petits, la bête devient folle furieuse. Dès lors, un duel sans merci oppose l’homme à l’animal, un duel à mort dont un seul adversaire sortira vivant, ce que nous confirment deux références ouvertement citées dans le film : « Moby Dick », que lit l’infortuné héros, et « Le Vieil Homme et la Mer », dont on peut voir des extraits sur son téléviseur. Peu à peu, notre yuppie propre sur lui, en costume cravate impeccable, qui brille en société et gravit les échelons professionnels, se met à basculer.

L'homme et la bête

Son obsession pour les rats nous vaut la savoureuse séquence d’un dîner mondain au cours duquel il glace l’ambiance en énumérant tous les méfaits que les rongeurs ont apportés à l’humanité (et précisant au passage qu’en moins de trois ans, un couple de rat peut donner naissance à vingt millions d’individus !). Puis il se dégrade physiquement, avant de s’armer de pied en cap pour l’affrontement final, façon Mad Max : un casque de spéléologue sur la tête, une batte de base-ball hérissée de pics acérés à la main, des gants de footballer, des protège-tibias… Le voilà prêt à en découdre, quitte à saccager son si bel appartement pour ne pas entacher son amour-propre et sa fierté d’humain dominant. Le jeu de Peter Weller, véritablement habité par son personnage, n’est pas le moindre atout de cette surprenante variante sur le thème de l’attaque animale. D’autant que le metteur en scène a redoublé d’ingéniosité pour concocter d’étonnantes prises de vues du rongeur, déambulant partout, rongeant tout ce qui passe sous ses dents et attaquant sans relâche son ennemi juré. En 1983, Terreur à domicile fut sacré meilleur film – et Peter Weller meilleur acteur – lors du légendaire Festival International du Film Fantastique de Paris.


© Gilles Penso

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LA MAIN DU CAUCHEMAR (1981)

Dans le second long-métrage d'Oliver Stone, Michael Caine est hanté par sa main coupée qui semble animée d'une vie autonome… et meurtrière !

THE HAND

1981 – USA

Réalisé par Oliver Stone

Avec Michael Caine, Andrea Marcovici, Annie McEnroe, Bruce McGill, Viveca Linfors, Rosemary Murphy, Mara Hobel, Pat Corley

THEMA MAINS VIVANTES

Sept ans séparent les deux premiers longs-métrages d’Oliver Stone. Si le cinéaste rattache volontiers Seizure au genre horrifique, La Main du cauchemar correspond plus selon lui à la catégorie « thriller psychologique », comme l’était le roman de Marc Brandell dont il s’inspire. Il faut dire qu’entre-temps, Stone fut oscarisé pour le scénario de Midnight Express et ne souhaitait plus se contenter d’un « shocker » au premier degré. La Main du cauchemar raconte l’histoire tragique de Jonathan Lansdale (Michael Caine), un auteur de bandes dessinées qui chérit tout particulièrement le personnage de Mandro, un héros brutal qui s’inspire de l’univers de Robert Howard (ce qui n’est pas fortuit, puisque Stone est le co-auteur avec John Milius du scénario de Conan le barbare). La vie de Lansdale bascule le jour où, dans un accident de voiture, sa main droite est tranchée par un camion. Transporté d’urgence à l’hôpital, il se remet du choc, mais sa main étant introuvable, aucune greffe n’est envisageable. Le dessinateur doit donc se rabattre sur une prothèse articulée, et sa carrière est sérieusement compromise.

Après avoir refusé de confier les dessins de Mandro à un jeune artiste pour ne s’occuper que des scénarios, Jonathan accepte un poste d’enseignant en Californie. Sa vie de couple, déjà mal en point, n’en ressort guère grandie. D’autant que notre homme, isolé dès lors dans une cabane digne d’Evil Dead, se met à coucher avec Stella (Annie McEnroe), l’une de ses étudiantes. Mais là n’est pas le plus grave. Jonathan est en effet frappé de visions récurrentes depuis son amputation : celles de sa main coupée qui rampe et assassine sauvagement tous ceux qui lui font obstacle. S’agit-il d’hallucinations post-traumatiques ? Très probablement… Mais dans ce cas, comment expliquer la disparition de tous ceux que Jonathan a vu se faire occire par la « bête aux cinq doigts » ?

Un malaise durable…

Soucieux de doter La Main du cauchemar d’une crédibilité psychologique maximale, Oliver Stone sollicita les conseils éclairés du professeur en psychiatrie Stuart Lerner. De fait, la schizophrénie apparente de Jonathan Lansdale semble plus vraie que nature, servie par des effets de mise en scène qui font mouche (l’image vire au noir et blanc lors de ses moments d’absence, des flashs lumineux éclairent son visage pendant ses crises), par des séquences hallucinatoires marquantes (une poignée de douche ou un poulet rôti se transforment furtivement en griffe crispée, une main géante traverse une vitrine et l’empoigne), et surtout par le jeu tourmenté de Michael Caine. Parfait dans le rôle de ce « tueur par procuration », Caine est un choix de casting fort intelligent, bien que Stone ait d’abord envisagé Jon Voigt et Christopher Walken dans le rôle. Quant aux effets spéciaux mécaniques de Carlo Rambaldi, ils s’avèrent très performants et nous offrent les visions de cauchemar promises par le titre français : recouverte d’insectes, la main morte se ranime dans l’herbe, rampe sinistrement aux alentours, puis agresse tous les indésirables. Ambigü et troublant, l’épilogue, variante de celui de Psychose, laisse une sensation de malaise durable…

 

© Gilles Penso

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LES CHRONIQUES DE RIDDICK (2004)

Le deuxième volet des aventures du héros de Pitch Black prend une dimension épique et spectaculaire

THE CHRONICLES OF RIDDICK

2004 – USA

Réalisé par David Twohy

Avec Vin Diesel, Colm Feore, Karl Urban, Thandie Newton, Alexa Davalos, Keith David, Judi Dench   

THEMA SPACE OPERA I EXTRA-TERRESTRES I FUTUR I SAGA RIDDICK

Co-écrit avec Jim et Ken Wheat d’après leur histoire originale, le Pitch Black de David Twohy a bénéficié d’un bouche-à-oreille encourageant, lié à ses indéniables qualités intrinsèques mais aussi à la présence de Vin Diesel (devenu superstar entretemps). Une aubaine sur laquelle le cinéaste et son acteur vont rebondir, persuadant Universal d’allouer, quatre ans plus tard, un budget confortable en vue d’une suite plus ambitieuse écrite et supervisée par Twohy uniquement. Ce sera Les Chroniques de Riddick ! Le titre annonce la couleur : si l’opus précédent était un survival doté d’une galerie homogène de portraits, la seule figure de Riddick portera désormais la franchise et lui donnera même son nom. Le criminel fugitif se trouve maintenant aux prises avec ni plus ni moins que l’armée la plus importante et meurtrière de l’univers : le peuple Necromonger dont la seule raison d’être est de détruire les mondes qui se trouvent sur son passage et d’en convertir les autochtones. Dans une course effrénée qui le fera notamment passer par la case prison sur la planète Crematoria (superbe séquence de course contre le soleil – clin d’œil savoureux à Pitch Black), Riddick se révélera être le seul obstacle susceptible de stopper la marche dévastatrice des Necromongers… ou pas !

Twohy et Diesel (très impliqué en amont dans les aventures de son personnage) voient les choses en grand : ils conçoivent un véritable space opera et inventent pour l’occasion la mythologie de Furya, planète d’origine de Riddick dont il serait l’unique survivant, afin de consolider l’aura légendaire du héros. Choisissant d’assumer totalement la dimension de grand spectacle hollywoodien, mais sans renier pour autant le style graphique et brutal du premier film, ces deux préoccupations inspirent à Twohy un mélange fascinant entre Star Wars et  Conan le barbare, qui tend à rejoindre les méthodes formelles de Lucas pour la création de son univers (on voyage de décor en décor, chacun possédant ses propriétés naturelles donc esthétiques) et va jusqu’à calquer son final sur ceux de John Milius (Conan mais aussi Apocalypse Now). Quoi qu’on en pense, ces Chroniques restent un objet unique dans l’histoire du cinéma de science-fiction, débordant d’images iconiques, de bruit, de fureur, et plein d’une inventivité visuelle roborative – au même titre que le Dune tant décrié et néanmoins singulier de David Lynch.

Une saga stoppée en plein vol

Malheureusement, l’accueil critique et public n’est pas au rendez-vous et le projet d’une flamboyante saga spatiale se trouve étouffé dans l’œuf, alors que les derniers plans laissaient présager des péripéties incroyables à venir ! Un moyen-métrage d’animation (Les Chroniques de Riddick : Dark Fury) fut néanmoins produit dans la foulée, ainsi que deux jeux vidéo de grande qualité qui suscitèrent nettement plus l’adhésion… La ténacité ne faisant toutefois pas défaut au tandem Twohy/Diesel, c’est en revoyant leurs aspirations à la baisse qu’ils parviennent, neuf ans plus tard, à proposer un nouvel opus moins coûteux, permettant à Riddick de continuer à vivre sur les écrans. Les fans de blockbusters en seront peut-être pour leurs frais, mais les puristes de la première heure apprécieront sans doute de retrouver l’antihéros rude et solitaire de Pitch Black, naguère édulcoré par les contraintes d’une production plus ample. Le moins qu’on puisse dire, c’est que les deux bonhommes sont attachés à leur créature, et tiennent plus que jamais à contenter ses fans ! 


© Morgan Iadakan

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GINGER SNAPS (2000)

John Fawcett se sert de la lycanthropie comme métaphore de la puberté et des premiers émois sexuels…

GINGER SNAPS

2000 – USA / CANADA

Réalisé par John Fawcett

Avec Emily Perkins, Katharine Isabelle, Kris Lemche, Mimi Rogers, Jesse Moss, Danielle Hampton, John Bourgeois

THEMA LOUPS-GAROUS

Avec beaucoup d’audace, le scénario de Ginger Snaps associe le phénomène de la lycanthropie aux inquiétudes des premiers émois sexuels, en prenant pour héroïnes Ginger et Brigitte Fitzgerald, deux sœurs adolescentes mal dans leur peau, rejetées par leurs camarades lycéens, et dont les premières règles tardent désespérément à se manifester. En guise de distractions, elles simulent régulièrement leur propre mort, avec une préférence pour les mises en scène les plus spectaculaires et les plus sanglantes (on pense alors à l’excellent Harold et Maude d’Hal Ashby). Parallèlement, dans le coquet quartier résidentiel qu’elles habitent, un tueur de chiens sème une petite panique. S’agit-il d’un homme ou d’un animal ? Nul ne le sait… Jusqu’à ce que Brigitte et Ginger, en pleine promenade nocturne, soient agressées par le tueur, qui ressemble à une bête sauvage enragée. Malin, le réalisateur John Fawcett ne nous permet jamais de voir la créature distinctement, usant avec habileté d’un montage nerveux et de cadrages très serrés. Mordue par la bête, qui s’avère bien vite être un loup-garou, Ginger va subir une lente et pénible mutation.

Car dans Ginger Snaps, comme dans La Mouche de David Cronenberg, la lycanthropie se manifeste via une métamorphose très progressive, étalée sur plusieurs journées. Les poils abondent peu à peu, les griffes s’allongent, les dents se font plus acérées, les yeux brillent… A travers la vision féminine de sa scénariste Karen Walton, Ginger Snaps use de l’état de loup-garou comme une triple métaphore du début du cycle menstruel, de la perte de la virginité et des maladies vénériennes. Ainsi la lycanthropie est-elle ici sexuellement transmissible, ses premiers symptômes s’approchant d’ailleurs de ceux de la syphilis. Proche de Carrie, avec lequel il présente plusieurs similitudes, Ginger Snaps prolonge la hardiesse de Hurlements, qui se contentait la plupart du temps de suggérer le parallèle lycanthropie/sexualité, et ose traiter frontalement une thématique à côté de laquelle passait complètement le maladroit La Louve Sanguinaire.

Un point de vue féminin et adolescent

Toujours en quête de modernisation d’un mythe habituellement ancré dans la tradition, le film montre ses héroïnes tenter d’endiguer la malédiction à l’aide d’un piercing en argent, mais rien n’y fait, et Ginger atteint le stade ultime de sa métamorphose sous forme d’un monstre quadrupède qui évoque celui du Loup-Garou de Londres, le pelage en moins. Une fois de plus, le metteur en scène joue habilement de la lumière et du découpage, aidé par une magnifique photographie de Thom Best et par un storyboard de Vincenzo Natali, devenu célèbre en réalisant Cube. Finalement, Brigitte tentera de créer un antidote pour sa sœur en extrayant le produit de fleurs d’aconit, à l’aide d’un dealer qui fait ici figure de héros positif, inversant du même coup les valeurs établies du monde adulte, définitivement exclu de ce récit adolescent au dénouement triste et pathétique. Une séquelle et une préquelle succéderont quatre ans plus tard à cet excellent exercice de style, respectivement réalisées par Brett Sullivan (Ginger Snaps Unleashed) et Grant Harvey (Ginger Snaps Back : the Beginning).


© Gilles Penso

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