L’HOMME QUI VENAIT D’AILLEURS (1976)

David Bowie incarne un extra-terrestre en quête d'eau dans cette fable de science-fiction étrange, atypique et erratique

THE MAN WHO FELL TO EARTH

1976 – GB

Réalisé par Nicolas Roeg

Avec David Bowie, Rip Torn, Candy Clark, Buck Henry, Bernie Casey, Jackson D. Kane, Rick Riccardo, Tony Mascia

THEMA EXTRA-TERRESTRES

Adapté d’un roman écrit en 1963 par Walter Tevis, L’Homme qui venait d’ailleurs raconte l’arrivée sur Terre d’un extra-terrestre à l’allure humaine dont la mission est de rapporter de l’eau sur sa planète moribonde, écrasée par une sècheresse accablante. Pour parvenir à ses fins, il commercialise plusieurs inventions révolutionnaires et se retrouve bientôt à la tête d’une multinationale, sous le nom de Thomas Jerome Newton. Lorsqu’il obtient la somme d’argent nécessaire, il se lance dans la fabrication d’un vaisseau spatial afin de pouvoir retrouver les siens. Mais les effets secondaires de son arrivée sur notre planète se font peu à peu ressentir : il sombre dans l’alcool, a du mal à gérer l’amour que lui porte la jeune Mary-Lou, et suscite des animosités auprès d’un monde industriel impitoyable qu’il ne maîtrise guère. Plus le temps passe, et plus son retour sur sa planète natale semble compromis… L’Homme qui venait d’ailleurs est archétypique d’un certain cinéma auteurisant des années 70, s’extrayant des règles narratives et formelles établies et préférant le sensoriel au rationnel, comme en écho à la Nouvelle Vague amorcée plus de dix ans plus tôt.

La démarche, assez déroutante, pousse Nicolas Roeg à se laisser aller à l’improvisation, à la déstructuration de son intrigue, et à des choix de montage curieux oscillant entre l’inventif (comme la mise en parallèle de deux actions situées à deux moments différents, évoquant les travaux d’Alain Resnais et annonçant ceux de Steven Soderbergh) et la totale confusion. Parfois, on a presque l’impression de visionner l’assemblage aléatoire de chutes ou de fins de bobine que le monteur aurait conservées par erreur. Ce traitement atypique donne l’impression que l’équipe est partie tourner en oubliant d’emporter avec elle le scénario, tout en essayant de se souvenir de l’histoire à raconter. La lecture du roman original, bien plus limpide que le script de Paul Mayersberg, s’avère d’ailleurs secourable pour qui veut comprendre les tenants et les aboutissants de ce récit alambiqué, dans lequel Roeg a accentué fortement les connotations sexuelles ambiguës.

Pâle, malingre et androgyne

La grande idée du film, qui lui doit sans aucun doute sa relative notoriété, est d’avoir confié le rôle-titre à David Bowie, même s’il fut un temps question de Peter O’Toole. Malingre, androgyne, très pâle, le comédien-chanteur ressemble vraiment à un extra-terrestre, sans qu’aucun maquillage n’ait besoin de le transfigurer. Le grimage intervient tout de même dans une scène étonnante où il se révèle sous ses véritables traits, le crâne lisse et le regard félin. Nicolas Roeg dote également son film d’une indéniable poésie graphique au cours des flash-back évoquant la planète de son héros. Accompagné de sa famille, harnaché d’un scaphandre où plusieurs tuyaux répartissent l’eau dans son corps, il traverse le désert rougeoyant et gagne un véhicule surprenant, aux allures de wagon pyramidal. Des images qui contrastent violemment avec le réalisme brut du reste du film, capté par une caméra ivre qui finit par laisser plus d’un spectateur sur le carreau. En 1987, MGM eut l’étrange idée d’en tirer une série télévisée, mais le projet s’arrêta au stade d’un pilote sans éclat signé Bobby Roth.


© Gilles Penso

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OBSESSION (1976)

Situé au sein de la période la plus hitchcockienne de Brian de Palma, ce drame envoûtant puise une grande part de son inspiration dans Sueurs froides

OBSESSION

1976 – USA

Réalisé par Brian de Palma

Avec Cliff Robertson, Genevieve Bujold, John Lithgow, Wanda Blackman, Sylvia Kuumba Williams, J. Patrick McNamara  

THEMA MORT

Obsession est l’un des films les plus graphiques, les plus mélancoliques et les plus troublants de Brian de Palma. C’est aussi, probablement, l’un de ceux qui ont le moins bien vieilli, les effets de mise en scène ultra-stylisés du cinéaste n’ayant pas tous passé sans heurts le cap des années 70. Baptisé à l’origine « Déjà vu », le scénario de Paul Schrader (qui venait d’écrire Taxi Driver) démarre en 1959 à la Nouvelle-Orléans. Michael et Elizabeth Courtland (Cliff Robertson et Geneviève Bujold) fêtent leurs dix ans de mariage. Pour eux et Amy, leur fillette de neuf ans, c’est le parfait bonheur au sein de la bourgeoisie d’affaires du sud des États-Unis. Mais, dans la nuit, des gangsters kidnappent l’épouse et la fillette. Michael est prêt à payer la rançon de 500 000 dollars qu’on lui réclame, puis finalement, suivant les conseils de la police, tend un piège aux ravisseurs. L’opération tourne mal, et se termine par la mort accidentelle des ravisseurs et des otages.

Seize ans plus tard, Michael et son associé Robert (John Lithgow) partent pour Florence en voyage d’affaires. Michael est ému, car c’est dans cette ville qu’il avait connu sa femme. Or au cours de son pèlerinage sentimental, il rencontre, exactement au même endroit que vingt-cinq ans plus tôt, une jeune étudiante en art, Sandra Portinari, qui ressemble trait pour trait à Elizabeth. Inévitablement, notre inconsolable veuf tombe amoureux de la belle Italienne et en vient même à se demander s’il ne s’agirait pas de la réincarnation de sa défunte épouse. Plusieurs détails surprenants tendent à corroborer cette folle théorie. Bien décidé à la ramener à la Nouvelle-Orléans et à l’épouser, Michael n’est pas au bout de ses surprises…

Une flamboyante partition de Bernard Herrmann

Variation habile sur le thème de Sueurs froides (une des œuvres culte de Brian de Palma qui servira également de base à l’histoire de Body Double, de Femme fatale, et influencera même le prologue et l’épilogue d’Outrages), Obsession enfonce le clou de la référence hitchcockienne via une flamboyante partition signée Bernard Herrmann lui-même. Le film souffre cependant d’un casting inégal. Si Geneviève Bujold est à la fois sublime et bouleversante dans les deux rôles qu’elle incarne tour à tour, et si John Lithgow cabotine à merveille en associé et ami du héros (il deviendra l’un des acteurs fétiches de De Palma), Cliff Robertson, pour sa part, affiche un visage totalement dénué d’expression. Le réalisateur avouera plus tard qu’il ne s’agissait pas de son premier choix, mais que Richard Burton était trop cher et James Stewart trop vieux ! Malgré ces réserves, l’œuvre demeure envoûtante de bout en bout, ciselée comme une pièce d’orfèvrerie par un De Palma très inspiré et mis en lumière avec beaucoup de sensibilité par le légendaire directeur de la photographie Vilmos Zsigmond (Délivrance, Voyage au bout de l’enfer, Rencontres du Troisième Type). Plusieurs morceaux de bravoure ponctuent ainsi le film, notamment le travelling circulaire dans le mausolée, le flash-back dans l’aéroport, ou l’anthologique final au ralenti, un effet de style qui deviendra l’une des marques de fabrique d’un metteur en scène alors à l’aube de sa carrière hollywoodienne.

 

© Gilles Penso

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BAD TASTE (1989)

Le premier long-métrage de Peter Jackson est défouloir dont l'argument de science-fiction n'est qu'un prétexte à tous les débordements

BAD TASTE

1989 – NOUVELLE-ZELANDE

Réalisé par Peter Jackson

Avec Peter Jackson, Mike Minett, Pete O’Herne, Terry Potter, Craig Smith, Doug Wren

THEMA EXTRA-TERRESTRES

En 1983, Peter Jackson, fan des Monty Pythons, de Ray Harryhausen, de Gerry Anderson et de King Kong, s’achète une caméra 16 mm et commence à tourner dans sa petite ville natale de Pukerua Bay, au sud de Wellington, un film amateur qui, petit à petit, se transformera en long-métrage. Bad Taste raconte l’invasion d’une ville côtière néo-zélandaise par des extra-terrestres anthropophages décidés à transformer les humains en ingrédients pour une chaîne de fast-food. Une poignée de résistants hargneux, armés jusqu’aux dents, tente bientôt de résister contre l’envahisseur. Avec les moyens du bord, le cinéaste, alors à peine âgé de 22 ans, cède à tous les débordements, prône la gratuité et voit son inventivité stimulée par l’anémie de son budget. Jackson joue lui-même deux rôles dans le film, dont celui d’un homme obligé de nouer sur son front un bandeau pour éviter la chute de son cerveau ! Il en profite pour démontrer déjà une virtuosité indéniable dans l’art du montage, puisque les deux personnages qu’il interprète finissent par se battre. Autre astuce de montage qui a fait couler beaucoup d’encre : le mouton qui explose suite à la propulsion d’une roquette. Omniprésent, Jackson occupe tous les postes clefs derrière la caméra : scénariste, réalisateur, producteur, chef opérateur et créateur des effets spéciaux. Le reste de l’équipe est constitué d’amis motivés et pour la plupart étrangers aux métiers du cinéma. Pendant quatre ans, chaque dimanche, le petit groupe enchaîne les prises de vues et assemble petit à petit ce film déjanté.

Fusillades, poursuites, maquillages spéciaux audacieux (les fameux masques extra-terrestres grimaçants), maquettes (la maison qui s’envole), pyrotechnie (les voitures qui explosent), la petite équipe ne recule devant rien et ne se laisse jamais intimider par les moyens ridicules mis à sa disposition. Dans une ambiance de tournage proche de celle d’Evil Dead, Jackson tourne principalement caméra à l’épaule et bricole lui-même ses grues, ses steadycams et ses chariots de travelling. Un financement complémentaire alloué par la Commission du Cinéma Néo-Zélandais permettra au film de se terminer enfin et de s’achever même sur un climax franchement spectaculaire. Certes, l’humour gras du film, très proche de celui de la plupart des productions Troma, et la vacuité nihiliste de son scénario n’en font pas le chef d’œuvre absolu que beaucoup vénèrent aux quatre coins du globe.

Le talent est déjà là…

Mais le talent de Jackson est déjà très largement perceptible, et sa persévérance force le respect. Parti de rien, dans une Nouvelle-Zélande à la cinématographie alors inconnue, il signe carrément l’un des films les plus gore de l’histoire du cinéma (dans ce registre, il se surpassera lui-même avec l’incroyable Braindead). En 1987, Bad Taste devient l’une des meilleures surprises du Festival de Paris du Film Fantastique et du Marché du Film à Cannes. Il démarre dès lors une fructueuse carrière sur grand écran, surtout si l’on tient compte de son budget anémique, estimé à 11 000 dollars. Peter Jackson est dès lors promu réalisateur culte auprès des fantasticophiles. C’est le début d’une carrière prometteuse qui se muera bien vite en spectaculaire success story.


© Gilles Penso

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LES REVENANTS (2004)

En abordant le thème des zombies sous l'angle du drame social, Robin Campillo traite le sujet du deuil et de l'acceptation de la mort

LES REVENANTS

2004 – FRANCE

Réalisé par Robin Campillo

Avec Géraldine Pailhas, Jonathan Zaccaï, Frédéric Pierrot, Catherine Samie, Marie Matheron, Djemel Barek, Victor Garrivier

THEMA ZOMBIES

Pour son premier long-métrage, le talentueux monteur (Ressources humaines, Qui a tué Bambi ?) et scénariste (L’Emploi du temps, Entre les murs) Robin Campillo décide de s’attaquer à un projet ambitieux, qu’on pourrait définir comme le premier drame social avec des zombies. Le point de départ est pour le moins accrocheur : en l’espace de deux heures, les portes de l’au-delà s’ouvrent, ramenant à la vie soixante-dix millions de morts récents. Les premières images, qui montrent des centaines d’hommes et de femmes sortir d’un cimetière et errer dans les rues, sont particulièrement fortes. « L’impensable vient de se produire » dit le maire d’une des villes investies par ces hordes de trépassés. Très vite, la population s’interroge. Que faire d’eux ? Comment les réinsérer dans leurs familles et leurs métiers ? Face à cet événement imprévisible, les cités tentent de s’organiser. Les savants, aussitôt sollicités, constatent que les revenants ont des symptômes proches de l’aphasie post-traumatique. Ils sont lents, en retard, désynchronisés avec le monde, mais en mouvement permanent. On met donc en circulation un médicament, le lithanol, qui calme leur hyperactivité et les réfrène dans leurs déambulations incessantes. Pour pouvoir les repérer et analyser leurs déplacements (estimés à une moyenne de quinze kilomètres par jour et par individu), on fait survoler la ville de ballons sondes équipés de caméras thermiques, dans la mesure où les revenants ont une température corporelle inférieure de cinq degrés à celle des vivants. 

Le scénario des Revenants aborde ainsi le sujet sous un angle hyperréaliste, presque clinique, sans toutefois chercher à donner la moindre explication au phénomène. On l’accepte parce qu’on n’a pas le choix et on s’adapte. Le film s’attache à traiter en parallèle l’analyse du phénomène (études scientifiques, dispositions médicales et sociales), et les complexités de la réinsertion des revenants chez les leurs (famille qui se recompose, parents retrouvant leur enfant). Dans ses moments les plus intimes, l’intrigue s’intéresse principalement à Mathieu et Rachel, un couple incarné par Jonathan Zaccaï et Géraldine Pailhas. Jamais les mots « zombie » ou « morts-vivants » ne sont prononcés dans le film, qui choisit sciemment de ne pas arpenter les voies de l’horreur et de l’épouvante malgré le sujet qu’il aborde.

Bizzarerie poétique

Ponctuellement, au détour d’une séquence anodine, Robin Campillo renforce l’étrangeté de son propos en ralentissant légèrement les mouvements de sa caméra pour engourdir les déplacements de ses corps ambulants, post-synchronisant même leurs dialogues pour les recaler sur cette altération du rythme. Les Revenants se pare de plans parfois très graphiques, de belles idées visuelles et de scènes empreintes de bizarrerie poétique, comme ces réunions nocturnes des morts qui communiquent en chuchotant. Hélas, le traitement du film est d’une terrible froideur, et passée la surprise suscitée par la situation de départ, le spectateur saisit mal les finalités d’un scénario s’extrayant difficilement de l’anecdote, et échouant du même coup à traiter frontalement la thématique qui semblait le structurer, celle du deuil et de ses conséquences.

 

© Gilles Penso

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STAUNTON HILL (2009)

Le fils de George Romero s'essaie au cinéma d'horreur en marchant ouvertement sur les traces de Massacre à la tronçonneuse

STAUNTON HILL

2009 – USA

Réalisé par Cameron Romero

Avec David Rountree, Paula Rhodes, Christine Carlo, Kathy Lamkin, B.J. Hendricks, Charlie Bodin

THEMA TUEURS

Oui, le grand George A. Romero (cinéaste de valeur et géant de pratiquement deux mètres) a un fils. Il s’appelle Cameron et, comme papa, fait carrière dans l’horreur. Pas découragé par deux coups d’essai restés commercialement inexploités (Plant Life et The Screening), il entreprend avec Staunton Hill un projet plus « ambitieux » que les précédents : la visite guidée d’une cambrousse à la  Massacre à la tronçonneuse, relevée du piment rouge de séances de torture à la Saw et Hostel. S’il y a un risque que le « fils de » ne prend pas, c’est bien celui de l’originalité, d’idées un tant soit peu fraîches. Pas très aventureux dans sa démarche, Cameron Romero installe son scénario en 1969, au plus profond des États-Unis, en Virginie. Cinq jeunes adultes y font de l’auto-stop, en route vers Washington où ils prévoient de manifester contre la politique gouvernementale. Mauvaise pioche ; ils tombent sur un conducteur qui, faux bon samaritain, simule la panne pour les laisser se jeter dans la gueule du loup. Ou, plutôt, les envoyer se faire trucider par les membres d’une famille bien azimutée, dont les membres brandissent les préceptes de la Bible d’un côté et, de l’autre, les ustensiles nécessaires à leur perte. Elle se compose principalement d’une mama obèse (Kathy Lamkin, déjà vue dans le remake de Massacre à la tronçonneuse et sa suite), d’une vieille teigne se déplaçant dans un grand fauteuil roulant customisé au goût de la région, ainsi qu’un dadais chargé des basses œuvres. Une sorte de Leatherface sans le masque.

Conformément aux règles du genre et au terme des préliminaires de rigueur, les Staunton (c’est le nom des ruraux en question) scalpent, équarrissent, écorchent, amputent, électrocutent… La routine en somme, d’autant plus que le décorum (la ferme isolée, la casse automobile…) et l’accompagnement musical (harmonica et autres instruments du cru) ne se hasardent jamais hors des sentiers battus. Prévisible, Staunton Hill donne aussi l’impression d’un film excessivement bricolé au montage, rafistolé vaille que vaille, et oubliant de traiter son vrai sujet (l’Amérique bigote des campagnes confrontée à l’Amérique contestataire de la fin des sixties).

Glauque et malsain

Pourtant, malgré ses ruptures de rythme et incohérences, il parvient, au détour de telle ou telle séquence, à distiller une atmosphère. Glauque, malsaine évidemment, en s’appuyant sur des détails anodins. Un exemple ? La manière dont le tueur de la petite communauté plie et range les vêtements de ses victimes après les avoir réduites au silence éternel. Pas de quoi faire de Staunton Hill un bon film de genre, mais assez pour le rendre intéressant, intrigant. Le talent n’étant pas héréditaire, Cameron Romero ne partage manifestement pas celui de son paternel. Du moins, pas encore… En faisant un peu de progrès et, surtout, en choisissant mieux ses scripts, il peut cependant prétendre à la maîtrise d’un certain savoir-faire. Depuis Staunton Hill, il a tourné un court (The Auctioneers) et deux longs-métrages (RadicalAuteur). Autant  d’occasions de redresser la barre et de faire honneur à un certain héritage. 

 

© Marc Toullec

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LA CRYPTE DU VAMPIRE (1964)

Vampirisme et sorcellerie s'entrechoquent dans ce film d'épouvante composite dominé par la présence de Christopher Lee

LA MALDICION DE LOS KARNSTEIN

1964 – ITALIE / ESPAGNE

Réalisé par Camillo Mastrocinque

Avec Christopher Lee, Ursula Davis, Adriana Ambesi, Carla Calo, Jose Campos

THEMA VAMPIRES I SORCELLERIE ET MAGIE

Grâce à la renommée acquise sur les films Hammer, Christopher Lee a rapidement mis à contribution ses capacités polyglottes pour promener son imposante silhouette dans moult productions européennes à partir du milieu des années 60. Dans La Crypte du Vampire, il incarne le comte Ludwig de Karnstein, dont la fille Laura est en proie à de terribles cauchemars. Régulièrement, elle s’éveille en hurlant après s’être vue assassiner des membres de sa propre famille. Or les rêves semblent prémonitoires, car les victimes sont retrouvées vidées de leur sang. Soupçonnant une malédiction ancestrale, le comte sollicite les services de Klaus, un jeune étudiant spécialisé dans la restauration d’œuvres anciennes. Sa mission consiste à remettre à neuf le portrait d’une ancêtre de la famille, Sheena de Karnstein, jadis accusée de sorcellerie et sacrifiée sur l’autel de la superstition. Ludwig craint que sa fille ne soit la réincarnation de l’aïeule maudite, ce qui expliquerait ses morbides obsessions. Cette petite galerie de personnages se complète d’une austère gouvernante, d’une jeune servante un peu trop curieuse, d’un majordome sinistre et de la blonde amante de Ludwig. Comme Klaus est joli garçon, Laura lui fait les yeux doux, soupirant « nous vivons comme dans une tombe, comme au fin fond du monde », tandis que Ludwig passe le plus clair de son temps à arpenter les vastes couloirs du château dans son peignoir de soie.

Puis survient la scène la plus improbable du film, dans laquelle Laura se couche nue sur une étoile à cinq branches tracée sur le sol tandis que la gouvernante psalmodie « Sheena de Karnstein, nous t’invoquons » en agitant une autre étoile – en carton découpé celle-ci – au-dessus des flammes d’une bougie. La Crypte du Vampire jongle ainsi avec plusieurs thèmes fantastiques sans trop s’embarrasser de cohérence scénaristique, mêlant vampirisme et sorcellerie en un joyeux cocktail. Lorsqu’intervient le personnage de Ljuba, une jeune fille victime d’un accident de carrose qui séjourne quelques temps au château, l’influence du « Carmilla » de Sheridan le Fanu imprègne le film, quoi que de manière très superficielle. La relation saphique censée lier Laura et Ljuba n’est qu’esquissée au profit d’une amitié exclusive et enfantine.

« La nature a préparé son spectacle… »

Le film souffre d’une direction d’acteurs dénuée de subtilité, Laura surjouant le désespoir, Ljuba exagérant son ingénuité, Christopher Lee roulant des yeux sévères en crispant la mâchoire. Mais la poésie s’immisce souvent, à travers quelques dialogues métaphoriques (« la nature a préparé son spectacle et attend l’entrée des acteurs, mais on ne peut savoir s’ils joueront une comédie ou une tragédie… » susurre Ljuba, perdue dans la contemplation de la campagne rayonnante), une bande son se ponctuant parfois de lugubres sonneries de cloches, une photographie noir et blanc laissant les rais de lumière souligner les regards inquiets, ou quelques visions macabres surprenantes comme ce chandelier élaboré à partir d’une main coupée. Dans la crypte du titre s’élabore un dénouement riche en rebondissements et en révélations, parachevant théâtralement cette sympathique co-production italo-espagnole.

 

© Gilles Penso

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SECTOR 7 (2011)

Les ouvriers d'une plateforme pétrolière réveillent un monstre marin qui va les décimer un à un…

7 GWANGGU

2011 – COREE DU SUD

Réalisé par Ji-hoon Kim

Avec Ji-won Ha, Sung-kee Ahn, Ji-ho Oh, Ae-ryeon Cha, Ye-ryeon Cha, Han-wi Lee, Cheol-min Park, Sae Byeok Song

THEMA MONSTRES MARINS

Grâce à ses effets spéciaux haut de gamme et son sens du spectaculaire, The Last Day avait fait son petit effet en 2009, surfant allègrement sur le tsunami du 2012 de Roland Emmerich. Les producteurs et le réalisateur de ce fleuron du cinéma catastrophe asiatique nous transportent cette fois-ci sur la plate-forme pétrolière off-shore Eclipse, perdue au beau milieu d’un océan sauvage et déchainé. Après de nombreux forages éprouvants, l’équipe à bord doit se rendre à l’évidence : le pétrole refuse de jaillir. Prêts à baisser les bras, les vaillants techniciens tentent une dernière percée à près de deux mille mètres de profondeur. L’or noir continue à jouer l’arlésienne, mais ils semblent avoir réveillé une chose inconnue qui, peu à peu, se met à décimer leurs rangs… La double influence d’Alien et d’Abyss est manifeste dès les premières minutes du métrage, preuve que Ji-hoon Kim continue à se laisser porter par les grands succès américains pour nourrir son propre cinéma. Les bathyscaphes en pleine exploration abyssale et la présence d’une entité hostile dans les coursives du site industriel évoquent donc les univers de James Cameron et Ridley Scott, mais le réalisateur parvient à exprimer sa propre personnalité et surtout ses propres effets de style.

Motivé par ses trucages numériques dernier cri et par l’exploitation de son film en relief, il multiplie ainsi les mouvements de caméra vertigineux, visualisant sous toutes ses coutures la plateforme au milieu de vagues en furie, démarrant ses travellings sur des gros plans pour élever ensuite sa caméra plusieurs centaines de mètres dans les airs. La finesse n’est pas vraiment de mise, d’autant que la bande originale, calquée sur les travaux d’Hans Zimmer et de ses disciples, martèle lourdement l’action. Mais Sector 7 se laisse voir sans déplaisir, s’appuyant sur des décors très photogéniques et une mise en scène particulièrement soignée.

Entre la chenille, la méduse et le dinosaure

Lorsque l’intrus révèle enfin sa véritable nature, le film assume alors son statut de monster movie et l’amateur est aux anges. Car la créature sait soigner chacune de ses apparitions, rampant et rugissant avec beaucoup de panache. La mâchoire carnassière, l’échine hérissée de tentacules, la peau gélatineuse, la bête s’avère difficile à décrire, se situant quelque part à mi-chemin entre la chenille, la méduse et le dinosaure. Une langue extensible et des pattes de morse parachèvent sa morphologie composite. Les pauvres humains mués malgré eux en garde-manger comprennent qu’ils ont affaire là au fruit d’une expérience ayant mal tourné. Car vingt ans plus tôt, les scientifiques de la plateforme découvrirent une forme de vie étrange capable de s’enflammer et de produire une combustion permanente. Fascinés par cette nouvelle source d’énergie susceptible à terme de remplacer le pétrole, ils accélérèrent la croissance d’un des spécimens pour gagner en productivité. Et voilà le travail ! Superbe création numérique, le monstre, en perpétuelle mutation, semble invincible, et nous offre des séquences d’affrontement homérique, qui méritent à elles seules le visionnage de ce film généreux et décomplexé, s’achevant sur un épilogue aquatique étonnamment émouvant.

 

© Gilles Penso

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HALLOWEEN 2 (1981)

Rick Rosenthal signe une séquelle très efficace du classique de John Carpenter et tisse des liens inattendus entre le tueur et sa victime

HALLOWEEN 2

1981 – USA

Réalisé par Rick Rosenthal

Avec Donald Pleasence, Jamie Lee Curtis, Charles Cyphers, Jeffrey Kramer 

THEMA TUEURS I SAGA HALLOWEEN

« Le succès de films comme La Nuit des Masques s’explique par le fait que les slahers ne coûtent pas cher et rapportent souvent beaucoup d’argent » nous expliquait un jour John Carpenter (1). Pragmatique, il se doutait bien que la rentabilité de son premier Halloween allait rapidement générer une séquelle. Occupant une nouvelle fois les postes de producteur et de scénariste avec sa collaboratrice Debra Hill, il céda cependant le poste du réalisateur à Rick Rosenthal, œuvrant pour la première fois sur un long-métrage. Ce dernier s’acquitta de sa tâche avec les honneurs, se lançant dans une méticuleuse entreprise de mimétisme qui, aujourd’hui encore, sème le trouble. En effet, tous les effets de style de La Nuit des Masques sont ici reproduits avec fidélité, sans pour autant reléguer Halloween 2 au statut de simple plagiat. Les longs plans séquence tournés en courte focale génèrent toujours autant de suspense, par le biais d’astucieux jeux d’avant et d’arrière-plans. La photographie en clairs obscurs de Dean Cundey irradie une fois de plus les panoramas urbains en Cinémascope, jouant sur les nerfs des spectateurs lorsque l’ombre cache les exactions du croquemitaine. La partition métronomique de John Carpenter et Alan Howarth rythme savamment un récit qui, à nouveau, se resserre sur une double unité de lieu et de temps. Bref, le père de New York 1997 et Fog a trouvé en Rick Rosenthal un disciple idéal, à tel point que la paternité d’Halloween 2 fut souvent attribuée à Carpenter seul.

Certes, celui-ci a lui-même mis la main à la pâte lorsqu’il décida, au vu du premier montage trop sage à son goût, d’injecter dans le métrage plus de violence (d’où un certain nombre de meurtres beaucoup plus graphiques et démonstratifs que dans La Nuit des Masques, dont le point culminant est la double attaque dans un jaccuzzi). Mais parler de co-réalisation semble cependant abusif, et ne rendrait pas justice au travail remarquable de Rosenthal. Halloween 2 commence exactement là où s’achevait le film précédent. Après avoir été abattu par le docteur Sam Loomis (Donald Pleasence), Michael Myers semblait hors d’état de nuire. Or son corps a disparu, et le psychiatre hystérique se lance à sa recherche, pistolet au poing, répétant aux fonctionnaires de police : « Je lui ai tiré six balles dans le corps, il n’est pas humain ! ».

«Je lui ai tiré six balles dans le corps, il n'est pas humain !»

De son côté, Laurie Strode (Jamie Lee Curtis) est admise à l’hôpital de la ville pour se remettre de son agression. Dans un état second, elle refuse qu’on l’endorme, comme si un pressentiment funeste la hantait. Bien sûr, ses craintes sont fondées, et le croquemitaine au masque blanc ne tarde pas à pointer le bout de son couteau dans les couloirs de l’établissement, semant la mort partout où il passe. Le climax nous réserve une surprise offrant une mise en perspective inattendue sur les relations du monstre et de sa proie. Bien souvent, Halloween 2 s’élève au même niveau artistique que son prestigieux prédécesseur, avec lequel il compose un excellent diptyque. Ce sera le seul coup d’éclat de Rick Rosenthal, ce dernier se perdant ensuite dans l’anonymat de la réalisation télévisée dont il ne sortira que furtivement, le temps d’un Halloween Résurrection très anecdotique.


(1) Propos recueillis par votre serviteur en février 1995


© Gilles Penso

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HALLOWEEN 3 : LE SANG DU SORCIER (1982)

A l'initiative de John Carpenter, ce troisième épisode particulièrement original se passe des services du croquemitaine Michael Myers

HALLOWEEN III – SEASON OF THE WITCH

1982 – USA

Réalisé par Tommy Lee Wallace

Avec Tom Atkins, Dan O’Hearlihy, Stacey Nelkin, Michael Currie, Ralph Strait, Jadeen Barbor, Brad Schacter

THEMA SORCELLERIE ET MAGIE I SAGA HALLOWEEN

Michael Myers périssant dans un brasier purificateur à l’issue d’Halloween 2, il semblait absurde de le ressusciter. Pour éviter malgré tout d’interrompre si tôt une franchise promise à un bel avenir, John Carpenter proposa de poursuivre la saga Halloween sous forme d’une série de longs-métrages mettant à chaque fois en scène des personnages différents et un récit original. Prototype de ce projet à long terme, Halloween 3, le Sang du Sorcier s’extrait donc des mécanismes du slasher pour s’aventurer sur les sentiers d’une horreur surnaturelle. Tom Atkins (vu dans Fog et New York 1997) endosse la blouse du docteur Daniel Challis, surpris de voir débarquer dans l’hôpital où il exerce un homme gravement blessé qui, dans ses brefs moments de reprise de conscience, s’écrie : « ils vont venir pour tous nous tuer ! ». Peu de temps après ces sinistres prédictions, un homme impassible pénètre dans la chambre du malheureux, lui arrache les yeux, puis s’immole dans sa voiture.

Dès son entrée en matière, Halloween 3 annonce ainsi une brutalité et une absence de concession que ne démentira guère le reste du métrage. La violence y est en effet exacerbée et les morts plutôt graphiques. Têtes arrachées à mains nues, visages déchirés d’où surgissent des nuées d’insectes rampants, meurtres à la perceuse s’enchaînent inexorablement. L’enquête que Daniel Challis et la fille de la victime mènent ensemble les conduit dans la petite ville de Santa Mira, siège de la fabrique Silver Shamrock qui s’est spécialisée dans l’élaboration de masques pour Halloween. Leurs trois dernières créations (une tête de citrouille, un visage de démon grimaçant et un squelette) s’arrachent dans tous les magasins, tandis que leurs spots télévisés décomptant les jours avant le 31 octobre saturent les chaînes de télévision.

Un sentiment croissant de paranoïa

Si les liens narratifs entre Halloween 3 et ses deux prédécesseurs sont volontairement rompus, une unité artistique persiste, grâce à la musique synthétique entêtante de John Carpenter et Alan Howarth, à la photographie nocturne que Dean Cundey concocte une nouvelle fois sur un format Cinémascope, et à un sentiment croissant de paranoïa qui annonce plusieurs œuvres phares du père de Michael Myers, notamment Prince des ténèbres, Invasion Los Angeles et L’Antre de la folie. Myers lui-même fait une petite apparition sous forme de clin d’œil, via une bande annonce et un extrait de La Nuit des Masques diffusés sur les petits écrans de la ville. Lorsque Conal Cochran (Dan O’Herlihy), vénérable patron de Silver Shamrock, fait visiter fièrement son usine, le Willy Wonka de « Charlie et la Chocolaterie » n’est pas loin. Mais le conte de fées vire à l’horreur viscérale lorsque sa diabolique machination prend corps, à travers une séquence choc où un enfant coiffé d’un masque en forme de citrouille s’écroule au sol, son visage expulsant des cafards et des serpents venimeux qui assaillent ses parents terrifiés ! Malgré – ou à cause de – ses audaces, Halloween 3 désarçonna le public, qui ne lui réserva qu’un accueil mitigé. Michael Myers renaîtra donc de ses cendres dans un Halloween 4 beaucoup plus convenu.

 

© Gilles Penso

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SUPERMAN 2 (1980)

Partagé entre les styles de Richard Donner et de Richard Lester, au sein d'un tournage conflictuel, ce second Superman conte un affrontement épique en plein Metropolis

SUPERMAN II

1980 – USA

Réalisé par Richard Lester (et Richard Donner non crédité)

Avec Christopher Reeve, Margot Kidder, Gene Hackman, Terence Stamp, Ned Beatty, Jackie Cooper

THEMA SUPER-HEROS I EXTRA-TERRESTRES I SAGA SUPERMAN I DC COMICS

Avec ses spectaculaires résultats au box-office (300 millions de dollars de recette), Superman conforta les producteurs Alexander et Ilya Salkind dans la mise en chantier d’une séquelle envisagée très en amont et toujours confiée au réalisateur Richard Donner. De nombreuses séquences de Superman 2 furent d’ailleurs tournées en même temps que le premier film, et le scénario effectue un lien très audacieux entre les deux épisodes. En effet, des criminels entraperçus pendant le prologue de Superman deviennent les super-vilains principaux de Superman 2. Il s’agit du redoutable général Zod (Terence Stamp), de sa maîtresse Ursa (Sarah Douglas) et de leur massif acolyte Non (Jack O’Halloran). Exilés dans la « zone fantôme » de l’espace par Jor-El pour avoir tenté de voler un puissant cristal, ces trois renégats de la planète Krypton sont libérés de leur geôle dimensionnelle par une explosion nucléaire. Ironie du sort, la déflagration est due à une bombe à hydrogène que des terroristes avaient installés sur la Tour Eiffel et que Superman a expédié dans l’espace. Le trio maléfique débarque bientôt sur Terre, possédant dès lors les mêmes pouvoirs que Superman, et s’associe à Lex Luthor pour mener la vie dure aux habitants de Metropolis.

Riche en séquences d’action inédites (les combats des quatre belligérants dans les rues iconisées de Metropolis défient toutes les lois physiques), en affrontements spectaculaires et en rebondissements scénaristiques majeurs (Loïs Lane y découvre la véritable identité de Clark Kent), Superman 2 est une séquelle de grande qualité, que certains spectateurs préfèrent même à l’original grâce à son rythme plus alerte. Pourtant, son tournage ne fut pas une partie de plaisir, Richard Donner étant entré en conflit ouvert avec les frères Salkind au point de claquer la porte avec perte et fracas. Solidaire de Donner, Marlon Brando décida de quitter à son tour la production, exigeant que toutes ses séquences soient retirées du montage.

Lester à la rescousse

Pour éviter que Superman 2 ne demeure inachevé, Richard Lester fut appelé à la rescousse et se vit confier la finalisation du métrage. Mais ce metteur en scène britannique (à qui nous devons entre autres Quatre Garçons dans le vent et Help !, les deux premiers longs-métrages mettant en vedette les Beatles) témoigna d’une approche radicalement différente de celle de Donner, ce qui l’incita à retourner de nombreuses séquences et à proposer un résultat très différent de celui initialement envisagé. La cohérence de Superman 2 n’en souffre pourtant guère, si l’on excepte quelques étranges raccourcis scénaristiques (comment Superman retrouve-t-il ses pouvoirs après les avoir perdus ?), mais on sera tenté de préférer le « director’s cut » que Richard Donner mettra à disposition du public en 2006 à l’occasion d’une édition spéciale du film en DVD (connue sous le label « The Donner Cut »). Hybride mais plein de charme et généreux en tours de force, Superman 2 (co-réalisé par Donner et Lester mais uniquement signé par Lester au générique) s’attira à nouveau la grâce des spectateurs et se para bien vite d’une nouvelle séquelle, que Lester réalisera vraiment en solo cette fois.

 

© Gilles Penso 

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