LA REVOLTE DES TRIFFIDES (1962)

Alors qu'une pluie de météorite a rendue aveugle la majorité de la population, des plantes géantes carnivores surgissent à la surface de la Terre…

DAY OF THE TRIFFIDS

1962 – GB

Réalisé par Steve Sekely

Avec Howard Keel, Nicole Maurey, Janette Scott, Kieron Moore, Mervyn Johns, Ewan Roberts, Alison Leggatt, Geoffrey Matthews

THEMA VEGETAUX I CATASTROPHES

Futur auteur des « Coucous de Midwich » qui allait se muer en classique du cinéma de science-fiction (le fameux Village des damnés), John Wyndham écrivait en 1951 « Le Jour des Triffides », un éprouvant récit post-apocalyptique narrant les déboires d’un petit groupe ayant survécu à un cataclysme planétaire. Onze ans après la publication du roman, le metteur en scène d’origine hongroise Steve Sekely en tirait une adaptation cinématographique spectaculaire. Si les personnages et les péripéties imaginées par Wyndham ont considérablement été modifiés par le scénario, l’esprit général reste le même, et les prémisses du film, notamment, sont assez similaires à ceux du livre. Hospitalisé pour une opération des yeux, Bill Masen (Howard Keel, futur personnage récurrent de la série Dallas) rate l’événement dont tout le monde parle : une pluie de météorites multicolore. Mais lorsqu’il se réveille au petit matin, il doit bien reconnaître qu’il a une chance inouïe. En effet, la majeure partie de la population est devenue aveugle au lendemain du phénomène astronomique. En enlevant ses bandages, il découvre donc un monde ravagé, livré à lui-même et à la panique. Un malheur ne venant jamais seul, la pluie de météorites a également donné vie à des plantes géantes carnivores, les triffides, bien décidées à profiter de la cécité de la population pour en faire son plat du jour.

S’il oublie bon nombre d’éléments imaginés par Wyndham, notamment les gangs organisés qui pillent la ville en kidnappant les rares humains encore voyants, le scénario concocte de toutes pièces des séquences de suspense mémorables. Notamment cet avion de ligne sur le point de s’écraser dans la mesure où les pilotes ne voient plus les commandes, le triffide qui menace Bill et la petite Suzan dans les bois brumeux, ou encore celui qui surgit en pleine nuit pour attaquer un couple dans un phare… « Quand cette chose “marchait“, elle se déplaçait comme un homme qui marche avec des béquilles » narrait l’écrivain. Une vision surréaliste fort bien rendue ici grâce à des trucages mécaniques et des effets sonores efficaces. 

Cataclysme à grande échelle

Mais là où les effets spéciaux coupent littéralement le souffle, c’est dans la description du cataclysme à grande échelle qui frappe la planète. Via des caches, des maquettes et des matte paintings ingénieux, le film nous décrit de gigantesques incendies ravageant Tokyo, un Arc de Triomphe parisien jonché de véhicules accidentés, ou encore les rues de Londres envahies de passants aveugles se déplaçant comme des zombies. Des images qui préfigurent le cinéma catastrophe des années 70. Après avoir réuni un petit groupe de survivants, notre héros tachera de prendre la fuite à travers l’Europe, jusqu’à un climax à grande échelle le mettant aux prises avec des centaines de triffides, seul et armé d’un simple lance-flammes. Dommage que le film s’achève sur un happy-end aussi convenu que tiré par les cheveux, au lieu d’opter pour la fin ouverte et un tantinet pessimiste suggérée par le livre. En 1981, Ken Hannam réalisera la mini-série Day of the Triffids, moins marquante, certes, mais plus fidèle au matériau littéraire initial.

© Gilles Penso

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LES HORREURS DE FRANKENSTEIN (1970)

En marge de la série "officielle" avec Peter Cushing, le studio Hammer produisait cette variante impertinente avec le futur Dark Vador dans la peau du monstre

HORROR OF FRANKENSTEIN

1970 – GB

Réalisé par Jimmy Sangster

Avec Ralph Bates, David Prowse, Veronica Carlson, Kate O’Mara, Dennis Price, John Finch, Graham James

THEMA FRANKENSTEIN

Avant de donner une suite officielle au Retour de Frankenstein, la Hammer s’est offert une parenthèse satirique avec Les Horreurs de Frankenstein, produit, écrit et réalisé par le très inventif Jimmy Sangster. Cette variante se propose de reprendre le récit de Mary Shelley depuis le début, mais avec beaucoup de liberté et sous un angle favorisant grandement l’humour noir. La Suisse prend ici les allures d’une Angleterre très puritaine et le Frankenstein sévère incarné par Peter Cushing cède le pas à un étudiant insolent mais brillant interprété par l’excellent Ralph Bates. Le film en profite pour illustrer avec délectation un conflit des générations alors très à la mode. Car ce jeune Frankenstein n’hésite pas à ridiculiser un professeur hypocondriaque devant ses camarades étudiants, ou à provoquer la mort de son père dans un accident de chasse en trafiquant son fusil. A un notable furieux dont il a engrossé la fille, il se contente de répondre « félicitations » !

En reprenant possession du château familial, il poursuit même les habitudes de son défunt père qui consistaient à coucher avec la gironde gouvernante Alice (Kate O’Mara) ! Mais au-delà de ses défis à l’autorité et de ses courses de jupons, Frankenstein se consacre principalement à la science. Il parvient ainsi à ranimer le bras d’un cadavre qu’il a subtilisé à l’école de médecine, et installe bientôt un laboratoire complet dans le grenier, avec l’aide de son ami Wilhelm (Graham James). Après être parvenu à tuer puis ranimer une tortue, il décide de tenter l’expérience avec un être humain et se procure de nombreux cadavres à cet effet. Inquiet de la tournure que prennent les choses, Wilhelm somme son ami d’arrêter, sous peine de le dénoncer aux autorités. Frankenstein, qui a depuis longtemps laissé ses scrupules au vestiaire, l’électrocute et en profite pour récupérer sur son corps quelques pièces détachées supplémentaires. Il ne manque plus qu’un cerveau à ce puzzle anatomique.

Une brute aux instincts meurtriers

Notre savant jette son dévolu sur celui d’un éminent professeur, qui n’est autre que  le père de son amie d’enfance Elizabeth (Veronica Carlson, dont la blonde beauté rayonnait déjà dans Dracula et les femmes et Le Retour de Frankenstein). Victor empoisonne sans vergogne le pauvre homme, mais le cerveau s’abîme dans le transport, et lorsque la créature s’anime enfin, elle est animée de pulsions criminelles. David Prowse, futur Dark Vador et déjà titulaire du rôle du monstre de Frankenstein dans une toute petite apparition karlofienne à la fin de Casino Royale, prête sa silhouette de bodybuilder à cette créature fort impressionnante. Découvrant avec désarroi que l’œuvre de sa vie n’est qu’une brute aux instincts meurtriers, Frankenstein se résoud à l’employer pour éliminer tous les témoins gênants. Plus drôle, plus sanglant, plus impertinent et plus subversif que les autres films « officiels » de la série, Les Horreurs de Frankenstein ne remporta pourtant pas le succès escompté, et la Hammer revint aux bonnes vieilles recettes (et à Peter Cushing) pour clore définitivement la franchise en 1973.  


© Gilles Penso

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LES FILS DE L’HOMME (2006)

Une fable futuriste pétrifiante de réalisme dans laquelle le trésor le plus précieux semble être la dernière femme fertile

CHILDREN OF MEN

2006 – GB / USA

Réalisé par Alfonso Cuaron

Avec Clive Owen, Julianne Moore, Michael Caine, Chiwetel Ejiofor, Clare-Hope Ashitey, Pam Ferris, Danny Huston, Peter Mullan

THEMA FUTUR

Alfonso Cuaron avait créé la surprise en réalisant l’épisode le plus stylisé de la saga Harry Potter. Le savoir aux commandes d’un film d’anticipation avait donc de quoi titiller notre curiosité, et le résultat est à la hauteur de toutes les attentes. Adaptant la nouvelle homonyme de P.D. James publiée en 1993, qui semble elle-même puiser des éléments d’inspiration dans le roman « Barbe-Grise » de Brian Adliss, Les Fils de l’homme évoque moult fleurons du genre, de Soleil vert à New York 1997 en passant par Blade RunnerMad Max et même 2019, après la chute de New York. Pour autant, le film de Cuaron n’a rien du patchwork référentiel. Nous sommes à Londres en 2027, dans un futur qui ressemble étrangement à notre présent, à quelques exceptions près. Car une catastrophe insidieuse et imprévisible a frappé l’humanité : aucune femme n’est tombée enceinte depuis dix-huit ans. Cette stérilité généralisée annonce à terme l’extinction de la race humaine, ce qui explique en partie le chaos dans lequel le monde est tombé. Suite à de multiples actions terroristes, les plus grands pays ont été dévastés, voire rayés de la carte, et seule la Grande-Bretagne semble encore résister. D’où un flot incontrôlable d’immigrants irréguliers, parqués dans des cages ou dans des camps insalubres, et la mise en place d’un état policier frôlant le totalitarisme.

C’est dans ce contexte pour le moins pessimiste que se débat l’employé ministériel Theo Faron, qu’incarne avec beaucoup de conviction Clive Owen. Taciturne, il s’offre quelques escapades dans la maison de campagne de son vieil ami Jasper, un hippie sur le retour interprété par le savoureux Michael Caine. Au retour d’un de ces « bols d’air », Theo est kidnappé par un groupe extrémiste dirigé par Julianne Taylor, son ancienne campagne (la toujours magnifique Julianne Moore). Celle-ci lui offre de l’argent contre un service : aider une jeune femme prénommée Kee (Clare-Hope Ashitey) à passer la frontière. Theo accepte de mauvaise grâce, mais lorsqu’il découvre que Kee est enceinte, il réalise les énormes enjeux de sa mission…

Des plans-séquence vertigineux

Ce qui frappe dans Les Fils de l’homme, au-delà de ses comédiens extraordinaires et de son univers claustrophobique, ce sont les choix de mise en scène de Cuaron. Rejetant l’image léchée, préférant le format 1.85 au Cinemascope, optant pour des mouvements de caméra accidentés, des lumières crues et des effets spéciaux discrets, le cinéaste emprunte souvent ses effets de style au reportage. La crédibilité du récit s’en trouve indiscutablement renforcée. Du coup, les scènes d’action s’avèrent brutales, plausibles et terriblement immergentes pour le spectateur. A ce titre, on n’est pas près d’oublier l’incroyable séquence d’attaque de la voiture conçue en plan-séquence (les effets numériques permettant l’enchaînement invisible de six prises distinctes) ou la longue fusillade finale dans les rues dévastées, tournée caméra à l’épaule et héritée de Full Metal Jacket, Il faut sauver le soldat Ryan et La Chute du faucon noir. C’est donc dans un climat de tension et d’inconfort permanent que se déroule cette œuvre atypique dont l’impact perdure longtemps au-delà de son visionnage.

© Gilles Penso

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LEGEND (1985)

Ridley Scott nous plonge dans un monde magique où Tom Cruise affronte le plus spectaculaire des démons

LEGEND

1985 – GB

Réalisé par Ridley Scott

Avec Tom Cruise, Mia Sara, Tim Curry, David Bennent, Alice Playten, Billy Barty, Cork Hubbert, Peter O’Farrell, Kiran Shah

THEMA CONTES I HEROIC FANTASY I DIABLE ET DEMONS

Avec Alien et Blade RunnerRidley Scott s’est taillé sans mal une réputation d’orfèvre en matière de cinéma fantastique stylisé. Désireux de varier les plaisirs, il troque la science-fiction futuriste contre l’heroïc fantasy atemporelle à l’occasion de Legend, un projet extrêmement ambitieux qui effraie quelque peu les cadres de la 20th Century Fox. Admiratif du travail de Rob Bottin sur Hurlements de Joe Dante, Scott contacte très tôt le talentueux maquilleur pour l’embarquer dans cette aventure. Mais il devient vite très clair que le scénario initial est trop fourni en monstres, nécessitant des délais de production interminables et un budget colossal que le producteur Arnon Milchan ne peut assumer. Avec l’aide de Bottin, le cinéaste revoit donc ses ambitions à la baisse pour aboutir au scénario définitif que rédige William Hjortsberg. Nous sommes donc dans un royaume enchanté, où hommes et bêtes se côtoient paisiblement sous la protection d’un couple de licornes sacrées. Lili, une jeune et belle princesse incarnée par Mia Sara, habite ce pays de lumière dont elle aime explorer les bois en compagnie de son ami Jack, un tendre et joyeux ermite qui connaît tous les secrets de la nature, et à qui Tom Cruise, pas encore portée aux nues par Top Gun, prête ses traits juvéniles. Mais, sous ce paradis, dans les entrailles de la terre, se dissimule un être maléfique : Darkness, qui rêve de plonger le monde dans les ténèbres. Pour y parvenir, il lui faut détruire les deux licornes. La première succombe au dard mortel de trois diaboliques lutins. Jack et Lili sont désormais les seuls à pouvoir rétablir l’équilibre…

 

Porté par ce voyage au cœur de l’imaginaire enfantin, Scott stylise à l’extrême un conte moins naïf qu’il n’y paraît, mettant en œuvre des décors fabuleux, des éclairages magnifiques signés Alex Thomson et des créatures d’anthologie. L’ambivalence permanente des personnages et de leur environnement, sans cesse à cheval entre les ténèbres et la lumière, apporte à la fable une dimension inattendue, à mi-chemin entre les féeries de Walt Disney et l’épouvante de la Hammer, entre l’iconographie hollywoodienne et un esthétisme mi-européen mi-oriental du plus curieux effet. « Qu’est-ce que la lumière sans les ténèbres ? » s’interroge d’ailleurs l’un des personnages au cœur du récit. « Lorsque j’étais adolescent, ma culture cinématographique se limitait aux films américains », nous raconte Ridley Scott. « J’étais donc influencé par le style, la morale et les icônes d’Hollywood. Lorsqu’ensuite j’ai commencé mes études à Londres, j’ai découvert d’autres formes de cinéma, notamment les films européens, ceux d’Ingmar Bergman et d’Akira Kurosawa. C’est à partir de là que j’ai su que je deviendrai moi-même réalisateur de films. » (1)

 

La réincarnation du Diable de Fantasia

Ces influences multiples surgissent dans la splendide forêt de studio de Legend, où pleuvent les fleurs et les bulles, et où s’animent toutes sortes de créatures fabuleuses : une espèce de fée Clochette échappée de Peter Pan, des gnomes en tout genre, un petit satyre violoniste, deux adorables licornes ou encore une abominable sorcière dégoulinante.  Mais la créature la plus inoubliable du film est sans conteste Darkness, superbement interprété par Tim Curry (le Frankenstein transsexuel du Rocky Horror Picture Show). Darkness est né sous les coups de crayon habiles de Ridley Scott et Rob Bottin, tous deux excellents dessinateurs. L’une des premières idées du cinéaste est que cette créature soit capable de changer d’aspect selon son humeur. Démon magnifique dans ses bons moments, il se mue en bête abominable lorsque sa colère éclate. Quelques centaines de dessins et plusieurs semaines de réflexion plus tard, Scott change d’idée et se concentre sur une seule morphologie, celle d’un diable superbe et imposant, rouge vif, aux traits séduisants et au front surmonté de gigantesques cornes. Croisement entre la Bête de Jean Cocteau, le Joker de Batman, la sorcière de Blanche Neige et les sept nains et le diable de Fantasia, Darkness bénéficie également de quelques attributs animaux imaginés par Bottin, notamment un front de taureau et des oreilles de bouc. Tous ces monstres et merveilles s’animent aux accents féeriques d’une partition de Jerry Goldsmith (déjà compositeur d’Alien), qui verse par moments dans la comédie musicale surréaliste et mélancolique.

 

(1) Propos recueillis par votre serviteur en avril 2005

© Gilles Penso

 

Pour en savoir plus…

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STARFIGHTER (1985)

Un sympathique space opera réalisé par l'interprète original de Michael Myers, ponctué de révolutionnaires images de synthèse

THE LAST STARFIGHTER

1985 – USA

Réalisé par Nick Castle

Avec Lance Guest, Dan O’Herlihy, Catherine Mary Stewart, Robert Preston, Chris Herbert, Barbara Bosson, Norman Snow

THEMA SPACE OPERA I EXTRA-TERRESTRES

Ancien homme à tout faire auprès de John Carpenter, Nick Castle fut notamment scénariste de New York 1997, assistant caméraman de Dark Star et interprète de Michael Myers dans La Nuit des masques. Après un premier film variant avec inventivité sur la thématique des serial killers de l’époque, Tag, il enchaînait avec Starfighter, l’une des imitations les plus originales et les plus rafraîchissantes de La Guerre des étoiles. L’action se situe dans un camping, lieu de résidence permanent d’une poignée de sympathiques protagonistes, en particulier Alex Rogan qui, à 18 ans, rêve de voyages et de grandes aventures. Or pour l’heure, il passe le plus clair de son temps à réparer les appareils électriques de ses voisins, quand il ne traîne pas avec une bande de copains pas franchement finauds. Ses seules évasions sont une jolie petite amie et un jeu vidéo d’arcade baptisé « Starfighter ». Devenu virtuose aux commandes de cette bataille spatiale virtuelle visiblement inspirée du célèbre « Space Invaders » qui faisait à l’époque fureur sur les consoles Atari, Alex finit par atteindre le meilleur score.

Aussitôt, un homme étrange, qui se fait appeler Centauri, l’aborde en se présentant comme le créateur du jeu. Grâce à son score, le jeune prodige vient d’être sélectionné pour devenir lui-même un Starfighter, autrement dit joindre une escouade de pilotes de vaisseaux spatiaux censés s’unir pour défendre l’univers face à la menace du sinistre Zur. Évidemment, Alex n’y croit pas une seconde, mais lorsque la voiture de Centauri se met à voler au-dessus de la route en prenant les allures de la Delorean de Retour vers le futur, puis s’élève au-dessus de l’atmosphère pour le conduire dans une station spatiale, il est bien obligé de se rendre à l’évidence : Starfighter n’est pas seulement un jeu vidéo. Refusant cette trop lourde responsabilité dans un premier temps, Alex finit par accepter, tandis qu’un robot à son effigie le remplace sur Terre le temps de la bataille, occasionnant les séquences les plus drôles du film.

Des vaisseaux spatiaux 100% numériques

Car Starfighter, paré d’une mise en scène alerte de Nick Castle, ne s’interdit aucun trait d’humour, sans verser pour autant dans la pantalonnade parodique. A celle de La Guerre des étoiles, le film ajoute l’influence de Tron, et profite de la brèche ouverte par ce dernier pour oser un tour de force technique alors très avant-gardiste : abandonner les maquettes pour reconstituer toutes les séquences spatiales en image de synthèse. Ce parti pris, aujourd’hui banalisé, était évidemment fort risqué en 1985, et on ne peut que saluer la qualité du résultat. Car si les vaisseaux spatiaux en 3D souffrent fatalement de textures moyennement réalistes (en particulier lors de la poursuite à l’intérieur d’un astéroïde qui évoque L’Empire contre-attaque), le dynamisme de leurs chorégraphies est une indéniable réussite. « Starfighter était un film pivot en ce qui concerne l’avancement technique des effets visuels réalisés sur ordinateur », raconte le spécialiste des effets numériques Kevin Rafferty. « L’équipe de Digital Productions a remporté un Oscar spécial en 1984 pour notre travail sur ce film, qui contient de nombreux plans intégralement numériques. »  (1) Comme en outre la partition symphonique de Craig Safan n’a rien à envier aux envolées lyriques de John Williams et Jerry Goldsmith, et que les maquillages extra-terrestres se démarquent habilement de ceux des Star Wars et des Star TrekStarfighter est assurément l’un des space opéra les plus réjouissants des années 80.

 

(1) Propos recueillis par votre serviteur en décembre 2008

© Gilles Penso

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LA DERNIÈRE MAISON SUR LA GAUCHE (1972)

Le premier long-métrage de Wes Craven est une œuvre choc dont l'influence sera durable sur le cinéma de genre des années 70

THE LAST HOUSE ON THE LEFT

1972 – USA

Réalisé par Wes Craven

Avec David Hess, Lucy Grantham, Marc Sheffier, Sandra Cassel, Fred J. Lincoln, Jeramie Rain, Richard Towers, Cynthia Carr

THEMA TUEURS I SAGA WES CRAVEN

Wes Craven se destinait à priori à une carrière d’écrivain plutôt que de cinéaste. «  Je n’ai fréquenté les salles de cinéma que tardivement, dans la mesure où j’ai été élevé dans un cadre familial et religieux strict qui n’approuvait pas que les enfants voient des films », raconte-t-il. « J’ai donc grandi en lisant des livres. Ce n’est qu’en devenant enseignant que j’ai pu me rattraper, grâce à un cinéma d’art et d’essai qui passait de nombreux grands classiques européens. J’ai ainsi découvert les films de Renoir, de Fellini, de Truffaut. Fasciné par ces œuvres magnifiques, j’ai finalement démissionné pour partir à New York travailler dans le cinéma. » (1) Là, notre homme accumule les petits boulots, de coursier à synchroniseur de rushes, jusqu’à sa rencontre avec le producteur Sean S. Cunningham, qui finance des petits films de fiction tournés en 16 mm avec des moyens techniques de documentaires. « Les exploitants réclamant à Sean un film d’horreur, il a fini par me proposer d’en écrire le script », continue Craven. « S’il était convaincant, j’aurais la possibilité de le réaliser et de le monter moi-même. Le problème, c’est que je n’y connaissais rien. Pour moi, les films d’horreur se résumaient à des squelettes cachés dans des placards ! » (2)

Pourtant, ce cinéphile invétéré se prête habilement au jeu et livre l’un des films d’horreur les plus influents des années 70. Le script, d’une grande simplicité, raconte l’enlèvement, le viol, la torture et le meurtre de deux jeunes filles par quatre dangereux criminels en cavale. Étrangement, Craven emploie des ballades folks et pop joyeuses en guise de bande originale, créant un décalage intéressant avec le climat malsain du film et dédramatisant presque les séquences de suspense, notamment lorsque l’une des captives tente de s’échapper. On peut en revanche s’interroger sur la pertinence des deux éléments comiques du film, deux policiers patauds et partisans du moindre effort qui rivalisent de bêtise et d’inefficacité. Mais lorsque surviennent les meurtres, la crudité de la mise en scène (due à l’extrême pauvreté d’un budget estimé à 80 000 dollars) les dote d’un réalisme et d’une brutalité inattendus.

La vengeance engendre la violence

L’originalité du film consiste d’ailleurs à adopter à tour de rôle le point de vue des victimes et celui des assassins (avec en tête l’impressionnant David Hess, que Craven allait retrouver dans La Créature du marais)… jusqu’à ce que les rôles ne s’inversent. Car l’ironie du sort veut que les tueurs trouvent refuge dans la maison des parents d’une des victimes. Et lorsque ces derniers comprennent à qui ils ont affaire, la vengeance est largement à la hauteur du crime… Si le propos est fort, cette partie du récit manque singulièrement de cohérence. En effet, la vengeance en question est froide et méthodique, ce qui ne colle pas avec la douleur indescriptible de deux parents découvrant tout juste qu’ils abritent les assassins de leur fille. Le paroxysme final est tout de même assez dérangeant : tout se finit au couteau, à la tronçonneuse et même à coups de dents ! Succès commercial inattendu, La Dernière maison sur la gauche rapporta plus de 20 millions de dollars, soit plus de deux cents fois son budget, et propulsa la carrière de Wes Craven.

 

(1) et (2) Propos recueillis par votre serviteur en octobre 2005

© Gilles Penso

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DÉJÀ VU (2006)

Tony Scott combine avec beaucoup d'audace les codes du cinéma d'action avec le thème du voyage dans le temps

DEJA VU

2006 – USA

Réalisé par Tony Scott

Avec Denzel Washington,Paula Patton, Jim Caviezel, Val Kilmer, Adam Goldberg, Bruce Greenwood, Erika Alexander

THEMA VOYAGES DANS LE TEMPS

En découvrant le scénario de Déjà vu, œuvre de Bill Marsilli et Terry Rossio, Jerry Brukheimer pensa à son vieux complice Tony Scott, dont il produisit cinq blockbusters. Fort heureusement, le frère du grand Ridley a décidé de ne pas réitérer les expériences filmiques indigestes et maniérées de son opus précédent, Domino, pour proposer une mise en scène nerveuse et instinctive bien plus adaptée au sujet de Déjà vu. Situé en pleine Nouvelle-Orléans post-Katrina, le film s’ouvre sur l’explosion d’une bombe ravageant un ferry plein à craquer. Dépêché sur place, l’agent Doug Carlin fait le lien entre cet attentat et le meurtre de Claire Kuchever, une jeune femme dont la mort semble remonter à deux heures avant la déflagration. Pour l’aider dans ses investigations, le FBI lui donne accès à un dispositif top secret permettant d’ouvrir une « fenêtre sur le temps ». Le principe consiste à visionner sous tous les angles possibles les événements survenus quatre jours dans le passé. Bientôt, Carlin comprend qu’il n’a pas affaire à un simple dispositif de vidéo-surveilance mais à une véritable machine à remonter le temps. Dès lors, il décide de faire lui-même le grand saut pour enrayer l’attentat du ferry et sauver cette jeune femme dont il est en train de tomber amoureux…

Peut-on changer le destin ? Telle est la grande question soulevée par ce film aux rebondissements incessants, sollicitant sans cesse l’attention du spectateur pour s’assurer de sa pleine participation. Les indices énigmatiques collectés tout au long de la première partie du récit (un message sur un répondeur, du linge ensanglanté dans une poubelle, une maison détruite) ne trouvent ainsi leur sens qu’à l’occasion d’une seconde lecture, en un gratifiant jeu de va et vient entre les causes et les effets. Pour donner un maximum de crédit à ce scénario non exempt d’incohérences, Scott s’est entouré de comédiens en béton armé. Denzel Washington, à qui le cinéaste avait déjà offert des rôles magnifiques dans USS Alabama et Man on Fire, nous offre une prestation à fleur de peau emportant en quelques secondes l’adhésion du public. Paula Patton, la belle défunte à qui le destin va peut-être offrir une seconde chance, est une véritable révélation, dans le délicat registre de la fragilité, de la frayeur et de l’incrédulité.

Course contre le temps

Jim Caveziel, déjà familier avec les paradoxes temporels grâce à Fréquence interdite, se livre ici à un contre-emploi saisissant. Quant à Adam Goldberg, il incarne avec beaucoup de justesse un scientifique pris dans les remous d’une crise de conscience. Seul Val Kilmer, plus bouffi et fatigué que jamais, se contente de jouer les utilités, dans le rôle d’un agent du FBI insipide. L’action n’est pas en reste dans Déjà vu. En la matière, la séquence la plus étonnante est une poursuite de voiture à bord d’un Humvee futuriste qui se situe dans deux espaces temporels différents, le tout sur une autoroute en plein trafic. Les véhicules y voltigent et y explosent plus que de raison, en une chorégraphie pyrotechnique à couper le souffle. Mais derrière ses apparats de superproduction high-tech et survitaminée, Déjà vu est avant tout une histoire d’amour qui franchit allègrement les barrières de l’espace et du temps.

© Gilles Penso

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MORTUARY (2005)

Tobe Hooper nous raconte une étrange histoire de contamination qui semble trouver ses racines chez H.P. Lovecraft

MORTUARY

2005 – USA

Réalisé par Tobe Hooper

Avec Dan Byrd, Stephanie Patton, Denise Crosby, Alexandra Adi, Rocky Marquette, Courtney Peldon, Bug Hall, Tarah Peige

THEMA VEGETAUX I ZOMBIES I FREAKS

Auteurs du remake de Toolbox Murders, Jace Anderson et Adam Gierasch retrouvent Tobe Hooper pour une histoire à mi-chemin entre l’univers de H.P. Lovecraft, les films de zombies et L’Invasion des profanateurs de sépultures. Jamie et Jonathan Doyle (Stephanie Patton et Dan Byrd) emménagent dans la petite ville de Santa Llorana, et prennent possession d’une maison sinistre avec leur mère Leslie (Denise Crosby), qui vient d’accepter un travail d’entrepreneur de pompes funèbres. En nettoyant ses instruments, Leslie se coupe la main et quelques gouttes de sang coulent au sol en défiant les lois de la physique, se déployant comme une plante grimpante à la croissance accélérée. Ce n’est que le prélude d’une série d’événements insolites. Tandis que Jonathan voit des silhouettes courir furtivement dans le cimetière, Leslie découvre dans une ancienne crypte une épitaphe empruntée à « L’appel de Cthulhu » de Lovecraft : « Ce qui est trépassé ne reposera pas à tout jamais. En cette étrange éternité, même la mort peut s’arrêter. » Bientôt, deux adolescents portés disparus refont surface, agissant comme des morts-vivants et crachant des flots de sang. Puis ce sont les cadavres eux-mêmes qui se raniment, contaminés par une moisissure envahissante. Tous ces événements auraient-ils un rapport avec la légende de Ben Fowler, descendant difforme d’une famille de croque-morts censé vivre dans le cimetière ?

Dès les premières minutes du film, la partition de Joseph Conlan, lancinante et synthétique, évoque l’atmosphère des films de John Carpenter. Mortuary nous renvoie d’ailleurs directement au cinéma d’épouvante des années 80, souvent maladroit et peu subtil mais non exempt de charme. Et si le personnage de Ben Fowler, qui cache sa laideur dans une antre emplie de restes humains, semble cligner de l’œil vers Leatherface, Mortuary retrouve surtout le schéma de L’Invasion vient de Mars : les adultes qui représentent l’autorité sont contaminés, et les héros adolescents ne peuvent compter que sur eux-mêmes.

La bête dans le puits

Plusieurs seconds rôles pittoresques égaient le métrage, en particulier l’élu hilare et détestable (Greg Travis) qui félicite Leslie d’avoir choisi un endroit aussi stratégique pour installer sa petite entreprise (proche de l’autoroute la plus dangereuse de l’état et d’une maison de retraite !), le shérif bègue et incompétent (Michael Shamus Wiles) et la patronne du café, ex-hippie, qui affirme avec aplomb : « j’ai complètement perdu la mémoire entre les présidents Kennedy et Reagan, à cause du LSD et de la CIA ». Pour autant, Mortuary n’est pas une parodie, contrairement à ce que laissait penser la promotion française s’encombrant d’une accroche grassement référentielle : « Massacre l’été dernier au sous-sol dans la dernière maison du cimetière à gauche de la colline. » A vrai dire, le film de Hooper ne sait pas trop sur quel pied danser, alternant les ambiances sinistres, les clins d’œils humoristique, les effets gore et des images de synthèse bas de gamme visualisant le monstre dans le puits à l’origine de tout (une plante carnivore qui évoque le Sarlaac du Retour du Jedi). Mortuary eut donc du mal à trouver son public et passa quelque peu inaperçu.

© Gilles Penso

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LES REVOLTES DE L’AN 2000 (1976)

Sur une île isolée de la Méditerranée, une mutation a transformé tous les enfants en assassins impitoyables

LOS NIÑOS / QUIEN PUEDE MATAR A UN NIÑO ?

1976 – ESPAGNE

Réalisé par Narciso Ibanez Serrador

Avec Lewis Fiander, Prunella Ransome, Antonio Iranzo, Miguel Narros, Maria Luisa Arias, Marisa Porcel, Juan Cazalilla

THEMA ENFANTS

Les Révoltés de l’an 2000 : derrière ce titre français pataud, qui laisse imaginer un thriller de science-fiction post-apocalyptique, se cache une perle rare signée par un metteur en scène atypique. Narciso Ibanez Serrador est en effet spécialisé dans les productions pour le petit écran, mais chaque fois qu’il s’en échappe, c’est pour s’aventurer sur un terrain cinématographique peu balisé. Nous lui devons ainsi La Résidence, un « giallo » ibérique vénéneux précurseur des travaux de Dario Argento. Le titre original des Révoltés de l’an 2000 (Quien puede matar a un niño ?, littérallement « Qui peut tuer un enfant ? ») est autrement plus explicite. Il fut d’ailleurs traduit tel quel en Grande-Bretagne (Who Can Kill a Child ?), les Américains préférant les plus sobres Trapped (« Piégé ») ou Island of the Damned (« L’île des Damnés », référence évidente au Village des damnés de Wolf Rilla).

Inspirée du roman « El Juego de los Niños » de Juan José Plans, l’intrigue s’installe sur une petite île perdue de Méditerranée. Là, un couple de touristes britanniques, dont la femme est enceinte, découvre que les enfants semblent avoir subi une mutation psychologique violente. En effet, ils se mettent à tuer méthodiquement tous les adultes, comme s’il s’agissait pour eux d’un simple jeu. La structure du scénario et plusieurs séquences évoquent beaucoup Les Oiseaux : un prologue assez long présentant le couple vedette tout en disséminant de petits indices avant-coureurs, l’arrivée sur l’île, une succession d’attaques de plus en plus révélatrices, la vision soudain terrifiante d’une multitude d’enfants agglutinés au bout d’une rue (équivalent des centaines de corbeaux accumulés sur la cage à poule chez Hitchcock, mais souligné ici par un thème proche de celui des Dents de la mer), et l’attaque finale dans la maison transformée en refuge.

Un rythme faussement paisible

Mais Les Révoltés de l’an 2000 n’a rien d’un plagiat, et sa vision de l’enfance monstrueuse est très éloignée de celle du Village des damnés, avec lequel il semble pourtant présenter de nombreuses similitudes. L’efficacité du film repose sur son rythme faussement paisible, sur sa sobriété et sur son réalisme. Ce parti pris ne rend que plus fortes les scènes choc : les enfants jouant à colin-maillard avec une serpe et le corps d’un vieil homme pendu par les pieds, l’assaut oppressant du dernier refuge des héros, la jeune femme enceinte réalisant que son bébé est en train de la tuer de l’intérieur, ou la bataille finale sur la barque. Le film de Serrador bouscule quelques tabous (le héros n’hésite pas au bout d’un moment à tuer les agresseurs en culotte courte), le malaise étant amplifié par les mines angéliques des petits assassins. La seule véritable faute de goût du film est probablement son générique de début qui, sous prétexte d’expliquer au spectateur que les enfants sont les premières victimes de la folie des hommes, détourne des images documentaires où les enfants sont morts de faim, irradiés, battus… l’intention est claire et compréhensible, mais n’est-ce pas un abus de pouvoir que de se servir crûment de telles images pour servir un propos fictif et métaphorique ?

© Gilles Penso

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LA NURSE (1990)

Un film un peu oublié de William Friedkin qui mérite d'être redécouvert, ne serait-ce que pour la prestation surprenante de Jenny Seagrove

THE GUARDIAN

1990 – USA

Réalisé par William Friedkin

Avec Jenny Seagrove, Dwier Brown, Carey Lowell, Brad Hall, Miguel Ferrer, Natalia Nogulich, Pamela Brull, Gary Swanson

THEMA SORCELLERIE ET MAGIE I VEGETAUX

Quand on réalise en début de carrière des œuvres aussi définitives que French ConnectionL’Exorciste ou Le Convoi de la peur, la comparaison est généralement difficile face aux films ultérieurs. C’est le fameux complexe d’Orson Welles après Citizen KaneLa Nurse en est un bon exemple. Le sujet est original, la mise en scène habile et les comédiens convaincants. Mais de la part de William Friedkin, est-ce suffisant ? Le scénario adapte un roman de Dan Greenburg et prend pour héros Phil (Dwier Brown, second rôle dans Jusqu’au bout du rêve) et son épouse Kate (Carey Lowell, James Bond Girl de Permis de tuer), qui s’installent dans une belle maison californienne en lisière de forêt. Voilà le décor du film. Lorsque Kate donne naissance au petit Jake, le couple se met en quête d’une nourrice, par l’entremise de l’agence « Les Anges Gardiens ». Celle qu’ils sélectionnent, une étudiante férue de sport, meurt mystérieusement dans un accident de vélo. Ils optent alors pour leur second choix, la séduisante Camilla (Jenny Seagrove, future vedette de la comédie romantique Amour sous influence). Camilla s’installe chez eux, s’occupe du bébé à merveille, et la situation semble idéale.

Mais peu à peu, Phil se sent troublé par la présence de la belle nourrice, qui vient même le hanter jusque dans ses rêves érotiques. Un jour, alors qu’elle est seule dans la forêt avec Jake, trois voyous l’agressent. Un arbre immense et inquiétant, dans l’écorce duquel ou pourrait deviner une grimace monstrueuse, s’en prend alors à eux, décapitant, écrasant, dévorant et empalant les assaillants, avant que leurs corps ne soient dévorés par une horde de coyotes. Car Camilla n’est pas une fille comme les autres. Il s’agit d’un esprit de la forêt, doté de pouvoirs surnaturels et adorant un arbre druidique auquel elle sacrifie régulièrement des nouveaux-nés…

Une nounou d'enfer

Sans doute trop frontal, le scénario de La Nurse annonce la couleur dès sa première séquence et nous prive du même coup du doute délicieux qui sied si bien à de nombreux films d’épouvante depuis Rosemary’s Baby. Camilla est-elle une créature maléfique ou tout se passe-t-il dans la tête de parents paranoïaques ? Cette question, le public ne se la pose jamais, et l’intrigue suit dès lors un fil bien linéaire. D’autre part, plusieurs séquences sombreraient carrément dans le ridicule si Friedkin n’y apposait pas la patte du grand réalisateur qu’il n’a jamais cessé d’être. Ainsi parvient-il à nous effrayer avec des visions quasi-surréalistes, comme Phil poursuivi dans les bois par Camilla soudain délivrée des lois de la pesanteur, la nurse étendue nue sur l’arbre vivant qui la caresse du bout des branches sous l’œil d’une meute de coyotes ou ces visages pétrifiés de bébés qui semblent gravés dans l’écorce. La mise en scène transcende du coup un scénario basique et souvent incohérent, et nous gratifie même d’un climax assez mémorable où Phil attaque l’arbre monstrueux à la tronçonneuse, provoquant des geysers de sang à chaque entaille, tandis que Camilla tombe en morceaux en hurlant. « A l’époque, j’avais envisagé ce film comme une sorte de conte des frères Grimm transposé dans le monde moderne », explique Friedkin. « Mais pour être honnête, je ne pense pas qu’il s’agisse d’un film très important dans ma filmographie. La Nurse n’a pas eu beaucoup de succès et peu de gens s’en souviennent aujourd’hui. » Certes, le film est mineur et tout à fait facultatif, mais il se laisse apprécier sans déplaisir. D’autant que Jenny Seagrove a sans doute trouvé là le rôle le plus intéressant de toute sa carrière.

(1) Propos recueillis par votre serviteur en septembre 2017

© Gilles Penso 

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