WORLD WAR Z (2013)

Brad Pitt affronte des hordes de zombies dans un film ultra-spectaculaire à défaut d'être cohérent

WORLD WAR Z

2013 – USA

Réalisé par Marc Forster

Avec Brad Pitt, Mireille Enos, Daniella Kertesz, James Badge Dale, Ludi Boeken, Matthew Fox, Fana Mokoena, David Morse 

THEMA ZOMBIES

Quand on est le fils de Mel Brooks et d’Anne Bancroft, il n’est pas évident d’affirmer sa propre personnalité sans être à l’ombre de ses prestigieux géniteurs. A travers deux ouvrages atypiques détournant le motif de l’invasion de morts-vivants, Max Brooks s’est pourtant fait un prénom et a su rencontrer le succès. Après un faux manuel pratique, « Guide de Survie en Territoire Zombie » (2003), il imagine avec « World War Z » (2009) une guerre mondiale entre humains et zombies narrée par plusieurs témoins du drame. Sous la houlette du studio Paramount, Brad Pitt, Dede Gardner et Jeremy Kleiner, associés au sein de la compagnie de production Plan B, confient à Marc Forster l’adaptation de « World War Z », et décident d’abandonner la narration à la première personne pour une structure plus classique. Les premières scènes nous révèlent le quotidien de Gerry Lane (Brad Pitt), ancien enquêteur des Nations Unies désormais homme au foyer soucieux de prendre soin de son épouse et de ses deux filles. La petite famille se retrouve bientôt bloquée dans un embouteillage, en plein centre de Philadelphie. L’attente dure, quelques clameurs étranges retentissent, des motos se faufilent nerveusement entre les voitures… Et puis soudain, c’est le chaos : une explosion, un carambolage spectaculaire, prélude à l’horreur massive.

Lorsque la caméra s’élève pour nous révéler des milliers de zombies arpentant les rues embouteillées en quête de chair fraiche, au milieu des flammes et de la panique, le vertige nous prend. World War Z accumule ainsi les séquences dantesques. Point d’orgue de cette démesure : des milliers de zombies qui grimpent les uns sur les autres pour constituer une titanesque pyramide grouillante partant à l’assaut des plus hautes murailles, voire des hélicoptères en plein vol !  Ici, la nature des créatures semble hybride. Les esprits cartésiens se réfèrent à la propagation d’un virus, mais les causes surnaturelles ne sont pas écartées. A l’avenant, les monstres empruntent tour à tour les deux attitudes qu’on attribue respectivement aux morts-vivants et aux infectés. Lorsqu’ils sont « au repos », sans stimulation particulière, ils traînent la patte en gémissant mollement, comme chez George Romero. Mais si une victime potentielle titille leurs tympans, leur rythme s’accélère brusquement et ils s’avèrent capables de folles acrobaties.

Aux premières loges du chaos

On peut regretter que World War Z, évacue toute séquence gore au profit d’une action soutenue, sans doute pour toucher un large public. Mais le défaut principal du film réside dans ses incohérences scénaristiques. En choisissant des centaines de points de vue différents, l’écrivain nous proposait d’appréhender la situation dans sa globalité. Mais les scénaristes ont opté pour un seul protagoniste. Du coup, c’est à lui que tout arrive, de manière parfois assez invraisemblable. Il est aux premières loges des débuts de l’infection, assiste en direct au renversement d’une cité jusqu’alors parfaitement protégée, survit par miracle à un crash aérien et trouve tout seul la solution pour éradiquer le fléau. Malgré le charisme de Brad Pitt, une telle accumulation de coïncidences est un peu difficile à avaler, et gâche un peu le plaisir d’un spectacle qui, par ailleurs, s’avère particulièrement généreux.

 

© Gilles Penso 

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MAN OF STEEL (2013)

Christopher Nolan producteur et Zack Snyder réalisateur s'associent pour réinventer les aventures de Superman

MAN OF STEEL

2013 – USA

Réalisé par Zack Snyder

Avec Henry Cavill, Amy Adams, Michael Shannon, Diane Lane, Russell Crowe, Kevin Costner, Antje Traue, Richard Schiff

THEMA SUPER-HEROS EXTRA-TERRESTRES I SAGA SUPERMAN I DC COMICS

Si les nostalgiques de l’époque Christopher Reeve avaient su trouver du charme au Superman Returns de Bryan Singer, inscrit dans la continuité des productions Salkind, le grand public avait un peu boudé cette suite/remake sans doute trop « old school » à leur goût. Le surhomme créé par Shuster et Spiegel méritait sans doute une relecture plus moderne et plus musclée. Le succès de la trilogie Dark Knight convainquit logiquement le studio Warner de confier les rênes d’un nouveau Superman à Christopher Nolan. Ce dernier, après avoir développé le scénario avec David S. Goyer, passa le relais au réalisateur Zack Snyder. Une telle conjonction de talents attisa bien vite les fantasmes de tous les fans de comics. Malheureusement, les personnalités fortes de Nolan et Snyder, au lieu de se compléter, se bousculent ici sans parvenir à doter le film de cohérence et d’unité.

A force de vouloir échapper à la structure narrative établie par Richard Donner, le scénario se prive d’un élément crucial : l’identification au personnage principal. Au lieu de nous décrire l’enfance de Clark Kent, la découverte de ses pouvoirs, les affres du déracinement conséquentes à la révélation de ses origines, et enfin sa prise de responsabilité en tant que défenseur de l’humanité, Man of Steel opte pour le flash-back non chronologique. Ce choix s’avère frustrant, et les brèves tranches de vie que Snyder brosse entre Clark et son père adoptif (Kevin Costner) figurent parmi les seules scènes émouvantes du film, laissant entrevoir la belle épopée tragique que Man of Steel aurait pu – aurait dû – être. Or sans empathie, sans affect, le dernier long-métrage de Zack Snyder perd une grande partie de son intérêt. D’autant que – travers habituel des scénarios de Nolan – le traitement du personnage féminin principal laisse particulièrement à désirer. Artificiellement intégrée dans les péripéties principales, Loïs Lane promène avec nonchalance sa silhouette sans jamais justifier sa terne présence. Pire : les dialogues s’encombrent parfois d’explications laborieuses pour justifier son intervention en des lieux où elle n’a logiquement rien à faire (la banquise, l’avion, le vaisseau de Zod).

Kal-El : un nouveau Jesus Christ ?

La gestion des séquences d’action s’avère tout autant problématique. Soucieux d’en mettre plein la vue aux spectateurs – et accessoirement de battre sur leur propre terrain les productions Marvel – Snyder joue la carte de la surenchère jusqu’à l’overdose. Au cœur de l’affrontement musclé entre Superman et le grimaçant Zod, les immeubles de Metropolis s’effondrent par centaines, les déflagrations s’enchaînent sans discontinuer, des milliers de véhicules voltigent dans les airs, les destructions n’en finissent plus, le tout aux accents d’une partition assourdissante d’Hans Zimmer qui finit par annihiler nos sens. En musique comme au cinéma, une explosion a d’autant plus d’impact qu’elle est précédée et suivie par une accalmie. Or ici le silence n’a pas sa place, et l’absence de dynamique rend rapidement indigeste cette exubérance pyrotechnique (exubérance que le long prologue kryptonien, aux designs rétro-futuristes façon La Menace Fantôme et aux prises de vues accidentées à la manière d’Avatar, laissait d’emblée entrevoir). Dommage, car les effets visuels s’avèrent souvent étourdissant, notamment lorsqu’il s’agit de décrire les envolées supersoniques de l’homme d’acier et les combats menés par des belligérants tellement rapides que la nature de leurs actions échappe aux perceptions des humains. Mais la finesse n’est pas de mise, et le parallélisme établi entre Kal-El et Jésus Christ – un comble pour ce héros inspiré à l’origine par Moïse ! – n’arrange rien.

 

© Gilles Penso

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LES MONSTRES SONT TOUJOURS VIVANTS (1978)

Le bébé monstre de Larry Cohen ayant connu un certain succès, le cinéaste décide d'agrandir la famille…

IT LIVES AGAIN

1978 – USA

Réalisé par Larry Cohen

Avec Frederic ForrestKathleen LloydJohn P. RyanJohn MarleyAndrew Duggan, Eddie Constantine, James Dixon, Melissa Inger 

THEMA ENFANTS I SAGA LE MONSTRE EST VIVANT

Le succès du Monstre est vivant poussa tout naturellement Larry Cohen à en signer une séquelle, mais pour cet inventif cinéaste, il n’était pas question de se laisser aller à la redite. L’effet de surprise étant passé, l’épouvante cède ici le pas au drame humain. Du coup, si Les Monstres Sont Toujours Vivants ne fait jamais vraiment peur, il développe et enrichit avec beaucoup d’intérêt les thématiques mises en place dans l’épisode précédent. Au moment du prologue, servi par le jeu très convaincant des comédiens, Frank Davis (John Ryan), héros du premier film, met en garde un jeune couple qui attend un enfant, Eugene et Jody Scott (Frederic Forrest et Kathleen Lloyd). Selon lui, ils s’apprêtent à donner naissance à un bébé mutant comme celui qu’il engendra lui-même avec son épouse. Tour à tour incrédules, révoltés, horrifiés et désorientés, les futurs parents ne savent comment accueillir un tel avertissement. Or les dires de Davis s’avèrent fondés. Ce dernier s’est rallié à la cause d’un groupe de scientifiques persuadés qu’il faut sauvegarder ces bébés d’un nouveau genre, qui pourraient bien représenter le prochain stade de l’évolution humaine. Mais le docteur Mallory (John Marley), pour sa part, a des théories plus expéditives. Pour lui, tous ces monstres doivent être exterminés au plus vite. Alors que le couple Scott, guidé par Davis, tente d’échapper aux sbires de Mallory, la jeune femme s’apprête à accoucher de son monstrueux rejeton…

Si le maquilleur Rick Baker a sensiblement amélioré ses techniques de création des bébés carnassiers, respectant les indications de Larry Cohen qui les imagine comme un croisement entre un loup et le fœtus de 2001 l’Odyssée de l’Espace, ces derniers demeurent toujours discrets à l’image. Leur efficacité en est accrue, d’autant qu’ici ils sont au nombre de trois, deux mâles et une femelle. Plus profond qu’il n’en a l’air, le scénario des Monstres sont Toujours Vivants pose en substance la question de l’anormalité et de la tolérance. La violence des adultes engendre celle des bébés mutants, et l’amour semble bien être l’unique solution. Evidemment, le couple du film finit par se déchirer face à l’annonce d’une naissance monstrueuse, d’autant que la belle-mère n’hésite pas à mettre son grain de sel : « il n’y a jamais eu de problème dans notre famille, ça doit venir de lui ! »

Le choc des générations

La discorde qui divise la fille et sa mère trouve bientôt écho dans le conflit opposant la jeune maman et son bébé difforme. Le choc des générations est donc également au cœur du récit. Pour étayer son propos, Larry Cohen accumule les images insolites, comme la salle d’accouchement envahie par des policiers, l’obstétricien dissimulant parmi ses instruments un pistolet chargé, ou encore le panneau « Drive Carefuly – Children at play » accroché à l’entrée du laboratoire où les médecins s’efforcent de maintenir en vie les bébés mutants. Bernard Herrmann ayant passé l’arme à gauche, c’est le compositeur Laurie Johnson, qui se charge ici de reprendre et de compléter la partition qu’il avait écrite pour Le Monstre est vivant. En 1987, Cohen réalisera une nouvelle séquelle, La Vengeance des Monstres.

© Gilles Penso

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DESTINATION LUNE (1950)

Produite par George Pal et tirée d'un récit de Robert Heinlein, cette aventure spatiale joue la carte de l'hyper-réalisme

DESTINATION MOON

1950 – USA

Réalisé par Irving Pichel

Avec John Archer, Warner Anderson, Tom Powers, Dick Wesson, Erin O’Brien-Moore, Everett Glass, Ted Warde   

THEMA SPACE OPERA

L’influence de l’auteur de science-fiction Robert Heinlein sur l’imaginaire collectif est considérable, au point que de nombreuses membres la NASA avouent avoir opté pour une filière scientifique après avoir lu les romans pour adolescents qu’il écrivit entre 1947 et 1958. C’est justement l’un de ces récits d’aventure spatiale qui servit d’inspiration à Destination Lune, et dont Heinlein lui-même signa l’adaptation avec Alford Van Ronkel et James O’Hanlon. Réalisé par Irving Pichel (qui s’était distingué en co-réalisant  Les Chasses du Comte Zaroff) et produit par George Pal (futur spécialiste de la SF à grand spectacle), Destination Lune se distingue par son approche ultra-réaliste, la plupart des spécialistes le considérant comme le premier long-métrage de « hard science ». Sous les conseils techniques de l’aéronaute allemand Hermann Oberth, le film annonce avec presque vingt ans d’avance le premier voyage habité vers notre satellite. Les scènes d’apesanteur, les combinaisons des astronautes et même le drapeau américain planté sur le sol rocailleux s’avèrent étonnamment prophétiques.

Nous sommes au début des années cinquante, et la première fusée américaine est lancée après quatre ans de recherches et de travail acharné. Mais l’opération est un fiasco et l’engin se crashe dès son décollage. Le gouvernement US refuse d’en rester là. En pleine tension Est-Ouest, la conquête spatiale est un enjeu politique trop important. Le général Thayer demande donc au professeur Cargraves de superviser la construction d’une nouvelle fusée à propulsion nucléaire en partance pour la Lune. Pour financer un tel chantier, de grands industriels du secteur privé sont sollicités. L’opinion publique salue l’élan patriotique, mais s’affole des risques potentiels de contamination radioactive. La mise en pratique du projet n’est donc pas une partie de plaisir, mais c’est lorsque les quatre astronautes s’élancent enfin vers la Lune que les vrais dangers commencent… 

« This is the end of the beginning »

Destination Lune aurait pu n’être qu’une espèce de docu-fiction un peu rébarbative et glaciale, mais le scénario sait éviter cet écueil, alignant les séquences de suspense haletantes (le sauvetage à flanc d’astronef, les ultimes rebondissements à la surface de la Lune) et sollicitant même Woody Woodpeker le temps d’un dessin animé ludique racontant aux financiers de l’expédition – et surtout aux spectateurs – le fonctionnement de la fusée (une idée que Steven Spielberg recyclera pour expliquer le principe du clonage dans Jurassic Park). Le film est servi par des effets spéciaux remarquables supervisés par Lee Zavitz, maître d’œuvre des trucages d’Autant en Emporte le Vent. Maquettes, pyrotechnie, peintures, animation, tous les moyens sont bons pour porter à l’écran cette épique odyssée lunaire. Zavitz remportera l’Oscar des effets spéciaux, Hergé s’inspirera largement du film pour concevoir le diptyque « Objectif Lune » et « On a Marché sur la Lune », et Stanley Kubrick lui-même s’appuiera sur la voie ouverte par George Pal et Irving Pichel pour concrétiser 2001 l’Odyssée de l’Espace. C’est dire l’importance de ce space opera hyperréaliste qui s’achève sur les mots suivants : « This is the End of the Beginning ».

 

© Gilles Penso

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LA BEAUTÉ DU DIABLE (1949)

Gérard Philipe et Michel Simon jouent à tour de rôle Faust et le Diable dans ce conte fantastique dirigé de main de maître par René Clair

LA BEAUTÉ DU DIABLE

1949 – FRANCE / ITALIE

Réalisé par René Clair

Avec Michel Simon, Gérard Philipe, Nicole Besnard, Simone Valère, Gaston Modot, Paolo Stoppa, Raymond Cordy

THEMA DIABLE ET DEMONS

« Une tragi-comédie écrite par René Clair et Armand Salacrou et réalisée par René Clair d’après la légende de Faust, l’homme qui vendit son âme au diable. » C’est en ces termes que le projet de La Beauté du Diable, imaginé par le réalisateur de C’est arrivé demain à la fin des années 40, s’annonce au cours du générique qui ouvre le film. Nous sommes en Italie, au milieu du 19ème siècle. Le vieux professeur Henri Faust (Michel Simon), est célébré pour les cinquante années de bons et loyaux services qu’il a dédiés à la science. Certes, il n’a jamais vraiment percé les secrets de la nature, ni assouvi son vieux rêve d’alchimiste qui consistait à changer le sable en or. Mais ses travaux sont salués dans toute la ville, et des centaines d’étudiants assistent à son jubilé. L’un d’entre eux, un peu en retrait, regarde le savant d’un œil cynique. Et pour cause : il s’agit de Méphistophélès (Gérard Philipe), venu lui offrir une seconde jeunesse. Faust n’est pas dupe, et sait bien qu’un mauvais tour se cache derrière cette proposition alléchante. Mais l’envoyé de Lucifer ne lui propose aucun contrat, simplement un échantillon de ce que serait sa vie s’il la recommençait dans la vigueur et l’insouciance. Bien sûr, le vénérable scientifique se laisse tenter, et l’une des meilleures idées du film crève alors l’écran : comme si Clair nous offrait une relecture surprenante de « L’étrange cas du docteur Jekyll et de Mister Hyde », les rôles s’inversent. Ce bon vieux Michel Simon endosse dès lors la défroque du démon sournois, tandis que le juvénile Gérard Philipe devient un Faust revenu au printemps de son existence.

Dans les spacieux plateaux de Cinecitta, le cinéaste et son chef décorateur Léon Barsacq (Les Enfants du Paradis) édifient bon nombre de décors volontairement déconnectés d’une réalité trop brute, comme le palais princier de la ville, le laboratoire où Faust et Méphisto fabriquent de l’or ou encore l’immense atelier dans lequel ils imaginent des inventions visionnaires. Volontairement, Clair se positionne un peu à contrecourant du style visuel des années 40, son œuvre ayant plutôt le parfum de celles d’avant-guerre et empruntant plusieurs de ses effets au théâtre. Gérard Philipe lui-même, avec sa voix fluette et son jeu outré, semble échappé des planches et rattrape par son magnétisme angélique une prestation sans doute trop maniérée. Quant à Michel Simon, il n’évite pas le cabotinage et ricane plus que de raison, mais comment résister à un tel abatage ?

Quand le théâtre et le cinéma fusionnent

Finalement, c’est lorsque la machinerie théâtrale et le langage cinématographique fusionnent que La Beauté du Diable fascine le plus. Quand le décor du palais s’efface derrière Méphisto pour se muer en canal désaffecté, ou quand un grand miroir révèle à Faust les événements qui se produiront dans le futur, une magie indéniable irradie le métrage. Et lorsque les fumigènes s’élèvent dans les cieux noircissant pour évoquer la présence du Malin, c’est l’âme de Georges Méliès qui emplit l’écran. La Beauté du Diable est donc une œuvre atemporelle à cheval entre plusieurs courants stylistiques, à l’image de son duo d’acteurs incarnant à merveille le choc de deux générations et de deux époques qui d’ordinaire se tournent le dos.

© Gilles Penso 

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DEUX NIGAUDS CONTRE FRANKENSTEIN (1948)

En fin de course chez Universal, le monstre de Frankenstein devient l'objet central d'une parodie menée par Bud Abbott et Lou Costello

ABBOTT AND COSTELLO MEET FRANKENSTEIN

1948 – USA

Réalisé par Charles T. Barton

Avec Bud Abbot, Lou Costello, Glenn Strange, Lon Chaney Jr, Bela Lugosi, Lenore Aubert, Joan Randolph, Vincent Price

THEMA FRANKENSTEIN I DRACULA I LOUPS-GAROUS I HOMMES INVISIBLES  I SAGA UNIVERSAL MONSTERS

Étant donnée la tournure que prenait la série des Frankenstein d’Universal au milieu des années 40, sous l’impulsion du cinéaste Erle C. Kenton, la progression logique du mythe était la parodie. D’où la mise en chantier de Deux Nigauds contre Frankenstein. Les nigauds en question, Bud Abbott et Lou Costello, étaient des sortes de Laurel et Hardy très populaires dans les années 40 et 50. La décision de mixer le duo comique avec les grands monstres classiques ne fut sans doute pas facile à prendre, et le résultat aurait pu n’être qu’un navrant patchwork, témoignage embarrassant de la perte d’inspiration des producteurs et des scénaristes du studio. Mais ce crossover improbable s’avère étrangement cohérent, marquant le début d’une nouvelle série au cours de laquelle Abbott et Costello rencontreront notamment l’homme invisible, Docteur Jekyll et Mister Hyde et la Momie.

Dans ce premier épisode, nos deux nigauds incarnent Wilbur Gray et Chick Young, des livreurs maladroits chargés de transporter deux boîtes imposantes dans un musée de cire. Bientôt, ils réalisent qu’il s’agit en réalité des cercueils de Dracula (Bela Lugosi en personne, reprenant le rôle qu’il avait créé 17 ans plus tôt !) et du monstre de Frankenstein (Glenn Strange, pour la troisième fois consécutive). Allié à une scientifique démente (Lenore Aubert), le baron vampire veut utiliser le cerveau de Wilbur pour redonner vie au monstre. Le loup-garou Larry Talbot (l’indéboulonnable Lon Chaney Jr) et Chick vont tenter de l’en empêcher, et les péripéties saugrenues de s’enchaîner dès lors à tour de bras. Lors du final, notre duo s’échappe sur une barque au beau milieu de l’océan et rencontre l’homme invisible en personne, à qui Vincent Price prête sa superbe voix, comme il le fit huit ans plus tôt dans Le Retour de l’Homme Invisible.

Les adieux de Frankenstein, Dracula et le Loup-Garou

Jack Pierce ayant quitté le studio, c’est Bud Westmore et Jack Kevan, futurs créateurs de L’Etrange Créature du Lac Noir, qui reproduisent avec talent tous les maquillages monstrueux. Quant aux séquences d’animation montrant Dracula se muant en chauve-souris, elles sont l’œuvre de Walter Lantz, créateur du célèbre Woddy Woodpecker. La parodie est d’autant plus réussie que les scènes d’épouvante sont traitées aussi soigneusement que dans les œuvres précédentes du studio. Deux Nigauds contre Frankenstein sonne le glas définitif de la série, le Monstre de Frankenstein, Dracula et le Loup-Garou faisant là leurs adieux aux studios Universal… Jusqu’à ce que Stephen Sommer ne les ressuscite cinquante-six ans plus tard dans Van Helsing. Même s’il n’apparaît pas dans le film, Boris Karloff accepta de se prêter à quelques photographies publicitaires au moment de la sortie du film. De fait, Deux Nigauds contre Frankenstein remporta un très grand succès, preuve que les grands monstres Universal faisaient toujours recette, même sous le jour de la farce potache.
 

© Gilles Penso

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L’AVENTURE DE MADAME MUIR (1947)

Une jeune veuve s'installe dans une maison au bord de mer sans se douter qu'elle s'apprête à vivre une romance… d'outre-tombe

THE GHOST AND MRS MUIR

1947 – USA

Réalisé par Joseph L. Mankiewicz

Avec Gene Tierney, Rex Harrison, George Sanders, Edna Best, Natalie Wood, Vanessa Brown, Anna Lee, Robert Coote

THEMA FANTÔMES

L’Aventure de Madame Muir marque une date importante dans l’histoire des films de fantômes dans la mesure où il s’instaure comme l’ancêtre de toutes les comédies romantiques qui lient humains et ectoplasmes, de Truly Madly Deeply à Et si c’était vrai en passant par Pandora et Histoires de fantômes chinois. Cinquième long-métrage d’un cinéaste qui allait également marquer les mémoires avec Cléopâtre et Le LimierL’Aventure de Madame Muir s’inspire d’un roman de R.A. Dick. Nous sommes au début du siècle, et une jeune veuve, Lucy Muir, décide de fuir sa belle-mère et sa belle-sœur envahissantes pour partir vivre dans une maison au bord de la mer avec sa fille Anna et sa gouvernante Martha (une confidente prude, curieuse et indiscrète, mais qui fait partie de la famille).

Magnifique, le visage angélique et le regard troublant, Gene Tierney emporte immédiatement l’adhésion du spectateur, et son personnage pivot permettra aux autres protagonistes du film, souvent hauts en couleur, de s’exprimer à travers elle. C’est le cas de Monsieur Coombes, un agent immobilier maniéré et savoureux qui déconseille vivement à la jolie veuve de s’installer dans cette demeure qu’on prétend hantée. En effet, l’ancien propriétaire des lieux, le capitaine Daniel Craigg, vient bientôt rendre visite à Lucy. Sa première apparition est un faux-semblant, puisque le visage lumineux du vieux briscard, qui semble flotter dans la pénombre du salon, appartient en fait à un grand tableau grandeur nature. Les apparitions du fantôme sont volontairement traitées sans effets spéciaux, la lumière et les cadrages induisant le caractère surnaturel tout en subtilité.

Un triangle amoureux surnaturel

Assez étrangement, Madame Muir ne s’inquiète pas outre mesure de voir un spectre hanter sa demeure, pas plus qu’elle ne s’en étonne. Car ici, le fantastique n’entre pas en rupture violente avec le réel. Il fait partie de la vie et on l’accepte. « Je suis réel parce que vous y croyez », déclarera Craigg à la jolie veuve. « Et je le serai tant que vous continuerez à y croire. » Peu à peu, une romance platonique va s’instaurer entre la femme et le défunt marin. Bientôt à cours d’argent, Lucy refuse malgré tout de se réinstaller chez son antipathique belle-famille. Craigg lui propose alors une solution : lui dicter un roman d’aventure autobiographique et le faire publier. Elle trouve en effet un éditeur enthousiaste, l’excentrique Sproule, ainsi qu’un séduisant écrivain, Miles Fairley, qui n’est pas insensible à ses charmes. Un triangle amoureux surnaturel s’installe alors, nous offrant d’excellentes joutes verbales entre Craigg et Lucy. « Vous n’êtes qu’un esprit » lui lance-t-elle. « Et lui n’est qu’un corps ! » rétorque-t-il. L’Aventure de Madame Muir est donc un vrai délice, dont l’écriture et la mise en forme témoignent d’une minutie et d’un perfectionnisme hors pair. La bande originale de Bernard Herrmann, moins tourmentée qu’à l’accoutumée, se met au diapason du film, privilégiant la comédie et la romance au fantastique. Quant au dénouement, il s’avère mélancolique, véhiculant des émotions à mi-chemin entre la joie et la tristesse, et ouvre une porte (au sens propre comme au sens figuré) vers un au-delà plein de mystère et de promesses. 

© Gilles Penso

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LA GRIFFE DE FRANKENSTEIN (1973)

Si Mary Shelley n'a rien à voir avec ce film d'horreur au titre français mensonger, un médecin y pratique tout de même des expériences peu avouables

HORROR HOSPITAL

1973 – USA

Réalisé par Anthony Balch

Avec Michael Gough, Vanessa Shaw, Robin Askwith, Dennis Price, Ship Martin, Martin Grace, Ellen Pollock 

THEMA MEDECINE EN FOLIE

Cinéaste expérimental, collectionneur et distributeur de films d’exploitation, admirateur sans borne de Bela Lugosi et collaborateur occasionnel de l’écrivain William S. Burroughs, Anthony Balch était un homme immergé jusqu’au cou dans l’underground britannique des années 60. A la fin de la décennie, il s’associa au producteur Robert Gordon pour réaliser le film Secrets of Sex, au titre pour le moins explicite, et dont le succès en salles fut relativement important. Heureux de leur forfait, les deux hommes décidèrent d’unir une fois de plus leurs forces pour un film d’horreur baptisé Horror Hospital. Sur la base de ce titre prometteur, Balch et l’auteur Alan Watson rédigèrent un scénario à rebondissements oscillant entre la comédie et l’épouvante (une séance d’écriture à quatre mains à laquelle ils s’adonnèrent pendant leur séjour au Festival de Cannes). Nous étions alors en 1973, une époque marquée par la fin d’un règne. Fers de lance de l’horreur anglaise à l’ancienne, les studios Hammer et Amicus étaient sur la pente descendante, laissant la place vacante pour une nouvelle vague.

C’est dans cette brèche que s’engouffre Horror Hospital, surfant avec pas mal de légèreté sur le thème classique du savant fou. Michael Gough, devenu star du genre grâce à ses prestations hallucinées dans Crimes au musée des horreurs, Konga ou Les Fauves meurtiers, s’adonne ici à l’exubérance la plus réjouissante et laisse reposer une bonne partie du film sur ses épaules. Il excelle sous la défroque du maléfique docteur Storm, un rôle écrit sur mesure pour lui. Cloué sur un fauteuil roulant, flanqué d’une infirmière en chef ex-tenancière de maison close, d’un nain facétieux et de plusieurs gardes casqués tout de cuir vêtu, il accueille les jeunes gens en quête de paix et de sérénité à Brittlehurst, son manoir situé en pleine campagne. En réalité, Storm se sert de ces jeunes cobayes pour expérimenter d’étranges opérations chirurgicales du cerveau. Sous son scalpel, les patients se muent ainsi en zombies parfaitement obéissants. « C’est tout simple », explique le docteur en pleine exaltation. « Nous pratiquons une incision, un tunnel dans l’esprit. J’y attrape une petite pensée avec mes mains de magicien, ou j’en mets une pour qu’elle me serve. »

Décapitations en série

Venu passer le week-end à Brittlehurst pour décompresser après une dispute avec son groupe de rock, Jason (Robin Askwith, coiffé comme Mick Jagger) rencontre dans le train la charmante Judy (Vanessa Shaw) qui cherche à renouer le contact avec sa tante. Or la tante en question est justement le bras droit de Storm. Nos deux futurs tourtereaux se jettent ainsi sans le savoir dans la gueule du loup… Fort de ce postulat grand-guignolesque, le film se permet quelques séquences horrifiques assez gratinées, notamment un généreux enchaînement de décapitations à l’aide d’une faux rétractable installée sur le flanc d’une limousine, une poignée d’opérations du cerveau peu ragoûtantes, ou le surgissement final d’une créature difforme et boursouflée. Très motivés par ces excès en tous genres, les distributeurs français n’hésitèrent pas à rebaptiser le film La Griffe de Frankenstein et même à convoquer un monstre karloffien hors-sujet sur certaines des affiches.

 

© Gilles Penso

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LA BELLE ET LA BÊTE (1946)

Jean Cocteau s'empare du conte de Madame Leprince de Beaumont pour en tirer la plus belle des adaptations, à jamais inégalée

LA BELLE ET LA BÊTE

1946 – FRANCE

Réalisé par Jean Cocteau

Avec Jean Marais, Josette Day, Marcel André, Mila Parély, Nane Germon, Michel Auclair, Raoul Marco, Jean Cocteau

THEMA CONTES 

Le mythe de la Belle et la Bête est ancestral et fondateur, et ses origines semblent remonter à la nuit des temps. C’est en 1757, sous la plume de Jeanne-Marie Leprince de Beaumont, que le conte se formule dans le recueil « Le Magasin des Enfants » et acquiert la popularité que nous lui connaissons. L’idée d’en tirer un long-métrage est attribuée au comédien Jean Marais, qui n’eut guère de difficultés à convaincre son complice Jean Cocteau. Le poète trouva là l’occasion de repasser derrière la caméra quinze ans après Le Sang d’un poète. Le récit reste fidèle au texte initial. Belle (Josette Day) vit avec son père (Marcel André), un négociant qui est sur le point d’être ruiné, avec ses deux sœurs Adélaïde (Nane Germon) et Félicie (Mila Parély), et avec son frère Ludovic (Michel Auclair). Adélaïde et Félicie ne pensent qu’à leur toilette et Ludovic qu’à courir la campagne. Un jour, alors que le père revient d’un voyage d’affaires, un monstre se présente devant lui et le condamne à mort pour crime de viol de territoire. Mais la vie du père peut être épargnée en échange du sacrifice d’une des filles. Belle accepte alors de se jeter dans la gueule du loup… Le motif central du conte, qui relativise les notions de beauté et de laideur, est ici transcendé par un choix artistique audacieux : confier à Jean Marais le rôle de la créature, et demander au maquilleur Hagop Arakelian de concevoir un faciès félin en parfait équilibre entre la bestialité hideuse et la majesté altière.

Griffu, velu, le croc acéré et la truffe grimaçante, la Bête dégage malgré tout une humanité diffuse, une mélancolie enfouie et une beauté intérieure palpable. Le génie d’Arakelian aura été de laisser s’exprimer le regard de l’acteur sous les prothèses, et son maquillage demeure à ce jour un chef d’œuvre inégalé. Un tel résultat valait bien les cinq heures de grimage quotidien subies par Marais. Pour pousser le paradoxe encore plus loin, le comédien endosse deux autres rôles : celui du prince que redevient la Bête lorsque sa malédiction est enfin brisée, et celui d’Avenant, un prétendant hâbleur qui représente l’exact opposé de la Bête, autrement dit une laideur intérieure que camouflent des traits gracieux. « Je vous aime mieux, avec votre figure, que ceux qui, avec la figure d’un homme, cachent un cœur faux, corrompu, ingrat », disait la Belle à la Bête dans le conte. C’est en images que Jean Cocteau traduit cette dualité.

« Rêver le plus beau des rêves… »

A l’avenant de ce jeu des contrastes, la direction artistique oscille sans cesse entre le naturalisme (le jeu « moderne » de ses acteurs et les décors naturels captés dans l’Oise et la Loire) et la fantaisie pure (les magnifiques lumières contrastées d’Henri Alekan qui s’inspirent des gravures de Gustave Doré, les trucages artisanaux et surréalistes qui ponctuent le métrage). Pour l’aider à donner corps à ses visions, Cocteau s’appuie sur le savoir-faire technique d’un véritable génie qui sera co-réalisateur officieux du film : le surdoué René Clément, tout juste sorti de son premier long-métrage, La Bataille du rail« J’estime que notre travail nous oblige à dormir debout, à rêver le plus beau des rêves », disait Jean Cocteau dans le journal du tournage qu’il tint en août 1945. « Il nous permet de manier à notre guise ce temps humain si pénible à vivre minute par minute et dans l’ordre. Ce temps rompu, bouleversé, interverti, est une véritable victoire sur l’inévitable. » Quand fusionnent le poète et le cinéaste, la magie irradie souvent l’écran. La Belle et la Bête en est l’un des plus beaux exemples.

 

© Gilles Penso

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LE PORTRAIT DE DORIAN GRAY (1945)

Une fable fantastique, philosophique, cruelle et désenchantée adaptée du classique d'Oscar Wilde

THE PICTURE OF DORIAN GRAY

1945 – USA

Réalisé par Albert Lewin

Avec Hurd Hatfield, George Sanders, Donna Reed, Peter Lawford, Angela Lansbury, Lowell Gilmore, Alan Campbell 

THEMA DOUBLES I DIABLE ET DEMONS 

Poète, dramaturge, journaliste et essayiste, Oscar Wilde n’écrivit qu’un seul roman au fil de sa vie mouvementée : « Le Portrait de Dorian Gray », une fable fantastique, philosophique, cruelle et désenchantée qui fit grand bruit lors de sa publication en 1890. En toute logique, le cinéma s’en empara dès 1899 avec Le Portrait mystérieux de Georges Méliès. Six autres versions filmées suivront, jusqu’à celle-ci, bien souvent considérée comme la meilleure. En tête d’affiche, George Sanders incarne Lord Henry Wotton, un aristocrate cynique qui ne s’exprime que par aphorismes et constitue de toute évidence un alter ego fictif d’Oscar Wilde lui-même. Un jour qu’il rend visite à son ami peintre Basil Hallward (Lowell Gilmore), notre dandy oisif découvre le jeune homme qui lui sert de modèle, un certain Dorian Gray (Hurd Hatfield) aux traits gracieux et au caractère sensible. Mais Lord Henry reste persuadé que la beauté et la bonté ne vont pas de pair. Lorsque la première flétrira avec l’âge, les regrets se manifesteront. Sa théorie consiste donc à profiter de la vie sans s’embarrasser de barrière morale. « Le seul moyen de se délivrer de la tentation, c’est d’y céder », clame-t-il, reprenant textuellement les termes d’Oscar Wilde. Ces mots résonnent dans l’esprit de Dorian Gray. Face au magnifique portrait que Basil vient de peindre, le jeune homme formule le souhait de rester éternellement jeune et de laisser le tableau vieillir à sa place, quitte à sacrifier son âme.

On le voit, le mythe de Faust n’est pas loin, tout comme l’influence du roman « L’étrange cas du docteur Jekyll et de Mister Hyde », publié quatre ans avant celui de Wilde. Car Dorian Gray se met bientôt à fréquenter les bas quartier, à mépriser son prochain pour mieux satisfaire ses besoins égoïste, et même à provoquer quelques trépas sans se départir de son insolente indifférence et de sa beauté glaciale. Le tableau, en revanche, s’enlaidit peu à peu, se ride et se couvre de sang… Dominé par la prestation impressionnante d’Hurd Hatfield, qui parvient sous son impassibilité apparente à communiquer au spectateur une foule de sentiments complexes et de conflits internes, Le Portrait de Dorian Gray pèche parfois par excès de fidélité au matériau littéraire. Car la voix off omniprésente, qui reprend souvent à la virgule près les mots de Wilde, accompagne chaque action jusqu’à la paraphrase. Sans doute eut-il été préférable de laisser le langage cinématographique l’emporter sur le verbe.

La couleur du Mal

D’autant que sous son classicisme apparent, la mise en scène de Lewin regorge d’inventivité. Cette statue de chat égyptien, qui entre souvent dans le champ à l’avant-plan pour imposer sa mystérieuse présence, symbolise à merveille les forces démoniaques ayant sellé le pacte de Dorian Gray. La scène du meurtre dans le grenier, où l’ombre de l’assassin se projette sur le tableau et où la victime bouscule les jouets d’enfance – métaphore d’une innocence perdue – est un morceau de choix. Quant à l’idée de tourner intégralement le film en noir et blanc, à l’exception d’une poignée d’inserts en Technicolor révélant le portrait dans toute son inquiétante beauté, elle relève du génie et résume parfaitement l’essence même du fantastique : l’interpénétration de deux niveaux de réalité qui, logiquement, ne devraient jamais cohabiter.

 

© Gilles Penso 

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