LÀ-HAUT (2009)

L’un des films les plus surprenants – mais aussi les plus émouvants - produits par Pixar est une aventure fantastique hors du commun…

UP

 

2009 – USA

 

Réalisé par Pete Docter et Bob Peterson

 

Avec les voix de Edward Asner, Christopher Plummer, Jordan Nagai, Bob Peterson, Delroy Lindo, Jerome Ranft, John Ratzenberger, Elie Docter, Jeremy Leary

 

THEMA EXOTISME FANTASTIQUE I SAGA PIXAR

Spécialiste des concepts originaux et des défis scénaristiques, Pete Docter, à qui nous devons Monstres & Cie, se lance avec Là-haut dans une aventure tout aussi surprenante. La première image qui lui vient à l’esprit est celle d’une maison volante. C’est à partir de cette vision que l’histoire se dessine peu à peu. Là-haut commence par un film d’actualités des années 30 vantant les exploits de l’aventurier Charles Muntz, adulé par l’opinion publique lorsqu’il découvre les Chutes du Paradis, une terre perdue à l’autre bout du monde qui ressemble comme deux gouttes d’eau au plateau préhistorique du Monde perdu réalisé en 1925 par Harry O’Hoyt. Mais Muntz tombe dans le discrédit lorsque la communauté scientifique se rend compte que le squelette d’oiseau antédiluvien qu’il a ramené de son expédition est un faux. Qu’importe : les aventures de Muntz fascinent le tout jeune Carl Fredericksen, qui rêve de devenir lui aussi un aventurier lorsqu’il sera grand, bravant sa timidité maladive. Lorsqu’il se rend compte que la volubile Ellie (un moulin à parole hilarant, avec une bouche édentée et une tignasse folle) partage exactement les mêmes passions que lui, c’est le coup de foudre. La séquence qui suit cette rencontre est entrée dans les mémoires. Sans dialogue, soutenue par une magnifique musique de Michael Giacchino, elle raconte en dix minutes la vie commune de Charles et Ellie, jalonnée de joies et de peines, et s’achevant d’une manière tellement triste qu’elle prend tout le monde par surprise.

Après cette entrée en matière poignante, le spectateur est déboussolé, presque abasourdi par ce trop-plein d’émotion. Le retour au « temps réel » joue sur l’effet de rupture en se gorgeant d’humour, lequel repose notamment sur le caractère exagérément acariâtre de Carl, devenu désormais un vieil homme aigri. Mais c’est un humour un peu désespéré, parce qu’il tourne principalement autour de la vieillesse de son personnage principal (comme en témoigne la scène interminable où il descend un escalier sur un siège électrique, aux accents d’une reprise d’un extrait du « Carmen » de Bizet), et parce que nous conservons encore fraîchement en mémoire le triste destin de sa compagne Ellie. L’intrigue bascule définitivement lorsque Carl, menacé de finir ses jours dans une maison de retraite, attache des milliers de ballons à sa maison et la transforme en objet volant pour partir s’installer à l’autre bout du monde, aux Chutes du Paradis, comme il rêvait de le faire avec Ellie. Mais il découvre soudain que Russell, un petit boy scout qui s’est fixé comme mission d’aider une personne âgée, s’est embarqué avec lui…

Le paradis perdu

Suivant le modèle de Wall-E, le scénario de Là-haut marque une très forte rupture entre sa première et sa seconde partie. Si le premier quart d’heure s’inscrit dans un cadre réaliste et narre des péripéties résolument « terre à terre » (au propre comme au figuré), la suite du métrage bascule dans le fantastique pur, puisque nous y découvrons une terre préhistorique, un oiseau coureur géant d’une espèce inconnue, un vieil explorateur ayant découvert le secret de la jeunesse éternelle et des chiens équipés d’une technologie leur permettant de parler. Rien n’interdit d’ailleurs d’interpréter cette seconde partie comme le rêve que s’invente un vieil homme pour échapper à une réalité trop inacceptable. Cette théorie expliquerait pourquoi ce monde fantastique ressemble aux serials que Carl regardait dans sa jeunesse, et pourquoi des ballons gonflés à l’hélium sont capables de transporter sa maison, comme dans les dessins de son enfance. Mais ce serait une vision très pessimiste de ce récit féerique que Pete Docter a tendance à décrire comme une métaphore de la renaissance et du retour à la vie. Comme souvent, les deux lectures de cette histoire – au premier ou au second degré – sont possibles. Fruit de quatre ans de travail, Là-haut est le premier film Pixar qui ait été réalisé en 3D, la stéréoscopie intervenant surtout pour faire vivre aux spectateurs l’immersion des héros dans cette jungle fantastique, le vertige procuré par les Chutes du Paradis et le surréalisme du voyage au milieu des nuages. Présenté en ouverture du soixante-deuxième festival de Cannes, Là-haut est un triomphe. En plus de son succès, il remporte deux Oscars, celui du meilleur film d’animation et de la meilleure musique.

 

© Gilles Penso


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WALL-E (2008)

Le réalisateur de 1001 pattes et du Monde de Nemo met en scène une fable de science-fiction liant deux robots dans un monde futuriste dévasté…

WALL-E

 

2008 – USA

 

Réalisé par Andrew Stanton

 

Avec les voix de Ben Burtt, Elissa Knight, Jeff Garlin, Fred Willard, MacInTalk, John Ratzenberger, Kathy Najimy, Sigourney Weaver, Brian Cummings, Karleen Griffin

 

THEMA ROBOTS I FUTUR I SAGA PIXAR

L’idée de Wall-E remonte à 1994, époque où le projet s’appelait encore Trash Planet. Pete Docter et Andrew Stanton travaillaient sur ce film avant même que Toy Story ne sorte sur les écrans, et il aura fallu de nombreuses années pour qu’il puisse enfin se concrétiser. Même s’il s’adresse en priorité à un jeune public, Wall-E s’inscrit dans la vogue des grands films de science-fiction écologiques des années 70, dont l’un des fers de lance est le Silent Running de Douglas Trumbull, tout en intégrant la prise de conscience environnementale des années 2000. En s’appuyant sur l’observation sans concessions d’une humanité autocentrée et vouée à sa propre perte, le scénario de Stanton décrit un monde futuriste d’autant moins rassurant qu’il est tout à fait envisageable. Devenue un dépotoir géant jonché de montagnes de poubelles hautes comme des buildings, la Terre a été abandonnée par les humains qui sont partis fonder des colonies dans l’espace. Seuls sont restés sur place des robots de la série Wall-E qui ont pour mission de nettoyer la planète en attendant un éventuel retour des Terriens. Mais après 700 ans, un seul de ces robots est encore activé et continue inlassablement de collecter les déchets, au fil d’une tâche quotidienne, routinière et dérisoire. La vie de ce tas de ferraille monté sur chenilles est soudain bouleversée par l’apparition d’un magnifique robot femelle au design épuré et aérien, EVE.

Pour imaginer le look des deux robots principaux du film, le principe établi dès les premières phases de design est la rupture : Wall-E et EVE doivent être les plus dissemblables possibles, prélude à une sorte de relecture futuriste et cybernétique de la Belle et la Bête. Pour EVE, blanche, épurée et immaculée, on sollicite Jonathan Ive, vice-président senior des concepts industriels d’Apple. Wall-E, de son côté, est envisagé comme une sorte de mixage contre-nature entre R2-D2 et Buster Keaton. C’est en effet un clown triste qui sait se montrer particulièrement expressif malgré un jeu facial très limité. Alors qu’il avait évité le photoréalisme des fonds marins pour Le Monde de Nemo, Stanton change son fusil d’épaule avec Wall-E, dont la première partie se déroule dans un univers tellement crédible – du point de vue de l’imitation de la réalité physique – que nous n’avons pas l’impression d’avoir affaire à un film d’animation. Ce sentiment est renforcé par l’utilisation d’acteurs réels, une grande première chez Pixar. Le comédien Fred Willard apparaît ainsi sur un écran dans le rôle du président de la multinationale Buy-n-Large, pour expliquer le départ des humains vers l’espace. D’autres acteurs sont sollicités pour montrer les terriens du futur, heureux de quitter leur planète natale pour vivre la grande aventure spatiale dans un confort idyllique et aseptisé. Ce choix artistique peut surprendre, car dès que l’action se transporte dans l’espace et que nous découvrons enfin ce qu’est devenu l’humanité – des bibendums apathiques assis sur des sièges volants et les yeux rivés sur des écrans – les acteurs réels disparaissent au profit de personnages animés volontairement caricaturaux.

Détour vers le futur

Cette vision d’une population en surpoids, incapable de marcher et intégralement assistée par les machines et l’intelligence artificielle est terrible parce qu’elle est plausible. Et même si la ligne graphique adoptée par Andrew Stanton et ses équipes s’oriente volontairement vers le cartoon, le rire reste un peu coincé dans la gorge des spectateurs face à ce reflet un peu trop inquiétant de ce que nous pourrions devenir. A l’allure que prennent les choses, comment empêcher que la Terre devienne une poubelle et ses habitants des êtres sans autonomie réduits à l’état de corps mous et enflés ? Telle est la question que pose en substance Wall-E. De nombreuses allusions à 2001 l’odyssée de l’espace ponctuent le film, notamment l’utilisation dans la bande originale du « Beau Danube Bleu » de Johann Strauss et Auto, l’ordinateur de bord du vaisseau spatial, qui présente beaucoup de similitudes avec Hal 9000. Pour boucler le jeu des influences science-fictionnelles, Auto a la voix de Sigourney Weaver, star d’Alien dont l’ordinateur de bord s’inspirait déjà de celui de 2001. S’extrayant du simple statut de film d’animation pour s’affirmer comme une grande œuvre de science-fiction, Wall-E permettra à la vaste collection d’Oscars du studio Pixar de s’orner d’une nouvelle statuette.

 

© Gilles Penso

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RATATOUILLE (2007)

Un rat s’installe à Paris avec sa famille de rongeurs pour devenir l’un des plus grands chefs cuisiniers de la ville !

RATATOUILLE

 

2007 – USA

 

Réalisé par Brad Bird et Jan Pinkava

 

Avec les voix de Patton Oswalt, Ian Holm, Lou Romano, Brian Dennehy, Peter Sohn, Peter O’Toole, Brad Garrett, Janeane Garofalo, Will Arnett, Julius Callahan

 

THEMA MAMMIFÈRES I SAGA PIXAR

Ratatouille marque une étape importante dans la vie de Pixar puisque c’est le premier long-métrage du studio après son rachat par Disney en 2006. L’idée d’un rat qui ambitionnerait de devenir chef cuisinier est à mettre au crédit de Jan Pinkava, qui permit à Pixar de remporter en 1998 l’Oscar du meilleur court-métrage grâce à son remarquable Joueur d’échecs. Emballé par le concept, John Lasseter laisse Pinkava développer cette idée et en tirer un scénario, mais son flair lui dicte d’aller chercher un renfort artistique. Il fait donc appel à son vieux camarade Brad Bird, à qui Pixar doit le succès des Indestructibles. La personnalité forte et l’imagination fertile de Bird se déploient alors à toute allure pour articuler l’histoire de cet apprenti cuisinier et de ce rat gastronome qui collaborent secrètement pour redonner de l’éclat au restaurant d’un vieux chef français. Plus il s’implique dans le projet, plus il en prend la tête, et Pinkava finit par jeter l’éponge, quittant à la fois le film et le studio Pixar. 

En plus du rat Remy et de son abondante famille rampante, Ratatouille met en scène une truculente galerie de personnages. Depuis Les Indestructibles, Pixar ne craint plus de mettre en vedette des humains et les animateurs s’en donnent ici à cœur joie, entre la maladresse touchante du jeune commis Alfredo Linguini, la bonhomie posthume du fantôme de Gusteau, le charme très parisien de la cuisinière Colette ou la suffisance délicieusement insupportable du critique culinaire Anton Ego. Ce dernier, incarné en anglais par Peter O’Toole, est un antagoniste un peu particulier. Malgré sa propension à mettre des bâtons dans les roues des héros en usant de son influence et de son mauvais caractère, c’est un homme de goût qui finit par apprécier les mets concoctés par Remy et Linguini, au cours d’une scène d’une magnifique simplicité où, le temps d’une bouchée, cet homme aigri retombe littéralement en enfance. « Ces plats ont changé mes idées préconçues sur la grande cuisine en me touchant au cœur » dira-t-il. Le véritable « vilain » est ailleurs, et ne se révèle que plus tard au cours d’un coup de théâtre qui est devenu un des grands classiques narratifs de Pixar depuis Monstres & Cie.

Le rat des goûts

Attaché au réalisme du comportement des rats, Bird pousse ses animateurs à reproduire du mieux qu’ils peuvent les contorsions incroyables dont sont capables les rongeurs. A cette occasion, les ingénieurs de Pixar créent un nouveau logiciel baptisé Collison. Mais Bird aime aussi l’animation traditionnelle en 2D. Comme pour Les Indestructibles, il concocte donc un générique de fin en dessin animé créé par des animateurs spécialisés dans cette discipline « à l’ancienne ». Si le studio Disney est très heureux du premier film issu du rachat de Pixar, le marketing de Ratatouille n’est pas simple, car aucune enseigne alimentaire ne souhaite être associée à un rat. Ce qui n’empêche pas le film d’être un énorme succès et de remporter l’Oscar du meilleur film d’animation, récompense que Brad Bird avait déjà gagnée avec Les Indestructibles. Car Ratatouille est un véritable délice, poussant jusqu’au bout son concept fou pour mieux déclarer sa flamme aux artistes du goût. D’ailleurs, à travers les facéties de ce rongeur perfectionniste qui ne cesse de multiplier les expériences pour ravir ceux qui découvrent ses créations, comment ne pas deviner un reflet de Brad Bird lui-même ?

 

© Gilles Penso


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CARS (2006)

Après les jouets vivants, les animaux parlants, les monstres et les super-héros, Pixar aborde une nouvelle facette du cinéma fantastique…

CARS

 

2006 – USA

 

Réalisé par John Lasseter et Joe Ranft 

 

Avec les voix de Owen Wilson, Paul Newman, Bonnie Hunt, Larry the Cable Guy, Cheech Marin, Tony Shalhoub, Guido Quaroni, Jenifer Lewis, Paul Dooley

 

THEMA OBJETS VIVANTS I SAGA PIXAR

« Je pense qu’il n’existe pas d’objet qui ne puisse devenir un personnage » disait John Lasseter à l’époque de Toy Story. Cette assertion s’adapte parfaitement à Cars, dont le concept repose sur plusieurs sources d’inspirations complémentaires. Lasseter lui-même est passionné par les voitures depuis son enfance. Son père était en effet l’un des directeurs d’une usine de pièces détachées automobiles de la marque Chevrolet à Whittier, en Californie. L’idée d’un film d’animation mettant en scène des voitures lui trotte donc dans la tête depuis longtemps. A la fin des années 90, lors d’une excursion sur la route 66 avec sa femme et ses enfants, Lasseter commence à formuler des idées qui, plus tard, s’intègreront dans le scénario de Cars. Le film se déroule dans un monde qui ressemble au nôtre, à une différence près : il n’y a aucun être vivant dans cet univers, uniquement des machines ! Les voitures sont « l’espèce dominante » de ce monde alternatif et les plus célèbres d’entre elles sont championnes de course automobile. Dans cette discipline particulière, Flash McQueen est le coureur le plus prometteur de sa génération.

Ce jeune véhicule ambitieux (dont le nom rend bien sûr hommage au comédien Steve McQueen, grand passionné de course automobile, mais aussi à l’animateur Glenn McQueen, pilier de Pixar qui décéda en 2002) rêve de remporter la fameuse Piston Cup et d’intégrer l’écurie Dinoco. Mais alors qu’il est lancé à pleine vitesse et domine tous ses rivaux, l’éclatement de ses pneus le ralentit à la dernière seconde. Il franchit du coup la ligne d’arrivée en même temps que deux autres voitures. Pour les départager, une nouvelle course est organisée à Los Angeles. Tandis que McQueen est transporté au milieu de la nuit par son fidèle ami le camion Mack, il s’égare et se retrouve accidentellement dans la petite bourgade de Radiator Springs. Il y découvre d’autres valeurs que la simple compétition et oublie peu à peu son arrogance et son égocentrisme pour se forger de belles amitiés, notamment avec Martin, dépanneuse rouillée et gaffeuse. Il rencontre même l’amour sous la forme de la belle Porsche Sally qui se laissera séduire par son bagout.

Un récit post-apocalyptique ?

S’il séduit toutes les générations, le concept de Cars est pour le moins étrange. Car ce monde où règnent les voitures et où les humains semblent avoir disparu donne l’impression d’un futur indéterminé où notre espèce aurait été éradiquée suite à une guerre contre les machines. Cars se déroulerait-il dans un univers où, comme dans Maximum Overdrive de Stephen King, les véhicules se seraient emparés de la planète et auraient éliminé les hommes pour régner seuls sur Terre ? Serions-nous dans une configuration proche des événements narrés dans Terminator et Matrix, à la différence près que cette fois-ci nous aurions perdu face aux machines ? Pourquoi pas ? Quoiqu’il en soit, il est clair que les véhicules présents dans Cars n’ont pas été prévus pour accueillir le moindre conducteur ou passager humain. Pour les directeurs artistiques, un difficile équilibre entre le réalisme mécanique et l’anthropomorphisme reste à trouver. Lasseter s’inspire alors d’un vieux dessin animé de Disney qu’il adore depuis longtemps, Susie le petit coupé bleu réalisé en 1952 par Clyde Geronimi. C’est de là que vient l’idée des yeux placés sur le pare-brise des voitures. La folie du concept de Cars était osée et ne garantissait pas son succès (le public était-il prêt à s’attacher à des voitures ?). Or c’est un véritable triomphe qui se propage logiquement dans les magasins de jouets. Avec plus de cent modèles de voitures différentes dans le film, c’est une manne inespérée pour les fabricants de produits dérivés, et le début d’une nouvelle franchise pour Pixar.

 

© Gilles Penso


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FAMILLE ADDAMS (LA) (2019)

Le premier long-métrage animé consacré à la célèbre famille macabre de Charles Addams…

THE ADDAMS FAMILY

 

2019 – USA

 

Réalisé par Greg Tiernan et Conrad Vernon

 

Avec les voix de Oscar Isaac, Charlize Theron, Chloë Grace Moretz, Finn Wolfhard, Nick Kroll, Bette Midler, Allison Janney, Martin Short, Catherine O’Hara, Snoop Dogg

 

THEMA FREAKS I MAINS VIVANTES

En 2010, Illumination Entertainment (Moi moche et méchant, Les Minions) fait l’acquisition des droits d’adaptation des dessins de Charles Addams et prépare un long-métrage animé qui – contrairement aux habitudes du studio franco-américain – n’est pas prévu en images de synthèse mais en stop-motion, à la manière de L’Étrange Noël de Monsieur Jack ou des Noces funèbres, et ce pour une raison très particulière : Tim Burton est censé le réaliser. Hélas, le projet n’aboutit pas. Burton s’en va alors réaliser Frankenweenie et les droits de La Famille Addams atterrissent chez Metro-Goldwyn-Meyer. Retour donc à la case départ et à l’animation digitale, finalement confiée aux compagnies Cinesite et Nitrogen. Greg Tiernan (Sausage Party) et Conrad Vernon (Monstres contre Aliens) assurent la mise en scène de ce long-métrage conçu principalement pour le jeune public friand de gentils frissons. Pour mettre toutes les chances de son côté, la MGM sollicite un casting vocal de premier ordre, avec notamment Oscar Isaac (Gomez), Charlize Theron (Morticia), Chloë Grace Moretz (Mercredi), Bette Midler (la grand-mère), Martin Short et Catherine O’Hara (les parents de Morticia) ou même Snoop Dogg (qui assure les gargarismes du cousin Machin).

Le pré-générique est une savoureuse « origin story » qui commence par le mariage de Gomez et Morticia, interrompu par des villageois en colère désireux de chasser les Addams loin de leurs terres. Les fuyards rencontrent sur leur route Lurch, échappé d’un hôpital psychiatrique puis reconverti en fidèle majordome, et découvrent dans la foulée un sinistre asile gothique abandonné qui devient leur nouvelle maison, foyer idéal pour leurs futurs rejetons Mercredi et Pugsley. En quelques minutes, le décor est donc planté. Si le cadre nous est familier, le film offre quelques nouveautés comme l’arbre vivant Ichabod, la plante carnivore Cléopâtre, le poulpe Socrate (variante de celui présent dans la série des années 60), le lion Kitty, des têtes réduites chanteuses et l’esprit de la maison qui grogne régulièrement pour en chasser les habitants. L’intrigue tourne autour des manigances de Margaux Needler, une animatrice de télé-réalité spécialisée dans la décoration qui cherche à chasser les Addams pour éviter d’entacher la communauté aseptisée sur laquelle elle règne fièrement. Parallèlement, Pugsley se prépare à un rite de passage ancestral, la Mazurka, pour lequel tous les cousins, oncles et tantes de la famille Addams se réuniront. Une belle pagaille en perspective, donc…

Expressionisme caricatural

À travers l’atmosphère de cette Famille Addams, il n’est pas difficile de reconnaître l’influence (consciente ou non) de Tim Burton, et donc d’avoir un petit aperçu de ce qu’aurait donné le film tel qu’il était initialement prévu. Certaines séquences, comme celle des grenouilles zombies dans la classe de sciences naturelles, semblent d’ailleurs directement échappée de Frankenweenie. Voir La Famille Addams s’animer en stop-motion aurait évidemment été un délice, l’image de synthèse n’offrant pas le rendu tactile et artisanal qu’on aurait pu espérer. Mais il faut reconnaître que les designs des personnages sont intéressants, revenant aux sources des dessins de Charles Addams, et que l’animation numérique sait éviter la quête vaine du naturalisme pour pencher vers une certaine forme d’expressionnisme caricatural. Saluons aussi la bande originale aux accents tziganes de Jeff et Mychael Danna qui réinterprètent à leur manière le fameux thème musical de Vic Mizzy. Le problème du film vient surtout de son intrigue faible et distendue qui ne tient pas vraiment la distance, surtout si l’on compare avec les deux films live de Barry Sonnenfeld. Greg Tiernan et Conrad Vernon accumulent donc un grand nombre de gags visuels et sonores, de clins d’œil référentiels et de numéros musicaux dans l’espoir de combler les lacunes scénaristiques, sans y parvenir totalement. Sympathique à défaut d’être inoubliable, La Famille Addams remportera un succès suffisant pour générer une suite sortie sur les écrans en 2021.

 

© Gilles Penso


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INDESTRUCTIBLES (LES) (2004)

L’arrivée de Brad Bird chez Pixar donne un nouveau souffle aux productions du studio et révolutionne même le genre du film de super-héros…

THE INCREDIBLES

 

2004 – USA

 

Réalisé par Brad Bird

 

Avec les voix de Craig T. Nelson, Holly Hunter, Samuel L. Jackson, Jason Lee, Dominique Louis, Teddy Newton, Jean Sincere, Eli Fucile, Maeve Andrews

 

THEMA SUPER-HÉROS I SAGA PIXAR

Brad Bird était destiné à intégrer un jour ou l’autre les rangs de Pixar, mais il aura fallu du temps pour concrétiser ce ralliement. Dès ses études, Bird fréquentait John Lasseter, tous deux partageant les bancs de la prestigieuse école CalArts. Après avoir brièvement travaillé chez Disney à l’époque de Rox et Rouky, il réalise un épisode de la série Histoires fantastiques produite par Steven Spielberg, puis collabore avec l’équipe des Simpsons. Dès 1995, Lasseter lui propose de venir travailler sur 1001 pattes, mais Bird est déjà en train d’envisager son premier long-métrage pour Warner. Ce sera Le Géant de fer. John Lasseter revient ensuite à la charge, proposant à Brad Bird de réaliser pour Pixar un projet qui lui tient à cœur : Les Indestructibles. Bird envisageait initialement Les Indestructibles sous forme d’un long-métrage d’animation en 2D, un media plus conforme selon lui à ce récit nostalgique puisant son inspiration dans la culture « pulp » des années 60. Mais face à l’accueil chaleureux de Pixar, il accepte de revoir sa copie pour s’adapter à l’image de synthèse. Le générique de fin des Indestructibles, animé « à l’ancienne », donne une idée de l’approche visuelle que Brad Bird avait initialement en tête pour son film.

Le personnage central des Indestructibles est Bob Parr, qui fut jadis l’un des plus grands super-héros de la planète sous le nom de Monsieur Indestructible. Dans son uniforme moulant, le valeureux Bob sauvait chaque jour des centaines de vies et combattait le mal. C’était l’époque des « jours glorieux ». Mais suite à un projet de loi rendant illicites les activités des super-héros, il a dû raccrocher son costume et devenir un modeste expert en assurances dont les petits tracas quotidiens ont augmenté en même temps que son tour de taille. Bob mène depuis quinze ans une vie rangée avec son épouse Hélène, qui fut autrefois la vaillante Elastigirl, et s’efforce de mener une vie normale avec ses trois enfants : Violet, Dash et Jack-Jack. Frustré, rêvant de repasser à l’action, Bob saisit l’opportunité qui s’offre à lui lorsqu’une convocation énigmatique l’invite à se rendre sur une île mystérieuse pour une mission secrète de la plus haute importance. Mais c’est un piège, et l’ancien justicier un peu rouillé et bedonnant va affronter un redoutable super-vilain avide de vengeance et de destruction répondant au doux nom de Syndrome. Pour le tirer de ce mauvais pas, Bob devra compter sur sa famille.

Une famille fantastique

Pour choisir les super-pouvoirs de ses héros, Brad Bird s’appuie sur leur personnalité et sur le rôle que chacun tient au sein du groupe. Bob étant le chef de famille, il hérite d’une force herculéenne. Son épouse Helen, obligée d’assumer simultanément une foule de responsabilités, est élastique. Leur fille Violet entre dans un âge de l’adolescence où elle souhaiterait que personne ne la remarque, d’où son pouvoir d’invisibilité. Quant à l’hyperactivité de son jeune frère Dash, elle se traduit par une vitesse quasi-supersonique. Le bébé Jack-Jack, lui, ne révèlera ses élans incandescents qu’en toute fin de métrage. Ces pouvoirs – mais aussi les uniformes que portent les Indestructibles – évoquent immédiatement une famille de super-héros bien connue des amateurs de comic books : les Quatre Fantastiques créés par Stan Lee et Jack Kirby. Malgré ses nombreux emprunts (y compris au sein de l’éblouissante partition de Michael Giacchino sous haute influence de John Barry), Les Indestructibles innove sans cesse et surprend par ses inventions multiples. Au lieu d’être submergé par la vogue naissante des films de super-justiciers initiée par les triomphes respectifs des deux premiers X-Men et des deux premiers Spider-Man, Les Indestructibles sort du lot. Le public répond largement présent et finit même par le considérer comme un des meilleurs films de super-héros de tous les temps, tous genres confondus.

 

© Gilles Penso


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NOCES FUNÈBRES (LES) (2005)

Dix ans après L’Étrange Noël de Monsieur Jack, Tim Burton retrouve la stop-motion pour célébrer un mariage très spécial…

THE CORPSE BRIDE

 

2005 – USA

 

Réalisé par Tim Burton et Mike Johnson

 

Avec les voix de Johnny Depp, Helena Bonham Carter, Emily Watson, Tracey Ullman, Paul Whitehouse, Joanna Lumley, Albert Finney, Richard E. Grant

 

THEMA FANTÔMES I SAGA TIM BURTON

Tout le monde a gardé en mémoire L’Étrange Noël de Monsieur Jack, qui poussait jusque dans ses ultimes retranchements l’animation en volume, à une époque où Jurassic Park semblait pourtant avoir jeté aux oubliettes cette vénérable technique. Instigateur de ce projet fou qui s’inscrivait volontairement à contre-courant du tout numérique, Tim Burton décide de renouveler l’expérience dix ans plus tard avec Les Noces funèbres. En cherchant à réhabiliter la viabilité d’un long-métrage en stop-motion, Tim Burton veut prouver une fois de plus que l’image de synthèse n’est pas le seul moyen de créer de l’animation à destination du grands public, un besoin motivé par le succès colossal des films produits alors par le studio Pixar. Le scénario des Noces funèbres s’inspire d’une légende russe du 19ème siècle dans laquelle un jeune homme se fiance par erreur avec une femme revenue d’entre les morts. Cette histoire lui est rapportée par le scénariste et storyboarder Joe Ranft, qui fut justement un pilier des studios Pixar. Si, à l’époque de L’Étrange Noël de Monsieur Jack, Burton avait laissé le fauteuil de réalisateur à Henry Selick, il tient cette fois-ci à co-diriger le film avec Mike Johnson, talentueux animateur reconverti à la mise en scène. Étant donné qu’il mène de front plusieurs projets simultanément, il ne peut se permettre de passer trois ans sur le tournage des Noces funèbres, ce qui ne l’empêche pas pour autant de s’y impliquer totalement, tout en démarrant le tournage de Charlie et la chocolaterie.

Dans le bureau de son co-réalisateur Mike Johnson s’accumulent vite des dizaines de cahiers remplis de dessins, du simple croquis crayonné à la splendide peinture multicolore. Beaucoup d’entre eux sont l’œuvre de Tim Burton lui-même. On y trouve l’évolution du design de tous les personnages, des décors et de certaines séquences. C’est là que naissent les idées les plus folles, comme ce squelette au thorax percé d’un énorme trou (on voit la bière y couler quand il boit !), ces cuisiniers zombies dont le visage tombe en morceaux dans les plats qu’ils préparent ou cette tête qui se déplace sur le dos de plusieurs cafards ! Dans sa forme finale, le scénario des Noces funèbres, rédigé par le fidèle John August (Big Fish, Charlie et la chocolaterie), raconte la mésaventure de Victor, revenu sur la terre de ses ancêtres pour épouser sa promise. Suite à un concours de circonstance, son alliance vient se glisser sur le doigt d’un cadavre, celui d’une femme assassinée qui surgit aussitôt d’outre-tombe pour réclamer le mariage qui vient de lui être promis. Pour remettre les choses dans l’ordre, Victor va devoir braver ses peurs et entrer dans le monde des morts… Un monde extrêmement coloré et étrangement joyeux, dans la continuité du spectacle que Burton nous offrit dans Beetlejuice et L’Étrange Noël de Monsieur Jack. Ironiquement, cette vision positive et festive de l’au-delà, inspirée en grande partie par le Jour des Morts que célèbrent les Mexicains, ressurgira bien des années plus tard dans Coco, produit par le studio Pixar, comme si la boucle n’en finissait pas de se boucler.

Des voix familières

Une fois le script définitivement établi et les dessins validés, les comédiens entrent en jeu, à l’occasion d’une longue séance d’enregistrement des voix. Et le casting des Noces funèbres a quelque chose de familier, car on y retrouve Johnny Depp, Helena Bonham Carter et Christopher Lee, déjà à l’affiche de Charlie et la chocolaterie, ainsi qu’Albert Finney (Big Fish), Joanna Lumley (James et la pêche géante) et Michael Gough (Batman). Inscrit dans un contexte proche du cinéma d’épouvante victorien (comme le prénom du héros le suggère ouvertement), Les Noces funèbres se tourne aux studios Three Mills de Londres. Près de 500 figurines d’animation sont construites pour les besoins du film, chaque personnage principal existant en de nombreux exemplaires. Si la magie n’opère pas avec la même spontanéité que L’Étrange Noël de Monsieur Jack, Les Noces funèbres fait tout de même son petit effet et nous offre de très beaux moments de poésie macabre, collectionnant les séquences incroyables et donnant la vedette à un protagoniste qui ressemble à une version adulte du Vincent des débuts de Tim Burton. Cerise sur le gâteau, Danny Elfman se fend d’une nouvelle partition délicieusement gothique qu’il constelle de chansons pleines d’emphase et de morceaux mi-comiques mi-mélancoliques.

 

© Gilles Penso


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MONSTRES ACADEMY (2013)

Le studio Pixar décide d’effectuer un flash-back pour nous raconter l’adolescence des héros de Monstres & Cie

MONSTERS UNIVERSITY

 

2013 – USA

 

Réalisé par Dan Scanlon

 

Avec les voix de Billy Crystal, John Goodman, Steve Buscemi, Helen Mirren, Peter Sohn, Joel Murray, Sean Hayes, Dave Foley, Charlie Day, Alfred Molina, Nathan Fillion

 

THEMA RÊVES I MONDES PARALLÈLES I SAGA PIXAR

Par une journée radieuse, un pigeon fend les cieux ensoleillés pour venir se poser sur le bitume. Utra-réaliste, l’image donne le sentiment d’avoir été filmée en prises de vues réelles. Pourtant, quelques petits détails semblent contredire cette première impression. Lorsque le volatile révèle soudain une seconde tête monstrueuse qui vient picorer le sol avant de pousser un rugissement, révélant une morphologie digne de l’oiseau-Roc du 7ème voyage de Sinbad, aucun doute n’est plus permis : nous sommes bien dans du cinéma d’animation pur et dur. Ce plan d’ouverture de Monstres Academy résume à lui seul toute la démarche entreprise par le studio Pixar depuis sa création, et que John Lasseter lui-même résume en ces termes : « prendre du recul sur le réalisme ». A vrai dire, si les infographistes de Pixar souhaitaient un jour concurrencer ceux d’ILM ou Weta Digital dans le domaine des effets visuels, nul doute qu’ils y parviendraient haut la main. Mais la quête de la reconstitution du réel n’est pas l’objectif des créateurs de Toy Story. En ce sens, Monstres Academy représente un véritable retour aux sources, empruntant le biais de la prequel pour défendre l’indéfectible credo du studio : la technique n’est rien sans de bons personnages. Le film opte pour le point de vue de Bob Razowski, à l’époque où il n’est encore qu’un petit écolier cyclope.

Fasciné par les monstres terrifiants qui œuvrent pour le bien de la cité au sein de la société « Monstres & Cie », Bob rêve de devenir l’un d’entre eux plus tard, malgré un physique qui n’a jamais effrayé personne. Devenu adolescent, il entre en première année de la prestigieuse université « Monstres Academy », une sorte d’école Poudlard qui ne serait fréquentée que par des créatures aux anatomies fantaisistes. Gonflé à bloc, Bob voit ses ardeurs réfrénées par la présence d’un autre étudiant, Jacques Sullivan, qui possède un don naturel pour faire peur et descend d’une prestigieuse lignée de monstres terrifiants. Tous deux entrent bien vite en rivalité et, à force d’essayer de se prouver mutuellement leur supériorité, finissent par menacer sérieusement leur avenir au sein de l’université. Pour s’en sortir, ils vont devoir apprendre à utiliser leurs dons complémentaires et à travailler avec un petit groupe de monstres étranges et mal assortis… Sur ce postulat, le scénario de Monstres Academy enchaîne les folles péripéties avec une bonne humeur communicative, accumulant généreusement des centaines de folles créatures, la plus impressionnante d’entre elles étant la directrice de l’école, dont l’inquiétante morphologie mixe la mante religieuse, la chauve-souris, le mille-pattes et le dragon.

La porosité des mondes

Tentacules, griffes, pinces, crocs et becs s’agitent donc joyeusement au cours du film, mais derrière la légèreté apparente, le scénario de Robert L. Baird, Daniel Gerson et Dan Scanlon nous propose une réflexion inattendue sur l’art du spectacle. Tel un comédien bourré de charisme, Sullivan crève l’écran mais perd toute contenance s’il n’est pas correctement dirigé. Bob, de son côté, n’a pas le physique adéquat pour faire des étincelles, mais en coulisse il s’avère être un metteur en scène exemplaire, dosant savamment ses effets et dirigeant ses « acteurs » avec panache. En combinant leurs talents et en s’adjoignant les services d’une équipe technique disparate (les monstres joviaux dont à priori personne ne veut), ils braveront les mille épreuves semées sur leur chemin pour devenir les véritables superstars de l’école. Au passage, ils auront appris une belle leçon d’humilité. Le parcours du combattant devient donc bien vite initiatique et, comme toujours chez Pixar, s’apprécie sur plusieurs niveaux de lecture. Les ultimes rebondissements du film transportent momentanément notre duo explosif dans un monde parallèle – le nôtre – et le spectateur se retrouve soudain face à un spectacle inattendu. Car la vision surréaliste de ces deux monstres improbables, l’un cyclope sphérique et bipède, l’autre yéti velu et bleu turquoise, isolés sur les berges d’un lac nocturne photoréaliste, s’avère extrêmement troublante. Bouclant la boucle amorcée par le gag de son plan d’ouverture, Monstres Academy nous questionne à nouveau face à la porosité des frontières séparant le fantastique du réel. A la fois artistique, technique, narrative et métaphysique, cette interrogation reste en suspens et prouve une fois de plus que les meilleures œuvres du studio Pixar sont celles qui combinent l’enchantement du tout jeune public avec des préoccupations beaucoup plus adultes.

 

© Gilles Penso


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FRANKENWEENIE (2012)

Tim Burton réinvente l’un de ses courts-métrages de jeunesse sous forme d’un film d’animation monstrueusement généreux…

FRANKENWEENIE

 

2012 – USA

 

Réalisé par Tim Burton

 

Avec les voix de Catherine O’Hara, Martin Short, Martin Landau, Charlie Tahan, Atticus Shaffer, Winona Ryder, Robert Capron, James Hiroyuki Liao

 

THEMA FRANKENSTEIN I MAMMIFÈRES I MÉDECINE EN FOLIE I SAGA TIM BURTON

Lorsqu’il réalisa le court-métrage Frankenweenie en 1982, Tim Burton envisageait dans un premier temps de recourir à l’animation image par image, comme pour son film précédent Vincent. C’était à ses yeux le mode d’expression le mieux adapté à cette relecture canine du mythe de Frankenstein, d’autant que cette technique est elle-même intrinsèquement liée au thème développé par Mary Shelley : donner vie à une matière inerte. Mais la création d’un film de 25 minutes en stop-motion était hors de sa portée, pour des raisons de budget et de timing, et il adapta donc son idée à des prises de vues réelles. Trente ans plus tard, jugeant qu’il est temps de donner une seconde vie à ce concept, le cinéaste décide de proposer à Disney une relecture de Frankenweenie au format long-métrage d’animation en noir et blanc. Et le studio accepte. Le logo d’ouverture du film annonce la couleur : le château de la Belle au Bois dormant et la version orchestrale de « When You Wish Upon a Star », qui sont devenus depuis longtemps les marques de fabrique de Disney, se transforment soudain. L’image vire au noir et blanc, muant le beau bâtiment en sombre bâtisse gothique, et la symphonie s’achève sur un accord brutal à l’orgue. Le ton est donné. Burton s’apprête à casser les codes du studio pour y insérer son propre univers. Cette démarche passera par des choix très marqués, tant d’un point de vue artistique (le noir et blanc, l’animation en volume) que narratif, comme s’il fallait inconsciemment rattraper les fautes de goût d’Alice au pays des merveilles.

La première partie du film calque assez fidèlement ses péripéties sur le court-métrage. Tout commence par un film amateur en super-8 dans lequel le jeune Victor a reconstitué dans son jardin et avec ses jouets une sorte de remake du Rodan de Inoshiro Honda. Un ptérodactyle en plastique sème la terreur, jusqu’à ce qu’une sorte de Godzilla canin n’intervienne. Celui-ci est incarné par Sparky, le chien de Victor, son seul véritable ami, compagnon de jeu fidèle et indéfectible. Mais la vie du jeune garçon bascule lorsque Sparky meurt, écrasé accidentellement par une voiture. Inconsolable, Victor traîne dès lors sa morosité sans retrouver sa joie de vivre, jusqu’au jour où son professeur de sciences montre en plein cours comment une grenouille morte s’anime lorsqu’elle est soumise à des rayons électriques. Impressionné, Victor décide de reproduire ce phénomène à plus grande échelle. Il déterre donc Sparky et le transporte discrètement dans son grenier reconverti en laboratoire de savant fou. Une table à repasser sert de table d’opération, un vélo, une horloge, un ventilateur, un tourne-disque, un grille-pain et des cerfs-volants lui servent à capter l’électricité venue de la foudre. A l’issue de cette relecture « domestique » de la fameuse expérience du premier Frankenstein de James Whale, le défunt chien est frappé de plein fouet par un éclair… et ressuscite ! Les personnages de Frankenweenie s’inscrivent avec cohérence dans l’univers graphique auquel Tim Burton nous a familiarisés. Victor et ses parents présentent une évidente filiation avec le héros de Vincent, Sparky est une sorte de croisement entre le chien de L’Étrange Noël de Monsieur Jack et celui des Noces funèbres, le professeur de sciences ressemble à une caricature de Vincent Price. Quant aux élèves, ils semblent tous échappés d’un film d’horreur (l’un ressemble au monstre de Frankenstein, un autre au bossu Igor, une troisième à un fantôme blafard).

« It’s alive ! »

Le caractère fantastique du monde familier du jeune Victor fait écho à la vision du monde que Tim Burton lui-même avait lorsqu’il était enfant. Frankenweenie insiste d’ailleurs symboliquement sur la manière dont la perception de la réalité est altérée chez Victor. C’est ce qu’atteste cette séquence dans laquelle ses parents regardent à la télévision un extrait du Cauchemar de Dracula. Dans cet univers en stop-motion, les extraits du classique de Terence Fisher sont les seules images en prises de vue réelle, comme si les films d’horreur étaient plus réels que le reste du monde aux yeux du jeune héros. En un sens, Frankenweenie se positionne ainsi comme l’un des longs-métrages les plus autobiographiques de son auteur. Le film regorge d’idées visuelles cartoonesques désopilantes, comme l’eau qui fuit par les cicatrices de Sparky lorsqu’il boit de l’eau, ou la « crinière » de la chienne de la voisine qui est frappée par l’électricité et ressemble soudain aux cheveux d’Elsa Lanchester dans La Fiancée de Frankenstein. Mais c’est surtout au cours du dernier acte de Frankenweenie que le délire bat ouvertement son plein. Prolongeant les péripéties racontées dans son court-métrage, Tim Burton imagine de nouveaux rebondissements liés aux camarades de Victor qui, ayant découvert la résurrection de Sparky, décident de reproduire la même expérience avec d’autres animaux dans l’espoir de remporter un prix scientifique. Les conséquences sont évidemment désastreuses et permettent à Burton de multiplier les hommages au cinéma qu’il aime. Avec cette succession de monstres référentiels superbement animés sous la supervision de Trey Thomas, Tim Burton semble presque prendre une revanche sur Mars Attacks !, rendant enfin hommage à la SF des années 50 avec la technique adéquate.

 

© Gilles Penso


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VICE-VERSA (2015)

Que se passe-t-il exactement dans la tête d’une jeune fille en pleine crise d’adolescence ? La réponse est franchement surprenante !

INSIDE OUT

 

2015 – USA

 

Réalisé par Pete Docter et Ronnie del Carmen

 

Avec les voix de Amy Poehler, Lewis Black, Mindy Kaling, Bill Hader, Phyllis Smith, Kaitlyn Dias, Diane Lane, Kyle MacLachlan, Lori Alan, Paris Van Dyke

 

THEMA CONTES I SAGA PIXAR

L’histoire de Riley Anderson, une fille de dix ans bouleversée par son déménagement à San Francisco dû aux nouvelles obligations professionnelles de son père, est à priori naturaliste et dénuée de tout élément fantastique. A priori seulement. Car les petits génies de Pixar ont choisi de nous raconter les tourments de la jeune collégienne depuis l’intérieur de sa tête. Or dans le scénario co-écrit par Pete Docter et Michael Arndt, le cerveau humain ressemble à une espèce de tour de contrôle où s’efforcent de cohabiter cinq personnages hauts en couleur représentant les cinq émotions « de base » telles que les ont définies les psychologues : la joie, la tristesse, la peur, la colère et le dégoût. Vice-Versa est donc un de ces « films concepts » dont les créateurs de Toy Story se sont fait une spécialité mais qui, généralement, sont déclinés sous forme de courts-métrages. On se souvient encore avec enthousiasme des lampes vivantes de Luxo Jr, des états d’âme du bonhomme de neige de Knick-Knack, des tours de prestidigitation hilarants de Presto ou de l’affrontement de la lumière et de l’obscurité dans Jour et nuit. Le principe narratif incroyablement audacieux de Vice-Versa allait-il parvenir à nous captiver pendant une heure et demie ?

Au début, le doute est permis. Les bons sentiments règnent en effet dans la vie et dans l’esprit de Riley, sous la supervision de son émotion principale, c’est-à-dire la joie. La famille, l’amitié, le sport, l’honnêteté sont donc les valeurs positives que semble glorifier le film avec une béatitude presque suspecte. Mais ce n’est qu’un leurre. Car dans la tête de la préadolescente, le chaos commence à s’immiscer, et dès lors tout son équilibre – en même temps que celui du film – se met à vaciller. Tandis que dans le quartier général qui lui sert de cerveau, un enchaînement d’incidents tourne à la catastrophe, dans sa vie quotidienne le trouble est semé, et plus rien ne sera désormais comme avant. La fausse naïveté cède ainsi le pas à un constat d’une grande lucidité : lorsque l’individu quitte la petite enfance pour tendre vers l’adolescence, toutes les vérités qui semblaient absolues se disloquent, et la dépression guette ceux qui ne sauraient gérer les vents contraires de leurs émotions.

Voyage au centre de la tête

Il fallait être particulièrement téméraire pour oser traiter un sujet aussi adulte, aussi sérieux et aussi intime sous l’angle d’une aventure fantastique déjantée à grand spectacle. Mais Pete Docter, déjà réalisateur de Monstre et compagnie et Là-haut, n’est plus à un défi près. Dans l’esprit de Riley, le parcours du combattant de la joie et de la tristesse, perdues toutes deux dans les méandres de son subconscient, de ses sentiments refoulés, de ses phobies et de ses cauchemars, se transforme en odyssée mouvementée à mi-chemin entre « Alice au pays des merveilles » et « Voyage au centre de la Terre ». Véritable traité psychanalytique doublé d’un conte tout public rythmé par la musique trépidante de Michael Giacchino, Vice-Versa porte la marque des plus grandes réussites de Pixar, l’un des seuls studios capables d’offrir des films offrant à ses spectateurs autant de niveaux de lectures et autant d’innovations. Et pour prouver que l’alchimie a fonctionné à merveille, l’épilogue nous tire autant de larmes de joie que de tristesse, comme si les deux personnages principaux du film s’étaient invités dans notre propre esprit !

 

© Gilles Penso


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