CANDYMAN 2 (1995)

Le tueur au crochet et au corps empli d’abeilles est de retour, sévissant désormais en plein carnaval à la Nouvelle Orléans…

CANDYMAN : FAREWELL TO THE FLESH

 

1995 – USA

 

Réalisé par Bill Condon

 

Avec Kelly Rowan, Tony Todd, Veronica Cartwright, Bill Nunn, William O’Leary, Matt Clark, Randy Oglesby, Glen Gomez, Russell Buchanan, Timothy Carhart

 

THEMA DIABLE ET DÉMONS SAGA CANDYMAN

Énorme succès au moment de sa sortie en salles, Candyman ne pouvait pas décemment rester sans suite. Alors que les producteurs couvent déjà d’un œil gourmand la franchise qui pourrait en découler, le réalisateur Bernard Rose imagine d’autres épisodes qui continueraient à explorer la nature des mythes d’horreur urbaine, sans référence au personnage incarné par Tony Todd. Évidemment, le studio ne veut rien entendre. Pas question de réitérer ce que John Carpenter avait tenté avec Halloween 3. Leur croquemitaine doit être la vedette de la saga. Rose révise alors sa copie, sans succès. « La suite que Bernard voulait faire était un prequel où l’on voyait le Candyman et Helen tomber amoureux », raconte l’actrice Virginia Madsen. « Le projet a été refusé parce que le studio ne voulait pas d’une histoire d’amour interraciale. » (1) Exit donc Bernard Rose, qui passe la main à Rand Ravich et Mark Kruger pour l’écriture du scénario. « Ils ont fait du Candyman un esclave, ce qui était terrible parce que ce personnage a été éduqué et élevé comme un homme libre », se plaint Madsen. « Bernard voulait en faire un Dracula afro-américain, ce qui, je pense, a beaucoup plu à la communauté afro-américaine. Candyman était poète et intelligent. Ce n’était pas vraiment un monstre. C’était une sorte de figure classique. » (2) Mais les scénaristes et les producteurs en décident autrement.

C’est Bill Condon qui prend le relais de Bernard Rose. Extrêmement éclectique, ce réalisateur a touché à tout : le drame horrifique (Sister Sister), le biopic (Gods and Monsters), la comédie musicale (Dreamgirls), le conte de fées (La Belle et la Bête), le film de vampires pour ados (Twilight 4 et Twilight 5). Alors pourquoi pas Candyman 2 ? Cette suite se déroule trois ans après les faits dramatiques survenus à Chicago et racontés dans le premier film. À la Nouvelle Orléans, le professeur Philip Purcell (Michael Culkin) donne une conférence sur le mythe de Candyman. Nous y apprenons que Daniel Robitaille, fils d’un esclave, fut lynché par la foule, mutilé et donné en pâture aux abeilles. Mais le pouvoir de celles-ci le ressuscita d’entre les morts. Pour prouver à l’assistance qu’il ne croit pas au mythe, le conférencier prononce cinq fois son nom devant son propre reflet et organise même un bref canular au cours duquel un de ses assistants l’attaque avec un crochet. On soupire, on rit, on se réconforte en se disant que toute cette histoire n’est que le fruit de racontars superstitieux. Évidemment, la suite va nous prouver que non…

Au pays de Candy

Si Tony Todd est toujours aussi impressionnant sous la défroque du croquemitaine, l’héroïne campée par Kelly Rowan (une enseignante qui mène l’enquête après que son frère ait été accusé de meurtre) manque singulièrement de charisme et d’expressivité. Le seul visage familier du casting, au-delà de Todd, est Veronica Cartwright (Les Oiseaux, Alien), qui campe la mère de la jeune femme (et que Bill Condon avait dirigé dans le téléfilm Dead in the Water). Certes, le film profite de l’ambiance du carnaval pour multiplier les images baroques et excessives, tout en jouant le jeu du faux semblant (le vrai monstre se cache parmi les faux), la musique de Philip Glass est toujours aussi envoûtante et l’équipe des décorateurs a fait du bon boulot dans l’ancienne maison de l’héroïne, désormais abandonnée et couverte de peintures sinistres. Mais cette suite ne raconte rien de très intéressant et s’encombre d’une mise en scène qui sacrifie à tous les lieux communs. On ne compte plus le nombre de « jump scares » qui ponctuent le film (un touriste déguisé qui se colle à une vitrine, le petit ami qui entre brutalement dans le champ, un corbeau qui coasse, un SDF qui surgit dans le cadre, une main posée sur une épaule). Nous ne sommes pas loin de la parodie involontaire. Bref, Candyman 2 passe le plus clair de son temps à démontrer son inutilité, exercice dans lequel Candyman 3 excellera tout autant.

 

(1) et (2) Extraits d’une interview publiée dans Horror News Network en décembre 2012

 

© Gilles Penso

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L’ESPION QUI VENAIT DU SURGELÉ (1966)

Mario Bava dirige Vincent Price et des dizaines de robots sexy en bikini dans cette seconde aventure du diabolique docteur Goldfoot…

LE SPIE VENGONO DAL SEMIFREDDO / DR. GOLDFOOT AND THE GIRL BOMBS

                                 

1966 – ITALIE

 

Réalisé par Mario Bava

 

Avec Vincent Price, Fabian, Franco Franchi, Ciccio Ingrassia, Francesco Mulè, Laura Antonelli, Ennio Antonelli, Frankie Avalon, Susan Hart

 

THEMA ROBOTS I ESPIONNAGE ET SCIENCE-FICTION I SUPER-VILAINS

Sans être un triomphe phénoménal, Dr Goldfoot and the Bikini Machine remporta un certain succès populaire, notamment en Europe. L’idée d’une suite germe donc chez les dirigeants d’American International Pictures, qui décident de la produire en Italie pour réduire les coûts et profiter de la vogue européenne dont bénéficie alors le super-vilain incarné par Vincent Price. Pour mettre en scène ce second épisode, le nom de Mario Bava s’impose naturellement, même si son univers semble à priori très éloigné des délires du premier film. Mais A.I.P. a produit plusieurs de ses longs-métrages, le co-producteur Fulvio Lucisano le connaît bien et sa capacité à bricoler des effets spéciaux efficaces avec des budgets réduits semble un atout précieux. Les choses commencent à se compliquer lorsque le producteur James Nicholson sollicite le duo comique Franco Franchi et Ciccio Ingrassia. Très populaires en Italie mais inconnus dans le reste du monde, tous deux viennent de jouer dans Due mafiosi contro Goldginger, une parodie de Goldfinger que le public transalpin a beaucoup aimée. L’idée de Nicholson est donc de leur donner la vedette pour faire d’une pierre deux coups : à la fois une suite de Dr Goldfoot et de Goldginger. Cette idée bizarre va entraîner beaucoup de confusions pendant le tournage, qui vire rapidement au chaos. Les tensions sur le plateau (Vincent Price n’apprécie que moyennement les deux comiques de service, Mario Bava ne s’entend pas du tout avec Laura Antonelli) n’arrangeront rien.

L’Espion qui venait du surgelé (déjà, quel titre !) existe en deux versions : une italienne supervisée par Bava et une américaine qui atténue les scènes des humoristes en redonnant la vedette à Vincent Price et Laura Antonelli. Le générique de la version italienne, dans lequel les deux pitres s’agitent en grimaçant tandis que se trémoussent des jolies filles en bikini (avec de nombreux gros plans insistant sur l’anatomie des demoiselles), aux accents de la chanson « Bang Bang Kissene » vociférée par Franco Franchi, donne très tôt le ton : la finesse ne sera pas au rendez-vous. La version américaine, elle, préfère commencer par un résumé du film précédent, narré par la voix de Vincent Price, extraits à l’appui. Quel que soit le montage qu’on regarde, rien n’explique comment le docteur Goldfoot a survécu après son accident explosif à la fin du premier film. Nous le retrouvons donc en pleine forme, prêt à fomenter de nouveaux plans diaboliques. Plusieurs généraux de l’OTAN sont victimes des inventions du super-vilain. Le modus operandi est toujours le même. Un robot aux allures de playmate en bikini séduit le gradé puis explose pour le réduire à néant (d’où le titre américain : Dr Goldfoot and the Girl Bombs). L’agent Bill Dexter (Fabian), accompagné de deux idiots congénitaux promus espions par erreur (Franco Franchi et Ciccio Ingrassia), vont devoir mener l’enquête. Pendant ce temps, le machiavélique Goldfoot planifie une guerre entre l’Amérique et la Russie pour pouvoir se partager la domination du monde avec la Chine…

Sex Bombs

Comme on pouvait le craindre, les facéties de Franchi et Ingrassia sont pesantes et l’on se perd en conjectures sur la popularité d’humoristes aussi balourds. Les séquences les mettant en vedette multiplient les bagarres en accéléré, les bruitages de dessin animé et les éructations à répétition. D’où une grande scène de poursuite au beau milieu d’une fête foraine, en fin de métrage, où la musique clownesque et les intertitres se réfèrent ouvertement au cinéma muet. Vincent Price lui-même a rarement autant cabotiné. Notre moustachu gothique préféré s’adresse même à la caméra pour vanter la qualité de ses créatures robotiques et nous révéler ses plans. De temps à autres, il nourrit aussi les piranhas qui peuplent sa piscine avec des carcasses de viande ou se déguise en bonne sœur à la voix éraillée. Quelques gags cartoonesques émergent, comme lorsque le robot qui a pris la place de Rosanna (Laura Antonelli), victime d’un court-circuit, se met à s’agiter frénétiquement avant de s’écrouler en pièces détachées. On apprécie aussi les effets spéciaux poétiques sollicités pour montrer l’évasion des héros à bord d’une montgolfière (dans l’esprit de ce que fit Ray Harryhausen quelques années plus tôt dans L’Île mystérieuse), avec en prime l’apparition d’anges dans le ciel (dont Mario Bava, grattant sur une harpe !) et d’un avion de l’U.S. Air Force, puis le largage d’une bombe chevauchée par nos deux hurluberlus (sans doute un clin d’œil à Docteur Folamour). Mais tout ça ne vole pas très haut. Dans un registre voisin, les Fantomas de Hunebelle savaient nous dérider avec beaucoup plus d’efficacité. Pas vraiment dans son élément, Bava lui-même se rattrapera – dans l’esprit pop acidulé, bande-dessinée et super-vilain exubérant – avec le savoureux Danger Diabolik. Le Docteur Goldfoot, lui, arrêtera là ses méfaits. Et c’est tant mieux !


© Gilles Penso

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HORREUR À VOLONTÉ (1970)

Dans cette adaptation libre d’une nouvelle de H.P. Lovecraft, Dean Stockwell campe un homme mystérieux à la recherche du Necronomicon…

THE DUNWICH HORROR

 

1970 – USA

 

Réalisé par Daniel Haller

 

Avec Sandra Dee, Dean Stockwell, Ed Begley, Lloyd Bochner, Sam Jaffe, Joanne Moore Jordan, Donna Baccala, Talia Shire, Michael Fox, Jason Wingreen

 

THEMA SORCELLERIE ET MAGIE

Après s’être frotté avec succès aux écrits d’Edgar Allan Poe à travers le fameux cycle d’adaptations réalisé par Roger Corman, la compagnie AIP essaie de poursuivre dans la même voie en s’attaquant à un romancier pas encore très populaire à l’époque : H.P. Lovecraft. L’inventeur du mythe de Cthulhu et du Necronomicon est si peu connu dans les années 60 que la première tentative qu’ils effectuent dans ce domaine, La Malédiction d’Arkham, est « déguisée » en adaptation d’Edgar Poe. Entre-temps, le nom de Lovecraft commence à circuler plus largement et devient donc un argument marketing plus concluant. AIP confie donc à Daniel Haller Le Messager du diable, qui s’inspire de la nouvelle La Couleur tombée du ciel, puis Horreur à volonté, tiré de l’histoire L’Abomination de Dunwich. Mario Bava est un temps envisagé pour diriger le film, avec en tête d’affiche Boris Karloff et Christopher Lee (tous deux ayant été dirigés respectivement dans Les Trois visages de la peur et Le Corps et le fouet par le cinéaste italien). Mais le cuisant échec au box-office de L’Espion qui venait du surgelé, réalisé par Bava, enterre le projet. D’où le retour de Daniel Haller derrière la caméra et la sollicitation d’un autre casting.

Le scénario d’Horreur à volonté est co-écrit par Henry Rosenbaum, Ronald Sikovsky et Curtis Hanson. Ce dernier, ancien critique de cinéma, deviendra plus tard le réalisateur à succès de L.A. Confidential. À vrai dire, ce script prend beaucoup de libertés avec la nouvelle qui l’inspire pour n’en garder que quelques idées éparses. La scène d’introduction – l’accouchement douloureux d’une femme autour de ce qui ressemble à une assemblée de sorciers – cligne manifestement de l’œil vers Rosemary’s Baby. Nous changeons ensuite de décor pour nous retrouver dans la prestigieuse université de Miskatonic, dont la bibliothèque est dirigée par le docteur Henry Armitage (Ed Begley) avec l’assistance de Nancy Wagner (Sandra Dee). Un homme énigmatique incarné par Dean Stockwell (enfant star du Garçon aux cheveux verts et futur partenaire de Scott Bakula dans Code Quantum) fait soudain son apparition. Son nom : Wilbur Whateley. Sa requête : consulter l’exemplaire du Necronomicon – livre de sorcellerie et de démonologie à la réputation sulfureuse – que les bibliothécaires gardent sous clé. Nancy se laisse séduire par ce ténébreux inconnu sans se douter de la tournure terrifiante que s’apprêtent à prendre les événements…

Crise d’identité

La romance qui va bientôt servir de moteur à l’intrigue est résolument étrangère à la prose de Lovecraft, qui décrivait Wilbur comme un homme immense et mal proportionné, au teint bistré et au faciès de bouc. Nous sommes bien loin du dandy qu’incarne ici Stockwell ! Encore sous influence du cycle Corman/Poe, à cheval entre le classicisme des années 60 et la libération des mœurs des années 70, Horreur à volonté témoigne d’une sorte de « crise d’identité » qui ne joue pas forcément en sa faveur. On se perd d’ailleurs en conjectures face à la réinterprétation libre des rituels démoniaques imaginés par Lovecraft. Ici, il faut lire le Necronomicon et sacrifier une vierge sur un ancien autel pour réveiller les Grands Anciens et les faire revenir dans notre monde. Daniel Haller tente alors une scène érotique timide, occultant la nudité de la doublure de Sandra Dee avec un filtre texturant l’image. Le monstre vedette du film lui-même nous déçoit. L’écrivain nous laissait imaginer une créature hybride mêlant une infinité de tentacules, de pattes, d’yeux protubérants, de gueules et de trompes avec un visage à moitié humanoïde – une description cauchemardesque que nous offre assez fidèlement le poster du film. Mais à l’écran, il nous faudra nous contenter d’une marionnette peu convaincante que la mise en scène masque prudemment par un montage épileptique et des filtres de couleurs. Restent de très beaux décors (la vaste demeure gothique des Whateley, l’autel à flanc de falaise), une ambiance fantastico-mélancolique intéressante et la prestation de Dean Stockwell qui réapparaîtra dans Necronomicon : le livre de Satan, une autre adaptation de la même nouvelle réalisée en 2008.

 

© Gilles Penso

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MICKEY 17 (2025)

Dans le futur, les humains les plus bas dans l’échelle sociale peuvent devenir des individus facilement sacrifiables grâce au clonage…

MICKEY 17

2025 – USA

Réalisé par Bong Joon Ho

Avec Robert Pattinson, Naomi Ackie, Mark Ruffalo, Toni Collette, Steven Yeun, Patsy Ferran, Cameron Britton, Daniel Henshall, Steve Park, Anamaria Vartolomei

THEMA DOUBLES I FUTUR I EXTRA-TERRESTRES

 

Après le carton international de Parasite, multi-oscarisé et salué partout pour son audace, tout le monde attend Bong Joon Ho au tournant. Le cinéaste décide alors de revenir à la science-fiction futuriste, comme à l’époque de Snowpiercer, en se penchant sur le roman Mickey7 d’Edward Ashton, dont il acquiert les droits d’adaptation avant même sa publication en 2022. « Le concept lié à la capacité d’imprimer des êtres humains est fascinant dans le roman, mais je voulais le ramener sur terre et le rendre plus quotidien et plus proche de notre vie de tous les jours », explique le cinéaste. « Au centre du récit se trouve le personnage de Mickey. Dans le roman, il s’agit d’une sorte d’historien, d’intellectuel, mais je voulais en faire un ouvrier, un être simple, aimable, gentil et un peu triste. » (1) Bong Joon Ho remanie donc l’intrigue du manuscrit d’Ashton et écrit une première mouture du scénario en 2021. Dans le rôle principal, il n’a qu’un seul nom en tête : Robert Pattinson. L’acteur voit là l’opportunité de pouvoir incarner plusieurs variantes du même personnage et accepte aussitôt. Avec la bénédiction du réalisateur, Pattinson propose un certain nombre de modifications du scénario pour ajuster son interprétation. Quant à sa référence principale, en termes de jeu, elle se révèle plutôt surprenante : Jim Carrey dans Dumb et Dumber !

Nous sommes en 2050. Endetté jusqu’au cou auprès d’un mafieux impitoyable qui rêve de le réduire en pièces, sans attache, ni diplôme, ni qualification, Mickey est au fond du trou. Il choisit alors de fuir la Terre pour rejoindre la colonie de Niflheim, où il postule pour devenir un homme « remplaçable ». Là-bas, les désespérés comme lui peuvent accepter des missions à très haut risque, avec une probabilité de survie quasi nulle. Leur mémoire et leurs données biologiques sont toutefois sauvegardées sur un disque dur. À chaque décès, leur corps est réimprimé à l’identique à partir de déchets organiques recyclés, et leur cerveau redémarre. « Il va falloir vous habituer à mourir, c’est votre travail », lui résume sa recruteuse. Mickey devient alors un véritable rat de laboratoire, cobaye humain pour toutes sortes d’expériences. Ses morts sont souvent violentes et spectaculaires… puis il revient à la vie, prêt pour une nouvelle mission.

Meurs un autre jour

Quel que soit le genre qu’il aborde, Bong Joon Ho aime greffer dans ses intrigues un sous-texte social et une réflexion sur la condition humaine. Dans Mickey 17, il pousse le bouchon assez loin, décrivant le sort d’un « sous-homme » tellement bas sur l’échelle sociale qu’il est « jetable » au sens propre. Ce n’est qu’« un bout de viande sorti de l’imprimante », pour reprendre les termes du commandant en chef de la colonie qu’incarne Mark Ruffalo. La vie de Mickey n’a pas plus de valeur que celle d’un mannequin de crash test, puisque la technologie permet de le remplacer. Comment imaginer meilleure métaphore d’un prolétariat dont les individus sont anonymes et interchangeables ? Au-delà des questionnements éthiques soulevés par le scénario s’ajoutent ceux liés au clonage et à la duplication, avec à la clé la description d’une société fasciste ouvertement eugéniste et obsédée par l’idée de race supérieure. Véritable « film à tiroirs » dont chaque rebondissement ouvre de nouvelles portes et d’autres pistes narratives, Mickey 17 convoque aussi l’imagerie du massacre des bisons perpétré dans l’Amérique du 19ème siècle, en la transposant sur une autre planète, pour aborder les problématiques de la condition animale et de son exploitation par l’homme, qui étaient déjà le moteur des enjeux d’Okja. Certes, les impressionnantes créatures invertébrées qui pullulent sur la colonie et le rôle que va tenter de jouer Mickey auprès d’elles évoquent beaucoup Nausicaä de la vallée du vent d’Hayao Miyazaki. Le sentiment de déjà vu n’atténue pas pour autant l’impact de ce film imprévisible et vertigineux, dont la richesse foisonnante converge vers une idée aussi simple que forte : chaque vie compte.

 

(1) Extrait d’une interview publiée dans Poc Culture en février 2025

 

© Gilles Penso

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DEATHBED (2002)

Un jeune couple emménage dans un appartement en plein Los Angeles et découvre dans une pièce condamnée un étrange lit abandonné…

DEATHBED

 

2002 – USA

 

Réalisé par Danny Draven

 

Avec Tanya Dempsey, Brave Matthews, Joe Estevez, Meagan Mangum, Michael Sonye, Lunden De Leon, Constance Estevez, Rick Irvin, Mona Lee Fultz

 

THEMA FANTÔMES I SAGA CHARLES BAND

Hyperactif depuis ses débuts de producteur dans les années 70, Charles Band est un pourvoyeur intarissable de séries B d’horreur et de science-fiction. Ses plus gros succès datent du milieu des années 80. Il s’agit de Re-Animator et From Beyond, tous deux réalisés par Stuart Gordon. Ami proche de Band, Gordon a dirigé d’autres films pour lui (Dolls, Robot Jox, Le Puits et le pendule ou Castle Freak) mais coûte désormais trop cher pour ses budgets devenus anémiques. En revanche, rien ne l’empêche d’officier comme producteur exécutif et de prêter son nom pour aider à promouvoir des films. Deathbed est donc le premier opus d’une collection estampillée « Stuart Gordon présente ». Très proche de celui d’un film homonyme écrit et réalisé par George Barry en 1977, le scénario est l’œuvre de John Strysik, qui allait retrouver Gordon à l’occasion de Stuck. La mise en scène échoit à Danny Draven, « protégé » de Band qui lui confia Horrorvision, Hell Asylum et Cryptz. Un homme capable de mettre en scène, tenir la caméra et monter pour un budget minuscule, ça se fidélise ! À l’occasion de Deathbed, Draven dirige deux autres habitués des productions Band : Tanya Dempsey (Shriek, Witchouse 3, Hell Asylum) et Joe (l’oncle d’Emilio) Estevez (Les Créatures de l’au-delà, Blonde Heaven, Hell Asylum).

Après un prologue en noir et blanc sinistre et sulfureux, au cours duquel un homme au regard diabolique assassine une femme attachée à un lit tandis qu’un phonographe diffuse une musique jazzy des années 20/30, nous faisons connaissance avec nos deux protagonistes : Karen (Tanya Dempsey), illustratrice de livres pour enfants, et Jerry (Brave Matthews), photographe. Le jeune couple emménage dans un loft au cœur de Los Angeles, avec une baie vitrée donnant sur le Hollywood Sign. Art (Joe Estevez), le concierge et homme à tout faire de l’immeuble, les aide à s’installer mais n’a pas les clefs d’une pièce située à l’étage. Sans doute un vieil atelier abandonné depuis longtemps. Or le soir venu, Karen croit voir de la fumée s’échapper de cette pièce condamnée. Le lendemain, elle entend des ressorts de lit et le hurlement d’une femme qui appelle à l’aide. Quand elle demande à Art de forcer la porte de la pièce mystérieuse, c’est pour découvrir un vieux lit avec des montants en fer forgé (celui du prologue). Séduite par le meuble séculaire, elle décide de le retaper et de l’installer dans l’appartement. Mais ce lit provoque chez elle des visions angoissantes et réveille sa libido de bien étrange manière…

Sur le lit de mort

Karen est longtemps le seul personnage qui soit hanté par les fantômes des crimes passés, face à l’incrédulité de son époux qui commence sérieusement à s’inquiéter pour sa santé mentale. Un sentiment lancinant de paranoïa s’installe donc chez la jeune femme, tandis que le scénario nous emmène sur un terrain inattendu, abordant même des sujets sensibles comme l’abus d’enfants. Sous l’influence manifeste de Shining, Deathbed nous offre quelques moments d’épouvante réussis, notamment les jolis dessins pour enfants de Karen qui se transforment en croquis horrifiques dignes des EC Comics ou le surgissement inattendu d’un cadavre décomposé dans le lit. Danny Draven joue même la carte du gore lors du dernier acte, avec l’aide de son maquilleur spécial attitré Mark Bautista (un long intestin qui sort d’un ventre, un visage déchiqueté à mains nues, une tête éclatée à coups de marteau). Pétri de choses intéressantes malgré ses moyens extrêmement réduits, Deathbed est probablement le meilleur film de Draven. Les acteurs sont justes, la mise en scène efficace, l’économie de lieux et de personnage permet au récit d’aller à l’essentiel sans fioritures inutiles. Tanya Dempsey elle-même est plus convaincante que dans les micro-productions de Charles Band qui la sollicitaient auparavant. Mais le film passera inaperçu et n’aura pas le succès escompté, étouffant dans l’œuf l’idée d’un label « Stuart Gordon présente » qui ne donnera finalement suite à aucun autre opus.

 

© Gilles Penso

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FANATIC (1965)

Avant de se marier, une jeune femme décide de rendre visite à la mère de son précédent fiancé… C’est une très mauvaise idée !

FANATIC / DIE ! DIE ! MY DARLING!

 

1965 – GB

 

Réalisé par Silvio Narizzano

 

Avec Tallulah Bankhead, Stefanie Powers, Peter Vaughan, Maurice Kaufmann, Yootha Joyce, Donald Sutherland, Gwendolyn Watts, Robert Dorning

 

THEMA TUEURS

Après Hurler de peur, Maniac, Paranoiac, Nightmare et Hysteria, la compagnie britannique Hammer décide de poursuivre dans la voie du thriller d’horreur psychologique hérité du double succès des Diaboliques et de Psychose. Fanatic est le premier de cette série à être tourné en couleurs, tournant ainsi le dos à l’approche très « film noir » de ses prédécesseurs. Étant donné que la grande majorité des artistes et des techniciens réguliers de la Hammer sont à l’époque sollicités par l’aventure épique La Déesse de feu, des nouveaux venus vont devoir s’atteler à Fanatic. C’est donc le cinéaste canadien d’origine italienne Silvio Narizzano qui hérite du film, signant là son premier long-métrage. Le scénario est l’œuvre du grand Richard Matheson (L’Homme qui rétrécit, Je suis une légende), qui adapte pour l’occasion le roman Nightmare d’Anne Blaisdell. Pour tenir la vedette du film, on sollicite la toute jeune Stefanie Powers, future héroïne de la série L’Amour du risque qu’on verra aussi dans Un nouvel amour de Coccinelle. Face à elle, la Hammer engage Tallulah Bankhead, une actrice du début du parlant dont la carrière fut surtout théâtrale et que les amateurs d’Alfred Hitchcock virent dans Lifeboat. Capricieuse, alcoolique, ingérable, Bankhead va donner beaucoup de fil à retordre au réalisateur débutant qui fera preuve d’énormément de patience pour pouvoir mener le tournage à son terme. La qualité de Fanatic n’en est que plus remarquable.

Le générique de début s’amuse avec le motif du chat et de la souris, mis en image selon les codes visuels graphiques et colorés chers aux années 60 (nous sommes alors en pleine période James Bond). Stefanie Powers joue Patricia Carroll, une jeune Américaine qui s’apprête à épouser Alan Glentower (Maurice Kaufmann), réalisateur pour la télévision anglaise. Mais avant de franchir le pas, elle ressent le besoin de rendre visite à Madame Trefoile (Tallulah Bankhead), la mère de son précédent fiancé Stephen, mort deux ans plus tôt dans un accident de voiture. La vieille dame est très avenante mais s’avère particulièrement bigote, citant Dieu, la Bible et l’église à tout va. Elle organise même des messes quotidiennes dans sa maison, auxquelles s’astreignent ses domestiques sans broncher (parmi lesquels on reconnaît un Donald Sutherland en début de carrière, dans le rôle d’un jardinier simple d’esprit). Plus étrange : Madame Trefoile parle à son fils décédé. Bientôt, nous comprenons qu’elle a décidé de remettre dans le droit chemin Patricia, considérée à ses yeux comme une brebis égarée.  La visite de courtoisie prend donc une tournure inattendue, pour ne pas dire inquiétante.

La couleur du diable

L’influence d’Alfred Hitchcock est plus que jamais lisible entre les lignes de Fanatic. On pense bien sûr à Psychose, si ce n’est qu’ici la mécanique narrative est inversée puisque c’est la mère qui est hantée par son fils décédé. Rebecca nous vient aussi à l’esprit, à travers l’intrusion d’un élément extérieur dans cette maison figée par le souvenir du trépassé. Les regards suspicieux des domestiques, à la dérobée, laissent entrevoir des secrets enfouis et beaucoup de non-dits. Et lorsque Madame Trefoile panique à la vision de la couleur rouge, symbole à ses yeux de la dépravation, du sang et du diable, c’est à Pas de printemps pour Marnie que le film semble se référer. Le jeu des couleurs met par ailleurs en évidence une autre influence, née de la vogue du giallo. Comment en effet ne pas penser à Mario Bava, et notamment à Six femmes pour l’assassin, dans cette pièce constellée de touches de couleurs saturées ? Parfaite en fanatique religieuse, Tallulah Bankhead nous offre de savoureuses séquences de confrontation avec Stefanie Powers, habituée à jouer les femmes de caractère. La future épouse que la jeune femme incarne n’est donc pas une proie facile, loin des victimes évanescentes qui caractérisent toute une frange du cinéma d’épouvante. Le piège se referme pourtant inexorablement sans laisser espérer d’échappatoire. La tension monte donc lentement mais sûrement dans cet excellent exercice de style qui s’affirme comme l’un des meilleurs de la série initiée avec Hurler de peur et Maniac.

 

© Gilles Penso

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MEGA SCORPIONS (2003)

À cause de déchets toxiques entreposés sur un terrain en construction, des scorpions mutent jusqu’à se transformer en monstres géants…

DEADLY STINGERS / MEGA SCORPIONS

 

2003 – USA

 

Réalisé par J.R. Bookwalter

 

Avec Nicolas Read, Marcella Laasch, Sewell Whitney, Sarah Megan White, John Henry Richardson, Stephen O’Mahoney, Trent Haaga, Lilith Stabs, Brinke Stevens

 

THEMA INSECTES ET INVERTÉBRÉS I SAGA CHARLES BAND

Au début des années 2000, le studio 20th Century Fox est à la recherche de petits films de genre pour alimenter son réseau de distribution vidéo et pense à Charles Band, grand spécialiste en ce domaine via sa compagnie Full Moon. Band, qui avait conclu un accord similaire avec Paramount, saute à pieds joints sur l’occasion et demande au scénariste C. Courtney Joyner de se mettre au travail. Ainsi naît le projet Stingers, rebaptisé Deadly Stingers, avec l’idée manifeste de remettre au goût du jour les films de monstres géants des années 50 tels que Des monstres attaquent la ville, Tarantula ou Le Scorpion noir. La Fox donne son feu vert et le scénario est retravaillé par J.R. Bookwalter, qui hérite de la mise en scène. Bookwalter est habitué aux productions Full Moon (il a dirigé Witchouse 2 et 3 et produit de nombreux films pour la compagnie), mais les conditions dans lesquelles se tourne Deadly Stingers (avec un budget d’environ 150 000 dollars) l’épuisent physiquement et nerveusement. « Je me suis retrouvé avec un scénario qui était beaucoup trop ambitieux par rapport au budget », raconte-t-il. « Il n’y avait pas assez d’argent, et je savais que les marionnettes de scorpions ne fonctionneraient jamais. Nous avons redoublé d’efforts sur le plateau pour essayer de les éclairer et de les cadrer en espérant qu’elles fonctionnent, mais c’était du temps perdu. Les graphistes ont donc fini par créer des plans qui n’existaient pas, et maintenant il y a peut-être dix plans de la marionnette et le reste est en images de synthèse ! » (1)

Le prologue du film nous montre des hommes en tenue antiradiations qui balancent des barils de déchets toxiques sur le site immobilier d’une petite bourgade américaine. À cause de ces dépôts illicites effectués depuis des années avec la bénédiction du maire corrompu de la ville (Jay Richardson), les scorpions commencent à muter jusqu’à atteindre des proportions alarmantes. La jeune Joey (Sarah Megan White) est ainsi témoin de la mort d’un camarade, réduit en charpie par l’un de ces arthropodes géants. Mais sa sœur aînée Alice (Marcella Laasch), qui dirige un centre de réinsertion pour jeunes en liberté conditionnelle, trouve son témoignage incohérent. Le shérif local n’y accorde pas beaucoup plus de crédit. Alors que les massacres se multiplient dans la ville, les résidents du centre de réinsertion vont devoir se serrer les coudes pour affronter les monstres de plus en plus nombreux et de plus en plus virulents…

Venin de jardin

Sans être honteux, le film accuse hélas sans cesse la faiblesse de ses moyens et semble avoir été tourné dans les maisons et le jardin de l’équipe. Les scorpions apparaissent furtivement, même si les images de synthèse fonctionnent plutôt bien (avec un petit côté saccadé qui leur donne presque les allures d’une animation en stop-motion, comme ceux d’Oblivion qui apparaissent ici dans un extrait vu à la télé). Le reste du temps, nous n’avons droit qu’à de brefs inserts d’une queue qui s’agite, de pinces ou de mandibules. Bookwalter se rattrape avec des effets gore bien saignants pour décrire les méfaits de ses créatures dont la vue subjective, sous forme de sept facettes hexagonales, s’inspire de toute évidence de La Mouche noire. Cela dit, même avec la meilleure volonté du monde, on imagine mal comment de telles bêtes sont capables d’entrer dans les maisons ou les coffres de voiture sans se faire remarquer. Ce n’est pas la moindre faiblesse d’un scénario qui assure le service minimum, cherchant pourtant à fouiller un peu ses personnages (l’ancien détective accusé du meurtre de sa femme, le junkie paranoïaque hanté par des « démons ») sans vraiment y parvenir. Le manque de conviction des acteurs ne facilite pas les choses. Face au résultat, le studio Fox déchante et décide de ne pas exploiter le film, qui reste donc dans un tiroir. Deadly Stingers atterrira finalement sur la plateforme de streaming de Full Moon sous un titre jugé plus accrocheur : Mega Scorpions. J.R. Bookwalter, lui, décidera d’arrêter là sa collaboration avec Charles Band.


(1) Propos extraits du livre « It Came From the Video Aisle ! » (2017)

 

© Gilles Penso

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NOVOCAINE (2025)

Un homme insensible à la douleur à cause d’une maladie génétique rare se retrouve confronté à trois gangsters violents…

NOVOCAINE

 

2025 – USA

 

Réalisé par Dan Berk et Robert Olsen

 

Avec Jack Quaid, Amber Midthunder, Ray Nicholson, Jacob Batalon, Betty Gabriel, Matt Walsh, Conrad Kemp, Evan Hengst, Craig Jackson, Lou Beatty Jr.

 

THEMA POUVOIRS PARANORMAUX

Dan Berk et Robert Olsen travaillent conjointement depuis les années 2010. Ensemble, ils ont signé le thriller Body, le film de vampires Stake Land II, la comédie horrifique Villains et l’aventure de science-fiction Une obsession venue d’ailleurs. Avec Novocaïne, ils passent à la vitesse supérieure en entrant dans la cour des grands, puisque les droits de leur cinquième long-métrage sont acquis par le studio Paramount, ce qui leur permet d’accéder à un budget confortable de 18 millions de dollars. Reprenant un principe voisin de celui du film indien Mard Ko Dard Nahi Hota de Vasan Bala, sorti en 2018, le scénario de Novocaïne est l’œuvre de Lars Jacobson (The Mother). Pour le rôle principal du film, Berk et Olsen n’ont qu’un seul nom en tête : Jack Quaid, sur la foi de sa prestation dans la série The Boys. « Le concept du film est cool, mais il fallait un acteur capable d’équilibrer le poids de la comédie et du drame », expliquent-ils. « Comme notre personnage ne ressent pas la douleur, Jack a dû réapprendre à encaisser les coups. Quand on fait mine d’être frappé dans un film, on grimace à cause de la douleur. Ici, il reçoit des coups mais ne les ressent pas. Comment peut-on être frappé sans réagir ? C’est une ligne difficile à suivre, physiquement et visuellement. C’était très excitant de voir tout cela se concrétiser. » (1)

Quaid incarne ici Nathan Caine, un homme introverti qui travaille comme directeur adjoint dans une banque à San Diego. Nathan a une particularité physique très rare : une insensibilité totale à la douleur due à une maladie génétique. Il doit donc prendre mille précautions quotidiennes pour éviter de se blesser sans s’en rendre compte. Lorsque sa collègue Sherry Margrave (Amber Midthunder) s’intéresse à lui, il hésite en raison de son état et de son manque d’expérience avec les femmes. Mais il finit par franchir le pas. Le lendemain matin, la veille de Noël, après une nuit torride qui laisse Nathan sur un nuage, trois voleurs déguisés en pères Noël et menés par le brutal Simon (Ray Nicholson) dévalisent la banque et prennent Sherry en otage. Soudain mû par un courage qu’il ne se connaissait pas, Nathan vole une voiture de police et se lance à leurs trousses, profitant de son insensibilité à la douleur pour se muer en une sorte de super-justicier…

Même pas mal !

Au départ, pour être honnête, on ne voit pas très bien comment le scénario va pouvoir tirer parti de la particularité physique de son héros pour tenir sur la longueur. Pour y parvenir, Novocaïne n’y va pas par quatre chemins et mue l’anomalie congénitale en un super-pouvoir (ou une capacité quasi-paranormale) permettant à son héros non seulement de ne pas ressentir la douleur mais aussi de passer outre les blessures de plus en plus spectaculaires que son corps subit. Partant de ce principe, les réalisateurs multiplient les scènes d’action inventives (le combat invraisemblable contre le tatoueur), les situations comiques absurdes (la confrontation dans une maison truffée de pièges digne de Maman j’ai raté l’avion) et les moments de suspense intenses (notamment au moment du climax). Très riche en rebondissements, l’intrigue empêche habilement les spectateurs de deviner où elle se dirige et comment tout ça va finir. Drôle, original, violent, mouvementé, Novocaïne souffre tout de même des tonnes d’incohérences qui le jalonnent et de son manque d’ambition narrative. Nous aurions en effet aimé que le scénario sache mieux exploiter son concept fou au-delà de son potentiel purement récréatif. Pour autant, avouons qu’on y passe un excellent moment. D’autant que nous n’avons pas tous les jours l’occasion de voir le fils de Dennis Quaid et celui de Jack Nicholson se coller des bourre-pifs !

 

(1) Extrait d’une interview parue dans JoBlo en décembre 2024

 

© Gilles Penso

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POPEYE THE SLAYER MAN (2025)

Après Popeye’s Revenge, le célèbre marin mangeur d’épinards est le « héros » de cet autre film d’horreur tout aussi improbable…

POPEYE THE SLAYER MAN

 

2025 – USA

 

Réalisé par Robert Michael Ryan

 

Avec Jason Robert Stephens, Sean Michael Conway, Elena Juliano, Angela Relucio, Sarah Nicklin, Mabel Thomas, Marie-Louise Boisnier, Scott Swope, Steven McCormack

 

THEMA TUEURS I MUTATIONS

Pauvre Popeye ! À peine le sympathique marin imaginé par E.C. Segar en 1919 (puis animé par les frères Fleischer à partir de 1933) tombe-t-il dans le domaine public que des trublions s’emparent de lui pour le transformer en émule de Freddy Krueger ou Jason Voorhees. Coup sur coup, deux films d’horreur aux budgets minuscules lui donnent ainsi la vedette : Popeye’s Revenge de William Stead et Popeye the Slayer Man de Robert Michael Ryan (en attendant a comédie noire britannique Shiver Me Timbers de Paul Stephen Mann). Cette seconde itération est signée par un habitué des micro-productions de genre, puisque nous lui devons Dark Revelations et Ouija Witch. Aussi improbable que ça puisse paraître, cinq personnes – dont le réalisateur – sont créditées au scénario. Ce n’est pourtant pas l’élément le plus saillant de ce tout petit film capitalisant plus sur l’effet de décalage (un personnage de comic strip comique se mue en tueur psychopathe) que sur la profondeur de son récit. Le script s’efforce malgré tout d’inventer un passé, une famille et des motivations à ce monstre fumeur de pipe et mangeur d’épinards. Mais à cette backstory près, Popeye the Slayer Man et Popeye’s Revenge pourraient quasiment s’appréhender comme deux épisodes d’une même série, tant les agissements du croquemitaine borgne et son allure générale se révèlent proches.

Nous sommes dans la petite ville d’Anchor Bay. Pour son projet d’études, Dexter (Sean Michael Conway), un jeune homme curieux et un brin rêveur, décide de tourner un documentaire sur une vieille rumeur locale : celle du « Sailor Man », une silhouette inquiétante qui hanterait les docks abandonnés depuis vingt ans, à la recherche d’un passé englouti. Armé de plusieurs caméras et accompagné de la discrète Olivia (Elena Juliano), pour qui il a du mal cacher son béguin, il embarque ses amis Lisa (Marie-Louise Boisnier), Katie (Mabel Thomas) et Seth (Jeff Thomas) dans l’aventure. Mais le temps leur est compté : un promoteur sans scrupules s’apprête en effet à raser les docks pour y ériger un projet immobilier. Le tournage doit se faire à toute vitesse avant que la démolition commence. La petite troupe entre donc par effraction dans les lieux, au milieu de la nuit, installe les caméras et commence à fouiller tous les recoins. Le « Sailor Man » existe-t-il vraiment ? Ils ne vont pas tarder à le découvrir à leurs dépens…

Nom d’une pipe !

Si le concept est parfaitement absurde (l’usine aurait fermé à cause d’une intoxication aux épinards contaminés qui sont à l’origine de la mutation de Popeye !), le ton du film reste très sérieux. Certes, quelques clins d’œil affleurent, comme l’apparition furtive d’une poupée de Winnie l’ourson (en référence manifeste à Winnie the Pooh : Blood and Honey), mais le film suit tranquillement la voie classique du slasher, avec les clichés de mise, notamment le vieil autochtone éméché qui met en garde les héros contre le croquemitaine et leur conseille de se tenir à distance des lieux où il sévit (conseil qu’ils s’empressent bien sûr de ne pas écouter). Raisonnablement efficace, la mise en scène joue régulièrement avec le motif visuel de l’ombre de Popeye, se dessinant en contre-jour à l’arrière-plan pour menacer les protagonistes. Si la routine est de mise (les personnages s’isolent dans l’ombre et sont assassinés à un rythme régulier), le film nous égaie grâce à son recours immodéré à des effets spéciaux gore « old school » excessif. Éviscérations, membres arrachés, têtes écrasées, scalp en gros plan, c’est une véritable orgie de latex et de faux sang. Plus original que son prédécesseur (qui se contentait de calquer son postulat sur celui de Vendredi 13), Popeye the Slayer Man s’apprécie donc sans ennui et s’achemine vers une fin très ouverte. Bientôt une suite ?

 

© Gilles Penso

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DOUBLE ASSASSINAT DANS LA RUE MORGUE (1932)

Bela Lugosi incarne un savant fou désireux de transformer un gorille en chaînon manquant dans cette adaptation très libre d’Edgar Poe…

MURDERS IN THE RUE MORGUE

1932 – USA

Réalisé par Robert Florey

Avec Bela Lugosi, Sidney Fox, Leon Ames, Bert Roach, Brandon Hurst, Noble Johnson, Betty Ross Clarke, D’Arcy Corrigan, Arlene Francis, Herman Bing

THEMA SINGES

 

Avant qu’Arthur Conan Doyle n’invente Sherlock Holmes, Edgar Allan Poe mettait en place tous les codes du roman policier avec sa nouvelle Double assassinat dans la rue Morgue écrite en 1841. L’ingénieux détective Dupin, ancêtre évident d’Holmes, y enquêtait sur des meurtres brutaux attribués à un singe dans les brumes d’un vieux Paris sinistre et oppressant (que Poe n’avait jamais visité, mais qu’il imagina, selon ses propres dires, « en rêve »). Après le tournage d’une bobine d’essai pour une version de Frankenstein qui ne se concrétisera pas (c’est finalement James Whale et Boris Karloff qui hériteront du projet), le réalisateur Robert Florey et l’acteur Bela Lugosi (alors encore auréolé du succès de Dracula) prennent à bras le corps l’adaptation de la nouvelle de Poe, tâche facilitée par le fait que Florey est familier avec la capitale française. Pour autant, le cinéaste ne cherche pas à filmer une reconstitution 100% réaliste de la ville. Bâtis en studio, ses décors sont encore sous influence de l’expressionnisme allemand, avec leurs toits tordus et leurs ombres menaçantes, même si certains détails comme les textures des façades et les pavés des rues restent fidèles à ce qu’était Paris au 19ème siècle. Et c’est dans ce cadre mi-crédible mi-onirique que va s’inscrire cette fable hantée par le mythe éternel de la Belle et la Bête.

La musique du générique est « Le Lac des cygnes » de Tchaikovsky, comme pour créer une filiation artificielle avec le Dracula de Tod Browning. Le seul véritable point commun entre les deux films est pourtant la présence de Lugosi, qui entre ici dans la peau d’un personnage bien différent du vampire transylvanien, mais tout autant inquiétant. Au cœur de la foire foisonnante qui se tient en plein Paris en 1845, alors que s’agitent pour les badauds des danseuses du ventre orientales et des apaches venus d’Amérique, l’attraction principale est Erik, le « gorille au cerveau humain ». Le sourcil touffu et le cheveu hirsute, Lugosi incarne le docteur Mirakle. « Je ne présente pas un monstre, une aberration de la nature, mais un des chaînons du développement de la vie », affirme-t-il avec emphase, avec son accent roumain si caractéristique, face aux visiteurs et aux curieux. Exalté, notre homme s’est mis en tête de mélanger le sang de son singe avec celui d’êtres humains afin de créer le chaînon manquant. Et pour y parvenir, il va lui falloir occire quelques jeunes femmes…

Un gorille dans la brume

Florey fait le choix surprenant d’alterner au montage les plans d’un homme dans un costume velu avec ceux d’un vrai chimpanzé pour donner corps à son singe, ce qui accentue le trouble sur la nature exacte de la créature. Comme tout savant fou qui se respecte, Lugosi est épaulé par un assistant contrefait qui répond au doux nom de Janos et possède lui-même des traits assez simiesques. Le motif de la Belle et la Bête se formule très tôt, dès lors que le singe dans sa cage montre un intérêt particulier pour Camille, la fiancée de Dupin (qui n’est pas ici détective mais étudiant en médecine). « Il sait reconnaître la beauté », dit alors fièrement Lugosi en parlant de son compagnon poilu. Cette attirance prendra les atours d’une course-poursuite finale préfigurant celle de King Kong avec un an d’avance, puisque le primate emportera la belle dans ses bras au moment du climax en grimpant sur les toits de la ville, pris en chasse par des autorités dépassées. La force de cette séquence finale est accentuée par la très belle photographie du chef opérateur Karl Freund, qui passera à la réalisation la même année à l’occasion de La Momie. Hélas, ce Double assassinat dans la rue Morgue n’aura pas le succès espéré et poussera Lugosi à glisser lentement mais sûrement vers les séries B de plus en plus anecdotiques. La nouvelle d’Edgar Poe connaîtra quant à elle plusieurs autres adaptations au cinéma et à la télévision.

 

© Gilles Penso

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