MOTHER LAND (2024)

Face à un monde dévasté par une force maléfique, une mère s’efforce de protéger ses deux enfants dans leur maison isolée au milieu des bois…

NEVER LET GO

 

2024 – USA

 

Réalisé par Alexandre Aja

 

Avec Halle Berry, Percy Daggs IV, Anthony B. Jenkins, Matthew Kevin Anderson, Christin Park, Stephanie Lavigne

 

THEMA DIABLE ET DÉMONS I SAGA ALEXANDRE AJA

Mother Land (étrange « traduction » française de Never Let Go) n’était pas au départ un projet destiné à Alexandre Aja. Lorsque Kevin Coughlin et Ryan Grassby vendent leur scénario original à 21 Laps Entertainment, la société de production de Shawn Levy, c’est Mark Romanek qui est envisagé pour en assurer la mise en scène. Spécialisé dans les clips musicaux et les films publicitaires haut de gamme, Romanek n’a à son actif qu’une petite poignée de longs-métrages (Static, Photo Obsession, Auprès de moi toujours) mais son style visuel marqué semble adapté à cette histoire étrange à la lisière du drame psychologique, du thriller, de l’horreur et de la fantasy. Ce n’est qu’après le désistement de Romanek qu’Aja entre en scène, bientôt rejoint par Halle Berry en tête d’affiche. Le motif de la mère cherchant à protéger ses enfants d’une menace surnaturelle dans un monde post-apocalyptique, en respectant des règles très strictes, a déjà été balisé dans des films comme Sans un bruit ou Bird Box, mais le réalisateur cherche l’inspiration ailleurs. « Je pensais sans cesse au film japonais Onibaba », avoue-t-il. « Pour moi, c’est l’un des meilleurs films jamais réalisés. Il y a quelque chose de fascinant à propos de ces deux femmes vivant dans les hautes herbes, coupées du monde, et se trahissant à travers ce masque surnaturel qui finit par les posséder. C’était assez proche de ce que je cherchais à créer dans le film. » (1)

Mother Land nous plonge dans une atmosphère de conte de fées oppressant. Une mère, June, vit seule avec ses deux jeunes garçons dans une cabane au beau milieu d’une grande forêt isolée. Une force surnaturelle surnommée « Le Mal » s’est répandue à travers le monde, provoquant sa fin et faisant d’eux les seuls survivants. Pour échapper à cette entité maléfique capable de prendre toutes sortes de formes (un serpent, un être familier, un humain zombifié à la langue fourchue, ou pire), chacun doit se soumettre à un rituel très strict : réciter chaque jour une prière adressée à la maison pour qu’elle les protège, partir ramasser dans la forêt tout ce qui peut leur permettre de subsister, c’est-à-dire pas grand-chose (des petits animaux, des insectes, des batraciens, quelques morceaux de végétation, de l’écorce) et surtout ne jamais sortir sans être attaché à une corde qui les relie à leur foyer. Sans cette corde, le Mal pourrait s’emparer d’eux et les posséder. Ils s’accrochent alors à cette « ligne de vie » comme si elle était sacrée. « Ne lâchez jamais » (le titre original du film) devient alors leur code de conduite, un mantra qu’ils répètent inlassablement puisque visiblement leur vie en dépend.

La corde raide

Le concept étrange de Mother Land, qui semble presque échappé d’un film de M. Night Shyamalan, permet très tôt de placer au cœur de ses enjeux dramatique la question de la foi. Les règles drastiques que cette femme impose, les prières qu’elle inscrit sur le linteau de la porte et sur le sol, cette « purification d’âme » qui consiste à enfermer chaque enfant une heure par jour dans le noir… Tout ceci est-il vraiment justifié, ou n’est-ce que de la bigoterie dangereuse mêlée de névrose et de superstition ? Ce Mal dont June ne cesse de parler – mais qu’elle semble seule à voir – existe-t-il en dehors de sa tête ? Bien vite, la maison devient le symbole du ventre maternel, relié à un cordon ombilical qu’elle refuse de couper. La force du film est d’entretenir le doute et de semer le trouble autant dans l’esprit du spectateur que dans celui des deux jeunes protagonistes. En pleine interrogation, le spectateur apprécie la prestation de Halle Berry, plongée à nouveau dans l’épouvante sous la direction d’un réalisateur français, vingt ans après Gothika de Matthieu Kassovitz. Cette fois-ci, l’actrice change de registre, assumant ses presque soixante ans, loin des rôles glamour qui firent sa gloire par le passé. Sa carrière entre visiblement dans une nouvelle ère. Elle n’est pas le moindre atout de ce film déroutant qui ne livre pas tous ses secrets et laisse de nombreuses questions en suspens au moment de son épilogue.

 

(1) Extrait d’un entretien publié dans Dexerto en septembre 2024

 

© Gilles Penso


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DEATH STREAMER (2024)

Un vampire moderne enregistre la mise à mort de ses victimes et retransmet en direct ses méfaits sur Internet…

DEATH STREAMER

 

2024 – USA

 

Réalisé par Charles Band

 

Avec Sean Ohlman, Aaron McDaniel, Kaitlin Moore, Emma Massalone, Travis Stoner, Chili Jean, Maddy May, Piper Parks, Angel R. Reed, Ashley Lanese

 

THEMA VAMPIRES I SAGA CHARLES BAND

À l’âge vénérable de 72 ans, Charles Band continue inlassablement à produire – et parfois à réaliser – de minuscules séries B d’horreur et de science-fiction pour alimenter le catalogue de sa compagnie Full Moon. Dans la foulée de Quadrant, il signe donc ce Death Streamer qui s’appuie sur la même idée générale : détourner les motifs du cinéma d’épouvante classique en les couplant avec la technologie de pointe, tout en ajoutant un petit soupçon d’érotisme (en gros, Band choisit des actrices qui ne sont pas contre l’idée de finir le film topless). Ainsi, après Jack l’éventreur revisité à travers le prisme de la réalité virtuelle dans Quadrant, voici le vampirisme accommodé à la sauce internet et live streaming. Pilier incontournable de la maison Full Moon depuis le milieu des années 90, Neal Marshall Stevens est chargé d’écrire le scénario, qu’il signe sous l’un de ses pseudonymes habituels, en l’occurrence Roger Barron. Autant avouer qu’il ne se foule pas trop la rate, brodant comme il peut autour d’une idée bizarre développée par Band lui-même. Et comme le réalisateur/producteur aime travailler en famille, il demande à l’un de ses bras droits Ted Nicolaou (par ailleurs réalisateur d’une foule de films pour Full Moon, notamment la saga Subspecies) de s’occuper du montage. Death Streamer se concocte donc en petit comité dans une ambiance de confiance mutuelle.

Death Streamer commence dans un club privé, le « Hellfire House », où se tient une soirée libertine façon Eyes Wide Shut reconstituée avec un budget famélique. Charles Band filme donc une petite dizaine de figurants qui se trémoussent mollement. Le maître des lieux est un homme ténébreux répondant au nom d’Arturo Valenor. Il s’agit d’un vampire dont le mode opératoire varie peu. Avec l’assistance d’un serviteur massif au masque de cuir et d’une barmaid en tenue SM, il attire des jeunes femmes dans son antre, leur fait boire un cocktail qui contient un peu de son propre sang puis plante ses crocs dans leur cou. Petit élément insolite : Valenor enregistre tous ses méfaits et les diffuse sur Internet en temps réel, grâce à une paire de lunettes connectées, augmentant sans cesse son nombre de vues et d’abonnés. Aurions-nous là affaire à un nouveau type de vampire « influenceur », mi tiktokeur mi-instagrameur ? Toujours est-il que ce flux vidéo sanglant, cantonné jusqu’alors au dark web, tombe un jour sous les yeux de trois animateurs d’une émission consacrée aux phénomènes paranormaux, « Church of Chills ». Pour s’attirer un maximum de followers, ils décident de retransmettre ce programme vers le grand public. Or notre vampire moderne apprécie très peu cette réappropriation de son propre « show »…

Vampirodrome

Il y a bien un embryon d’idée intéressante dans ce script, celle d’un vampire qui profite d’Internet pour élargir son culte de manière exponentielle. Le principe de ce programme malsain et viral aurait pu positionner le film comme une satire des dérives des réseaux sociaux, tout en proposant une sorte de variante vampirique de Videodrome décrivant l’altération des spectateurs soumis à la diffusion des mises à mort saignantes. Mais les ambitions de Charles Band ne vont pas si loin. Lui-même semble d’ailleurs croire à peine à l’histoire qu’il raconte. Il suffit de voir le manque de crédibilité de ces trois youtubeurs du paranormal qui vivent et campent 24 heures sur 24 dans une église où ils se sont installés et se chamaillent sans cesse au fil de dialogues dénués d’intérêt. Pour faire office de remplissage, Band nous assène au passage de très larges extraits de leur émission fictive sans que l’intrigue y gagne quoi que ce soit. Le vampire lui-même, incarné par le fort peu charismatique Sean Ohlman, n’est ni effrayant ni séduisant, malgré ce que tente de nous faire croire le film. Et que dire de ces effets numériques bon marché montrant les yeux du monstre qui flottent dans le ciel ou des jets d’hémoglobine pixellisés ? Voilà donc un ajout extrêmement mineur au catalogue Full Moon, que seuls les spectateurs les plus curieux chercheront à se mettre sous la dent.

 

© Gilles Penso


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TERRIFIER 3 (2024)

Art le clown revient en grande forme, cette fois-ci sous un déguisement de Père Noël, pour transformer les fêtes de fin d’année en massacre…

TERRIFIER 3

 

2024 – USA

 

Réalisé par Damien Leone

 

Avec Lauren LaVera, David Howard Thornton, Antonella Rose, Elliot Fullam, Samantha Scaffidi, Margaret Anne Florence, Bryce Johnson, Alexa Blair

 

THEMA TUEURS I DIABLE ET DÉMONS I CLOWNS I SAGA ART LE CLOWN

Tout au long de sa filmographie, Damien Leone aura joué les couteaux suisses en prônant le système D. Qu’il s’agisse de ses variantes autour de Terrifier ou de son improbable Frankenstein vs. The Mummy, on sent bien l’amour du bricolage et du « do it yourself ». Cette capacité à occuper la plupart des postes clés de ses films offre à Leone une liberté qui lui permet de jouer effrontément les « sales gosses » en repoussant toujours plus loin les limites du mauvais goût et de l’horreur graphique. Ce cinéaste indépendant aurait pu rester dans son coin et continuer tranquillement à creuser le même sillon sans provoquer beaucoup de remous dans l’industrie du cinéma. Seulement voilà : Terrifier 2, sorti en 2022, est un succès international inespéré qui rapporte plus de soixante fois sa mise de départ. En toute logique, les grands studios qui considéraient ce trublion avec une indifférence mêlée de dédain lui font soudain les yeux doux. Mais Leone n’est pas dupe. Il sait bien que s’il signe avec une major, il peut dire adieu à son irrévérence. C’est presque par provocation qu’il semble vouloir dépasser les bornes de la bienséance dans le scénario de Terrifier 3, histoire d’effrayer tous les financiers hollywoodiens qui seraient tentés de se mêler de ses affaires. Et de fait, le film se fera dans les mêmes conditions précaires que les précédents, même si le budget a un peu grimpé.

Cette fois-ci, Leone s’en prend à Noël. Il n’est évidemment pas le premier à vouloir souiller les sacro-saintes fêtes de fin d’année. Le slasher hivernal est même devenu un sous-genre en soi, en grande partie grâce à la saga Douce nuit sanglante nuit à laquelle se réfère ouvertement Terrifier 3 à l’occasion de plusieurs séquences. Sauf que bien sûr, Leone veut aller plus loin que tout le monde et donner au massacre des proportions dantesques. Et pour bien nous faire comprendre que les esprits fragiles peuvent aller voir ailleurs, les enfants sont ici les premières victimes d’Art le clown. Choquée, la censure française affublera Terrifier 3 d’une interdiction aux moins de 18 ans. On n’avait pas vu ça dans l’hexagone depuis Saw 3 en 2006. Sauf qu’au lien d’entraver la carrière du film en salles, cette interdiction finit par attiser toutes les curiosités. Résultat : ce troisième Terrifier fait un démarrage spectaculaire, emplissant jusqu’au dernier siège des salles de cinéma survoltées où le public – majoritairement jeune – éclate de rire pour ne pas hurler de dégoût et fait au film un triomphe.

Vive le sang d’hiver

Damien Leone construit comme toujours son film autour d’une série de morceaux d’anthologie consistant à équarrir de la manière la plus spectaculaire, douloureuse, graphique et invraisemblable un maximum de victimes avec l’aide d’une nouvelle panoplie d’instruments de torture et d’armes disparates. Le gore selon Leone n’a pas la poésie macabre de Lucio Fulci, ni le caractère 100% cartoonesque de Peter Jackson, ni même la quête de réalisme anatomique de la saga Saw. Mais il emprunte un peu à toutes ces tendances pour élaborer son propre style. Dans ces moments intenses, la révulsion, l’effroi, le rire et la stupeur se répartissent équitablement, l’horreur atteignant une certaine forme d’abstraction d’autant plus déstabilisante qu’Art conserve invariablement son sens de l’humour et sa pantomime burlesque. Quelques scènes de Terrifier 3 entreront sans doute dans la légende, notamment celle de la douche qui semble vouloir renvoyer dos à dos Psychose et Massacre à la tronçonneuse. Entre ces nombreuses séquences gratinées, le film bat un peu de l’aile, le réalisateur peinant à nous attacher à ses personnages (notamment l’héroïne du film précédent, muée malgré elle en Némésis du maléfique Art) ou à développer la mythologie du clown en la rattachant au motif de la possession diabolique. On sent bien que l’intérêt de Leone est ailleurs, et que les ambitions de son long-métrage sont avant tout celles d’un spectacle de Grand-Guignol. De ce point de vue, rien à dire, Terrifier 3 remplit son contrat. Un quatrième opus est bien entendu déjà dans les starting block.

 

© Gilles Penso

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HELLBOY : THE CROOKED MAN (2024)

Passé complètement inaperçu, ce quatrième Hellboy oublie la fantasy et les grands monstres au profit d’une ambiance de « folk horror » glauque…

HELLBOY : THE CROOKED MAN

 

2024 – USA

 

Réalisé par Brian Taylor

 

Avec Jack Kesy, Jefferson White, Leah McNamara, Adeline Rudolph, Joseph Marcell, Hannah Margetson, Martin Bassindale, Carola Colombo, Nathan Cooper

 

THEMA SORCELLERIE ET MAGIE I DIABLE ET DÉMONS I ZOMBIES I ARAIGNÉES I REPTILES ET VOLATILES I SAGA HELLBOY

Si le Hellboy de Neil Marshall n’a pas soulevé beaucoup d’enthousiasme, souffrant de la comparaison avec le diptyque très apprécié de Guillermo del Toro, ce quatrième opus – sorti à peine cinq ans après le précédent et jouant une fois de plus la carte du « reboot » – est quasiment passé sous les radars. Pourtant, c’est celui que Mike Mignola, auteur de la bande dessinée originale, apprécie le plus. Notre homme ne s’est jamais privé de clamer haut et fort sa déception face aux premiers longs-métrages trahissant selon lui sa création. Ici, il met la main à la pâte, participant personnellement au scénario qui s’appuie sur la série de comics « The Crooked Man » dessinée par Richard Corben. Co-réalisateur de Hyper Tension, Ultimate Game et Ghost Rider 2, Brian Taylor hérite de la mise en scène et affirme à son tour une volonté de rupture avec les autres adaptations. « Les films de Guillermo del Toro étaient des space operas à grande échelle », dit-il. « Mais certaines des bandes dessinées que Mike réalisait à l’époque étaient très différentes. Il s’agissait plutôt d’horreur folklorique et effrayante. Un Hellboy plus jeune, errant dans les coins sombres du monde. Pour moi, l’intérêt était de revenir à cet esprit et de proposer une version de Hellboy que, selon moi, nous n’avons pas encore vue. » (1) D’où un film sombre et violent, classé R (interdit aux mineurs non accompagnés d’un adulte), et produit pour un budget beaucoup plus restreint que celui de ses prédécesseurs.

Cet Hellboy là se déroule en 1959 et démarre dans un train lancé à vive allure. Agent débutant du BDRP (Bureau for Paranormal Research and Defense, autrement dit Bureau de recherche et de défense sur le paranormal), la parapsychologue Bobbie Jo Song (Adeline Rudolph) est chargée de livrer une araignée géante aux capacités surnaturelles qu’elle a fait enfermer dans une caisse. Cette mission ayant un caractère potentiellement très dangereux, elle est escortée par Hellboy (Jack Kesy). Or à mi-parcours, le monstre s’affole et s’échappe. En partant à sa recherche, Bobbie Jo et Hellboy se retrouvent au fin fond des Appalaches, dans une petite communauté rurale où sévissent de nombreuses sorcières dirigées par un démon local qui répond au doux nom de Crooked Man, « l’homme tordu » (Martin Bassindale). Bien décidé à défaire la forêt et ses habitants de ce monstre collecteur d’âmes tourmentées, Hellboy va se retrouver confronté à son propre passé…

Fanboy

Chapitré en trois parties (« La boule de sorcière », « L’os porte-bonheur » et « L’Ouragan »), le film se distingue clairement des trois autres par son approche frontalement horrifique. L’atmosphère est anxiogène, l’humour relégué à l’arrière-plan et l’intrigue prend vite la tournure d’un cauchemar. A l’avenant, Brian Taylor concocte une série de séquences bizarres et perturbantes, comme le corps d’une femme qui se regonfle à la manière d’un ballon de baudruche pour reprendre sa forme humaine, ce cheval qui se transforme en vieil homme agonisant, ce serpent géant qui sort de sous une jupe pour entrer dans une bouche ou encore la résurrection en série de tous les cadavres enterrés dans le sol d’une église. Face à tant de diableries, Hellboy conserve son flegme brutal tandis que sa partenaire joue les Dana Scully cartésiennes, même lorsque le paranormal lui saute au visage. On ne peut s’empêcher de saluer l’audace de tels partis pris. Jack Kesy fait le job, les maquillages sont réussis, l’esprit des comic books les plus sinistres de la série est respecté. Mais honnêtement, le résultat est loin d’être concluant. Ce film froid et pesant suscite beaucoup plus d’ennui que d’intérêt et donne presque l’impression de visionner un « fan movie » réalisé certes avec passion mais sans dramaturgie, sans finesse, sans vision de mise en scène. Le risque encouru par l’équipe de cet Hellboy n’aura d’ailleurs pas été payant, si l’on considère ses bien maigres retombées financières.

 

(1) Extraits d’une interview parue dans Collider en février 2023

 

© Gilles Penso

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LA CHOSE DERRIÈRE LA PORTE (2023)

Pour faire revenir son mari tombé au front pendant la première guerre mondiale, une jeune femme désespérée se tourne vers la magie noire…

LA CHOSE DERRIÈRE LA PORTE

 

2023 – FRANCE

 

Réalisé par Fabrice Blin

 

Avec Séverine Ferrer, David Doukhan, Clémence Verniau, Philippe Lamendin, Fabien Jegoudez, Yves Lecat, Quentin Surtel

 

THEMA SORCELLERIE ET MAGIE

Voilà plusieurs années que Fabrice Blin taquine la camera. Après avoir signé une poignée de courts-métrages et un documentaire consacré au légendaire format Super 8, il s’attaque avec La Chose derrière la porte à son premier long de fiction en se réappropriant partiellement une imagerie qu’il avait déjà mise en scène dans l’un de ses courts, Mandragore. Si les écrits de H.P. Lovecraft et de ses contemporains (notamment Clark Ashton Smith) peuvent naturellement venir à l’esprit, et si les mutations organiques de David Cronenberg ne semblent pas très loin, Fabrice Blin se réclame aussi d’une littérature fantastique très hexagonale, celle de Maurice Renard et Claude Seignolle. Les influences composites qui le nourrissent auraient pu entraver le résultat final et muer La Chose derrière la porte en patchwork de clins d’œil, travers parfois imputables aux baptêmes de mise en scène. Or ce premier film possède au contraire une personnalité et une singularité indiscutables, justement parce que ses sources d’inspiration ont été digérées et régurgitées sous une forme nouvelle. Boosté par sa pulsion créatrice, motivé par l’enthousiasme de son coproducteur Jean-Marc Toussaint, épaulé par une petite équipe de tournage dévouée, Fabrice Blin plante ses caméras pendant trois semaines dans la maison de campagne de ses beaux-parents et y construit pièce par pièce son film.

Nous sommes en 1914. Alors que la Première Guerre mondiale fait rage dans les campagnes françaises, Jean (David Doukhan), le fusil à l’épaule, s’en va combattre les Allemands au grand dam de sa bien-aimée Adèle (Séverine Ferrer) qui reste seule dans sa maison au milieu de la campagne, dans l’espoir fragile de le voir rentrer sain et sauf. Mais la nouvelle tant redoutée finit par arriver : Jean a succombé dans les tranchées. Dévastée par la douleur et incapable d’accepter cette perte, Adèle sombre peu à peu dans le désespoir. Ses nuits sont hantées de cauchemars où elle voit son mari disparu, et ces visions la guident jusqu’à un mystérieux grimoire enfoui dans les ruines d’une forêt proche. Ce livre ancien, qui n’est pas sans nous rappeler bien sûr le Necronomicon, renferme des secrets occultes et des formules interdites. Au fil de sa lecture, Adèle comprend qu’elle détient peut-être le pouvoir de faire l’impensable : ramener Jean d’entre les morts. Mais peut-on impunément jouer les nécromanciens sans en payer le prix fort ?

Body Snatchers

L’un des partis pris artistiques les plus radicaux du film est l’épure de ses dialogues, qui se résument finalement à peu de choses. Et ce n’est pas plus mal, puisque nous tutoyons ici l’indicible cher à Lovecraft, l’abomination innommable à laquelle aucun mot ne saurait rendre justice. La Chose derrière la porte baigne d’ailleurs en permanence dans une atmosphère onirique qui nous laisserait presque imaginer que tout ce que s’y passe pourrait être le fruit d’un cauchemar enfiévré. Ce qui expliquerait les réactions un peu décalées du personnage incarné par Séverine Ferrer – mi sidération mi fascination – face à l’horreur sans cesse renouvelée qui se présente à sa porte. Convoquer le mythe de la mandragore entraîne forcément une imagerie de « body horror » végétale qui n’est pas sans rappeler L’Invasion des profanateurs de sépultures et toutes ses variantes, une référence une fois de plus pleinement assumée et intelligemment détournée. Malgré un budget qu’on imagine extrêmement restreint, Fabrice Blin soigne sa mise en scène avec un étonnant souci du détail. La photographie, les décors, le design sonore, la musique oppressante de Raphael Gesqua, les impressionnants maquillages spéciaux de David Scherer, rien n’est laissé au hasard, tout concourt à bâtir cette ambiance moite qui s’immisce dès les premières minutes du métrage et ne le quitte plus jusqu’à son climax déchirant. On saluera au passage la pleine implication de Séverine Ferrer et la présence imposante de David Doukhan, un rôle qui – espérons-le – lui ouvrira la porte vers d’autres personnages et d’autres univers.

 

© Gilles Penso


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SPEAK NO EVIL (2024)

Habité par son rôle de psychopathe exubérant, James McAvoy tient la vedette de ce remake américain de Ne dis rien

SPEAK NO EVIL

 

2024 – USA

 

Réalisé par James Watkins

 

Avec James McAvoy, Mackenzie Davis, Scoot McNairy, Aisling Franciosi, Alix West Lefler, Dan Hough, Kris Hitchen, Motaz Malhees, Jakob Højlev Jørgensen

 

THEMA TUEURS

L’idée d’un remake du glacial Ne dis rien de Christian Tafdrup pouvait sembler parfaitement incongrue, uniquement mue par l’appât du gain des studios hollywoodiens et les mauvaises habitudes prises par le grand public outre-Atlantique. Pourquoi risquer de distribuer sur le territoire de l’Oncle Sam un film dano-hollandais avec des acteurs inconnus alors qu’une version américaine avec un comédien populaire en tête d’affiche a de plus grandes chances d’attirer les spectateurs en masse ? Tel fut le raisonnement tristement logique du producteur Jason Blum au moment de la mise en chantier de Speak No Evil, deux ans seulement après la sortie du film original (dont la plupart des dialogues étaient pourtant échangés en langue anglaise, ce qui n’aurait pas dû représenter une barrière pour le public US). La réalisation de cette nouvelle version est confiée à James Watkins, à qui nous devons deux autres films de genre très remarqués : Eden Lake en 2008 et La Dame en noir en 2012. Ce choix est loin d’être inintéressant, dans la mesure où Tafdrup lui-même avoue s’être partiellement inspiré d’Eden Lake pour réaliser Ne dis rien. La boucle serait-elle en quelque sorte bouclée ?

Les nationalités des protagonistes ont changé mais la situation de départ reste rigoureusement identique. Pendant leurs vacances en Italie, Louise et Ben Dalton (Mackenzie Davis et Scoot McNairy), un couple d’Américains accompagné de leur fille de 12 ans Agnes (Alix West Lefler), se lient d’amitié avec Paddy et Ciara (James McAvoy et Aisling Franciosi), deux Anglais au tempérament volcanique, et avec leur fils Ant (Dan Hough), extrêmement timide et handicapé par une atrophie de la langue. De retour chez eux après les vacances, Louise et Ben reçoivent une lettre de Paddy et Ciara qui les invitent à séjourner quelques jours avec eux dans leur ferme isolée du Devon. Nos Américains biens sous tous rapports connaissant quelques problèmes de couple et leur fille souffrant d’une anxiété maladive qui la pousse à s’attacher à son lapin en peluche, ce petit séjour de détente dans la campagne semble être une bonne idée. L’accueil sur place est certes chaleureux, mais une série d’incidents et le comportement passif-agressif des hôtes gâchent un peu l’ambiance…

Surenchère

On le voit, Speak No Evil joue dans un premier temps la carte de la fidélité extrême à son modèle, qu’il reproduit presque plan par plan, réplique par réplique. Le montage ajoute certes des petites choses ici et là, accentuant surtout le caractère fantasque de Paddy, mais nous restons en terrain très connu. Ce que le remake cherche à apporter par rapport au film original, c’est d’abord une certaine légèreté de ton (l’humour noir y est frontalement assumé), quitte à forcer un peu le trait. Le scénario tient aussi à expliciter les incidents survenus dans le passé des protagonistes pour leur donner un peu de chair. L’intention est louable, même si nous aurions tendance à préférer les non-dits de Ne dis rien qui jouait habilement sur la suggestion. Speak No Evil s’éloigne surtout de son modèle au moment du dernier acte, différant la révélation finale pour distiller les informations plus en amont. L’objectif est manifestement de renforcer le suspense de la situation. Mais le final vire brusquement à la caricature, oubliant toute demi-mesure, surexpliquant tout, convoquant les fusillades, la pyrotechnie et les cascades, transformant McAvoy en émule hurlant et gesticulant du Jack Nicholson de Shining, bref caressant dans le sens du poil un public américain décidément jugé infantile. Le film reste très efficace, jouant habilement avec les nerfs des spectateurs, mais l’audace nihiliste de Ne dis rien cède ici le pas à une sorte de Vaudeville grandguignolesque qui tourne presque à la parodie et amenuise du même coup l’impact de l’œuvre originale – laquelle tournait justement le dos aux canons hollywoodiens.

 

© Gilles Penso


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MEGALOPOLIS (2024)

Le film le plus fou de Francis Ford Coppola réunit un casting hétéroclite dans une Amérique alternative aux allures de Rome antique…

MEGALOPOLIS

 

2024 – USA

 

Réalisé par Francis Ford Coppola

 

Avec Adam Driver, Giancarlo Esposito, Nathalie Emmanuel, Aubrey Plaza, Shia LaBeouf, Jon Voight, Laurence Fishburne, James Remar, Talia Shire, Dustin Hoffman

 

THEMA POLITIQUE FICTION

Francis Ford Coppola aurait pu abandonner des dizaines de fois, décréter qu’il y eut plus d’un signe l’intimant à passer à autre chose, se concentrer sur des projets plus sûrs et plus rémunérateurs. Mais Megalopolis s’est mué en obsession. Coûte que coûte, il fallait que ce film se concrétise. La première version du scénario date du début des années 1980. Après le spectaculaire échec au box-office de Coup de cœur, qu’il avait financé de sa poche, Coppola doit d’abord éponger ses dettes. Ce n’est qu’en 2001 que Megalopolis redémarre. Cette fois-ci, ce sont les attentats du 11 septembre qui stoppent tout. Quand le cinéaste relance les hostilités en 2019, il se heurte cette fois-ci à la pandémie du Covid-19. Coppola n’étant pas du genre à baisser les bras, il laisse passer la crise et puise dans ses deniers personnels les 120 millions de dollars exigés par le budget. La démarche pourrait sembler presque suicidaire, étant donné le caractère résolument non-commercial de l’œuvre. Mais quand on se lance dans un film comme Megalopolis, la pulsion créatrice l’emporte sur la logique du tiroir-caisse. Coppola est mû par un désir ardent : établir un parallèle entre la chute de Rome et l’avenir des États-Unis, en transposant dans un monde parallèle contemporain les événements de la conspiration des Catilinaires survenus en 63 avant J.C.

Dans New Rome, version alternative de New York, l’architecte César Catilina (Adam Driver) s’oppose à Franklyn Cicero (Giancarlo Esposito), le maire archi-conservateur de la ville. Inventeur visionnaire, César a développé le Megalon, un matériau bio-adaptatif révolutionnaire qu’il est convaincu de pouvoir utiliser pour changer le monde. Son rêve est désormais de bâtir Megalopolis, une cité utopique futuriste.  Or Cicero trouve ces idées fantasques et dangereuses. Il lance donc une campagne de diffamation contre César, l’accusant d’être responsable de la mort mystérieuse de sa femme. C’est le moment que choisit Wow Platinum (Aubrey Plaza), animatrice télé arriviste et maîtresse de César, pour séduire puis épouser le banquier millionnaire Hamilton Crassus III (Jon Voight). Entretemps, Julia (Nathalie Emmanuel), la fille du maire, engagée au départ pour espionner César, finit par tomber sous son charme et découvre qu’il a le pouvoir de stopper le temps. Elle sera une alliée de poids pour concrétiser le projet de Megalopolis, malgré les manigances du vil Clodio Pulcher (Shia LaBeouf), le cousin jaloux de César…

Boulimie créative

La science-fiction est donc ici convoquée pour aborder sous un angle allégorique les travers de notre société, sans pour autant que Coppola joue le jeu trop frontal de la satire politique. Redoublant d’idées de mise en scène, submergé par une boulimie créative qui n’est pas sans rappeler certaines fulgurances de Coup de cœur ou de Dracula, le père du Parrain et d’Apocalypse Now gorge son écran de trouvailles poétiques et symboliques, osant marier le cinéma du 21ème siècle transfiguré par les effets numériques avec celui des pionniers du cinéma muet. Mégalopolis évoque d’ailleurs beaucoup Metropolis, la forte similitude entre les titres des deux films n’étant probablement pas fortuite. Le surréalisme surgit partout, de ces immenses statues antiques qui s’effondrent mollement dans les rues à cette main qui surgit des nuages pour attraper la pleine Lune, en passant par les ombres immenses qui s’agitent sur les façades des bâtiments ou le bureau du maire qui s’enfonce dans le sable comme un navire qui sombre… Le temps étant l’un des motifs récurrents du film – César le décrit comme une sorte de ruban qui nous entoure en reliant le passé et le futur -, le cinéaste semble vouloir boucler la boucle en se référant à son tout premier long-métrage, Dementia 13, le temps d’une image macabre sous-marine. Ce retour en arrière positionnerait-il Megalopolis comme une œuvre-testament ? Il s’agit en tout cas d’un film-somme, d’un rêve de longue date enfin sorti des limbes, envers et contre tous. Et si les critiques se jetèrent sur sa carcasse comme des loups affamés lors de sa présentation au Festival de Cannes, gageons qu’il sera réévalué et fera même date dans l’histoire du cinéma. Combien de fois dans une vie assiste-t-on à un tel spectacle sur grand écran ?

 

© Gilles Penso

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L’APPARTEMENT 7A (2024)

Que s’est-il passé avant les événements racontés par Roman Polanski dans Rosemary’s Baby ? Voici la réponse…

APARTMENT 7A

 

2024 – USA

 

Réalisé par Natalie Erika James

 

Avec Julia Garner, Dianne West, Kevin McNally, Jim Sturgess, Marli Siu, Rosy McEwen, Andrew Buchan, Anton Blake Horowitz, Raphael Sowole, Tina Gray

 

THEMA DIABLE ET DÉMONS

S’attaquer à un classique aussi « sacré » que Rosemary’s Baby était un redoutable challenge. Bien conscients du risque, les producteurs John Krasinski et Michael Bay, via leurs compagnies respectives Sunday Night Productions et Platinum Dunes, décident de s’appuyer sur la sensibilité de la réalisatrice Natalie Erika James, signataire d’un très efficace Relic en 2020. Pour éviter toute comparaison avec l’œuvre originale – et peut-être aussi pour se défaire du nom de Roman Polanski devenu embarrassant -, cette prequel opte pour un titre énigmatique qui ne parlera qu’aux connaisseurs et cherche à prendre ses distances. « L’une de nos principales considérations était de s’assurer qu’il y ait une séparation et que les créateurs du film original ne soient pas impliqués dans celui-ci », confirme Natalie Erika James. « Nous avons donc essayé de faire référence au livre d’Ira Levin autant que possible et de l’utiliser comme source principale. Mais en même temps, Rosemary’s Baby est tellement emblématique que la comparaison est en quelque sorte inévitable. » (1) Pas de « fan service » ni de guest-star échappée du premier film, donc, dans cet Appartement 7A qui s’attache à raconter le parcours de Terry Ginoffrio, une jeune femme ayant habité l’immeuble Bramford avant Rosemary et son époux. Chez Polanski, ce personnage apparaissait brièvement sous les traits de l’actrice Victoria Vetri. Ici, il prend le visage de Julia Garner.

Nous sommes dans le New York de 1965. Après une mauvaise chute au beau milieu d’un spectacle qui l’a laissée blessée à la jambe, Terry court les auditions sans succès, accumule les factures et carbure à l’anti-douleur. Elle qui rêvait d’une carrière de star à Broadway, la voilà affublée d’une humiliante réputation, celle de « la fille qui est tombée ». Un jour, alors qu’elle est prise d’un malaise dans la rue, la jeune danseuse est recueillie par un couple de gens âgés, Minnie et Roman Castevet (Dianne Wiest et Kevin McNally). Ces derniers possèdent un appartement inoccupé dans le prestigieux immeuble Bramford et lui proposent de l’héberger gratuitement. Mieux : ils connaissent personnellement le très influent producteur Alan Marchand (Jim Sturgess), qui vit dans le même immeuble, et lui glissent deux mots pour que Terry rejoigne la troupe de son prochain spectacle. Tous les rêves de la jeune femme semblent donc sur le point de se réaliser. Mais ce cadeau est bien sûr empoisonné et l’ombre de Faust plane bientôt sur ces revirements de situation trop beaux pour ne pas cacher quelque chose de diabolique…

Les diaboliques

La mise en scène au cordeau de Natalie Erika James et l’interprétation impeccable de sa petite troupe d’acteurs emportent l’adhésion dès les premières minutes. Difficile de ne pas entrer en empathie avec cette danseuse sur qui le destin semble d’abord vouloir s’acharner. Absent de l’intrigue pendant une bonne demi-heure, le surnaturel ne surgit que par petites touches oniriques. Les choses basculent au cours d’un cauchemar que la réalisatrice a l’excellente idée de muer en show musical déviant. Mais le public des années 2020 étant sans doute plus impatient et moins curieux que celui des sixties, L’Appartement 7A finit par sacrifier à quelques effets un peu surlignés (justifiés par les hallucinations et les rêves tourmentés de la protagoniste). Tout ne se joue donc pas entre les lignes. Ici, le diable et son rejeton jouent à cache-cache avec les spectateurs au lieu de rester logés dans son imagination comme chez Polanski. Ainsi, peu à peu, le film qui partait si bien tombe dans les travers qu’il semblait vouloir éviter, oublie l’épure et ne laisse plus de place au doute… Fort heureusement, Natalie Erika James parvient à redresser la barre au cours d’un climax glaçant qui nous renvoie cette fois-ci frontalement – et ouvertement – non seulement à Rosemary’s Baby mais aussi au Locataire. Après avoir été présenté en avant-première au Fantastic Fest en 2024, L’Appartement 7A a débarqué directement sur la plateforme de streaming de Paramount + et en VOD. C’est dommage. Une sortie en salles n’aurait pas été de refus.

 

(1) Extrait d’une interview paru dans Hollywood Reporter en septembre 2024

 

© Gilles Penso

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SUBSERVIENCE (2024)

Megan Fox incarne un robot docile qui fait le ménage, prépare des petits plats, s’occupe des enfants… et prend d’inquiétantes initiatives !

SUBSERVIENCE

 

2024 – USA

 

Réalisé par S.K. Dale

 

Avec Megan Fox, Michele Morrone, Madeline Zima, Matilada Firth, Jude Greenstein, Andrew Whipp, Atanas Srebrev, Manal El-Feitury, Antoni Davidov, JR Esposito

 

THEMA ROBOTS

Sex-symbol des années 2010, Megan Fox fit tourner la tête du public adolescent dans Transformers, Jennifer’s Body ou encore Jonah Hex, puis multiplia les apparitions sur les grands et les petits écrans tout en exposant régulièrement son impeccable silhouette dans les pages glacées de divers magazines de charme. En approchant de la quarantaine, la comédienne tient à varier les plaisirs. Si sa plastique reste irréprochable, ses rôles se veulent plus complexes. D’où sa prestation dans le thriller oppressant Till Death dirigé par S.K. Dale en 2021. Heureuse de cette expérience, elle renoue avec le cinéaste à l’occasion de Subservience dans laquelle Dale lui demande d’incarner un robot faussement docile (le titre pourrait se traduire par « soumission » ou « asservissement »). « Je connaissais plusieurs des points forts de Megan grâce à notre expérience passée, et j’ai pensé à ce qu’elle pouvait apporter au film », raconte le réalisateur « Dès le début, elle a proposé de faire bouger son personnage comme une ballerine, avec des gestes lents et précis. L’idée était excellente, et nous avons essayé de trouver le juste équilibre entre une prestation robotique inhumaine et l’expression d’un certain nombre d’émotions discrètes dans les scènes intimes. » (1) De fait, l’efficacité de Subservience repose beaucoup sur le travail de la comédienne, impeccable dans la peau de cet androïde trop parfait pour ne pas être suspect.

Le film se déroule dans un futur très proche où les robots côtoient de près les êtres humains. Mais nous ne sommes ni dans I, Robot, ni dans Alita : Battle Angel. Le monde décrit dans le film est donc ultraréaliste, très proche de ce que nous connaissons déjà. Les machines équipées d’une intelligence artificielle imitent à la perfection leurs créateurs et les secondent dans diverses tâches manuelles, occupant les chantiers de construction, les hôpitaux ou les jardins d’enfants. Le jour où son épouse (Madeline Zima) est victime d’une crise cardiaque qui la cloue sur un lit d’hôpital dans l’attente d’une greffe du cœur, Nick (Michele Morrone), contremaître dans le bâtiment et père de deux enfants, fait l’acquisition d’un robot humanoïde (Megan Fox) pour l’aider dans ses tâches domestiques. Modèle dernier cri de chez Kobol Industries, cette assistante est baptisée Alice par la fille de Nick et se montre particulièrement efficace. « Mon seul désir est de répondre à vos besoins » dit-elle à son propriétaire. Mais que veut-elle vraiment dire par là ? N’est-elle pas en train de développer des sentiments troubles, des initiatives imprévues et des projets funestes ?

Une nounou d’enfer

Subservience emprunte à priori des sentiers déjà balisés en détournant des motifs traités dans des œuvres aussi disparates que Megan, La Main sur le berceau ou même l’obscur Maid Droid. Si le film de Dale tire son épingle du jeu, c’est parce qu’il s’efforce d’aborder son sujet de la manière la plus crédible possible, inscrivant son intrigue dans un contexte social tangible, abordant frontalement la problématique de la main d’œuvre menacée d’être remplacée par des robots pour gagner en rentabilité. « C’est notre monde, maintenant », dit ainsi le patron de Nick qui s’apprête à licencier tous ses ouvriers au profit d’automates plus performants. Si Megan Fox crève l’écran dans son rôle de Mary Poppins au sourire éclatant, Michele Morrone livre à ses côtés une prestation naturaliste qui renforce beaucoup l’impact du film et ses nombreux moments de tension. Lorsqu’il s’éloigne du cadre intime et familial pour offrir aux spectateurs un climax explosif, Subservience finit par céder aux lieux communs hérités de Terminator, Hardware ou même Jeu d’enfant. Ce n’est certes pas la partie la plus subtile du film, mais elle ouvre une porte inquiétante sur les dérives à plus grande échelle d’une robotisation massive devenue incontrôlable. Ce sujet est d’autant plus d’actualité qu’au moment de la post-production de Subservience, Hollywood fut soudain frappé par une grève sans précédent des scénaristes et des acteurs, inquiets de voir l’intelligence artificielle risquer de menacer leurs emplois. La réalité s’apprêterait-elle à dépasser la (science)fiction ?

 

(1) Extrait d’une interview publiée dans Screen Rant en septembre 2024.

 

© Gilles Penso

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BLINK TWICE (2024)

Deux serveuses sont invitées par un milliardaire sur une île privée pour un séjour beaucoup moins paradisiaque qu’il n’en a l’air…

BLINK TWICE

 

2024 – USA

 

Réalisé par Zoë Kravitz

 

Avec Naomi Ackie, Channing Tatum, Alia Shawkat, Christian Slater, Simon Rex, Adria Arjona, Haley Joel Osment, Liz Caribel, Geena Davis, Kyle McLachlan

 

THEMA TUEURS

Blink Twice marque les premiers pas derrière la caméra de Zoë Kravitz, qui est parvenu à se faire un nom indépendamment de son père grâce à ses activités d’actrice. On l’a aperçue dans des films tels que Mad Max Fury Road, Les Animaux fantastiques ou encore The Batman (où elle incarnait Catwoman face à Robert Pattinson). C’est en 2017 que l’apprentie réalisatrice commence à écrire ce film, qui porte d’abord comme titre Pussy Island (« l’île des chattes »). Mais face aux réactions extrêmement négatives de la puissante Motion Picture Association of America et de ceux à qui elle soumet l’idée (principalement des femmes, à sa grande surprise), elle opte finalement pour le plus sage et énigmatique Blink Twice (autrement dit « clignez deux fois des yeux »). Pour autant, le film entend bien conserver la dureté de son propos, camouflée sous une apparence faussement festive et détendue. MGM décide alors d’afficher un message d’avertissement dans toutes les salles de cinéma qui projettent le film aux Etats-Unis et au Royaume Uni : « Blink Twice est un thriller psychologique sur l’abus de pouvoir. Bien qu’il s’agisse d’une œuvre de fiction, ce film contient des thèmes matures et des représentations de la violence, y compris de la violence sexuelle ». Nous voilà prévenus.

En tête d’affiche, Naomi Ackie incarne Frida, qui gagne sa vie comme serveuse dans les soirées de cocktail et se passionne pour le « nail art », avec une prédilection pour les ongles ornés de motifs en formes d’animaux. Un soir, alors qu’elle sert les boissons lors d’un événement très select, elle semble taper dans l’œil du milliardaire Slater King (Channing Tatum), un magnat de la technologie qui lui propose de se joindre à lui et à un groupe d’amis sur l’île privée dont il a fait l’acquisition. Frida emmène avec elle sa collègue Jess (Alia Shawkat) et découvre un lieu paradisiaque. Les chambres sont somptueuses, les repas succulents, l’alcool coule à flot et tous les convives participent avec un enthousiasme communicatif à ces vacances raffinées et luxueuses. Mais petit à petit, le doute commence à s’immiscer. Toute cette euphorie béate n’est-elle pas un peu excessive ? Cette île digne du jardin d’Eden ne cacherait-elle pas un terrible secret ?

L’île mystérieuse

Au-delà de ses rôles principaux, Zoë Kravitz réunit en arrière-plan une impressionnante galerie d’acteurs populaires, de Christian Slater à Haley Joel Osment en passant par Kyle McLachlan et Geena Davis. La sollicitation de ces anciennes stars ne vise pas seulement à accumuler les noms connus mais contribue surtout à l’atmosphère singulière du film, à la fois réconfortante (ces visages familiers ont quelque chose de rassurant) et décalée (leur présence collégiale nous semble insolite). Or la réalisatrice cherche justement l’effet de rupture, opposant un cadre idyllique et un malaise croissant, cherchant même par moments à tutoyer le cinéma de David Lynch (en particulier à travers cette femme de ménage indienne au comportement incompréhensible). Les pièces du puzzle mettent du temps à s’assembler, tandis que la tonalité du film glisse progressivement de la légèreté insouciante vers l’inquiétude sourde puis la peur panique. Kravitz démontre là un indiscutable savoir-faire, gérant avec virtuosité l’étrangeté et le suspense jusqu’à la terrible révélation. Channing Tatum porte une grande partie de l’impact de Blink Twice sur ses épaules, révélant ici un charisme que peu de ses rôles précédents laissaient affleurer. On pourra regretter la facilité d’un épilogue qui, sous prétexte de cultiver une situation ironique, oublie toute crédibilité. Mais à cette réserve près, voilà un galop d’essai très concluant.

 

© Gilles Penso


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