S.O.S. FANTÔMES : LA MENACE DE GLACE (2024)

Les héros de S.O.S. fantômes : l’héritage se joignent au casting du premier film de la franchise pour affronter une nouvelle entité démoniaque…

GHOSTBUSTERS : FROZEN EMPIRE

 

2024 – USA

 

Réalisé par Gil Kenan

 

Avec Paul Rudd, Carrie Coon, Finn Wolfhard, McKenna Grace, Kumail Nanjiani, Patton Oswalt, Celeste O’Connor, Dan Aykroyd, Bill Murray, Ernie Hudson

 

THEMA FANTÔMES I SAGA S.O.S. FANTÔMES

Après la tentative ratée de redémarrage de la franchise Ghostbusters en 2016, sous la direction de Paul Feig, les chasseurs de fantômes imaginés par Ivan Reitman et Dan Aykroyd eurent droit à une seconde chance couronnée de succès avec S.O.S. fantômes : l’héritage en 2021. Le studio Columbia n’allait évidemment pas en rester là. Un nouvel opus est donc annoncé dès l’année suivante sous le titre provisoire de Ghostbusters : Firehouse (en référence à la caserne de pompiers newyorkaise qui sert de Q.G. aux casseurs de fantômes). Le réalisateur envisagé est toujours Jason Reitman, qui cède finalement sa place à Gil Kenan (Monster House, le Poltergeist de 2015) tout en restant attaché au film en tant que scénariste et producteur. Rebaptisé officiellement Ghostbusters : the Frozen Empire, le cinquième long-métrage de la franchise marque plusieurs anniversaires : les 40 ans de la sortie du premier Ghostbusters, les dix ans de la disparition d’Harold Ramis et le siècle d’existence de Columbia Pictures. Sans compter le décès tout récent d’Ivan Reitman. Pour se montrer à la hauteur d’un tel patrimoine, le film de Kenan s’efforce de trouver le juste équilibre entre l’univers des deux premiers épisodes de la saga (le retour d’une grande partie du casting des années 80, la relocalisation de l’action à New York) et celui bâti dans S.O.S. fantômes : l’héritage.

C’était à craindre : à trop vouloir remplir son cahier des charges en cochant sagement toutes ses cases, ce Ghostbusters part dans tous les sens et joue la carte de l’accumulation, calculant savamment chacun de ses traits d’humour au lieu de se laisser aller à la moindre spontanéité, donnant finalement au spectateur exactement ce qu’il attend sans lui offrir la moindre surprise voire un quelconque grain de folie digne de ce nom. L’embarras nous saisit d’emblée, face à ce scénario flottant qui n’en finit plus de mettre en place les éléments de son intrigue : les dégâts causés par les Ghostbusters dans la ville de New York occasionnant de sévères remontrances de la municipalité, l’amitié naissante entre Phoebe (McKenna Grace) et une triste fantômette, la découverte d’un ancien orbe qui semble abriter une force redoutable, la création d’une unité de recherche parapsychologique équipée d’un matériel high-tech, la révélation des pouvoirs pyrokinétiques d’un simple commerçant de quartier… Toutes ces péripéties s’imbriquent laborieusement les unes aux autres, et si le film s’émaille de quelques séquences fantastiques amusantes (notamment les élucubrations d’une entité qui possède les objets et se réfugie dans la statue d’un lion), il faut attendre les vingt dernières minutes pour que les choses démarrent vraiment !

Pas assez givré, malgré son titre…

Entre son interminable entrée en matière et son climax bâclé, il ne se passe rien de bien palpitant dans ce S.O.S. fantômes à peu près aussi anecdotique qu’un épisode de la série animée The Real Ghostbusters qui aurait été rallongé artificiellement pour pouvoir durer 100 minutes. C’est d’autant plus dommage que certains passages (comme le surgissement du tsunami glacé sur la plage, élément clé de la bande annonce qui semble puiser son inspiration dans Les Dents de la mer et Abyss) ne mènent nulle part et sont expédiés à la va-vite. Indécis quant à la tonalité à adopter, empêtré dans des clins d’œil hors-sujet (« Retourne à Narnia ! », « Il nous faut un plus gros piège »), S.O.S. fantômes : la menace de glace ressemble finalement à son poster : surchargé, peu digeste et noyé dans la masse de ses propres contradictions. Rien ne le distingue finalement d’un film Marvel lambda qui aurait oublié toute ambition artistique au profit d’une avalanche de « fan service » destinée à procurer au public un plaisir immédiat et temporaire. Voilà en tout cas une belle occasion de revoir sensiblement à la hausse le S.O.S. fantômes 2 que Reitman réalisa en 1989 et qui, à l’époque, s’était révélé décevant.

 

© Gilles Penso


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CIVIL WAR (2024)

Le réalisateur d’Ex Machina plonge le peuple américain dans une violente guerre civile dont le réalisme fait froid dans le dos…

CIVIL WAR

 

2024 – USA

 

Réalisé par Alex Garland

 

Avec Nick Offerman, Kirsten Dunst, Wagner Moura, Jefferson White, Nelson Lee, Evan Lai, Cailee Spaeny, Stephen McKinley Henderson, Vince Pisani

 

THEMA POLITIQUE FICTION

Jusqu’à il y a peu, les moteurs de recherche proposaient comme résultat pour le film Civil War le populaire épisode du MCU où les iconiques Avengers se divisaient entre les partisans de Captain America, qui privilégiaient l’indépendance, et ceux qui soutenaient le choix d’Iron Man de se ranger du côté du gouvernement. Le quatrième film d’Alex Garland est venu changer la donne depuis son avant-première mondiale au SXSW Festival d’Austin en mars 2024. En effet, malgré une classification R (Restricted) par la MPA, la jauge de popularité penche désormais en sa faveur avec un week-end de démarrage fulgurant qui le classe en tête du box-office américain. Situé dans un futur proche dont il est difficile de se distancier dans l’état du monde actuel, cette dystopie au rythme haletant, glaçante de bout en bout, est paradoxalement aussi un hymne à la vie qui célèbre et questionne l’éthique journalistique et les grands reporters de guerre. Sans préambule, le film nous projette en plein chaos sur le continent américain où la fiction extrapole les peurs du moment, dans l’attente de la soixantième élection présidentielle qui divise dramatiquement le pays de la liberté d’expression. Ici le non-respect de la Constitution a viré au cauchemar lorsque le président en place (Nick Offerman), après avoir aboli le FBI, a violé la loi en se représentant pour un troisième mandat. C’est alors qu’un couple de journalistes aguerris, Lee Smith (Kirsten Dunst) et Joel McCullin (Wagner Moura), décide de braver émeutes et dangers pour couvrir le conflit et éventuellement obtenir une interview. Avec réticence, ils embarquent avec eux un vétéran journaliste ,Sammy (Stephen Henderson, interprète de Thufir Hawat dans Dune), et Jessie (Cailee Spaeny), une jeune admiratrice de Lee.

Le quatuor multigénérationnel prend donc la route de New York à Washington D.C., dans un contexte où chacun semble armé jusqu’aux dents et prêt à tirer à vue sur quiconque se présente à lui. Ce n’est donc pas une menace extérieure ni étrangère qui ravage le mainland des Etats-Unis disloqués mais, comme le titre du film l’indique, une guerre civile qui fait écho de façon par trop réaliste au choc civilisationnel qu’a été dans la réalité l’assaut du Capitole le 6 janvier 2021, lorsque le président sortant a encouragé ses supporters (à l’appel de « Save America ») à contester par tous les moyens les résultats de l’élection américaine de 2020. Pour autant, si les oppositions idéologiques et les violentes émeutes de l’actualité sont de toute évidence une source d’inspiration concernant le contexte fictionnel du film, le propos d’Alex Garland n’est pas tant de dresser un tableau anxiogène qui exacerbe la montée des extrêmes en confrontant les USA à ses propres démons. Le film se positionne avant tout pour défendre avec force ce qui reste le garant d’une saine démocratie : le droit à l’information fiable et objective d’une presse libre et indépendante. Si les portraits d’un président autocratique et d’états qui font sécession nous ramènent à l’inquiétude face à la politique contemporaine, le réalisateur britannique brouille les pistes pour éviter le piège du manichéisme qui ne ferait que renforcer les divisions déchirant les états du nord au sud et d’est en ouest. Il imagine donc pour sa fiction une seconde guerre civile, comme l’avait fait Joe Dante avant lui sur le ton de la comédie, mais qui ici fait rage. Surtout, il oppose d’un côté les forces rebelles de l’Ouest qui rallient la Californie et le Texas, rejointes par la Floride et soutenues par l’armée officielle, et de l’autre les milices gouvernementales du pouvoir fédéral. Dans ce marasme où tout le monde se ressemble et où chacun peine à identifier qui est un ennemi ou un allié (ce qui rajoute à l’absurdité de la situation) règne la loi de la jungle avec pour seul mot d’ordre : « Quelqu’un veut nous tuer, on le tue ».

God Bless America !

Cette atmosphère apocalyptique et primaire renvoie également d’une façon non anodine à celle des jeux de survie en équipe en ligne (Garland a également participé à l’écriture du scénario de « Enslaved : Journey to the West » sorti sur Playstation 3 et Xbox 360 en 2010) Et on peut voir plus qu’une coïncidence du calendrier dans le fait que d’autres films comme Knit’s Island ou The Sweet East traitent en même temps de l’inquiétude face au possible déclin d’une civilisation que l’on pensait garante des valeurs de liberté, et du système démocratique que l’on croyait le plus à même de la protéger. Kirsten Dunst, que la maternité et la vie familiale avaient provisoirement écartée des écrans, fait ici un retour triomphal dans ce rôle de reporter de guerre rappelant les grandes figures historiques du photojournalisme, à commencer par ses illustres pionnières comme Gerda Taro et Lee Miller à qui la protagoniste principale emprunte son prénom, tandis que le personnage de Joel s’inspire de Don McCullin. La démesure triomphe dans un final à la Scarface de Brian de Palma, dont le scénario était signé par Oliver Stone. Il n’est donc pas si étrange que le réalisme exalté et romanesque du film évoque Salvador (1986), l’un des meilleurs films du réalisateur de Platoon, et qu’une filiation transparaisse entre ces fictions qui lorgnent vers le documentaire politique. Si Civil War effraie par son déferlement de violence et n’est donc pas destiné à tous les publics, il devrait agir sur les consciences en tant que mise en garde de cette possible escalade des violences dont nous ne connaissons que trop bien les conséquences.

 

© Quélou


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VAMPIRE HUMANISTE CHERCHE SUICIDAIRE CONSENTANT (2023)

Une jeune fille issue d’une famille de suceurs de sang refuse de tuer les humains pour se nourrir jusqu’à une rencontre inattendue…

VAMPIRE HUMANISTE CHERCHE SUICIDAIRE CONSENTANT

 

2023 – CANADA

 

Réalisé par Ariane Louis-Seize

 

Avec Sara Montpetit, Félix-Antoine Bénard, Steve Laplante, Sophie Cadieux, Noémie O’Farrell, Marie Brassard, Gabriel-Antoine Roy, Madeleine Péloquin

 

THEMA VAMPIRES

C’est du Québec que nous vient Vampire humaniste cherche suicidaire consentant, premier long-métrage que sa réalisatrice Ariane Louis-Seize co-écrit avec Christine Doyon et qu’elle tourne à Montréal pendant un mois (dont deux semaines en pleine nuit) au cours de l’automne 2022. Issue de l’Institut National de l’image et du son, comme la grande majorité des membres de son équipe technique, Louis-Seize fait ses premières armes sur une série de courts-métrages avant d’effectuer le grand saut. Si les deux personnages centraux du film, incarnés tout en subtilité et en retenue par Sara Montpetit et Félix-Antoine Bénard, pourraient parfaitement s’échapper d’une œuvre de Tim Burton (la fille ténébreuse et blafarde aux longs cheveux noirs et le marginal rachitique aux grands yeux écarquillés), la cinéaste ne cède jamais aux attraits du gothisme d’Épinal. Son scénario s’ancre dans un cadre certes atemporel mais ouvertement contemporain ou du moins réaliste, que le directeur de la photographie Shawn Pavlin nimbe d’une touche légèrement expressionniste. Les jeux d’ombres se glissent donc volontiers entre les lignes de cette étrange romance vampirique.

Nous découvrons d’abord Sasha, une petite fille adorable mais dont les parents sont inquiets. En effet, ses canines n’ont pas encore poussé et elle ne montre pas le moindre instinct sanguinaire. Voilà qui est fâcheux quand on appartient à une famille de vampires ! Le constat que fait leur médecin n’a rien de rassurant : « C’est la compassion de votre fille qui est stimulée quand elle voit des gens mourir, pas sa faim. » Devenue adolescente, Sasha continue de se nourrir à la paille en puisant dans les stocks de poches de sang conservés dans le frigo. Il faudra pourtant bien un jour qu’elle accepte de partir chasser, comme les siens, et qu’elle tue pour pouvoir subvenir à ses besoins. C’est alors qu’elle rencontre Paul, un lycéen aux idées noires maltraité par ses camarades. « J’aime pas la vie et ça me ferait plaisir de la donner pour une bonne cause si jamais l’occasion se présentait », dit-il au milieu d’une réunion des « dépressifs anonymes ». Le titre à rallonge du film trouve alors tout son sens : la buveuse de sang allergique au meurtre et le jeune homme déçu par l’existence vont-ils pouvoir s’accorder ?

Le sang des innocents

La tonalité de Vampire humaniste cherche suicidaire consentant évolue en même temps que les états d’âme de Sasha. La loufoquerie des premières séquences cède ainsi progressivement le pas à une atmosphère de comédie dramatique douce-amère où le vampirisme sert de prétexte à la description sans fard du mal-être des adolescents en quête d’une raison d’être, d’une identité et d’une place dans un monde dont ils se sentent étrangers. Ce n’est donc pas à un pastiche de film d’horreur que nous avons affaire – ce qu’aurait pu laisser imaginer son prologue – mais plutôt à un récit initiatique dont le caractère surnaturel totalement assumé permet de grossir le trait. Sous l’influence d’œuvres telles que Les Prédateurs de Ridley Scott ou Only Lovers Left Alive de Jim Jarmush (dont elle ne cherche jamais pour autant à imiter le style), Ariane Louis-Seize trouve à travers la figure du vampire le moyen idéal de cerner la solitude, l’incommunicabilité et la pulsion de mort propres à cette période à la fois fascinante et terrifiante qu’est la sortie de l’enfance et le passage à l’âge adulte. Les premiers émois amoureux s’invitent aussi dans ce film qui sait rester léger malgré tout et qui remporta à travers le monde un nombre conséquent de récompenses au gré de ses passages en festivals.

 

© Gilles Penso


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LA DEMOISELLE ET LE DRAGON (2024)

Millie Bobby Brown incarne une princesse « badass » dans ce survival nerveux déguisé en conte de fées…

DAMSEL

 

2024 – USA

 

Réalisé par Juan Carlos Fresnadillo

 

Avec Millie Bobby Brown, Ray Winstone, Angela Bassett, Brooke Carter, Nick Robinson, Robin Wright, Milo Twomey, Nicole Joseph, Patrice Naiambana

 

THEMA DRAGONS

En 2020, Millie Bobby Brown est devenue la nouvelle coqueluche des ados. Après trois saisons de Stranger Things et le succès d’Enola Holmes, la jeune actrice est l’une des valeurs montantes les plus importantes de la plateforme Netflix, qui souhaite continuer à capitaliser sur sa popularité. Alors que se tourne la quatrième saison de Netflix se prépare donc le projet La Demoiselle et le dragon, un ambitieux « anti-conte de fées » dont le budget est estimé entre 60 et 70 millions de dollars. Alors que Bobby Brown, qui approche alors des 20 ans, est nommée non seulement actrice principale mais aussi productrice exécutive du film, le scénario est l’œuvre de Dan Mazeau (La Colère des Titans, Fast & Furious X) et la mise en scène est confiée à Juan Carlos Fresnadillo (Intacto, 28 semaines plus tard). L’association de ce scénariste aux faits d’arme très anecdotiques et de ce réalisateur talentueux nous laissait très interrogatifs quant à la qualité du résultat final. Que fallait-il attendre de La Demoiselle et le dragon ? Le titre original, Damsel, évoque les jeunes femmes secourues par les héros des chansons de geste médiévales. Mais la voix off qui se prononce dès l’entame du film nous met en garde contre les apparences : « Dans bien des récits chevaleresques, un valeureux chevalier sauve une demoiselle en détresse », nous dit-elle. « Cette histoire est différente. »

Pour enfoncer le clou, la jeune Elodie campée par Millie Bobby Brown nous est présentée d’emblée comme une fille forte et indépendante, coupant vigoureusement du bois pour aider à chauffer le peuple appauvri sur lequel règne son père Lord Bayford (Ray Winstone), tenant gentiment tête à sa belle-mère Lady Bayford (Angela Bassett) et veillant comme une seconde mère sur sa sœur cadette Floria (Brooke Carter). Si elle accepte de se plier aux conventions d’un mariage arrangé, c’est pour venir en aide à son pays en y apportant des richesses secourables. En épousant le prince Henry d’Aurea (Nick Robinson), fils de la reine Isabelle (Robin Wright), elle permettra ainsi aux siens de redresser leur situation en profitant d’une dot conséquente. Au départ résignée, Elodie finit par se trouver des affinités avec son prétendant. Mais cette union cache un terrible secret, tapi au fin fond d’un gouffre où se terre un redoutable dragon…

Le gouffre aux chimères

Le concept n’est pas sans évoquer celui du Dragon du lac de feu. Mais si dans le conte sombre de Matthew Robbins un preux gentilhomme campé par Peter MacNicol venait se confronter au monstrueux cracheur de feu pour empêcher le sacrifice d’innocentes jouvencelles, l’héroïne de La Demoiselle et le dragon ne peut compter que sur elle-même pour sauver sa peau. Et la pimpante princesse endimanchée de se muer en guerrière dépenaillée au fil d’une aventure perdant ses atours de conte de fées pour se muer en survival impitoyable. Dans ce rôle très physique, Millie Bobby Brown se révèle très convaincante, portant une grande partie du film sur ses épaules. La bête qui lui « donne la réplique » ne démérite pas, même si son exposition en pleine lumière nous convainc moins que les séquences où elle est plongée dans la pénombre. Création 100% numérique d’après un design de Patrick Tatopoulos (le Godzilla de Roland Emmerich, I Robot), ce dragon qui parle avec la voix caverneuse de la comédienne Shohreh Aghdashloo nous rappelle bien souvent le Smaug de la trilogie du Hobbit mais aussi plusieurs passages de Games of Throne (notamment lors du dernier acte). On apprécie au passage la prestation de Robin Wright, dont la simple présence confirme la volonté de déconstruire les codes du conte traditionnel (ne tenait-elle pas la vedette de Princess Bride ?). Efficace à défaut d’être inoubliable, La Demoiselle et le dragon a le mérite – au-delà de ses qualités formelles – d’aborder sous un angle original le motif de l’enfant contraint de payer pour le péché des aînés.

 

© Gilles Penso


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ARGYLLE (2024)

Une écrivaine à succès est embarquée par un agent secret dans des aventures qui ressemblent étrangement à ses écrits

ARGYLLE

 

2024 – USA/ GB

 

Réalisé par Matthew Vaughn

 

Avec Bryce Dallas Howard, Sam Rockwell, Henry Cavill, Bryan Cranston, John Cena, Catherine O’Hara, Dua Lipa

 

THEMA ESPIONNAGE ET SCIENCE-FICTION

Trois ans après l’échec au box-office du troisième épisode de sa franchise Kingsman, King’s Man: première mission, Matthew Vaughn persiste et signe malgré tout avec un nouveau film d’espionnage, en délaissant momentanément les fantaisies uchroniques pour revenir au style « pop » de Kingsman – services secrets et Kingsman – le cercle d’or. Mais les temps changent et les hommes aussi : Vaughn n’est plus le cinéaste frondeur et « effronté » du premier Kick-Ass, et ses responsabilités de producteur semblent cette fois avoir pris définitivement le pas sur ses ambitions de réalisateur. Co-financé par Apple et Universal pour un budget hallucinant de 200 millions de dollars (King’s Man – première mission avait couté deux fois moins pour un résultat de meilleure tenue), le produit final ressemble malheureusement plus à du contenu pour plateforme qu’à du cinéma, sur le fond comme sur la forme. Et si la production pourrait hypocritement tenter de justifier le rendu grossier de la grande majorité des incrustations et effets spéciaux par le fait que l’histoire présente en partie des situations fantasmées ou imaginaires, l’argument ne tiendrait plus dès lors que la finition des effets des scènes se situant dans le monde réel ne s’avère jamais plus convaincante (mention spéciale au chat en images de synthèse…). Les Kingsman possédaient aussi leur lot de plans pas très réalistes mais ils compensaient leur manque occasionnel de moyens par une inventivité et une stylisation d’une efficacité imparable.

Elly Conway (Bryce Dallas Howard) est l’auteure d’une série de romans d’espionnage hyper-populaires mettant en scène l’agent Argylle (Henri Cavill). Dans le train qui l’emmène chez ses parents où cette célibataire endurcie espère trouver l’inspiration pour conclure son prochain manuscrit, un véritable agent secret du nom d’Aidan Wilde (Sam Rockwell) l’aborde pour lui expliquer que ses histoires ne sont pas uniquement des fictions issues de son imagination, mais que les évènements qu’elle décrit pourraient bien arriver… à moins qu’ils ne se soient déjà déroulés? D’où viennent ces hallucinations intempestives où Argylle lui apparait et s’adresse à elle lorsqu’elle est seule ? Pourquoi son visage se substitue-t-il parfois dans son imagination à celui d’Aidan ? Après avoir aidé Elly à échapper à des agents ennemis eux-mêmes inquiets des connaissances du milieu de l’espionnage dont elle fait preuve dans ses écrits, Aidan va l’aider à comprendre qui elle est vraiment… Nous n’en dirons pas plus pour ne pas gâcher la surprise car Argylle mise beaucoup, voire tout, sur ses retournements de situations et ses révélations. Ce qui, en soi, est une forme de générosité envers son public. Sauf que…

« L’espionne qui mémé »

S’il a toujours joué avec les codes des genres qu’il abordait, Vaughn s’appuyait sur les œuvres déjà très « méta » qu’il adaptait. Qu’il s’agisse de Stardust écrit par son compatriote anglais Neil Gaiman ou des comics « Kick-Ass » et « Kingsman – services secrets » de l’écossais Mark Millar, son cinéma a toujours fait preuve d’un iconoclasme et d’une sensibilité « so British », qui semblent tristement dilués dans Argylle. Si le film était sorti dix ou quinze ans plus tôt, on aurait applaudi Vaughn pour sa volonté de déjouer les codes du film d’espionnage en faisant d’une actrice non-athlétique une héroïne d’action, aux antipodes de Tomb Raider, voire Salt pour qui s’en souvient encore. Mais vue à travers le prisme du « wokisme » actuel, l’audace devient ici démagogie. Pour ne rien arranger, la mise en scène (en plus des effets spéciaux décevants) se repose beaucoup sur des « têtes qui parlent » lors de très statiques champs / contre-champs très télévisuels dans une surabondance de dialogues explicatifs : la marque de fabrique des plateformes de streaming qui savent que leurs « contenus » sont en concurrence directe avec les téléphones et les tâches domestiques de leurs spectateurs ! Vaughn retrouve sa verve filmique pour emballer quelques séquences d’action dont il a le secret même si, là encore, on est très loin de l’émotion qu’il était capable de transmettre à travers les ruptures de ton spontanées de ses précédents films. Argylle est tellement calibré et aseptisé qu’il en devient poussif et presque ringard. La prestation de Sam Rockwell vaudrait néanmoins presque à elle seule le détour, tant il incarne parfaitement l’esprit « Vaughn », en brouillant subtilement les pistes du premier et du second degré. On pourra aussi préférer revoir Des agents très spéciaux de Guy Ritchie qui, en raison de la présence d’Henry Cavill déjà dans le rôle d’un espion, force un peu la comparaison directe avec Argylle.

 

 © Jérôme Muslewski


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MONARCH : LEGACY OF MONSTERS (2023)

Le Godzilla américain et ses monstrueux homologues se réunissent dans cette série ambitieuse à cheval entre plusieurs époques…

MONARCH : LEGACY OF MONSTERS

 

2023 – USA

 

Créée par Chris Black et Matt Fraction

 

Avec Anna Sawai, Kiersey Clemons, Ren Watabe, Mari Yamamoto, Anders Holm, John Goodman, Joe Tippett, Kurt Russell, Wyatt Russell, Elisa Lasowski

 

THEMA DINOSAURES I SAGA GODZILLA

En 2021, Godzilla vs. Kong remporte un succès très honorable, confortant les studios Legendary et Warner Bros dans la viabilité de la saga « Monsterverse » amorcée avec le Godzilla de Gareth Edwards. Plusieurs déclinaisons sont donc envisagées, non seulement au cinéma mais également sur les petits écrans (l’idée étant de faire fructifier tous azimuts la franchise à la manière du Marvel Cinematic Universe). Si la première variante télévisée de cet univers est la série animée Skull Island (diffusée sur Netflix), la seconde sera en prises de vues réelles, selon la volonté des cadres de Legendary qui trouvent cette fois-ci un autre diffuseur : Apple TV. Le récit de Monarch : Legacy of Monsters s’articule sur plusieurs temporalités qui s’entremêlent. L’une est liée aux événements qui suivent directement l’attaque du Roi des Monstres dans le Godzilla de 2014 (le « jour G »). Les autres nous ramènent au milieu des années 50, puis font de réguliers vas et viens du passé vers le futur (y compris dans les années 70 le temps d’un détour par les péripéties décrites dans Kong : Skull Island). Les pièces d’un complexe puzzle narratif s’assemblent ainsi peu à peu, sous la supervision de Chris Black (Star Trek Enterprise) et Matt Fraction (Hawkeye), les deux créateurs de la série.

Tout en évoquant la création de l’énigmatique organisation Monarch dans les années 40, le script s’intéresse plus particulièrement à trois jeunes protagonistes héritant bien malgré eux des travaux secrets d’un aîné bien plus insaisissable qu’il ne semblait l’être. Il s’agit de Cate et Kentaro Randa (Anna Sawai et Ren Watabe), rapidement rejoints par une génie de l’informatique au passé trouble (Kiersey Clemons) et par un ancien militaire roublard, Lee Shaw. L’une des excellentes idées du show est d’avoir confié le rôle de ce dernier à deux acteurs qui affichent un indéniable air de famille (et pour cause, l’un est le père de l’autre !), en l’occurrence Kurt et Wyatt Russell. L’un incarne donc Lee dans les années 50 et l’autre en 2015. Leurs ressemblances physiques et la similitude de leurs mimiques emportent le morceau, même si Kurt semble beaucoup trop jeune pour le rôle dans la mesure où son personnage est censé avoir 90 ans. Le scénario finit par nous expliquer cette bizarrerie au détour d’un de ses nombreux rebondissements rocambolesques.

L’attaque des Titans

Pour des raisons qu’on imagine budgétaires mais aussi narratives, Monarch se révèle beaucoup plus axé sur les personnages humains que sur les monstres, ce qui peut se révéler frustrants pour les amateurs de grosses bébêtes mais présente au moins le mérite de gommer les scories de Godzilla II : Roi des monstres et de Godzilla vs. Kong qui, à trop vouloir en mettre plein la vue aux spectateurs, se muaient en spectacles de foire sans âme. Le cœur des enjeux dramatiques de Monarch se joue donc à échelle humaine et sur plusieurs époques. Pour parcimonieuses qu’elles soient, les apparitions des titans ne déçoivent pas, le bestiaire s’enrichissant de créatures nouvelles aux morphologies surprenantes (les nuées d’insectes géants, le monstre des glaces, le dragon de la forêt, le sanglier mutant et bien sûr Godzilla en personne). De manière intéressante, la série décrit un monde qui doit désormais s’accommoder avec la présence potentielle de monstres géants, d’où des publicités vantant les mérites de bunkers souterrains personnalisés, une signalétique dans les rues des grandes villes indiquant où se réfugier en cas d’attaque de titan ou encore des quartiers de San Francisco entièrement détruits et mués en « zones rouges » sous surveillance militaire. Sans doute pourra-t-on reprocher à Monarch le manque de finesse de son écriture et les nombreuses invraisemblances qui jalonnent son parcours scénaristique, mais le show reste divertissant et permet de créer des liens intéressants entre les divers événements narrés dans les films précédents de la franchise.

 

© Gilles Penso


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SLEEP (2023)

Jason Yu, protégé du réalisateur Bong Joon-ho, signe un premier long-métrage récompensé par le Grand Prix du festival de Gérardmer…

SLEEP

 

2023 – CORÉE

 

Réalisé par Jason Yu

 

Avec Lee Sun-kyun, Yu-mi Jung, Kim Gook Hee, Yoon Kyung-ho

 

THEMA FANTÔMES

Après avoir fait une première mondiale remarquée à Cannes dans la sélection de la Semaine de la Critique, Sleep est un film qui démarrait sous les meilleurs augures avant que l’on apprenne avec une grande tristesse, le 27 décembre 2023, la terrible nouvelle de la mort de Lee Sun-kyun. Star de premier plan dans son pays, diplômé de la prestigieuse université des arts de Corée, l’acteur bénéficiait d’une reconnaissance internationale pour ses collaborations avec Hong Sang-soo et pour son rôle dans Parasite, Palme d’or et Oscar du meilleur film étranger en 2020. Dans Sleep, l’acteur de 48 ans incarne un père de famille aimant, forcé d’affronter une série de difficultés qui mettent sa famille en péril et son couple à rude épreuve. Lee y est particulièrement touchant. Sa disparition affecte en plus de ses proches toute une famille de cinéma sud-coréenne et de nombreux fans autour du monde, inconsolables à juste titre. Bong Joon-ho ne tarit pas d’éloges au sujet de Jason Yu ho, qui a été son assistant sur Okja. Le réalisateur, bien qu’avant tout amateur de comédies (comme Sam Raimi), signe ici un premier film horrifique qui suscite l’intérêt par ses multiples degrés de lectures.

Soo-Jin (Yu-mi Jung, vue entre autres dans l’excellent film de zombies de Yeon Sang-Ho Dernier train pour Busan, sorti en 2016), est une jeune femme d’affaires séduisante et sûre d’elle. Elle forme avec son mari Hyun-su (Sun-kyun Lee), un couple bien décidé à rester soudé au-delà des épreuves de la vie, selon la formule consacrée « pour le meilleur et pour le pire ». Seulement le pire va arriver plus tôt que prévu. Enceinte, Soo-Jin voit d’abord son mari, acteur de profession, perdre confiance en lui à force d’enchaîner des rôles de figurant. Persuadée de son talent, elle ne doute pas le moins du monde de lui et l’encourage avec un tel enthousiasme que Hyun-su n’ose pas la décevoir. Ainsi, pensant la préserver, il commence à lui cacher que ce métier le met en proie au stress, cause probable de ses soudaines crises de somnambulisme. Hyun-su est en effet atteint de TCSP (Trouble du comportement en sommeil paradoxal) et ses crises se multiplient. Ce type de somnambulisme dit « à risque » pouvant conduire à des actes fatals, les jeunes mariés se voient dans l’obligation de sécuriser toute la maison et de cacher tout objet susceptible d’être dangereux. Malgré l’amour qui les soude et le fait que tout se passe bien dans la journée, Soo-Jin, en manque de sommeil, devient de plus en plus anxieuse. Aussi, lorsque leur bébé voit le jour, craignant de le mettre en danger suite aux faits divers sordides qu’elle a pu découvrir sur internet, les nerfs à vif, elle finit par craquer…

Le dernier film de Lee Sun-kyun

Après une première partie empreinte de réalisme, pour laquelle Jason Yu s’est beaucoup documenté, la tension monte d’un cran. Renvoyé de son travail, hospitalisé dans une clinique du sommeil, confié aux bons soins d’un médecin expérimenté qui le suit de près, Hyun-su se remet petit à petit de son trouble. Mais Soo-Jin n’est pas sereine pour autant. Alors qu’elle n’accordait jusque-là aucun crédit aux superstitions entendues, liées à la présence supposée d’un esprit fantôme qui voudrait prendre la place du somnambule auprès de sa femme, elle se laisse gagner par le doute, puis par l’inquiétude et finalement la terreur. Bientôt, la version la plus irrationnelle des faits s’impose à elle comme une évidence. Le couple va-t-il réussir à se sauver et rester fidèle à son serment de mariage qui promettait de toujours rester ensemble et de tout surmonter ? L’intrigue de Sleep s’inscrit dans les croyances les plus anciennes de la péninsule coréenne, et c’est en jouant sur plusieurs tableaux que le film tient haleine jusqu’au bout, servi par ses deux formidables interprètes. Si le suspense et l’horreur le sous-tendent, Sleep est aussi et surtout, de l’aveu même de son réalisateur, un film sur un couple et sur leur histoire d’amour. Le fait qu’il fasse soudain tragiquement écho à celui de l’acteur disparu (marié à la comédienne Jeon Hye-Jin dans la vie avec qui il avait deux enfants), le rend d’autant plus déchirant.

 

© Quélou


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NIGHT SWIM (2024)

Une famille s’installe dans une nouvelle maison dont la piscine semble hantée par une force ancienne et maléfique…

NIGHT SWIM

 

2024 – USA

 

Réalisé par Bryce McGuire

 

Avec Wyatt Russell, Kerry Condon, Amélie Hoeferle, Gavin Warren, Jodi Long, Nancy Lenehan, Eddie Martinez, Elijah J. Roberts, Rahnuma Panthaky

 

THEMA FANTÔMES

Au départ, Night Swim est un court-métrage d’horreur de quatre minutes que Bryce McGuire écrit et co-réalise en 2014 avec Rod Blackhurst. On y voit une jeune femme, incarnée par Megalyn Echikunwoke, qui prend un bain nocturne dans une piscine puis croit apercevoir une inquiétante silhouette s’approchant d’elle inexorablement… Efficace et malin, ce petit bout d’essai ne révolutionne certes pas le genre mais fait son petit effet dès sa mise en ligne sur YouTube où son nombre de vues grandit de manière impressionnante. McGuire, qui connaît bien ses classiques, avoue avoir puisé son inspiration dans Les Dents de la mer, Poltergeist, Abyss, Christine, L’Étrange créature du lac noir et même dans plusieurs souvenirs d’enfance personnels. Vice-président exécutif de la compagnie de production Atomic Monster, Judson Scott pense flairer là une bonne affaire et conseille à son partenaire James Wan de jeter un coup d’œil à Night Swim. Séduit, le créateur des franchises Saw et Conjuring en achète les droits pour en tirer un long-métrage. Et c’est Bryce McGuire lui-même qui est invité à écrire et réaliser le film.

Après un prologue nous annonçant immédiatement la couleur – une fillette est attaquée un soir dans la piscine familiale par une force inconnue et visiblement diabolique -, nous découvrons la famille Waller. Ray (Wyatt Russell, le fils du célèbre Kurt, héros de la série Monarch : Legacy of Monsters) est une ancienne star du base-ball dont la carrière s’est brisée net à cause du développement d’une sclérose en plaque. Pour prendre un nouveau départ, il s’installe avec sa femme et ses deux enfants dans une nouvelle maison avec piscine… celle du prologue, bien sûr. L’équipe d’entretien qui est embauchée pour remettre le bassin en route découvre que la piscine tire son eau d’une source souterraine de la région. Ce phénomène naturel semble avoir un effet extrêmement bénéfique sur Ray. Plus il s’y baigne, plus son état de santé semble en effet s’améliorer. Mais il y a une terrible contrepartie à cette rémission…

Méfiez-vous de l’eau qui dort

Night Swim version longue démarre plutôt bien. Les personnages sont crédibles, solidement interprétés, et le capital sympathie de Wyatt Russell emporte l’adhésion. Mais si l’aspect « naturaliste » du récit s’amorce de manière cohérente, suscitant l’attachement des spectateurs pour cette poignée de protagonistes aux problématiques tangibles, le plongeon dans le surnaturel fait perdre au film toute sa substance. Car les mécanismes de la peur convoqués par Bryce McGuire ne fonctionnent pas, s’appuyant souvent sur des effets faciles, des gimmicks déjà vus et une certaine paresse que ne parvient pas à contrebalancer une mise en scène parfois inventive. McGuire est visiblement sous l’influence de son « parrain » James Wan dont il cherche à retrouver l’esprit (en se référant principalement aux atmosphères anxiogènes des Conjuring et Insidious), mais tout ce que le réalisateur échafaude finit par tomber à l’eau (oui, c’est le cas de le dire). Plus l’intrigue avance, moins on y croit, et le caractère « train fantôme » du long-métrage (la séquence d’inquiétude pendant la « pool party » qui doit tout aux Dents de la mer, le dernier acte qui s’inspire très largement de Shining, les nombreuses apparitions spectrales qu’on croirait surgies d’un épisode de Scooby-Doo) finit par devenir embarrassant. Finalement, Night Swim aurait sans doute dû se cantonner au format court.

 

© Gilles Penso


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SPIDER-MAN LOTUS (2023)

Produite sans l’autorisation de Marvel ou Sony, cette aventure inédite réalisée par un lycéen de 19 ans a pris tout le monde par surprise…

SPIDER-MAN LOTUS

 

2023 – USA

 

Réalisé par Gavin J. Konop

 

Avec Warden Wayne, Sean Thomas Reid, Moriah Brooklyn, Tuyen Powell, Maxwell Fox, Jack Wooton, John Salandria, Justin Hargrove, Mariah Fox, Paul Logan

 

THEMA SUPER-HÉROS I SAGA SPIDER-MAN

Au départ, rien ne semblait pouvoir distinguer Spider-Man Lotus des milliers de fan films réalisés avec les moyens du bord par des amateurs de l’homme-araignée. Aux Etats-Unis, il ne se passe pas un mois sans qu’un réalisateur en herbe déguise l’un de ses copains en Spider-Man pour le filmer avec sa caméra vidéo ou son smartphone et poste ensuite ses « exploits » sur YouTube. Certains de ces films de fans sont plus soignés que les autres, certes, mais il n’y a pas là de quoi affoler Marvel ou Sony. Et puis voilà que débarque Spider-Man Lotus, qui combat clairement dans une tout autre catégorie. Son metteur en scène, Gavin J. Konop, est encore au lycée lorsqu’il attaque ce projet. Son ambition : réunir 20 000 dollars et consacrer à son super-héros préféré un film extrêmement soigné. Lorsqu’il lance une campagne de financement participatif, la somme initialement prévue gonfle considérablement jusqu’à dépasser les 110 000 dollars ! Avec un tel budget en poche, le jeune homme va pouvoir revoir ses ambitions à la hausse. Mais plus qu’un film spectaculaire, Konop veut réaliser un drame intimiste. Son idée est de raconter les conséquences d’un des épisodes les plus traumatisants de l’histoire de la BD américaine : la mort de Gwen Stacy, la petite-amie de Peter Parker, une histoire écrite par Gerry Conway et dessinée par Gil Kane en 1973, qui marque pour beaucoup la fin d’une certaine innocence dans le monde du comic book.

La longue introduction de 15 minutes sur laquelle s’ouvre Spider-Man Lotus force l’admiration. Un Spidey numérique qui tient franchement la route file à toute allure entre les immeubles de New York, déclenche les radars de police pour cause d’excès de vitesse, prend en chasse trois gangsters puis affronte le Shocker qu’il neutralise non sans mal. S’ensuit une scène intime entre Peter Parker et Gwen Stacy, puis un générique extrêmement graphique sur fond de chanson romantique. Voilà qui s’annonce prometteur et surtout surprenant. Après cette mise en bouche, nous apprenons que Gwen est morte, provoquant une onde de choc émotionnelle dont les répercussions altèrent non seulement le comportement de Peter Parker mais aussi celui de Harry Osborn, Mary-Jane Watson et Flash Thompson. Le drame nous est raconté par le biais de flash-backs furtifs où apparaît un Bouffon Vert grimaçant très proche visuellement de celui du comic book original.

Peter par cœur

Konop élabore alors un film très introspectif conçu comme un voyage initiatique autour de l’acceptation du deuil, bref pas du tout ce qu’on peut attendre d’une aventure classique de Spider-Man. Et c’est justement ce qui rend ce projet si fascinant. Le réalisateur débutant semble plaquer sur le super-héros ses propres doutes, son propre mal-être, comme le firent tant de lecteurs adolescents en découvrant leurs premières aventures dessinées du monte-en-l’air. Pour y parvenir, Konop convoque sa connaissance visiblement encyclopédique de l’univers de Spidey, reprend plusieurs épisodes emblématiques (dont le fameux « The Kids Who Collects Spider-Man » de Roger Stern et Ron Frenz, ou la série « Spider-Man Blue » de Jeph Loeb et Tim Sale), évoque en quelques images les origines du héros et la culpabilité qui forgea sa vocation de justicier et cite dans sa bande originale les thèmes musicaux des séries animées des années 60 et 90. Le film est sans doute trop long, trop lent, trop larmoyant, pas toujours très subtil, pas rythmé comme il faudrait, peut-être même un brin prétentieux . Mais qui aurait cru qu’un réalisateur amateur puisse un jour pondre un Spider-Man « pirate » aussi abouti ? Les films très officiels dirigés par Marc Webb et Jon Watts semblent même gentiment puérils à côté de cet essai certes maladroit mais tellement plus risqué et moins formaté que ceux de ses aînés produits par les grands studios. Saluons donc l’initiative de cet étrange « Lotus » (la fleur qui symbolise la transcendance chez les bouddhistes), dont la mise en ligne gratuite sur YouTube en août 2023 battit des records de visionnage.


© Gilles Penso


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PAUVRES CRÉATURES (2023)

Et si le Prométhée moderne donnait naissance à une merveilleuse femme libre, joyeuse et aimée ?

POOR THINGS

 

2023 – IRLANDE / GB / USA

 

Réalisé par Yórgos Lánthimos

 

Avec Emma Stone, Willem Dafoe, Mark Ruffalo, Ramy Youssef, Jerrod Carmichael, Christopher Abbott, Margaret Qualley, Kathryn Hunter, Hubert Benhamdine

 

THEMA MÉDECINE EN FOLIE

Lorsqu’il découvre le remarquable livre « Pauvres créatures » de l’artiste peintre et romancier écossais Alasdair Gray, sorti en 1992, Yórgos Lánthimos part à la rencontre de l’auteur pour obtenir les droits d’exploitation de cette version alternative du « Frankenstein » de Mary Shelley. Gray connaît son film Canine et l’a apprécié. L’accord est donc passé entre les deux artistes férus d’humour et de surréalisme. Malgré le potentiel de l’ouvrage, le film met du temps à se monter. Gray, décédé entretemps, n’aura pas eu le bonheur de découvrir ce splendide monument, déjà couronné du Lion d’or à la Mostra de Venise, et qui offre un rôle de rêve à son actrice principale. En effet, si le roman éponyme explorait de nombreux thèmes tout en conservant son ton et son humour, le réalisateur a choisi avec son scénariste de prédilection, Tony McNamara, de se focaliser sur le personnage de Bella Baxter. Envisager son histoire par le prisme de la créature est aussi une façon de se rapprocher de l’idée novatrice en son temps de Mary Shelley. Non seulement les correspondances entre les narrations y sont multiples mais elles font aussi écho avec la propre vie de l’écrivaine dont la mère, Mary Wollstonecraft, femme de lettres pionnière engagée pour la cause des femmes, est décédée quelques jours après sa naissance. Dans le film, Bella possède le corps d’une femme enceinte qui vient de se jeter volontairement d’un pont. Tout en respectant son choix d’en finir, le docteur Godwin Baxter (William Dafoe) veut lui donner une chance de transcender l’irréparable en lui implantant le cerveau de son propre bébé encore en vie. 

A contrario du monstre de Frankenstein, Bella Baxter est une expérimentation réussie qui dépasse les espérances du chirurgien, dont les pratiques évoquent également celles du docteur Moreau. Devenu à la fois tuteur et créateur, celui que Bella appelle God/Dad s’est attaché à elle au point que lorsqu’elle souhaite quitter le nid protecteur pour parcourir le monde avec un avocat coureur de jupons (Mark Ruffalo), il s’oblige à respecter encore sa volonté et son libre-arbitre. A noter qu’au-delà du jeu de mot, Godwin est aussi le prénom du père de Mary Shelley. « Je m’appelle Bella Baxter, je suis imparfaite et avide d’expérience (…) Il y a un monde à explorer, à sillonner. C’est notre but à tous de progresser, de grandir ». En s’attachant à définir sa perception si singulière d’un monde pour lequel elle n’est pas conformée, mais qu’elle tente de comprendre et d’appréhender au-delà de ses pulsions imprévisibles et de sa spontanéité, le réalisateur avoue être tombé amoureux du personnage, de son enthousiasme, de son appétence pour la vie, de sa liberté. A l’instar de la créature de l’abominable docteur Frankenstein, dont elle est une version joyeuse et aimée, elle a soif d’évoluer, d’apprendre, par la lecture et par l’observation des hommes. Imperméable aux jugements que l’on peut porter sur elle, elle ne connaît aucune honte, aucun tabou, et l’on suit son émancipation au milieu de ceux qui voudraient la contrôler, voire de la posséder, ou simplement lui imposer des règles fussent-elles bien intentionnées, sans toutefois avoir d’emprise sur sa détermination à grandir, apprendre et rester libre.

« Je m’appelle Bella Baxter… »

Tout se joue à Londres, berceau de l’intrigue : sa naissance artificielle, son éducation hors du monde dans un milieu fermé avec un bestiaire fantastique, ses fiançailles, la révélation de son histoire, et finalement son mariage que l’on prédit heureux, tandis qu’elle deviendra elle-même chirurgien, comme son drôle de père. Le scénario de ce conte pour adultes promet de nombreux rebondissements tout en offrant un rôle à sa (dé)mesure à Emma Stone qui, après La La Land, aura probablement la chance de remporter son second Oscar (avec mention !). Bella Baxter, mi-créature, mi-femme-enfant, nous y entraine dans sa folle course émerveillée à la découverte du monde et d’elle-même, dans une époque victorienne qui convoque tous les Beaux-Arts pour mieux se réinventer.  À noter que ce film résolument littéraire est également touchant dans son rappel d’un temps où la lecture était émancipatrice, particulièrement pour les femmes alors en quête de leurs droits civiques. L’œuvre de Mary Shelley semble s’entre-chasser avec sa propre vie comme les vers d’un poème, et résonne ici de façon bouleversante, comme un écho à sa propre enfance, à son éducation dans un foyer intellectuel hanté par les écrits de sa mère, et à son émancipation douloureuse en tant que femme, mère et écrivaine. Tandis que le récit bafoue les codes de son époque pour mieux en révéler les inégalités, comme il est dit dans la préface de son chef-d’œuvre : « L’invention, nous devons l’admettre humblement, ne consiste pas à créer à partir du vide, mais à partir du chaos. » C’est sans aucun doute le pari réussi de Yórgos Lánthimos !

 

© Quélou


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