MAD GOD (2021)

Le génial créateur d’effets spéciaux Phil Tippett signe un cauchemar surréaliste qui fera date dans l’histoire du cinéma d’animation…

MAD GOD

 

2021 – USA

 

Réalisé par Phil Tippett

 

Avec Alex Cox, Niketa Roman, Satish Ratakonda, Harper Taylor, Brynn Taylor, Hans Brekke, Brett Foxwell, Chris Morley, Anthony Ruivivar, Phil Tippett

 

THEMA RÊVES

C’est l’œuvre d’une vie. Littéralement. Avant de concevoir et d’animer les insectes extra-terrestres de Starship Troopers, les dinosaures de Jurassic Park, les machines de Robocop ou les créatures de Star Wars, avant même d’entrer dans le monde professionnel, Phil Tippett portait déjà en germe l’univers de Mad God. Il suffit de regarder ses dessins d’enfance et d’adolescence pour s’en convaincre : des personnages bizarres, des environnements hostiles, un humour noir désespéré, des visions monstrueuses surgies d’ailleurs… De temps en temps, au détour d’un projet avorté (comme l’adaptation à l’écran de « Mars Attacks » avant que Tim Burton ne s’en empare), ces images folles ressurgissent furtivement. Mais ce n’est qu’à la fin des années 80, alors qu’il est à l’œuvre sur l’un des films les plus complexes de sa carrière (Robocop 2) que Phil Tippett décide enfin de donner corps à ce projet obsessionnel. Mad God est d’abord un court-métrage que Tippett tourne sur pellicule avec la technique qui est devenue sa spécialité, la stop-motion. Les quelques images qu’il met en boîte semblent fusionner les mondes de David Lynch et de Jan Svankmajer, en un mélange troublant d’horreur, de fantasmagorie, de science-fiction et de comédie. Mais les activités croissantes du Tippett Studio et l’arrivée de la technologie numérique mettent un terme au projet. Mad God aurait pu en rester là, perdu dans les limbes des films inachevés.

Trente ans plus tard, de manière inattendue, le film redémarre. « Un jour, des gars du studio ont regardé mes archives et ont eu envie de relancer le projet », raconte Tippett. « Ils ont proposé d’y participer et de tourner quelques plans. Nous avons accumulé de plus en plus de volontaires au fil du temps et les choses ont grandi d’elles-mêmes » (1). Tous les week-ends, une petite équipe se réunit donc dans le studio, met la main à la pâte, construit des décors, bricole des accessoires et anime des séquences au long d’un processus lent et organique, comme si le film s’imaginait et se fabriquait de lui-même à la manière d’un cheval fou incontrôlable. Le personnage central de Mad God est un « assassin », un homme mystérieux portant un masque à gaz et une mallette, dont le parcours l’emmène toujours plus profondément dans les entrailles d’un monde inconnu, au fil d’une odyssée qui prend des allures de descente aux enfers… Financé en partie par le biais d’une campagne participative, Mad God prend la forme d’une série de courts-métrages que Phil Tippett réunira finalement pour en faire un film complet. Et quel film !

Les monstres de l’inconscient

Mad God est insaisissable parce que sa structure narrative n’obéit à aucune des règles que nous connaissons. S’il y a un sens, il est caché, comme dans les rêves les plus abscons. Aucun mot ne saurait rendre pleinement justice à l’expérience de son visionnage. L’élaboration du scénario du film n’a pourtant rien de la démarche des écritures automatiques ou des « cadavres exquis » chers aux surréalistes. Il s’agit plutôt pour Phil Tippett de collecter des images inconscientes qui flottent dans son esprit au moment où la capacité de jugement s’étiole, dans cette zone floue située à mi-parcours de la veille et de l’endormissement. Paradoxalement, l’emploi des techniques artisanales (la stop-motion, les figurines articulées, les maquettes, les décors miniatures) donne une qualité tactile et tangible à ce cauchemar fiévreux. Les influences de Mad God sont multiples et s’affichent de manière plus ou moins explicite. On pense à Metropolis, 2001 l’odyssée de l’espace, aux films de Ray Harryhausen ou au « 1984 » de George Orwell. Mais ces citations ne prennent jamais la forme de clins d’œil postmodernes. La démarche de Mad God est tout autre. Il s’agit avant tout d’un plaidoyer pour la créativité pure et radicale, sans entrave ni garde-fou. Ce film-somme ne ressemble à rien de connu et c’est là toute sa force. C’est l’œuvre d’une vie. Littéralement.

 

(1) Propos recueillis par votre serviteur en avril 2018

 

© Gilles Penso

À découvrir dans le même genre…

 

Partagez cet article

CORALINE (2009)

Le réalisateur de L’Étrange Noël de monsieur Jack et de James et la pêche géante nous entraîne dans un conte de fées qui vire au cauchemar…

CORALINE

 

2009 – USA

 

Réalisé par Henry Selick

 

Avec les voix de Dakota Fanning, Teri Hatcher, Jennifer Saunders, Dawn French, Keith David, John Hodgman, Robert Bailey Jr, Ian McShane

 

THEMA CONTES I MONDES PARALLÈLES

Henry Selick est un artiste à contre-courant. En 1994, alors que tout le monde ne jure plus que par l’image de synthèse grâce aux exploits techniques de Jurassic Park, il réalise sous l’égide de Tim Burton L’Étrange Noël de Monsieur Jack où s’animent des centaines de figurines articulées. Trois ans plus tard, il continue à expérimenter les bonnes vieilles techniques manuelles sur James et la pêche géante alors que l’animation vient pourtant de connaître un tournant définitif avec Toy Story, le premier long-métrage 100% numérique. En 2009, alors que même les irréductibles créateurs de Wallace et Gromit délaissent momentanément la pâte à modeler au profit de l’ordinateur (pour Souris City), Henry Selick persiste et signe, magnifiant la « stop-motion » grâce à Coraline qui reste probablement dans les mémoires comme un véritable tour de force artistique et technique. Le roman de Neil Gaiman, auteur du célèbre « American Gods », était le matériau idéal pour les expérimentations de Selick. On y trouve en effet les composantes majeures de l’univers du cinéaste : une approche inquiétante et cauchemardesque du conte de fées, un jeune protagoniste plongé dans un univers parallèle dans lequel chaque élément de son propre monde trouve une correspondance fantasmagorique, des décors et des personnages colorés et exubérants… Bref, du pain béni pour cet ancien animateur de Walt Disney et de MTV à l’imagination débordante et à la créativité en perpétuelle ébullition.

Certes, le film s’avère moins angoissant que le livre, mais cette « édulcoration » existe moins pour des raisons consensuelles que dans le souci d’une meilleure progression dramatique et de la mise en place de nombreux rebondissements narratifs. Coraline et ses parents viennent d’emménager dans une étrange maison en lisière de forêt. Délaissée par un père et une mère trop occupés, la fillette découvre un jour une porte condamnée qui la fait basculer dans un univers parallèle joyeux… Mais les apparences sont trompeuses ! Car en pénétrant dans « l’autre monde », Coraline découvre une réplique euphorisante de sa propre maison. Sa mère n’est plus une working girl autoritaire mais une femme joyeuse et volubile, son père a perdu sa maladresse d’écrivaillon introverti pour se muer en musicien guilleret, des mets succulents abondent sur la table, les lieux regorgent de couleurs pétillantes, bref la morosité s’est transformée en véritable parc d’attractions familial. Il y a bien ces sinistres boutons qui remplacent les yeux des personnages, mais à ce détail près, Coraline exulte de l’autre côté du mur de sa maison. Ce n’est que plus tard que la véritable nature du cauchemar se révèle, faisant ouvertement basculer le long-métrage dans l’épouvante et ravivant chez les spectateurs (tous âges confondus) les peurs primales de leur petite enfance.

L’étrange voyage de Monsieur Selick

Artistiquement, Coraline est une pure merveille. La direction artistique du film, confiée au designer Tadahiro Uesugi, tranche avec le look habituel des films de marionnettes, et l’expressivité des personnages – Coraline en tête – est stupéfiante. Le moindre rictus, le moindre soulèvement de sourcil, le moindre plissement de joue révèlent la finesse du travail des animateurs dirigés par Selick et permettent de mesurer les progrès techniques obtenus depuis Les Noces funèbres de Tim Burton, pourtant à peine plus vieux de quatre ans. Et puis, grande première, Coraline est le premier long-métrage d’animation en volume à bénéficier d’un tournage en relief stéréoscopique. Déjà bien implantée dans le domaine de l’image de synthèse (comme viennent alors de le prouver Volt et Monstres contre Aliens), cette technique prend une toute autre mesure en stop-motion. Car ici les figurines et les décors existent réellement, et leur présence physique est quasiment palpable. Selick aura donc eu le bon goût et l’intelligence de marier l’artisanat à la haute technologie pour faire rêver et voyager son public. Pari réussi, une fois de plus.

 

© Gilles Penso


Partagez cet article

CHICKEN RUN : LA MENACE NUGGETS (2023)

23 ans après leur première aventure, les poules conçues par les créateurs de Wallace et Gromit font leur grand retour…

CHICKEN RUN: DAWN OF THE NUGGETS

 

2023 – GB / USA

 

Réalisé par Sam Fell

 

Avec les voix de Zachary Levi, Thandiwe Newton, Bella Ramsey, Romesh Ranganathan, David Bradley, Daniel Mays, Jane Horrocks, Imelda Staunton

 

THEMA REPTILES ET VOLATILES

Sorti en 2000, Chicken Run est le premier long-métrage du studio Aardman et son plus gros succès. L’idée d’une suite naît très tôt dans l’esprit des trublions britanniques mais tarde à se concrétiser. Entretemps, ils développent les aventures sur petit et grand écran de Shaun le mouton et Wallace et Gromit ainsi que d’autres projets joyeusement délirants comme Souris City, Cro Man ou Les Pirates ! Bons à rien mauvais en tout. Ce n’est qu’au printemps 2018 qu’est annoncée officiellement la suite de Chicken Run, produite conjointement par Aardman, Pathé Films et StudioCanal (Dreamworks ayant entretemps cessé son partenariat avec le studio anglais). Signe des temps, le film ne sortira pas en salles mais sera directement diffusé sur Netflix. Si Peter Lord et Nick Park, réalisateurs du premier opus, sont toujours présents au poste de producteurs exécutifs, ils cèdent le fauteuil du réalisateur à Sam Fell, un spécialiste de l’animation qui dirigea Souris City, La Légende de Despereaux et L’Étrange pouvoir de Norman. Le scénariste du film original, Karey Kirkpatrick, est toujours de la partie, épaulé cette fois-ci par John O’Farrell et Rachel Tunnard. Les interprètes vocaux des deux personnages principaux, Mel Gibson et Julia Sawalha, sont un temps envisagés pour reprendre leurs rôles, mais ils sont finalement remplacés par des acteurs plus jeunes : Zachary Levi et Thandiwe Newton.

Si le premier Chicken Run réinventait sous un angle parodique le principe narratif de La Grande évasion dans un univers de basse-cour, le scénario de Chicken Run : la menace nuggets en inverse le processus. Ici, il ne s’agit pas de s’échapper d’un environnement pénitentiaire mais d’y pénétrer. Lorsque le film commence, le coq Rocky et la poule Ginger vivent paisiblement sur une petite île en compagnie de toute la volaille qui s’est évadé du poulailler de la sinistre Mrs Tweedy. C’est dans cet environnement paradisiaque que naît Molly, la fille du couple vedette. Lorsqu’elle grandit, la turbulente progéniture décide d’aller voir ce qui se passe au-delà de l’île, malgré l’interdiction de ses parents. Molly part donc explorer le monde extérieur et s’embarque à l’intérieur d’un des camions de « Fun Land », qu’elle croit être un parc d’attractions où les poules passent leur temps à s’amuser. Mais il s’agit en réalité d’un poulailler industriel qui a vocation de transformer toutes ses « pensionnaires » en nuggets…

Prises de bec

Dès les premières minutes du film, force est de constater que le charme ne s’est pas dissipé avec les années. La bonne vieille stop-motion à l’ancienne, les figurines en plastiline et les décors miniatures ont même tendance à se bonifier avec le temps. De fait, ce Chicken Run donne presque l’impression d’avoir été réalisé dans la foulée du premier, tant l’esprit, le grain de folie et la mise en forme quasi-artisanale sont similaires. L’usage plus intensif des images de synthèse en renfort de l’animation traditionnelle est d’ailleurs suffisamment discret pour se fondre dans la masse. Même si Peter Lord et Nick Park ne sont plus aux commandes, la patte Aardman est toujours là, avec cet humour « so british » pince-sans-rire, ces dialogues absurdes, ces séquences de poursuites et d’action délicieusement outrancières et cet inimitable sens du timing. Au fil de son scénario, Chicken Run : la menace nuggets s’amuse à pasticher Mission impossible et la saga James Bond, cette fabrique de nuggets ayant tout du repaire ultra-sécurisé d’un super-vilain façon docteur No ou Blofeld. On pense aussi au Pinocchio de Disney, à travers ce parc d’attractions faussement idyllique qui attire notre jeune héroïne désobéissante en l’entraînant vers sa perte. Rien n’empêche d’ailleurs d’y voir aussi une parabole de l’abrutissement des masses par des programmes de divertissement stupides annihilant la capacité de jugement en entretenant un état de béatitude permanent. Bref, voilà une nouvelle réussite à mettre à l’actif des joyeux drilles d’Aardman, l’un des studios d’animation les plus inventifs et les plus décomplexés de sa génération.

 

© Gilles Penso


Partagez cet article

SPIDER-MAN ACROSS THE SPIDER-VERSE (2023)

Encore plus loin, encore plus fort, encore plus fou, encore plus de Spider-Men ! Une suite qui ne recule devant aucune surenchère…

SPIDER-MAN ACROSS THE SPIDER-VERSE

 

2023 – USA

 

Réalisé par Joaquin Dos Santos, Kemp Powers et Justin K. Thompson

 

Avec les voix de Shameik Moore, Hailee Steinfeld, Brian Tyree Henry, Lauren Vélez, Jake Johnson, Jason Schwartzman, Issa Rae

 

THEMA SUPER-HÉROS I SAGA MARVEL COMICS I SPIDER-MAN

Le miracle de Spider-Man New Generation allait-il se produire une seconde fois ? La fraîcheur, l’originalité, la folie, les incroyables audaces artistiques et narratives du film précédent ne risquaient-elles pas de perdre de leur spontanéité à l’occasion d’une suite s’efforçant de retrouver les mêmes ingrédients et la même alchimie ? Si le premier film était le fruit d’un pari osé sans aucune garantie de succès, il faut désormais composer avec les énormes attentes d’un public qui espère beaucoup et a revu à la hausse le niveau de ses exigences. Le scénario prend le parti de nous surprendre dès l’entame en adoptant non pas le point de vue de Miles Morales mais celui de Gwen Stacy – du moins celle qui vit dans un univers où son alter-ego est Spider-Woman, très éloignée donc du personnage qui vécut et mourut dans les comic books des années 70 consacrés à l’homme-araignée. Son destin et celui de Miles se croisent à nouveau, non seulement à cause des nouveaux dangers qui guettent les multivers mais aussi parce que leurs parcours et leurs difficultés personnelles entrent en résonnance. Ainsi, si Spider-Man Across the Spider-Verse entend bien redoubler d’inventivité dans la mise en scène de ses séquences d’action, il approfondit aussi ses personnages pour mieux explorer leurs états d’âme, leurs failles et le difficile choc des générations inhérent à l’âge de l’adolescence.

Cette nouvelle exploration des univers parallèles sollicite l’emploi d’une multitude de styles esthétiques qui sautent aux yeux des spectateurs avec un foisonnement à deux doigts de nous donner le tournis. Car à trop vouloir surpasser son modèle, Spider-Man Across the Spider-Verse a des tendances boulimiques qui finissent par se révéler contre-productives. Autant être honnête, nous frôlons parfois la crise d’épilepsie ! Certes, le film est une merveille visuelle qui prend presque les allures d’un showcase de tout ce que le pop’art a pu produire depuis le début des années 60. Revers de la médaille : le spectateur perd parfois le fil, tant subjugué par cette performance artistique en perpétuelle mutation qu’il finit par relâcher son implication dans l’intrigue elle-même. Ce problème se répercute sur tous les aspects du film, y compris dans son accumulation de personnages. Si Spider-Man New Generation nous offrait une demi-douzaine de versions alternatives du tisseur de toiles, ici, ce sont des milliers de Spider-Men qui se déchaînent simultanément à l’écran, du plus « nostalgique » (celui du dessin animé des années 60) au plus invraisemblable (la variante punk).

Spidey dans tous ses états

Cette surenchère déborde bien sûr de générosité, mais c’est plutôt dans les moments intimistes que Spider-Man Across the Spider-Verse parvient à nous captiver, en particulier lorsque ses jeunes héros se confrontent à leurs parents et s’efforcent maladroitement de ne pas rompre le fil de la communication. L’un des enjeux majeurs du personnage tel qu’il fut initialement créé par Stan Lee et Steve Ditko est la non-révélation de son identité secrète et les innombrables dilemmes qui en découlent. Si le Marvel Cinematic Universe a fait le choix – très discutable – de se passer de cette problématique (tout le monde finit par savoir que Spidey et Peter Parker ne font qu’un), le film de Joaquin Dos Santos, Kemp Powers et Justin K. Thompson en fait l’un de ses moteurs dramatiques clés. C’est lorsqu’il se débarrasse de son trop-plein de clins d’œil et d’effets graphiques et qu’il revient à une forme plus pure de narration que Spider-Man Across the Spider-Verse s’avère le plus prenant et le plus touchant. Au bout de plus de deux heures de péripéties tumultueuses, le film s’achève en plein cliffhanger, nous promettant une suite palpitante sous le titre Spider-Man Beyond the Spider-Verse.

 

© Gilles Penso


Partagez cet article

MONSTRES ET COMPAGNIE (2001)

Pixar repousse les limites avec ce film au concept fou revisitant une des frayeurs enfantines les plus récurrentes : le monstre dans le placard…

MONSTERS, INC.

 

2001 – USA

 

Réalisé par Pete Docter, David Silverman et Lee Unkrich

 

Avec les voix de John Goodman, Billy Crystal, Mary Gibbs, Steve Buscemi, James Coburn, Jennifer Tilly, Bob Peterson, John Ratzenberger, Frank Oz, Daniel Gerson

 

THEMA RÊVES I MONDES PARALLÈLES I SAGA PIXAR

Rançon du succès et conséquence des exigences techniques toujours plus grandes des films en production chez Pixar, les effectifs du studio ont considérablement augmenté depuis Toy Story. A l’aube des années 2000, les employés sont désormais 500. Les trois premiers longs-métrages de l’équipe ayant démontré le savoir-faire des membres clé de l’équipe, malgré les nombreux obstacles dressés sur leur chemin, John Lasseter est suffisamment confiant pour laisser quelqu’un d’autre que lui à la tête du quatrième film estampillé Disney/Pixar. C’est donc à Pete Docter, co-scénariste des deux Toy Story, que revient l’honneur de s’asseoir sur le fauteuil du réalisateur. Il sera épaulé par David Silverman, vétéran de la série Les Simpsons pour laquelle il a longtemps officié en tant qu’animateur et réalisateur, et par Lee Unkrich. Quel sera le sujet du prochain Pixar ? Après les jouets vivants, Pete Docter pense à une autre constante de l’imagination enfantine : le monstre dans le placard. Il travaille sur cette idée alors que les équipes sont encore à l’œuvre sur 1001 pattes, et le scénario sera réécrit de nombreuses fois jusqu’à la version que nous connaissons. Au départ, Docter se penche sur l’histoire d’un trentenaire qui retrouve le carnet de croquis où il dessinait des monstres lorsqu’il était enfant. Dès lors, les créatures nées de son imagination apparaissent dans la réalité et l’accompagnent partout, sans que personne d’autre que lui ne puisse les voir. On le voit, il aura fallu bien des réécritures pour arriver au scénario définitif, lequel n’a finalement plus grand chose à voir avec l’idée initiale.

Le personnage humain principal évolue beaucoup au fil des versions. C’est d’abord une fille de six ans, puis un petit garçon, et enfin une fillette d’à peine deux ans qu’on surnomme Boo. Le monstre James Sullivan (alias Sully) apparaît très tôt dans le script, mais son comparse Bob Razowski n’est imaginé qu’au bout d’un an d’écriture, et tous deux passent par de nombreuses étapes de design. Monstres & Cie se situe donc dans la cité foisonnante de Monstropolis, dont l’énergie est fournie par les cris des enfants. Plusieurs spécialistes de la terreur sont chargés d’entrer dans notre monde – à travers des portes ouvrant dans des dimensions parallèles – pour effrayer les enfants en pleine nuit et recueillir leurs hurlements. Sully, un grand monstre sympathique à la fourrure turquoise, est un champion dans ce domaine. Mais un jour, une petite fille pénètre accidentellement à Monstropolis. Passée la panique, Sully et son ami Bob (un globe oculaire vert sur pattes) s’emploient à trouver un moyen de la ramener chez elle en toute discrétion. La tâche ne sera évidemment pas aisée…

Opération peur

Monstres & Cie regorge de créatures délirantes, du lézard-caméléon Randall Boggs au vénérable Henry Waternoose aux yeux multiples et au corps de crustacé, en passant par la vieille limace antipathique Roz et le bibendum velu George Sanderson qui fera le premier les frais de l’intrusion de Boo à Monstropolis. Pour concevoir cette galerie de créatures fantaisistes dignes de la Cantina de La Guerre des étoiles ou de la cour de Jabba dans Le Retour du Jedi, les designers laissent libre cours à leur imagination sans se laisser brider par la moindre contrainte anatomique ou biologique. Le concept fou et incroyablement original de Monstres & Cie permet des séquences de délire pur, dont le point d’orgue est une course poursuite vertigineuse à travers une multitude de portes dont chacune s’ouvre sur un monde parallèle différent. Dans la lignée des gags référentiels de Toy Story 2, Monstres & Cie rend hommage à un certain nombre d’œuvres passées, et notamment au maître de l’animation Ray Harryhausen. Le personnage de Bob Razowski est un clin d’œil (c’est le cas de le dire !) au cyclope du 7ème voyage de Sinbad et Celia, la gorgone aux cheveux-serpents dont il est épris, se réfère à la Méduse du Choc des Titans. Pour ceux qui n’auraient pas saisi les allusions, le nom du restaurant chic dans lequel Bob invite sa dulcinée est Harryhausen ! Rythmé sur une musique jazzy trépidante de Randy Newman, Monstres & Cie sera un énorme succès, le plus gros pour un film d’animation à l’époque, remportant au passage l’Oscar de la meilleure chanson et celui du meilleur sound design. C’est d’autant plus remarquable que son scénario connut de nombreux faux départs et que cinq longues années furent nécessaires à sa concrétisation. A ce jour, c’est encore l’un des films les plus aimés du studio Pixar.

 

© Gilles Penso

À découvrir dans le même genre…

 

Partagez cet article

SPIDER-MAN NEW GENERATION (2018)

Un film d’une incroyable générosité qui transporte l’homme-araignée dans les méandres vertigineux des mondes parallèles…

SPIDER-MAN INTO THE SPIDER-VERSE

 

2018 – USA

 

Réalisé par Peter Ramsey, Bon Persischetti et Rodney Rothman

 

Avec les voix de Shameik Moore, Jake Johnson, Hailee Steinfeld, Mahershala Ali, Brian Tyree Henry, Lily Tomlin, Luna Lauren Velez, Zoe Kravitz, John Mulaney

 

THEMA SUPER-HÉROS I SAGA MARVEL COMICS I SPIDER-MAN

Après ses prodigieux premiers pas « live » orchestrés par Sam Raimi, sa réinvention peu concluante sous les traits d’Andrew Garfield puis sa récupération par le studio Marvel à l’occasion de Captain America : Civil War puis Spider-Man Homecoming, l’homme araignée de Stan Lee et Steve Ditko redouble d’efforts pour continuer à convaincre le public sur grand écran. Mais comment surpasser la quasi-perfection de Spider-Man et Spider-Man 2 ? Alors que Marvel intègre comme il peut le monte-en-l’air à son Cinematic Universe, Sony, qui possède encore les droits d’exploiter le personnage sous une forme animée, décide de proposer une vision alternative. « Le mot d’ordre était simple : vous avez carte blanche à partir du moment où ce que vous faites ne ressemble pas aux films », explique le co-réalisateur Peter Ramsey. « Nous avons alors décidé de nous lancer dans des expérimentations en essayant de reproduire la sensation que l’on a quand on feuillette un comic book » (1). Lorsque s’affichent tour à tous les logos Sony, Columbia et Marvel, altérés furtivement par des interférences qui changent leur texture et leur style graphique, le spectateur sent bien que quelque chose d’inattendu est en marche. Il n’est pourtant pas prêt à un tel choc.

« Allez, je vous la refais encore une fois » annonce la voix off de Peter Parker avant de nous raconter ses origines en accéléré, histoire de prendre à revers cette manie du reboot qui n’en finit plus de réinventer les super-héros que nous connaissons déjà sur le bout des doigts. Les clins d’œil aux films de Sam Raimi irradient d’emblée l’écran, y compris les passages les plus gênants (la danse de Tobey Maguire dans Spider-Man 3 !). Nous sommes donc dans une démarche postmoderne assumée. Cela suffira-t-il à nous distraire pendant un long-métrage entier ? Oui ! Car le scénario a l’intelligence de ne pas nous emmener là où on l’attend. Le héros de cette histoire n’est pas Peter Parker mais Miles Morales, un jeune étudiant latino que les lecteurs des Marvel comics connaissent bien puisqu’il s’agit d’une version alternative du célèbre super-héros sévissant dans les pages de « Ultimate Spider-Man ». Comment le film compte-t-il donc s’y prendre pour mêler ces deux univers à priori incompatibles ? En convoquant les mondes parallèles, ouvrant ainsi la voie aux délires scénaristiques dans lesquels s’engouffrera le studio Marvel avec Spider Man No Way Home et Doctor Strange in the Multiverse of Madness. Mais ici, les univers multiples ne sont pas une solution de facilité pour faire joujou avec les personnages et les situations. Ils constituent l’essence même du film, sa raison d’être et son challenge majeur : offrir au public une œuvre somme compilant près de soixante ans d’aventures du tisseur de toile.

Le choc des générations

Pour relever ce défi, Peter Ramsey, Bon Persischetti et Rodney Rothman concoctent un film funky, drôle, incroyablement bien rythmé mais aussi très émouvant, portant en substance des thématiques fortes liées à la responsabilité, l’apprentissage et la transmission. Et pour que cette générosité contamine la forme, les partis pris artistiques de Spider-Man New Generation repoussent toutes les limites. L’image de synthèse dernier cri est sollicitée pour donner aux spectateurs le sentiment inédit de regarder de véritables dessins prenant soudain du volume, du corps et du relief, avec en prime la convocation de l’imagerie traditionnelle de la BD (notamment l’incrustation des voix off et des onomatopées). Les nombreuses déclinaisons qu’aura pu connaître l’homme-araignée depuis sa naissance en 1962 – y compris les plus improbables – s’entrechoquent dans cette aventure vertigineuse où s’invitent de nombreux super-vilains réinventés sous des formes parfois inattendues (un Bouffon Vert monstrueux, un Rôdeur survolté, un Caïd monumental, un docteur Octopus au féminin ou encore un Scorpion hispanisant). Après un tel coup d’éclat, Tom Holland aura beau se démener de toutes ses forces dans le Marvel Cinematic Universe, ses exploits nous paraîtront bien fades en comparaisons du feu d’artifice que Spider-Man aura vécu dans le Spider-Verse.

 

(1) Propos recueillis par votre serviteur en mai 2023

 

© Gilles Penso

À découvrir dans le même genre…

 

Partagez cet article

TOY STORY 3 (2010)

Lorsqu’un enfant grandit et quitte la maison familiale pour ses études universitaires, que deviennent les jouets de sa chambre ?

TOY STORY 3

 

2010 – USA

 

Réalisé par Lee Unkrich

 

Avec les voix de Tom Hanks, Tim Allen, Joan Cusack, Don Rickles, Wallace Shawn, John Ratzenberger, Estelle Harris, Laurie Metcalf, Michael Keaton, R. Lee Ermey

 

THEMA JOUETS I SAGA PIXAR

Le succès phénoménal des deux premiers Toy Story, indiscutablement mérité, fit vite germer des envies de troisième épisode auprès des dirigeants de Walt Disney et Pixar Animation. Mais au milieu des années 2000, les deux compagnies se mirent à entretenir de complexes relations d’amour/haine qui faillirent déboucher sur un divorce et se conclurent contre toute attente sous la forme d’une fusion. Le projet Toy Story 3, amorcé en 2004 et imaginé autour d’un rapatriement de Buzz à Taïwan pour cause de réparations, fut donc abandonné puis entièrement ré-imaginé, ce qui explique le délai considérable qui sépare cet épisode du précédent (onze ans !). Et c’est Lee Unkrich, monteur de Toy Story et 1001 pattes et co-réalisateur de Toy Story 2 et Monstres et compagnie, qui fut chargé de diriger en solo ce troisième opus. Généralement, les séquelles tardives peinent à retrouver l’éclat de leurs prédécesseurs, l’inventivité de la création initiale s’étant quelque peu évaporée en cours de route. Toy Story 3 fait exception, ravivant l’enthousiasme qui nous anima en découvrant pour la première fois Woody, Buzz et leurs compagnons en plastique, et clôturant avec maestria une trilogie qui fera date dans l’histoire du cinéma.

Dès le premier Toy Story, John Lasseter avait compris que la performance technique ne présentait qu’un intérêt minime si elle ne servait pas une histoire forte et des personnages attachants. Ainsi son statut envié de « premier long-métrage en image de synthèse » s’effaça-t-il bien vite derrière celui de « chef d’œuvre du film d’animation », ni plus ni moins. Le deuxième épisode parvenait encore à surpasser son modèle en termes d’action, d’humour et d’émotion, tout en adaptant sa facture aux développements technologiques survenus entre temps. Depuis, les images numériques ont connu de nouvelles évolutions tandis que le relief s’est progressivement installé comme le nouveau gimmick incontournable du cinéma à grand spectacle. C’est en toute logique que Toy Story 3 se met au goût du jour, plongeant ses spectateurs dans un univers stéréoscopique immersif et perfectionnant les textures et les animations de ses personnages. Mais ces améliorations « cosmétiques » ne viennent jamais prendre le pas sur l’essence du concept, si forte et si universelle qu’elle continue à toucher avec autant d’impact les enfants et les adultes, chacun puisant dans ce film son lot de divertissement, de sensations fortes ou de nostalgie.

La palette des émotions

Co-écrit par Lee Unkrich, John Lasseter, Andrew Stanton (Nemo, Monstres et compagnie, Wall-E) et Michael Arndt (Little Miss Sunshine), Toy Story 3 nous éblouit par l’originalité de ses séquences d’action, et ce dès un prologue hallucinant qui projette sur grand écran l’imagination fertile d’un enfant transformant les jouets de sa chambre en héros d’épopées colossales et démentielles. Le reste du métrage n’est pas avare en scènes de cette ampleur, les moments de suspense s’appuyant souvent sur la mécanique du « film de prison » pour mieux en détourner les codes. Car la crèche où échouent les héros miniatures n’a rien à envier à Alcatraz, les clans s’y opposant sous la supervision faussement bienveillante d’un vieil ours en peluche aux méthodes douteuses. On le voit, chaque génération trouvera là matière à se réjouir en fonction de ses propres références. C’est aussi dans Toy Story 3 que surviennent quelques-unes des séquences les plus hilarantes jamais concoctées par les petits génies de Pixar, Buzz l’éclair nous livrant à l’occasion une prestation hispanisante pour le moins inattendue tandis que les relations parodiques entre Barbie et Ken valent leur pesant d’or. La richesse du film se mesure finalement à la largesse de sa palette émotive. A ce titre, le final s’avère plus poignant qu’on ne l’aurait cru, titillant la corde que l’on pensait insensibilisée et cherchant à éveiller et à combler l’enfant qui sommeille encore chez chacun d’entre nous.

 

© Gilles Penso


Partagez cet article

TOY STORY 2 (1999)

Un deuxième épisode qui parvient à dépasser en ambition et en folie son prédécesseur, malgré une réalisation semée d’embûches…

TOY STORY 2

 

1999 – USA

 

Réalisé par John Lasseter, Lee Unkrich et Ash Brannon

 

Avec les voix de Tom Hanks, Tim Allen, Joan Cusack, Kelsey Grammer, Don Rickles, Jim Varney, Wallace Shawn, John Ratzenberg, Annie Potts

 

THEMA JOUETS I SAGA PIXAR

Disney envisageait de produire Toy Story 2 avant même la sortie de 1001 pattes, sous forme d’un film à budget réduit commercialisé directement en vidéo. Coutumier du fait, le studio avait déjà initié des suites bon marché de Aladdin, La Belle et la Bête, Pocahontas et Le Roi Lion. Peu mémorables, ces « épisodes 2 » sacrifiaient hélas souvent la qualité au profit de la rentabilité. Lorsque les membres de Pixar discutent de l’éventualité d’une suite de Toy Story avec Disney, ils acceptent de tenter l’expérience sans pour autant réduire leurs ambitions créatives. Mais après quelques mois de travail, l’équipe de John Lasseter n’arrive pas à envisager un film « low cost », au risque de sombrer dans la facilité. Après réflexion, les dirigeants de Disney ne s’opposent pas à l’idée que cette séquelle sorte en salles, mais les choses deviennent complexes dans la mesure où Pixar doit du coup gérer la réalisation simultanée de deux longs-métrages ambitieux : 1001 pattes et Toy Story 2. Deux groupes distincts se lancent donc dans cette double aventure. La « dream team » du premier Toy Story se concentre sur 1001 pattes et une seconde équipe un peu moins expérimentée se met à l’œuvre sur Toy Story 2. En théorie, c’est une sage décision. Mais après une année de labeur, il devient évident que cette organisation ne fonctionne pas. En découvrant les premières images de Toy Story 2, John Lasseter n’a qu’un mot à la bouche : « c’est un désastre ». Que faire ? Épaulé Lee Unkrich, monteur du premier Toy Story, et Ash Brannon, storyboarder sur 1001 pattes, Lasseter n’a que neuf mois pour refaire entièrement Toy Story 2, ce qui semble impossible, mais il y a un délai à respecter vis à vis de Disney qui a déjà programmé la date de sortie du film.

Si le concept narratif initial est conservé, il faut entièrement repenser l’histoire, qui commence lorsque le cowboy Woody, le bras décousu, est abandonné par erreur dans un vide-grenier et échoue dans les mains d’un collectionneur qui veut en faire la vedette d’un salon japonais, aux côtés d’autres jouets issus de la même série vintage : la cowgirl Jessie, le vieux prospecteur Pete et le cheval Pile-Poil. Mais dans cette première version du scénario, les motivations de Woody ne sont pas crédibles et les péripéties trop mécaniques. Deux éléments cruciaux sont donc ajoutés : le pingouin siffleur Wheezy, abandonné sur une étagère poussiéreuse depuis que son sifflet est cassé, et l’histoire de Jessie, abandonnée par la fillette qui l’adorait lorsque celle-ci est devenue adolescente. Désormais, le dilemme que vit Woody devient tangible : doit-il risquer d’être abandonné lui aussi lorsque Andy grandira, ou ne vaut-il pas mieux rejoindre cette nouvelle famille de jouets derrière les vitrines d’un musée ? Comme par un étonnant effet de jeux de miroirs, les multiples rebondissements qu’ont vécu les membres de Pixar pendant l’élaboration de Toy Story 2 (remaniement total de l’équipe et du scénario, effacement accidentel de 90% des fichiers numériques du film puis récupération in-extremis d’une sauvegarde des mêmes fichiers chez une directrice technique en télétravail) semblent trouver leur écho dans le film lui-même. Les petits héros en bois et en plastique y vivent un véritable parcours du combattant ponctué de morceaux de bravoure dépassant en audace et en folies celles du premier Toy Story.

Clins d’œil

On se souvient notamment de l’incroyable séquence de poursuite finale dans l’aéroport, qui commence dans le centre de tri des bagages et s’achève dans un avion sur le point de décoller. Le film abonde de scènes d’action et de suspense de cet acabit, comme la traversée d’une route surchargée par les jouets cachés sous des cônes de signalisation ou la tentative d’évasion de Woody dans l’ascenseur. L’émotion monte aussi d’un cran avec la poignante chanson « When She Loved Me », interprétée par Sarah McLachlan, qui interrompt la narration pendant trois minutes pour narrer les désillusions de la poupée Jessie. Toy Story 2 joue aussi la carte du clin d’œil et de la référence, exercice auquel ne se livrait pas autant son prédécesseur. Le méchant Zurg déclare à Buzz « Je suis ton père » comme dans L’Empire contre-attaque, le tyrannosaure Rex poursuit une voiture miniature en une sorte de remake de Jurassic Park, Buzz effectue le salut des Vulcains de Star Trek, Monsieur Patate se sert de son chapeau comme un projectile à la manière du vilain de Goldfinger… On note aussi la présence de la poupée Barbie (que Mattel n’avait pas voulu faire figurer dans le premier Toy Story) et les épisodes de la vieille série télévisée imaginaire « Woody’s Roundup » dans laquelle les animateurs de Pixar s’efforcent de faire ressembler les images de synthèse à de véritables marionnettes s’animant dans une émission télévisée en noir et blanc, l’effet étant bluffant de réalisme. Énorme succès, Toy Story 2 remporte le Golden Globe du meilleur film et lance aussitôt l’idée d’autres suites possibles.

 

© Gilles Penso


Partagez cet article

MONSTRES CONTRE ALIENS (2009)

Imaginez un mixage déjanté du Blob, de L’Étrange créature du lac noir, de La Mouche noire, de Mothra et de Attack of the 50 Foot Woman

MONSTERS VS. ALIENS

 

2009 – USA

 

Réalisé par Rob Letterman et Conrad Vernon

 

Avec les voix de Reese Witherspoon, Hugh Laurie, Paul Rudd, Seth Rogen, Will Arnett, Kiefer Sutherland, Rainn Wilson, Stephen Colbert

 

THEMA EXTRA-TERRESTRES I NAINS ET GÉANTS I MONSTRES MARINS

Le jour de son mariage, la jolie Susan est heurtée de plein fouet par une météorite. Les conséquences ne tardent pas à se faire sentir : en quelques minutes, elle grandit jusqu’à atteindre la taille de King Kong. Aussitôt, une section spéciale du gouvernement la capture et l’enferme dans une base ultra-secrète où sont retenus d’autres « monstres » comme elle. Elle y rencontre le docteur Cafard, un savant doté d’une tête d’insecte suite à une expérience ratée, le roublard Link, un chaînon manquant entre l’homme et le poisson, Bob, une masse gélatineuse sympathique mais dénuée de cervelle, et Insectosaure, une peluche invertébrée gigantesque à côté de laquelle même Susan ressemble à une Lilliputienne. Pour faire bonne figure, notre infortunée géante est elle-même rebaptisée Génormica et s’apitoie bientôt sur son triste sort… Comme on peut le constater, même si Monstres contre Aliens s’adresse en priorité à un public enfantin et familial, les amateurs purs et durs de science-fiction à l’ancienne sont comblés, car les références aux classiques du genre abondent généreusement.

Les monstres vedettes sont des clins d’œil respectifs à Attack of the 50 Foot Woman et Le Fantastique homme colosse (pour Genormica), La Mouche noire (pour le docteur Cafard), Danger planétaire (pour Bob) et Godzilla et Mothra (pour Insectosaure). Le ton est d’ailleurs donné dès les premières secondes du film, avec cet OVNI échappé des Soucoupes volantes attaquent qui kidnappe l’enfant du logo Dreamworks ! Mais Monstres contre Aliens ne s’arrête pas en si bon chemin, et lorsque le maléfique extra-terrestre Gallaxhar et son armée de clones débarquent sur Terre, les spectateurs ont droit à une hilarante parodie de Rencontres du troisième type qui constitue de toute évidence l’une des scènes les plus drôles de ce réjouissant long-métrage d’animation. Dès lors, comme le titre l’indique clairement, les créatures gardées au secret sont sollicitées pour affronter les envahisseurs d’outre-espace, sans la moindre garantie d’un résultat positif, évidemment…

Les monstres attaquent la ville

Co-réalisé par deux piliers du département animation de Dreamworks, Monstre contre Aliens rappelle logiquement l’esprit pasticheur des trois Shrek, qui cultivait lui aussi un humour multigénérationnel. Mais ici, le studio concurrent Pixar vient également beaucoup à l’esprit, notamment à travers ces créatures improbables cousines de celles de Monstres et compagnie, le look de Génormica qui évoque la femme élastique des Indestructibles et cet alien idiot dont les maladresses rappellent l’excellent court-métrage Extra-terrien. Le film évite cependant tout effet de déjà-vu grâce à ses péripéties incroyablement mouvementées, son grain de folie permanent, ses dialogues percutants et ses gags à répétition. Ceux qui auront la chance de le visionner en relief y verront leur plaisir amplifié, notamment dans les scènes spatiales dotées d’une profondeur insondable ou lors des séquences d’action frénétiques comme la poursuite échevelée dans les rues de San-Francisco. La réussite du film repose également beaucoup sur le soin apporté aux personnages humains, de l’ambitieux fiancé Derek, qui rêve de devenir vedette du petit écran, au général Putsch, qui ne se déplace jamais sans son parachute, en passant par le désopilant Président des États-Unis dont le manque de sang-froid le dispute à la maladresse. Bref, pour reprendre la formule consacrée, voilà de quoi largement amuser petits et grands, le tout sous les accords trépidants du compositeur Henry Jackman, collaborateur de longue date de Hans Zimmer et talentueux émule de John Powell.

 

© Gilles Penso


Partagez cet article

TOY STORY (1995)

Un cow-boy en bois et un cosmonaute en plastique allient leurs forces pour reconquérir le cœur d’un enfant… La machine Pixar est lancée !

TOY STORY

 

1995 – USA

 

Réalisé par John Lasseter

 

Avec les voix de Tom Hanks, Tim Allen, Don Rickles, Jim Varney, Wallace Shawn, John Ratzenberger, Annie Potts, John Morris, Erik von Detten, Laurie Metcalf

 

THEMA JOUETS I SAGA PIXAR

Quatre ans d’efforts auront été nécessaires pour donner naissance à Toy Story, tenant du titre convoité de premier long métrage en images de synthèse. Car si au milieu des années 90 les créations toujours plus réalistes des infographistes fleurissaient déjà de manière foisonnante, jamais un film entier n’avait encore banni toutes prises de vues réelles au profit de la synthèse pure. Pour les besoins d’un projet aussi gigantesque, la structure quasi-artisanale de la compagnie Pixar nécessite d’être revue à la hausse. Ainsi, les vingt-quatre employés initiaux de la société se retrouvent-ils au sein d’une équipe de cent artistes et techniciens. La trentaine d’animateurs réunie sous la supervision de Pete Docter a surtout fait ses armes loin des ordinateurs, dans le domaine du dessin animé traditionnel ou de l’animation en volume. Pour faciliter la tâche de ces artistes pas nécessairement familiarisés avec le travail infographique, le logiciel d’animation de Pixar, conçu sous le mode le plus convivial possible, s’avère l’outil idéal. Les animateurs de Toy Story se prêteront par ailleurs à des séances de mime et de comédie, afin de mieux entrer dans la peau des futurs personnages. Au cours de multiples sessions d’écriture, John Lasseter, Pete Docter, Joe Ranft, Andrew Stanton et Joss Whedon se réunissent pour rédiger les premières moutures du scénario. Lasseter s’inspire de deux jouets de son enfance pour imaginer les héros miniatures du film, un Casper qui parle lorsqu’on tire sur une ficelle et un G.I. Joe.

Dans la version finale du script, établie en janvier 1993, les protagonistes deviendront Woody et Buzz, autrement dit un cow-boy et un chevalier de l’espace hauts comme trois pommes. Selon le principe éprouvé du buddy movie, tous deux sont amenés malgré eux à cohabiter et à lutter, d’abord séparément puis côte à côte, pour reconquérir Andy, l’enfant auquel ils appartiennent. Les jouets choisis dans le film sont une combinaison d’inventions et de jouets réels, de nouveautés et d’anciens modèles. Ainsi évoluent aux côtés des deux héros un Monsieur Patate en pièces détachées, un cochon tirelire, une lampe de porcelaine en forme de jolie bergère, un chien extensible à ressort, un tyrannosaure jovial en plastique, un seau plein de soldats, une boîte remplie de singes, un télécran… Tous les jouets sont animés en fonction des articulations que sont véritablement censés posséder ces personnages en bois ou en plastique, avec toutes les limitations et les rigidités que cela comporte. L’erreur aurait en effet consisté à vouloir doter cette cohorte colorée et joyeuse de mouvements anthropomorphiques ou animaliers hyperréalistes. Le tyrannosaure en plastique baptisé Rex (et imaginé par Joss Whedon) en est un exemple frappant. Si l’on s’amuse à le comparer avec son congénère animé par les artistes d’ILM et du Tippett Studio pour Jurassic Park, on aura une idée de la démarche adoptée.

La course aux jouets

L’un des morceaux de bravoure du film est la scène de poursuite finale, un climax spectaculaire qui combine habilement les jouets, les êtres humains et les décors naturalistes. De l’aveu même du storyboarder Andrew Stanton, cet épisode mouvementé s’inspire d’une prestigieuse anthologie de poursuites cinématographiques, de Bullit à Ben Hur en passant par Les Aventuriers de l’arche perdue et Retour vers le futur 3. On pourrait ajouter The Wrong Trousers, l’une des fameuses aventures de Wallace et Gromit qui, avec une technique beaucoup plus artisanale, se terminait elle aussi par une poursuite franchement spectaculaire. Mais les plus grandes références du film de John Lasseter semblent remonter à bien plus loin. En effet, le principe de Toy Story évoque beaucoup les Puppetoons, ces fameux courts-métrages réalisés entre 1941 et 1949 par George Pal. Rien n’empêche non plus de penser que The Mascot de Ladislas Starevitch, un film de 20 minutes dans lequel des jouets animés image par image se réveillent dans la chambre d’un enfant endormi, ait partiellement servi d’inspiration à l’équipe de Pixar. Fort de ce passé riche en poésie fantastique, Toy Story s’inscrit donc dans une prestigieuse lignée et assume pleinement l’image de synthèse comme outil supplémentaire, sans jamais qu’il ne soit le moteur de l’intrigue ou le prétexte du récit. De fait, rien n’aurait empêché Toy Story d’être un film de marionnettes ou un dessin animé. C’est la combinaison d’un scénario en béton armé, de personnages extrêmement attachants, d’une mise en scène millimétrée, d’interprètes vocaux irrésistibles (avec en tête Tom Hanks et Tim Allen, remplacés avec talent par Jean-Philippe Puymartin et Richard Darbois dans la version française) et d’un outil technologique révolutionnaire qui auront permis à Toy Story de triompher aux quatre coins de la planète. La presse, dithyrambique, multipliera les superlatifs, et John Lasseter recevra à cette occasion un Oscar d’honneur.

 

© Gilles Penso


Partagez cet article