ANZU, CHAT-FANTÔME (2024)

Une préadolescente confiée aux soins de son grand-père se lie d’amitié avec le spectre d’un félin revenu d’entre les morts…

GHOST CAT ANZU-CHAN

 

2024 – JAPON / FRANCE

 

Réalisé par Yôko Kuno et Nobuhiro Yamashita

 

Avec les voix de Mirai Moriyama, Noa Gotô, Munetaka Aoki, Miwako Ichikawa, Keiichi Suzuki, Jon Allen, Jonah Bromley, David Goldstein, Shingo Mizusawa

 

THEMA MAMMIFÈRES I FANTÔMES

Adapté d’un manga de Takashi Imashiro, (auteur de Colère Nucléaire aux éditions Akata), Anzu, chat-fantôme s’inscrit dans la tradition des films de fantômes japonais avec un bestiaire de créatures infernales auxquelles vont se trouver confrontés les amis d’Anzu, des esprits de la forêt, qui bien que téméraires, n’ont ni talent, ni don inné pour la bagarre. Notre héros et ses comparses, issus des croyances animistes auxquelles la japanimation et Miyazaki en particulier nous ont habitués (Yōkai, Mononoke, Nekomata), vont donc nous entrainer dans leur monde fantasque, tandis qu’ils seront partie prenante dans cette histoire pour épouser les émotions humaines et combattre leurs démons. Il y a aussi du Takahata dans ce film d’animation sympathiquement foutraque qui se joue en deux parties. Dans un premier temps, une pré-adolescente dont la mère est décédée est confiée aux soins de son grand-père, moine d’une petite contrée, par un père qui n’est pas sans rappeler Tetsu, celui de Kié la petite peste, film novateur du maître sorti en 1981 au Japon.

Combinant l’animation 2D et la rotoscopie, le film nous entraîne dans la résilience de l’enfant qui finira par apprivoiser ce chat revenant, mal léché et très drôle, qui s’avère être un vrai protecteur et un monstre de tendresse. Anzu s’est adapté à son environnement après avoir été simplement le chat domestique du temple (un « bakeneko » selon le folklore japonais). Après sa mort, il est devenu un véritable homme-chat à tout faire qui s’est donné pour mission de prendre soin de la fillette et de lui rendre le sourire. C’est ainsi qu’il va affronter à la courte-paille le dieu de la misère et de la tristesse, prêt à s’abattre sur elle, et à qui Anzu demande de l’épargner et de l’aider à retrouver sa mère hors du monde des vivants, en échange de quoi il l’aidera à trouver une meilleure mission. C’est ici que le film bascule dans une seconde partie qui se déroule aux enfers (dont on sort aussi étrangement qu’on y est entrés).

Créatures infernales

Ici, donc, pas de grandes réflexions métaphysiques sur la vie dans l’au-delà, si ce n’est que les vivants sont bel et bien sur terre pour profiter de leur vie éphémère. Le film vaut beaucoup par les échanges chat-fille et père-fille et par ses drôleries inventives qui fusent parmi des dessins à la mesure des grands auteurs japonais. À noter, fait rare, que le film est une coproduction franco-japonaise entre le célèbre studio Shin Ei-Animation (Doræmon, Panda Petit Panda) qui a vu débuter Miyazaki et Takahata, et Miyu Productions, société qui s’est distinguée dans les festivals internationaux avec son film franco-italien Linda veut du poulet (Cristal du long-métrage 2023 à Annecy et César du meilleur film d’animation 2024). Il est co-réalisé par la mangaka Yôko Kuno, talentueuse directrice de l’animation en rotoscopie, et Nobuhiro Yamashita, célèbre au Japon pour ses films en prise de vues réelles, qui signe ici son premier film d’animation.

 

© Quélou Parente


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SKY DOME 2123 (2023)

Une superbe dystopie qui évoque les thèmes de L’Âge de cristal et de Nausicaa de la vallée du vent

MUANYAG EGBOLT / WHITE PLASTIC SKY

 

2023 – HONGRIE / SLOVAQUIE

 

Réalisé par Tibor Bánóczki et Sarota Szabó

 

Avec les voix de Tamás Keresztes, Zsófia Szamosi, Géza D. Hegedüs, Judit Schell, István Znamenák, Zsolt Nagy, Márton Patkós, Renátó Olasz

 

THEMA FUTUR

2123. La Terre est aride. Plus rien n’y survit. Les animaux et les végétaux ont disparu de sa surface, et les humains sont regroupés sous un dôme qui rappelle celui de L’Âge de cristal ou de Total Recall. Un dôme qui se veut protecteur, mais tout autant oppressant avec des règles strictes qui réclament le sacrifice de chacun pour la survie de tous. En effet, à l’âge de cinquante ans, afin de fournir l’oxygène nécessaire à la continuité de l’espèce humaine, chacun renonce à ses années de vie supplémentaires et se fait implanter une graine dans le cœur afin de se transformer en arbre. Souffrant de la mort prématurée de son fils, Nora, 32 ans, s’est portée volontaire pour en finir au plus vite. Son mari Stefan, docteur en psychiatrie, ne l’entend pas de cette oreille. Il va braver les interdits de la nouvelle Budapest, sortir du Dôme, et retrouver la trace du premier inventeur du système, le professeur Paulik, pour tenter de faire opérer sa femme et inverser le processus d’implantation. Mais est-ce vraiment ce que veut Nora ?

À travers les émotions que traversent ces personnages tout en profondeur, dans un monde anxiogène où la vie ne tourne plus qu’autour de notions de survie, nous nous retrouvons au cœur des grandes questions philosophiques fondamentales qui animent l’être humain sur le sens de la vie et sa propre essence. Le film est formellement très beau, avec une animation hybride mêlant rotoscopie manuelle, maquettes en 3D et images de synthèse pour un résultat à fleur de peau et d’écorce où les nœuds des arbres évoquent les liens que nouent les hommes entre eux, mais aussi avec la nature.

Un siècle dans le futur…

Comme dans toutes les histoires où toute cause semble perdue d’avance, l’amour n’y est ni mièvre ni tiède, mais il devient essentiel, comme les éléments vitaux que sont l’eau, le sang, la sève. Il s’infiltre donc dans tous les interstices de ce film porté par une bande son où les silences se fondent avec délicatesse aux voix douces et profondes des protagonistes hongrois, et à la musique originale du compositeur Christopher White. Un film bouleversant qui nous projette un siècle en avant dans un futur que la science-fiction a prédit maintes fois, simplement en observant le pire dont on sait l’homme capable. Le meilleur reste porteur d’espoir. Il passe par l’impossibilité qu’ont certains, comme Stefan, de se résigner.

 

© Quélou Parente


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GARÇON ET LE HÉRON (LE) (2023)

Dans ce « film testament » d’Hayao Miyazaki, un adolescent découvre un monde magique habité par un héron gris qui parle…

KIMITACHI WA DÔ IKIRU KA

 

2023 – JAPON

 

Réalisé par Hayao Miyazaki

 

Avec les voix de Soma Santoki, Masaki Suda, Yoshino Kimura, Shôhei Hino, Takuya Kimura, Kô Shibasaki, Aimyon, Keiko Takeshita, Jun Fubuki

 

THEMA VOLATILES ET REPTILES I CONTES

Annoncé par le maître lui-même comme un film testamentaire adressé à son petit-fils, la dernière production de Hayao Miyazaki est librement adaptée d’un roman philosophique pour enfants Kimi-tachi wa Dô Ikiru ka (Et vous, comment vivrez-vous ?) de Genzaburo Yoshino. Si le livre, publié par son auteur en 1937, a été un succès immédiat, il lui a aussi valu d’être emprisonné à de multiples reprises ; en effet, alors que le Japon s’armait pour rentrer en guerre, les autorités s’inquiétaient de voir un manque de patriotisme dans certains questionnements comme donner à réfléchir à ce qui fait de nous des êtres humains. Il s’agit d’un échange de pensées, un dialogue à deux voix entre un oncle et son neveu, un jeune garçon qui fait l’apprentissage de la vie après la perte de son père et la trahison de son meilleur ami. Pour le film, Miyazaki a voulu se détacher des contraintes de l’adaptation, s’étant emparé du roman initiatique comme source d’inspiration pour mieux explorer ses propres thèmes de prédilection qui rentrent en résonnance avec le best-seller : le monde en guerre, l’injustice, la mort ou la maladie, la douleur de la perte des êtres aimés, l’au-delà, la beauté de la Nature, fragile et forte à la fois, la nostalgie du temps passé, les liens d’amitié, tout ce qui nous transcende et fait de nous les êtres humains que nous choisissons d’être.

La magie de Miyazaki est de réussir à ancrer l’indicible dans un univers fantasmagorique, sorte de rêve éveillé, un rollercoaster qui voyage dans les strates de notre inconscient, de notre psyché. Cet univers, en lien direct avec le cycle de la vie, relie la naissance et la mort comme une vague infinie que l’amour filial, parental et autres, vient adoucir en lui donnant son caractère d’éternité. C’est aussi un film très freudien dont Miyazaki dit lui-même qu’il serait bien en peine de devoir l’expliquer, et qui donne à coup sûr l’impression au public de s’y perdre. À moins, comme le réalisateur le préconise lui-même pour nombre de ses films (Ponyo sur la falaise, Le Voyage de Chihiro) de se laisser porter par son flux et son rythme, semblables, et ce n’est pas anodin, aux mouvements de la mer (ou de la mère). « L’éternité, c’est la mer mêlée au soleil » disait Arthur Rimbaud et c’est bien sur ce registre poétique que le film de Miyazaki s’inscrit et s’apprécie.

« Tenter de vivre »

Mahito est un jeune garçon de onze ans quittant Tokyo après le décès de sa mère disparue dans un incendie. Il part rejoindre son père qui habite à la campagne dans la région dont sa mère était elle-même originaire. Celui-ci vit à présent avec sa nouvelle femme qui attend un bébé et accueille son beau-fils dans leur maison familiale, tenue par une multitude de grand-mères aussi envahissantes que chaleureuses. En dehors d’un étrange héron cendré qui parle et se montre lui aussi de plus en plus intrusif, on notera ; comme un premier anachronisme de cette épopée lyrique, la voix grave de Mahito qui trahit sa maturité due aux épreuves qu’il a traversées, voix contrastant avec celles enfantines des vieilles dames qui l’entourent. Car s’il s’agit de transmission dans le film, comme dans le roman dont il est issu, c’est sur les traces de l’oncle de sa mère, « devenu fou pour avoir trop lu », que Mahito va devoir trouver le chemin de sa propre existence dans les méandres d’un étrange manoir rempli d’ouvrages anciens et de portes qui s’ouvrent sur des espace-temps comme autant de multivers… Dix ans après Le Vent se lève, il faut continuer de « tenter de vivre » quand la folie des hommes fauche ceux que l’on aime. Les personnages dont les existences s’entrechoquent et s’entrecroisent dans ce pays des merveilles sont tous attachants, qu’ils soient réalistes ou absurdes. Le film, comme toute l’œuvre de Miyazaki, est dénuée de manichéisme, saupoudré d’animisme dans la tradition shintoïste japonaise, et se retrouve bercé par la musique symphonique de Joe Hisahishi qui, contrairement à d’autres œuvres telles Princesse Mononoké, accompagne l’action en toute discrétion sans l’emporter dans des envolées lyriques. Par là-même, il sublime les décors somptueux qui à eux seuls donnent à ce long-métrage d’animation son statut de chef-d’œuvre éblouissant de beauté. Un grand spectacle qui s’inscrit dans la haute lignée des studios Ghibli.

 

© Quélou Parente


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FLOW : LE CHAT QUI N’AVAIT PLUS PEUR DE L’EAU (2024)

Dans un monde englouti par un déluge apocalyptique, un chat noir et ses compagnons d’infortune tentent de survivre…

STRAUME

 

2024 – FRANCE / BELGIQUE / LETTONIE

 

Réalisé par Glints Zilbalodis

 

THEMA MAMMIFÈRES I FUTUR

Après sept courts-métrages, le réalisateur letton Gints Zilbalodis s’est fait connaître en 2019 avec un premier long-métrage primé, Ailleurs (Away), avant de remporter avec Flow pas moins de quatre prix au Festival d’Annecy, dont les convoités Prix du Jury et Prix du Public, ainsi que celui de la meilleure musique originale qui vient souligner avec délicatesse toute la beauté de ce film sans paroles. Nous y suivons les péripéties d’un jeune chat noir aux grands yeux écarquillés dans un monde semi-englouti. Les humains ont disparu, et quelques animaux tentent de survivre, réfugiés sur un bateau à la dérive. Sur cette arche providentielle, notre héros va devoir apprendre à affronter ses peurs, plonger et nager sous l’eau, attraper des poissons, et même partager le fruit de sa pêche avec des compagnons d’infortune dont les différences lui dictent de se méfier de leur monstruosité apparente : un capibara, plus gros rongeur du monde mais inoffensif, un chien doux suivi d’une meute excitée, un lémurien malin et un échassier énigmatique. Au fil de la montée des eaux, les paysages en ruine disparaissent, inondés par les variations de lumières naturelles dont un cruel zénith qui réclame un coin d’ombre, tandis que la faim tenaille les estomacs vides.

La bande de compères sapprivoise et s’adapte en faisant preuve d’une résilience commune pour survivre à ce déluge dont nous constatons les conséquences, sans en connaître l’origine, ni la raison de la disparition des hommes. Ce conte philosophique et poétique soulève donc de nombreuses questions qui resteront sans réponse, mais aussi un flot d’émotions fortes en nous rappelant que nous sommes tous des animaux sur un même bateau, avec des ressentis et des besoins vitaux communs, les mêmes peurs et frissons, attirances ou répulsions. Le réalisateur, grâce à l’expérimentation et la combinaison de procédés appartenant à l’animation et au jeu vidéo, et en utilisant le logiciel 3D Blender, raconte une histoire fabuleusement onirique et contemplative qui nous emmène dans un univers aussi bien fantasmé par moments (la séquences avec l’oiseau), qu’hyper réaliste par d’autres.

Une splendide épopée initiatique

Un message écologique rappelle discrètement en filigrane celui de Pierre Boule avec La Planète des Singes : à force de ne pas collaborer avec la nature, on ne sait finalement pas si l’Homme ne sera pas le grand perdant de cette destruction programmée. Le flux et le reflux des flots font tour à tour le bonheur des uns ou le malheur des autres, rappelant que chacun se nourrit au dépend d’autres espèces vivantes. Lorsque l’eau se retire, le chaton se retrouve impuissant à sauver lui-même le monstre aquatique qui lui a sauvé la vie. Point de jugement, de condamnation, de manichéisme, nous suivons le flow de cette odyssée que le cinéaste dessine avec une immense grâce, et qui fait la part belle à lamitié inter-espèces. Tout en évoquant l’effondrement des civilisations et les légendes sur les mondes engloutis ou disparus, alors que la marée se retire, nous acceptons ici, à la douceur du crépuscule, notre condition d’être vivant, dépendant d’un écosystème plus ou moins capricieux qui a inspiré à Gints Zilbalodis cette œuvre unique et magistrale !

 

© Quélou Parente


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UROTSUKIDOJI : LA LÉGENDE DU DÉMON (1989)

Des monstres baveux et tentaculaires, de l’érotisme débridé et des catastrophes à grande échelle sont au programme de ce film animé apocalyptique…

CHÔJIN DENSETSU UROTSUKIDÔJI

 

1989 – JAPON

 

Réalisé par Hideki Takayama

 

Avec les voix de Tomohiro Nishimura, Tsutomu Kashiwakura, Hirotaka Suzuoki, Kenyuu Horiuchi, Yasunori Matsumoto, Youko Asagami, Maya Okamoto

 

THEMA DIABLE ET DÉMONS

Prolifique créateur de mangas depuis le milieu des années 70, Toshio Maeda a très tôt voulu s’amender des bandes dessinées tout public pour explorer des contenus plus adultes, plus subversifs et plus érotiques. Si le champ des possibles est alors assez vaste en ce domaine, la représentation d’appareils génitaux masculins reste interdite par la censure. Maeda contourne le problème en utilisant des tentacules phalliques. « Dessiner des rapports sexuels était – et est toujours – illégal au Japon », confirme-t-il. « C’est notre grand casse-tête : comment créer des scènes sensuelles intenses ? Il nous a fallu trouver des astuces. J’ai donc conçu une créature avec des tentacules qui ressemblent à des pénis. Les créatures n’ont pas de sexe. Une créature est une créature. Ce n’est donc pas obscène, ni illégal. » (1) Cette imagerie, chère au genre « hentaï » alimente la culture nippone depuis fort longtemps, comme en témoigne par exemple la fameuse peinture « Le Rêve de la femme du pêcheur » de Hosukai (1814) qui décrit un accouplement zoophile avec une pieuvre. Mais Maeda l’a popularisée à grande échelle, notamment via son œuvre la plus célèbre, la série « Urotsukidoji » publiée à partir de 1985. Deux ans plus tard, le réalisateur Hideki Takayama adapte ce manga sous forme de trois moyens métrages en animation directement destinés au marché vidéo, puis les combine sous forme d’un film unique en 1989. Ce sera Urotsukidoji : la légende du démon.

En tout début de métrage, nous découvrons la mythologie sur laquelle va se construire le récit. Trois mondes parallèles coexistent : le monde des Ninjinkaï, c’est-à-dire le nôtre ; le monde des Makaï, autrement dit les démons ; et le monde des Jujinkaï, des êtres mi-humains mi-bêtes. Ces univers cohabitent selon un équilibre fragile, mais une légende vieille de trois millénaires annonce la venue prochaine du Chojin, un être aux immenses pouvoirs qui saura réunir ces trois mondes en un grand tout harmonieux. Envoyé chez les humains depuis 300 ans, l’homme-bête Amano cherche désespérément qui sera le nouveau Chojin. Il est crucial qu’il le trouve avant les démons qui, eux aussi, sont sur sa trace. Il se pourrait que cet être tant convoité se cache sous les traits d’un étudiant de l’université Myojin. Le choix d’Amano se porte sur Osaki, vedette de l’équipe de basket. Mais sa sœur, femme-bête elle aussi, penche plutôt pour Nagumo, un lycéen un peu idiot victime de harcèlement. Alors que ce dernier commence à découvrir ses nouveaux pouvoirs, Amano découvre que quelque chose ne tourne pas rond. Et si le Chojin n’était pas une créature de paix mais un monstre dont les pouvoirs menacent le monde entier ?

Tous les excès sont permis

Tout le paradoxe d’une certaine culture populaire japonaise jaillit sur l’écran d’Urotsokidoji. Les petites créatures comiques, les écolières mignonnes et les romances sirupeuses côtoient les monstres visqueux, le gore le plus outrancier et l’érotisme graveleux et déviant. Côté « body horror », toutes les limites sont allègrement franchies : les corps se déchirent, les chairs se disloquent, les ventres s’ouvrent pour déverser des litres de substances visqueuses, les membres s’arrachent et expulsent des tentacules pantelants, les visages se déforment, se multiplient, se garnissent de crocs acérés et de langues démesurées. C’est comme si The Thing se multipliait par cent, comme si Giger s’accouplait avec Bosch, Druillet et Brueghel. Tandis que le sang, le feu, le sperme et toutes sortes de substances indéterminées aspergent les personnages sans la moindre retenue, le film de Takayama multiplie les images apocalyptiques et dantesques, comme ces centaines d’hommes et de femmes qui hurlent tandis qu’un hôpital se mue en antichambre de l’enfer et qu’un démon colossal digne de Lovecraft s’en extirpe. Sans compter ces visions parfaitement surréalistes d’un Enfer peuplé de créatures dont l’anatomie défie l’entendement, ou cette vision d’un futur cataclysmique où des femmes à quatre seins d’accouplent avec des démons ou sont pénétrées par des tentacules. La gratuité manifeste et provocatrice de certains passages d’Urotsukidoji peut laisser perplexe, mais le jusqu’au-boutisme de ce film fou et la qualité de sa réalisation feront date dans l’histoire du cinéma d’animation japonais. Deux autres longs-métrages seront produits dans la foulée : Urotsukidôji : Birth of the Overfiend (1990) et Urotsukidôji : Curse of the Overfiend (1990).

 

(1) Extrait d’une interview parue dans « Sake-Drenched Postcards » en janvier 2003

 

© Gilles Penso


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TRANSFORMERS : LE COMMENCEMENT (2024)

Cet opus animé revient sur les origines d’Optimus Prime et Megatron, à l’époque où ils n’étaient que de simples robots ouvriers sur la planète Cybertron…

TRANSFORMERS ONE

 

2024 – USA

 

Réalisé par Josh Cooley

 

Avec les voix de Chris Hemsworth, Brian Tyree Henry, Scarlett Johansson, Keegan-Michael Key, Steve Buscemi, Laurence Fishburne, Jon Hamm

 

THEMA ROBOTS I SAGA TRANSFORMERS

En 2014, la « Transformania » bat toujours son plein. Depuis le premier Transformers de Michael Bay, les robots géants multiformes ravissent le grand public et les exploitants des salles de cinéma. Dans la foulée de la sortie du quatrième opus « live » de la saga, Transformers : l’âge de l’extinction, Paramount Pictures décide donc de mettre en place une « salle des scénaristes » spécialement dédiée à l’échange d’idées pour d’éventuels futurs opus. Ainsi, parallèlement au développement des épisodes suivants en prises de vues réelles (The Last Knight en 2017, Bumblebee en 2018, Rise of the Beasts en 2023), l’idée d’un long-métrage en animation commence à s’élaborer (le dernier en date, La Guerre des robots, était sorti en 1986). Lorsque le projet commence à se concrétiser, le metteur en scène Josh Cooley est embauché sur la foi de son travail chez Pixar (il fut notamment le réalisateur de Toy Story 4). Une fois n’est pas coutume, la mise en forme du film n’est pas confiée à un studio d’animation mais à une société d’effets spéciaux, en l’occurrence Industrial Light & Magic, qui signa justement les séquences en images de synthèse des précédents Transformers.

Co-signé par Andrew Barrer, Gabriel Ferrari et Eric Pearson, le scénario s’efforce de faire entrer en cohérence la mythologie originale des robots de Hasbro telle qu’elle fut définie dans les années 80 et les itérations plus récentes déclinées à travers divers jeux vidéo, comics et romans. Ce Transformers étant le premier de la franchise à ne comporter aucun personnage humain, il a hélas tendance à accentuer l’un des défauts récurrents de cette saga pétaradante : l’anthropomorphisme balourd de ses personnages. Nous sommes prêts à admettre l’idée d’une planète uniquement peuplée par des androïdes, pourquoi pas ? Mais si ces robots n’ont jamais côtoyé un seul être humain de leur vie, selon quelle logique imiteraient-ils à ce point nos tics, nos manies, nos expressions et nos comportements ? Ce travers – accentué par la prestation vocale excessive d’un casting de stars dominé par Chris Hemsworth, Brian Tyree Henry, Scarlett Johansson et Keegan-Michael Key – joue clairement en défaveur de la nécessaire suspension d’incrédulité des spectateurs.

Rien ne se crée, tout se transforme

Les deux personnages principaux (Orion Pax et D-16, qui ne s’appellent pas encore Optimus Prime et Megatron) étant des robots incapables de se transformer, ils se retrouvent tout en bas de l’échelle sociale aux côtés de milliers de machines ouvrières condamnées comme eux à extraire de l’énergie dans les bas-fonds de la cité. L’enjeu principal du scénario semble alors se résumer à la question suivante : parviendront-ils un un jour à se transformer ? Attention spoiler : la réponse est oui. Après une première demi-heure un peu pesante, Transformers : le commencement trouve enfin un second souffle salutaire qui permet à son intrigue de prendre une tournure plus intéressante, collectant dès lors les séquences d’action joyeusement extravagantes comme cette poursuite dans la forêt au cours de laquelle nos héros maîtrisent encore très mal leur capacité à se transformer. Esthétiquement, il n’y a rien à dire, c’est du très beau travail. Les textures métalliques des robots sont bluffantes de réalisme, les chorégraphies rivalisent de dynamisme et certains designs singuliers valent le détour, notamment cette cité inversée (avec les buildings tête en bas) ou le premier look de D-16 qui évoque beaucoup (est-ce volontaire ?) Le Golem de Paul Weggener. Au final, ce Transformers n’a rien de très révolutionnaire ni de bien mémorable, même si le spectacle s’apprécie sans ennui ni temps mort. Son ambition n’allant visiblement pas beaucoup plus loin, le contrat est rempli.

 

© Gilles Penso


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AKIRA (1988)

Dans un Tokyo post-apocalyptique, la fracture sociale mène la population au bord du chaos, tandis que d’étranges mutants font leur apparition…

AKIRA

 

1988 – JAPON

 

Réalisé par Katsuhiro Otomo

 

Avec les voix de Mitsuo Iwata, Nozomu Sasaki, Mami Koyama, Taro Ishidan Tessho Genda, Mizuho, Suzuki, Tatsuhiko Nakamura, Fukue Ito, Kazuhiro Shindo

 

THEMA FUTUR I MUTATIONS

Lorsqu’il se lance dans l’écriture du manga « Akira » en 1982, Katsuhiro Otomo ne pense pas du tout à une adaptation au cinéma. Il change cependant d’opinion en apprenant qu’il peut avoir un contrôle total sur la transformation du matériau original en œuvre filmique. La production est en effet disposée à le laisser écrire et réaliser le long-métrage lui-même. Otomo s’associe alors avec Izo Hashimoto et travaille d’arrache-pied sur le scénario. S’il s’efforce de rester fidèle au manga, il va devoir imaginer un dernier acte de toutes pièces, puisque les albums sont alors encore en cours de publication. Alejandro Jodorowsky aurait visiblement eu une influence cruciale sur la fin du film. « Otomo me dit qu’il est bloqué sur Akira, qu’il ne trouve pas la fin », raconte le réalisateur franco-chilien. « Je suis saoul, je lui raconte une fin délirante que j’invente en même temps que je la raconte, je dessine tout sur une nappe et je la lui offre. Le lendemain, je ne me souviens de rien. Un jour, je reçois une lettre de lui où il me remercie de lui avoir donné la fin d’Akira. » (1) Étant donné l’épilogue démentiel du film, nous serions tentés de croire ce bon vieux Jodo, même si cet apport n’a jamais été officiellement confirmé. Toujours est-il que la production d’Akira se met en branle de manière atypique, à l’initiative d’un partenariat des plus grandes sociétés de divertissement japonaises réunies sous le nom de « Akira Committee ». Le budget du film est estimé à une dizaine de millions de dollars. Du jamais vu à cette époque.

En 2019, donc dans le futur, Neo-Tokyo, érigée sur les cendres de la capitale japonaise dévastée en 1988, est une poudrière. La ville est gangrenée par la corruption, en proie à des vagues de manifestations antigouvernementales, des attentats terroristes, et une violence urbaine omniprésente. Au cœur de ce chaos, Shōtarō Kaneda, leader d’un gang de motards appelé les Capsules, mène une lutte sans merci contre les Clowns, un gang rival. Mais lors d’un affrontement à haute vitesse, tout bascule. Le meilleur ami de Kaneda, Tetsuo Shima, percute accidentellement Takashi, un enfant mutant aux traits étrangement vieillissants et doté de pouvoirs paranormaux. Ce dernier s’est échappé d’un laboratoire gouvernemental, grâce à l’aide d’une mystérieuse organisation rebelle. L’incident attire l’attention du colonel Shikishima des Forces japonaises d’autodéfense, qui récupère Takashi et fait hospitaliser Tetsuo dans une installation gouvernementale ultra-secrète. Là, il découvre que le jeune homme développe des pouvoirs psychiques d’une ampleur inédite, comparables à ceux d’Akira, le mutant légendaire, dont la puissance démesurée serait responsable de la destruction de Tokyo trente ans plus tôt…

Les enfants de l’apocalypse

Akira est le premier long-métrage réalisé par Otomo, après plusieurs formats courts et moyens depuis le début des années 80. Ce grand plongeon est assurément un coup de maître. Sa mise en scène extrêmement dynamique, vivante, presque organique, montre à quel point l’auteur a su s’emparer du grand écran pour y transfigurer son œuvre graphique. Son monde futuriste n’a jamais semblé si dévasté, chaotique et miséreux. À 24 images par seconde, les affrontements des bandes de motards sur les routes, le lent naufrage des soulards qui s’échouent sur les comptoirs, la déchéance des gens qui dorment dans les rues, la colère des étudiants qui manifestent, la transformation des lycées en dépotoir prennent une dimension vertigineuse. Et tandis qu’Otomo met sous le feu des projecteurs la rébellion de la population – et surtout de la jeunesse – contre une autorité volontiers dictatoriale, la violence se fait crue, graphique, sans concession. C’est d’abord ce décalage entre le contexte purement science-fictionnel du récit et la réalité très tangible de sa fracture sociale qui font d’Akira un objet fascinant. Peu à peu, le film bascule dans une épouvante organique et charnelle, s’amorçant avec les cauchemars de Testsuo au cours desquels les jouets de sa chambre d’hôpital se muent en vecteur de terreur. Au cours de son dernier acte, Akira prend une dimension apocalyptique, multipliant les visions dantesques, les catastrophes à grande échelle, les hécatombes massives. Car les scientifiques apprenti-sorciers, comme toujours, se retrouvent impuissants face au monstre incontrôlable qu’ils ont créé… jusqu’à cette épouvantable mutation finale qui ferait presque pâlir d’effroi H.P. Lovecraft. On comprend mieux pourquoi Shinya Tsukamoto appellera Tetsuo son premier long-métrage. Et l’on ne compte plus le nombre de films, de bandes dessinées, de jeux vidéo, d’œuvres picturales ayant puisé leur inspiration dans Akira, assurément l’un des films d’animation les plus influents de tous les temps.

 

(1) Extrait d’un entretien publié dans « Vice » en Octobre 2009

 

© Gilles Penso


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ROBOT SAUVAGE (LE) (2024)

Suite à un naufrage, un robot programmé pour assister les humains se retrouve sur une île peuplée d’animaux…

THE WILD ROBOT

 

2024 – USA

 

Réalisé par Chris Sanders

 

Avec les voix de Lupita Nyong’o, Pedro Pascal, Kit Connor, Bill Nighy, Stephanie Hsu, Matt Berry, Ving Rhames, Mark Hamill, Catherine O’Hara, Boone Storm

 

THEMA ROBOTS

Tout est parti d’une seule image, comme souvent. Un jour, Peter Brown dessine machinalement un robot dans un arbre. Interpellé par ce croquis, il laisse alors vagabonder son imagination : « Que ferait un robot intelligent s’il se retrouvait en pleine nature ? » Voilà comment est née l’idée du roman Robot sauvage, élu en 2016 meilleur livre de l’année par le Publishers Weekly, et que l’auteur dédie « aux robots du futur ». Le nom de son personnage principal, Rozzum ou Roz, cligne de l’œil vers le roman RUR de Karel Capek, dont le titre est l’acronyme de « Rossum Universal Robots ». Chris Sanders découvre ce roman grâce à sa fille, et lorsque Dreamworks lui propose quelques années plus tard de l’adapter à l’écran, il ne lui faut pas longtemps avant d’accepter. « Le livre de Peter Brown était à la fois d’une simplicité trompeuse et d’une grande complexité émotionnelle », explique-t-il. « Au fil des pages, j’ai senti de plus en plus que j’étais la bonne personne pour porter ce livre à l’écran. Protéger le caractère et l’esprit d’une histoire tout en trouvant le moyen de la traduire au cinéma est une chose délicate, que l’on n’a qu’une seule chance de réussir. Je me suis senti capable de le faire» (1). Le Robot sauvage devient ainsi le cinquième long-métrage de Sanders après Lilo & Stitch, Dragons, Les Croods et L’Appel de la forêt. Auparavant, il œuvra sur les scénarios de La Belle et la Bête, Aladdin, Le Roi Lion et Mulan. De toute évidence, il était effectivement « la bonne personne ».

« Notre histoire commence sur l’océan, avec du vent, de la pluie, du tonnerre, des éclairs et des vagues ». C’est ainsi que commence le roman de Brown, et c’est exactement de cette manière que démarre le film, respectueux du matériau initial même s’il choisit de prendre plusieurs fois ses distances, notamment à travers certains personnages. Mais le cœur du récit est le même, résumé en une seule phrase par un renard moins brutal qu’il ne voudrait le faire croire : « La gentillesse n’est pas une technique de survie ». La nature nous est de fait décrite de manière assez crue dans le film, le plus fort mangeant sans cesse le plus faible. Mais l’intrusion parfaitement surréaliste de ce grand robot naufragé va changer la donne et finir par prouver que, contrairement à ce que semble prôner le code de conduite de la nature sauvage, la gentillesse peut aussi se muer en technique de survie. Les bons sentiments affleurent en effet dans Le Robot sauvage, mais avec un tel naturel qu’ils font mouche. Le film prend justement le risque de tourner le dos au cynisme pour laisser s’exprimer des émotions universelles.

« Je ne suis pas programmée pour être une mère ! »

D’emblée, Sanders s’amuse du décalage entre les services d’assistance que propose l’intelligence artificielle et les besoins primaires de la vie en pleine forêt. La puissance technologique de Roz nous semble bien dérisoire et hors de propos en tel contexte. Pour permettre au robot – et aux spectateurs – de comprendre le langage des animaux dans un vocabulaire intelligible, le film utilise une idée scénaristique extrêmement habile qui évoque beaucoup les jeux de John McTiernan sur l’interprétation des langues étrangères (dans des films comme À la poursuite d’Octobre Rouge ou Le Treizième guerrier par exemple). Les bêtes restent sauvages, mais Roz utilise un algorithme de traduction qui permet d’entendre leurs propos. Lorsque la machine se découvre un instinct maternel absolument pas prévu dans ses circuits, le récit amorce son grand tournant dramatique. « Je ne suis pas programmée pour être mère », s’affole-t-elle. « Personne ne l’est ! » lui répond une maman opossum. Le parti pris esthétique du film traduit la cohabitation étrange entre la machine et la forêt, au fil d’un équilibre audacieux entre l’approche hyperréaliste (la texture métallique du robot) et un rendu impressionniste (la nature et les animaux). Le fond et la forme entrent ainsi en phase de manière somptueuse, sous l’influence manifeste des travaux de Hayao Miyazaki. Résultat : Le Robot sauvage est probablement l’un des plus beaux films d’animation de l’année 2024.

 

(1) Extrait d’un entretien publié dans « Animation Magazine » en juin 2024.

 

© Gilles Penso


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DRÔLE DE NOËL DE SCROOGE (LE) (2009)

Robert Zemeckis réinvente le célèbre conte de Dickens en sollicitant la même technologie que pour Le Pôle express et La légende de Beowulf

A CHRISTMAS CAROL

 

2009 – USA

 

Réalisé par Robert Zemeckis

 

Avec Jim Carrey, Gary Oldman, Colin Firth, Cary Elwes, Robin Wright, Bob Hoskins, Steve Valentine, Daryl Sabara, Sage Ryan, Amber Gainey Meade, Ryan Ochoa

 

THEMA CONTES I FANTÔMES

Après Le Pôle express et La Légende de Beowulf, Robert Zemeckis continue de délaisser provisoirement les prises de vues réelles pour poursuivre ses expérimentations dans le domaine de la performance capture, via les technologies développées au sein de la compagnie ImageMovers Digital qu’il a fondée en 2007. « Je suis tombé amoureux du cinéma numérique lorsque j’ai réalisé Le Pôle Express », affirme-t-il. « Depuis lors, je n’ai cessé de chercher des idées de films pouvant bénéficier de ce moyen d’expression artistique. Il y a quelques années, j’ai pensé que “A Christmas Carol“ fonctionnerait parfaitement dans ce format. Je suis donc immédiatement retourné lire le livre pour me rafraîchir la mémoire. J’ai alors réalisé que la performance capture pourrait être le moyen idéal de reprendre cette histoire classique que tout le monde connaît et de la revisiter d’une manière nouvelle et passionnante ». (1) Pour prêter voix et corps aux personnages en images de synthèse du film, Zemeckis sollicite Gary Oldman, Colin Firth, Cary Elwes, Robin Wright, Bob Hoskins et surtout Jim Carrey qui hérite non seulement du rôle de Scrooge à tous les âges de sa vie mais aussi de celui des trois fantômes qui lui rendent visite la nuit de Noël.

Comme le prouve le générique de début du Drôle de Noël de Scrooge, le cinéaste est toujours adepte des mouvements de caméra vertigineux en plan-séquence. La technologie 100% numérique se met ainsi au service de sa virtuosité et laisse le champ libre à sa folle inventivité. Plusieurs scènes du film sont ainsi conçues comme des « rides » immersifs parfaitement adaptés à un visionnage en relief. Chaque apparition spectrale induit d’ailleurs une idée forte de mise en scène différente, permettant autant de déclinaisons du principe du voyage dans le temps, un thème que l’on sait cher au réalisateur de Retour vers le futur. Si l’esprit des Noëls passés nous transporte dans une envolée immersive en continuité (le plan-séquence dure près de douze minutes !), celui des Noëls présents nous offre un étrange don d’ubiquité en plaçant sa narration sur deux plans physiques superposés (Scrooge et le spectre contemplent le monde des humains qu’ils survolent depuis une pièce dont le plancher est transparent). Quant à l’esprit des Noëls futurs, il joue sur les ombres portées et les changements d’échelle, Scrooge se retrouvant soudain ramené à la taille d’une souris dans une sinistre ville fantôme.

Carrey…ment effrayant

La fameuse « uncanny valley », qui donne le sentiment désagréable que les avatars numériques ont le regard vide et le teint cadavéreux, est toujours un peu gênante pour tous les personnages aux traits humains trop réalistes. Fort heureusement, elle s’évapore lorsque les physionomies sont plus volontiers caricaturales, notamment avec Scrooge lui-même et tous les fantômes qui viennent lui rendre visite à tour de rôle. La mise en scène déborde d’idées visuelles, la musique d’Alan Silvestri dote le conte d’une dimension épique et la direction artistique de Doug Chiang est somptueuse. Le Drôle de Noël de Scrooge a donc à peu près tout pour plaire. Mais sa tonalité semble poser problème, notamment le grand nombre d’éléments sans doute trop effrayants qui le ponctuent et qui s’adaptent mal à un public d’enfants (le surgissement horrifique des spectres, le caractère macabre des « enfants de l’ignorance et de la misère », le corbillard lancé aux trousses de Scrooge, le sépulcral esprit des Noëls futurs…). Sans doute est-ce une des raisons de l’accueil très mitigé que reçut le film lors de sa sortie. Ses résultats décevants au box-office, tout comme ceux de Milo sur Mars deux ans plus tard, finirent d’ailleurs par précipiter la fermeture de la compagnie ImageMovers Digital.

 

(1) Extrait d’une interview publiée dans Movieweb en novembre 2010.

 

© Gilles Penso


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LÉGENDE DE BEOWULF (LA) (2007)

Robert Zemeckis s’empare du célèbre conte scandinave pour en livrer une version épique et spectaculaire en images de synthèse…

BEOWULF

 

2007 – USA

 

Réalisé par Robert Zemeckis

 

Avec Ray Winstone, Anthony Hopkins, John Malkovich, Robin Wright Penn, Brendan Gleeson, Crispin Glover, Alison Lohman, Angelina Jolie

 

THEMA HEROIC FANTASY I DRAGONS

Jusqu’alors, les cinéphiles amateurs du poème épique « Beowulf » n’avaient guère que le sympathique nanar avec Christophe Lambert ou le modeste long-métrage de Sturla Gunnarsson à se mettre sous la dent. Pourtant, dès 1997, l’écrivain Neil Gaiman (« Coraline », « American Gods ») et le scénariste Roger Avary (Pulp Fiction, Killing Zoe) travaillent sur une adaptation cinématographique de cette célèbre légende germano-scandinave. Robert Zemeckis prend aussitôt une option sur leur scénario, prévoyant de produire ce film et d’en confier la réalisation à Avary. Au départ, ce Beowulf est conçu comme une aventure d’heroic fantasy au budget raisonnable, dans la veine d’Excalibur ou de Jabberwocky, deux références qu’Avary apprécie particulièrement. Mais le projet tarde à se concrétiser et ne renaît de ses cendres qu’en 2005, lorsque Zemeckis formule le souhait de le réaliser lui-même et de revoir à la hausse ses ambitions pour l’adapter à la technologie de la performance capture qu’il a expérimentée avec Le Pôle Express. Neil Gaiman et Roger Avary revoient donc leur copie en élargissant considérablement le scope des séquences d’action. Puisque le rendu final sera 100% numérique, toute folie des grandeurs est la bienvenue. Les deux auteurs ne se privent pas et lâchent complètement la bride de leur imagination.

Nous sommes en l’an 507, au fin fond du Danemark. Accablé par le monstre Grendel qui vient de massacrer une grande partie de ses hommes, le roi Hrothgar cherche désespérément un valeureux guerrier susceptible de se débarrasser de la bête. Le fier Beowulf se propose, persuadé qu’il saura en venir à bout et ainsi inscrire son nom dans l’Histoire. Ses hommes et lui festoient donc bruyamment dans la salle des fêtes du royaume pour attirer le monstre, qui ne tarde pas à débarquer avec perte et fracas… C’est le point de départ d’une épopée grandiose qui s’affirme d’emblée comme un spectacle pour public adulte : Grendel est en effet un troll immonde et contrefait propre à susciter les pires cauchemars, la violence des combats s’assortit de démembrements et d’abondants jets de sang, un érotisme déviant nimbe l’ensemble de l’aventure, bref Zemeckis durcit volontairement le ton. La Légende de Beowulf se distingue aussi par sa volonté d’écarter tout manichéisme. Ici, le « sauveur » est un homme imbu de lui-même que l’on peut légitimement soupçonner de mythomanie, le roi est un lâche qui couve un lourd secret, son épouse une femme glaciale qui masque silencieusement ses meurtrissures. Quant à la bête, elle autant terrifiante que pathétique. Dans ce monde, les héros ne sont donc pas si héroïques et les monstres pas toujours monstrueux.

L’antre de la bête

Certes, le recours à la performance capture autorise des folies de mise en scène qui auraient sans doute été impossibles – où trop coûteuses – à obtenir en prises de vues réelles, notamment des plans-séquence dingues comme ce long travelling qui nous transporte dans les airs depuis le royaume de Hrothgar jusqu’à la caverne de Grendel. Mais l’on ne peut s’empêcher de se demander ce qu’aurait donné un tel film si les personnages humains avaient été incarnés par des acteurs en chair et en os plutôt que par leurs avatars numériques. D’autant que la ressemblance physique de ces « clones » avec leurs modèles réels (notamment Anthony Hopkins, Robin Wright, John Malkovich, Brendan Gleeson, Alison Lohman ou Angelina Jolie) donne parfois l’impression de voir un « brouillon » du résultat final, comme une sorte d’animatique provisoire. La qualité de la direction artistique et la sophistication des images de synthèse ne sont pas en cause. Mais cette imitation presque trop parfaite de la réalité manque toujours de cette étincelle de vie qui fait la différence et crée le fameux malaise indicible connu sous le nom de « uncanny valley », la « vallée étrange », celle qui sépare le « vrai » du « presque vrai ». La Légende de Beowulf reste cependant un spectacle de très haute tenue, une saga d’heroïc-fantasy comme on n’en avait pas vue depuis longtemps, gorgée de séquence fantasmagoriques étourdissantes comme la lutte contre les monstres marins, la bataille insensée au cours de laquelle le héros nu comme un ver affronte un Grendel déchaîné, ou encore le vertigineux combat final à flanc de dragon, le tout aux accents d’une bande originale puissante d’Alan Silvestri mêlant l’orchestre symphonique à des rythmes électroniques et à des chœurs sauvages. Voilà de quoi oublier la belle coupe peroxydée de Christophe Lambert.

 

© Gilles Penso


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