KING KONG (2005)

Peter Jackson concrétise un rêve de longue date en rendant hommage au film qui a bercé son enfance

KING KONG

2005 – USA / NOUVELLE-ZELANDE

Réalisé par Peter Jackson

Avec Adrien Brody Naomi Watts, Jack Black, Andy Serkis, Thomas Kretschmann, Colin Hanks, Kyle Chandler, Jamie Bell

THEMA SINGES I DINOSAURES I SAGA KING KONG

L’histoire d’amour entre Peter Jackson et King Kong date de l’époque où le cinéaste était encore bambin. « Je n’allais pas souvent voir de films à l’époque, parce que nous vivions à trente kilomètres du cinéma le plus proche et que mes parents n’étaient pas très cinéphiles », raconte-t-il. « Je me suis donc rabattu sur la télévision, où j’ai découvert King Kong alors que j’avais neuf ans. Ce film m’a marqué et m’a donné le goût de l’évasion. » (1) La carrière de Jackson fut tout entière hantée par ce film-monstre, et si Mon ami Joe et le Godzilla de Roland Emmerich n’avaient pas pointé le bout de leur museau à la fin des années 90, il se serait lancé dans ce remake avant d’entamer la trilogie du Seigneur des Anneaux. Mais force est de reconnaître que son voyage au pays de Tolkien a fait mûrir l’homme, le poussant vers une écriture et une mise en scène plus complexes que prévues. Le premier parti pris fort consiste à situer le récit dans son contexte historique initial. Les premières séquences de ce King Kong s’attardent donc sur un New York rongé par la dépression, et nous familiarisent avec des personnages prolongeant habilement les problématiques abordées en 1933.

Ann Darrow est toujours une actrice au chômage, mais nous découvrons la richesse de son registre comique et acrobatique (qui servira plus tard, lors de ses relations de « jeu » avec Kong). Carl Denham, cinéaste intrépide et roublard, a été rajeuni, calquant ses caractéristiques physiques et son bagout sur Orson Welles. Quant à Jack Driscoll, le jeune premier beau et musclé, il voit chacune des facettes de sa personnalité redistribuées à divers protagonistes. Le machisme brut appartient désormais au capitaine Englehorn, le charisme de meneur d’homme a été confié au second Hayes et l’autosatisfaction béate est l’apanage du jeune premier Bruce Baxter. Du coup, le Driscoll du film est devenu en auteur de théâtre sensible et réservé arrondissant ses fins de mois en écrivant des scripts pour Denham. L’accent est donc mis en priorité sur les protagonistes humains, pour mieux faire vaciller leurs certitudes et exacerber leurs caractères lors du plongeon dans le fantastique. Et de ce point de vue, Jackson ne se limite guère, imaginant de toutes pièces de nouvelles séquences d’action (le navire coincé entre les récifs, la cavalcade des sauropodes, la poursuite en taxi), réinterprétant l’une des plus célèbres scènes coupées de l’époque (l’attaque des abominations rampantes dans le puits) et décuplant l’impact de celles que nous connaissons déjà (notamment le célèbre combat de Kong contre pas moins de trois allosaures affamés !). 

Au cœur des ténèbres

Kong lui-même a bien changé depuis 1933. Son comportement et son apparence physique imitent à la perfection les vrais gorilles, et ses expressions faciales offrent une richesse et une variété incroyables. « La technique de la performance capture est un moyen de créer un lien entre un acteur et son personnage numérique » explique Andy Serkis, interprète de Kong.  « C’est en quelque sorte le même travail qu’un marionnettiste. Mais à vrai dire, les outils ont peu d’importance à partir du moment où ils sont utilisés avec honnêteté et émotion vis-à-vis des personnages à interpréter. Là où les effets numériques ne fonctionnent pas, c’est lorsqu’ils ne sont pas reliés à l’affectif ou à l’humain. Il peut y avoir un terrible gouffre entre l’idée initiale et sa manifestation numérique parce que l’esprit d’un personnage est toujours lié à la condition humaine. » (2) A vrai dire, tout se passe comme si ce King Kong relatait les faits bruts tels qu’ils se seraient réellement passés, celui de 1933 en étant la réinterprétation glamour et hollywoodienne. D’où le clin d’œil à la scène romantique entre Fay Wray et Bruce Cabot et surtout la réutilisation de la musique de Max Steiner lors de l’exhibition de Kong à Broadway (avec en prime les mêmes costumes d’indigènes que dans le film original). Le King Kong de Peter Jackson est donc avant tout un hommage ému au classique de 1933, mais aussi une relecture tour à tour grandiose, effrayante, drôle et touchante du mythe de la Belle et la Bête, agrémentée d’un parallèle inattendu avec « Au Cœur des Ténèbres » de Joseph Konrad.

(1) Propos recueillis par votre serviteur en décembre 2009

(2) Propos recueillis par votre serviteur en juin 2010

 

© Gilles Penso

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LE RETOUR DE GODZILLA (1984)

Pour fêter dignement les trente ans du plus célèbre des dinosaures radioactif, la Toho initie une résurrection en forme de remake du film original

GOJIRA

1984 – JAPON

Réalisé par Kohji Hashimoto

Avec Keiji Kobayashi, Ken Tanaki, Yasuko Sawagushi, Shin Takuma, Tatsuya Mihashi, Eitaro Ozama, Jun Tazaki

THEMA DINOSAURES I SAGA GODZILLA

Les Monstres du continent perdu n’ayant guère connu les faveurs du public, la prolifique série des films consacrés à Godzilla s’interrompit tout net en 1975. Pour faire renaître de ses cendres le dinosaure radioactif, il était évident qu’il fallait une nouvelle approche, les derniers films en date s’étant tournés vers le tout jeune public jusqu’à la caricature. Pour célébrer les trente ans de son existence, la Toho se lance alors dans un très ambitieux Retour de Godzilla qui ignore superbement tous ses prédécesseurs, à l’exception du film original dont il constitue une sorte de suite directe – et tardive. Finis les gadgets exubérants, les extra-terrestres multicolores, les monstres gentils qui parlent et les bébés dinosaures farceurs. Ici, Godzilla redevient la bête redoutable qui symbolise les forces déchaînées de la nature et les périls de l’atome. Son look a d’ailleurs connu un petit ravalement de façade. Ses canines sont désormais proéminentes comme celles d’un chien féroce, son regard sévère et bestial, et même s’il demeure un comédien engoncé dans un costume de caoutchouc, il y gagne en crédibilité. Fort d’un budget généreux, le superviseur des effets spéciaux Teruyoshi Nakano se paie même le luxe d’une version animatronique du dinosaure, qui ne servira finalement que très peu, mais qui prouve les ambitions revues à la hausse par le studio.

Notre monstre apparaît furtivement dès le prologue du film, attaquant un navire russe dont les membres de l’équipage sont ensuite tués par d’affreux parasites géants, mixages entre la limace et le scorpion. Godzilla s’en prend ensuite à une centrale nucléaire, revigorant ses forces grâce au plutonium, gagnant encore en puissance, et atteignant les 80 mètres de haut !  Les séquences d’effets spéciaux s’avèrent extrêmement spectaculaires, même si les maquettes demeurent facilement identifiables, et le saccage de Tokyo, notamment, restera dans les mémoires comme un véritable déferlement de bruit et de fureur. Godzilla y détruit les buildings à grands coups de queue, secoue un métro aérien comme King Kong, crache du feu sans discontinuer et semble tout bonnement invincible. Mais ce Retour de Godzilla n’est pas un simple déferlement pyrotechnique.

Le traumatisme d'Hiroshima et Nagazaki

Les séquences humaines s’y développent en suscitant un réel intérêt, notamment cette assemblée générale au cours de laquelle le premier ministre japonais refuse catégoriquement d’utiliser l’arme atomique pour détruire Godzilla, contre l’avis de ses homologues américains et russes. La tension y atteint celle des meilleurs films catastrophes de l’époque, et le traumatisme d’Hiroshima et Nagazaki y est plus que jamais palpable. Après avoir été frappé par une bombe au cadmium lâchée par « Super X », une forteresse volante futuriste digne des Thunderbirds, Godzilla semble succomber. Mais l’explosion accidentelle d’un missile nucléaire au-dessus de la couche atmosphérique provoque une tempête électromagnétique qui le réveille. Il sera finalement détruit par l’éruption d’un volcan, la nature s’avérant plus efficace que n’importe quelle arme imaginée par l’homme. Le succès de ce Retour de Godzilla est tel qu’il ravive la franchise et donne naissance à une série de remakes modernisés des aventures de cet immortel dragon préhistorique, au sein d’une seconde ère qui sera baptisée « Heisei ».

 

© Gilles Penso

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UN MILLION D’ANNEES AVANT JC (1966)

Des dinosaures animés par Ray Harryhausen et Raquel Welch en peaux de bêtes, que demander de plus ?

ONE MILLION YEARS B.C.

1966 – GB

Réalisé par Don Chaffey

Avec Raquel Welch, John Richardson, Martine Beswick, Robert Brown, Yvonne Horner, Percy Herbert, Lisa Thomas

THEMA DINOSAURES I EXOTISME FANTASTIQUE

Depuis la fin des années 50, la firme britannique Hammer Film s’est spécialisée dans le recyclage talentueux des grands mythes du cinéma fantastique popularisés aux États-Unis par Universal : Dracula, Frankenstein, le Loup-Garou, la Momie… Un jour, Kenneth Hyman, producteur des Douze salopards, donne à Michael Carreras, responsable de la Hammer, l’idée de s’attaquer à Tumak, fils de la jungle, un « Roméo et Juliette » préhistorique réalisé en 1940 par Hal Roach. Carreras apprécie l’idée et propose à Ray Harryhausen d’en superviser les effets spéciaux. « Je pensais pouvoir faire un travail intéressant avec ce remake, parce que dans le film original, il y avait un acteur dans un costume de tyrannosaure qui semblait s’être échappé d’un bal costumé », nous explique ce dernier. « Il était tellement peu convaincant que le cadrage s’arrangeait pour le garder dissimulé le plus possible derrière un arbre. Ils ont également utilisé des reptiles vaguement travestis en dinosaures qui ressemblent à ce qu’ils sont vraiment, c’est-à-dire des lézards avec des nageoires en plastique collées sur le dos. » (1) Séparé momentanément de son producteur Charles H. Schneer parti œuvrer sur une comédie musicale, Harryhausen accepte donc l’offre et propose de confier la réalisation du film à Don Chaffey, avec qui il avait collaboré sur le magnifique Jason et les Argonautes. Carreras en profite pour propulser au rang de superstar la vedette du film, une Raquel Welch encore inconnue malgré l’indéniable grâce de ses 25 printemps. Réticente à l’idée de démarrer sa carrière aux côtés de dinosaures et d’hommes des cavernes, la belle se laisse finalement séduire par le prestige de la Hammer et le talent de Ray Harryhausen. Après tout, Steve McQueen lui-même n’était-il pas devenu une vedette après avoir affronté un extra-terrestre gélatineux dans Danger planétaire ? Miss Welch est donc « empruntée » à la 20th Century Fox et pose en peau de bête pour les besoins d’une campagne publicitaire gigantesque, à tel point qu’elle devient l’un des icônes incontournables des années 60.

 

Comme lieu de tournage, Carreras, Chaffey et Harryhausen tombent d’accord sur Lanzarotte, l’une des îles Canaries dont les paysages tourmentés et volcaniques se prêtent bien à une atmosphère antédiluvienne. Bien sûr, la magie des effets d’Harryhausen demeure le principal attrait du film. Le sommet technique de ces effets est atteint avec l’attaque du village préhistorique par un allosaure doté d’une foule de détails réalistes : sa gorge et sa poitrine se gonflent pendant sa respiration, et ses yeux traduisent une férocité très expressive. Les autres créatures antédiluviennes du film, toutes largement inspirées par les peintures du célèbre artiste Charles Knight, sont une tortue gigantesque, un brontosaure construit autour de l’armature du dragon du 7ème voyage de Sinbad, un tricératops et un cératosaure en plein pugilat et deux ptérosaures enragés luttant à mort pour les beaux yeux de Raquel. « Je me souviens très bien de ce jour où nous étions en tournage sur la plage, dans nos petits bikinis en fourrure », nous confie Martine Beswick, brune rivale de Raquel Welch dans le film. « Nous étions censés être attaqués par des monstres volants, mais évidemment il n’y avait rien face à nous. Ray Harryhausen est alors monté sur le toit d’un camion, avec un grand piquet, et il s’agitait en poussant des cris pour que nous sachions dans quelle direction regarder. Nous ne savions absolument pas ce que donnerait le résultat à l’écran, mais nous lui faisions confiance. Quand on pense à l’incroyable travail que cet homme effectuait tout seul, longtemps avant l’ère du numérique, on ne peut être qu’impressionnés. » (2)

Jurassique anachronique

Bien sûr, Raquel Welch et Martine Beswick sont des femmes préhistoriques aussi sculpturales qu’improbables, mais le fait même de mêler hommes et dinosaures est suffisamment significatif quant aux intentions des auteurs, assez peu portés sur le documentaire scientifique, malgré une voix off explicative didactique pendant le prologue du film. « Ce n’était certes pas un documentaire », nous confirme Harryhausen. « Si les femmes de la préhistoire ressemblaient à Raquel Welch, alors nous avons beaucoup régressé ! » (3). Le film s’achève par un inévitable cataclysme final, au moins aussi impressionnant que celui de Tumak fils de la jungle qui s’avérait déjà très marquant. Pour ce faire, d’authentiques prises de vues de volcans en éruption sont mêlées à des reconstitutions en miniature. Le film rapporte la coquette de somme de 2,5 millions de dollars, ce qui n’est guère négligeable en 1966, et permet de rétablir au box-office à la fois la Hammer et Ray Harryhausen, dont le film précédent, Les Premiers hommes dans la Lune, n’avait guère fait d’éclat en salles. Aujourd’hui encore, Un million d’années avant JC ne cesse de ravir les fans grâce à son charme délicieusement rétro, au bestiaire fantastique de Harryhausen et à l’exquise photogénie de Raquel Welch et de ses compagnes « cro-mignones ».

 

(1) et (3) Propos recueillis par votre serviteur en février 2004.

(2) Propos recueillis par votre serviteur en juin 2019

© Gilles Penso

BLACK WATER (2007)

Un film de crocodile tueur et vorace qui tire toute son efficacité d'une approche ultra-réaliste

BLACK WATER

2007 – AUSTRALIE

Réalisé par Andrew Traucki et David Nerlich

Avec Diana Glenn, Maeve Demody, Andy Rodoreda, Ben Oxenbould, Fiona Press

THEMA REPTILES ET VOLATILES

« Dans le nord de l’Australie, le nombre de crocodiles d’eau de mer augmente au même rythme que la population » nous dit le texte d’introduction de Black Water, avant d’annoncer : « ce film s’inspire d’une histoire vraie. » Entièrement tourné en décors naturels, avec un budget équivalent à un million de dollars, ce petit film d’épouvante et de suspense sacrément bien troussé s’efforce de traiter ses protagonistes et son monstre avec un maximum de réalisme. Grace, son petit ami Adam et sa sœur cadette Lee partent en vacances dans le nord sauvage de l’Australie. Après une visite dans une ferme de crocodiles, ils s’en vont pêcher dans les mangroves en compagnie d’un guide local. La détente est hélas de courte durée, car un crocodile énorme et vorace renverse leur petite embarcation, les obligeant à se réfugier de toute urgence sur un arbre. Piégés, ils cherchent dès lors un moyen de s’échapper, mais le prédateur semble bien décidé à les caler les uns après les autres au fond de son estomac.

La situation est donc ultra-simple, mais le scénario l’exploite sous toutes ses latitudes et sait tirer au mieux parti de l’unité de lieu, d’action et de temps. Rigoureuse et millimétrée, la mise en scène d’Andrew Traucki et David Nerlich s’interdit quant à elle le recours aux effets spéciaux et au gore, ce qui peut surprendre dans un tel contexte. Là où les « monster movies » aux sujets voisins usent abondamment de créatures animatroniques, d’images de synthèse et de maquillages spéciaux saignants, Black Water n’emploie que des crocodiles réels, filmés dans leur environnement naturel, et ne met en scène que des morts réalistes (la plupart d’entre elles ayant lieu hors champ). Pour autant, le résultat n’a rien d’austère. Le museau du monstre émergeant lentement des eaux calmes fait toujours son petit effet, et les séquences d’attaque savent solliciter notre adrénaline avec succès. Tous les plans combinant les acteurs et le crocodile sont des composites bricolés avec des bouts de fond bleu et des détourages sur ordinateur, et il faut bien reconnaître que la qualité du rendu est absolument remarquable. Voilà toute la force de cette œuvrette modeste : appuyer ses séquences de tension et d’angoisse sur une menace crédible et palpable. Nous sommes donc à cent lieues des Crocodile de Nu Image ou du Blood Surf d’Anthony Hickox.

Qui finira entre les dents du saurien ?

Pour couronner le tout, Black Water (dont le titre semble volontairement faire écho à Open Water) s’assortit d’une bande originale atmosphérique de Rafael May volontiers envoûtante et d’une magnifique photographie de John Biggins, laquelle s’attarde parfois en macro sur des insectes pris au piège dans une toile d’araignée ou une colonne de fourmis transportant le cadavre d’une libellule, métaphore à petite échelle d’une nature impitoyable laissant peu de chance aux faibles. Qui survivra et qui finira entre les dents du saurien ? Telle est l’inévitable question qui trotte dans la tête du spectateur, et les réponses sont souvent inattendues. Voilà donc un film de monstre atypique et très recommandable, qui semble se positionner sur le même territoire que le Solitaire de son compatriote Greg McLean, avec un budget pourtant vingt fois moins conséquent.  


© Gilles Penso


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LES TRAVAUX D’HERCULE (1958)

Le culturiste Steve Reeves incarne à la perfection le fils de Zeus dans cette aventure mythologique qu'on aurait aimée plus généreuse en créatures fantastiques

LE FATICHE DI ERCOLE

1958 – ITALIE

Réalisé par Pietro Francisci

Avec Steve Reeves, Sylvia Koscina, Gianna Maria Canale, Fabrizio Mioni, Ivo Garrani, Mimmo Palmara, Arturo Dominici, Lydia Alfonsi

THEMA MYTHOLOGIE I DRAGONS

Fer de lance du péplum mythologique italien qui verra Hercule, Maciste, Ulysse et Jason se déchaîner sur les écrans Cinémascope des années 60, Les Travaux d’Hercule est une œuvre somptueuse qui ne se soucie guère d’une quelconque fidélité à la légende grecque dont elle s’inspire. Le scénario mixe ainsi allégrement deux mythes classiques, les travaux d’Hercule et Jason et la Toison d’Or, restructurant sans vergogne les événements initiaux, inventant de toutes pièces de nombreuses péripéties, et changeant à loisir la nature et le rôle des personnages. Incarné avec beaucoup de charisme par le body-builder Steve Reeves, Hercule est chargé par le roi Pelias (Ivo Garrani) de l’éducation de son fils Iphitos (Mimmo Palmara). Mais ce dernier est maladivement orgueilleux, et la supériorité intellectuelle et physique d’Hercule attisent sa jalousie. Ainsi, lorsque le vigoureux demi-dieu affronte le redoutable lion de Némée, Iphitos s’interpose et finit lacéré par le fauve. Fou de rage, Pelias décide de punir Hercule en lui ordonnant d’affronter le taureau de Crète. Ces deux séquences de combat sont assez représentatives de l’approche non fantastique de Pietro Francisci. Car si, dans la légende, le lion de Némée et le taureau de Crète sont des êtres monstrueux et démesurés, le film ne nous montre que des animaux familiers, remplacés par des dépouilles immobiles lors des corps à corps avec Hercule. D’où des affrontements manquant quelque peu de panache.

Ce refus du surnaturel s’étend aux rôles secondaires, le centaure Chiron et le dieu Esculape se muant ici en simples humains. La seule véritable entorse à ce principe intervient au moment du climax, lorsque Jason, aidé par Hercule et les Argonautes, gagne la terre de Colchide afin de trouver la Toison d’Or et de siéger enfin sur le trône qui lui a été usurpé. Un dragon garde en effet la fameuse toison, et donne du fil à retordre au jeune héros interprété par Gabriele Antonini. Hélas, le monstre n’est qu’un homme dans un costume de tyrannosaure à la mâchoire articulée qui évoque beaucoup Godzilla, et qui manque singulièrement de crédibilité, malgré les habiles interactions à l’écran entre l’homme et le dragon géant. D’autant que le combat tourne court, le monstre s’écroulant dès que Jason lui envoie une lance à la figure.

Des effets spéciaux signés Mario Bava

Au détour du film, on rencontre également Castor, Pollux, Orphée, une horde d’hommes préhistoriques agressifs et toute une tribu de belles amazones dirigée par une reine Anthéa moins farouche qu’elle n’en a l’air (elle tombe amoureuse d’Ulysse et nous avons même droit à un ballet digne d’une comédie musicale hollywoodienne au beau milieu d’une grotte de studio). Côté jupons, le film se pare aussi des charmes de Sylvia Koscina, incarnant une délicieuse Omphale amoureuse d’Hercule mais convoitée par le vil Eurystée. Les Travaux d’Hercule demeure une indéniable réussite artistique, dont la photographie et les effets spéciaux furent signés Mario Bava, mais les fans de mythologie greco-romaine devront attendre Jason et les Argonautes pour en découvrir une adaptation moins chiche en monstres et merveilles.

© Gilles Penso

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SAW IV (2007)

Un policier doit se lancer dans un sanglant parcours du combattant s'il veut sauver deux collègues promis à une mort atroce

SAW IV

2007 – USA

Réalisé par Darren Lynn Bousman

Avec Tobin Bell, Lyriq Bent, Costas Mandylor, Scott Patterson, Angus MacFayden, Justin Louis, Sarrain Boylan, Shwanee Smith

THEMA TUEURS I SAGA SAW

Chaque fois que James Wan s’écarte de la saga Saw, le résultat en pâtit. Qu’on se souvienne du décevant Saw 2, co-écrit par Leigh Whannell et Darren Lynn Bousman, pour s’en convaincre. Or ici, même Whannell, pourtant jusqu’alors indissociable de la série, cède la place à deux nouveaux venus : Patrick Melton et Marcus Dunstan. Du coup, Saw 4 accumule toutes les faiblesses des deux précédents opus et semble définitivement fixer les limites du concept initial. Le problème principal réside dans la complexité extrême avec laquelle les scénaristes se sentent obligés de raconter leur histoire, accumulant jusqu’à la parodie involontaire les flash-backs, flash-forwards, actions parallèles et désynchronisations temporelles. Comme s’il n’était pas non plus confiant dans le matériau narratif brut, Darren Lynn Bousman nous assène des effets de mise en scène outranciers, saturés de déflagrations sonores, de flash lumineux, d’accélérations et de décélérations des mouvements de caméras…

Tous ces apparts font surtout figure de cache-misère, car le récit lui-même ne présente que peu d’intérêt et ne recule devant aucune incohérence. Attention, les informations qui suivent sont réservées à ceux qui ont déjà vu les trois premiers Saw. Jigsaw (« Le Tueur au Puzzle » dans la VF) ayant passé l’arme à gauche à la fin du dernier épisode, Saw 4 démarre par une scène d’autopsie pour le moins éprouvante. En extirpant son estomac, les légistes découvrent une cassette renfermant un ultime message post-mortem : « la partie continue ». Dès lors, au cours d’un imbroglio scénaristique bien difficile à démêler, l’officier de police Rigg (Lyriq Bent) se retrouve obligé d’emprunter un sanglant parcours du combattant pour sauver la vie de deux de ses collègues promis à une mort atroce comme il se doit : l’un périra pendu dès que le morceau de glace sur lequel il se tient aura fondu (les scénaristes ont sans doute révisé leurs classiques, puisqu’une scène similaire apparaît dans Ilsa la louve des SS), l’autre sera électrocuté sur sa chaise montée sur une balançoire en équilibre instable.

Les origines de Jigsaw

Le principal problème de cette intrigue est la faible motivation de Rigg, qui ne justifie absolument pas son acceptation des actes les plus horribles sous la dictée des sempiternelles cassettes audio de Jigsaw. Quant à la révélation finale, elle confine au grotesque le plus absolu, s’efforçant avec de gros sabots de réitérer le coup de théâtre du premier Saw. Le seul véritable apport de ce quatrième épisode est lié aux origines du Tueur au Puzzle. Une série de flash-backs nous permet en effet de découvrir le drame qui fit basculer le personnage dans la folie meurtrière, et il s’agit sans conteste de la partie la plus passionnante du film, hélas noyée dans une masse franchement trop indigeste. Quand on sait que Saw 4 entra en production avant même que Saw 3 ne sorte sur les écrans, il devient clair que nous avons plus affaire ici à un business rentable qu’à une véritable création artistique. Ces films coûtant peu et rapportant beaucoup, autant multiplier les séquelles jusqu’à plus soif. 

 

© Gilles Penso

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HANCOCK (2008)

Will Smith incarne un super-héros pas comme les autres, justicier malgré lui, alcoolique, colérique et solitaire…

HANCOCK

2008 – USA

Réalisé par Peter Berg

Avec Will Smith, Charlize Theron, Jason Bateman, Daeg Faerch, Kate Clarke, Valerie Azlynn, Lauren Hill, Hayley Marie Norman

THEMA SUPER-HEROS

A l’heure où Batman, Superman, Spider-Man, les X-Men et les Quatre Fantastiques n’en finissent plus de multiplier leurs exploits au cinéma, était-il encore possible de renouveler le film de super-héros ? Encore fallait-il redéfinir les codes de ce sous-genre surexploité et s’attacher à la personnalité d’un justicier à contre-courant du profil auquel les fans de comic books sont habitués. Une sorte d’Incassable expurgé de sa noirceur et de ses états d’âme, en quelque sorte. Force est de constater que les scénaristes Vincent Ngo et Vince Gilligan et le réalisateur Peter Berg y sont parvenus avec panache, nous offrant avec Hancock un film incroyable qui enchaîne sans sourciller les gags hilarants, les moments d’émotion intense et les séquences d’action hallucinantes tout en préservant une remarquable unité de ton et une cohérence infaillible.

Incarné à la perfection par un Will Smith au sommet de son art (dans la foulée de son excellente prestation de Je suis une légende), Hancock est un super-héros alcoolique, débraillé, colérique et solitaire. Capable de voler à la vitesse supersonique, doté d’une force surhumaine, quasiment indestructible, il s’efforce d’utiliser ses pouvoirs pour stopper les criminels. Mais ses méthodes approximatives occasionnent tant de dégâts que les habitants de Los Angeles le considèrent comme un véritable fléau. Alors que sa cote de popularité est au plus bas, il sauve la vie de Ray, un expert en communication qui décide de lui renvoyer l’ascenseur en lui permettant de redorer son blason. Pour y parvenir, Hancock doit se soumettre à un programme rigoureux : un séjour en prison pour rendre compte de toutes les lois qu’il a bafouées, un abandon total des bouteilles d’alcool, des leçons de bonnes manières et l’adoption d’un look plus conforme à ce que les gens attendent d’un super-héros. Rasé de près, engoncé dans une combinaison noir et or, racheté auprès de la justice, Hancock s’apprête bientôt à reconquérir ses concitoyens par de nouveaux actes héroïques. Mais des révélations inattendues sur son passé et ses pouvoirs vont contrecarrer la belle stratégie publicitaire de Ray.

Un scénario en perpétuelle évolution

Au-delà de son casting de choix (aux côtés de Smith, Charlize Theron et Jason Bateman sont parfaits), de sa mise en scène intuitive en caméra portée (héritée de la série Friday Night Lights créée par Peter Berg) et de ses effets spéciaux ahurissants supervisés par John Dykstra (La Guerre des étoiles, Batman et Robin, Spider-Man), Hancock se distingue surtout par un scénario en perpétuelle évolution qui ne cesse d’accumuler rebondissements et surprises… Jusqu’à une étonnante révélation qui inscrit notre justicier solitaire au sein d’une légende ancestrale voisine de l’univers d’Highlander. Ainsi, non content de s’amuser des clichés du genre et les muant en gags au second degré (la séquence du choix du costume sur la base de couvertures de comic books est un grand moment pour les zygomatiques), Hancock révèle peu à peu l’insoupçonnable profondeur de son propos et ramène la figure du super-héros à ses origines, autrement dit la mythologie antique qui fut le berceau de tous les justiciers costumés.

 

© Gilles Penso

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BIENVENUE AU COTTAGE (2008)

Un mélange de comédie british et de film d'horreur, à mi-chemin entre Snatch et Massacre à la tronçonneuse

THE COTTAGE

2008 – GB

Réalisé par Paul Andrew Williams

Avec Andy Serkis, Reece Shearsmith, Jennifer Ellison, Steve O’Donnell, Doug Bradley, Georgia Groome, Katy Murphy

THEMA TUEURS I FREAKS

Bienvenue au Cottage ressemble à un cocktail mixant les ingrédients de Snatch et de Massacre à la tronçonneuse avec en prime une pincée d’humour typiquement british. Il faut dire qu’en matière d’horreur mâtinée de comédie, les cinéastes anglais ont prouvé un remarquable savoir-faire, à travers des œuvres aussi réjouissantes que Shaun of the Dead ou Severance. Sans atteindre le niveau des fims d’Edgar Wright et Christopher Smith, Bienvenue au Cottage demeure une très agréable surprise. Second long-métrage de Paul Andrew Williams, qui s’était distingué avec le thriller London for Brighton, cette comédie horrifique commence comme un polar saupoudré d’humour noir avant de basculer vers l’horreur pure et dure.

La véritable révélation du film est Andy Serkis, interprète de Gollum et de King Kong pour Peter Jackson. Occupant enfin à visage découvert un rôle de premier plan, il déborde de charisme dans la peau de David, un malfrat à la petite semaine qui entraîne son frère Peter (Reece Shearsmith) dans un kidnapping. Leur otage est Tracey (Jennifer Ellison), fille d’un puissant chef de gang dont ils espèrent tirer une rançon honorable. Hélas, dès qu’ils s’installent dans une cabane isolée en pleine forêt, rien ne se passe comme prévu. Leur captive s’avère particulièrement récalcitrante, Peter enchaîne les crises d’angoisse (il faut dire qu’il est à la fois hypocondriaque et allergique aux mites !), leur complice, le demi-frère de Tracey, multiplie les maladresses, et le père de la captive envoie à leurs trousses deux redoutables tueurs asiatiques.

Gollum à visage découvert

Alors qu’une ambiance digne de Guy Ritchie nimbe agréablement le film, nos protagonistes sont obligés de battre retraite jusque dans une ferme voisine. Or les lieux sont habités par un homme monstrueux et dégénéré, ancien fermier défiguré par un accident de moissonneuse batteuse, qui collectionne les morceaux de cadavre et trucide à coup de fourche tout ce qui passe à sa portée. Le basculement vers l’horreur ne survient donc que tardivement, mais dès lors le réalisateur ne se retient plus, ne lésinant ni sur les scènes de suspense oppressantes, ni sur les effets gore excessifs. Le visage du tueur lui-même, variante difforme des freaks de Massacre à la tronçonneuse et La Colline a des yeux, ressemble fortement à un masque en mousse de latex, d’autant que la caméra l’expose en pleine lumière et en gros plan sans chercher le moindre coin de pénombre. Mais ses exactions sont si abominables (mutilations en tout genre, étripages et éventrements en prime) que sa présence distille un irrépressible sentiment de menace. Le passage brutal du thriller vers l’horreur évoque fatalement Une Nuit en Enfer, qui osait lui aussi un mariage des genres surprenant tout en donnant la vedette à deux frères hors la loi. Mais les personnages de Robert Rodriguez, marionnettes caricaturales et excessives, ne nous touchaient guère, alors que ceux de Bienvenue au Cottage constituent l’essence même de l’intrigue et agissent comme de véritables pôles d’identification. Petit clin d’œil à l’attention des fantasticophiles : Doug Bradley (le Pinhead de la saga Hellraiser) apparaît brièvement dans le rôle d’un vieux villageois.


© Gilles Penso

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THE THING (1982)

Echec cuisant au moment de sa sortie, ce remake du classique de 1951 est aujourd'hui considéré comme le chef d'œuvre ultime de John Carpenter

THE THING

1982 – USA

Réalisé par John Carpenter

Avec Kurt Russell, Wilford Brimley, T.K. Carter, David Clennon, Keith David, Richard A. Dysart, Donald Moffat 

THEMA EXTRA-TERRESTRES I SAGA JOHN CARPENTER

Remake de La Chose d’un autre monderéalisé en 1951 par Howard Hawks et Christian Niby, et adaptation de la nouvelle « Who Goes There ? » de John Campbell, The Thing comporte quelques-unes des scènes les plus horriblement délirantes qu’on ait vues de mémoire de cinéphile. La chose extra-terrestre sans forme qui donne son titre au film est tombée du ciel 10 000 ans avant notre ère. Elle a la particularité d’absorber tout être vivant et de s’insinuer dans son enveloppe charnelle après une horrible métamorphose. Or cette « chose » s’est introduite dans une base américaine de recherches scientifiques, isolée dans l’Antarctique. A la suite d’une tempête de neige, la station est coupée du reste du monde. La chose investit d’abord un chien de traîneau, dont la tête se déchire en deux et dont le corps se recouvre de tentacules, puis occupe le corps de l’un des douze membres de l’expédition. Mais lequel est-ce ? Et comment le reconnaître ?

Les virtuoses des images de synthèse ont beau améliorer chaque jour leur savoir-faire et leur technologie, aucun d’entre eux n’est encore parvenu à égaler cette monstrueuse créature polymorphe conçue à l’aide d’effets mécaniques traditionnels par Rob Bottin. Et pourtant, à l’époque, ce maquilleur surdoué, élève du grand Rick Baker, est à peine âgé de 22 ans ! Bien que le film soit un remake, John Carpenter et Rob Bottin tiennent à s’éloigner du look de la créature originale (une espèce de monstre de Frankenstein que l’on n’aperçoit que quelques secondes dans l’ombre) pour proposer une entité extra-terrestre en perpétuelle métamorphose, grandement inspirée par les horreurs indicibles évoquées par l’écrivain H.P. Lovecraft. « Rob Bottin était exactement la personne qu’il nous fallait pour une telle mise en œuvre », nous avouait John Carpenter douze ans après la sortie du film. « Son travail est époustouflant, même en comparaison avec ce que l’on sait faire actuellement. » (1) La scène la plus spectaculaire est probablement celle où la créature surgit de la poitrine déchirée du comédien Charles Hallahan et s’accroche au plafond, sous forme d’un corps humain dégoulinant de chairs décomposées, dont les épaules sont hérissées de gigantesques pattes d’insectes et dont la tête disproportionnée est juchée au sommet d’un long cou tordu. Le cou finit par se déchirer et la tête tombe au sol. Lorsque s’ouvre sa bouche, une langue démesurée en sort et s’accroche au pied d’une chaise, tandis que des pattes d’araignées surgissent de la tête et lui permettent de se déplacer… Du délire pur !

L'antithèse de E.T.

Servi par d’aussi magistraux effets spéciaux, The Thing bénéficie en outre de l’indiscutable maîtrise de John Carpenter dans l’art du huis-clos et de la tension. Les longues conversations de la version de 1951 se muent ici en silences des plus oppressants, d’autant que, dans ce remake, le nombre des scientifiques a été ramené de cinquante à douze. Chez Carpenter, l’unité de temps, d’action et de lieu sont toujours des valeurs sûres. Kurt Russell, son acteur fétiche, est un très convaincant héros paranoïaque. Pour une fois, la musique n’est pas ici l’œuvre de Carpenter mais d’Ennio Morricone, qui s’adapte parfaitement au style épuré du cinéaste. « Il est merveilleux, j’adore ce qu’il fait, je ne pourrais jamais faire mieux que lui ! », nous avoue Carpenter avec enthousiasme. « Si sa musique ressemble néanmoins à la mienne sur The Thing, c’est parce que je lui ai demandé de simplifier à l’extrême, et de réduire le nombre de ses notes. » (2) De par tous ses atouts, The Thing demeure terrifiant de bout en bout, ses effets spéciaux révolutionnaires servant de leur mieux l’angoisse sans cesse croissante du scénario. Ayant passé plus d’un an à vivre, dormir et manger dans les locaux d’Universal pour mener le projet à bien, Rob Bottin, exténué, finira le tournage à l’hôpital ! Mais le résultat est à la hauteur de toutes les espérances. Aujourd’hui encore, la Chose reste l’un des monstres les plus incroyables de l’histoire du cinéma. Et tant pis si le film fut un spectaculaire échec au box-office au moment de sa sortie – le public étant plus enclin alors à se tourner vers la gentillesse de E.T. Aujourd’hui, plus personne ne conteste à The Thing son statut de classique.

 
(1) et (2) Propos recueillis par votre serviteur en février 1995

© Gilles Penso

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SHINING (1980)

Une trahison assumée du roman de Stephen King qui permet à Stanley Kubrick de proposer sa vision personnelle du cinéma d'horreur

THE SHINING

1980 – GB

Réalisé par Stanley Kubrick

Avec Jack Nicholson, Shelley Duvall, Danny Lloyd, Scatman Crothers, Barry Nelson, Philip Stone, Joe Turkel

THEMA FANTÔMES I SAGA STEPHEN KING

Chaque fois qu’il s’attaqua à une facette du cinéma fantastique, Stanley Kubrick lui offrit une œuvre faisant date, que ce soit dans le domaine de la politique-fiction (Docteur Folamour), du space-opera (2001 l’odyssée de l’espace) ou de l’anticipation (Orange mécanique). Systématiquement, il s’appuya sur un roman classique, et Shining, sa première incursion dans l’épouvante, ne déroge pas à la règle. Ici, l’heureux écrivain adapté est Stephen King, alors très en vogue à Hollywood grâce au succès de Carrie. Les premières images de Shining donnent d’emblée le ton. Vue d’hélicoptère, une minuscule voiture y gravit une route de montagne, aux accents d’un lugubre dies irae composé par Wendy Carlos et Rachel Elkind. Dans la peau de Jack Torrance, un professeur et écrivain en mal d’inspiration, Jack Nicholson livre l’une de ses prestations les plus célèbres et les plus hallucinées.

Pour se consacrer sereinement à l’écriture de son nouveau roman, Torrance accepte d’assurer le gardiennage d’un hôtel du Colorado pendant la saison morte, en compagnie de sa femme Wendy (Shelley Duvall) et de son jeune fils Danny (Danny Lloyd). Or ce dernier possède le « shining », autrement dit certaines capacités divinatoires. Le gigantisme de la demeure victorienne, entièrement déserte en plein hiver, commence à jouer sur les nerfs de Torrance, dont l’esprit est déjà passablement perturbé. Bientôt, Danny est frappé de visions cauchemardesques, Wendy sent couver un danger croissant, et Torrance finit par basculer dans la folie, possédé par une force maléfique qui hante les lieux. Car l’hôtel fut jadis le théâtre d’un drame sanglant, au cours duquel le gardien précédent assassina sa femme et ses deux fillettes avant de se suicider…

Un labyrinthe œdipien

Il faut bien reconnaître que Kubrick ne fut pas vraiment respectueux du texte original au moment de son adaptation, délaissant quelque peu « l’enfant lumière » du roman (dont les capacités de télépathie et de voyance représentent un véritable enjeu dramatique) pour se concentrer pleinement sur le personnage du père psychopathe. Mais paradoxalement, cette « trahison » dans la forme ne l’est guère dans l’esprit. En effet, Stephen King fut le premier à avouer : « Vampires, loups-garous, je n’y crois pas, mais je crois aux meurtriers. Je crois en l’étranger qui vient dans votre maison au milieu de la nuit, frappe à votre porte, entre et vous tue. » Car la monstruosité humaine sera toujours plus terrifiante que n’importe quelle manifestation surnaturelle. Et comment rêver mieux que Jack Nicholson, le regard fou et les babines retroussées, pour incarner cette incarnation de l’ogre ou du grand méchant loup des contes pour enfants ? Pour aller jusqu’au bout de l’approche psychanalytique, Shining s’achève dans un labyrinthe, lieu ô combien symbolique où l’enfant pourra enfin « tuer le père ». Entre-temps, Kubrick nous aura asséné des visions inoubliables, comme ces centaines de feuilles sur lesquelles Torrance a tapé à la machine le mot « meurtre », l’inscription « Red Rum » qui s’avère être une anagramme de « Murder », l’apparition des deux jumelles mortes dans le couloir de l’hôtel ou cette vision récurrente du hall inondé par des hectolitres de sang.  

 

© Gilles Penso

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