BIENVENUE AU COTTAGE (2008)

Un mélange de comédie british et de film d'horreur, à mi-chemin entre Snatch et Massacre à la tronçonneuse

THE COTTAGE

2008 – GB

Réalisé par Paul Andrew Williams

Avec Andy Serkis, Reece Shearsmith, Jennifer Ellison, Steve O’Donnell, Doug Bradley, Georgia Groome, Katy Murphy

THEMA TUEURS I FREAKS

Bienvenue au Cottage ressemble à un cocktail mixant les ingrédients de Snatch et de Massacre à la tronçonneuse avec en prime une pincée d’humour typiquement british. Il faut dire qu’en matière d’horreur mâtinée de comédie, les cinéastes anglais ont prouvé un remarquable savoir-faire, à travers des œuvres aussi réjouissantes que Shaun of the Dead ou Severance. Sans atteindre le niveau des fims d’Edgar Wright et Christopher Smith, Bienvenue au Cottage demeure une très agréable surprise. Second long-métrage de Paul Andrew Williams, qui s’était distingué avec le thriller London for Brighton, cette comédie horrifique commence comme un polar saupoudré d’humour noir avant de basculer vers l’horreur pure et dure.

La véritable révélation du film est Andy Serkis, interprète de Gollum et de King Kong pour Peter Jackson. Occupant enfin à visage découvert un rôle de premier plan, il déborde de charisme dans la peau de David, un malfrat à la petite semaine qui entraîne son frère Peter (Reece Shearsmith) dans un kidnapping. Leur otage est Tracey (Jennifer Ellison), fille d’un puissant chef de gang dont ils espèrent tirer une rançon honorable. Hélas, dès qu’ils s’installent dans une cabane isolée en pleine forêt, rien ne se passe comme prévu. Leur captive s’avère particulièrement récalcitrante, Peter enchaîne les crises d’angoisse (il faut dire qu’il est à la fois hypocondriaque et allergique aux mites !), leur complice, le demi-frère de Tracey, multiplie les maladresses, et le père de la captive envoie à leurs trousses deux redoutables tueurs asiatiques.

Gollum à visage découvert

Alors qu’une ambiance digne de Guy Ritchie nimbe agréablement le film, nos protagonistes sont obligés de battre retraite jusque dans une ferme voisine. Or les lieux sont habités par un homme monstrueux et dégénéré, ancien fermier défiguré par un accident de moissonneuse batteuse, qui collectionne les morceaux de cadavre et trucide à coup de fourche tout ce qui passe à sa portée. Le basculement vers l’horreur ne survient donc que tardivement, mais dès lors le réalisateur ne se retient plus, ne lésinant ni sur les scènes de suspense oppressantes, ni sur les effets gore excessifs. Le visage du tueur lui-même, variante difforme des freaks de Massacre à la tronçonneuse et La Colline a des yeux, ressemble fortement à un masque en mousse de latex, d’autant que la caméra l’expose en pleine lumière et en gros plan sans chercher le moindre coin de pénombre. Mais ses exactions sont si abominables (mutilations en tout genre, étripages et éventrements en prime) que sa présence distille un irrépressible sentiment de menace. Le passage brutal du thriller vers l’horreur évoque fatalement Une Nuit en Enfer, qui osait lui aussi un mariage des genres surprenant tout en donnant la vedette à deux frères hors la loi. Mais les personnages de Robert Rodriguez, marionnettes caricaturales et excessives, ne nous touchaient guère, alors que ceux de Bienvenue au Cottage constituent l’essence même de l’intrigue et agissent comme de véritables pôles d’identification. Petit clin d’œil à l’attention des fantasticophiles : Doug Bradley (le Pinhead de la saga Hellraiser) apparaît brièvement dans le rôle d’un vieux villageois.


© Gilles Penso

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THE THING (1982)

Echec cuisant au moment de sa sortie, ce remake du classique de 1951 est aujourd'hui considéré comme le chef d'œuvre ultime de John Carpenter

THE THING

1982 – USA

Réalisé par John Carpenter

Avec Kurt Russell, Wilford Brimley, T.K. Carter, David Clennon, Keith David, Richard A. Dysart, Donald Moffat 

THEMA EXTRA-TERRESTRES I SAGA JOHN CARPENTER

Remake de La Chose d’un autre monderéalisé en 1951 par Howard Hawks et Christian Niby, et adaptation de la nouvelle « Who Goes There ? » de John Campbell, The Thing comporte quelques-unes des scènes les plus horriblement délirantes qu’on ait vues de mémoire de cinéphile. La chose extra-terrestre sans forme qui donne son titre au film est tombée du ciel 10 000 ans avant notre ère. Elle a la particularité d’absorber tout être vivant et de s’insinuer dans son enveloppe charnelle après une horrible métamorphose. Or cette « chose » s’est introduite dans une base américaine de recherches scientifiques, isolée dans l’Antarctique. A la suite d’une tempête de neige, la station est coupée du reste du monde. La chose investit d’abord un chien de traîneau, dont la tête se déchire en deux et dont le corps se recouvre de tentacules, puis occupe le corps de l’un des douze membres de l’expédition. Mais lequel est-ce ? Et comment le reconnaître ?

Les virtuoses des images de synthèse ont beau améliorer chaque jour leur savoir-faire et leur technologie, aucun d’entre eux n’est encore parvenu à égaler cette monstrueuse créature polymorphe conçue à l’aide d’effets mécaniques traditionnels par Rob Bottin. Et pourtant, à l’époque, ce maquilleur surdoué, élève du grand Rick Baker, est à peine âgé de 22 ans ! Bien que le film soit un remake, John Carpenter et Rob Bottin tiennent à s’éloigner du look de la créature originale (une espèce de monstre de Frankenstein que l’on n’aperçoit que quelques secondes dans l’ombre) pour proposer une entité extra-terrestre en perpétuelle métamorphose, grandement inspirée par les horreurs indicibles évoquées par l’écrivain H.P. Lovecraft. « Rob Bottin était exactement la personne qu’il nous fallait pour une telle mise en œuvre », nous avouait John Carpenter douze ans après la sortie du film. « Son travail est époustouflant, même en comparaison avec ce que l’on sait faire actuellement. » (1) La scène la plus spectaculaire est probablement celle où la créature surgit de la poitrine déchirée du comédien Charles Hallahan et s’accroche au plafond, sous forme d’un corps humain dégoulinant de chairs décomposées, dont les épaules sont hérissées de gigantesques pattes d’insectes et dont la tête disproportionnée est juchée au sommet d’un long cou tordu. Le cou finit par se déchirer et la tête tombe au sol. Lorsque s’ouvre sa bouche, une langue démesurée en sort et s’accroche au pied d’une chaise, tandis que des pattes d’araignées surgissent de la tête et lui permettent de se déplacer… Du délire pur !

L'antithèse de E.T.

Servi par d’aussi magistraux effets spéciaux, The Thing bénéficie en outre de l’indiscutable maîtrise de John Carpenter dans l’art du huis-clos et de la tension. Les longues conversations de la version de 1951 se muent ici en silences des plus oppressants, d’autant que, dans ce remake, le nombre des scientifiques a été ramené de cinquante à douze. Chez Carpenter, l’unité de temps, d’action et de lieu sont toujours des valeurs sûres. Kurt Russell, son acteur fétiche, est un très convaincant héros paranoïaque. Pour une fois, la musique n’est pas ici l’œuvre de Carpenter mais d’Ennio Morricone, qui s’adapte parfaitement au style épuré du cinéaste. « Il est merveilleux, j’adore ce qu’il fait, je ne pourrais jamais faire mieux que lui ! », nous avoue Carpenter avec enthousiasme. « Si sa musique ressemble néanmoins à la mienne sur The Thing, c’est parce que je lui ai demandé de simplifier à l’extrême, et de réduire le nombre de ses notes. » (2) De par tous ses atouts, The Thing demeure terrifiant de bout en bout, ses effets spéciaux révolutionnaires servant de leur mieux l’angoisse sans cesse croissante du scénario. Ayant passé plus d’un an à vivre, dormir et manger dans les locaux d’Universal pour mener le projet à bien, Rob Bottin, exténué, finira le tournage à l’hôpital ! Mais le résultat est à la hauteur de toutes les espérances. Aujourd’hui encore, la Chose reste l’un des monstres les plus incroyables de l’histoire du cinéma. Et tant pis si le film fut un spectaculaire échec au box-office au moment de sa sortie – le public étant plus enclin alors à se tourner vers la gentillesse de E.T. Aujourd’hui, plus personne ne conteste à The Thing son statut de classique.

 
(1) et (2) Propos recueillis par votre serviteur en février 1995

© Gilles Penso

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SHINING (1980)

Une trahison assumée du roman de Stephen King qui permet à Stanley Kubrick de proposer sa vision personnelle du cinéma d'horreur

THE SHINING

1980 – GB

Réalisé par Stanley Kubrick

Avec Jack Nicholson, Shelley Duvall, Danny Lloyd, Scatman Crothers, Barry Nelson, Philip Stone, Joe Turkel

THEMA FANTÔMES I SAGA STEPHEN KING

Chaque fois qu’il s’attaqua à une facette du cinéma fantastique, Stanley Kubrick lui offrit une œuvre faisant date, que ce soit dans le domaine de la politique-fiction (Docteur Folamour), du space-opera (2001 l’odyssée de l’espace) ou de l’anticipation (Orange mécanique). Systématiquement, il s’appuya sur un roman classique, et Shining, sa première incursion dans l’épouvante, ne déroge pas à la règle. Ici, l’heureux écrivain adapté est Stephen King, alors très en vogue à Hollywood grâce au succès de Carrie. Les premières images de Shining donnent d’emblée le ton. Vue d’hélicoptère, une minuscule voiture y gravit une route de montagne, aux accents d’un lugubre dies irae composé par Wendy Carlos et Rachel Elkind. Dans la peau de Jack Torrance, un professeur et écrivain en mal d’inspiration, Jack Nicholson livre l’une de ses prestations les plus célèbres et les plus hallucinées.

Pour se consacrer sereinement à l’écriture de son nouveau roman, Torrance accepte d’assurer le gardiennage d’un hôtel du Colorado pendant la saison morte, en compagnie de sa femme Wendy (Shelley Duvall) et de son jeune fils Danny (Danny Lloyd). Or ce dernier possède le « shining », autrement dit certaines capacités divinatoires. Le gigantisme de la demeure victorienne, entièrement déserte en plein hiver, commence à jouer sur les nerfs de Torrance, dont l’esprit est déjà passablement perturbé. Bientôt, Danny est frappé de visions cauchemardesques, Wendy sent couver un danger croissant, et Torrance finit par basculer dans la folie, possédé par une force maléfique qui hante les lieux. Car l’hôtel fut jadis le théâtre d’un drame sanglant, au cours duquel le gardien précédent assassina sa femme et ses deux fillettes avant de se suicider…

Un labyrinthe œdipien

Il faut bien reconnaître que Kubrick ne fut pas vraiment respectueux du texte original au moment de son adaptation, délaissant quelque peu « l’enfant lumière » du roman (dont les capacités de télépathie et de voyance représentent un véritable enjeu dramatique) pour se concentrer pleinement sur le personnage du père psychopathe. Mais paradoxalement, cette « trahison » dans la forme ne l’est guère dans l’esprit. En effet, Stephen King fut le premier à avouer : « Vampires, loups-garous, je n’y crois pas, mais je crois aux meurtriers. Je crois en l’étranger qui vient dans votre maison au milieu de la nuit, frappe à votre porte, entre et vous tue. » Car la monstruosité humaine sera toujours plus terrifiante que n’importe quelle manifestation surnaturelle. Et comment rêver mieux que Jack Nicholson, le regard fou et les babines retroussées, pour incarner cette incarnation de l’ogre ou du grand méchant loup des contes pour enfants ? Pour aller jusqu’au bout de l’approche psychanalytique, Shining s’achève dans un labyrinthe, lieu ô combien symbolique où l’enfant pourra enfin « tuer le père ». Entre-temps, Kubrick nous aura asséné des visions inoubliables, comme ces centaines de feuilles sur lesquelles Torrance a tapé à la machine le mot « meurtre », l’inscription « Red Rum » qui s’avère être une anagramme de « Murder », l’apparition des deux jumelles mortes dans le couloir de l’hôtel ou cette vision récurrente du hall inondé par des hectolitres de sang.  

 

© Gilles Penso

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LE CHOC DES TITANS (1981)

18 ans après Jason et les Argonautes, Ray Harryhausen revisite le monde fantastique de la mythologie grecque

CLASH OF THE TITANS

1981 – USA

Réalisé par Desmond Davis

Avec Harry Hamlin, Judy Bowker, Laurence Olivier, Maggie Smith, Claire Bloom, Ursula Andress, Neil McCarthy

THEMA MYTHOLOGIE

C’est au scénariste Beverly Cross que nous devons l’idée de porter à l’écran les aventures mythologiques de Persée, une idée qui germa en 1969, alors qu’il résidait en Grèce. En toute logique, il se tourna vers Charles Schneer et Ray Harryhausen, le duo à l’origine du splendide Jason et les Argonautes. Le récit commence lorsque le roi Acrisios fait jeter à la mer, enfermés dans un cercueil, sa fille Danaé et Persée, l’enfant qu’elle a eu de Zeus. Celui-ci ordonne à Poséidon de les sauver, et de libérer le Kraken, Titan des mers, pour qu’il détruise Argos, la patrie d’Acrisios. Danaé et Persée échouent sur l’île de Sériphos. Vingt ans plus tard, Zeus transporte Persée à Jappa : il doit reconquérir Argos. Il dispose pour cela du bouclier d’Athéna, d’un casque qui le rend invisible et d’une épée indestructible. A Jappa, il tombe amoureux de la princesse Andromède, frappée d’une terrible malédiction. Pour la libérer, il doit poursuivre un vautour géant, vaincre Calibos, le diabolique fils de Thétis, dompter le cheval ailé Pégase, éliminer le chien bicéphale Dioskylos, affronter les sorcières du Styx, lutter contre deux scorpions géants et combattre la terrifiante Méduse au regard pétrifiant, avant un ultime affrontement avec le Kraken.

Même si Jason et les Argonautes demeure l’incontournable référence en matière de film mythologique, ce Choc des Titans submerge ses spectateurs ébahis de scènes anthologiques et de créatures délirantes : le Kraken, un reptile humanoïde aux traits simiesques doté de quatre bras tentaculaires qui ne doit  rien à la mythologie grecque mais plutôt aux légendes nordiques, Calibos, le démon interprété par une figurine animée dans les plans larges et l’acteur Neil McCarthy dans les gros plans, le sinistre vautour géant, le magnifique Pégase, le robotique Bubo, l’agressif Dioskilos… Et bien sûr Méduse, dont l’apparition constitue le clou du film, en une séquence extraordinaire nimbée d’une photographie rougeoyante somptueuse. « L’une de nos grandes références était la photographie des films noirs des années 40 avec Joan Crawford, comme Le Roman de Mildred Pierce, qui jouait beaucoup avec les ombres et avec les éclairages très directionnels », nous raconte Harryhausen. (1)

Les dieux d'Hollywood

Persuadé que la présence d’une star ou deux donnerait au film une dimension plus grande que les précédentes productions de Schneer et Harryhausen, Beverly Cross n’y alla pas par quatre chemins et proposa à rien moins que Laurence Olivier le rôle de Zeus. Et celui-ci accepta ! Suivirent Maggie Smith en Thétis, Claire Bloom en Héra et Ursula Andress en Aphrodite. Ce dernier choix est plein de symbole, puisque la belle Ursula fit ses débuts à l’écran dans James Bond contre docteur No en émergeant des flots comme la Venus de Boticcelli. La joie de retrouver les vieilles gloires d’Hollywood dans le rôle des dieux de l’Olympe se mêle à celle d’assister aux derniers exploits d’Harryhausen qui signait là ses adieux au cinéma. Le charme kitsch du Choc des Titans s’accordant mal avec le SF high-tech de L’Empire contre-attaque, c’est une page du cinéma merveilleux qui se tourna alors, pour laisser place à d’autres magiciens du septième art.

(1) Propos recueillis par votre serviteur en février 2004. 

© Gilles Penso

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MISSION IMPOSSIBLE 3 (2006)

Après les écarts excessifs de John Woo, J.J. Abrams reprend la franchise en main et lui donne une nouvelle impulsion

MISSION IMPOSSIBLE 3

2006 – USA

Réalisé par J.J. Abrams

Avec Tom Cruise, Philip Seymour Hoffman, Ving Rhames, Keri Russell, Michelle Monaghan, Laurence Fishburne, Maggie Q

THEMA ESPIONNAGE ET SCIENCE-FICTION I SAGA MISSION IMPOSSIBLE

A l’instar de Sigourney Weaver sur la saga Alien, l’acteur/producteur Tom Cruise semble s’efforcer de doter chaque épisode de la saga Mission Impossible d’une patine différente, en engageant des metteurs en scène aux styles marqués. « Chaque film de la saga est autonome et doit correspondre à la vision de son réalisateur », confirme la co-productrice Paula Wagner. « Les points de vue diffèrent donc d’un film à l’autre, même s’il y a une continuité. » (1) Séduit par la série Alias, Cruise a donc confié ce troisième opus à son créateur J.J. Abrams, lequel appose sa patte d’emblée en optant pour une structure narrative bien spécifique : le film s’ouvre sur une séquence anxiogène au cours de laquelle le héros est en très mauvaise posture, puis l’intrigue redémarre depuis le début jusqu’à nous conduire progressivement jusqu’à cette situation clef. « J’apprécie beaucoup les deux premiers films, mais ils ne répondaient pas à des questions simples liées au personnage principal », explique le réalisateur. « Que lui arrive-t-il lorsqu’il rentre chez lui après ses missions ? A-t-il une famille ? Des amis ? Y’a-t-il une femme dans sa vie ? Sait-elle en quoi consiste son métier ? Est-il obligé de lui mentir pour protéger son secret ? » (2)

A côté de ses missions, notre espion a ici une vie privée, des amis et une femme qu’il chérit par-dessus tout. Il s’est donc retiré du service actif pour un poste de formateur. Mais lorsque Lindsey, la plus brillante recrue de l’Impossible Mission Force, tombe aux mains du redoutable trafiquant Owen Davian (excellent Philip Seymour Hoffmann), Ethan se sent obligé d’organiser lui-même une mission de sauvetage. Il constitue donc une nouvelle équipe, s’épaulant du génie de l’électronique Luther, du spécialiste des véhicules Declan et de la belle combattante Zhen. Ainsi, non content d’entremêler vie professionnelle et vie personnelle, J.J. Abrams s’efforce-t-il de revenir à l’essence même de la série de Bruce Geller, autrement dit le travail d’équipe. Son épisode s’élève du coup bien au-dessus du très maniéré Mission Impossible 2, et s’approche de celui de Brian de Palma qui demeure le mètre étalon en la matière. « Le premier Mission Impossible montrait un travail d’équipe pendant le prologue, mais très vite l’équipe était dissoute et Ethan Hunt se retrouvait seul » explique Abrams. « Dans le second, réalisé par John Woo, il n’y avait carrément plus d’équipe du tout. Or pour moi les missions collectives sont un élément fondamental du concept initial. Voilà pourquoi j’ai entouré Ethan Hunt d’autres agents avec lesquels il effectue chacune de ses opérations. » (3) 

Le retour du travail d'équipe

Passages obligatoires, les séquences d’action ne déméritent guère ici, la plus explosive d’entre elles étant probablement la fusillade sur le pont au cours de laquelle voitures et comédiens voltigent allégrement dans les airs. Fidèle au style qu’il développa sur les séries Alias et Lost, Abrams filme ces passages mouvementés avec le plus de réalisme possible, évitant les ralentis stylisés, les montages cut hérités du vidéoclip ou les grands mouvements de caméra aériens. Ces partis pris judicieux, assortis de quelques séquences de suspense très efficaces (notamment la fabrication de l’incontournable masque soumise ici à un timing précis), dotent ce M-I : 3 de solides qualités. Dommage que le scénario lui-même ne parvienne à éviter les redites et les pertes de rythme, amenuisant du coup l’impact d’un film qu’on aurait souhaité mieux construit. On pourra également regretter que le talentueux compositeur Michael Giachinno se soit contenté d’une partition sans éclat reprenant sagement les orchestrations originales du fameux thème de Lalo Schifrin. On espérait plus d’innovations de la part de celui qui concocta la bande originale référentielle et ultra-énergique Alias.

(1) et (3) Propos recueillis par votre serviteur en avril 2006

© Gilles Penso 

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L’ASSOCIE DU DIABLE (1997)

Al Pacino incarne un diable tentateur dans cette fable terrifiante qui révéla au public le talent de Charlize Theron

DEVIL’S ADVOCATE

1997 – USA

Réalisé par Taylor Hackford

Avec Keanu Reeves, Al Pacino, Charlize Theron, Delroy Lindo, Jeffrey Jones, Connie Nielsen, Judith Ivey, Craig T. Nelson

THEMA DIABLE ET DEMONS

L’Associé du Diable est un projet qui traînait chez Warner depuis le début des années 90. Un temps, il fut question que Joel Schumacher le réalise, avec Brad Pitt en tête d’affiche. C’est finalement Taylor Hackford (Dolores Claiborne) qui en hérita. Jeune avocat ambitieux qui exerce en Floride, Kevin Lomax (Keanu Reeves) gagne systématiquement tous ses procès, défendant de préférence les meurtriers et les pédophiles sur la culpabilité desquels il préfère souvent fermer les yeux. Certes, quelques états d’âme semblent parfois sur le point de remonter à la surface, mais jamais suffisamment pour altérer ses plaidoiries. Marié à Mary Ann (Charlize Theron), une femme d’affaire aimante taillée comme un top model, il mène la belle vie. Un jour, il attire par ses prouesses l’attention de John Milton (Al Pacino), le chef mystérieux d’un puissant bureau d’avocats new-yorkais. Une proposition alléchante pousse Lomax et son épouse à s’installer à Manhattan. Les affaires y sont plus florissantes que jamais, la carrière de Kevin décolle subitement… Mais peu à peu, le malaise s’insinue. Mary Ann en est la première victime, frappée d’hallucinations de plus en plus inquiétantes (ses nouvelles amies ont soudain des visages monstrueux, un enfant erre dans son appartement). Kevin lui-même perd parfois pied, confondant son épouse avec son envoûtante collègue Christabella (Connie Nielsen). Le jeune avocat refuse de se l’avouer, mais il devient bientôt évident que son patron n’est autre que le Diable, et qu’il tire toutes les ficelles de sa vie.

Si Keanu Reeves se glisse sans mal dans la peau de Lomax et si Pacino est un Satan absolument parfait, la vraie révélation du film est Charlize Theron. En cours de métrage, la belle plante révèle ses failles, ses faiblesses, bascule dans la dépression, et l’actrice (alors inconnue du grand public) joue cette déchéance avec une justesse assez bouleversante. Le cauchemar insidieux décrit dans le film est proche de celui que vit Mia Farrow dans Rosemary’s Baby, et le changement de coupe de cheveux de Mary Ann en cours de métrage, pour anecdotique qu’il semble, n’a rien d’innocent. Grâce à d’habiles effets spéciaux, L’Associé du Diable nous offre quelques visions surprenantes comme une ville de New York soudain vidée de ses habitants, ou des bas-reliefs qui s’animent soudain.

« Le libre arbitre, c'est comme les ailes du papillon… »

Mais ce sont les dialogues du film qui sont probablement les plus savoureux, Pacino exultant au cours d’un monologue final mémorable. « Le libre arbitre, c’est comme les ailes du papillon », lance-t-il. « Si on les touche, il arrête de voler. Je ne fais que planter le décor, chacun tire ses propres ficelles ». Après s’être octroyé le beau rôle du simple tentateur, il s’en prend directement à Dieu, qu’il qualifie littéralement de farceur et de voyeur : « Il donne à l’homme des instincts, il vous donne ce don extraordinaire, et que fait-il ? Pour son propre plaisir, pour une tranche de rigolade personnelle et cosmique, il impose les règles contraires. » De nombreux rebondissements surviennent au cours du dernier quart d’heure, jusqu’à un final qu’on aurait aimé plus mordant, mais dont le moralisme n’altère pas l’efficacité de ce remarquable essai sur les racines du mal.

© Gilles Penso

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LA FIANCEE DE FRANKENSTEIN (1935)

Quatre ans après son adaptation du roman de Mary Shelley, James Whale parvient à se surpasser lui-même en signant une séquelle magistrale

THE BRIDE OF FRANKENSTEIN

1935 – USA

Réalisé par James Whale

Avec Boris Karloff, Elsa Lanchester, Colin Clive, Ernest Thesiger, Valerie Hobson, Gavin Gordon, Douglas Walton, Una O’Connor 

THEMA FRANKENSTEIN I NAINS ET GEANTS I SAGA UNIVERSAL MONSTERS

Quatre ans après Frankenstein, James Whale, armé d’un budget de 400 000 dollars, met en scène La Fiancée de Frankenstein, une suite que beaucoup considèrent comme supérieure à l’originale. Il faut dire que Whale a injecté dans ce second film plus d’émotion, plus d’humour, plus de dynamisme, et une très belle partition de Franz Waxman, alors que le premier Frankenstein était quasiment dénué de musique. La caméra est devenue plus mouvante, et le rythme plus nerveux. Ici, le monstre est miraculeusement rescapé de l’incendie du moulin, tout comme son créateur, et dès lors les résurrections de la créature deviendront le leitmotiv de la série Universal. Comme son personnage apprend petit à petit à parler, Karloff a droit à quelques émouvantes lignes de dialogue. Le jeu du comédien s’enrichit donc, tout comme son maquillage que Jack Pierce a modifié pour lui donner un aspect partiellement brûlé. Cette évolution dans le traitement de la créature explique en grande partie la supériorité de ce second épisode sur son modèle. Car le zombie pataud affublé d’un cerveau de criminel s’est ici mué en être pathétique en quête d’affection, ce qui le rapproche finalement du texte initial de Mary Shelley. D’où une séquence très émouvante où le monstre trouve refuge chez un vieil ermite aveugle, seul humain à ne pas le traiter comme un monstre et à accepter bien volontiers sa compagnie.

Dans cette séquelle intervient également un inquiétant savant fou, le docteur Pretorius (Ernst Thesiger), exhibant avec exaltation à Frankenstein les êtres humains miniatures qu’il a fabriqués, dans une scène étonnante qui annonce Les Poupées du Diable, et qui reprend à son compte le mythe des homoncules créés par les alchimistes médiévaux et conservés dans des ampoules de verre. Mais la grande révélation du film est Elsa Lanchester, interprète de Mary Shelley dans le prologue du film où elle raconte à son mari et à Lord Byron la suite des aventures du monstre de son roman, mais surtout incarnation de la créature femelle que Frankenstein crée pour servir de compagne à son monstre, sous la pression de Pretorius. On se souviendra longtemps de sa coupe de cheveux spectaculaire qui évoque la foudre et de ses cris perçants.

Cinq minutes inoubliables

Le seul regret qu’on pourra formuler, vis à vis de cette créature, est la brièveté de son apparition (moins de cinq minutes de présence à l’écran), d’autant qu’elle ne réapparaîtra dans aucun autre film de la série, contrairement à tous ses monstrueux confrères. A l’instar de Boris Karloff dans le premier Frankenstein, le nom de la comédienne fut remplacé par un point d’interrogation dans le générique, afin d’entretenir un doute auprès des spectateurs. Rejeté par la promise qui lui fut pourtant confectionnée sur mesure, le monstre de Frankenstein finit par saccager le laboratoire et les deux créatures périssent dans une grande explosion…  Dans le montage original, le docteur passait lui aussi l’arme à gauche, mais les producteurs optèrent finalement pour un dénouement plus heureux. D’autres séquences furent modifiées ou coupées après les projections test organisées par Universal, ramenant la durée du film de 90 à 75 minutes.

 

© Gilles Penso

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LA COLLINE A DES YEUX (1977)

Wes Craven nous raconte sans concession le choc violent entre la civilisation et la sauvagerie la plus primaire

THE HILLS HAVE EYES

1977 – USA

Réalisé par Wes Craven

Avec Susan Lanier, Robert Houston, Martin Speer, Dee Wallace Stone, James Whitworth, Russ Grieve, Michael Berryman

THEMA TUEURS I CANNIBALES I SAGA LA COLLINE A DES YEUX WES CRAVEN

Fidèle aux thématiques qu’il développa dans La Dernière maison sur la gauche, lesquelles furent reprises avec brio par John Boorman dans Délivrance, Wes Craven continue de s’intéresser à la violence humaine poussée à son paroxysme, avec cette mémorable Colline à des yeux (quel titre magnifique !) dont il signa le scénario, la réalisation et le montage. Une famille américaine, dont la mère est croyante et le père ex-policier, quitte Cleveland pour la Californie dans une caravane tirée par un break, en direction d’une mine d’argent dont ils viennent d’hériter. Les parents, les deux filles, le fils, le gendre, un bébé et deux chiens-loups traversent donc le désert, au cours de ce qui semble s’apparenter de prime abord à un road movie initiatique. Lorsque l’essieu de la voiture se brise, ils se retrouvent isolés en plein Arizona face à une famille dégénérée vivant dans la colline. Le père, Jupiter, est un mutant victime d’une expérience atomique, sa femme est une corpulente ex-prostituée, ses enfants sont Pluton, Mars, Mercure et Ruby. Anthropophages, ils communiquent avec des radio CB volées. La famille de la colline décime les intrus et capture le bébé pour le dîner. Les survivants et le dernier chien vivant sont alors décidés à se venger…

Au cours de cet éprouvant « survival », Le spectateur suit ainsi les mésaventures de deux familles parfaitement antithétiques : l’une « normale », équilibrée, citadine, mais intruse en plein désert ; l’autre sauvage, cannibale, affamée et violée sur son propre territoire. Les membres de la première famille ne forçant pas spécialement la sympathie, le spectateur se trouve d’emblée sur un terrain glissant, dénué de pôles d’identification. Lorsque les rejetons de Jupiter répondent à l’envahissement de leur terre par l’agression nocturne de la caravane, le film bascule dans une violence inouïe, traitée avec une crudité décuplant son efficacité, ceci malgré un jeu d’acteurs assez approximatif. Ce bain de sang, qui semble partiellement s’inspirer de Massacre à la tronçonneuse, laisse pantois. Mais l’enthousiasme avec lequel les agressés, à bout de nerfs, finissent par rendre les coups, amplifie encore le malaise.

Monstruosités familiales

Car là est bien le propos de Craven. La violence, la folie meurtrière et la haine bestiale sont dangereusement communicatives. Le final abrupt, une fois cet affolant axiome démontré, ne prend dès lors même plus la peine d’épiloguer, laissant le spectateur sur les rotules. « Dans pratiquement tous mes films, j’aime développer l’idée que la monstruosité peut naître chez les individus les plus normaux et que la violence est susceptible de se développer au sein des relations familiales », nous explique Wes Craven (1). Véritable trouvaille de casting, Michael Berryman, chauve interprète de Pluton, trouve ici le rôle de sa vie, et traînera par la suite son visage inquiétant dans maintes séries B sans nous faire oublier sa performance d’agresseur cannibale. Récipiendaire de maintes récompenses à travers le monde, notamment à Londres, Sitges et Los Angeles, La Colline a des yeux assit définitivement la réputation de Wes Craven, propulsé dès lors au rang de nouveau maître de l’épouvante.


(1) Propos recueillis par votre serviteur en octobre 2005

© Gilles Penso

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CLOVERFIELD (2008)

Le réalisateur Matt Reeves et son producteur J.J. Abrams imaginent un film de monstre géant filmé à la première personne par une caméra amateur

CLOVERFIELD

2008 – USA

Réalisé par Matt Reeves

Avec Michael Stahl-David, Lizzy Caplan, Jessica Lucas, Mike Vogel, T.J. Miller, Odette Yustman, Anjul Nigam

THEMA INSECTES ET INVERTÉBRÉS I SAGA CLOVERFIELD

Beaucoup de mystère entourait Cloverfield avant sa sortie sur les écrans : un titre énigmatique (littéralement «champ de trèfles»), une affiche hommage à celle de New York 1997 dans laquelle la Statue de la Liberté est décapitée, un teaser choc diffusé sur Internet… Il n’en fallut pas plus pour créer un habile processus d’attente, jusqu’à la révélation du producteur et initiateur du projet : J.J. Abrams, père des séries Alias et Lost et réalisateur de Mission Impossible 3. Au vu du résultat final, on ne peut que saluer l’audace de Cloverfield, qui raconte l’attaque de New York par un monstre géant sans jamais quitter le point de vue d’un caméscope amateur. Un peu comme si Le Projet Blair Witch rencontrait Godzilla ! Au-delà de ce concept osé, que le film parvient à respecter tout au long de ses 90 minutes, la grande force du scénario de Drew Goddard (plusieurs épisodes de Alias et Lost) est de s’attacher en priorité à ses personnages.

Pendant vingt minutes, le réalisateur Matt Reeves (co-créateur avec Abrams de la série Felicity) nous familiarise avec un groupe de jeunes new-yorkais qui organisent une soirée surprise pour le départ de leur ami Rob (Michael Stahl-David) au Japon. Amitiés, jalousies, amertumes, éclats de rire, rien n’échappe à la caméra amateur de Hud (T.J. Miller) qui est chargé de filmer la soirée. Si cette première partie ne manque ni de charme, ni de spontanéité, on pourra lui reprocher sa longueur excessive. Vingt minutes pour raconter que Rob est encore amoureux de la jolie Beth (Odette Yustman) et que Hud en pince pour la marginale Marlena (Lizzy Caplan), c’est tout de même beaucoup ! Alors que l’attention du spectateur commence à défaillir, l’événement survient enfin. Et comme tout est vu à travers un caméscope, les images sont confuses, mouvementées et difficiles à comprendre. Apparemment, une catastrophe est en train de survenir dans les rues de New York : l’armée tire en tous sens, la foule est en proie à la panique, et bientôt la tête de la Statue de la Liberté vient s’écraser aux pieds de nos héros ! Affolée, Marlena, qui en voit plus que les autres, se contente de dire en état de choc : « il mange les gens ! ». Ce dont elle parle est une créature gigantesque à mi-chemin entre le dinosaure, la pieuvre et la sauterelle géante.

« Il mange les gens ! »

Dès lors, le rythme ne défaillit plus, entraînant dans sa folle course des protagonistes s’efforçant d’éviter les assauts du monstre titanesque, mais aussi de ses innombrables parasites, des abominations de deux mètres de long dont la morsure s’avère fatale. D’où une mémorable séquence dans les couloirs du métro new-yorkais. Toute l’originalité du film découle du décalage entre le gigantisme du danger et la précarité des prises de vues. Les effets spéciaux prennent alors une tournure hyperréaliste et les comédiens rivalisent de naturel et de crédibilité. « Le gros défi des compositings d’un tel film est l’intégration parfaite de nos créations dans des prises de vues hyperréalistes et en mouvement permanent », raconte le superviseur des effets visuels Phil Tippett. « Le monstre lui-même était doté d’un concept très insolite, d’autant que l’intention a toujours été de ne pas le révéler entièrement dans des plans larges. On n’en distingue à chaque fois que des morceaux furtifs, et on essaie d’imaginer à quoi il ressemble réellement. » (1) Cerise sur le gâteau, une idée narrative supplémentaire permet au réalisateur d’intégrer des flash-backs dans son métrage, car les images auxquelles nous assistons sont censées être enregistrées sur une ancienne bande vidéo datant de l’idylle naissante du couple vedette. Les « décrochages » ainsi obtenus offrent un recul intéressant sur l’intrigue, et permettent de clôturer le film sur une note cruellement ironique.

(1) Propos recueillis par votre serviteur en avril 2008

 

© Gilles Penso

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LA MOUCHE (1986)

David Cronenberg revisite un classique de la science-fiction des années 50 pour pousser à son paroxysme son exploration des mutations de la chair

THE FLY

1986 – USA

Réalisé par David Cronenberg

Avec Jeff Goldblum, Geena Davis, John Getz, Joy Boushel, Leslie Carlson, George Chuvalo, David Cronenberg, Michael Copeman

THEMA INSECTES ET INVERTÉBRÉS I SAGA LA MOUCHE

En 1982, John Carpenter proposait avec The Thing un remake surprenant d’un classique de la science-fiction des années 50, contournant son prestigieux modèle en restructurant sa construction narrative et en modernisant ses thématiques. Quatre ans plus tard, David Cronenberg suit la même voie en proposant une vision très personnelle du scénario de La Mouche noire que Kurt Neuman réalisa en 1958. Jeff Goldblum y interprète Seth Brundle, un jeune scientifique qui vient de mettre au point dans son laboratoire une invention révolutionnaire : la fameuse téléportation. Ses premiers essais sur un babouin étant catastrophiques, Brundle revoit sa copie et décide d’être lui-même le cobaye de la prochaine expérience. Il se téléporte ainsi d’un « télépode » à un autre avec beaucoup de succès. Ce n’est que plus tard qu’il réalise qu’une mouche s’est infiltrée dans le télépode pendant l’expérience.

Comme dans The Thing, monstre et humain ne sont plus dissociés mais entremêlés en une hideuse et inexorable métamorphose, qui n’est pas sans évoquer celle, pathétique, imaginée par Kafka. L’idée de génie de cette nouvelle Mouche consiste à amener la transformation progressivement et en la délocalisant sur l’ensemble de l’organisme. Car ici, la mutation de l’homme en mouche est de toute évidence associée à une maladie progressive, avilissante, destructrice et annihilatrice. Rien n’empêche d’y voir une métaphore du sida, dont les ravages commençaient sérieusement à perturber la population au milieu des années 80. Le profil physique type des héros masculins de Cronenberg, taciturnes et intériorisés dans la lignée de James Woods, Christopher Walken, Jeremy Irons ou Peter Weller, n’est pas ici respecté par la présence de Jeff Goldblum, comédien plus populaire et fort différemment typé. Il faut voir là un choix artistique brillant, que Cronenberg imposa presque à son producteur Mel Brooks (ce dernier souhaitait ardemment donner le rôle à Pierce Brosnan).

La métamorphose

Conforme à ce que le public attend de lui, dans le registre du grand timide maladroit un peu doux-dingue, Goldblum casse peu à peu cette image avec un talent indiscutable. Le voir se muer, psychologiquement et physiquement, en surhomme arrogant, en infirme pathétique puis en monstre effrayant, est autant perturbant pour le spectateur que pour la journaliste incarnée par Geena Davis. Et les maquillages spéciaux de Chris Walas, très surprenants, portent aux nues l’horreur organique inhérente au récit. L’un des thèmes fétiches de l’œuvre de Cronenberg, la mutation, est ainsi porté à son paroxysme, même si le cinéaste n’en assume pas tout à fait la récurrence. « Etant donné que je n’ai pas tendance à faire d’auto-analyse, je n’étudie pas mes propres films ni ne cherche à établir de comparaisons thématiques entre eux », nous avoue-t-il. « Ceci étant dit, la mutation est inhérente au processus de la vie, puisque toute notre existence est régie par le changement. Je dirais donc que, plus qu’un cinéaste attiré par la mutation, je suis un cinéaste qui puise son inspiration dans la vie elle-même. » (1) D’où d’inévitables filiations entre La Mouche et les films précédents de Cronenberg.

(1) Propos recueillis par votre serviteur en octobre 2005

 

© Gilles Penso

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