NOSFERATU (2024)

Le réalisateur de The Witch et The Lighthouse réinvente le classique de Murnau sous un angle baroque et excessif…

NOSFERATU

 

2024 – USA / GB / HONGRIE

 

Réalisé par Robert Eggers

 

Avec Lily-Rose Depp, Bill Skarsgård, Nicholas Hoult, Aaron Taylor-Johnson, Willem Dafoe, Emma Corrin, Ralph Ineson, Simon McBurney, Adéla Hesova, Milena Konstantinova

 

THEMA DRACULA I VAMPIRES

S’il est aujourd’hui considéré comme un des jalons incontournables de l’histoire du septième art, le Nosferatu de F.W. Murnau fut le fruit d’un important compromis, dans la mesure où la production n’eut pas les moyens de payer les droits d’adaptation du Dracula de Bram Stoker et en tira donc une version officieuse (ce qui ne fut pas du tout du goût de la veuve de l’écrivain, comme on peut l’imaginer). Mais la force du film et son impact furent tels qu’il parvint sans mal à s’extraire de l’ombre de son immense prédécesseur littéraire pour imposer sa propre imagerie. De fait, il servit de terreau à d’autres création cinématographiques singulières : Nosferatu fantôme de la nuit de Werner Herzog, L’Ombre du vampire d’E. Elias Merhige, le peu connu Nosferatu de David Lee Fisher et désormais celui de Robert Eggers. Voir le réalisateur de The Witch à la tête d’une telle entreprise procède d’une certaine logique, dans la mesure où il rendait déjà un hommage direct au cinéma expressionniste en général – et à Murnau en particulier – dans The Lighthouse. Dès le lycée, d’ailleurs, Eggers montait sur scène une adaptation théâtrale du classique de 1922. Il fallait donc bien qu’un jour où l’autre notre homme se frotte frontalement au redoutable comte Orlock.

Annoncé dès 2015, ce Nosferatu mettra pourtant près d’une décennie à se concrétiser. En toute logique, Robert Eggers envisage de confier le rôle féminin principal à Anya Taylor-Joy, qu’il avait révélée dans The Witch. Mais le film tardant à entrer en production, cette dernière finit par être occupée ailleurs, en l’occurrence sur le tournage de Furiosa. C’est finalement Lily-Rose Depp qui la remplace, et force est de constater que la jeune actrice donne pleinement de sa personne, livrant une impressionnante performance à fleur de peau. Son malheureux époux, bientôt dépassé par les événements, est incarné par Nicholas Hoult qui, ironiquement, campait l’assistant de Dracula dans Renfield. Willem Dafoe, quant à lui, retrouve Eggers après The Lighthouse et The Northman pour entrer dans la peau d’un émule du docteur Van Helsing. Sa présence dans le film est d’autant plus savoureuse qu’il incarnait lui-même le comte Orlock – ou du moins son interprète Max Schreck – dans L’Ombre du vampire. Restait à trouver l’interprète idéal du monstre. Habitué aux métamorphoses – il fut le Pennywise de Ça, le Kro des Eternels ou encore Eric Draven dans The Crow -, Bill Skarsgård se prête au jeu avec tant d’intensité qu’il ressortira lessivé de cette expérience.

Quelles noces feras-tu ?

Volontairement, Eggers s’éloigne du look popularisé par les films précédents pour tenter une autre approche, en équilibre instable entre la monstruosité décrépie et les vestiges d’une aristocratie en bout de course. D’où le détournement de certaines caractéristiques physiques attribuées à Vlad Tepes, prince de Valachie du 15ème siècle qui inspira le personnage de Dracula. Le cinéaste n’oublie pas pour autant de rendre hommage à ses prédécesseurs. L’ombre de Murnau plane au sens propre sur de nombreuses séquences du film, notamment à travers les silhouettes des mains griffues d’Orlock qui rampent sur les murs ou recouvrent la cité tout entière pour bien signifier l’emprise du vampire sur les pauvres humains à sa merci. Mais l’esthétique convoquée par Eggers paie aussi son tribut à Herzog, notamment via la sarabande des porteurs de cercueils, l’invasion des rats dans la ville ou la pâleur diaphane de Lily-Rose Depp qui succède à celle d’Isabelle Adjani. Les scènes du château d’Orlock sont d’ailleurs filmées dans les mêmes décors que ceux du Nosferatu de 1979. Persuadé que la juste tonalité de son récit passe par un refus ostensible de la demi-mesure, Eggers pousse Skarsgård à exagérer sa voix gutturale, Dafoe à forcer le trait de ses interventions exaltées, Depp à surcharger ses alternances de neurasthénie et d’hystérie. Les noces contre-nature entre la belle et la bête prennent par conséquent une tournure monstrueuse s’achevant sur un climax déchirant où l’amour et la mort fusionnent définitivement.

 

© Gilles Penso

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LE CLUB DES MONSTRES (1981)

Des vampires et des goules surgissent dans ce film à sketches qui donne la vedette à Vincent Price, John Carradine et Donald Pleasence…

THE MONSTER CLUB

 

1981 – GB

 

Réalisé par Roy Ward Baker

 

Avec Vincent Price, John Carradine, Donald Pleasence, Anthony Steel, Barbara Kellerman, Simon Ward, Britt Ekland, Stuart Whitman, Richard Johnson

 

THEMA VAMPIRES

Le Club des monstres est l’occasion pour le producteur Milton Subotsky d’adapter un roman de R. Chetwynd-Hayes, dont il porta plusieurs nouvelles à l’écran à l’occasion de Frissons d’outre-tombe. C’est aussi un moyen pour lui de renouer un peu tardivement avec l’un des genres narratifs favoris de la firme Amicus dont il fut le cofondateur avec Max J. Rosenberg : le film à sketches. Son envie initiale est de réunir six des plus grandes stars masculines de l’horreur dans le même film : Vincent Price, Donald Pleasence, John Carradine, Peter Cushing, Christopher Lee et Klaus Kinski. Finalement, seuls les trois premiers répondent à l’appel, les autres passant leur tour pour des raisons diverses. L’introduction, la conclusion et les transitions de ce film anthologique sont assurées par Price et Carradine. Incarnant respectivement le vieux vampire Erasmus et l’écrivain spécialisé dans l’épouvante Chetwynd Hayes (donc le véritable auteur ayant inspiré le scénario), ils bavardent tous deux autour d’une table en forme de cercueil dans le « Club des Monstres ». Ce lieu, qu’on eut souhaité plus visuellement inventif, est une espèce de night-club où se dandinent des figurants masqués et où des groupes de pop/rock chevelus vocifèrent d’insupportables chansons que le réalisateur Roy Ward Baker nous inflige hélas en intégralité.

Le premier des trois récits du Club des monstres est une fable triste et morale qui s’intéresse à une cupide jeune femme (Barbara Kellerman), poussée par son fiancé (Simon Ward) à s’approprier la riche collection d’un Shadmock, un être singulier qui carbonise tout ce qui le contrarie. La seconde histoire aborde le vampirisme avec humour, puisqu’elle s’intéresse à un chasseur de suceurs de sang qui a pour métier d’enfoncer dans le cœur de ses victimes le pieu fatidique. Mais seul le dénouement de ce sketch, aidé par la prestation de Donald Pleasence, vaut vraiment le coup d’œil. Dans le troisième et dernier segment, un cinéaste, effectuant les repérages de son prochain film, tombe sur un village hanté par des goules. Ce récit est sans doute le plus réussi des trois, servi par le jeu très convaincant de Stuart Whitman. On regrette en revanche l’affreuse musique synthétique composée par Alan Hawkshaw, qui dénote par rapport aux partitions très belles – bien qu’un peu envahissantes – des deux premiers sketches signées Douglas Gamley et John Georgiadis.

Strip-tease intégral

Le Club des monstres nous laisse donc une impression mitigée pas vraiment à la hauteur du talent de Roy Ward Baker, qui nous offrit par le passé des films de la trempe de The Vampire Lovers, Les Monstres de l’espace ou Docteur Jekyll et Sister Hyde. L’image de Vincent Price et John Carradine qui, au cours du final, se trémoussent sur la piste de danse, pourra au choix faire sourire ou susciter une gêne irrépressible. Nous sommes de toute évidence à la fin d’un certain âge d’or du cinéma fantastique britannique que plus personne – ni les acteurs, ni le réalisateur, ni le producteur, ni les scénaristes – ne sait trop comment gérer. D’où le sentiment d’un film un peu dépassé par son époque, dont la meilleure idée visuelle est peut-être celle du strip-tease intégral d’une danseuse qui termine son show sous forme de squelette, le tout en ombres chinoises animées. Une image finale certes anecdotique mais d’une jolie poésie macabre. Succès très modéré en salles, Le Club des monstres aura plus de chance lors de sa distribution en vidéo. Depuis, certains produits dérivés créés à l’époque en série limitée (l’adaptation graphique, la bande originale, l’édition de poche du roman) s’arrachent à prix d’or chez les collectionneurs.

 

© Gilles Penso


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JOSH KIRBY : TIME WARRIOR ! CHAPITRE 3 – TRAPPED ON TOYWORLD (1996)

Dans ce troisième épisode, le jeune voyageur temporel Josh Kirby se retrouve propulsé dans un monde peuplé de jouets vivants…

JOSH KIRBY TIME WARRIOR ! CHAPTER 3 : TRAPPED ON TOYWORLD

 

1996 – USA

 

Réalisé par Frank Arnold

 

Avec Corbin Allred, Derek Webster, Buck Kartalian, Sharon Lee Jones, Barrie Ingham, Jennifer Burns, Lucian Cojocaru, J.P. Hubbell

 

THEMA VOYAGES DANS LE TEMPS I JOUETS I CLOWNS I SAGA CHARLES BAND I JOSH KIRBY

Les aventures de Josh Kirby se suivent et ne se ressemblent pas. Et il faut saluer l’audace des scénaristes et des metteurs en scène qui, faisant fi des ridicules budgets à leur disposition, parviennent à placer leurs ambitions relativement haut et à surprendre sans cesse les jeunes spectateurs auxquels cette saga science-fictionnelle est destinée. À la fin du second épisode, nous quittions notre héros en mauvaise posture, projeté dans l’espace hors de la machine à voyager dans le temps du professeur Irwin 1138. À la manière du Bruce Campbell de L’Armée des ténèbres, il chute en hurlant et atterrit en catastrophe dans une forêt inconnue. En réalité, c’est toujours le même décor naturel roumain, sans cesse réutilisé d’un épisode à l’autre, que les réalisateurs tentent de faire passer à chaque fois pour des sites différents. Nous ne sommes pas dupes, mais la série Josh Kirby est typiquement le genre de spectacle qu’il faut savoir apprécier en suspendant son incrédulité. Tout fait un peu faux, tout sent le bricolage, mais ce qui pourrait être rédhibitoire se mue presque en qualité. Les acteurs semblent s’amuser comme des gamins dans une chambre d’enfant, suscitant de fait une sorte de connivence avec les spectateurs.

Dans la forêt inconnue où il s’est crashé, Josh (Corbin Allred) rencontre Annie (Sharon Lee Jones), une poupée avenante qui a une taille humaine, et Theodore (Lucian Cojocaru), un énorme ours en peluche amical mais bougon. Le voilà dans Toyworld, un monde étrange où lui-même est considéré comme une espèce rare :  un « non jouet ». Le créateur de tous les habitants de Toyworld est un vieux bricoleur sympathique (Buck Kartalian) qui s’appelle – évidemment – Gepetto. Un échange de dialogue apparemment anecdotique entre Josh et Annie pose en substance la question de l’éternelle insatisfaction de tout un chacun, l’herbe semblant toujours plus verte ailleurs. « Les jouets ne changent pas, ils ne grandissent pas, nous chantons toujours les mêmes chansons et dansons toujours les mêmes danses » se plaint ainsi la poupée face à sa vie routinière, enviant le libre-arbitre des « non jouets ». « Vous n’avez qu’à vous amuser sans vous soucier des devoirs ou des brutes à l’école », rétorque Josh. Après cette brève leçon de philosophie, le jeune voyageur temporel découvre que son ennemi juré, le vil Zoetrope (Derek Webster), l’a suivi jusque dans ce pays imaginaire, toujours engoncé dans sa redoutable armure futuriste…

Toys Are Us

Au-delà d’Annie et Theodore, Toyworld se révèle peuplé d’une infinité de créatures improbables : un œuf à la coque moustachu, un soldat aux sourcils dignes de Groucho Marx, un troll édenté amateur d’énigmes et des centaines de figurants dont les costumes (dinosaures, clowns, lapins, singes, pingouins, ballerines, grooms, cowboys) semblent avoir été loués dans un magasin de farces et attrapes. Les décors eux-mêmes donnent le sentiment d’avoir été fabriqués dans un atelier créatif d’école primaire, à grand renfort de carton, de bouts de bois et de polystyrène. Bien sûr, Trapped on Toyworld n’entend pas rivaliser avec les productions Disney et se positionne ouvertement comme un conte de fées low cost. On pense parfois au court-métrage Hansel et Gretel que Tim Burton bricola en 1983, avec ses accessoires en plastique, ses murs en carton-pâte et ses panoplies à la coupe évasive. Quelque part, tout ce semi-amateurisme contribue au caractère attachant de l’œuvre. Mais il faut bien reconnaître que le scénario tire à la ligne et peine à remplir les 90 minutes règlementaires. Après une grande bataille de tartes à la crème en guise de climax, un nouveau cliffhanger en fin de métrage annonce le quatrième épisode.

 

© Gilles Penso

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MARIE (2024)

Vous connaissez tous l’histoire de Jésus, mais que savez-vous de sa mère ? Cette « prequel » vous dit tout…

MARY

 

2024 – USA / UK

 

Réalisé par D.J. Caruso

 

Avec Noa Cohen, Ido Tako, Ori Pfeffer, Hilla Vidor, Dudley O’Shaughnessy, Anthony Hopkins, Ray Clark, Mili Avital, Stephanie Nur, Ait ben Azzouz Brahim

 

THEMA DIEU, LA BIBLE, LES ANGES

Voilà longtemps que la vie de Jésus intéresse le cinéma, réinventée à travers le prisme de réalisateurs aussi dissemblables que Pier Paolo Pasolini, Franco Zeffirelli, Martin Scorsese, Mel Gibson ou même les Monty Pythons. La génitrice du Christ, en revanche, n’eut pas si souvent les honneurs des écrans (même si Kevin Connor et Catherine Hardwicke, entre autres, se penchèrent sur son histoire). Persuadé qu’un grand film restait à consacrer à la vie de la Sainte Vierge, celle par qui le miracle de l’immaculée conception se révéla au monde, si l’on en croit le Nouveau Testament, D.J. Caruso (Paranoïa, LŒil du mal, Numéro quatre) se lança dans l’aventure. « Je voulais inspirer, en particulier les jeunes téléspectateurs, en les poussant à se dire : “Wow, cette fille pourrait être mon amie“ », confesse le cinéaste. « Je sais qu’elle est cette icône que nous vénérons tous, mais en même temps, elle était aussi une jeune femme qui prit des décisions compliquées et vécut des choses difficiles. Je voulais la rendre humaine pour qu’elle soit accessible à tous. » (1). Catholique pratiquant à la foi inébranlable, Caruso appréhende de fait la mise en scène de Marie comme une sorte d’acte sacré. « Nous sommes en mission pour le Seigneur » affirmaient les Blues Brothers. Notre homme pourrait en dire autant.

Soucieux de rendre justice aux personnages tels que les décrit la Bible, le réalisateur travaille avec la bénédiction – au sens propre et figuré ! – de l’évêque David G. O’Connell, « conseiller spirituel » pendant le tournage, et du pasteur Joel Osteen, producteur exécutif du film. Le scénariste lui-même, Timothy Michael Hayes, consulte bon nombre de sommités représentant les trois grandes religions monothéistes avant d’attaquer l’écriture. Pas moins de 75 versions du script seront nécessaires avant l’obtention d’une version définitive validée par tout le monde. Pour autant, Marie prend ses distances avec un matériau original qui, de toutes façons, se prête à toutes les interprétations. Le personnage de Joseph, notamment, est beaucoup plus jeune que la représentation traditionnelle. Caruso tient à conter une romance candide et pure, ce qu’une trop grande différence d’âge entre le charpentier et la sainte aurait selon lui entravé. Dans sa volonté de toucher le jeune public, le réalisateur n’hésite pas à emprunter certains tics des blockbusters de studio, comme cette voix off de Marie, façon super-héros, qui annonce d’emblée aux spectateurs : « Vous croyez connaître mon histoire, mais ce n’est pas le cas ». Finalement, Marie s’appréhende comme une « origin story », la volonté de Caruso étant visiblement d’en faire une sorte de prequel de La Passion du Christ.

Il est né le divin enfant

Il faut reconnaître que Marie est un film de facture très honnête, réalisé avec efficacité dans de beaux décors marocains, interprété avec conviction par une poignée de comédiens solides. Si Anthony Hopkins – seul visage célèbre du casting -, cabotine volontiers sous la défroque d’un roi Hérode qu’on croirait échappé d’une pièce de Shakespeare, la méconnue Noa Cohen se révèle très à son aise dans le rôle pas simple de l’enfant devenue femme puis mère, en un subtil mélange de force et de fragilité, de soumission à l’autorité rigide et de révolte face aux carcans d’une société redoutablement archaïque. Hélas, le film se montre incapable de prendre de la hauteur, de transporter ses spectateurs, de se gorger d’emphase, de lyrisme et de fulgurance. Marie reste désespérément plat, même dans ses brefs accès de violence, dans ses recours frontaux au surnaturel (via les interventions de l’archange Gabriel et d’un démon luciférien) ou dans ses moments de suspense (la traque, l’incendie final). Rien ne dépasse, tout est très sage, très propre, très convenable. Sans doute D.J. Caruso s’est-il trop laissé brider par sa propre fascination pour le sujet, manquant du recul nécessaire pour transcender cette histoire avec l’audace nécessaire. Marie aurait pu être un grand film. Ce n’est finalement qu’un téléfilm luxueux qui ne marquera sans doute pas les mémoires.

 

© Gilles Penso

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UN NOËL SANS FIN (2023)

La veille de Noël, un tueur masqué tout de blanc vêtu massacre à tour de bras dans une petite ville américaine. Mais une adolescente s’oppose à lui…

IT’S A WONDERFUL KNIFE

 

2023 – USA / GB / CANADA

 

Réalisé par Tyler MacIntyre

 

Avec Jane Widdop, Joel McHale, Justin Long, Jess McLeod, Katharine Isabelle, Aiden Howard, Erin Boyes, Sean Depner, Zenia Marshall, Jason Fernandes

 

THEMA TUEURS I MONDES VIRTUELS ET PARALLÈLES

Après Freaky, qui s’amusait à combiner les codes du slasher avec un concept emprunté à Freaky Friday, le scénariste Michael Kennedy poursuit ses détournements des figures imposées par Scream. Ici, il s’agit de reprendre le principe narratif de La Vie est belle, d’où un titre original savoureux qui, s’il n’est pas inédit – un court-métrage de 2014 s’appelait déjà It’s a Wonderful Knife -, a le mérite de jouer habilement sur les mots et d’assumer sa source d’inspiration principale en remplaçant le mot « life » (« vie ») par « knife » (« couteau »). Évidemment, une telle astuce est intraduisible en français. Les distributeurs de chez nous optent donc pour le très fadasse Un Noël sans fin qui lorgne maladroitement vers Un jour sans fin, un choix discutable puisqu’il n’est pas ici question de boucle temporelle mais plutôt de monde parallèle. Un Noël sans fin servait d’ailleurs déjà de titre français à un téléfilm de 2013 (Pete’s Christmas) et à un film de 2022 (Christmas on Repeat). Il serait donc temps de se creuser les méninges pour trouver autre chose ! La réalisation de ce neo-slasher sur fond de fêtes de fins d’années est confiée à Tyler MacIntyre, qui avait signé une poignée de films d’horreur indépendants (Patchwork, Tragedy Girls, Good Boy) et un segment de l’anthologie V/H/S 99. Il est également scénariste de Five Night at Freddy’s, ce qui n’est pas forcément bon signe.

Le film se déroule dans la petite ville d’Angel Falls (clin d’œil au Bedford Falls de Frank Capra) dans laquelle un entrepreneur cupide, Henry Waters (Justin Long, le teint excessivement halé et les dents éclatantes), cherche à accroitre son empire en poussant les habitants à vendre leurs commerces et leurs maisons pour faire bâtir des centres commerciaux et des complexes industriels. Son associé, David Carruthers (Joel McHale), l’accompagne de mauvaise grâce dans ses actions hostiles. Cet équilibre déjà fragile vole en éclat la veille de Noël lorsqu’un tueur masqué, habillé tout en blanc comme l’ange qui sert de symbole à la ville, se met à massacrer tous ceux qui passent à sa portée. Seule une adolescente, Winnie Carruthers (Jane Widdop), la fille de David, semble capable de l’arrêter. Mais ses actes vont avoir des conséquences particulièrement inattendues. Une aurore boréale qui semble venue de nulle part va en effet la plonger au cœur d’un phénomène spatio-temporel inexplicable…

Horror boréale

S’il fallait rapprocher la mécanique narrative d’Un Noël sans fin d’un autre film, ce serait moins de l’irrésistible comédie à répétition d’Harold Ramis que du chapitre central de Retour vers le futur 2, dans lequel Marty McFly se retrouvait propulsé dans des années 80 alternatives où il perdait tous ses repères. À l’avenant, Winnie découvre sa ville sous un autre angle, dans une réalité où elle n’existe pas et où Henry Waters est devenu un maire dictatorial tout puissant. Quant au tueur « angélique », il est plus actif que jamais. Comme le James Stewart de La Vie est belle, notre héroïne constate à quoi ressemblerait le monde sans elle. La référence est non seulement présente dans le jeu de mot du titre mais aussi à travers plusieurs répliques du film qui font allusion à George Bailey et Clarence (le protagoniste humain et l’ange de chez Capra). Malgré la relative violence de ses meurtres, Un Noël sans fin tend plus vers la comédie que l’horreur (le cinéma local affiche un film imaginaire qui s’appelle I Know What you Did Last Christmas) et se veut dans l’air du temps, affirmant ostensiblement un positionnement « gay friendly ». Si le scénario de Michael Kennedy offre son lot de surprises, il faut bien reconnaître que l’intrigue finit par patiner, faute de péripéties intéressantes, avant de s’acheminer vers un climax bizarre muant tous les habitants en zombies, jusqu’à cet épilogue mièvre qui nous laisse sur notre faim. Un tel concept aurait certainement mérité un peu plus d’audace, de folie et d’impertinence.

 

© Gilles Penso


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LES ROIS MAGES (2001)

Didier Bourdon, Bernard Campan et Pascal Légitimus se réunissent pour une farce biblique qu’on aurait espéré plus drôle…

LES ROIS MAGES

 

2001 – FRANCE

 

Réalisé par Didier Bourdon et Bernard Campan

 

Avec Didier Bourdon, Bernard Campan, Pascal Légitimus, Virginie de la Clausade, Walid Afkir, Nathalie Roussel, Claude Brosset, Christophe Hémon, Colette Maire

 

THEMA DIEU, LES ANGES ET LA BIBLE I VOYAGES DANS LE TEMPS

Le succès des Trois frères au cinéma n’aura pas été sans revers. Jugeant que leur producteur historique Paul Lederman a perçu une part des bénéfices anormalement élevée par rapport à eux, Didier Bourdon, Bernard Campan et Pascal Légitimus entrent en conflit avec lui. Résultat des courses : Lederman contre-attaque et décide d’empêcher le trio d’utiliser le nom des Inconnus pour tous leurs projets futurs. En désespoir de cause, leurs deux films suivants, Le Pari et L’Extra-terrestre, sont tournés sans la présence de Pascal Légitimus. Lederman conteste cependant ce détournement de l’identité du groupe comique dont il détient encore les droits et relance une procédure qu’il gagnera en 1999. Une fois les esprits relativement apaisés, Bourdon, Campan et Légitimus peuvent enfin se réunir sur grand écran dans la mesure où Lederman participe au projet en tant que co-producteur. Les Rois Mages marque ainsi les retrouvailles cinématographiques officielles des Inconnus depuis Les Trois frères. Claude Berri participe lui aussi au film et parvient à réunir un budget de près de 12 millions d’euros, de quoi donner largement aux trublions les moyens de leurs ambitions.

Écrit et réalisé par Bourdon et Campan, Les Rois Mages recycle une situation comique ultra-classique, déjà éprouvée sans beaucoup de succès dans L’Extra-terrestre : le « poisson hors de l’eau », autrement dit le personnage plongé dans un contexte dont il ignore tout et auquel il va devoir s’adapter malgré lui. Ainsi, en une tardive démarcation des Visiteurs, le film raconte l’histoire de Balthazar, Melchior et Gaspard, tombés dans une faille temporelle alors qu’ils étaient en quête de l’enfant de Bethléem en plein désert. En cherchant à rejoindre l’étable où est né Jésus, ils se retrouvent propulsés plus de 2000 ans dans le futur, au beau milieu de Paris. Séparés dès leur arrivée, ils ne cessent de s’émerveiller face aux surprises que leur réserve le monde moderne. Tandis que Melchior rencontre Jo, un jeune dealer, et que Balthazar croise la route de Macha, une apprentie comédienne, le trio finit par se retrouver (métaphore des retrouvailles réelles des trois acteurs ?) et peut enfin se remettre en quête de « l’enfant roi »…

Un spot de pub géant

C’était à craindre, le concept fixe ses limites assez rapidement et les possibilités offertes par le scénario s’épuisent en un quart d’heure à peine. Une fois que les rois mages se sont extasiés face à des escalators et des mini-bars, ont essayé d’éteindre une lampe en soufflant dessus, ont découvert le McDonald’s et ont erré dans un bar à prostituées, on a fait le tour du ressort comique et l’ennui s’installe peu à peu. Certes, deux ou trois gags surnagent, une poignée de dialogues font mouche et les mimiques du trio arrachent quelques sourires, mais c’est un peu court. D’autant que les comédiens qui leur donnent la réplique sont globalement très peu convaincants – engoncés dans des rôles extrêmement stéréotypés – et que le récit patine lamentablement sans parvenir à se développer. Au cours du troisième acte survient le personnage d’un producteur de télévision qui semble vouloir relancer l’intrigue, mais son intervention ne mène nulle part. Les trucages numériques ratés qui s’efforcent de faire varier les plaisirs et l’abondante profusion de placements produits (on se croirait dans un spot de pub géant) n’arrangent évidemment rien. Bref, Les Rois Mages prouve – comme d’autres films avant lui – que l’humour concis des sketches télévisés ne suffit pas à satisfaire les exigences d’un long-métrage digne de ce nom.

 

© Gilles Penso


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THE NEON DEMON (2016)

La beauté et la jeunesse d’une apprentie mannequin provoquent des réactions de plus en plus étranges dans son entourage…

THE NEON DEMON

 

2016 – USA / FRANCE / DANEMARK

 

Réalisé par Nicolas Winding Refn

 

Avec Elle Fanning, Karl Glusman, Jena Malone, Bella Heathcote, Abbey Lee, Desmond Harrington, Christina Hendricks, Keanu Reeves, Charles Baker

 

THEMA CANNIBALES

The Neon Demon est le troisième film de Nicolas Winding Refn ayant connu les honneurs d’une présentation en avant-première au Festival de Cannes, après Drive et Only God Forgives. Et comme pour le précédent, il divisa violemment l’opinion, la foule massée dans le Palais des Festivals s’étant fendue au choix d’applaudissements enthousiastes ou de huées colériques. NWR étant un fervent adepte de la provocation, de telles réactions étaient prévisibles – pour ne pas dire espérées par le cinéaste. L’idée de The Neon Demon lui est apparue d’un coup, un matin, alors que son cerveau encore embrumé par le sommeil s’interrogeait sur la nature de ce qui est beau et de ce qui ne l’est pas. « J’ai eu l’idée de faire un film d’horreur sur la beauté, non pas pour la critiquer ou l’attaquer, mais parce que la beauté est un sujet très complexe », explique-t-il. « Tout le monde a une opinion à ce sujet. » (1) S’il retrouve de nombreuses composantes chères à son réalisateur (une esthétisation extrême, une musique électronique de Cliff Martinez, une approche sans concession de la violence), The Neon Demon entre tout de même en rupture avec ses œuvres précédentes, jusqu’alors centrées sur des personnages masculins brutaux. Cette fois-ci, ce sont principalement des femmes qui occupent le devant de la scène, les hommes restant à l’arrière-plan.

Enfant-star depuis 2001, comme le fut avant elle son aînée Dakota, Elle Fanning a seize ans lorsque Nicolas Winding Refn l’embauche pour tenir le rôle principal de The Neon Demon. Elle entre dans la peau d’un personnage qui a le même âge qu’elle, Jesse, une jeune orpheline originaire de Georgie qui débarque à Los Angeles dans l’espoir de devenir mannequin. Sur place, elle se lie d’amitié avec le photographe Dean (Karl Glusman), qui accepte de réaliser amicalement son premier shooting, et avec la maquilleuse Ruby (Jena Malone), qui la présente à ses collègues mannequins plus âgés. En attendant de pouvoir percer, elle loge dans un motel minable. Derrière le glamour affleure d’emblée le caractère impitoyable d’un métier ne ménageant guère ses postulantes. Mais plus encore que la dureté des directeurs d’agence et de casting, c’est ce sentiment permanent de menace indéfinissable qui sème le trouble chez les spectateurs. Partout où elle passe, Jesse déclenche des comportements un peu étranges, comme si sa jeunesse naïve et sa beauté naturelle généraient un mélange de jalousie, de cupidité et d’envie. Les sourires faussement complices se figent, les remarques apparemment encourageantes semblent biaisées. On sent bien que les choses s’apprêtent à prendre une tournure inquiétante…

Beauté fatale

Dans The Neon Demon, l’usine à rêve hollywoodienne se mue en fabrique à cauchemars. L’innocence y est brisée, attirant les prédateurs comme un agneau lâché au milieu des loups. Le désenchantement raconté dans Mulholland Drive n’est pas loin. David Lynch nous vient d’ailleurs plusieurs fois à l’esprit au cours du film, NFR brisant parfois sa narration pour mettre en scène des images mentales hypnotiques. L’emploi récurrent et quasiment obsessionnel de figures triangulaires réfléchissantes permet au film d’aborder frontalement le motif du narcissisme, Jesse embrassant à tour de rôle tous ses reflets comme si elle en tombait amoureuse. Les réactions presque surnaturelles qu’elle provoque autour d’elle font progressivement basculer le film vers le fantastique puis l’épouvante… et enfin l’horreur. Car Jesse suscite une sorte d’appétit mi-vampirique mi-cannibale qui pousse ses rivales à vouloir absorber son sang ou s’en recouvrir (comme des émules modernisées de la comtesse Bathory), à rêver de se repaitre de sa chair si parfaite ou à projeter son image fantasmée ailleurs. A ce titre, la scène de la morgue reste un grand moment de malaise déviant. On note au détour du casting quelques seconds rôles masculins savoureux comme Keanu Reeves en gérant de motel libidineux et vulgaire, Desmond Harrington (Dexter) en photographe glacial et inquiétant ou Charles Baker (Breaking Bad) en styliste pédant et sophistiqué. Nihiliste, impertinent, gorgé d’humour noir, The Neon Demon est une œuvre choc fascinante qui inspira sans doute Luca Guadagnico lorsqu’il s’attela à son remake de Suspiria.

 

(1) Extrait d’une interview parue dans le Boston Globe en juin 2016

 

© Gilles Penso


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NOUS SOMMES LA NUIT (2010)

Elles sont sexy, indépendantes, fêtardes, bonnes vivantes, à la pointe de la mode… Seul petit problème : elles boivent le sang des humains !

WIND SIND DIE NACHT

 

2010 – ALLEMAGNE

 

Réalisé par Dennis Gansel

 

Avec Karoline Herfurth, Nina Hoss, Jennifer Ulrich, Anna Fischer, Max Riemelt, Jochen Nickel, Arved Birnbaum, Steffi Kühnert

 

THEMA VAMPIRES

Dennis Gansel rêve de son propre film de vampires depuis les années 90, plus précisément depuis cette soirée où, en rentrant d’une projection de Dangereuse alliance, il tombe sur un grand bâtiment abandonné à Berlin et commence à imaginer ce qui pourrait s’y passer. Son premier jet est écrit en 1998, mais personne ne semble prêt à le produire. Le cinéma d’épouvante allemand n’est pas vraiment au goût du jour. Gansel développe alors d’autres projets et finit par toucher le public du monde entier avec La Vague, d’après le roman de Todd Strasser, terrible constat sur la nature humaine et sur notre capacité à sans cesse répéter nos erreurs – y compris les pires. Plusieurs des idées qu’il prévoyait pour son film de vampires sont d’ailleurs injectées dans cette chronique qui fait froid dans le dos et lui redonne du crédit auprès des compagnies de production allemande. Il ne lui faut plus qu’un coup de pouce pour enfin concrétiser le projet dont il rêve. Ce sera le succès phénoménal de Twilight. Désormais, les vampires sont de nouveau à la mode. Gansel reprend alors l’écriture de son script et Nous sommes la nuit entre enfin en production. Le budget à sa disposition étant très serré et le réalisateur ne souhaitant pas sacrifier la patine de son film, il n’hésite pas à utiliser cinq caméras simultanément pour gagner du temps sur le planning de tournage.

C’est à travers les yeux de Lena (Karoline Herfurth), 20 ans, que nous entrons dans l’univers du film. Cette jeune femme marginale, qui survit grâce à de petits larcins et vit une relation conflictuelle avec sa mère, mène une existence solitaire et chaotique. Une nuit, alors qu’elle fréquente un club underground, elle attire l’attention de Louise (Nina Hoss), la mystérieuse propriétaire du lieu. Or Louise est à la tête d’un trio de femmes vampires composé de l’ombrageuse Nora (Anna Fischer) et de l’élégante Charlotte (Jennifer Ulrich). Intriguée par Lena, Louise engage la conversation et, devinant en elle une potentielle vampire, décide de la mordre lors de leur première rencontre. À son retour chez elle, Lena est paniquée. Durant la nuit, elle subit une transformation qui bouleverse son existence : une intolérance à la lumière du soleil, une faim dévorante que seule la viande crue peut apaiser et l’absence de reflet dans les miroirs. Désorientée, elle retourne au club pour obtenir des réponses. Louise lui révèle alors sa nouvelle nature immortelle et lui fait découvrir un nouveau monde où la liberté, le luxe et les plaisirs sans limites sont à portée de main…

Les prédatrices

Le moins qu’on puisse dire, c’est que Dennis Gansel sait capter l’attention des spectateurs dès les premières minutes. Témoin cette séquence pré-générique étonnante qui permet au film de commencer sur des chapeaux de roue. Un avion y vole au-dessus des nuages. À l’intérieur, tout le monde – équipage, passagers – est mort, le cou ensanglanté. Seules nos trois femmes vampires, indifférentes au macabre spectacle, sont encore vivantes. Tranquillement, sans l’once d’une inquiétude, elles arrachent la porte de secours et se jettent dans le vide. Voilà un démarrage en fanfare ! Dans Nous sommes la nuit, le vampirisme devient la métaphore ultime de l’émancipation féminine. Débarrassées une bonne fois pour toutes du patriarcat – les hommes sont clairement relégués à l’arrière-plan dans le scénario -, elles n’en font qu’à leur tête. Leur propension à mener la belle vie, fréquenter les endroits à la mode, s’habiller avec luxe et festoyer jusqu’au bout de la nuit les mue presque en émules du couple qu’incarnaient Catherine Deneuve et David Bowie dans Les Prédateurs. Gansel partage d’ailleurs avec Tony Scott une volonté de repousser très loin la sophistication de son film, extrêmement soigné d’un point de vue esthétique et ne trahissant jamais la faiblesse de ses moyens. Nous sommes la nuit offre ainsi à l’éternel motif des buveurs de sang un souffle nouveau, une variante « chic » qui semble vouloir tenter le croisement contre-nature entre Entretien avec un vampire et Sex and the City !

 

© Gilles Penso

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HURLEMENTS 3 (1987)

Un scientifique découvre qu’une tribu de monstres mi-hommes mi-marsupiaux se cachent parmi nous depuis des siècles…

THE HOWLING 3 – THE MARSUPIALS

 

1987 – AUSTRALIE

 

Réalisé par Philippe Mora

 

Avec Imogen Annesley, Barry Otto, Max Fairchild, Dagmar Blahova, Lee Biolos, Ralph Cotterill, Frank Thring, Michael Pate, Jon Ewing, Barry Humphries

 

THEMA LOUPS-GAROUS I SAGA HURLEMENTS

Que pouvait-on espérer de Hurlements 3 après la débâcle de Hurlement 2 ? Était-il possible de faire pire ? La réponse est oui, hélas. Bien pire ! Le réalisateur Philippe Mora (signataire du sympathique Return of Captain Invincible et du foutraque Les Entrailles de l’enfer) parachève le massacre après un deuxième épisode calamiteux et nous offre un opus tellement mal-fichu qu’il se mue presque en cas d’école. Après un prologue situé en Australie en 1905, au cours duquel des indigènes posent fièrement à côté du fruit de leur chasse (un grand animal poilu indéterminé), l’intrigue nous transporte en Sibérie où un habitant est sauvagement attaqué par une créature hors-champ. Convoqué par le président des Etats-Unis (Michael Pate), le professeur Beckmeyer (Barry Otto) lui annonce alors très sérieusement que l’existence des lycanthropes est avérée. Nous changeons à nouveau de décor pour nous retrouver en pleine forêt australienne. Jerboa (Imogen Annesley), une jeune femme loup-garou, quitte sa tribu de sauvageons – son beau-père cherche à abuser d’elle en échange d’un walkman ! – et prend la fuite. Donny (Lee Biolos), l’assistant réalisateur d’un film d’horreur, la repère alors et lui propose un rôle. Mais de fausses religieuses aux canines acérées se lancent à ses trousses, prêtes à dévorer ceux qui se mettront sur leur chemin…

Le scénario de Hurlements 3 est ainsi fait, zappant sans logique d’une scène à l’autre – chacune s’avérant plus improbable que la précédente – sans spécialement chercher à donner un semblant de cohérence à l’ensemble. Le récit nous donne ainsi l’impression de s’improviser au fur et à mesure. Les acteurs ne savent visiblement pas ce qu’ils sont en train de faire, pas plus que le réalisateur. Certes, le film ne manque pas d’autodérision, nous montrant l’extrait d’un film imaginaire (It Came From Uranus avec une métamorphose de loup-garou excessive et grotesque), s’amusant avec la représentation des monstres sur le plateau de tournage d’un film d’horreur ringard (The Shapeshifter part 8) ou pendant une soirée costumée digne d’Halloween, se fendant de quelques dialogues référentiels (« Christopher Lee devrait apparaître dans un instant »). Mais lorsque les « vrais » loups-garous débarquent, ils n’en sont pas moins ridicules, notamment ces trois nonnes au museau proéminent qui grognent comme des cochons, ce gros marsupial velu qui surgit dans une chambre d’hôpital ou cette énorme tête de bestiau qui pénètre dans une tente (en réalité un accessoire récupéré du tournage de Razorback et vaguement remaquillé). Les effets spéciaux de Bob McCarron ne tiennent pas du tout la route et provoquent d’énormes éclats de rire involontaires.

L’attaque des kangourous-garous

Car tel est le paradoxe de Hurlements 3. Incapable de choisir sa tonalité, le film se veut parfois drôle (provoquant dans ces cas-là une réaction embarrassée et perplexe de la part des spectateurs), d’autres fois extrêmement sérieux (c’est là qu’il est le plus hilarant). L’origine des créatures du film reste extrêmement nébuleuse, attribuée selon les dialogues à un accouplement contre-nature entre un homme et une louve, à une tribu hantée par l’esprit du dernier diable de Tasmanie ou encore à une mutation génétique ayant entraîné le développement d’une nouvelle espèce. Tantôt marsupiaux, tantôt lupins, tantôt les deux (on s’y perd), tous ces lycanthropes s’agitent ainsi en dépit du bon sens, au sein d’un film particulièrement erratique. Quelques séquences surréalistes ponctuent le métrage, comme cette scène de cauchemar avec un accouchement façon Alien, cette ballerine qui se transforme en pleine répétition, la jeune héroïne qui met bas une petite bestiole et la protège dans sa poche ventrale de kangourou, une transformation hystérique en plein hôpital ou encore des militaires attaqués par un squelette de loup-garou. À vingt minutes de la fin, Hurlements 3 laisse traîner son épilogue jusqu’à épuisement, enchaînant les scènes de conclusion toutes plus inutiles les unes que les autres jusqu’à une chute grotesque qui fait écho à celle du premier Hurlements. Le comble, c’est que la « saga » ne s’arrêtera pas là. Cinq autres films suivront !

 

© Gilles Penso


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THE OILY MANIAC (1976)

Un jeune homme frustré de ne pouvoir faire régner la justice se transforme en monstre visqueux et massacre tous ceux qu’il juge immoraux…

YOU GUI ZI

 

1976 – HONG KONG / MALAISIE

 

Réalisé par Meng-Hua Ho

 

Avec Danny Lee, Ping Chen, Lily Li, Lun Hua, Hsieh Wang, Angela Yu Chien, Feng Ku, Hung Wei, Shih-Ou Chang, Shao-Chia Chen, Ti-Ko Chen, Chok-Chow Cheung

 

THEMA MUTATIONS

L’« Orang Minyak » (ou « homme huilé ») est une légende urbaine malaisienne qui semble avoir pris ses racines au milieu du 20ème siècle, dans un contexte de tensions sociales, d’insécurité et de tabous autour de la moralité et de la sexualité. Les récits tournent habituellement autour d’une créature surnaturelle née dans le pétrole et animée de vengeance envers ceux qui lui ont causé du tort. Ce mythe bizarre trouve un regain d’intérêt lorsque le cinéma local s’en empare, notamment la trilogie Sumpah Orang Minyak (1956), Orang Minyak (1958) et Serangan Orang Minyak (1958). Au milieu des années 70, le très prolifique studio Shaw Brothers décide de moderniser la légende en l’inscrivant dans les codes du cinéma d’exploitation de l’époque. Ainsi naît The Oily Maniac, confié aux bons soins du stakhanoviste Meng-Hua Ho qui nous offrira en 1977 sa propre version de King Kong, l’inénarrable Colosse de Hong Kong. Il faut bien avouer que cet Oily Maniac est un film complètement inclassable, un conte moral sur fond de drame social qui, subitement, fait surgir un monstre en caoutchouc dégoulinant puis enchaîne les séquences de meurtres violents et d’agressions sexuelles ! Le texte d’introduction semblait pourtant vouloir se draper de respectabilité, annonçant que « ce film est une réinvention d’un conte Nanyang, dont la morale est que la justice prévaut toujours. »

Les premières séquences de The Oily Maniac prennent les atours d’un mélodrame gorgé de sentimentalisme. Après avoir tué accidentellement un gangster qui le menaçait, un chef d’entreprise est envoyé derrière les barreaux et condamné à mort. Sa fille éplorée trouve du réconfort auprès de Shen Yuan, un homme qui est secrètement amoureux d’elle. Mais ce dernier apprend que le cœur de sa belle est déjà pris. Comme si ça ne suffisait pas, le jeune romantique gentiment éconduit souffre de polio depuis sa naissance, l’obligeant à marcher avec des béquilles, et se fait tyranniser par son patron, un avocat véreux acquis à la cause de la mafia locale. Désemparé, Shen Yuan ne se rend même pas compte que l’une de ses collègues lui fait les yeux doux. Alors que les grands sentiments outrés s’installent, le film décide au bout d’un quart d’heure de partir totalement en vrille. Notre homme creuse donc un trou dans sa maison à coups de pioche, se plonge dans de la boue visqueuse, récite une incantation chamanique et se transforme en monstre dégoulinant et huileux ! Désormais, les méchants n’ont qu’à bien se tenir…

Le maniaque huileux !

Nous passons donc sans transition de la tragédie romanesque à la série Z, ce qui se révèle forcément très déstabilisant. Entre deux séquences lacrymales jouées par des acteurs évacuant toute nuance, le monstre caoutchouteux occasionne bien des éclats de rire – involontaires -, d’autant que le bougre saute comme Steve Austin dans L’Homme qui valait trois milliards, pousse des hurlements de bête, crache de la boue toxique sur ses adversaires et peut faire repousser ses membres tranchés. Les effets spéciaux font ce qu’ils peuvent pour suivre les délires du scénario : un costume invraisemblable en caoutchouc (avec des yeux lumineux, des dents qui grincent et un cœur battant), des flaques de boue qui se déplacent en animation et de simples fondus enchaînés pour les métamorphoses. À la grande joie des amateurs de pellicules improbables, The Oily Maniac multiplie les séquences folles (le héros qui s’arrose d’essence dans une station-service pour se transformer, la créature qui surgit dans une baignoire) avec comme point d’orgue l’attaque du monstre qui dégouline depuis le plafond d’une salle d’opération où une chirurgienne s’apprête à faire avorter une jeune femme et massacre tout le monde en grognant. Exhibant chaque fois que possible les poitrines de ses actrices, reprenant note par note le thème musical des Dents de la mer lorsque le blob huileux glisse sur le sol, The Oily Maniac est définitivement un film « autre » qui – mine de rien – anticipe sur la vogue des slashers et des films de super-héros, et semble même paver la route d’un certain Toxic Avenger.

 

© Gilles Penso


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