CONTES MACABRES : LA REINE DU CHÂTEAU (1998)

Un étudiant teste un jeu vidéo d’un nouveau genre et se retrouve propulsé en plein moyen-âge, face à trois châtelaines peu insensibles à ses charmes…

LURID TALES : THE CASTLE QUEEN

 

1998 – USA

 

Réalisé par David DeCoteau

 

Avec Shannon Dow Smith, Kim Sill, Cristi Harris, Betsy Lynn George, Mihaela Mihut, Grenguta Hariton, Andreea Macelaru, Maria Zamfirescu, Cristina Stoica

 

THEMA VOYAGES DANS LE TEMPS I MONDES VIRTUELS ET PARALLÈLES I SAGA CHARLES BAND

Contes macabres : la reine du château est le dernier film produit par Full Moon pour le label Torchlight Entertainment. Cette petite collection de films érotico-fantastiques commença à alimenter timidement les bacs vidéo à partir de 1993 sans toutefois parvenir à installer durablement la marque. Paramount Pictures, qui assurait jusqu’alors la distribution en vidéo des films Full Moon, cessa quelques années plus tard sa collaboration avec le producteur Charles Band et entraîna donc la fin du label Torchlight. Tournée en Roumanie dans la foulée de Petticoat Planet, cette histoire de voyage dans le temps polissonne fut un temps envisagée comme une comédie dans l’esprit de L’Excellente aventure de Bill et Ted, avant que le scénario n’opte finalement pour une approche au premier degré. L’une des idées de Charles Band était de lancer une nouvelle anthologie, La Reine du château étant le premier opus de ces Contes macabres. Finalement, la tentative restera isolée. L’adjectif « macabre » (« lurid » en anglais) semble d’ailleurs un peu hors-sujet. Car si ce titre évoque Les Contes de la crypte ou Creepshow, nous avons plutôt affaire ici à une aventure digne d’un roman à l’eau de rose façon collection Harlequin, dans laquelle aurait été saupoudré un érotisme bon chic bon genre, le tout sur un postulat qui n’est pas sans évoquer « Un Yankee à la cour du roi Arthur » de Mark Twain. Drôle de cocktail, en vérité.

Shannon Dow Smith entre dans la peau de Thomas Dunsmore, un étudiant qui sèche sur son devoir d’économie, perdu au milieu de ses livres dans un café. Pour lever un peu le nez de ses cours et se changer les idées, il s’offre une escapade dans une salle d’arcades, de l’autre côté de la rue. Bizarrement, tous ces décors contemporains semblent déjà anciens. Le café donne l’impression d’avoir été installé dans une auberge médiévale et la salle de jeux vidéo ne ressemble à rien de ce qu’on imagine. Au lieu d’un espace high-tech coloré, nous voilà dans une pièce étrange éclairée à la bougie, tenue par une jeune femme aux allures d’escort girl. Le réalisateur David DeCoteau installe d’emblée une atmosphère décalée, comme pour mieux nous faire comprendre que le réalisme n’a aucun droit de cité dans son film. Thomas s’assoit bientôt sur un trône, enfile un casque de réalité virtuelle qui semble bricolé avec un serre-tête et quelques fils électriques… et se retrouve soudain propulsé en plein moyen-âge.

La chair et le gland

S’agit-il d’un voyage dans le temps, d’une immersion dans un monde virtuel ou du fruit de l’imagination surchauffée du jeune homme ? Nous n’en savons rien, et le scénario ne cherche pas spécialement à nous éclairer sur le sujet, plutôt enclin à nous présenter les trois femmes qui seront bientôt les partenaires de galipettes de Thomas. Car ce dernier a atterri sur les terres de Lady Dorset (Kim Sill), veuve depuis que son époux est tombé au combat. Mais il faut croire que le deuil ne pèse pas trop lourd sur sa vertu, si l’on en croit les œillades langoureuses qu’elle lance au nouveau venu. Ses deux sœurs cadettes (Christi Harris et Betsy Lynn George) n’en pensent pas moins. Le film s’apprête alors à enchaîner une petite série de vignettes libertines au cours desquelles le brave Thomas a la lourde charge de donner des leçons d’amour aux trois sœurs. DeCoteau expose comme il peut la « production value » à sa disposition (un beau décor de château médiéval, de la figuration en costume, des cavalcades à cheval filmées à la grue) mais l’on sent bien que ce décorum n’a pas une grande importance. Nimbés dans une mise en forme datée de téléfilm érotique des années 90 (flou artistique, bougies aux lueurs diffuses, musiquette au piano synthétique), plombés par de longues scènes de dialogue cherchant inutilement à nous intéresser aux états d’âme des personnages, ces Contes Macabres fixent clairement les limites de la formule Torchlight. Achevé en 1994, le film ne sortira d’ailleurs qu’en 1998 dans une indifférence polie.

 

© Gilles Penso


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THE SUBSTANCE (2024)

Pour être toujours au top à Hollywood, les actrices doivent savoir rester jeunes et belles… Oui, mais à quel prix ?

THE SUBSTANCE

2024 – FRANCE / GB / USA

Réalisé par Coralie Fargeat

Avec Demi Moore, Dennis Quaid, Margaret Qualley, Edward Hamilton-Clark, Gore Abrams, Oscar Lesage, Christian Erickson, Robin Greer, Tom Morton

THEMA MÉDECINE EN FOLIE I DOUBLES

« Avez-vous déjà rêvé d’une meilleure version de vous-même ? » Ce message énigmatique résonne sur le téléviseur d’Elizabeth Sparkle (Demi Moore), une ancienne gloire oscarisée dont l’étoile sur Hollywood Boulevard s’est mise à pâlir au fil des ans – ce que montre le très efficace plan-séquence elliptique sur lequel s’ouvre The Substance. Pour prolonger sa carrière déclinante, Elizabeth anime une émission d’aérobic à succès, mais même ce second souffle s’épuise. Passée la cinquantaine, la star déchue n’intéresse plus les chaînes de télévision, en quête d’un visage – et d’un corps – plus jeune. Au volant de sa voiture, distraite par le spectacle déprimant des affiches à son effigie en train d’être démontées, elle est victime d’un accident qui la conduit illico à l’hôpital. Plus de peur que de mal. Mais avant qu’elle rentre chez elle, un jeune et séduisant infirmer lui remet une clé USB en lui glissant au coin de l’oreille : « ça a changé ma vie ». Et voilà Elizabeth devant sa télévision, face à un clip vidéo intriguant vantant les mérites de « la substance ». Ce sérum miracle est censé générer une version « plus jeune, plus belle et plus parfaite » de soi-même à condition d’en respecter scrupuleusement le mode d’emploi. Notre actrice devenue « has been » va-t-elle se laisser tenter ?

Sept ans après son premier long-métrage, Coralie Fargeat nous propose donc une déclinaison clinique autour des mythes de Faust et de Dorian Gray en repoussant très loin les limites du fameux « body horror » cher à David Cronenberg. Demi Moore excelle dans le rôle de la star vieillissante. Tout au long de sa carrière, l’actrice aura su habilement jouer avec son propre corps, le métamorphosant dans À armes égales, le muant en objet de désir monnayé dans Strip-tease ou d’âpres négociations dans Harcèlement, bref détournant son apparence physique pour en montrer les atouts, les travers et les faux-semblants. Elle semblait la candidate idéale pour entrer dans l’univers trouble de la réalisatrice. Pour incarner sa version rajeunie, Fargeat opte pour Margaret Qualley, fille d’une icône hollywoodienne synonyme de charme et d’élégance, en l’occurrence Andie MacDowell. L’effet miroir et la mise en abyme fonctionnent ainsi à plein régime, les deux actrices fusionnant à l’écran dans des conditions de tournage qu’on image par moments délicates, pour ne pas dire inconfortables. Au beau milieu de ce dédoublement surnaturel, Dennis Quaid se délecte visiblement dans le rôle du producteur macho, vulgaire et hypocrite, prenant le relais du regretté Ray Liotta qui était initialement pressenti dans le rôle – et auquel le générique de fin rend hommage.

Beauté fatale

Certains travers de Revenge n’ont pas totalement disparu de The Substance, notamment le portrait unilatéralement détestable de l’ensemble des personnages masculins – tous idiots, frustres et obsédés sexuels -, la complaisance un tantinet puérile avec laquelle Fargeat filme les fesses de ses actrices et surtout quelques raccourcis scénaristiques difficiles à avaler (comme la transformation soudaine de l’héroïne en spécialiste de la chirurgie, du bâtiment et de la construction). Mais il faut saluer l’incroyable inventivité de la mise en scène, traduisant les perceptions exacerbées d’Elizabeth et de son alter-ego à travers des choix de focale déstabilisants, un sound design « sensitif » perturbant, un jeu étrange sur les cadrages symétriques et les couleurs saturées, une musique électronique entêtante… Et puis il y a bien sûr le jusqu’au-boutisme hallucinant de la mutation physique de notre infortunée protagoniste. Poussé dans ses retranchements par l’exigence de la réalisatrice, Pierre-Olivier Persin concocte des effets spéciaux de maquillage surréalistes qui évoquent tour à tour La Mouche, Society, Le Blob mais aussi Picasso et Bacon. Par-delà l’apothéose horrifico-organique vers laquelle s’achemine The Substance, on notera une discrète référence au film précédent de Coralie Fargeat via une boucle d’oreille en forme d’étoile. Cette autocitation semble vouloir lier les deux films au-delà du simple clin d’œil. Finalement, Revenge et The Substance abordent un thème voisin, celui de la femme que le regard de l’homme pousse à devenir quelque chose d’autre, fut-ce un ange exterminateur ou un monstre. Présenté en première mondiale au 77e Festival de Cannes, The Substance y a remporté le prix du meilleur scénario.

 

© Gilles Penso


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DON’T LET HER IN (2021)

Un couple d’artistes sous-loue une partie de son appartement à une jeune femme sympathique et séduisante qui cache bien son jeu…

DON’T LET HER IN

 

2021 – USA

 

Réalisé par Ted Nicolaou

 

Avec Kelly Curran, Cole Pendery, Lorin Doctor, Austin James Parker

 

THEMA DIABLE ET DÉMONS I SAGA CHARLES BAND

Contrairement à ce que son titre pourrait faire croire, Don’t Let Her In ne présente aucun lien avec Let Me In (Laisse-moi entrer de Matt Reeves, le remake américain de Morse). Il n’est pas ici question de vampirisme ou de romance adolescente contrariée mais d’une chronique urbaine qui vire au thriller surnaturel, quelque part à mi-chemin entre Jeune fille partagerait appartement et Rosemary’s Baby. À cette époque, les productions Full Moon destinées directement à la plateforme de streaming créée par le producteur Charles Band ne se distinguent pas spécialement par leur qualité d’exécution. Il s’agit généralement de films très courts produits en quatrième vitesse et recyclant des ingrédients déjà éprouvés, empruntés tous azimuts au cinéma de genre. Mais avec Don’t Let Her In, le scénariste et réalisateur Ted Nicolaou (Terrorvision, Subspecies, Journal intime d’un vampire, pour n’en citer qu’une poignée) cherche à élever le niveau et à ne pas sacrifier la qualité malgré le petit budget que Band lui a alloué. Avec seulement quatre acteurs à sa disposition et un décor réel (en l’occurrence le bâtiment historique de Nate Starkman and Sons à Los Angeles, déjà utilisé dans plusieurs films d’horreur comme Candyman 2 ou Wishmaster 2), il parvient à mettre en place un intéressant huis-clos qui bascule peu à peu dans le cauchemar.

Amber (Kelly Curran) et Ben (Cole Pendery) sont un jeune couple d’artistes qui vivent dans un grand loft à Los Angeles. Elle gagne sa vie comme illustratrice, lui comme musicien, mais leur tranquille petite existence s’apprête à connaître un profond bouleversement. Tout commence pourtant bien. Pour arrondir leurs fins de mois et assumer leur loyer, Amber et Ben décident de sous-louer une partie non occupée de leur appartement. Serena (Lorin Doctor), elle-même artiste spécialisée dans les sculptures exotiques singulières, se présente à la suite de leur annonce et sympathise immédiatement avec eux. Mais cette belle brune ténébreuse semble cacher un lourd secret. La nuit, elle fabrique d’étranges concoctions, psalmodie ce qui ressemble à des incantations et semble même se transformer furtivement en une étrange créature. À moins que tout ceci ne soit que le fruit de l’imagination d’Amber ?

Ne la laissez pas entrer !

Assez tôt, le scénario de Don’t Let Her In révèle sa vraie nature faustienne. Être colocataire de Serena, c’est comme faire un pacte avec le Diable. Derrière les belles opportunités professionnelles qui se présentent soudain pour Amber et Ben (un contrat pour la campagne d’affiche d’une exposition, une signature inespérée avec une maison de disque) et les manœuvres de séduction qui se muent en passages à l’acte (Serena se glisse dans le lit de ses hôtes pour des extases au-delà de toute mesure) se cache une terrible contrepartie. Le film se permet quelques clins d’œil au passé récent de Full Moon. « Je fais des posters pour des films d’horreur ridicules à petit budgets » dit ainsi Amber en montrant sur sa table à dessin celui de Corona Zombies. Mais l’approche reste sérieuse, au premier degré, portée par des acteurs convaincants, une réalisation très soignée, une belle photographie et une musique envoûtante de Richard Band. Contraint à l’épure faute d’un gros budget, Ted Nicolaou tire parti de ce minimalisme imposé pour resserrer son intrigue et ses enjeux, évitant même de faire sombrer dans le ridicule le maquillage excessif de « démon rongeur » de Serena en optant pour un montage habile. Le scénario aurait sans doute mérité de se développer un peu plus, mais Don’t Let Her In représente sans conteste le haut du panier des productions Charles Band des années 2020.

 

© Gilles Penso

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ZEIRAM (1991)

Une chasseuse de prime extra-terrestre débarque sur Terre pour stopper les agissements d’une créature surpuissante…

ZEIRAMU

 

1991 – JAPON

 

Réalisé par Keita Amemiya

 

Avec Yûko Moriyama, Kunihiro Ida, Yukijirô Hotaru, Masakazu Handa, Mizuho Yoshida, Yukimoto Tochino, Riko Kurenai, Naomi Enami, Mayumi Aguni

 

THEMA EXTRA-TERRESTRES

Keita Amemiya est un grand spécialiste des créatures fantastiques, des costumes excentriques et des équipements futuristes. Dans les années 80, il commence sa carrière comme illustrateur et designer d’effets spéciaux, notamment pour le téléfilm fantastique Red Crow and the Ghost Ship (1986), le film Ultraman : The Adventure Begins (1988) et les séries japonaises Juspion (entre 1985 et 1986) et Kamen Rider Black (entre 1987 et 1988). Fort de ce riche passif, il franchit le pas et réalise son premier long-métrage en 1988, le démentiel Cyber Ninja dans lequel des ninjas cybernétiques combattent des créatures robotiques. Motivé par cette première expérience derrière la caméra, il se lance dans un long encore plus ambitieux, amené à devenir un véritable objet de culte en territoire nippon : Zeiram. Le budget à sa disposition est loin d’être mirobolant, mais il en faut plus pour réfréner le grain de folie d’Amemiya, qui réduit le nombre de ses personnages et de ses décors pour mieux se concentrer sur les effets spéciaux et l’imagerie délirante de ce second film, cocktail généreux de tout ce qu’il aime : la science-fiction, les arts martiaux, l’humour et les créatures monstrueuses. Résultat : Zeiram est un spectacle fou et grisant qui ne ressemble à rien de connu et plonge ses spectateurs dans une sorte de bonheur régressif primaire.

Iria (Yûko Moriyama), une chasseuse de primes intergalactique, est chargée de capturer Zeiram (Mizuho Yoshida), une créature extraterrestre quasi-invincible, hybride de biologie et de technologie, capable de régénération et de manipulation de la matière. Avec l’aide de Bob (à qui Masakazu Handa prête sa voix), une intelligence artificielle, elle s’installe dans un bâtiment désaffecté et piège Zeiram dans « la Zone », une dimension virtuelle recréant une ville japonaise déserte pour limiter les dégâts sur Terre. Cette mission déjà très délicate se complique lorsque deux électriciens, Kamiya et Teppei (Yukijirô Hotaru et Kunihiro Ida), enquêtent après avoir détecté un vol d’électricité et se retrouvent transportés dans « la Zone ». Notre chasseuse de prime va devoir malgré elle faire équipe avec ces deux acolytes pas particulièrement finauds pour tenter de capturer Zeiram, dont les pouvoirs semblent illimités et dont les capacités de transformation finissent par dépasser l’entendement…

Monstrueusement généreux

Zeiram se distingue par l’incroyable inventivité de ses trucages, déclinant tout ce que les techniques permettent à l’époque : maquillages spéciaux, costumes en mousses de latex, animatronique, stop-motion, effets mécaniques, pyrotechnie, rotoscopie… Le monstre vedette est une création particulièrement inspirée. S’il arbore initialement les attributs d’une sorte de sorcier sans visage coiffé d’un large chapeau (façon Les Aventures de Jack Burton), son apparence ne cesse d’évoluer au fil du film, lui donnant les allures d’un émule de Predator, puis d’un squelette insectoïde caché sous sa peau massive et reptilienne, puis enfin d’une abomination indescriptible au cours d’un climax hallucinant qui semble puiser son inspiration à la fois dans Aliens, La Mouche et The Thing. Sans compter les créatures à son service : un petit visage blanc grimaçant qui orne son chapeau et se déploie le long d’un cou démesuré pour attaquer ses adversaires, des monstres boursouflés qu’il crée en jetant des coquilles dans le sol (l’un d’eux est affublé de trois visages de bébés monstrueux) ou encore un minion blafard et difforme qui finit réduit en bouillie. Avec une telle générosité visuelle, qu’importent la simplicité extrême du scénario ou la balourdise des traits d’humour. Il n’y en a que pour le spectacle, que le réalisateur assure à 100%, engonçant son héroïne dans une combinaison bardée de gadgets pour la muer en « metal hero » futuriste. Zeiram donnera naissance à une petite saga constituée d’une mini-série d’animation et d’un second long-métrage racontant les événements survenus avant le premier film.

 

© Gilles Penso


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TALISMAN (1998)

Un étudiant américain débarque dans une école privée pour garçons qui cache derrière ses murs des activités occultes…

TALISMAN

 

1998 – USA

 

Réalisé par David DeCoteau

 

Avec Billy Parish, Walter Jones, Jason Adelman, Ilinca Goia, Constantin Barbulescu, Oana Stefanescu, Claudiu Trandafir, Mircea Caraman, Iuliaba Ciugulea

 

THEMA DIABLE ET DÉMONS I SAGA CHARLES BAND

Alors qu’il est en Roumanie en train de tourner le film d’épouvante familial Frankenstein Reborn !, commandité par le producteur Charles Band, David DeCoteau en profite pour boucler en huit jours les prises de vues d’un autre long-métrage, plus adulte celui-là : Talisman. Le système D et le recyclage étant les maîtres mots des productions Band, le film est tourné à l’économie, dans un nombre limité de décors, avec un casting majoritairement local et pour un budget bien sûr anémique. Aucune bande originale n’ayant été composée pour Talisman, DeCoteau réutilise la musique écrite à l’origine par Fuzzbee Morse pour Dark Angel : The Ascent. Pourquoi payer un compositeur quand on peut puiser dans le matériau maison ? Bien conscient qu’il ne va pas pouvoir livrer un chef d’œuvre, le metteur en scène le signe sous l’un de ses nombreux pseudonymes, en l’occurrence Victoria Sloan. Pour autant, notre homme essaie de bien faire, envisageant même ce Talisman comme une « version masculine de Suspiria ». Bien sûr, nous sommes à des centaines d’années lumières du chef d’œuvre de Dario Argento, même si nous comprenons ce que DeCoteau a en tête. Son film met en effet en scène un étudiant américain qui débarque dans un établissement scolaire européen très strict dont l’autoritaire directrice semble s’adonner en pleine nuit à d’étranges rites…

Pendant la scène d’introduction, une espèce de gourou chauve et maléfique qui a sans doute vu Indiana Jones et le temple maudit plonge sa main dans la poitrine d’un jeune homme et en extirpe son cœur qui bat encore puis s’enflamme. Déjà vu, certes, mais tout de même intrigant. C’est ensuite que se met en place la mécanique empruntée à Suspiria. Elias Storm (Billy Parish) débarque donc dans une école pour garçons dirigée d’une poigne de fer par Madame Greynitz (Oana Stefanescu), qui interdit fermement aux élèves de parler à sa fille, la timide Lilia (Ilinca Goia), lorsqu’elle traîne dans les couloirs. Sur place, Elias rencontre les brutes de l’école menées par le blondinet Burke (Jason Adelman) et sympathise avec son colocataire Jake (Walter Jones). Mais il est hanté par des cauchemars au cours desquels ses parents pratiquent un étrange rite dans un cimetière en manipulant un talisman. Bientôt, les morts sanglantes s’accumulent la nuit dans l’école. Or la directrice et sa fille semblent être les seules à savoir ce qui se trame entre les murs du vieux bâtiment…

L’école des flammes

Incapable de faire de miracles dans les temps impartis et avec le budget à sa disposition, DeCoteau doit se contenter d’un nombre limité de comédiens (sept étudiants, un seul professeur, la directrice, sa fille et le super-vilain frappé de calvitie) et d’un décor unique, dont il saisit comme il peut la photogénie en concoctant quelques beaux plans à la grue. Dans la forme, Talisman tient finalement la route, grâce à ses acteurs relativement convaincants, à sa photographie soignée et à la plastique intéressante du site roumain dans lequel se déroule le tournage. Mais le scénario rédigé en vitesse par Benjamin Carr (alias Neal Marshall Stevens) ne rime pas à grand-chose. Nous y apprenons qu’à l’approche de l’an 2000, un être maléfique nommé Thériel se réveille pour préparer la fin du monde et réclame sept sacrifices pour achever son rituel et ouvrir les portes de l’enfer, d’où les cadavres qui jonchent les couloirs de l’école et les cœurs arrachés qui s’enflamment. Mécontent du travail de montage effectué par Poppy Das (Le Cerveau de la famille, Kraa ! The Sea Monster), DeCoteau fit tout refaire par le monteur J.R. Bookwalter (Shrieker, Le Retour des Puppet Master), ce qui entraîna de légitimes tensions pendant la post-production de ce Talisman sympathique mais très facultatif. Aussitôt visionné, aussitôt oublié.

 

© Gilles Penso


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L’I.A. DU MAL (2024)

AIA est la toute nouvelle intelligence artificielle qui s’apprête à débarquer sur le marché : puissante, omniprésente… et incontrôlable !

AFRAID

 

2024 – USA

 

Réalisé par Chris Weitz

 

Avec John Cho, Katherine Waterston, Keith Carradine, Havana Rose Liu, Lukita Maxwell, Ashley Romans, David Dastmalchian, Wyatt Lindner, Isaac Bae

 

THEMA ROBOTS ET INTELLIGENCE ARTIFICIELLE

Le moins qu’on puisse dire, c’est que Chris Weitz est un homme éclectique. D’abord associé à la comédie (il a écrit Fourmiz, La Famille Foldingue, American Pie, Pour un garçon), il se frotte ensuite au fantastique et à la science-fiction (à travers les scénarios de À la croisée des mondes : la Boussole d’or, Cendrillon, Rogue One, Pinocchio, The Creator) mais aussi au drame (A Better Life) et au film de guerre (Opération finale). Le voir à la tête d’un film dénonçant les travers de l’intelligence artificielle – sujet qu’il avait justement pris habilement à revers dans The Creator pour Gareth Edwards – avait quelque chose de forcément intrigant. Incapables de traduire le jeu de mot du titre original (AfrAId, autrement dit « effrayé » mais avec le A et le I en majuscules pour « Artificial Intelligence »), les distributeurs français optent pour quelque chose de beaucoup plus trivial : L’I.A. du mal. Au moins, nous savons à quoi nous avons affaire. Le générique de début nous donne le ton et annonce la couleur. Des images générées par IA s’égrènent les unes après les autres sur une musique enjouée. Mais ces vignettes censées être mignonnes – qui décrivent des petites filles s’amusant en souriant – ont un caractère perturbant à cause des aberrations anatomiques et des déformations visuelles inhérentes à l’I.A. Tout n’est pas aussi parfait qu’on ne pourrait le croire dans le monde de l’intelligence artificielle, semble vouloir nous dire cette entrée en matière.

John Cho (que Chris Weitz avait dirigé dans American Pie et que les amateurs de science-fiction connaissent grâce au reboot de Star Trek opéré par J.J. Abrams) incarne Curtis Pike, employé d’une agence de marketing qui tente d’équilibrer ses activités professionnelles et sa vie familiale avec son épouse Meredith (Katherine Waterston, héroïne d’Alien Covenant) et ses trois enfants. Un jour, son patron (ce bon vieux Keith Carradine, en perpétuel équilibre entre le charisme et le cabotinage) lui apprend qu’ils sont en train de remporter un juteux contrat avec une compagnie qui cherche à commercialiser une nouvelle génération d’assistant vocal à côté de laquelle Alexa, Siri et Google Home font office de gentils gadgets obsolètes. Son nom : AIA. Choisi pour tester à domicile cette intelligence artificielle incroyablement puissante, Curtis accepte un peu à contrecœur. Les premières expériences sont plutôt concluantes : AIA participe à la surveillance des enfants, assiste Meredith dans ses tâches administratives, améliore peu à peu le quotidien du foyer. Mais il y a bien sûr un revers effrayant à cette médaille. Après tout, le film s’appelle L’I.A. du mal !

Plus artificiel qu’intelligent

Le sujet n’est pas nouveau. Depuis 2001 l’odyssée de l’espace, Le Cerveau d’acier, Mondwest, Génération Proteus, Alien, Blade Runner ou Terminator, nous savons bien que les intelligences artificielles ne nous veulent pas toujours du bien. Les algorithmes effectuant des progrès exponentiels de plus en plus spectaculaires, Hollywood sent qu’il faut se réapproprier ce motif et tenter de le moderniser. Même Charles Band, généreux pourvoyeur de séries B désargentées, s’était frontalement frotté au thème avec son modeste AIMEE : The Visitor (Aimee est d’ailleurs le prénom de la petite fille du prégénérique de L’I.A. du mal). Chris Weitz allait-il pouvoir apporter une pierre intéressante à l’édifice ? Les choses semblent bien engagées, notamment grâce au jeu très naturaliste de John Cho et Katherine Waterston qui nous font croire à la réalité de leur cellule familiale et sèment les graines du drame à venir. Mais le film se met très vite à partir dans tous les sens, comme s’il ne savait pas trop sous quel angle aborder son histoire. Tous les thèmes s’emmêlent alors en un étrange cocktail : les réseaux sociaux, les jeux vidéo, les messageries, Internet, les voitures autonomes, l’addiction aux écrans, le deepfake, l’intelligence artificielle, Siri, Alexa, les smartphones, les tablettes, le cyber-harcèlement. On comprend bien la volonté de pointer du doigt notre asservissement progressif aux machines, mais Weitz brasse trop large et finit par passer totalement à côté de son sujet, comme le confirme ce dernier acte dont les rebondissements absurdes ne reculent devant aucun excès. Dommage, il y avait là un potentiel intéressant.

 

© Gilles Penso


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MURDERCYCLE (1999)

Un motard fusionne avec une entité extra-terrestre logée dans une météorite et se transforme en machine à tuer quasi-indestructible…

MURDERCYCLE

 

1998 – USA

 

Réalisé par Tom Kallaway

 

Avec Charles Wesley, Cassandra Ellis, Michael Vacchetti, William Vogt, David White, Roger Stoccado, Dane Northcutt, Steven O’Mahoney, Robert Donavan

 

THEMA EXTRA-TERRESTRES I SAGA CHARLES BAND

La genèse de Murdercyle remonte à 1983, époque à laquelle Michael Miner, jeune directeur de la photographie et apprenti-scénariste, collabore avec la réalisatrice Rosemarie Turko sur le tournage d’un drame sur la prostitution nommé Angoisses. Pendant le tournage, Miner fait la rencontre de la productrice Debra Dion, partenaire de Charles Band dont la compagnie de production Empire est toujours en quête de nouveaux concepts. Or Miner a développé une idée originale : Battle Bikes, un film d’action futuriste inspiré par Rollerball et Mad Max 2. Miner aimerait écrire et réaliser lui-même ce long-métrage, rebaptisé entre temps Murdercycle, mais le budget estimé est trop élevé et Charles Band finit par jeter l’éponge. Michael Miner est cependant destiné à de grandes choses, puisqu’il co-écrit quelques années plus tard avec Ed Neumeier le scénario d’un film promis à une carrière prodigieuse et à un culte durable : Robocop. À la fin des années 90, après la faillite de la compagnie Empire et la naissance de sa petite sœur Full Moon Entertainment, Charles Band retombe sur le concept de Murdercycle et sur le poster qu’il avait fait dessiner à l’époque. Roi du recyclage, il décide de laisser une seconde chance au produit tout en modifiant totalement son concept pour le ramener à de plus justes ambitions financières. Le nouveau script est l’œuvre conjointe de Daniel Elliott et Neal Marshall Stevens et la réalisation est confiée au directeur de la photographie Tom Callaway (Creepozoids, Critters 3, Metalbeast) qui fait là son baptême de metteur en scène.

Le générique de début, rythmé par une musique électro ultra-dynamique de David Arkenstone, permet au film de démarrer sur une note prometteuse chargée d’adrénaline. Malheureusement, Murdercycle ne décollera jamais vraiment et suscitera beaucoup plus de torpeur que d’excitation chez les spectateurs. Tout commence par le crash d’une météorite à proximité d’une base militaire ultra-secrète de la CIA, nichée dans les montagnes du Colorado. À l’intérieur du caillou venu de l’espace se trouve une entité extra-terrestre qui fusionne instantanément avec une moto et son pilote qui a eu la mauvaise idée de s’égarer dans les parages. Désormais transformé en soldat alien redoutable, doté d’un engin indestructible capable de tirer des rayons lasers, le motard s’apprête à plonger les lieux dans le chaos. Pour faire face à cette menace, le sergent Kirby (Charles Wesley), un marine disgracié après avoir été accusé à tort d’avoir mené une opération-suicide, est rappelé pour une mission de la dernière chance : infiltrer la base et découvrir la vérité. À la tête d’une équipe hétéroclite composée du docteur Lee (Cassandra Ellis), une médium dotée de pouvoirs psychiques, d’un médecin légiste (Buddy Stoccardo), et de l’agent Wood (Michael Vachetti), un membre de la CIA qui semble en savoir plus qu’il n’en dit, Kirby se lance dans cette mission à haut risque…

Motarminator

Le budget de Murdercycle étant réduit à sa plus simple expression, les mêmes péripéties se répètent inlassablement tout au long du métrage. Toutes les dix minutes, la moto customisée façon Robocop/Terminator surgit donc dans les bois, tire des rayons laser sur les soldats qui vident inutilement leurs chargeurs sur sa carapace puis disparaît dans le désert en fondu enchaîné. Le reste du temps, la petite poignée de protagonistes déambule au milieu de la rocaille et échange des dialogues sans intérêt. Absolument pas crédible en scientifique aux capacités parapsychologiques, Cassandra Ellis hérite de répliques d’autant plus absurdes qu’elles se prennent très au sérieux. « La télépathie n’est qu’une des choses que je pratique », dit-elle avec gravité. « Le terme plus exact serait psychométrie. Tous les objets ont une vie interne. Ils se souviennent des événements qu’ils ont vécu et des gens avec qui ils ont été en contact. » Pour se distraire un peu, les scénaristes dotent tous leurs personnages de noms liés au monde du comic book (Kirby, Lee, Kubert, Wood, Adams, Buscema, Frazetta, Ditko, Coletta, Sinnott) et glissent quelques allusions pataudes aux Quatre Fantastiques, à Spider-Man, à Superman et Supergirl. À vrai dire, ces militaires lâchés dans la nature et cet agresseur extra-terrestre biomécanique qui les traque dans la forêt nous évoquent surtout le fameux nanar Robowar qui, malgré sa légendaire médiocrité, avait au moins le mérite de nous distraire avec exubérance, tâche que Murdercycle peine hélas à accomplir.

 

© Gilles Penso


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MOTHER LAND (2024)

Face à un monde dévasté par une force maléfique, une mère s’efforce de protéger ses deux enfants dans leur maison isolée au milieu des bois…

NEVER LET GO

 

2024 – USA

 

Réalisé par Alexandre Aja

 

Avec Halle Berry, Percy Daggs IV, Anthony B. Jenkins, Matthew Kevin Anderson, Christin Park, Stephanie Lavigne

 

THEMA DIABLE ET DÉMONS I SAGA ALEXANDRE AJA

Mother Land (étrange « traduction » française de Never Let Go) n’était pas au départ un projet destiné à Alexandre Aja. Lorsque Kevin Coughlin et Ryan Grassby vendent leur scénario original à 21 Laps Entertainment, la société de production de Shawn Levy, c’est Mark Romanek qui est envisagé pour en assurer la mise en scène. Spécialisé dans les clips musicaux et les films publicitaires haut de gamme, Romanek n’a à son actif qu’une petite poignée de longs-métrages (Static, Photo Obsession, Auprès de moi toujours) mais son style visuel marqué semble adapté à cette histoire étrange à la lisière du drame psychologique, du thriller, de l’horreur et de la fantasy. Ce n’est qu’après le désistement de Romanek qu’Aja entre en scène, bientôt rejoint par Halle Berry en tête d’affiche. Le motif de la mère cherchant à protéger ses enfants d’une menace surnaturelle dans un monde post-apocalyptique, en respectant des règles très strictes, a déjà été balisé dans des films comme Sans un bruit ou Bird Box, mais le réalisateur cherche l’inspiration ailleurs. « Je pensais sans cesse au film japonais Onibaba », avoue-t-il. « Pour moi, c’est l’un des meilleurs films jamais réalisés. Il y a quelque chose de fascinant à propos de ces deux femmes vivant dans les hautes herbes, coupées du monde, et se trahissant à travers ce masque surnaturel qui finit par les posséder. C’était assez proche de ce que je cherchais à créer dans le film. » (1)

Mother Land nous plonge dans une atmosphère de conte de fées oppressant. Une mère, June, vit seule avec ses deux jeunes garçons dans une cabane au beau milieu d’une grande forêt isolée. Une force surnaturelle surnommée « Le Mal » s’est répandue à travers le monde, provoquant sa fin et faisant d’eux les seuls survivants. Pour échapper à cette entité maléfique capable de prendre toutes sortes de formes (un serpent, un être familier, un humain zombifié à la langue fourchue, ou pire), chacun doit se soumettre à un rituel très strict : réciter chaque jour une prière adressée à la maison pour qu’elle les protège, partir ramasser dans la forêt tout ce qui peut leur permettre de subsister, c’est-à-dire pas grand-chose (des petits animaux, des insectes, des batraciens, quelques morceaux de végétation, de l’écorce) et surtout ne jamais sortir sans être attaché à une corde qui les relie à leur foyer. Sans cette corde, le Mal pourrait s’emparer d’eux et les posséder. Ils s’accrochent alors à cette « ligne de vie » comme si elle était sacrée. « Ne lâchez jamais » (le titre original du film) devient alors leur code de conduite, un mantra qu’ils répètent inlassablement puisque visiblement leur vie en dépend.

La corde raide

Le concept étrange de Mother Land, qui semble presque échappé d’un film de M. Night Shyamalan, permet très tôt de placer au cœur de ses enjeux dramatique la question de la foi. Les règles drastiques que cette femme impose, les prières qu’elle inscrit sur le linteau de la porte et sur le sol, cette « purification d’âme » qui consiste à enfermer chaque enfant une heure par jour dans le noir… Tout ceci est-il vraiment justifié, ou n’est-ce que de la bigoterie dangereuse mêlée de névrose et de superstition ? Ce Mal dont June ne cesse de parler – mais qu’elle semble seule à voir – existe-t-il en dehors de sa tête ? Bien vite, la maison devient le symbole du ventre maternel, relié à un cordon ombilical qu’elle refuse de couper. La force du film est d’entretenir le doute et de semer le trouble autant dans l’esprit du spectateur que dans celui des deux jeunes protagonistes. En pleine interrogation, le spectateur apprécie la prestation de Halle Berry, plongée à nouveau dans l’épouvante sous la direction d’un réalisateur français, vingt ans après Gothika de Matthieu Kassovitz. Cette fois-ci, l’actrice change de registre, assumant ses presque soixante ans, loin des rôles glamour qui firent sa gloire par le passé. Sa carrière entre visiblement dans une nouvelle ère. Elle n’est pas le moindre atout de ce film déroutant qui ne livre pas tous ses secrets et laisse de nombreuses questions en suspens au moment de son épilogue.

 

(1) Extrait d’un entretien publié dans Dexerto en septembre 2024

 

© Gilles Penso


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ALITA : BATTLE ANGEL (2019)

Sur la Terre du futur, un médecin spécialisé dans les robots réactive un cyborg féminin trouvé dans une décharge publique…

ALITA BATTLE ANGEL

 

2019 – USA

 

Réalisé par Robert Rodriguez

 

Avec Rosa Salazar, Christoph Waltz, Jennifer Connelly, Mahershala Ali, Ed Skrein, Jackie Earle Haley, Keean Johnson, Jorge Lendeborg Jr., Lana Condor, Idara Victor

 

THEMA FUTUR I ROBOTS

Lorsqu’il découvre un beau jour le manga « Gunm », écrit par Yukito Kishiro en 1990, James Cameron en tombe amoureux et décide d’en tirer un film. Nous sommes alors au début des années 2000 et le cinéaste doit d’abord s’acquitter de la mise en production de la série TV Dark Angel, qui doit déjà beaucoup à l’univers cyberpunk de « Gunm ». En 2005, Cameron dirige le documentaire Aliens of the Deep et envisage d’enchaîner avec une adaptation sur grand écran du manga de Kishiro. Mais un autre projet personnel lui trotte depuis longtemps dans la tête et finit par prendre le pas : Avatar. Ce qui n’empêche pas le père de Terminator et de Titanic de continuer à œuvrer sur un scénario de 200 pages et sur des centaines de feuilles remplies de notes formulant ce que pourrait être une version cinéma de « Gunm », sous le titre Alita : Battle Angel. Sollicité par le cinéaste pour l’aider à synthétiser son script et ses nombreuses annotations, Robert Rodriguez (Une nuit en enfer, Spy Kids, Planète Terreur) réorganise le tout avec minutie en y injectant sa propre personnalité. Très heureux du résultat, Cameron finit par lui proposer de réaliser Alita : Battle Angel, tandis que lui-même produira le film avec son partenaire John Landau tout en se concentrant sur les suites d’Avatar.

Le ton est donné dès le logo de la 20th Century Fox qui se métamorphose en « 26th Century Fox » tandis que le décor urbain en arrière-plan devient futuriste et post-apocalyptique. Nous sommes en l’an 2563, soit 300 ans après que la Terre ait été dévastée par une guerre dévastatrice. Dans la cité de Iron City, la plupart des hommes sont « augmentés » par des membres ou des organes cybernétiques, sortes d’émules futuristes de Steve Austin ou Super Jamie. Le docteur Dyson Ido (Christoph Waltz), spécialisé dans ce type d’opérations, se promène un jour dans une décharge publique digne de la planète poubelle de Wall-E, à la recherche de pièces détachées, et découvre les restes d’un cyborg humain féminin. Ido lui crée un nouveau corps et la nomme Alita en souvenir de sa fille décédée. Quand Alita se réveille, elle n’a aucun souvenir de son passé et découvre le monde dans lequel elle vient de revenir à la vie. De redoutables robots ceinturions surveillent les rues insalubres, le jeu qui fait fureur est une course de vitesse ultraviolente pratiquée par des cyborgs gladiateurs et les citoyens les plus fortunés vivent dans Zalem, une mystérieuse cité céleste qui semble hors d’atteinte…

Big Eyes

Œuvre composite brassant plusieurs styles et sources d’inspiration, Alita : Battle Angel décline dans un premier temps le motif de « Pinocchio ». Déjà pleinement assumé dans A.I. Intelligence Artificielle de Steven Spielberg, le lien entre la robotique et le conte de Collodi se décline ici sous une nouvelle forme, le Gepetto du 26ème siècle campé par Christoph Waltz cherchant dans cette Alita cybernétique un substitut à sa fillette décédée. Tandis que s’établit une complexe relation filiale entre l’homme et la machine partiellement humaine, le film décrit la rupture sociale forte séparant Iron City (la ville de fer où végètent les humains de basse extraction) et Zalem (la cité céleste inaccessible), reprenant à son compte une métaphore connue depuis Metropolis. Le décor récurrent de l’usine où les chasseurs de prime viennent collecter leurs gains évoque d’ailleurs très fortement le classique de Fritz Lang. Lorsqu’Alita révèle d’étonnantes capacités physiques et décide de les mettre à contribution dans les jeux du cirque modernes qui alimentent toutes les conversations, c’est l’influence de Rollerball qui affleure. « Le visage d’un ange et le corps d’un combattant » dira un commentateur sportif pour décrire cette nouvelle concurrente. Fort heureusement, Alita : Battle Angel dépasse allègrement le statut de film patchwork entremêlant les références pour exprimer sa propre personnalité, fruit de celles complémentaires de Cameron et Rodriguez. Bluffants, les effets visuels qui donnent vie à la jeune héroïne estompent totalement la frontière entre l’animation et les prises de vues réelles, dans une démarche proche de celle d’Avatar. Le design porté à l’écran assume non seulement son corps biomécanique mais aussi ses yeux immenses hérités du manga original. Truffé d’idées originales, de séquences d’action inédites et de morceaux d’anthologie, Alita : Battle Angel s’achève en laissant une porte grande ouverte vers une suite potentielle.

 

© Gilles Penso


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CLOCKMAKER (1998)

Cette histoire de voyage dans le temps conçue pour un jeune public est bricolée avec un budget minuscule par le neveu de Francis Ford Coppola…

CLOCKMAKER / TIMEKEEPER

 

1998 – USA

 

Réalisé par Christopher Coppola

 

Avec Anthony Medwetz, Katie Johnston, Zachary McLemore, Pierrino Mascarino, Daisy Nystul, Tom Gulager, Eugen Cristea, Florin Chiriac, Petre Moraru

 

THEMA VOYAGES DANS LE TEMPS I SAGA CHARLES BAND

Si un certain Christopher Rémy est officiellement crédité comme réalisateur de Clockmaker, ce pseudonyme cache en réalité Christopher Coppola. Neveu de Francis Ford, cousin de Sofia, frère de Nicolas Cage, ce Coppola peu connu du grand public avait jusqu’alors signé quelques séries B anecdotiques comme le film d’horreur Dracula’s Widow, le polar Dead Fall : Les Pros de l’arnaque ou le western Gunfight at Red Dog Corral. Le grand Francis ayant lui-même fait ses premières armes chez Roger Corman, le parcours de Christopher Coppola n’est pas plus honteux qu’un autre. Si ce n’est que notre homme n’aura jamais réussi à sortir du ghetto des petits budgets sans éclat. Et ce n’est pas Clockmaker, film pour enfants conçu pour le label « Pulsepounders » du producteur Charles Band et destiné directement au marché vidéo, qui changera la donne. Tourné en Roumanie, comme une très grande partie des productions de Charles Band depuis 1991, Clockmaker s’intéresse à trois gamins qui vivent dans le même immeuble : Henry (Anthony Medwetz), Mary Beth (Katie Johnston) et Devon (Zachary McLemore). En traînant nonchalamment sur le palier, le trio s’interroge sur le comportement bizarre et les activités obscures de Monsieur Markham (Pierrino Mascarino), leur voisin qui vit au troisième étage.

Profitant du fait que Markham a laissé tomber par mégarde sa clé dans la rue, tous trois décident d’aller se faufiler chez lui pour vérifier leurs théories volontiers conspirationnistes. Après avoir déjoué les pièges improbables disséminés dans son appartement (un immense pendule qui se balance, des engrenages géants qui bloquent les issues en tournant sur eux-mêmes, des trappes, des lances en forme d’aiguilles de montres), ils découvrent un lieu austère empli d’horloges qui tictaquent inlassablement ainsi qu’une étrange machine lambrissée qui s’avère être un portail temporel. Ils y pénètrent, et dès lors ils bouleversent complètement le fameux continuum de l’espace-temps cher à ce bon vieux Emmet Brown. Pour réparer leur erreur et remettre le monde dans l’ordre, il va leur falloir se propulser jusqu’en 1880, un voyage qui ne sera pas sans dangers…

Temps perdu

On ne peut pas reprocher à Clockmaker son manque d’idées. Le scénario de Benjamin Carr regorge de rebondissements, de paradoxes temporels savoureux et de dialogues amusants, notamment lors de cette séquence où l’un des enfants essaie désespérément de faire comprendre à un savant du dix-neuvième siècle le principe des ordinateurs. Mais la mise en scène de Coppola n’arrive pas du tout à suivre. Le réalisateur tente pourtant la carte de l’originalité, truffant son film de cadrages bizarres, d’angles de vue en plongée et en contre-plongée, de plans obliques, de scènes en caméra portée au grand angle… Mais cette tentative de stylisation extrême tombe totalement à plat, donnant le sentiment d’une mise en scène confuse et maladroite aux lisières de l’amateurisme. Il faut dire que le manque cruel de moyens saute aux yeux dès les premières minutes. Les décors sont banals, la lumière hideuse, les costumes bricolés à la va-vite, les accessoires risibles, la musique atroce… Bref rien ne va, surtout dans la partie du film qui se situe dans un monde présent alternatif devenu totalitaire. Le concept est intéressant – l’intrusion d’un manuel technique informatique dans les années 1880 a changé le cours de l’histoire – mais la mise en image fait peine à voir. Bref, voilà une occasion ratée à côté de laquelle n’importe quel film du catalogue Moonbeam de Charles Band – Prehysteria, Le Château du petit dragon, La Boutique fantastique – passerait pour un chef d’œuvre.

 

© Gilles Penso


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