LE PASSAGE (1986)

Alain Delon entre dans la peau d’un réalisateur de films d’animation que la Mort soumet à un terrible chantage…

LE PASSAGE

 

1986 – FRANCE

 

Réalisé par René Manzor

 

Avec Alain Delon, Alain Musy, Christine Boisson, Jean-Luc Moreau, Alberto Lomeo, Salvatore Nicosia, Jean Levasseur, Marie Marcos, Sylvie Monier, Christian Brendel

 

THEMA MORT

Au milieu des années 80, Francis Lalanne est déjà un chanteur célèbre et Jean-Felix Lalanne commence à se faire un nom en tant que musicien et guitariste virtuose. À l’ombre de ses deux frères, René Manzor caresse quant à lui la carrière de cinéaste. Voici plusieurs années qu’il rêve d’un film fantastique intégrant des séquences en animation et discourant sur la lutte entre l’amour et la mort. « J’ai essayé en vain de monter ce film », raconte-t-il. « J’ai fait toutes les maisons de production de Paris et partout on m’a répondu : c’est trop cher, trop ambitieux, trop américain. J’ai préparé, pendant ces années, un film pilote qui montrait dans quel esprit allait être traduit le scénario. Puis j’ai mis en chantier les parties d’animation, car à la base, je suis dessinateur. Le film pilote durait dix minutes. Mais les personnes à qui je le montrais ne se sentaient pas de taille à l’entreprendre. » (1) C’est là qu’entre en scène Francis Lalanne, le grand-frère. Grâce à ses contacts, il parvient à faire parvenir le scénario à Alain Delon, à qui il propose le poste de producteur. Emballé, l’acteur accepte non seulement l’offre mais s’imagine lui-même tenir le rôle principal. Avec un tel nom en tête d’affiche, Le Passage parvient enfin à se concrétiser. Pour autant, le budget reste très raisonnable et Manzor doit parvenir à boucler son film en sept semaines, ce qui n’est pas énorme étant données les complexités techniques nécessitées par l’histoire, notamment la création d’un certain nombre d’effets spéciaux.

Le concept du film, volontiers surréaliste, se laisse influencer à sa manière par La Charrette fantôme de Julien Duvivier, revisité sous le prisme clinquant des années 80. Delon incarne Jean Diaz, un réalisateur de dessins animés qui vit seul avec son fils David (Alain Musy, le propre fils de Manzor) depuis que sa femme s’est séparée de lui. Après plusieurs années de pause professionnelle, il décide de mettre en chantier un film d’animation saturé de scènes violentes qui a pour vocation de dénoncer la brutalité du monde et de provoquer une prise de conscience généralisée. Mais Jean attire l’attention de la Mort elle-même, sinistre fantôme reclus dans son antre qui décide de le soumettre à un horrible chantage. Soit il termine son film en détournant son message pour le muer en guide d’autodestruction de l’humanité, soit il ne reverra plus jamais son fils qui est dans le coma à la suite d’un accident de voiture. Déchiré par ce dilemme, le cinéaste signe un pacte avec la Mort qu’il sait perdu d’avance…

« Pense à moi comme je t’aaaiiiime ! »

Le Passage a les qualités et les défauts de beaucoup de premiers films, pétri de bonnes intentions, de grandes ambitions et d’envie de bien faire, mais entravé par sa naïveté et ses maladresses. Le principe lui-même est attrayant, avec cette idée de « passage » reliant comme un pont le monde des morts et celui des vivants. Mais comment croire à cette Camarde encapuchonnée qui se terre dans sa cave éclairée à la torche, assise derrière une régie vidéo pleins d’écrans, manipulant avec ses longs doigts crochus un clavier d’ordinateur, fumant cigarette sur cigarette en grommelant d’une voix caverneuse ? Même avec la meilleure volonté du monde, il est difficile d’appréhender au premier degré cette créature cartoonesque dont le design est l’œuvre combinée de la costumière Yvonne Sassinot de Nesles (spécialisée dans les films d’époque) et du maquilleur spécial Christopher Tucker (Elephant Man, La Compagnie des loups). On se rabat alors sur la prestation très juste du jeune Alain Musy et sur les étonnantes séquences en dessin animé dont le style épuré et brut, tout en nuances monochromes tachetées de rouge sang, rappellent par moment Ralph Bakshi et Bill Plympton. La chanson de Francis Lalanne « On se retrouvera », qui retentit pendant le générique de fin et permet au chanteur de s’époumonner en criant « pense à moi comme je t’aaaiiiime ! », contribuera beaucoup à la popularité du Passage qui sera le succès surprise de l’année, réunissant deux millions trois cent mille spectateurs lors de sa sortie. Quatre ans plus tard, René Manzor transformera l’essai avec 36 15 code Père Noël.

 

(1) Extraits d’une interview parue dans Lyon Matin en décembre 1986

 

© Gilles Penso


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ATTENTION, LES ENFANTS REGARDENT ! (1978)

Une grande maison sur la côte d’Azur, quatre enfants livrés à eux-mêmes, un cadavre, un inconnu, un huis-clos oppressant… et le drame !

ATTENTION, LES ENFANTS REGARDENT !

 

1978 – FRANCE

 

Réalisé par Serge Leroy

 

Avec Alain Delon, Sophie Renoir, Richard Constantini, Tiphaine Leroux, Thierry Turchet, Adelita Requena, Henri Vibert, Marco Perrin, Françoise Brion

 

THEMA ENFANTS

Trois ans après son chef d’œuvre, le survival « coup de poing » La Traque au casting de premier ordre et à la tonalité glaciale, et dans la foulée de son thriller Les Passagers avec Jean-Louis Trintignant et Mireille Darc, Serge Leroy revient pour un autre film brutal tiré cette fois-ci du roman noir « The Children are Watching » de Laird Koenig et Peter L. Dixon (paru en 1970). Si le postulat peut faire penser au classique Chaque soir à neuf heures de Jack Clayton et si la mise en scène d’enfants livrés à eux-mêmes n’est pas sans évoquer le motif de « Sa Majesté des mouches », Attention, les enfants regardent ! emprunte des chemins non balisés et revisite le thème de l’enfant tueur sous un angle inédit. Leroy co-rédige le scénario avec son partenaire d’écriture Christopher Franck tandis qu’Alain Delon, en quête de contre-emplois et de prises de risques en ces années 70 déclinantes, occupe le double poste d’acteur principal et de producteur. Clignant de l’œil vers sa propre filmographie, le cinéaste laisse apparaître furtivement un poster de La Traque dans le décor et un extrait du Mataf sur un écran de télévision. Mais Attention, les enfants regardent ! n’est pas pour autant une fable amusante pour les spectateurs férus de clins d’œil. C’est au contraire un spectacle qui fait froid dans le dos en décrivant une enfance en perte de repères moraux, bien loin de l’image d’innocence à laquelle on l’associe habituellement.

Le cadre pourrait être idyllique : une somptueuse villa de la Côte d’Azur non loin du bord de mer, l’été, les vacances… Mais dès les premières minutes, la violence entre en jeu. Sur l’écran du téléviseur d’abord, crachant des coups de feu et des morts sanglantes face à quatre enfants qui semblent hypnotisés par cet enchaînement d’homicides fictifs. Dans leur langage ensuite, les charmants bambins n’hésitant pas à insulter avec mépris leur gouvernante espagnole qui a l’outrecuidance de nettoyer leur bazar en leur bouchant momentanément la vue de la télévision. Marlène, Dimitri, Marc et Laetitia nous sont d’emblée présentés comme des sales gosses, habitués au luxe et aux caprices tandis que leurs parents sont loin, accaparés par le tournage d’un film en Irlande. Il va nous falloir pourtant les choisir comme pôle d’identification, le monde des adultes étant uniformément décrit comme insipide, voire stupide. Nous devenons même complices de leur crime, la mort de leur gouvernante, un jeu qui tourne mal et qui les laisse soudain seuls dans la grande maison. Mais un homme a tout vu. Un individu louche et mystérieux qu’incarne Alain Delon et qui va peu à peu s’immiscer de force dans la vie du quatuor assassin…

L’ogre et les petits poucets

Calculateurs, dangereux, menteurs, manipulateurs, d’une vive intelligence, les enfants du film sont des monstres. Mais Serge Leroy les filme avec tant de naturalisme et de fraîcheur que nous sommes bien loin des archétypes maléfiques hérités de La Mauvaise graine ou Le Village des damnés. « Les enfants ont le droit de tirer dans le dos », les entend-on dire. « C’est pour les grands que c’est moche. » Preuve que les notions du Bien et du Mal s’agencent bien curieusement dans leurs petites têtes. Il faut dire que les jeunes acteurs sont bluffants, dans un exercice pourtant difficile. Sophie Renoir, qui incarne l’ainée, est sans conteste la révélation du film, membre d’une impressionnante dynastie artistique (elle est l’arrière-petite-fille du peintre Auguste Renoir, la petite-fille de l’acteur Pierre Renoir, la grand-nièce du cinéaste Jean Renoir et la fille du directeur de la photographie Claude Renoir). À travers elle, le film brise plusieurs tabous, sexualisant même cette gamine de quatorze ans à l’occasion d’une séquence de suspense intense. Delon, lui, est taiseux pendant la grande majorité du film. Son seul monologue consiste à s’ériger comme une métaphore de l’ogre, face à quatre enfants perdus dans la forêt. Car Attention, les enfants regardent ! possède les composantes des contes de fées, ceux sans concessions tels qu’ils furent contés par les frères Grimm par exemple : des enfants bien peu innocents, un monstre qu’ils affrontent et un dénouement qu’on imagine sanglant. Échec prévisible au box-office, ce récit cruel prouve une nouvelle fois combien Serge Leroy savait être un cinéaste radical bien peu soucieux des conventions.

 

© Gilles Penso


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LE DIABLE ET LES DIX COMMANDEMENTS (1962)

Les plus grandes stars françaises des années 50-60 se croisent dans ce film à sketches dont le Diable, déguisé en serpent, tire les ficelles…

LE DIABLE ET LES DIX COMMANDEMENTS

 

1962 – FRANCE / ITALIE

 

Réalisé par Julien Duvivier

 

Avec Michel Simon, Dany Saval, Henri Tisot, Micheline Presle, Françoise Arnoul, Charles Aznavour, Lino Ventura, Louis de Funès, Fernandel, Alain Delon, Danielle Darrieux

 

THEMA DIEU, LES ANGES ET LA BIBLE I DIABLE ET DÉMONS

Julien Duvivier est un cinéaste éclectique. Adepte de portraits souvent désenchantés et pessimistes de ses contemporains, comme en témoignent Pépé le Moko ou Voici venu le temps des assassins, il fut aussi le père de la saga burlesque Don Camillo, ainsi que l’auteur de quelques relectures méconnues de grands classiques du fantastique comme Le Golem ou La Charrette fantôme. C’est une sorte de cocktail de toutes ces tendances à priori incompatibles que nous offre Le Diable et les dix commandements, réinterprétation tour à tour comique, triste ou fantasmagorique des célèbres préceptes du Décalogue, à travers un exercice très en vogue dans les années soixante : le film à sketches. Pour l’occasion, Duvivier réunit un casting de rêve, véritable « who’s who » de toutes les têtes d’affiche du cinéma français de l’époque. La bande annonce et le matériel promotionnel annonçaient d’ailleurs fièrement : « Le film aux 35 vedettes ». C’est Claude Rich qui prête sa voix au Diable, visualisé à l’écran par un grand serpent qui se love un peu partout, fidèle à l’imagerie héritée du jardin d’Eden. Témoin mais aussi tentateur et provocateur, il étudie les vicissitudes des hommes et leurs tendances à se montrer architectes de leur propre malheur.

« Tu ne jureras point » est le premier segment du film. Michel Simon (qui jouait lui-même le Malin dans La Beauté du Diable) incarne un vieil homme au langage grossier qui lance des « Nom de Dieu » à tour de bras. Les sœurs du couvent dans lequel il travaille en tant qu’homme à tout faire ne l’entendent pas de cette oreille et réclament son renvoi, à moins qu’il ne trouve le moyen de s’amender. Le deuxième sketch, qui a disparu de plusieurs copies au fil des remontages et des versions alternatives, s’intitule « Luxurieux point ne seras ». Henri Tisot y joue un homme obsédé par une strip-teaseuse (Dany Saval) qui peuple tous ses fantasmes et représente à ses yeux l’idéal féminin… jusqu’à ce qu’il déchante brutalement. Dans le mélodramatique « Tu ne tueras point », Charles Aznavour est un séminariste qui abandonne sa vocation pour venger la mort de sa sœur, poussée au suicide par un criminel bourru que joue Lino Ventura. Comme son titre l’indique, « Tu ne convoiteras point » s’intéresse de son côté à la cupidité d’une jeune femme (Françoise Arnoul) prête à l’adultère pour obtenir un collier précieux. Ce bon vieux Fernandel, qui jouait Don Camillo pour Duvivier où il dialoguait régulièrement avec Dieu, joue le Tout Puissant lui-même dans le segment « Un seul Dieu tu adoreras ». Descendu sur terre pour remettre les hommes sur le droit chemin et accomplir des miracles, il débarque dans une ferme. Mais est-il vraiment celui qu’il affirme ? L’entendre dire « Au nom de Moi, de mon fils et du Saint Esprit » s’avère savoureux.

Delon, De Funès, Ventura, Aznavour, Brialy, Fernandel, Carmet… ils sont tous là !

Dans l’émouvant « Tes père et mère honoreras », Alain Delon est un étudiant de vingt ans qui apprend soudain que sa mère biologique n’est pas celle qu’il croit mais une célèbre comédienne de théâtre (Danielle Darrieux). « Tu es beau comme un dieu, toi », lui dit cette dernière. « Toi, avec ta belle petite gueule, je te retrouverai, parce que ta génération est très prometteuse », affirme à son attention la voix off du diable. Un commentaire prémonitoire, au regard de la carrière à venir de Delon. L’avant-dernier sketch, « Tu ne déroberas point », est un vaudeville désopilant dans lequel Louis de Funès et Jean-Claude Brialy s’affrontent pour une somme d’argent volée à la banque. Quant à l’épilogue, il nous permet de retrouver Michel Simon face aux dix commandements qu’il s’est engagé à apprendre par cœur. Co-écrits par Maurice Bessy, René Barjavel, Henri Jeanson, Michel Audiard et Pascal Jardin, les scénarios de ces histoires courtes aux chutes ironiques, sortes de Quatrième Dimension bibliques, sont constellés de dialogues se référant à l’Ancien et au Nouveau Testament et oscillent sans cesse entre l’humour – souvent noir – et le drame – teinté de cynisme. Une petite salve à l’attention des cinéastes de la génération de Godard et Truffaut, alors prompts à dénigrer le « cinéma de papa », peut même s’apprécier dans les répliques de ce Diable facétieux, fil rouge d’un exercice de style délectable qui mérite largement d’être découvert ou redécouvert.

 

© Gilles Penso


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RAGDOLL : MAGIE NOIRE (1999)

Un rappeur menacé par un caïd mafieux fait appel à de vieux rites vaudou pour donner vie à une poupée meurtrière et assouvir sa vengeance…

RAGDOLL

 

1999 – USA

 

Réalisé par Ted Nicolaou

 

Avec Russell Richardson, Jennia Fredrique Aponte, Tarnell Poindexter, William Stanford Davis, Danny Wooten, William L. Johnson, Troy Medley

 

THEMA SORCELLERIE ET MAGIE I JOUETS SAGA CHARLES BAND

Toujours prompt à surfer sur les vogues et les effets de mode, le producteur Charles Band était passé à côté du phénomène blaxpoitation dans les années 70. Deux décennies plus tard, il décide de se rattraper tardivement sous les conseils de l’acteur et producteur Mel Johnson Jr. (qui jouait le mutant Benny de Total Recall). Son idée : profiter de la popularité du rap et du RnB pour lancer une série de films fantastiques aux castings 100% afro-américains et même un label musical. Finalement, il n’accouchera que de quatre longs-métrages et d’un disque, sous l’étiquette « Alchemy Entertainment ». Ragdoll est le premier opus de cette petite série, recyclant le titre d’un projet que Band avait commencé à développer en 1992. Fidèle collaborateur du producteur, Ted Nicolaou (Subspecies) est chargé de la réalisation. « J’étais toujours le premier à être envoyé au feu, parce que Charlie savait qu’il obtiendrait quelque chose de relativement bon ou du moins que je me tuerais à la tâche », raconte ce dernier. « Je pense que Ragdoll est correct, étant donné qu’il a été tourné en une quinzaine de jours, ce qui était bien sûr trop court pour les ambitions que nous avions. » (1) Contrairement à ses habitudes, Nicolaou n’écrit pas le scénario lui-même, laissant cette tâche à Benjamin Carr.

Nous sommes dans la Louisiane de la fin des années 90. Kwayne (Russell Richardson), sa fiancée Teesha (Jennia Watson) et deux de leurs amis forment un groupe de rap qui commence à connaître un petit succès local. Ils finissent par attirer la convoitise de Big Père (William Davis), un parrain de la pègre locale qui décide de s’occuper d’eux. Mais les quatre artistes refusent publiquement son offre. Pour faire monter la pression d’un cran et montrer qu’il ne plaisante pas, Père envoie deux de ses hommes de main pour rudoyer la grand-mère de Kwayne (Freda Payne) et l’envoyer à l’hôpital. Furieux, le jeune homme décide de se venger en se plongeant dans les manuels vaudou de sa grand-mère. Il invoque ainsi l’inquiétant « homme de l’ombre » (Frederic Tucker) qui envoie une poupée meurtrière massacrer les gangsters. Mais il y a un redoutable prix à payer en échange de cette vengeance sanglante…

La poupée du diable

Charles Band continue ainsi à décliner la fascination pour les poupées tueuses qu’il a développée depuis sa découverte de La Poupée de la terreur en 1975. Le petit monstre ricanant aux dents acérées de Ragdoll, conçu par Shaun Smith, se réfère d’ailleurs directement à celui qui terrifiait Karen Black dans le classique de Dan Curtis. « Charlie a une sorte d’obsession pour les petites poupées que je ne partage pas », avoue Nicolaou. « Chaque fois que c’est possible, j’essaye de refuser les films mettant en scène des petites créatures, parce que je préfère travailler avec des personnes, pas avec des marionnettes. » (2) Le réalisateur fait pourtant du bon travail, concoctant quelques séquences d’épouvante réussies malgré une poupée aux mouvements limités. Ses déplacements glissants en plans larges, qui donnent le sentiment qu’elle est montée sur des roulettes, manquent singulièrement de crédibilité. Mais ses gros plans grimaçants sont très efficaces. Les acteurs eux-mêmes assurent une performance solide et relativement convaincante, même si leurs dialogues versent souvent dans la caricature (avec un « motherfucker » toutes les deux répliques). Ce mélange étrange de film de gangsters et de film d’épouvante, mêlant le rap et le vaudou, donne un cocktail intéressant à défaut d’être inoubliable. Les trois films suivants de cette série d’« horreur urbaine » seront The Horrible Dr Bones, Killjoy et The Vault.

 

(1) et (2) Propos extraits du livre « It Came From the Video Aisle ! » (2017)

 

© Gilles Penso

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LES FEEBLES (1989)

Pour son deuxième long-métrage, Peter Jackson montre les coulisses d’un grand show musical interprété par des marionnettes trash…

MEET THE FEEBLES

 

1989 – NOUVELLE-ZÉLANDE

 

Réalisé par Peter Jackson

 

Avec Danny Mulheron, Donna Akersten, Syuar Devenie, Mark Hadlow, Ross Jolly, Brian Sergent, Peter Vere-Jones, Mark Wright, Fane Flaws

 

THEMA MAMMIFÈRES

Promu réalisateur culte auprès des fantasticophiles grâce au délirant Bad Taste, Jackson embraye aussitôt sur un autre film fou : Meet the Feebles, qu’on pourrait définir comme une relecture trash du Muppet Show. Entièrement interprété par des marionnettes ou des acteurs costumés en animaux, ponctué de plusieurs chansons originales, cet hommage outrancier aux travaux de Jim Henson et Frank Oz se situe dans les coulisses d’un grand spectacle musical. Le scénario est cette fois-ci co-écrit avec Fran Walsh, future compagne de Jackson et co-scénariste de tous ses films suivants, ainsi qu’avec Stephen Sinclair et Danny Mulheron (qui assurera au passage la prestation physique d’un des personnages principaux, l’hippopotame Heidi). Le réalisateur et son équipe s’installent à Wellington, notamment dans un hangar ferroviaire abandonné et dans le St. James Theatre, pour y bâtir leurs décors et y installer leur ménagerie hétéroclite bardée d’une armée de marionnettistes. Le projet est démentiel, bien trop ambitieux pour la maigre somme de 750 000 dollars que la production a réussi miraculeusement à réunir. Les dépassements budgétaires se multiplient donc, le calendrier de tournage déborde de tous les côtés, mais Jackson tient bon et parvient à boucler tant bien que mal ses Feebles.

Oubliez le sympathique Kermit la grenouille ou la rigolote Peggy la cochonne. Place au bestiaire le plus graveleux de l’histoire du music-hall : une diva hippopotame boulimique en pleine dépression nerveuse, un morse véreux trafiquant de drogue qui couche avec sa secrétaire féline, des lapines nymphomanes atteintes de maladies vénériennes, un rat réalisateur de films pornographiques, une mouche paparazzi qui se nourrit dans les toilettes et développe ses photos dans la chasse d’eau, un lézard lanceur de couteaux drogué et traumatisé par la guerre du Viêt-Nam, un éléphant refusant de reconnaître l’enfant qu’il a eu avec une poule, une vache actrice de films SM, un tapir obsédé sexuel… À douze heures de la grande première du spectacle « Meet the Feebles » qui sera capté par des caméras de télévision, tout ce beau monde s’agite dans le stupre, les malversations et la fornication. Seuls le timide hérisson Robert et la candide caniche Lucille semblent innocents au milieu de toute cette bassesse…

Muppet chaud

Juste après l’ouverture musicale qui pourrait encore faire croire que nous sommes face à un spectacle tout-public, les choses dégénèrent et le film montre son vrai visage : vulgaire, gore, bête et méchant. Peter Jackson continue donc de jouer les « sales gosses » avec une délectation toute primitive. Mais l’on sent bien que derrière ces kilos de peluche déguisés en animaux, ce sont ses semblables que le réalisateur caricature sans pudeur. Et même si Les Feebles semble d’un cynisme indécrottable, l’idylle naissante entre le hérisson et le caniche parvient miraculeusement à nous toucher parce qu’elle montre qu’il y a peut-être encore une lueur d’espoir dans cet océan d’ignominies. À leur manière, ils semblent annoncer un autre couple lui aussi mis rudement à l’épreuve : Lionel et Paquita, les amoureux de Braindead. La performance technique que représente un tel film est impressionnante, au regard des faibles moyens à la disposition de l’équipe. L’inventivité sans cesse en éveil de Jackson et des futurs fondateurs de la compagnie d’effets spéciaux Weta (dont le surdoué Richard Taylor) illumine chaque séquence des Feebles, qui ose même un flash-back en pleine guerre du Vietnam parodiant Voyage au bout de l’enfer ! Les Feebles sort en salles en 1989 et fait son petit effet, confirmant le grain de folie de son initiateur qui ne s’arrêtera évidemment pas en si bon chemin et s’attaquera ensuite à son cultissime Braindead.

 

© Gilles Penso

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FRANKENSTEIN REBORN ! (1998)

La jeune Anna Frankenstein rend visite à son oncle dont les étranges expériences vont avoir de fâcheuses conséquences…

FRANKENSTEIN REBORN !

 

1998 – USA

 

Réalisé par David DeCoteau

 

Avec Haven Burton Paschall, Jaason Simmons, Ben Gould, Ethan Wilde, George Calin, Oana Stefanescu, Claudiu Trandafir, Roxana Popa

 

THEMA FRANKENSTEIN I SAGA CHARLES BAND

Réalisée dans la foulée de The Werewolf Reborn !, cette relecture modernisée du mythe de Frankenstein s’appuie sur les mêmes mécanismes. C’est presque à se demander si le scénariste Benjamin Carr (alias Marshall Stevens) n’a pas effectué un simple copier/coller en modifiant juste le nom des personnages et quelques péripéties. Le principe est donc rigoureusement identique à celui du film précédent : une adolescente américaine rend visite à un oncle austère en Europe de l’Est, reçoit un accueil glacial, rencontre un sympathique garçon de son âge et met à jour un terrible secret familial. Le cahier des charges n’a pas changé non plus : faire se rencontrer la série Chair de poule et les Universal Monsters. Succédant à Jeff Burr, David DeCoteau part en Roumanie avec quelques dizaines de milliers de dollars pour un tournage express de six jours. Pour l’anecdote, les décors utilisés sur place seront réemployés pour le très drôle (au second degré) Beowulf de Graham Baker. DeCoteau se doute que Frankenstein Reborn ! ne fera pas beaucoup d’éclat et n’ajoutera rien de significatif à sa filmographie. Il décide donc de signer le film sous le pseudonyme de Julian Breen.

Nous nous intéressons cette fois-ci à une fille de 13 ans nommée Anna Frankenstein (Haven Burton Paschall). Récemment orpheline, la jeune Américaine vient vivre avec son oncle dans un château qu’il possède dans la campagne roumaine. Elle est accueillie par une gouvernante très antipathique (Oana Stefanescu), croise un assistant pas beaucoup plus engageant (George Calin) et rencontre enfin son oncle, le bien-nommé Victor Frankenstein (Jaason Simmons). Avec l’aide d’un gamin du coin qui connaît les lieux comme sa poche (Ben Gould), Anna découvre à quelles étranges expériences se livrent Victor et son assistant : la création d’un être couvert de cicatrices et son éveil à la vie (Ethan Wilde). Or le monstre s’échappe bientôt, bat la campagne, occis un villageois qui l’attaque et devient finalement un « gentil toutou » avec lequel Anna sympathise secrètement, lui apportant de la nourriture, lui faisant la lecture et lui apprenant quelques rudiments de vocabulaire…

La nièce de Frankenstein

Plus encore que The Werewolf Reborn !, cet opus tire parti au maximum des décors à sa disposition, notamment des coursives de château gothiques et un somptueux laboratoire magnifié par la photographie de Viorel Sergovici. Même les forêts nocturnes se révèlent très photogéniques dans ce Frankenstein Reborn ! que DeCoteau soigne au maximum. Le maquillage du monstre ne dépareille pas, œuvre de Mark Williams qui réadapte le célèbre design de Jack Pierce. L’homme a tout de même participé à La Mouche et Aliens avant de se recycler dans les séries B aux micro-budgets. Il connaît donc son affaire. Plus que les films Universal, ce sont ici les productions Hammer qui semblent inspirer la direction artistique. Mais à l’instar de The Werewolf Reborn !, le scénario n’a rien de foncièrement palpitant et délivre à peu près ce qu’on en attend sans prendre beaucoup de risques. Lorsque le producteur Charles Band décide enfin d’exploiter ces deux films directement en vidéo en 1998, il reste à peine de quoi assurer la post-production, le mixage et l’étalonnage. Ces étapes clés sont donc expédiées à la va vite. The Werewolf Reborn ! et Frankenstein Reborn ! resteront sans suite, malgré l’annonce de deux autres films consacrés respectivement à Dracula et la momie. Le label « Filmonsters ! » disparaitra donc aussitôt.  Les deux films seront ensuite exploités sous forme d’un double-programme lors d’une ressortie DVD en 2005.

 

© Gilles Penso


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THE WEREWOLF REBORN ! (1998)

Dans cette relecture tout public du mythe du loup-garou, une adolescente découvre que son oncle a des problèmes de poils les nuits de pleine lune…

THE WEREWOLF REBORN !

 

1998 – USA

 

Réalisé par Jeff Burr

 

Avec Robin Atkin Downes, Ashley Tesoro, Bogdan Cambera, Len Lesser

 

THEMA LOUPS-GAROUS I SAGA CHARLES BAND

La série Chair de poule cartonnant dans les bacs VHS à la fin des années 90, le producteur Charles Band se dit qu’il serait opportun de s’engouffrer dans cette vague en créant son propre label de films d’épouvante tout public. D’où la naissance de « Filmonsters ! » dont la vocation est de remettre au goût du jour les monstres du répertoire classique (ceux de l’âge d’or du studio Universal). Lorsqu’il annonce cette nouvelle collection en 1997, Band ne sait pas encore sous quel format l’exploiter. Des films ? Des séries TV ? En attendant, il fait peindre des posters alléchants autour du loup-garou, du monstre de Frankenstein, de Dracula et de la momie, imitant volontairement le visuel de Chair de poule et s’accompagnant d’un slogan qui ose l’euphémisme : « Des chefs-d’œuvre de l’horreur… retravaillés pour les fans de tous âges ! » Jeff Burr est chargé de tourner le premier opus, The Werewolf Reborn !, avec en poche un budget de 20 000 dollars (qu’il transporte lui-même en liquide dans l’avion jusqu’à Bucarest où se déroule le tournage !). Le réalisateur de Massacre à la tronçonneuse 3 doit parvenir à mettre en boîte son histoire de loup-garou en six jours seulement, avec à sa disposition les infrastructures roumaines mises en place à l’époque de Subspecies.

L’introduction, qui présente le label « Filmonsters » », réutilise des extraits de Puppet Master 2 et les détourne habilement. Les poupées meurtrières se promènent dans un cimetière et déversent le « fluide de vie » qui ressuscite une créature aux mains crispées. Symboliquement, ce prologue annonce que la génération Full Moon s’apprête à dépoussiérer les monstres d’antan. Pour attirer le jeune public friand de Chair de poule, il lui faut un protagoniste de son âge. Place donc à Eleanor Crane (Ashley Tesoro), une Américaine de quatorze ans qui rend visite à son oncle Peter (Robin Atkin Downes) au fin fond de la Roumanie. Elle est accueillie très froidement par les autochtones et encore plus par son oncle qui ne veut absolument pas d’elle dans sa maison. Cette hostilité est liée à une malédiction qui frappe ce pauvre Peter, condamné chaque nuit de pleine lune à se transformer en lycanthrope et à partir se mettre des villageois sous la dent. Tandis que les morts s’accumulent, Eleanor tente de dénouer la situation et se heurte à un inspecteur de police obstiné incarné par Len Lesser (l’oncle Leo de Seinfeld).

L’enfant qui criait au loup

Jeff Burr emballe le film du mieux qu’il peut avec les contraintes qui lui sont imposées par la production. Les acteurs sont raisonnablement convaincants, les décors naturels habilement exploités et tout se joue au premier degré, ce qui détone par rapport aux habituels produits Full Moon. Très classique, l’intrigue ne réserve hélas pas beaucoup de surprises et enchaîne les passages obligatoires, des villageois peureux aux gitans superstitieux en passant par les battues nocturnes dans les bois et les scènes de transformation. Si celles-ci sont rapidement escamotées à l’écran (avec l’aide de quelques discrets morphings), les maquillages spéciaux supervisés par Mark Rappaport tiennent la route, rendant ouvertement hommage au Loup-garou d’Universal mais aussi à La Nuit du loup-garou de la Hammer. Tout ça manque tout de même d’un peu de fantaisie et s’achève à la va vite, puisque le film dure à peine une heure. « Je donne tout ce que je peux à chaque film que je réalise et j’essaie d’utiliser au maximum les ressources à ma disposition », explique Jeff Burr. « Mais parfois, les choses jouent en votre défaveur et vous essayez de faire un plat sans les bons ingrédients. Certains films que j’ai tournés en Roumanie, comme celui-ci, n’ont pas vraiment aidé à faire avancer ma carrière » (1). Limité mais pas honteux, The Werewolf Reborn ! sera suivi de près par Frankenstein Reborn !

 

(1) Propos extraits du livre « It Came From the Video Aisle ! » (2017)

© Gilles Penso

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WE ARE ZOMBIES (2023)

Dans un monde où les zombies cohabitent paisiblement avec la population, un trio de losers tente de tirer parti de la situation…

WE ARE ZOMBIES / NOUS LES ZOMBIES

 

2023 – CANADA

 

Réalisé par Yoann-Karl Whissell, François Simard et Anouk Whissell

 

Avec Alexandre Nachi, Derek Johns, Megan Peta Hill, Vincent Leclerc, Stéphane Demmers, Carlo Mestroni, Guy Nadon, Patrick Abellard, Marc-André Boulanger

 

THEMA ZOMBIES

Depuis 2003, il n’y a plus moyen de réaliser une comédie autour du thème des zombies sans que les équipes marketing en charge de la promotion des films ne se sentent obligés de citer Shaun of the Dead dans leurs slogans. Ainsi avons-nous droit ici à un poster clamant : « Une comédie d’horreur jubilatoire entre La Nuit des morts-vivants et Shaun of the Dead», rien que ça ! Or pour être honnête, We are Zombies n’a pas grand-chose à voir avec la parodie mythique d’Edgar Wright, même s’il est ici aussi question de détourner le thème du mort-vivant sous un angle burlesque en mettant en vedette un petit groupe d’anti-héros maladroits et patauds. Le trio canadien à l’origine du film, connu sous l’acronyme RKSS (abréviation de Roadkill Superstar), est constitué de Yoann-Karl Whissell, François Simard et Anouk Whissell. Les amateurs de cinéma de genre les connaissent grâce à deux longs-métrages hautement référentiels qui rendaient hommage de manière originale aux séries B des années 80 : le post-apo Turbo Kid et le slasher Summer of 84. Cette fois-ci, ils s’attaquent à l’adaptation d’une bande dessinée de Jerry Frissen et Guy Davis, « The Zombies That Ate the World ». S’il est difficile d’échapper à l’influence de George Romero, nous sommes loin de La Nuit des morts-vivants ou Zombie. Le script aurait même plutôt tendance à évoquer des digressions singulières comme Les Revenants ou Fido.

Dans le futur proche de We are Zombies, les morts se sont mis subitement à ressusciter et errent désormais partout sous forme de cadavres ambulants. Mais ces zombies-là ne sont pas anthropophages, pas plus qu’ils ne contaminent les vivants. Leurs dents décharnées restent sagement dans leurs mâchoires décomposées et aucune faim de cerveau ou de chair humaine n’agite leur vie mécanique. Certains sont même capables d’aligner quelques mots et d’occuper des petits boulots. Le terme politiquement correct pour les mentionner est « handicapés de la vie ».  Il nous faut donc oublier les habitudes que nous ont données Zombie, Le Retour des morts-vivants ou The Walking Dead. Ici, la donne a changé. Pour gagner leur vie, Freddy (Derek Johns), le fan de catch à l’esprit étroit, Karl (Alexandre Nachi), l’intello obsédé sexuel, et Maggie (Megan Peta Hill), sa sœur à la langue bien pendue, débarrassent illégalement les foyers des zombies dont ils ne veulent plus en se faisant passer pour des employés de la compagnie Coleman. Mais leurs petites combines vont rapidement les plonger dans une situation incontrôlable…

Morts de rire

Dès l’entame, Yoann-Karl Whissell, François Simard et Anouk Whissell montrent la nature de l’humour qu’ils vont développer tout au long du métrage : impertinent, grivois, bête et méchant. Il ne s’agit pas là de faire dans la dentelle mais de trancher dans le vif. Les personnages sont donc caricaturaux et pas du genre finaud, ce qui n’empêche pourtant pas d’éprouver pour eux un certain attachement (en grande partie grâce à la sympathie que dégagent leurs interprètes). La tonalité générale reste absurde, constellée de gags visuels qui font généralement mouche et qui rendent les spectateurs complices consentants de l’esprit potache des trois cinéastes. A mi-parcours d’une intrigue relativement simple reprenant le motif connu de l’arnaque qui tourne mal, le scope du scénario s’élargit en convoquant une machination militaro-politico-industrielle qui semble vouloir retrouver l’esprit séminal de Romero. Dès lors, les séquences d’horreur se font beaucoup plus graphiques, sollicitant un grand nombre d’effets spéciaux de maquillage à l’ancienne qui ne sont pas loin d’évoquer certaines folies visuelles de Braindead. We are Zombie ne marquera sans doute pas aussi durablement les mémoires que Shaun of the Dead ou même Zombieland, mais c’est une tentative rafraîchissante de variante culottée autour d’un sujet mille fois rebattu.

 

© Gilles Penso


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ALIEN : ROMULUS (2024)

Vingt ans après les événements racontés dans Alien, un groupe de jeunes ouvriers se heurte aux xénomorphes dans une station abandonnée…

ALIEN : ROMULUS

 

2024 – USA

 

Réalisé par Fede Alvarez

 

Avec Cailee Spaeny, David Jonsson, Archie Renaux, Isabela Merced, Spike Fearn, Aileen Wu, Rosie Ede, Soma Simon, Bence Okeke, Viktor Orizu, Robert Bobroczkyi

 

THEMA EXTRA-TERRESTRE I SAGA ALIEN

Bien des suppositions s’égrenèrent sur le destin de la saga Alien, suite à l’accueil mitigé d’Alien Covenant et au rachat de la 20th Century Fox par Disney. Fallait-il continuer à raconter les événements séparant Prometheus du premier Alien, comme le prévoyait initialement Ridley Scott ? Devait-on plutôt s’intéresser à des péripéties ultérieures au volet réalisé par Jean-Pierre Jeunet ? La franchise allait-elle finalement se muer en série TV destinée à la plateforme Disney + ? La réponse est venue de Fede Alvarez, talentueux cinéaste uruguayen révélé par son remake saignant d’Evil Dead qui transforma l’essai avec Don’t Breathe et Millenium : ce qui ne me tue pas. En 2010, alors que Covenant n’est pas encore entré en production, le réalisateur propose sa propre vision de ce que pourrait être un nouvel Alien aux cadres de la Fox. Quelques années plus tard, ses idées ont fait leur chemin et le studio – désormais absorbé par la maison de Mickey – propose de lui donner carte blanche, avec la bénédiction de Ridley Scott lui-même, toujours présent mais cette fois-ci au poste de producteur. Or Alvarez est un fan de la première heure des trois premiers Alien, auxquels il souhaite rendre un vibrant hommage sans pour autant verser dans la nostalgie béate gorgée de fan service. Pour trouver le juste équilibre, il décide de situer son intrigue vingt ans après celle du premier Alien et 37 ans avant celle d’Aliens. En se positionnant chronologiquement entre la vision de Scott et celle de James Cameron, Alvarez sait qu’il joue gros. Mais notre homme n’a pas froid aux yeux. Ne s’était-il pas déjà frotté avec succès au chef d’œuvre pourtant intouchable de Sam Raimi ?

Les premières grandes décisions artistiques sont liées à la technologie, à la fois celle mise en scène dans le film et celle qui servira à sa confection. Le futur tel qu’il était vu dans les années 70-80 est forcément dépassé aujourd’hui. Mais qu’importe : les ordinateurs, les décors, les machines, les armes et les véhicules d’Alien Romulus s’inscrivent dans une parfaite cohérence avec les designs d’Alien et d’Aliens, situant de fait ce film dans une sorte de rétro-futur alternatif du plus bel aloi. Au passage, Alvarez s’inspire aussi de certains concepts visuels du jeu vidéo Alien : Isolation, unanimement apprécié par les fans de la franchise. Pour l’envers du décor, le réalisateur obéit à la même logique. Il n’est certes pas question d’évacuer les effets numériques, devenus incontournables. Mais parallèlement, les maquettes, les effets spéciaux physiques, les maquillages spéciaux et l’animatronique sont largement sollicités. Trois ténors se répartissent ainsi la charge de travail concernant la création des monstres : Alec Gillis (Tremors, Alien 3, Starship Troopers), Shane Mahant (Terminator, Aliens, Predator) et Richard Taylor (Braindead, Les Feebles, Le Seigneur des Anneaux). Le fait que ces virtuoses aient fait leurs premières armes dans les années 80 et que Gillis et Mahan soient des piliers de la saga Alien n’est évidemment pas un hasard.

Du neuf avec du vieux

Pour les protagonistes de son film, Alvarez opère un choix inattendu en se focalisant sur un groupe de jeunes adultes éloignés des héros habituels de la saga. Fils d’ouvriers dont la plupart sont morts ou ravagés par la maladie, cloitrés sur une colonie minière insalubre sur laquelle ils sont voués à passer toute leur existence, ils décident de changer de destin, quitte à se mettre hors la loi. Leur projet : partir fouiller une station spatiale abandonnée, récupérer les modules d’hibernation et se mettre en sommeil cryogénique jusqu’à une planète plus prospère et plus accueillante. Bien sûr, la station qu’ils accostent n’est pas totalement désertée… Il n’était pas simple de trouver la balance idéale entre les « passages obligatoires » et les situations inédites, cette alchimie délicate qui consiste à faire du neuf avec du vieux sans trop déstabiliser le spectateur tout en le surprenant. Par miracle, Alien Romulus y parvient. Sa mise en scène au cordeau, son casting solide et sa direction artistique impeccable se mettent au service d’un scénario qui s’efforce sans cesse de détourner les composantes connues de la saga pour les placer au cœur de séquences de suspense inédites. Ce qu’Alvarez fait avec les face-huggers et le sang acide, par exemple, relève du jamais vu. Héritière directe de la Sigourney Weaver d’Alien, de la Noomi Rapace de Prometheus et de la Katherine Waterson dAlien Covenant, Cailee Spaeny campe à son tour une survivante déployant des trésors de ressources motivées par l’énergie du désespoir pour faire face aux prédateurs… jusqu’à un final cauchemardesque suscitant un malaise proche des séquences les plus dérangeantes d’Alien la résurrection. Bref, voilà un épisode certes facultatif mais hautement recommandable, porté par une remarquable bande originale orchestrale de Benjamin Wallfish qui cligne habilement de l’œil vers les musiques d’Alien, Aliens et Prometheus.

 

© Gilles Penso


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LA MAISON QUI TUE (1971)

Dans ce film à sketches inspiré des écrits de Robert Bloch, Peter Cushing, Christopher Lee et Ingrid Pitt occupent à tour de rôle une étrange demeure…

THE HOUSE THAT DRIPPED BLOOD

 

1970 – GB

 

Réalisé par Peter Duffel

 

Avec Peter Cushing, Christopher Lee, Ingrid Pitt, Tom Adams, Denholm Elliot, Jon Pertwee, Joanna Dunham

 

THEMA VAMPIRES I TUEURS

La Maison qui tue est un film à sketches dont chaque segment est tiré d’une histoire courte écrite par Robert Bloch, le célèbre auteur de la nouvelle qui donna naissance à Psychose. L’écrivain réadapte lui-même ses textes – datant de 1939, 1947 et 1962 – pour les muer en scénarios. Si le vétéran Freddie Francis (L’Empreinte de Frankenstein, Le Train des épouvantes, Dracula et les femmes) est initialement envisagé à la réalisation, l’homme doit décliner l’invitation à cause d’un projet qui le retient en Californie mais qui malheureusement ne verra pas le jour. C’est Peter Duffel (surtout habitué aux épisodes de séries TV) qui est chargé de le remplacer. Ce dernier souhaiterait appeler le film « La Jeune fille et la mort », en référence à la composition de Franz Schubert qui sera présente dans la bande originale. Mais le producteur Milton Subotsky veut absolument le mot « sang » dans le titre, d’où The House that dripped blood (« La maison d’où coulait le sang »). Le film raconte la disparition de Paul Henderson, une star de cinéma, dans une grande demeure se dressant fièrement dans la campagne anglaise. En enquêtant sur cette étrange affaire, un agent de Scotland Yard (John Bennett) découvre que la maison, aujourd’hui inhabitée, a déjà été le théâtre d’événements étranges par le passé. D’où un enchaînement de sketches mettant en vedette quelques-unes des gloires du fantastique britannique.

Le premier segment, « Method for Murder », montre l’installation d’un couple (Denholm Elliot et Joanna Dunham) dans la fameuse maison. L’époux est un écrivain spécialisé dans les histoires d’horreur qui est progressivement hanté par le tueur de son dernier roman. Il commence à l’apercevoir dans les miroirs, l’entend rire, le voit surgir dans les bois voisins… « Un auteur qui crée un personnage est comme un acteur qui endosse un rôle », affirme-t-il paniqué. « Parfois, le rôle prend le dessus. » Un rebondissement théâtral clôt cette histoire. Peter Cushing tient la vedette du second segment, « Waxworks », dans lequel il incarne Philip Grayson, un businessman à la retraite heureux de pouvoir emménager dans cette paisible demeure. Enfin libéré du rythme éreintant de son activité professionnelle, il prend le temps de se prélasser, d’écouter de la musique, de flâner dans le village voisin. Ces déambulations le conduisent dans un musée des horreurs, où il tombe nez à nez avec une statue de cire à l’effigie de Salomé qui le fascine totalement. Ce n’est pas tant la tête coupée qui git sur le plateau porté par la belle qui le trouble, que l’étrange ressemblance de la sculpture avec sa défunte épouse… Le sketch révèle son lot de surprises, mais c’est surtout le jeu de Cushing qui retient l’attention. Ses regards tristes et ses sourires empreints de mélancolie contaminent le spectateur qui entre aussitôt en empathie avec le personnage. Ce rôle est d’autant plus marquant que la vie privée de l’acteur sera frappée l’année suivante par la perte de son épouse Helen, un deuil dont il ne se remettra jamais vraiment.

« Bela Lugosi, pas l’autre gars ! »

Christopher Lee intervient dans le segment « Sweets to the Sweet », dans le rôle d’un businessman austère et sévère nommé John Reid. En emménageant dans la vaste maison, il engage une enseignante pour s’occuper de sa fille Jane et lui servir de tutrice. Terrifiée par le feu, la fillette semble cacher un lourd secret, ce que confirmera un dénouement éprouvant. Dans « The Cloak », le dernier sketch, l’acteur spécialisé dans les films d’horreur Paul Henderson (Jon Pertwee, connu pour avoir interprété Doctor Who) et sa femme Carla (Ingrid Pitt) s’installent dans le manoir pour un nouveau tournage. Sur le plateau, Henderson s’agace face au manque de réalisme des décors et s’exalte en se souvenant des bons vieux films d’horreur, comme Dracula. « Celui avec Bela Lugosi », s’empresse-t-il de préciser, « pas avec l’autre gars ! » (une petite pique à l’encontre de Christopher Lee dans les films Hammer !) Dans sa loge, il découvre un jour la carte d’un marchand de costumes et de perruques, l’étrange Von Hartmann (Geoffrey Bayldon) qui le reçoit et lui vend pour une somme dérisoire une cape de vampire… Oscillant en permanence entre le premier et le second degré, cultivant un humour semi-parodique plutôt réjouissant, ce sketch offre une variante surprenante du vampirisme qui se transmet ici par un vêtement. Ingrid Pitt y joue un rôle presque autobiographique, celui d’une comédienne spécialisée dans les personnages de suceuses de sang. Tout au long du film, Peter Duffel soigne sa mise en scène et profite du charisme de son casting prestigieux. Mais le scénario déçoit souvent, la maison n’étant finalement qu’un prétexte un peu artificiel qui ne provoque jamais les drames mais sert simplement de point commun entre les sketches.

 

© Gilles Penso


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