MIRACLE SUR LA HUITIÈME RUE (1987)

Un vieil immeuble est promis à la destruction par un promoteur sans foi ni loi, jusqu’à l’apparition de petites créatures venues d’ailleurs…

*BATTERIES NOT INCLUDED

 

1987 – USA

 

Réalisé par Matthew Robbins

 

Avec Hume Cronyn, Jessica Tandy, Frank McRae, Elizabeth Peña, Michael Carmine, Dennis Boutsikaris

 

THEMA ROBOTS I EXTRA-TERRESTRES

Matthew Robbins s’était distingué jusqu’à présent en écrivant et en réalisant Le Dragon du lac de feu, une production Disney étonnamment sombre qui donnait la vedette à un somptueux dragon – sans conteste le plus beau de l’histoire du cinéma. Miracle sur la huitième rue est son troisième film. Imaginée par Mick Garris, l’histoire est initialement prévue pour l’un des épisodes de la série Histoires fantastiques. Mais en lisant le synopsis, le producteur Steven Spielberg trouve que son potentiel mérite de se développer sous forme d’un long-métrage. Le scénario est donc peaufiné par Brent Maddock et S.S. Wilson (futurs créateurs de la franchise Tremors), Brad Bird (futur réalisateur du Géant de fer et des Indestructibles) et par Matthew Robbins, qui hérite donc de la mise en scène du film après avoir lui-même dirigé l’un des épisodes d’Histoires fantastiques. Miracle sur la huitième rue met en vedette un vieux couple interprété par Hume Cronyn et Jessica Tandy. Les deux acteurs, qui étaient d’ailleurs mariés dans la vraie vie depuis 1942 et le restèrent jusqu’au décès de Jessica Tandy, peuvent être vus ensemble dans de nombreux films, notamment Cocoon de Ron Howard.

Cronyn et Tandy incarnent ici Frank et Faye Riley, qui habitent un immeuble vétuste du Lower East Side new-yorkais. Leur quartier, naguère populaire et animé, n’est plus qu’un triste amas de ruines, un gigantesque chantier sur lequel s’élèveront bientôt gratte-ciel et résidences de luxe. Pour ce couple âgé, comme pour leurs trois derniers voisins, la vie n’est pas toujours facile. D’autant qu’un féroce spéculateur immobilier, qui convoite leur terrain, menace depuis plusieurs mois de les expulser, et a chargé une bande de «gros bras» de les intimider. Les cinq habitants, découragés et terrifiés, s’apprêtent à capituler lorsqu’un miracle survient. Une nuit, à l’appel de Frank, deux minuscules vaisseaux spatiaux se posent sur le toit de l’immeuble. L’arrivée de ces étranges visiteurs d’un monde lointain bouleverse la vie du couple…

Piles non comprises

Miracle sur la huitième rue est sans doute trop « propre », gentillet, pétri de bons sentiments et de ficelles un peu faciles pour totalement convaincre. On sent bien la volonté de retrouver tous les ingrédients qui assurent généralement le succès des productions Amblin. Au-delà de cet aspect « recette de cuisine » un peu superficiel, il faut reconnaître au film un certain nombre de qualités. Son récit conçu sous la forme d’un conte de fées urbain dégage déjà beaucoup d’attraits, ces petits OVNIS réparateurs évoquant les lutins des histoires des frères Grimm (notamment ceux qui apparaissent dans le deuxième sketch des Amours enchantées d’Henry Levin et George Pal). D’autre part, il est assez facile de se laisser toucher par cette nostalgie du temps passé qui baigne l’ensemble du film, à travers ce quartier d’un autre âge, ce vieux couple souvent tourné vers ses plus jeunes années ou encore la musique de James Horner qui bascule souvent dans le jazz des années 30 (et dont certains éléments seront réutilisés pour Chérie j’ai rétréci les gosses). Enfin, bien que leur réussite provienne justement de leur discrétion, les très beaux effets visuels qui donnent vie aux petites créatures mécaniques concourent à la magie du film, dont l’absence de prétention rachète le manque de surprise. Pour l’anecdote, il faut savoir qu’un film d’horreur envisageait à l’époque d’utiliser Batteries not included (« piles non comprises ») comme titre, avant d’être contraint d’en changer pour éviter la confusion avec celui-ci. Ce film s’appellera finalement Child’s Play, autrement dit Jeu d’enfant… la toute première aventure de la poupée Chucky !

 

© Gilles Penso


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LES GUERRIERS DE LA NUIT (1979)

Dans un futur proche indéterminé, les bas quartiers de New York sont hantés par des milliers de gangs qui s’affrontent en pleine nuit…

THE WARRIORS

 

1979 – USA

 

Réalisé par Walter Hill

 

Avec Michael Beck, James Remar, Dorsey Wright, Brian Tyler, David Harris, Tom McKitterick, Marcellino Sanchez, Terry Michos, Deborah Van Valkenburgh

 

THEMA FUTUR

« Quelque part dans le futur… » C’est en ces termes équivoques, qu’on croirait presque choisis sous forme de clin d’œil à l’ouverture de La Guerre des étoiles, que commence Les Guerriers de la nuit. Le générique qui suit emprunte son esthétique et ses effets de style aux comic books des années 70. Tout, dans cette entame, semble vouloir affirmer le caractère irréel du film tout en l’inscrivant dans un contexte assumé de science-fiction, ou du moins de légère anticipation. Pourtant, l’intrigue, son traitement et sa mise en image nous apparaissent comme parfaitement contemporains. Walter Hill brouille ainsi volontairement les pistes, comme s’il cherchait à décrire la véritable brutalité de son époque en la déguisant malicieusement sous des couches de fiction. Tout est parti du roman « The Warriors » de Sol Yurick, publié en 1965 et lui-même inspiré d’un récit antique rapporté par l’auteur grec Xenophon. Yurick aurait écrit son livre pour s’opposer à la vision glamour des gangs de New York décrite dans West Side Story et en proposer une approche plus brute. Le producteur Lawrence Gordon en acquiert les droits d’adaptation et propose aussitôt le film à Walter Hill, avec qui il a collaboré sur Le Bagarreur et Driver. Le cinéaste est conquis mais reste perplexe. « J’ai dit “Larry, j’adorerais réaliser ce film, mais personne ne nous laissera le faire” », se souvient-il. « Ce serait trop extrême et trop bizarre » (1).

Or Paramount cherche justement des projets susceptibles d’attirer le jeune public en leur présentant des protagonistes de leur âge. Contrairement aux craintes de Hill, le film se monte en un temps record. Le feu vert est donné au printemps en 1978. Moins d’un an plus tard, Les Guerriers de la nuit sort en salles. Pour réaliser ce petit exploit, le réalisateur et son producteur promettent au studio de respecter un budget très serré (4 millions de dollars seulement) et de tourner à l’économie. L’ampleur du résultat n’en est que plus grande. Car lorsque se réunissent pour la première fois des centaines de gangs tous plus exubérants les uns que les autres dans un immense terrain de New York, au beau milieu de la nuit, le scope de la séquence provoque le vertige. Surtout lorsque le leader Cyrus lance son fameux monologue : « Vous êtes en ce moment avec neuf délégués de cent gangs. Et il y en a plus d’une centaine d’autres. Cela représente vingt mille membres purs et durs. Quarante mille, en comptant les affiliés, et vingt mille autres, non organisés, mais prêts à se battre : soixante mille soldats ! Or il n’y a que vingt mille policiers dans toute la ville. Vous comprenez ? » Cette réplique fit à l’époque grincer des dents la censure, craignant que de véritables gangs y voient un appel à la révolte et au vandalisme.

Gangs of New York

Lorsque Cyrus est abattu alors qu’il ambitionnait d’unifier tous les gangs de la ville, le groupe des « Warriors » est accusé du meurtre et pris en chasse par tous les autres. S’ensuit une traque nocturne impitoyable où les bas-quartiers de la cité se muent en terrain de chasse. Plus aucun recoin ne semble sûr : ni les ruelles, ni les parcs, ni le métro (qui devient l’un des décors principaux du film, théâtre d’un nombre important de poursuites et d’échauffourées). Avec une économie de moyens et un sens de l’unité (lieu/temps/action) qui ne sont pas sans évoquer le cinéma de John Carpenter, Walter Hill construit un climat oppressant et un sens accru de l’urgence, aidé par le plein investissement physique de ses jeunes acteurs, Michael Beck en tête. Frileusement accueilli lors de sa sortie en salles, notamment à cause d’accusations répétées contre sa glorification d’une certaine forme de violence, Les Guerriers de la nuit a obtenu au fil des ans un statut de film culte. Rétrospectivement, il est intéressant de mesurer son impact sur ses contemporains, notamment sur le cinéma postapocalyptique alors en plein essor (New York 1997, Mad Max 2, Les Guerriers du Bronx) qui lui emprunta une grande partie de son esthétique.

 

(1) Extrait d’un entretien avec Walter Hill publié sur le site de la Directors Guild of America en juin 2014.

 

© Gilles Penso


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L’AMIE MORTELLE (1986)

Follement amoureux de sa jeune voisine tombée dans le coma, un lycéen surdoué décide de lui greffer le cerveau d’un robot…

DEADLY FRIEND

 

1986 – USA

 

Réalisé par Wes Craven

 

Avec Matthew Laborteaux, Kristy Swanson, Michael Sharrett, Anne Twomey, Anne Ramsey, Richard Marcus

 

THEMA ROBOTS I SAGA WES CRAVEN

Au milieu des années 80, le croquemitaine Freddy Krueger échappe à Wes Craven pour s’en aller griffer ailleurs, le regrettable La Colline a des yeux 2 (commis avant Les Griffes de la nuit en pleine période de vaches maigres) entame sa carrière anecdotique et le cinéaste se tourne momentanément vers le petit écran pour lequel il réalise Invitation pour l’enfer, Terreur froide et quelques épisodes de La Cinquième dimension. C’est L’Amie mortelle qui lui permet de repasser au grand écran et de s’attaquer à une facette du cinéma fantastique qu’il n’avait pas encore abordée frontalement : la science-fiction. Le scénario s’appuie sur le roman « Friend » de Diana Hentsell. Pour incarner le rôle complexe de la jeune fille du titre, Craven opte pour une comédienne de seize ans, Kristy Swanson, tout juste sortie du tournage de La Folle journée de Ferris Bueller. « J’ai eu l’impression que, parfois, les gens sur le plateau pensaient que j’étais juste une adolescente stupide qu’il fallait tenir par la main », se souvient-elle. « J’ai eu du mal à faire comprendre que même si j’étais jeune, j’étais une actrice professionnelle » (1). Fort heureusement, les choses s’arrangent en cours de route et Craven se révèle satisfait.

L’Amie Mortelle s’intéresse d’abord à Paul Conway (Matthew Laborteaux), un teenager de 15 ans qui vient d’entrer comme boursier au collège de Welling. Son compagnon de jeu est un robot, « BB », qu’il a fabriqué lui-même. Ce dernier, petite merveille technologique, semble être parfois victime de violentes « sautes d’humeur », comme s’il se forgeait seul son propre caractère. Paul tombe bientôt amoureux de Samantha (Kristy Swanson), sa jeune voisine qui vit sous la domination d’un père alcoolique et maladivement jaloux. Le soir de Thanksgiving, alors que Samantha rentre plus tard que d’habitude, son père lui assène un coup si violent qu’elle sombre dans le coma. Maintenu provisoirement en vie artificielle à l’hôpital, son corps est dérobé par Paul, avec l’aide d’un ami. Il décide de lui greffer le cerveau de « BB ». L’opération est un succès, et Samantha revient du royaume des morts. Mais il devient vite évident que quelque chose en elle a profondément changé…

She’s alive !

Si les prémisses du film laissent imaginer des digressions comiques héritées de Short Circuit, nous sommes ici beaucoup plus proches du thème de Frankenstein que du conte naïf de John Badham. Craven et son scénariste Bruce Joel Rubin ont tout de même édulcoré le roman initial, qui basculait volontiers dans le gore, décrivant la décomposition progressive de Samantha au fil de l’action, jusqu’à ce que des rats ne viennent la dévorer ! Si la deuxième partie du métrage accumule les meurtres parfois démesurés, c’est une volonté de Warner Bros imposée à Craven et Rubin contre leur gré. Les réactions des projections test ayant été tièdes, le studio réclame en effet de l’horreur graphique, poussant les deux hommes à concevoir des séquences parfois parfaitement absurdes (d’où la fameuse tête de la voisine acariâtre qui éclate comme une poupée de porcelaine !) et à dénaturer leur vision initiale, beaucoup plus portée sur la romance macabre que sur les mécanismes du slasher. Fatalement déséquilibré par ses élans contraires, L’Amie Mortelle ne se départit pas pour autant d’une certaine tendresse liée à son couple maudit, bénéficiant du jeu convainquant de ses jeunes comédiens.

 

(1) Extrait d’une interview publiée dans « Fangoria » en 1986.

 

© Gilles Penso


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ZELIG (1983)

Woody Allen se met en scène dans le rôle d’un homme capable de se métamorphoser pour s’adapter à tous les environnements…

ZELIG

 

1983 – USA

 

Réalisé par Woody Allen

 

Avec Woody Allen, Mia Farrow, John Buckwalter, Paul Nevens, Martin Chatinover, Stanley Swerdlow, Howard Erskine

 

THEMA POUVOIRS PARANORMAUX

C’est en regardant une série d’émissions historiques animées sur HBO par son ami Dick Cavett, Time-Life, que Woody Allen commence à laisser mûrir dans son esprit l’idée de Zelig. Le show de Cavett utilise en effet des trucages pour l’insérer dans des images d’archives réelles. Allen imagine donc un scénario dans lequel un personnage traverserait les grands événements historiques des années 1920 et 1930, le tout sous forme d’un faux documentaire (exercice auquel il s’était déjà frotté en 1969 avec Prends l’oseille et tire-toi !). Pour donner corps à son film, il lui faut s’appuyer sur des effets visuels d’avant-garde mais aussi sur des maquillages spéciaux élaborés, puisque le protagoniste (qu’il interprète lui-même) se métamorphose régulièrement en faisant preuve d’un mimétisme hors du commun. Le pionnier de l’imagerie numérique Joel Hynek (Une créature de rêve, Predator) et l’expert des effets cosmétiques John Caglione (La Guerre du feu, Les Prédateurs) sont donc à pied d’œuvre. Pour le titre, Woody Allen se tâte. Il pense d’abord à The Changing Man, puis à The Cat’s Pajamas, The Chameleon Man, Identity Crisis and Its Relationship to Personality Disorder (!) avant d’opter finalement pour Zelig, un mot Yiddish qu’on pourrait traduire par « béni ».

L’année 1928 marque la première apparition d’un certain Leonard Zelig qui a l’étonnante faculté de prendre l’apparence de ceux qu’il côtoie. Il est observé pour la première fois lors d’une fête par F. Scott Fitzgerald. Zelig s’adresse aux invités fortunés avec un accent bostonien raffiné et partage leurs sympathies républicaines, mais lorsqu’il est dans la cuisine avec les domestiques, il adopte un ton plus grossier et semble être plus démocrate. Cet homme singulier acquiert bientôt une renommée internationale en tant que « caméléon humain ». Écrivain auprès d’Eugene O’Neill, boxeur près de Jack Dempsey, obèse devant des obèses, Zelig est un cas unique au monde qui intéresse naturellement toutes les sommités scientifiques. La psychiatre Eudora Fletcher (Mia Farrow) fait ce qu’elle peut pour l’aider à surmonter ce trouble étrange. Grâce à l’hypnose, elle découvre que Zelig aspire tellement à être approuvé qu’il se transforme physiquement pour s’adapter à ceux qui l’entourent.

L’homme caméléon

Le postulat de Zelig est absolument génial. Les métamorphoses multiples d’un homme ressentant le besoin de se mêler à ceux qui l’entourent, il fallait y penser ! Traité comme une comédie « classique », cette idée aurait donné lieu à une infinité de situations burlesques et de quiproquos en tout genre. Woody Allen a-t-il eu raison d’opter plutôt pour le pseudo-documentaire ? Il faut reconnaître que la mise en forme est impeccable et que l’intégration de l’acteur/réalisateur dans des films d’archive, des photos d’époque ou des extraits d’interviews s’avère souvent criante de réalisme, annonçant les effets visuels qu’utilisera Robert Zemeckis pour Forrest Gump. Par ailleurs, ce parti pris narratif permet une satire efficace du journalisme, de la communauté scientifique et de l’opinion publique. En tournant le dos aux conventions de la fiction pour imiter le travail des documentaristes, il nous semble malgré tout qu’Allen passe un peu à côté de son sujet, se privant du plein potentiel comique de son histoire au profit de la performance technique – laquelle permettra au directeur de la photographie Gordon Willis d’obtenir sa première nomination aux Oscars. Dommage : les sourires amusés auraient pu se muer en francs fous rires. On note que Zelig marque la seconde collaboration entre Woody Allen et Mia Farrow après Comédie érotique d’une nuit d’été. Ces deux-là tourneront encore onze fois ensemble !

 

© Gilles Penso


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GODZILLA X KONG: LE NOUVEL EMPIRE (2024)

Les deux monstres géants les plus célèbres de l’histoire du cinéma reviennent faire un tour dans un nanar de 150 millions de dollars…

GODZILLA X KONG: THE NEW EMPIRE

 

2024 – USA

 

Réalisé par Adam Wingard

 

Avec Rebecca Hall, Brian Tyree Henry, Dan Stevens, Kaylee Hottle, Alex Ferns, Fala Chen, Rachel House, Ron Smyck, Chantelle Jamieson, Greg Hatton

 

THEMA DINOSAURES I SINGES I SAGA KING KONG I GODZILLA I MONSTERVERSE

Jusqu’alors, il était coutume de dire que King Kong 2 de John Guillermin et le Godzilla de Roland Emmerich étaient les pires atteintes jamais portées au gorille géant de 1933 et au dinosaure radioactif de 1954. Il nous faudra désormais réviser notre jugement, car Godzilla x Kong : le nouvel empire repousse toutes les limites. Même l’éléphantesque Rampage de Brad Peyton, l’illisible Godzilla 2 : le roi des monstres de Michael Dougherty ou les productions crétines de la compagnie Asylum (Ape vs. Monster, Ape vs. Mecha Ape) auraient tendance à être réévaluées à la hausse face au spectacle aberrant que nous propose Adam Wingard. C’est à se demander si quelqu’un a lu le scénario du film avant de donner son feu vert et de laisser l’équipe dépenser joyeusement 150 millions de dollars. Voici en peu de mots de quoi parle Godzilla X Kong : le nouvel empire : King Kong est désormais un vieux gorille barbu qui se promène dans la terre creuse et se bat contre des loups/hyènes préhistoriques dont il fait son déjeuner. Pendant ce temps, Godzilla continue de protéger la Terre contre des bestioles géantes puis s’en va faire tranquillement dodo dans le Colisée de Rome. Mais voilà qu’une nouvelle menace surgit : une tribu de grands singes vraiment très méchants (et très vilains aussi) qui veulent attaquer l’humanité. Que faire ?

Comme si ce scénario puéril (mis au crédit de quatre auteurs, mais qu’on imagine plutôt rédigé pendant l’atelier créatif d’une école maternelle) ne suffisait pas à éliminer toute possibilité de faire de Godzilla x Kong un film ne serait-ce que regardable, le traitement visuel de la chose laisse rêveur. « Chaque fois que je parlais aux artistes visuels, je leur disais : “Je veux que la palette de couleurs de ce film ressemble à ce que l’on ressentait quand on se promenait dans un rayon de jouets dans les années 1980“ », raconte Adam Wingard pour expliquer ses partis pris esthétiques. « Je voulais retrouver cette espèce de sentiment orgasmique, plein de couleurs et de textures » (1). D’où une orgie d’images de synthèse multicolores qui confine rapidement à l’indigestion, et face à laquelle les acteurs essaient tant bien que mal de réagir, même si l’on sent bien qu’eux-mêmes se demandent ce qu’ils sont venus faire dans cette galère.

De plus en plus Kong

On ne peut certes pas reprocher à Godzilla X Kong de manquer de générosité. Les monstres s’y surexposent sous toutes leurs coutures, comblant les frustrations de ceux qui ne les trouvaient pas assez présents dans la série Monarch : Legacy of Monsters. Outre Kong et Godzilla, le monstrophile découvre donc une armée de primates agressifs et difformes, une araignée géante à la gueule hérissée de tentacules, des nuées de reptiles volants, des serpents marins gigantesques… et, clou du spectacle, un « bébé Kong » malicieux qui devient le faire-valoir gesticulant du gorille vedette. Si Wingard voulait nous donner le sentiment de nous promener dans les rayons d’un Toys R Us (et accessoirement inciter les jeunes spectateurs à acheter les produits dérivés du film), c’est réussi. Pour le reste, difficile de ne pas soupirer d’exaspération devant un spectacle son et lumière aussi vide de sens (que le compositeur Tom Holkenborg accompagne d’une partition incroyablement balourde). D’autant que Godzilla x Kong débarque juste après le prodigieux Godzilla Minus One et fait bien pâle figure face à son prédécesseur japonais (qui, au passage, n’avait coûté qu’une dizaine de millions de dollars). On aurait pu imaginer que le « Monsterverse » s’arrêterait là, gangréné par ses propres excès. Mais Godzilla x Kong a su remplir les salles de cinéma et les tiroirs caisse. De nouvelles suites sont donc à attendre… avec beaucoup de patience en ce qui nous concerne.

 

(1) Extrait d’une interview publiée dans « Total Film » en 2024.

 

© Gilles Penso

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LE CERVEAU INFERNAL (1957)

Robby le robot est de retour dans un film qui n’a rien à voir avec Planète interdite, dont les héros sont un petit garçon surdoué et un super-ordinateur très inquiétant…

THE INVISIBLE BOY

 

1957 – USA

 

Réalisé par Herman Hoffmann

 

Avec Richard Eyer, Diane Brewster, Philip Abbott, Harold J. Stone, Robert H. Harris, Dennis McCarthy, Alexander Lockwood, John O’Malley, Gage Clarke

 

THEMA ROBOTS

Le Cerveau infernal est une curiosité dont la popularité est due principalement au fait qu’il s’agisse du second long-métrage donnant la vedette à Robby le Robot, un an après Planète interdite. La fabrication de cette légendaire créature mécanique avait tant coûté à la MGM qu’il fallait trouver un moyen de rentabiliser l’investissement. D’où cette petite fable de science-fiction mise en scène par Herman Hoffmann (qui allait par la suite se spécialiser dans la réalisation d’épisodes de séries télévisées jusqu’à la fin des années 70). Le prétexte scénaristique qui permet à Robby d’intervenir en plein vingtième siècle, alors que le film précédent se déroulait dans un lointain futur, est plutôt évasif. Un scientifique aurait en effet conçu une machine à voyager dans le temps et en aurait ramené le fameux robot. Désormais, ce dernier gît en pièces détachées dans la remise d’un laboratoire, en attendant que quelqu’un veuille bien le remettre sur pied. Mais pour l’heure, tous les scientifiques sont concentrés sur le « Super Cerveau », un impressionnant et gigantesque ordinateur conçu par le professeur Merrinoe (Philip Abbott), qui occupe à lui seul une pièce entière, avec un grand clavier, des façades pleines de lumières qui clignotent et un grand dôme qui évoque la tête de Robby.

Face à l’échec scolaire de son fils Timmie (Richard Eyer), Merrinoe le soumet à sa géniale machine pour améliorer son intelligence. Du coup, après deux heures de traitement, Timmie se mue en petit surdoué. Il répare donc Robby et demande à ce dernier de le rendre invisible en modifiant son indice de réfraction, histoire de pouvoir accumuler les blagues impunément. L’épisode de l’invisibilité étant très anecdotique, on s’étonne que le titre original repose entièrement dessus. Une fois n’est pas coutume, on trouvera le titre français plus justifié, car c’est bien d’un cerveau infernal qu’il s’agit. En effet, peu à peu avide de pouvoir et de domination, l’ordinateur fomente de terribles plans pour devenir maître du monde. Il manipule ainsi Robby, ce qui nous vaut une spectaculaire séquence d’affrontement entre le robot et l’armée, puis fait enlever Timmie, l’envoie dans l’espace, menace de le tuer et envisage même d’éradiquer toute vie humaine de la surface de la Terre.

Le garçon invisible

Le Cerveau infernal s’inscrit ainsi en précurseur du fameux Cerveau d’acier de Joseph Sargent, mais à force d’hésiter sans cesse entre deux publics (les enfants avec les farces multiples de Timmie et les adultes avec l’inquiétante révolte de la machine), il gâche un peu ses bonnes idées et déroule son intrigue hybride de manière fort erratique. Le film ne marquera donc guère les mémoires, malgré de belles séquences d’action avec Robby, des effets spéciaux inventifs et l’un des ordinateurs les plus inquiétants de l’histoire du cinéma. Pour l’anecdote, Richard Eyer incarnera l’année suivante un autre petit garçon capable de devenir invisible, en l’occurrence le fameux génie du 7ème voyage de Sinbad. Honnête succès au box-office, Le Cerveau d’acier aura permis au studio de rentrer confortablement dans ses frais. Depuis, le film d’Herman Hoffmann se retrouve souvent présenté comme un « bonus » dans certaines éditions de Planète interdite commercialisées en DVD ou en Blu-Ray.

 

© Gilles Penso


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AEROBIC KILLER (1987)

Les membres d’un club de fitness californien sont sauvagement assassinés par un tueur en série… Mais que fait la police ?

KILLER WORKOUT / AEROBICIDE

 

1987 – USA

 

Réalisé par David A. Priori

 

Avec Marcia Karr, David Campbell, Fritz Matthews, Ted Prior, Teresa Van der Woude, Richard Bravo, Dianne Copeland, Laurel Mock, Lynn Meighan

 

THEMA TUEURS

Des nanars comme ça, on n’en fera plus et c’est bien dommage ! En même temps, un film qui s’appelle Aerobic Killer ne pouvait s’inscrire que dans les années 80, période singulière où Jane Fonda commercialisait ses cassettes vidéo de cours de fitness et où Véronique et Davina poussaient les téléspectateurs français à s’agiter devant leur téléviseur aux accents mythiques de « Gym Tonic ». C’est David Winters, réalisateur d’un Docteur Jekyll et Mister Hyde avec Kirk Douglas et des Frénétiques avec Caroline Munro, qui initie le film. Son idée : profiter de la popularité encore vivace des slashers et du succès aux quatre coins du monde de la gymnastique rythmique. D’où Aerobicide (le premier titre envisagé) qui devient finalement Killer Workout (et donc Aerobic Killer chez nous). Winters souhaite produire le film et propose à David Prior (Sledgehammer, Killzone) de l’écrire et de le mettre en scène, sachant que le budget sera très modeste. Prior écrit donc le scénario en six jours, engage son frère Ted dans l’un des rôles principaux et tourne pendant trois semaines dans un vrai club de sport que l’équipe du film loue chaque soir après la fermeture.

Une bande originale électronique outrageusement eighties, composée par Todd Hayden et visiblement sous influence des travaux de John Carpenter, ouvre les hostilités. Valerie (Marcia Karr), une jeune mannequin, reçoit un coup de téléphone lui promettant un contrat à Paris à condition que sa peau soit bronzée. Elle part illico faire des UV et meurt brûlée dans la machine. Nous découvrons alors sa sœur jumelle Rhonda (Marcia Karr toujours), à la tête d’un club de fitness de Los Angeles. Alors que les séances de sport s’enchaînent et que la bande son se sature de mauvaises chansons électo-pop, la panique s’invite dans les lieux. Un tueur caché dans l’ombre massacre en effet les membres du club et laisse derrière lui une cohorte de cadavres sanglants. Rhonda ne sait bientôt plus où donner de la tête tandis que le taciturne inspecteur Morgan (David Campbell) mène l’enquête sans une once d’efficacité, puisque les meurtres se poursuivent sans discontinuer…

Crime Tonic

L’ambition principale d’Aerobic Killer semble être d’exhiber des jeunes femmes dans des tenues en spandex très moulantes tout en laissant la caméra s’attarder sur leur anatomie au cours des innombrables séances de gymnastique qui scandent le métrage. De temps en temps, si une scène de vestiaires le permet, quelques gros plans sur les poitrines dénudées s’intercalent aussi dans le montage. Voilà donc le rôle majeur qu’accorde le film aux personnages féminins, celui de potiches sexy aux brushings impensables. Les hommes ne sont pas beaucoup mieux lotis. On ne saurait dire d’ailleurs quel est le plus mauvais des acteurs : le flic inexpressif qui met ses mains partout sur les scènes de crime en fronçant des sourcils sévèrement, le gros bras libidineux qui traîne dans la salle de sports pour regarder les filles d’un œil concupiscant ou l’autre gros bras (blond celui-ci, puisqu’il est gentil) toujours prêt à castagner son prochain pour sauver l’honneur de ces dames. Mal filmé, mal monté, mal écrit, extrêmement mal joué, Aerobic Killer est presque un cas d’école. Pour que le film reste ridicule jusqu’au bout, l’arme de prédilection du tueur est… une épingle à nourrice ! Les amateurs de nanars sont bien sûr aux anges face à un spectacle aussi invraisemblable. Les autres en revanche ont tout intérêt à passer leur chemin…

 

© Gilles Penso


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INSOMNIES (2000)

Suite à la disparition inexpliquée de sa femme, un homme ne trouve plus le sommeil et commence à être frappé par des hallucinations…

CHASING SLEEP

 

2000 – USA / CANADA / FRANCE

 

Réalisé par Michael Walker

 

Avec Jeff Daniels, Emily Bergl, Gil Bellows, Zach Grenier, Julian McMahon, Ben Shenkman, Molly Price, Patrick Moug

 

THEMA RÊVES

A mi-chemin entre L’Échelle de Jacob, Shining et Lost Highway, Insomnies est un voyage intérieur éprouvant au cours duquel la mise en scène virtuose de Michael Walker préfère aux effets choc la construction d’une atmosphère pesante et malsaine. Jeff Daniels, prodigieux, y incarne Ed Saxon, un professeur de littérature, poète à ses heures, qui se réveille un matin pour découvrir que sa femme Eve a disparu. Après avoir alerté sa meilleure amie puis l’hôpital et enfin la police, Ed se met à tourner en rond dans son appartement. L’endroit est quelque peu sinistre, car des problèmes de plomberie laissent l’eau s’infiltrer partout. Le plafond suite, les murs se couvrent d’auréoles, la baignoire se bouche. Quant à la cave, elle s’inonde peu à peu. Mais le problème le plus grave est l’incapacité pour Ed de trouver le sommeil. Errant dans un état de plus en plus souffreteux, il attend en vain des nouvelles de sa femme et commence lentement à perdre pied, bientôt incapable de différencier la réalité du rêve.

Ainsi, cette cohorte de personnages qui défilent dans son appartement est-elle réelle, ou le fruit de son imagination ? Il y a d’abord ce policier enquêtant sur la disparition (Gil Bellows, l’un des héros d’Ally McBeal), puis cette jeune étudiante secrètement amoureuse d’Ed (Emily Bergl, rôle-titre de Carrie 2), ce médecin étrange qui lui prescrit des somnifères extrêmement puissants (Zach Grenier, dont on a pu voir la trogne impayable dans Fight Club), ce professeur de sport qui aurait eu une relation avec Eve (Julian MacMahon, futur protagoniste de la série Nip/Tuck et Docteur Doom des Quatre Fantastiques)… Et puis il y a ces visions franchement terrifiantes, stigmatisant la culpabilité et les peurs d’Ed : le piano qui joue seul, le sang qui emplit la baignoire, un doigt de femme coupé qui rampe sur le plancher, un bébé disproportionné qui geint…

Aux portes de la folie

Plus d’une fois, l’univers de David Lynch vient à l’esprit au fil de ce film déroutant. Pour autant, Michael Walker, dont c’est le premier scénario et la première mise en scène après une poignée de courts-métrages, parvient à imposer son propre style, brisant avec subtilité les frontières entre le tangible et l’irréel (l’eau qui coule partout dans l’appartement se mue progressivement en sang) et accentuant progressivement la claustrophobie de son infortuné protagoniste (via des décors aux plafonds trop bas et des contre-plongées étouffantes). De toute évidence, cet appartement en décrépitude semble être la métaphore de l’état mental en plein déclin de son occupant. Inquiétant et déstabilisant, Insomnies laisse beaucoup de questions en suspens, mais les indices disséminés tout au long du récit permettent peu à peu de reconstituer le fil des événements tragiques qui conduisent l’insomniaque Ed sur la pente inexorable de la folie et de l’épouvante. Malgré ses nombreuses qualités, Insomnies a souffert d’une distribution chaotique aux Etats-Unis qui le fit atterrir directement dans les bacs vidéo après une année de tournées des festivals, y compris dans celui du cinéma fantastique de Gérardmer où il remporta le Grand Prix en 2001.

 

© Gilles Penso


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FROGS (1972)

Dans un marais d’une île du sud des États-Unis, des produits toxiques ont transformé toute la faune en animaux agressifs et mortels…

FROGS

 

1972 – USA

 

Réalisé par George McCowan

 

Avec Ray Milland, Sam Elliott, Joan Van Ark, Adam Roarke, Judy Pace, Lynn Borden, Mae Mercer, David Gilliam

 

THEMA REPTILES ET VOLATILES

À la longue liste des animaux agressifs du cinéma fantastique, le téléaste George McCowan a cru bon d’ajouter les grenouilles, ce qui n’est pas une idée plus mauvaise qu’une autre. Sauf que dans ce Frogs au titre quelque peu usurpé, les batraciens se contentent de faire de la figuration, laissant d’autres espèces attaquer les humains, notamment bon nombre de reptiles. Tout commence lorsque le photographe Pikcett Smith (Sam Elliott en début de carrière), en plein reportage dans les marais d’une île du Sud, est renversé par un hors-bord lancé à vive allure. Les responsables de l’accident, Karen et Clint Crockett (Joan Van Ark et Adam Roarke), se confondent en excuses et l’hébergent dans la luxueuse résidence de leur grand-père, un tyrannique patriarche interprété par un Ray Milland délicieusement acariâtre qui constitue le seul véritable intérêt du film. Celui-ci a réuni sa famille pour célébrer en grandes pompes son anniversaire, comme tous les ans.

Petit problème : à force de pulvériser les marécages de produits toxiques pour se débarrasser des grenouilles envahissantes, tous les animaux sont devenus dangereusement belliqueux. D’où une série d’attaques grotesquement mises en scène où les membres de la famille Crockett meurent un à un sitôt qu’ils se retrouvent isolés quelque part. Un homme est recouvert d’une vague toile d’araignée et assailli par des tarentules en plastique, un autre est asphyxié dans une serre à cause de bocaux de poison renversés par des lézards, une femme est envahie par des sangsues puis mordue par un serpent, une autre est carrément prise d’assaut par une grosse tortue, tandis qu’un crocodile s’en prend à un des hommes de la famille et lutte avec lui comme dans un vieux Tarzan… Le tout sur une bande son saturée de coassements et affublée d’une musique synthétique assez insupportable signée Les Baxter.

La fête à la grenouille

Il y avait quelques intentions louables dans ce Frogs, notamment une salve anti-pollution et une diatribe contre l’esclavage, mais elles sont rapidement noyées dans l’indigence du scénario, des dialogues et de la mise en scène. Personne, ni les comédiens, ni le réalisateur, ne semble croire une seconde à cette histoire d’animaux révoltés contre les hommes. Du coup, le film tombe à plat, et le spectateur qui espérait un climax en forme d’agression de hordes de grenouilles carnivores (ce que laissait imaginer l’affiche du film) en est pour ses frais. À la place, il a droit à une pathétique scène finale (attention spoilers, lisez la suite à vos risques et périls !) où Ray Milland, seul dans sa grande maison, tombe de son fauteuil roulant tandis qu’une poignée de batraciens vient gentiment lui sautiller dessus… Bref, pas grand-chose à retirer de ce triste shocker écologique. Curieusement, Frogs fut exploité dans une centaine de salles de cinéma newyorkaises en double programme avec Godzilla contre Hedora.

 

© Gilles Penso


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LA LUNE DE JUPITER (2017)

Un jeune migrant d’origine syrienne qui tente de franchir illégalement la frontière vers la Hongrie se découvre soudain des pouvoirs surnaturels…

JUPITER HOLDJA / JUPITER’S MOON

 

2017 – HONGRIE

 

Réalisé par Kornel Mundruczo

 

Avec Zsombor Jéger, Merab Nonidze, Gyorgy Cserhalmi, Monika Balsai, Majd Asmi, Zsombor Barna, Alexandra Horvath, Szabolcs Bede Fazekas, Akos Birkas

 

THEMA POUVOIRS PARANORMAUX

En 2014, le cinéaste hongrois Kornel Mundruczo créait l’événement avec White God, une parabole empruntant ses éléments narratifs au cinéma fantastique pour conter la révolte d’un groupe de chiens contre des maîtres jugés trop inhumains. Récipiendaire à l’époque du prix « Un Certain Regard » à Cannes, Mundruczo revient sur la Croisette trois ans plus tard pour présenter en compétition officielle La Lune de Jupiter. S’il rentre cette fois-ci bredouille de Cannes, le film n’y laisse personne indifférent. Il sera plus tard primé à Sitges (Prix du meilleur film) et à L’Étrange Festival (Grand Prix Nouveau Genre). Une fois de plus, le réalisateur inscrit le genre fantastique dans un contexte social réel et âpre. Il est d’ailleurs tout à fait probable que son scénario ait été en grande partie inspiré par la politique ultra-conservative de Viktor Orbán, premier ministre de Hongrie depuis 1998 dont les prises de positions et les décisions sont loin de faire l’unanimité, surtout en termes de censure, de cotisations sociales et d’immigration.

Lorsque le film commence, Aryan Dashi (Zsombor Jéger) tente avec de nombreux autres migrants syriens de franchir la frontière vers la Hongrie. Dans la panique, Aryan et son père perdent leurs papiers et sont séparés lorsque le groupe est découvert par une unité de gardes-frontières et que le chaos s’ensuit. Le jeune homme est abattu froidement de plusieurs balles par un officier de police. Or au lieu de mourir, il se découvre des pouvoirs de lévitation. En fuite, Aryan fait la rencontre de Gabor Stern (Merab Ninidze), un médecin sans scrupule qui n’a plus le droit de travailler à l’hôpital après une erreur médicale due à son état d’ébriété. Gabor travaille désormais dans un camp de réfugiés en extorquant de l’argent contre des services, avec la complicité de sa petite amie Vera (Monika Balsai). Gabor va tenter d’exploiter les pouvoirs d’Aryan en lui promettant de remplacer son passeport et ses papiers d’identité en échange d’une somme considérable. Pour gagner sa liberté, le jeune homme doit donc accomplir « des miracles »…

L’homme qui faisait des miracles

La Lune de Jupiter fait preuve d’une virtuosité de mise en scène étourdissante qui rappelle par bien des aspects celle d’Alfonso Cuaron. Les plans-séquence s’accrochent aux personnages pour ne plus les lâcher, les prises de vues acrobatiques donnent souvent l’impression que la caméra est en apesanteur, les effets visuels prodigieux sont servis par une réalisation qui donne le vertige. Le prologue évoque même Il faut sauver le soldat Ryan, dans sa brutalité réaliste mais aussi dans l’implacable agilité de sa mise en scène. D’un point de vue formel, nous avons donc affaire à une œuvre d’exception. Bien sûr, le parallèle christique que développe le scénario écrit par Kata Weber est un peu trop appuyé (Aryan meurt, ressuscite et s’élève dans les airs pour délivrer malgré lui un message d’amour, son père est charpentier, le pardon et la rédemption sont au cœur des enjeux du récit) mais le film parvient à évacuer toute morale judéo-chrétienne trop frontale. Quant au titre symbolique et faussement science-fictionnel, il se réfère au continent européen à travers l’une des lunes de la planète Jupiter.

 

© Gilles Penso


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