CREEPSHOW 3 (2006)

Un troisième opus inutile et bâclé qui ne présente plus aucun lien avec Stephen King ou George Romero

CREEPSHOW 3

2006 – USA

Réalisé par Ana Clavell et James Glenn Dudelson

Avec Stephanie Pettee, Roy Abramsohn, A.J. Bowen, Camille Lacey, Ryan Carty, Emmet McGuire, Bo Kresic

THEMA CINEMA ET TELEVISION I OBJETS VIVANTS I TUEURS I DIABLES ET DÉMONS I FANTÔMES I SAGA CREEPSHOW

Au début des années 90, George Romero travaillait sur un projet de troisième Creepshow qui ne vit malheureusement jamais le jour. Fidèle à ses habitudes, le réalisateur de La Nuit des Morts-Vivants aurait laissé une place de choix aux zombies et à la satire sociale. Le projet resta donc dans les tiroirs pendant de longues années jusqu’à ce que la firme Taurus Entertainment ne rachète la licence en même temps que celle de Day of the Dead. Tout espoir s’évapora lorsque les fans découvrirent Le Jour des Morts-Vivants 2 : Contagium qu’Anna Clavel et James Glenn Dudelson réalisèrent pour Taurus. Bâclé, peu respectueux du travail de Romero, ce « direct to vidéo » distribué en 2005 n’a aucun attrait. Hélas, le traitement réservé à Creepshow 3 est encore pire. Fort heureusement, ni Stephen King ni George Romero ne sont mentionnés au générique de cette séquelle illégitime. 

Dès le prologue – une sorte de dessin animé hideux bricolé sur ordinateur – le ton est donné. Ecrits et réalisés en dépit du bon sens, cinq sketches s’enchaînent en flirtant évasivement avec le fantastique, l’horreur et la science-fiction. Dans le premier, une lycéenne découvre les effets secondaires d’une télécommande universelle achetée par son père, qui transforme tour à tour les membres de sa famille en Afro-américains et en Latinos (avec force clichés d’un racisme aberrant), puis provoque la décomposition avancée de son propre corps. Dans le second, un agent de sécurité vivant dans un appartement décrépit, au milieu d’un quartier où règnent ivrognes, mendiants et prostituées, achète une vieille radio qui lui parle avec une voix langoureuse et le pousse à commettre des actes aux lourdes conséquences.

Cinq récits qui s'entremêlent

Le troisième sketch met en scène une prostituée/tueuse en série (surnommée par la presse « The Call Girl Killer ») qui assassine l’un de ses clients, lequel ressuscite sous forme de démon à la bouche démesurée pleine de dents acérées (celui qu’on voit sur le poster du film) et la tue à son tour. Dans le quatrième, un vieux scientifique excentrique présente à deux de ses anciens étudiants sa future épouse, une jeune femme qu’ils soupçonnent d’être un robot et qu’ils vont découper en morceaux pour vérifier leur théorie. L’ultime sketch, interminable, s’intéresse à un médecin antipathique et laxiste hanté par le fantôme d’un SDF mort par sa faute. Ces cinq histoires sont liées entre elles par des personnages, des lieux et des événements communs. Au fil du film, nous revoyons donc certaines scènes sous des angles différents et selon une chronologie nouvelle. C’est le seul – bien maigre – intérêt de ce troisième Creepshow à oublier toutes affaires cessantes, malgré quelques amusants maquillages spéciaux concoctés par Greg McDougall, déjà à l’œuvre sur Le Jour des Morts-Vivants 2 mais aussi sur quelques blockbusters comme Doom, Le Monde de Narnia et La Guerre des Mondes.

 

© Gilles Penso

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LA MAISON SUR LE LAC (2011)

Mick Garris réalise sans doute ici sa meilleure adaptation de Stephen King, avec un Pierce Brosnan à fleur de peau

BAG OF BONES

2011 – USA

Réalisé par Mick Garris

Avec Pierce Brosnan, Melissa George, Annabeth Gish, Anika Noni Rose, Matt Frewer, Jason Priestley

THEMA FANTÔMES I SAGA STEPHEN KING

Très belle histoire de fantômes publiée en 1998, « Sac d’Os » permet à Stephen King, à travers un nouveau personnage d’écrivain, de raconter les tourments de la perte d’un être cher et les affres d’une inspiration créative soudain tarie. Mick Garris envisage d’abord d’en tirer une adaptation pour le cinéma, mais la période n’est guère propice à un tel film. Le genre horrifique sur grand écran est en effet à l’époque principalement tourné vers un public adolescent friand de frissons aussi spectaculaires qu’inoffensifs. Beaucoup plus adulte, « Sac d’Os » trouvera finalement son chemin sur le petit écran, prenant la forme d’un téléfilm de 157 minutes destiné à la chaine A&E. 

Nous y faisons connaissance avec l’écrivain Mike Noonan (Pierce Brosnan), qui a pour habitude de demander à sa femme Jo (Annabeth Gish) d’écrire sous sa dictée la fin de chacun de ses livres. C’est une convention entre eux, preuve de leur connivence et de leur complicité. « Ces romans, je n’aurais jamais pu les écrire sans toi », dit-il. Au détour d’une scène de dédicace, le film adresse un clin d’œil furtif à Misery lorsqu’un fan se fait signer une énorme pile de livres et que l’épouse de Mike lui chuchote : « amuse-toi bien avec Annie Wilkes ». Mais pendant cette séance de signature, elle traverse la rue pour aller acheter en douce un test de grossesse et meurt écrasée par un bus. Autour de Mike, le monde semble s’écrouler, la vie donne l’impression de s’arrêter. Ses nuits commencent à se peupler de cauchemars et le voilà désormais incapable de comprendre le sens de mots tels que « repos », « tranquillité » ou « paix ». Bien décidé à tourner la page, Mike part s’installer dans sa maison de campagne bâtie au bord d’un lac, à Dark Score. Là, il est frappé par le syndrome de la page blanche, comme si sa source d’inspiration était morte en même temps que son épouse. Soudain, le fantôme de Jo semble communiquer avec lui. C’est en tout cas ce que laissent supposer ces lettres magnétiques qui s’animent sur la porte du frigo, ou celle cloche accrochée à la tête d’un cerf qui se met à tinter. A moins qu’il ne s’agisse d’autosuggestion, d’illusions dues à la douleur de la perte… Sa rencontre avec la jeune veuve Mattie (Melissa George) et sa fille Kayla (Caitlin Carmichael) semble pouvoir amorcer un nouveau départ dans la vie de Mike. Mais la petite ville est hantée par un lourd passé. Une chanteuse dixie des années 30 y est morte dans des circonstances dramatiques, tout comme plusieurs petites filles noyées par des adultes en proie à la « folie de Dark Score ». D’où un flash-back glauque et brutal expliquant l’origine de la malédiction.

Triste et sombre…

Oubliant ses habituels mouvements de caméra au grand angle, Mick Garris opte pour une mise en scène plus sobre et plus proche de ses comédiens, s’adaptant à merveille à cette histoire triste et sombre. C’est sans conteste l’un des meilleurs films qu’il ait consacrés à l’univers de Stephen King. A fleur de peau, Pierce Brosnan livre quant à lui une de ses plus belles performances, d’autant plus touchante que le comédien vécut lui-même, dans le monde réel, la perte d’une épouse partie trop tôt. « Etant donné qu’il avait perdu sa femme quelques années plus tôt, la situation était assez délicate et je voulais être prudent avec ça», nous explique Mick Garris. « Mais il s’est pleinement engagé dans le film, a beaucoup travaillé son texte chez lui afin d’être totalement prêt au moment du tournage, avec une connaissance très précise de son personnage. Il était tellement bien préparé que je n’avais plus grand-chose à faire sur le plateau. C’est l’un des meilleurs acteurs avec lesquels j’ai pu travailler. » (1)

 

(1) Propos recueillis par votre serviteur en juin 2017

 

© Gilles Penso

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MISSION IMPOSSIBLE : FALLOUT (2018)

Un cran en dessous de l'opus précédent, ce sixième épisode de la saga réserve encore d'incroyables morceaux de bravoure

MISSION IMPOSSIBLE FALLOUT

2018 – USA

Réalisé par Christopher McQuarrie

Avec Tom Cruise, Henry Cavill, Rebecca Ferguson, Simon Pegg, Ving Rhames, Sean Harris, Alec Baldwin, Angela Bassett

THEMA ESPIONNAGE ET SCIENCE-FICTION I SAGA MISSION IMPOSSIBLE

Depuis le lancement de la saga Mission Impossible sur grand écran en 1996, c’est la première fois qu’un même réalisateur passe deux fois derrière la caméra pour mettre en scène Ethan Hunt et son équipe. Tom Cruise s’était en effet attaché jusqu’alors à sélectionner des cinéastes aux styles marqués et aux personnalités fortes pour imprégner chaque opus d’une atmosphère différente. Pour autant, McQuarrie ne cherche pas la redite et redouble d’efforts pour que Fallout ne ressemble pas à Rogue Nation. Il pousse la démarche jusqu’à se passer des services de son compositeur fétiche Joe Kramer en laissant Lorne Balfe s’occuper de la bande originale.

Choisir un disciple de Hans Zimmer pour mettre le film en musique n’est pas innocent. Ce sixième Mission Impossible cherche visiblement à cultiver une noirceur et un sens de la tragédie hérités des Batman de Christopher Nolan. Les dilemmes constants d’Ethan Hunt nous ramènent à la fameuse séquence des ferry-boats piégés de The Dark Knight. Faut-il faire passer l’intérêt général avant celui du plus petit nombre ? Doit-on accepter de sacrifier quelques vies pour en sauver d’autres ? Ce motif apparaît dès l’entame, au cours de laquelle Hunt, Benji et Luther échouent lamentablement dans leur mission. Il contamine bientôt l’intrigue tout entière jusqu’à en devenir le moteur dramatique principal. Chaque scène d’action s’appuie sur ce thème récurrent, jusqu’à un final vertigineux transformant presque Hunt en personnage surnaturel, une sorte de super-héros prenant son rôle d’ange-gardien très au sérieux et dont les « super-pouvoirs » seraient non seulement la détermination mais aussi une folle témérité à la lisière de l’inconscience.

Une folle témérité à la lisière de l'inconscience

Une fois de plus, la mise en abîme inhérente à la prestation de Tom Cruise fonctionne à plein régime. Sachant que le comédien effectue réellement une grande partie des cascades lui-même, l’implication du spectateur reste très forte. A l’ère du tout numérique et des tours de magie digitaux, parvenir encore à solliciter l’adrénaline du public comme à l’époque des prégénériques des premiers James Bond tient presque du miracle. A ce titre, les innombrables cascades qui scandent Mission Impossible : Fallout dépassent en audace la très grande majorité de celles des films d’action de ces dix ou vingt dernières années. L’ébouriffante poursuite automobile au beau milieu du trafic parisien tutoie même en de nombreux instants le pourtant inégalable French Connection de William Friedkin. Sans compter les corps à corps extrêmement brutaux, les courses de toit en toit, les chutes libres rocambolesques ou cet hallucinant chassé-croisé en hélicoptère qui redéfinit à lui seul le sens du mot « climax ». On peut certes regretter que cette ambition ne se répercute pas vraiment sur le scénario, préférant souvent l’enchaînement des retournements de situations à une progression dramatique digne de ce nom, ni sur la bande originale éléphantesque de Balfe qui confond puissance et tonitruance et reste la grande faute de goût du film. Mais notre enthousiasme n’est pas entamé pour autant. La démesure, la générosité et la folie d’un tel spectacle ne sont pas si fréquentes.

 

© Gilles Penso

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SPLIT (2016)

James McAvoy incarne un homme doté de 24 personnalités différentes, dont l'une est un monstre bestial…

SPLIT

2016 – USA

Réalisé par M. Night Shyamalan

Avec James McAvoy, Anya Taylor-Joy, Jessica Sula, Haley Lu Richardson, Betty Buckley, Brad William Henke, Sebastian Arcelus

THEMA DOUBLES I SAGA GLASS M. NIGHT SHYAMALAN

Trouver la bonne échelle. Telle semble avoir été la quête de M. Night Shyamalan depuis le début des années 2010. Malgré leurs indiscutables qualités, Le Dernier Maître de l’Air et After Earth n’avaient recueilli qu’un accueil glacial auprès du public et de la critique, incitant le cinéaste à revoir ses ambitions à la baisse en concoctant dans la foulée de ces deux titanesques superproductions un film au budget minuscule, The Visit. Si la rentabilité était finalement au rendez-vous et les réactions plus positives, ce « found footage » se contentait souvent d’accumuler les gimmicks inhérents au genre sans suffisamment innover. Pour pouvoir exprimer au mieux sa créativité, Shyamalan avait besoin de trouver un cadre aux bonnes proportions, comme à l’époque de Sixième Sens et Incassable. Il l’a trouvé avec Split. Tout ce qui faisait la force, la singularité et la nouveauté des premières œuvres du réalisateur est de retour dans ce long-métrage surprenant érodant les frontières entre la normalité et le fantastique jusqu’à créer un profond malaise. Le sujet du trouble dissociatif de l’identité n’est certes pas neuf et a déjà donné lieu à quelques longs-métrages mémorables (du séminal Psychose à Fight Club en passant par Identity, L’Esprit de Caïn ou Fenêtre Secrète pour n’en citer qu’une poignée). Pourtant Shyamalan parvient à réinventer le thème en s’inspirant d’un cas réel – celui du violeur américain Billy Miligan arrêté à la fin des années 70 – pour imaginer le personnage de Kevin Wendell Crumb.

Incarné à merveille par James McAvoy, cet homme est suivi par une psychiatre (Betty Buckley) qui a identifié chez lui pas moins de vingt-trois personnalités différentes. L’une d’elles, prénommée Dennis, pousse la maniaquerie jusqu’à frôler dangereusement la psychopathie.  Un jour, notre homme kidnappe ainsi trois jeunes filles qu’il juge impures afin de les livrer à une créature qu’il appelle « La Bête ». Or cet être monstrueux, à l’appétit insatiable et aux capacités physiques surhumaines, s’avère être sa vingt-quatrième personnalité. Jusqu’alors en sommeil, elle s’apprête visiblement à émerger du néant. Chez David Cronenberg, les répercussions des troubles psychologiques sur la matière organique provoquaient la génération d’organes, d’appendices ou de rejetons contre-nature. Ici, elles changent la physiologie d’un être humain jusqu’à le muer partiellement en bête. Shyamalan revient ainsi aux fondements du mythe de la lycanthropie. 

La Bête s'apprête à surgir du néant…

Le postulat de Split est le suivant : si chaque personnalité issue du trouble mental dissociatif est capable de développer des symptômes physiques distincts et à priori incompatibles, rien n’empêche l’une de ces facettes de se métamorphoser littéralement en monstre. Cette approche naturaliste du fantastique nous rappelle la manière unique dont le réalisateur traitait le thème des super-héros dans Incassable. Le fait que ces deux longs-métrages finissent par s’entrecroiser au cours des dernières secondes de Split procède donc d’une logique imparable, prélude d’un troisième long-métrage prometteur qui mixera en un tout cohérent les deux volets de ce diptyque tournés chacun à une période charnière de la carrière de M. Night Shyamalan. « Je considère que l’ensemble de mes films représente une œuvre complète et cohérente », nous confirme le cinéaste. « Chacun a ses films favoris, qu’il s’agisse de Sixième Sens, de Signes ou du Village. J’avoue avoir personnellement une petite préférence pour Incassable. » (1) D’où la volonté légitime d’en faire le premier volet d’une trilogie.

(1) Propos recueillis par votre serviteur en juin 2015.

 

© Gilles Penso

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CAPRICORN ONE (1978)

Suite à une avarie technique, la première expédition sur Mars est annulée… Mais personne ne doit le savoir !

CAPRICORN ONE

1978 – USA

Réalisé par Peter Hyams

Avec Elliot Gould, James Brolin, Sam Waterston, O.J. Simpson, Hal Holbrook, Brenda Vaccaro, Karen Black

THEMA POLITIQUE-FICTION

1969 : Neil Armstrong devient le premier homme à marcher sur la Lune. En pleine guerre froide, l’événement fait oublier la déroute au Vietnam et regonfle la fibre patriotique américaine. Cependant, certaines voix s’élèvent rapidement de l’ombre et remettent en doute la véracité de l’exploit, clamant à grand renfort de preuves plus ou moins crédibles que les images qui ont fait le tour du monde sont truquées et que les astronautes n’ont jamais quitté le plancher des vaches. Peter Hyams, inspiré par ces théories du complot (auxquelles il semble personnellement donner du crédit) et fort de son expérience de reporter qui lui avait permis de côtoyer un spécialiste de la Nasa, écrit un script en béton : en plein désintéressement général de la course à l’espace, une mission sur Mars est lancée, cependant un souci technique menace le départ. Les hauts responsables décident néanmoins de ne pas faire avorter le projet et de simuler la réussite de l’entreprise. Trois pilotes se retrouvent contraints et forcés de tourner de fausses images martiennes dans le hangar d’une vieille base isolée de l’US Army. L’illusion est parfaite et le pays se passionne pour leur expédition. Malheureusement, leur retour sur Terre voit la destruction inopinée de la capsule. Désormais officiellement morts, nos trois « héros » doivent lutter pour leur survie, pris en chasse par des tueurs implacables mandatés par leur hiérarchie, bien décidés à les éliminer pour préserver le pot-aux-roses et l’élan national…

Malgré les possibilités évidentes d’une telle histoire, les studios ne croient pas au potentiel commercial de l’affaire. Il faudra attendre le scandale du Watergate en 1972 et la vague à succès de thrillers paranoïaques comme A cause d’Un Assassinat ou Les Trois Jours Du Condor pour que Hyams vende son traitement. Le film sera finalement mis en chantier en 1978, permettant au futur réalisateur d’Outland de livrer un de ces divertissements ultimes dont il a le secret : science-fiction au réalisme documentaire proche de celui de Rencontres du Troisième Type, thriller stressant, film d’action trépidant, réflexion politique et sociétale, Capricorn One est tout à la fois, et surpasse ainsi ses illustres prédécesseurs. Après une brillante première moitié qui multiplie les trouvailles graphiques inoubliables et les plans remarquablement bien pensés (on ne vantera jamais assez le sens de la composition de cadre du bonhomme, parfaite union du fond et de la forme, qui rivalise souvent avec le génie sensitif de Spielberg, auquel il emprunte ici Bill Butler, le chef opérateur des Dents de la Mer), le film bascule en survival spectaculaire et se pare des codes du western. Désert aride, ville fantôme, serpent à sonnette, scorpion, tempête de sable, marche à l’Ouest, les références abondent et sont autant d’épreuves à surmonter pour les protagonistes, qui s’éloignent tous trois en tenue spatiale d’une navette au milieu de nulle part et se voient renvoyés à l’état primitif (Brubaker dévore le reptile pour subsister ou se camoufle comme un caméléon), évoquant La Planète des Singes

La poursuite impitoyable

Comme dans le chef-d’oeuvre de Schaffner, la planète hostile est à nouveau la Terre, l’Homme, l’ennemi intérieur véritable, et l’indispensable Jerry Goldsmith le chef-d’orchestre qui crée un danger palpable. Le compositeur intervient par couches menaçantes et vient briser des silences pesants, offrant un thème mémorable aux deux hélicoptères noirs des bad guys, oiseaux de morts personnifiés qui communiquent entre eux en se regardant et acquiesçant comme le feraient des humains. Stars iconiques du métrage, ils ont droit aux meilleures séquences, parmi lesquelles une escalade harassante dont ils annihilent sournoisement l’issue, et une poursuite aérienne très impressionnante pour l’époque, qui préfigure celle du Tonnerre De Feu de John Badham, pirouette finale comprise. Comme toujours chez Hyams, l’action n’empêche pas la profondeur : cette bataille voit s’affronter deux symboles du progrès et un vieux coucou d’antan, juste après un passage dans une vieille station service décorée de publicités des années 60 dont James Brolin (qui fut un faux cowboy dans  Mondwest), chef de la mission, s’échappe en passant à travers une vitre pour semer ses assaillants. Le message est clair : à l’innocence et à l’ancienne garde composée de ces astronautes loyaux et éthiques, le metteur en scène oppose brutalement la froideur mécanique d’une évolution technologique impitoyable, et la transition se fera dans la douleur. Conservateur ? Plutôt critique vis-à-vis de la course au patriotisme, qui confond vitesse et précipitation et privilégie le profit à l’humanisme. Cette critique s’applique également à un journalisme friand du scoop à tout prix, non sans un humour bienvenu, à travers les personnages croustillants composés par Elliott Gould et Karen Black, qui se balancent des répliques fort bien écrites, s’inscrivant dans la tradition de l’âge d’or d’Hollywood et ses duos cinglants. Hyams n’oublie pas d’ouvrir une réflexion sur le pouvoir manipulateur des images, suivant une thématique chère à Brian De Palma ou Dario Argento : la caméra ne ment pas. Même dupé par une manipulation visuelle, il est toujours possible de déceler la vérité, un indice dans le coin du cadre. La séquence finale au cimetière entérine le propos, voyant le seul survivant et l’intrépide journaliste courir vers les équipes de télévisions qui braquent leurs feux sur eux pour dévoiler la supercherie au monde entier. Les événements ne deviennent réels et avérés que lorsqu’ils passent par le prisme de la caméra (et des médias, monarques pervers de l’exploitation et de l’interprétation visuelle). Brillant. Les studios, qui trouvent le film anti-patriotique, seront les premiers surpris quand Capricorn One remportera un triomphe. Ce succès inespéré, outre le fait qu’il propulsera son auteur vers des sommets bien mérités, rassurera quelque peu sur la propension des spectateurs à analyser et remettre en question la véracité de l’information. Qualité malheureusement devenue en 2018 source de toutes les saillies complotistes imaginables. C’est la dose qui fait le poison.
 
© Julien Cassarino

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eXistenZ (1999)

David Cronenberg fusionne une fois de plus la chair et la machine à travers une vision très personnelle des jeux vidéo

eXistenZ

1999 – CANADA

Réalisé par David Cronenberg

Avec Jennifer Jason Leigh, Jude Law, Ian Holm, Willem Dafoe, Don McKellar, Callum Keith Rennie, Christopher Eccleston

THEMA MONDES VIRTUELS ET MONDES PARALLELES

Après l’accueil mitigé du Festin Nu, de M. Butterfly et de Crash, tous trois adaptés d’œuvres littéraires atypiques, David Cronenberg revient à ses premières amours : la science-fiction comme prisme de la transfiguration anatomique. L’idée d’eXistenZ lui est inspirée lors de la condamnation à mort de l’écrivain Salman Rujdie par l’extrémisme islamique. A la fois choqué et fasciné par cette situation, il la transpose dans un futur proche où le jeu vidéo est devenu une forme d’art à part entière et où les univers virtuels sont de plus en plus proches de la réalité. Le personnage central du film est Allegra Geller (Jennifer Jason Leigh), créatrice d’un jeu très populaire, eXistenZ, qui se connecte directement au système nerveux, retourne contre le joueur ses peurs, ses souvenirs et ses sentiments, et l’entraîne dans une aventure hyperréaliste en se servant de son corps comme d’un disque dur. Au cours de l’avant-première d’eXistenZ, Allegra échappe de peu à un attentat fomenté par un groupe de fanatiques révolutionnaires, les « Réalistes », persuadés qu’il faut détruire l’industrie du jeu avant que celle-ci ne prenne définitivement le pas sur la réalité. Ted Pikul (Jude Law), un jeune stagiaire en marketing, sauve la vie d’Allegra et se retrouve embarqué avec elle dans une course-poursuite au cours de laquelle il devient de plus en plus difficile de dissocier le virtuel du réel. 

Inscrit dans le courant cyberpunk initié par des auteurs tels que William Gibson, eXistenZ est le premier scénario original que Cronenberg rédige depuis Videodrome, et les similitudes entre les deux films sont nombreuses, tant du point de vue visuel que thématique. Le moindre de ces points communs n’est pas cet étrange pistolet organique créé avec des os humains et dont les munitions sont des dents ! Parmi les autres créations fantaisistes du film, on note le « pod », une petite créature étrange qui sert d’interface à Allegra pendant qu’elle joue, ou un mutant à deux têtes réunissant à la fois les caractéristiques physiques d’un insecte et d’un amphibien. Une fois de plus, le cinéaste délaisse les superstars au profit de « gueules » propres à illustrer son univers tourmenté. Quant au « futur non futuriste » du film, il procède par soustraction d’objets et d’appareils plutôt que par addition, une méthode qui se place donc à contre-courant des traditions établies dans le cinéma de science-fiction. Ainsi, l’univers du film est-il dénué d’ordinateurs, de téléviseurs, de téléphones ou de fax. 

Un futur non futuriste

Cette absence de technologie est l’un des nombreux partis pris extrêmes d’un film qui aurait sans doute gagné en efficacité si sa mise en scène n’avait été si minimaliste et son budget si maigre. Fidèle à ses habitudes, Cronenberg retrouve là la plupart de ses collaborateurs, le moindre n’étant pas le compositeur Howard Shore. « Chaque fois que je prépare un nouveau film, j’en envoie d’abord le scénario à une poignée de personnes : mon chef opérateur, mon directeur de production, mon monteur, et bien sûr Howard Shore », nous explique le cinéaste. « Ce dernier a composé la musique de la majeure partie de mes films, et son implication est toujours très importante. Travailler “en famille” est pour moi un excellent stimulateur de créativité. » (1) Et en matière de créativité, avouons qu’eXistenZ n’est pas en reste.

 

(1) Propos recueillis par votre serviteur en octobre 2005

 

© Gilles Penso

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JURASSIC WORLD : FALLEN KINGDOM (2018)

Cinquième opus de la saga Jurassic Park, cet épisode au scénario évasif montre les limites du concept malgré un dernier acte soigné

JURASSIC WORLD : FALLEN KINGDOM

2018 – USA

Réalisé par Juan Antonio Bayona

Avec Chris Pratt, Bryce Dallas Howard, James Cromwell, Rafe Spall, Justice Smith, B.D. Wong, Jeff Goldblum

THEMA DINOSAURES I SAGA JURASSIC PARK

Dans la foulée du succès de Jurassic Park, une séquelle avait inévitablement été mise en chantier en s’appuyant sur un concept scénaristique simpliste : une mission de sauvetage obligeant les héros à retourner sur l’île aux dinosaures. C’était Le Monde Perdu, qui portait certes par moment la patte de Steven Spielberg mais se distinguait surtout par sa vacuité et sa nature à peine camouflée de pur produit dérivé. Par un étrange effet de miroir, ce Fallen Kingdom opère de manière tout à fait similaire au regard du premier Jurassic World. Même les « nouveautés » (la chasse aux dinosaures, le surgissement des monstres dans la civilisation) reprennent le schéma du Monde Perdu. La prestation fugace de Jeff Goldblum résume à elle-seule la futilité de cette séquelle. Son personnage n’apparaît qu’en début et en fin de métrage pour délivrer quelques phrases sentencieuses servant surtout à alimenter les bandes-annonces. Dans Le Monde Perdu, il avait au moins l’honnêteté de bailler à s’en décrocher la mâchoire lors de sa première apparition devant un faux panorama tropical, comme pour mieux révéler le cynisme et le désenchantement ayant présidé à la mise en production de la première séquelle de Jurassic Park. Ici, on se contente d’un postulat absurde (l’île sur laquelle a été bâti le parc est menacée d’un cataclysme naturel, donc il faut partir sauver les dinosaures) pour relancer Chris Pratt et Bryce Dallas Howard sur les traces des grands sauriens.

Dès les premières péripéties, on sent bien que quelque chose cloche dans le film : les motivations des personnages sont incompréhensibles, les deux jeunes faire-valoir dont on les affuble nous insupportent (notamment l’espèce de sosie de Kev Adams qui incarne avec une lourdeur éléphantesque un informaticien trouillard), les éruptions volcaniques à répétition sont à peu près aussi crédibles que celles de Voyage au Centre de la Terre 2 (oui, celui avec The Rock) et même les hordes de dinosaures sont bâclées (la cavalcade du King Kong de Peter Jackson n’est pas loin). Juan Antonio Bayona est pourtant un cinéaste de talent dont l’amour des monstres n’est plus à prouver, mais il nous semble ici incapable de se dépêtrer de ce script anémique validé par des dizaines d’exécutifs d’Universal. Pour tenter de sauver les meubles, il rend hommage chaque fois qu’il le peut au cinéma de Spielberg et notamment à la saga Indiana Jones, Chris Pratt calquant ses mimiques sur celles d’Harrison Ford et Michael Giacchino imitant les marches militaires de John Williams.

Un réalisateur talentueux prisonnier d'un script anémique

Le film se rattrape en partie lors de son dernier acte, notamment grâce à son nouveau dinosaure vedette, une sorte de vélociraptor quadrupède géant qui semble avoir bénéficié de beaucoup plus de soins que la majorité de ses congénères et  déploie sa férocité dans des séquences de suspense à l’efficacité indiscutable. Mais à ce stade du récit, l’intérêt des spectateurs a tant été émoussé que l’impact des séquences en question n’est pas aussi fort qu’il le faudrait, d’autant que les hommages appuyés au premier Jurassic Park (la scène des raptors dans la cuisine et le climax en équilibre sur les squelettes sont ici fusionnés en une seule séquence) amenuisent souvent l’effet de surprise et nous laissent sur notre faim.

 

© Gilles Penso

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REVENGE (2017)

Une chasse à l'homme - ou plutôt à la femme - qui se réapproprie les codes du cinéma d'exploitation des années 70

REVENGE

2017 – FRANCE

Réalisé par Coralie Fargeat

Avec Matilda Lutz, Kevin Janssens, Vincent Colombe, Guillaume Bouchède, Avant Strangel

THEMA TUEURS

Comme son titre l’indique de manière explicite, le premier long-métrage de Coralie Fargeat se réclame du « Rape and Revenge », ce fameux sous-genre du cinéma d’exploitation ayant éclos dans les années 70 pour narrer la vengeance brutale de femmes maltraitées et violentées par les hommes. Un regard nouveau et féminin sur ce motif récurrent du cinéma de genre s’annonçait prometteur. Revenge prend place dans une zone désertique dont la photogénie est transcendée par une mise en image jouant presque la carte du surréalisme et nous évoquant par moments les premiers films de Russel Mulcahy. Riche chef d’entreprise doublé d’un père de famille attentionné, Richard (Kevin Janssens) s’offre une fois par an une escapade avec ses amis Stan (Vincent Colombe) et Dimitri (Guillaume Bouchède). Au programme : partie de chasse dans les canyons, soirées arrosées et – petite nouveauté cette année – partie de jambes en l’air avec une jolie lolita prénommée Jennifer (Matilda Lutz) qui rêve de faire carrière à Hollywood. Mais la belle ingénue se déhanche sans doute un peu trop sensuellement un soir de beuverie et émoustille les sens de Stan qui, n’en pouvant plus, profite d’une absence de Richard pour abuser d’elle. A partir de là, les événements dégénèrent jusqu’à se muer en chasse à l’homme sanglante et impitoyable. 

Force est de constater que l’esthétique du film, si soignée soit-elle, n’est qu’une jolie coquille désespérément vide. Pour pouvoir traiter un tel sujet, il était indispensable de choisir une tonalité et un point de vue, quels qu’ils soient. En refusant de se positionner, la réalisatrice prête automatiquement le flanc à toutes les critiques et ne parvient jamais à nous convaincre. Comment s’intéresser à la personnalité de cette jeune fille que Coralie Fargeat filme comme un morceau de viande appétissant, avec un voyeurisme et une vulgarité qui n’auraient pas dépareillé chez Michael Bay ? Comment croire une seconde à ce trio d’imbéciles qui cumulent tant de clichés machistes caricaturaux ? Comment accepter que notre héroïne chute de trente mètres dans le vide et s’empale sur un arbre mais survive sans trop d’encombres si le film conserve son imperturbable premier degré ? 

Féministe ou sexiste ?

Les belles idées visuelles abondent et jouent souvent la carte de la métaphore pour mieux illustrer la dégénérescence de la situation (la pomme croquée qui s’abime progressivement, le T-shirt « I Love L.A. » qui brûle) et la mutation de Jennifer (le Phénix, symbole évident de la résurrection, qui s’imprime sur son ventre après une cautérisation improvisée). Mais pour dépasser leur statut de gimmick, il aurait fallu que ces images s’appuient sur un discours clair ou – tout du moins – une définition explicite des motivations de chacun. Car même la riposte est traitée par-dessus la jambe. Jennifer ne se mue jamais vraiment en « ange de la vengeance » puisqu’elle semble guidée par une volonté extérieure sur laquelle elle n’a visiblement aucune prise. Ce n’est une femme forte qu’en apparence. La vêtir comme une sauvageonne et la doter d’un fusil n’y change pas grand-chose. Pire : cette imagerie sexy renforce son objectification. L’implication physique des personnages est certes admirable, le sens de l’image de la réalisatrice indéniable et son traitement de la violence sans concession. Mais sans histoire digne de ce nom, sans personnages solides, à quoi bon ?

 

© Gilles Penso

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THEATRE OF DEATH (1967)

Un joyau méconnu du cinéma d'horreur britannique, avec un Christopher Lee en très grande forme

THEATRE OF DEATH

1967 – GB

Réalisé par Samuel Gallu

Avec Christopher Lee, Julian Glover, Leila Goldoni, Jenny Till, Evelyn Laye, Ivor Dean, Joseph Fürst, Betty Woolfe

THEMA TUEURS

 

Theatre of Death transpose sur grand écran les excès du grand-guignol, qui fleurissait avec succès sur certaines planches parisiennes du début du 20ème siècle. Exhalant une inquiétante beauté ténébreuse, Christopher Lee y incarne Philippe Darvas, un directeur de théâtre étrange, autoritaire et taciturne, qui mène sa troupe d’artistes et de techniciens à la baguette, et s’adonne en secret à de mystérieuses activités. Dans les
coulisses, il espionne son équipe à travers les yeux d’un portrait à son effigie, se confie à son chat, visionne des diapositive de vampires, de démons et de monstres (parmi lesquels l’amateur reconnaîtra une photo du Dr Jekyll et Mr Hyde de Rouben Mamoulian). Tel un fantôme de l’opéra, il hante les lieux jour et nuit, veillant sur ce vénérable théâtre qui lui fut légué par son père. 

Amoureux de Dani Gireaux (Lelia Goldoni), une des artistes engagées par Darvas, le policier Charles Marquis (Julian Glover) ne porte pas spécialement dans son cœur cet étrange dramaturge. Lorsqu’une enquête le mène sur la piste d’un assassin ayant occis puis vidées de leur sang trois victimes féminines, Charles se met à soupçonner le directeur du « théâtre de la mort ». En effet, l’arme utilisée pour s’adonner à ce « vampirisme » moderne ressemble comme deux gouttes d’eau à l’un des couteaux employés sur scène pour les spectacles
de Darvas. Truffé de rebondissements jusqu’à son twist final, Theatre of Death se distingue par une recherche esthétique permanente. Le directeur de la photographie Gilbert Taylor (qui œuvra pour Stanley Kubrick sur Docteur Folamour et Roman Polanski sur Cul de Sac, puis allait signer les images de Frenzy, La Malédiction, La Guerre des Etoiles ou encore le Dracula de John Badham) concocte à l’occasion de magnifiques tableaux en Cinémascope, nimbés d’un Technicolor flamboyant. L’ombre fragmente souvent les visages, ne laissant apparaître que les yeux, la bouche ou la silhouette des personnages, jusqu’à les muer en icônes, voire en abstractions. Et du coup, Theatre of Death démontre une parfaite adéquation entre son sujet et sa mise en forme. L’exubérance et la théâtralité du grand-guignol sortent des planches pour venir contaminer tout l’écran. 

Les excès du grand guignol jaillissent à l'écran

Au diapason, le réalisateur Samuel Gallu, venu de la télévision, apporte un soin tout particulier à la cohérence graphique du film, reconstituant le Paris de la belle époque dans les studios londoniens d’Elstree. Plusieurs jeux d’avant-plan, de composition ou de réorganisation de l’espace suite à des entrées ou des sorties de champ annoncent même bon nombre d’effets de style chers à Steven Spielberg. Il est d’ailleurs permis de se demander si le père d’E.T. ne s’est pas laissé influencer par Theatre of Death, au point d’embaucher l’acteur Julian Glover pour jouer le vilain d’Indiana Jones et la Dernière Croisade. Mais face à la caméra, c’est surtout Christopher Lee qui irradie l’écran. Même lorsqu’il n’occupe pas physiquement l’espace, sa présence est partout palpable, telle une menace énigmatique, à moins qu’il ne faille pas se fier aux apparences… Theatre of Death s’affirme donc comme un joyau du genre. Ce sera pourtant le seul coup d’éclat de Samuel Gallu.

© Gilles Penso

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HIBERNATUS (1969)

Louis de Funès fait face à un jeune homme en hibernation depuis 65 ans qui croit se réveiller en 1905

HIBERNATUS

1969 – FRANCE

Réalisé par Edouard Molinaro

Avec Louis de Funès, Michael Lonsdale, Bernard Alane, Claude Gensac, Olivier de Funès, Claude Piéplu, Paul Préboist

THEMA MEDECINE EN FOLIE

Oscar étant sans conteste l’un des films les plus drôles de Louis de Funès, le producteur Alain Poiré et la Gaumont décident d’en retrouver les ingrédients principaux : Claude Gensac dans le rôle de l’épouse, Edouard Molinaro à la mise en scène (même si c’est initialement Jean Girault qui était envisagé) et une pièce de théâtre populaire comme support du scénario. Il s’agit ici du « Hibernatus » de Jean-Bernard Luc représenté pour la première fois au théâtre de l’Athénée à Paris fin janvier 1957. Dans le nord du Groenland, une expédition franco-danoise découvre le corps d’un homme parfaitement conservé dans la banquise (Bernard Alane). A ses côtés sont retrouvés les débris d’un bateau disparu en mer en 1905. Cet « homme de glace » serait donc prisonnier du grand froid depuis 65 ans. Le professeur chargé de ce cas (l’irrésistible Michael Lonsdale qui excelle dans le registre de l’humour pince sans rire) constate une reprise d’activité cardiaque et en conclut que la glycérine, transportée par le cargo au moment du naufrage, a submergé son corps et favorisé son hibernation. On finit par identifier l’inconnu : il s’agit de Paul Fournier, grand-père d’Edmée de Tartas (Claude Gensac), l’épouse d’Hubert de Tartas (Louis de Funès). 

Toujours parfait sous la défroque des bourgeois mesquins, égoïstes et nerveux, le futur  héros des Aventures de Rabbi Jacob joue donc ici le président d’une société d’emballage qui prépare les fiançailles de son fils Didier (joué par son propre fils Olivier de Funès) avec Evelyne (Eliette Demay), la fille d’un de ses fortunés confrères. Or si Paul Fournier est vivant, il doit reprendre possession de ses biens, ce qui n’arrange pas du tout Hubert. Pour éviter à l’hiberné un choc qui serait fatal à sa santé encore fragile, on reconstitue chez les de Tartas l’atmosphère du Paris de la belle époque, y compris, dans le voisinage immédiat : décors, costumes, véhicules, aucun détail n’est négligé. Du coup Edmée se fait passer pour la mère de Paul et Hubert pour le prétendant de celle-ci. La situation étant posée, la cascade de quiproquos peut s’enchaîner allègrement. 

La fulgurance ultime

On sait que l’atmosphère sur le plateau fut très tendue entre la star et le réalisateur, le scénario n’en finissant pas de se modifier en cours de route à la demande de De Funès, éternel angoissé. Mais rien n’en transparaît à l’écran. Le film est joyeux, enlevé, et ciselé au millimètre selon une mécanique parfaitement huilée. « Mon père n’était pas un clown triste, comme on l’a souvent dit, mais un travailleur compulsif qui était obsédé par la perfection », nous avouait Olivier de Funès. « Il m’avait imposé comme comédien dans beaucoup de ses films, alors que je visais plutôt une carrière de pilote d’avion, ce que j’ai fini par devenir » (1) Ce qui explique sans doute pourquoi De Funès Jr joue sans beaucoup de conviction. La grande scène du film, le moment d’anthologie, la fulgurance ultime est la révélation de toute la vérité à l’hiberné par un Louis De Funès en plein délire, hurlant le prénom de sa femme, esquissant des pas de danse absurdes, sautant et grimaçant comme jamais. Ce moment de folie pure nous rappelle celui – tout aussi excessif – qui servait de climax à Oscar. Dommage que De Funès et Molinaro, face à leur incompatibilité d’humeur, aient cessé leur collaboration après Hibernatus.

 

(1) Propos recueillis par votre serviteur en octobre 2002.

 

© Gilles Penso

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