LA FELINE (1942)

Au sommet de son art, Jacques Tourneur raconte l'histoire d'une femme condamnée à se transformer en panthère à cause d'une malédiction ancestrale

CAT PEOPLE

1942 – USA

Réalisé par Jacques Tourneur

Avec Simone Simon, Kent Smith, Tom Conway, Jane Randolph, Jack Holt, Elizabeth Russell 

THEMA MAMMIFERES

« Alors que le brouillard rampe dans les vallées, nos antiques péchés s’enfouissent dans les recoins les plus bas, et la dépression dans la conscience du monde ». C’est par cette citation sinistrement poétique, issue d’un ouvrage imaginaire rédigée par l’un des protagonistes du film, que s’ouvre La Féline. En quelques lignes, le ton est donné : nous allons nous immerger dans une profonde étrangeté, où l’ombre s’immiscera insidieusement et où la suggestion l’emportera largement sur le spectaculaire. Saluée pour ses prestations dans La Bête humaine et Tous les biens de la Terre, Simone Simon incarne Irena Dubrovna, une jeune new-yorkaise hantée par la peur d’être la descendante d’une race de créatures qui se transforment en panthères dès qu’elles perdent leur virginité. Oliver Reed (Kent Smith), un architecte naval, tombe amoureux de sa touchante beauté féline et l’épouse. Mais le comportement de la jeune mariée commence à se dégrader d’inquiétante manière…

Si La Féline a fait date dans l’histoire du cinéma fantastique, c’est sans doute parce que ses initiateurs étaient vierges de toute expérience en ce domaine, offrant aux spectateurs une approche novatrice, loin des canons savamment établis depuis l’âge d’or du genre au début des années 30. Val Lewton, parachuté du jour au lendemain responsable des films fantastiques du studio RKO, chercha un moyen de transformer en atout deux obstacles de taille : sa relative méconnaissance du genre et les moyens ridicules mis à sa disposition (un budget de 135 000 dollars et trois semaines de tournage). Son premier choix consista à s’adjoindre une équipe en béton armé, constituée du réalisateur Jacques Tourneur, du monteur Mark Robson, du scénariste DeWitt Bodeen et du directeur de la photographie Nicholas Musuraca. Avec ces atouts en poche, il proposa une approche atmosphérique aux antipodes des monster movies des studio Universal. Les effets spéciaux sophistiqués n’étant guère envisageables, les éléments fantastiques sont cachés dans les ténèbres, laissant l’imagination des spectateurs matérialiser l’invisible. Lewton et son équipe muent ainsi une faiblesse en parti pris artistique.

La peur de l'invisible

Dans La Féline, la terreur nait de ce qu’on ne voit pas, le paroxysme étant atteint dans cette scène désormais mythique où une jeune femme, persuadée d’être traquée par un fauve, presse le pas dans une rue nocturne chichement éclairée par des réverbères clairsemés. La démarche s’accélère, les plans se resserrent, la bande son se charge de feulement, la tension monte, et soudain un bus entre dans le champ à l’avant-plan en crissant des pneus. Le sursaut cède le pas à la dédramatisation, en un effet de douche écossaise qui fera largement école dans le domaine du cinéma d’épouvante. Nimbé de clairs-obscurs hérités de l’expressionnisme allemand, porté par la beauté glaciale d’une Simone Simon irrésistiblement mélancolique, La Féline rapportera plusieurs millions de dollars à la RKO, et lancera deux autres futurs classiques signés par la même équipe : Vaudou et L’Homme-léopard.

© Gilles Penso

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MAMBA (1988)

Seule dans son grand appartement, une jeune femme est forcée de cohabiter avec un immense serpent au venin mortel

FAIR GAME / MAMBA

1988 – ITALIE

Réalisé par Mario Orfini

Avec Trudie Styler, Gregg Henry, Bill Moseley, John Randolph, Rene Auberjonois, John MacAndrews 

THEMA REPTILES ET VOLATILES

Connu également sous le titre Fair GameMamba est un pur produit des années 80. Tout y est : la musique synthétique de Giorgio Moroder, l’esthétique des vidéo-clips, les brushings impeccables, les « tubes » à la Cindy Lauper… Et pourtant, ce petit thriller d’épouvante a franchi sans trop de mal le cap des années, grâce à l’efficace sobriété de son concept et à son habile gestion de l’unité de lieu et de temps. Frais émoulu de sa remarquable prestation dans Body Double, Gregg Henry interprète ici Gene, un concepteur de jeux vidéo. Contrairement aux archétypes fantasques et lunaires souvent de mise dans ce corps de métier, Gene est un homme froid et calculateur qui met un point d’honneur à tout contrôler sans supporter le moindre imprévu. Aussi, lorsqu’Eve, sa petite amie, décide de se séparer de lui, autant dire qu’il réagit mal. Point de cris ni de larmes, ce n’est pas le genre du bonhomme, mais un acte de vengeance qui prend la forme d’un machiavélique stratagème.

Première étape : se procurer un mamba, redoutable serpent venimeux, se débarrasser froidement de son propriétaire, puis injecter au reptile une solide dose d’hormones qui décuplent son agressivité mais réduisent son espérance de vie. Deuxième étape : pénétrer dans le splendide loft de l’ex-petite amie et y lâcher la bête, en espérant qu’elle mordra mortellement l’impudente avant de succomber à son trop plein d’hormones. Dernière étape : verrouiller la porte de l’appartement et couper le téléphone. Le compte à rebours est donc lancé, et comme Gene adore tout maîtriser, il peut vérifier le moindre mouvement du prédateur et de la victime sur un écran d’ordinateur qu’il a installé dans sa voiture, grâce à des capteurs judicieusement implantés. C’est ainsi que démarre un diabolique jeu vidéo de son invention, qu’il a naturellement baptisé « Fair Game ».

La future épouse de Sting face au mamba

Le point de départ du film est des plus astucieux. Dommage que deux composantes empêchent le suspense de fonctionner à plein régime : l’interprétation sans saveur de Trudie Styler (compagne et future épouse du chanteur Sting, ce que mentionneront en gros certaines jaquettes allemandes du film) dans le rôle d’une victime au comportement trop excessif pour convaincre, et la rareté des séquences où la jeune femme et le serpent sont vus ensemble dans les mêmes plans. On note plusieurs idées scénaristiques ingénieuses, notamment la manière dont Eve se rend compte de la présence du serpent chez elle (elle l’aperçoit sur son écran de télévision alors qu’elle enregistre un message vidéo pour son ex-petit ami), et le retournement de situation final, pas très crédible mais plutôt surprenant. Artistiquement, le film bénéficie en outre de quelques atouts majeurs, les moindres n’étant pas le directeur artistique Ferdinando Scarfiotti, oscarisé la même année pour son travail sur Le Dernier empereur, et la chef costumière Milena Canonero, à l’œuvre sur rien moins que Barry LindonMidnight Express et Les Chariots de feu. Et puis il y a la présence du trop rare et trop sous-estimé Gregg Henry, extraordinaire de froideur et de duplicité, mais dont le masque robotique et inexpressif laisse transparaître en de fugitifs instants une lourde charge émotionnelle refoulée. 

 

© Gilles Penso

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MOTHER’S DAY (1980)

Un slasher délirant et bourré d'humour noir réalisé par Charles Kaufman, le frère du fondateur de la compagnie Troma

MOTHER’S DAY

1980 – USA

Réalisé par Charles Kaufman

Avec Holden McGuire, Billy Ray McQuade, Rose Ross, Nancy Hendrickson, Deborah Luce, Tiana Pierce 

THEMA TUEURS

Frère de Lloyd Kaufman, le fameux patron de la compagnie Troma, Charles Kaufman signait avec Mother’s Day un slasher atypique, à une époque où Michael Myers et Jason Voorhees commençaient déjà à faire de nombreux émules. Le prologue du film est un excellent faux départ. Au cours d’un séminaire sur l’amour de son prochain, un couple de hippies se fait raccompagner en voiture par une sympathique octogénaire. Visiblement, ils s’apprêtent à la tuer et à la rançonner. Mais soudain, deux hommes surgissent des  bois, décapitent le garçon et s’apprêtent à violer la fille. Ces deux psychopathes habillés à la mode  Mad Max sont les fils de la vénérable vieille dame, qui étrangle elle-même la fille en ricanant ! C’est ainsi que démarre Mother’s Day (sous-titré « Bonne Fête Maman ! » sur les posters français).

Après le générique, nous faisons connaissance avec trois jeunes femmes, anciennes camarades de chambre, qui se retrouvent pour leur réunion annuelle. Elles s’enfoncent en voiture dans la cambrousse, jusque dans les bois de Deep Barons. Les blagues potaches vont bon train, et l’on s’attend à voir surgir les deux tueurs à tout instant. Ils débarquent pourtant au moment où on s’y attend le moins, emportant les filles dans leur sac de couchage jusque dans leur maison perdue au milieu des bois. Ike et Addley – tels sont leurs noms – s’adonnent à des jeux stupides sous la direction de leur vieille mère. Sauf que les divertissements de ces garnements attardés n’ont rien à voir avec « un deux trois soleil » ou la chaise musicale. Leur activité principale consiste en effet à violer et assassiner les filles qu’ils attrapent dans la forêt.

Une critique de la société de consommation ?

Au milieu de leurs jouets Star Trek et de leurs boîtes de céréales Sesame Street, ils conservent des têtes décapitées dans des cages d’oiseaux ou des cadavres ensanglantés accrochés à leur penderie. On détecte ainsi en filigrane une critique de la société de consommation et de l’abrutissement généré par une exposition prolongée aux émissions télévisées. Mother’s Day se réfère également aux codes du conte de fée traditionnel, la matronne correspondant à un « méchant » archétypal chez Grimm et Perrault, et les cannettes éparpillées sur le chemin remplaçant les cailloux du « Petit Poucet ». Il est d’ailleurs question, dans les racontars de la vieille mère, d’une tante maléfique, censée être morte, qui errerait dans les bois, assoiffée de vengeance. La dernière partie du film prend la tournure d’un « revenge movie », variation exubérante sur les thèmes des premières œuvres de Wes Craven.Car après la mort d’une des filles, les deux autres décident de prendre une revanche franchement gratinée : gorge transpercée par une aiguille, marteau planté dans les testicules, étouffement, jet d’acide, massacre au couteau électrique et, fin du fin, tête enfoncée dans un téléviseur encore allumé ! Tourné avec un ridicule budget de 115 000 dollars, Mother’s Day n’a certes rien d’un chef d’œuvre. L’intrigue y est souvent incohérente, la photographie pas vraiment folichonne, la musique carrément inaudible… Mais le film tire son épingle du jeu grâce à son humour, son originalité, son manque de complexe et ce plan final assez réjouissant.

 

© Gilles Penso

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LE VOLEUR DE BAGDAD (1940)

Une splendide transposition sur grand écran des contes des Mille et Une Nuits, qui inspira les Sinbad de Ray Harryhausen et le Aladdin de Disney

THE THIEF OF BAGDAD

1940 – USA

Réalisé par Ludwig Berger, Michael Powell, Tim Whellan, Alexander Korda, Zoltan Korda et William Cameron Menzies

Avec Sabu, Conrad Veidt, June Duprez, John Justin, Rex Ingram, Miles Maleson, Morton Selten, Mary Morris, Bruce Winston

THEMA MILLE ET UNE NUITS

Jamais la féerie des 1001 Nuits ne fut transposée avec autant de splendeur sur un écran que dans ce Voleur de Bagdad, seconde et meilleure de toutes les versions cinématographiques du conte. Aveuglé et détrôné par l’infâme Jaffar, le prince Ahmad y partage sa geôle avec le jeune Abu, qui passe pour être le voleur le plus doué de tout Bagdad. Ensemble, les deux hommes s’évadent et s’efforcent de renverser le règne du maléfique usurpateur… Dans un Technicolor resplendissant – chose encore rare en 1940 – se succèdent des tableaux magiques inoubliables : le cheval automate qui transporte le sultan dans les airs, l’apparition du génie gigantesque, la lutte contre une impressionnante araignée géante, ou encore la voltige finale sur le tapis volant. Taillés sur mesure, les quatre rôles principaux vont comme un gant à Conrad Veidt, superbe Jaffar aux yeux hypnotisants et au profil de rapace, à Sabu, voleur sautillant comme le Mowgli qu’il interprétera deux ans plus tard dans Le Livre de la jungle, à June Duprez, magnifique princesse aux yeux clairs (remplaçant haut la main une Vivien Leigh d’abord pressentie), et à John Justin (dans son premier rôle), beau prince déchu transformé en mendiant héroïque.

Parmi l’armada d’artistes et de techniciens sollicités sur le tournage se trouvait le jeune maquilleur de Stuart Freeborn, futur maître d’œuvre des créatures de 2001 et La Guerre des Etoiles« J’ai travaillé sur plusieurs des superproductions de Korda », se souvient-il. « C’est d’ailleurs moi qui ai appris l’anglais au jeune Sabu ! » (1) La partition de Miklos Rosza, aux belles tonalités orientales, s’agrémente parfois de chansons qui annoncent le style que Walt Disney standardisera. L’intrigue, riche en rebondissements savants, s’achève bien entendu par la mort de Jaffar. Frappé en plein front par une flèche, il chute dans le vide tandis que le cheval automate qui l’emportait dans les cieux tombe en morceaux. Très curieusement, le film est l’œuvre combinée de six réalisateurs, chacun étant choisi pour apporter une pierre artistique ou technique à l’édifice. Ludwig Berger fut sollicité pour les scènes romantiques, Tim Whelan pour les séquences d’action, et Michael Powell pour les grandes reconstitutions historiques et fantastiques.

Six réalisateurs et une armada d'artistes

Lorsque l’Angleterre entra en guerre, le tournage fut interrompu, et le film ne fut finalisé qu’en 1940 par les frères Korda et le directeur artistique William Cameron-Menzies, l’équipe déménageant de Londres vers Hollywood. Malgré cette profusion de talents, le film ne souffre guère de manque d’unité, bien au contraire. Des dialogues brillants, des décors superbes et des costumes flamboyants achèvent de faire accéder ce Voleur de Bagdad au statut de chef d’œuvre du cinéma fantastique. Les studios Disney y puisèrent d’ailleurs largement leur inspiration lorsqu’ils s’attelèrent en 1992 à leur long-métrage animé Aladdin, mettant en scène des personnages principaux similaires dont le mimétisme va jusqu’à l’utilisation des mêmes patronymes (notamment Jaffar et Abu, si ce n’est que ce dernier y devient un singe facétieux !).

(1) Propos recueillis par votre serviteur en mai 1996.

 

© Gilles Penso

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LE MAGICIEN D’OZ (1939)

Le conte de fées ultime, un émerveillement de tous les instants dont la gestation ne fut pourtant pas une partie de plaisir

THE WIZARD OF OZ

1939 – USA

Réalisé par Victor Fleming

Avec Judy Garland, Ray Bolger, Bert Lahr, Margaret Hamilton, Jack Haley, Frank Morgan, Billie Burke, Charley Grapewin

THEMA CONTES

Aujourd’hui, Le Magicien d’Oz est considéré comme l’archétype du succès hollywoodien, le conte de fées familial ultime. Pourtant, l’élaboration du film fut semée d’embûches et son triomphe n’était pas vraiment acquis. Le premier roman du cycle d’Oz, écrit en 1900 par L. Frank Baum, avait tôt fait l’objet d’adaptations théâtrales et cinématographiques. Mais un grand long-métrage en couleurs restait encore à consacrer à cet univers féerique, et c’est le parolier Arthur Freed qui en eut l’initiative. Persuadé que l’œuvre de Baum et la jeune comédienne Judy Garland feraient bon ménage, il convainquit le studio MGM de se lancer dans l’aventure. La major au logo rugissant cherchait justement à surfer sur le succès du Blanche Neige et les sept nains de Disney sans pour autant se soumettre aux complications d’un film d’animation. Tout semblait bien parti, mais un gigantesque jeu de chaises musicales s’amorça bientôt, menaçant la bonne fin du projet. Une dizaine de scénaristes se succéda dans la confusion la plus totale pour s’efforcer d’établir un script cohérent, tandis que les réalisateurs se passèrent le relais à la vitesse grand V : Norman Taurog, Richard Thorpe, George Cukor et enfin Victor Fleming.

En termes d’unité artistique, on a connu meilleures conditions, sans compter le remplacement précipité de l’acteur Buddy Ebsen par Jack Haley pour cause d’allergie grave aux produits de maquillage. Judy Garland elle-même, malgré son joli minois, ne semblait pas être le choix le plus logique pour incarner Dorothy. Déguiser une adolescente de seize ans en fillette et comprimer sa poitrine derrière un tablier d’écolière pour dissimuler ses formes aurait pu friser le ridicule. Or, allez savoir pourquoi, la magie opère. Le Magicien d’Oz est un véritable miracle, un émerveillement de tous les instants dont la somptueuse direction artistique ne laisse jamais imaginer le chaos qui présida à son élaboration. Les yeux écarquillés et le cœur léger, nous suivons les pérégrinations de Dorothy, tyrannisée par l’affreuse Miss Gulch, puis emportée avec son chien Toto par une tornade au-delà de l’arc-en-ciel, dans le pays d’Oz où règne un magicien tout-puissant.

« Mais c'est toi, l'épouvantail, qui me manquera le plus… »

Les effets spéciaux d’Arnold Gillespie saturent l’écran de visions inoubliables (la tornade titanesque, la cité d’Emeraude, l’envol des singes volants) et doivent souvent leur efficacité à la simplicité de leur mise en œuvre (comme ce plan-séquence génial qui nous fait basculer du noir et blanc vers la couleur). A ces trouvailles s’ajoutent les superbes maquillages spéciaux de Jack Dawn, qui révolutionne la technique des prothèses en donnant corps aux fameux compagnons de Dorothy (l’épouvantail, l’homme en fer blanc, le lion peureux) ainsi qu’aux 136 comédiens incarnant les Munchkins. Les célèbres dessins de John R. Neil s’animent ainsi dans un flamboyant Technicolor. Hasard des calendriers, Le Magicien d’Oz sortit le 25 août 1939, soit quelques jours avant le déclenchement de la deuxième guerre mondiale. Noyé dans la tourmente, il n’accéda à son statut de classique que plus tard. Et désormais, il fait rêver les spectateurs du monde entier qui n’en finissent plus de le redécouvrir avec la naïveté qui sied aux fontaines de jouvence.

© Gilles Penso

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THE LORDS OF SALEM (2012)

Rob Zombie prend son public à revers en s'intéressant au fameux procès des sorcières de Salem dans une atmosphère lourde et oppressante

THE LORDS OF SALEM

2012 – USA

Réalisé par Rob Zombie

Avec Sheri Moon Zombie, Bruce Davison, Jeff Daniel Philips, Judy Geeson, Meg Foster, Patricia Quinn, Ken Foree, Dee Wallace

THEMA SORCELLERIE ET MAGIE

Le cas Zombie est des plus originaux. Musicien de métal fan de film de genre, propulsé nouveau pape des réalisateurs horrifiques grâce à son premier effort à la frénésie bariolée, La maison des 1000 morts, et surtout par la bombe The Devil’s Rejects, qui lorgnait déjà plus vers le western à la Peckinpah et le naturalisme cru des 70’s, l’ami Rob a rapidement déchanté. Phagocyté par Universal d’abord puis par les frères Weinstein sur ses deux réactualisations d’Halloween, le mercenaire chevelu décide de revenir à un budget moindre, abandonnant ses projets en cours, un remake du Blob et le film de boxe Tyrannosaurus Rex. S’inspirant du fameux procès des sorcières de Salem du XVIIe siècle, The Lords of Salem prend son public potentiel à contrepied. Exit les débordements gore et choquants, le montage cut et le rythme soutenu : à l’image des deux superbes morceaux du Velvet Underground de sa B.O., le film fait le choix culotté du lancinant, de l’ambiant, de l’oblique. Pour le meilleur et pour le pire.

Rien n’est vraiment attendu. Les influences affichées ne sont pas dans l’air du temps, Zombie citant allègrement le Ken Russell du Repaire du Ver Blanc, le John Carpenter de Fog et Prince des ténèbres, le Polanski de Rosemary’s Baby et du Locataire, la Hammer des Vierges de Satan… Le ton est grave, une forme d’inéluctabilité et de désespoir enveloppant doucement le métrage, montant crescendo jusqu’à un final halluciné et élégiaque. La surprise majeure vient du soin apporté aux scènes intimistes (qu’on pouvait entrevoir dans The Devil’s Rejects), le récit s’attardant avec sensibilité sur le couple avorté formé par l’héroïne et son collègue timide et protecteur. Le fan de frissons lambdas en sera pour ses frais : pas de jump scares faisandés, uniquement des visions furtives et des cauchemars psychédéliques à l’ancienne, portés par le score hypnotique de John 5 (ex Marilyn Manson et actuel guitariste de Rob), sachant se faire tour à tour mélancolique et inquiétant, épaulé par Mozart et Bach.

Une série B old school

Mais alors, où le bât blesse-t-il ? Premièrement au niveau scénaristique. Très étrangement, Zombie ne cherche jamais à transcender un postulat de départ rebattu, visiblement plus axé sur l’atmosphère, le sensitif et le visuel. Le récit se perd en intrigues secondaires (le personnage de Bruce Davison, malgré le charisme de l’acteur, paraît placé là artificiellement pour faire avancer l’intrigue), marquant le pas, manquant cruellement d’enjeux et ne trouvant pas d’aboutissement. Le film ne décolle donc jamais vraiment de son statut de série B old school, malgré ses élans lyriques. Ensuite, face aux séquences contemporaines très réussies, les inserts du passé de Salem font pâle figure, flirtant parfois avec le ridicule (un manque de moyens ?). Enfin, on se demande parfois si la pourtant douée Sheri Moon (que son mari, malgré tous ses efforts, ne parvient pas à enlaidir) est taillée pour tenir un rôle principal, quelque peu éclipsée par un très juste et touchant Jeff Daniel Phillips et une terrifiante Meg Foster (dont personne n’a pu oublier le regard perçant depuis Invasion Los Angeles). Rob Zombie pèche donc, au choix, par laxisme ou trop-plein d’ambition. Difficile cette fois de cerner ses véritables intentions, écartelé entre sa position de Messie du bis et d’auteur maudit, risquant de se perdre et de perdre son troupeau avec lui. Il reste que les sorties de route du bonhomme sont mille fois plus passionnantes que celles des autres.

 

© Julien Cassarino

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LES HORIZONS PERDUS (1937)

Frank Capra nous invite à un voyage initiatique et exotique dans une cité perdue qui semble avoir percé le secret de l'immortalité

THE LOST HORIZON

1937 – USA

Réalisé par Frank Capra

Avec Ronald Colman, Jane Wyatt, Edward Everett Horton, John Howard, Thomas Mitchell, Margo, Isabel Jewell, Sam Jaffe 

THEMA EXOTISME FANTASTIQUE

Quels que soient les genres cinématographiques abordés, Frank Capra s’est toujours servi des films comme véhicules de ses prises de position humanistes et utopiques. Avec Les Horizons Perdus, il s’attaquait à l’adaptation d’un roman de James Hilton, délaissant les comédies douces-amères auxquelles il était généralement associé pour se plonger dans une aventure exotique et mystérieuse fortement teintée de fantastique. Alter-ego glamour du cinéaste, Robert Conway (Edward Everett Horton) est un officier britannique chargé de faire évacuer de la ville de Baskul quatre-vingt-dix ressortissants occidentaux. C’est au cœur d’une Chine secouée par la révolution que s’ouvre donc le film, en un prologue frénétique situé en mars 1935, empli de cris et de fureur et scandé par une partition tonitruante de Dimitri Tiomkin. Le dernier avion fuyant la foule paniquée et les incendies à répétition embarque Conway et quatre passagers : Lovett, un paléontologue tout fier d’avoir découvert une vertèbre de mégathérium, Gloria Stone, une jeune femme aigrie et condamnée par la médecine, Charmers Bryant, un industriel ruiné, et George, le frère impulsif et fougueux de Conway. Bientôt, nos cinq passagers découvrent qu’un mystérieux Chinois a pris les commandes de l’avion.

A l’issue d’un voyage interminable et fort oppressant au-dessus du désert et des montagnes, l’avion finit par s’écraser dans la neige. Tous s’en sortent à l’exception du pilote clandestin. Le mystère reste donc entier. Et lorsque des autochtones secourent nos naufragés pour leur proposer le refuge de leur lamaserie, chacun finit par se demander si tout ceci n’était pas prévu d’avance. Au sein du vénérable palais de Shangri-La érigé à 3000 pieds au-dessus de la vallée, Conway et ses compagnons découvrent une véritable oasis à l’abri de l’hiver et des tempêtes grâce aux montagnes qui le protègent. Ayant rejeté tout modernisme et tous modes de communications, le lieu est entouré de mystère. Les gens y vivent à l’abri du crime, de l’avarice et de la jalousie, car le manque est une notion qui leur est étrangère. L’argent non plus n’a pas droit de cité, le troc étant en vigueur et la vallée regorgeant d’or.

Atemporel et pacifiste

On retrouve là les élans idéalistes du réalisateur de la Vie est Belle, décrivant un monde heureux, loin d’une civilisation frénétique vouée à l’autodestruction où l’on se « tue au travail » et où l’on « meurt de chagrin ». La camarde semble d’ailleurs ne jamais pénétrer l’enceinte de Shangri-La, comme si ses habitants avaient percé le secret de l’immortalité. C’est en tout cas ce que laisse imaginer à nos héros le grand lama, un ancien prêtre belge nommé Perrault qui aurait fondé cette communauté en 1713… Séduit par la philosophie locale et amoureux de la belle et mystérieuse Sondra, Conway est tenté de finir ses jours dans ce monde féerique. Mais y aurait-il vraiment sa place ? N’a-t-il pas un rôle à jouer dans son propre monde ? C’est sur ce dilemme que s’articule la dernière partie des Horizons Perdus, un film décidément atemporel dont le message pacifiste est d’autant plus fort qu’il sortit sur les écrans deux ans avant la seconde guerre mondiale.

 

© Gilles Penso

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NE TE RETOURNE PAS (2009)

Un film troublant au concept fou dans lequel Sophie Marceau se transforme progressivement en Monica Bellucci

NE TE RETOURNE PAS

2009 – FRANCE

Réalisé par Marina de Van

Avec Sophie Marceau, Monica Bellucci, Thierry Neuvic, Andrea di Stefano, Brigitte Catillon, Vittoria Meneganti, Thaïs Fischer 

THEMA DOUBLES

Quelque part entre Roman Polanski et David Lynch, mais avec une sensibilité toute personnelle, Marina de Van raconte à travers Ne te retourne pas le récit torturé d’une détresse féminine virant au cauchemar. Sept ans après son premier long-métrage Dans ma peau, l’actrice/réalisatrice récidive autour de la thématique de la perte d’identité et de la fuite de repères qui marquent la fragile frontière entre raison et folie. La présence en tête d’affiche de Sophie Marceau et Monica Bellucci a fait frémir tous les tabloïds durant le 62ème festival de Cannes où le film fut présenté en compétition officielle. Mais Ne te retourne pas n’a rien de glamour, pas plus qu’il ne capitalise sur la popularité ou la beauté iconique de ses deux stars. Le film est dérangeant, difficile d’approche et profondément singulier. L’ex-James Bond girl du Monde ne suffit pas incarne Jeanne, une mère de famille épanouie qui travaille comme biographe et décide un beau jour de se lancer dans un roman autobiographique. Son premier jet n’est pas du goût de son éditeur, qui n’y trouve aucun intérêt littéraire. Or, chez Jeanne, l’initiative de ce livre a des répercussions plus complexes, comme si elle remuait des souvenirs enfouis depuis longtemps dans son inconscient. Une série de détails insolites parsèment dès lors son quotidien : l’aménagement de son appartement semble se modifier peu à peu, sa propre apparence s’altère progressivement, tout comme celle de son époux (Andrea di Stefano) et de ses deux enfants…

Épaulée par les incroyables effets visuels de l’équipe de Mikros Image, la réalisatrice met dès lors en image l’impensable : la métamorphose insidieuse d’une comédienne en une autre, en l’occurrence de Sophie Marceau en Monica Bellucci. La performance technique est indéniable (fruit de dix mois de travail au sein d’une équipe d’infographistes fébriles), même si le résultat visuel de certaines étapes intermédiaires laisse perplexe (un œil plus gros que l’autre, un visage bizarrement asymétrique), mais c’est surtout la difformité passagère des étapes transitoires qui surprend le plus. Et c’est là que Marina de Van fait preuve de génie, détournant l’image populaire de ses comédiennes pour relativiser la notion même de beauté. Car en juxtaposant l’harmonie de ces deux visages gracieux, elle frôle la monstruosité, prouvant bien à quel point le « beau » est subjectif et surtout le résultat de mille nuances. L’une des références picturales de Marina de Van semble d’ailleurs avoir été l’œuvre disloquée et paroxystique du peintre Francis Bacon.

Une femme peut en cacher une autre

La Française Sophie devient donc l’Italienne Monica, et le seul moyen pour l’héroïne de ne pas s’abandonner définitivement à la démence est d’aller trouver la clef du mystère, quelque part au fin fond d’un village italien. Car il y a une explication, une raison rationnelle qui rend plausible cet argument purement fantastique et permet en fin de compte de réinterpréter tous les événements du film avec une nouvelle grille de lecture. Bref, voilà un essai passionnant, certes non exempt de pertes de rythme et parfois embarrassé des inévitables minauderies de Sophie Marceau, mais qui se paie le luxe de l’originalité folle tout en s’en offrant les moyens techniques.

 

© Gilles Penso

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LES POUPÉES DU DIABLE (1936)

Un bagnard évadé utilise des êtres humains miniaturisés pour commettre des forfaits et assouvir sa soif de vengeance

THE DEVIL-DOLL

1936 – USA

Réalisé par Tod Browning

Avec Lionel Barrymore, Maureen O’Sullivan, Frank Lawton, Rafaela Ottiano, Robert Greig, Lucy Beaumont, Henry B. Walthall 

THEMA NAINS ET GEANTS

Pour son avant-dernier long-métrage, le génial réalisateur de DraculaFreaks et La Marque du vampire a puisé son inspiration dans le roman « Brûle Sorcière Brûle ! » écrit en 1932 par Abraham Merritt. Comme toujours, Tod Browning s’intéresse ici à l’aspect ambigu de la monstruosité et fait démarrer son film sur des chapeaux de roues. Deux prisonniers s’évadent d’un bagne en pleine nuit et évoquent leurs projets respectifs. Tandis que le premier, un chimiste prénommé Marcel, affirme en guise de réhabilitation « je veux aider le monde à vivre », le second, un ancien banquier du nom de Paul Lavond, lui rétorque aussitôt : « Je veux aider trois hommes à mourir ! » Ses trois associés ont en effet comploté pour le faire accuser d’escroquerie et de meurtre.

Après avoir croupi pendant dix-sept ans entre quatre murs, Lavond rumine sa vengeance, et Marcel l’accueille chez lui pour la nuit. Là, l’ex-banquier découvre les expériences étranges du vieux scientifique. En guise de projet humanitaire, Marcel et sa femme Marita ont trouvé le moyen de rétrécir les êtres vivants au sixième de leur taille, afin qu’il y ait assez de nourriture pour tout le monde sur Terre. « J’ai réussi à réduire tous les atomes d’un corps sans interrompre la vie ! » s’enthousiasme le chimiste, expérimentant la miniaturisation sur des chiens puis sur sa servante Lachna. Seul petit problème : pour l’instant, les cobayes n’ont pas de fonctionnement cervical normal, et ne peuvent donc qu’obéir à une volonté extérieure. Lavond s’offusque quelque peu de ces expériences contre-nature, mais lorsque Marcel meurt, terrassé par une crise cardiaque, et que son épouse décide d’aller à Paris pour poursuivre son œuvre, l’ex-banquier voit là une occasion inespérée de se venger enfin. Se faisant passer pour une vieille fabricante de jouets artisanaux répondant au doux nom de Madame Mandilip, il utilise des humains miniaturisés pour attaquer ceux qui le firent condamner…

Des séquences follement surréalistes

Fort de ce scénario tout à fait démentiel, Les Poupées du Diable se pare d’un casting de choix, avec en tête Lionel Barrymore, surprenant en travesti vengeur, la toute belle Maureen O’Sullivan, devenue star depuis Tarzan l’homme-singe, et Rafaela Ottiano, inquiétante dans le rôle d’une Marita à la mèche blanche, à la démarche claudicante et au regard fou. Mais le film de Browning étonne surtout par l’extraordinaire qualité de ses effets spéciaux, portés aux nues dans cette séquence folle où une jeune femme miniature s’anime dans les bras d’une petite fille endormie, s’échappe de son lit, évolue dans sa chambre, grimpe jusqu’à un tiroir pour voler des bijoux, puis escalade le lit d’un banquier pour le poignarder avec une dague minuscule. Les caches, les incrustations et les décors surdimensionnés y sont remarquables. Les Poupées du Diable regorge de scènes surréalistes du même acabit, comme le cheval rétréci qui gambade sur un bureau, le couple miniature qui danse sur une table emplie de jouets, ou encore l’homme minuscule qui gravit un sapin de Noël. Cette œuvre d’exception s’assortit de surcroît d’une belle partition de Franz Waxman et d’un dénouement étrangement émouvant.

© Gilles Penso

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SPIDERS 3D (2013)

Des araignées mutantes et géantes grouillent dans les couloirs du métro puis sèment la panique en pleine ville

SPIDERS 3D

2013 – USA

Réalisé par Tibor Takacs

Avec Patrick Muldoon, Christa Campbell, William Hope, Shelly Varod, Christian Contreras, Jon Mack, Atanas Srebrev 

THEMA ARAIGNEES

L’histoire d’amour qui lie Tibor Takacs aux monstres n’est plus à prouver, et l’on ne finirait plus de citer tous les films que ce cinéaste prolifique consacra aux démons miniatures, aux robots tueurs, aux envahisseurs extraterrestres, aux rats agressifs, aux hommes-insectes, aux pieuvres monstrueuses ou aux serpents surdimensionnés. Les araignées géantes figuraient déjà à son tableau de chasse, via le dispensable Ice Spiders, mais il faut croire que les arthropodes titillent notre homme, puisqu’il les retrouve à l’occasion de ce Spiders aux ambitions revues à la hausse. Autre point commun entre les deux films : le comédien Patrick Muldoon, qui campait dans Ice Spiders un ancien champion de ski et incarne ici l’un des responsables du trafic des métros new-yorkais, aux premières loges du drame qui couve. Car des araignées mutantes confinées dans une station spatiale en orbite autour de la Terre s’écrasent bientôtt sur le plancher des vaches… Ou plutôt sous le plancher des vaches, puisqu’elles errent parmi les débris de leur station déchue dans les souterrains du métro. L’alerte est donnée par les hordes de rats qui, soudain, fuient les tunnels au beau milieu des usagers terrifiés. Les bestioles qui donnent leur titre au film mesurent d’abord la taille d’un chien, puis atteignent celle d’un cheval, avant que ne se révèle une reine mère grande comme King Kong, monstre principal d’un climax mouvementé lui donnant généreusement la vedette.

Bien mieux troussés que ceux d’Ice Spiders, les effets visuels se parent ici de l’atout de la stéréoscopie et nous offrent quelques séquences fort distrayantes : l’affrontement entre un détachement militaire et les créatures à huit pattes dans les rues nocturnes de New York, la traque d’une fillette par les monstres dans un magasin de jouets abandonné, ou encore l’assaut final de la reine des araignées contre une rame de métro. Les créatures elles-mêmes bénéficient d’un design original conçu pour accentuer la répulsion que les arachnides inspirent naturellement aux hommes : un corps mi-écailleux mi-velu, de longues mandibules acérées et un faciès grimaçant arborant une gueule garnie de dents pointues. Chaque apparition des vilaines bêtes procure donc son petit lot de frissons. Hélas, en matière de scénario, Takacs et ses co-auteurs n’assurent que le service minimum et ne reculent devant aucune incohérence.

Des écailles, des poils et un faciès grimaçant

La nature même des monstres laisse rêveur, leur création par des savants russes en pleine guerre froide ayant été motivée par l’obtention d’une toile d’araignée à la solidité remarquable (le même prétexte grotesque étayait déjà le scénario anémique d’Ice Spiders). Côté péripéties, le dépouillement est également de mise, le héros et son ex-femme passant leur temps à arpenter les artères désertées de New York (toujours les mêmes rues, filmées sous tous les angles possibles) pour retrouver leur fille mise en quarantaine, tandis que les araignées grossissent à vue d’œil en rampant un peu partout. Basique, certes, mais à côté du redoutable L’Invasion des Araignées Géantes qui reposait sur un principe voisin, ce Spiders 3D ferait presque figure de chef d’œuvre. Belle démonstration des lois de la relativité.
 

© Gilles Penso

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