PRINCE OF PERSIA, LES SABLES DU TEMPS (2010)

L'adaptation sans saveur d'un jeu vidéo très populaire, malgré la présence charismatique de Jake Gyllenhaal

PRINCE OF PERSIA : SANDS OF TIME

2010 – USA

Réalisé par Mike Newell

Avec Jake Gyllenhaal, Gemma Arterton, Ben Kingsley, Alfred Molina, Steve Toussaint, Toby Kebbell, Richard Coyle

THEMA MILLE ET UNE NUITS

Prince of Persia est un bon exemple de la politique générale des studios hollywoodiens, bien plus portés sur l’exploitation de franchises et de marques que sur la valorisation de sujets nouveaux et originaux. La source d’inspiration provient ici d’une série de jeux vidéo très populaires (créés à partir de 1989 par Jordan Mechner), et l’on sent bien que Jerry Bruckheimer et le studio Disney tentent de reproduire le succès de la trilogie Pirates des Caraïbes. La plupart des ingrédients idoines ont été minutieusement réunis : un cadre exotique propice à l’aventure, une légende au caractère ouvertement fantastique, un héros sympathique et décalé, une héroïne qui allie la beauté à la force de caractère, un antagoniste machiavélique jusqu’à la caricature, des faire-valoir blagueurs, des combats, des poursuites… Bref, c’est un véritable catalogue auquel manque hélas l’essentiel : la personnalité et la vision d’un artiste. Car Mike Newell, réalisateur touche à tout au parcours pour le moins éclectique (La Malédiction de la vallée des rois, Quatre mariages et un enterrement, Harry Potter et la coupe de feu) se contente ici de satisfaire les exigences formatées de son tout puissant producteur sans imprimer au métrage le moindre caractère.

Dans un total contre-emploi, Jake Gyllenhaal (Jarhead, Le Jour d’après) incarne Dastan, un prince rebelle contraint d’unir ses forces avec la belle princesse Tamina (Gemma Arterton, Le Choc des Titans) pour protéger une dague antique capable de libérer les sables du temps et d’inverser le cours des événements. Voilà pour l’argument narratif, qui se contente d’aligner bon nombre de clichés en cherchant au passage à reproduire plusieurs motifs du Seigneur des Anneaux. Comment interpréter autrement cette quête qui consiste à ramener l’objet magique dans son berceau originel pour qu’il ne tombe pas entre de mauvaises mains, ou l’intervention de ces chevaliers noirs (les « Hassansins ») aux pouvoirs maléfiques et aux allures de Nazguls ?

Une aventure qui manque singulièrement de magie

L’imagerie du Aladdin de Disney semble également inspirer le film (notamment lors des premières courses-poursuites acrobatiques sur les toits de la ville), ce qui semble logiquement marquer une sorte de retour aux sources. Mais on aurait justement aimé que ce Prince of Persia se laisse plus volontiers imprégner de la magie des contes des Mille et Une Nuits, riches en créatures féeriques et en prodiges surnaturels. Or nous sommes bien loin du Voleur de Bagdad ou du 7ème voyage de Sinbad, Brukheimer et ses scénaristes traitant l’argument fantastique avec désinvolture pour mieux se concentrer sur des séquences d’action répétitives (au cours desquelles Newell abuse jusqu’à l’indigestion des altérations de cadence de prise de vue façon Matrix) et sur une romance en papier mâché. Certes, Gemma Arterton est une délicieuse princesse déchue, mais sa beauté exotique ne suffit pas à rendre consistant son personnage archétypal, pas plus que les sourires cabotins de Jake Gyllenhaal et sa musculature fraîchement acquise n’en font un héros épique digne de ce nom.

© Gilles Penso

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INFECTÉS (2010)

Un road movie intimiste sur fond d'une pandémie planétaire qui décime peu à peu toute la population…

CARRIERS

2010 – USA

Réalisé par David et Alex Pastor

Avec Lou Taylor Puci, Chris Pine, Piper Perabo, Emily VanCamp, Christopher Meloni, Kiernan Shipka, Ron McClary, Mark Moses

THEMA CATASTROPHES I MUTATIONS

Depuis le choc que Danny Boyle nous asséna avec 28 jours plus tard, les contaminés n’en finissent plus d’envahir les écrans. Mais Infectés se démarque de cette cohorte contagieuse par la teneur de son propos et sa tonalité générale. Au lieu d’opter pour la surenchère, Alex et David Pastor, qui réalisent là leur premier long-métrage, évacuent toute référence à George Romero et Richard Matheson pour nous offrir un « road movie post-apocalyptique intimiste ». Les duettistes ont tout de même une influence cinématographique apparente : Mad Max 2 auquel ils rendent hommage dès les premières minutes par l’entremise du tag « The Road Warrior » ornant fièrement le capot de la voiture des héros.

Lorsqu’Infectés commence, un virus mortel s’est déjà installé partout. L’intrigue se centre donc sans préambule sur deux jeunes couples taillant la route en quête d’essence, de nourriture et d’un éden hypothétique. Chris Pine et Lou Taylor Pucci incarnent Brian et Danny, deux frères extrêmement dissemblables mais liés par une forte complicité, comme en témoignent ces extraits de films super 8 évoquant furtivement une enfance heureuse et désinvolte. Leurs compagnes d’infortune sont interprétées par Piper Perabo et Emily VanCamp, deux filles de générations et de caractères divergents, dont la personnalité va progressivement s’affirmer face à l’adversité. C’est sur une plage du golfe du Mexique, celle où Brian et Danny vécurent leurs vacances insouciantes, que les quatre jeunes gens comptent couler des jours paisibles en attendant une éradication présumée du fléau. Leur route sera semée de rencontres imprévues et de choix qui risquent de les marquer à tout jamais.

La monstruosité des survivants

Aucun monstre ne vient hanter Infectés, les gens frappés par le virus n’étant que de tristes victimes condamnées à se décomposer lentement dans d’atroces souffrances. Le schéma habituel du film de zombies n’est donc pas de mise. La monstruosité est pourtant omniprésente dans le métrage, à travers le comportement qu’adoptent les survivants – souvent à contrecœur – dans l’espoir souvent vain d’attiser le plus longtemps possible l’étincelle de leur sinistre existence. Voilà toute la richesse et la complexité de cette remarquable première œuvre, qui s’affirme comme un véritable coup de maître. Dans Infectés, la menace réside en chacun de nous, non sous forme d’une mutation ou d’une métamorphose incontrôlable, mais via un instinct de survie bafouant allégrement tout code moral. La culpabilité, l’hypocrisie, l’égoïsme, le sens du sacrifice, les crises de conscience sont au cœur d’un récit désespérément universel. Pourtant, Infectés ne se complaît pas dans la noirceur ou le misérabilisme. La dynamique du « road movie » insuffle au métrage une énergie positive qui ne le prive jamais de ses vertus divertissantes. Les kilomètres défilent donc à travers le désert, tandis que l’innocence des protagonistes s’estompe et que leurs liens s’étiolent. Infectés est aussi le portrait désenchanté d’un couple fraternel partagé entre la connivence et les discordances, le réalisme de leurs relations ayant probablement été alimenté par les souvenirs communs des deux réalisateurs.

 

© Gilles Penso

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FREDDY, LES GRIFFES DE LA NUIT (2010)

Quelques bonnes idées mais un résultat globalement décevant pour ce remake parfaitement facultatif

A NIGHTMARE ON ELM STREET

2010 – USA

Réalisé par Samuel Beyer

Avec Jackie Earle Haley, Kyle Gallner, Rooney Mara, Katie Cassidy, Thomas Dekker, Kellan Lutz, Clancy Brown

THEMA TUEURS I RÊVES I SAGA FREDDY KRUEGER

L’initiative d’un remake des Griffes de la nuit pouvait sembler incongrue, mais après les excellentes relectures de La Colline a des yeux par Alexandre Aja et La Dernière maison sur la gauche par Denis Illiadis, la renaissance d’un autre classique de Wes Craven pouvait s’avérer prometteuse. L’idée d’une préquelle effleura un moment les producteurs du film (Michael Bay, Andrew Form et Brad Fuller), jusqu’à ce qu’ils ne se rabattent sur un remake plus traditionnel reprenant dans les grandes lignes la trame et les personnages des Griffes de la nuit. Nous sommes dans la ville de Springwood, et plusieurs adolescents sont en proie à des rêves sinistres dans lesquels sévit un grand brûlé armé de griffes acérées. Lorsque l’un de ces lycéens tourmentés meurt égorgé dans son sommeil, la panique s’empare du voisinage. Ce n’est évidemment que le premier d’une sanglante série. Nancy Holbrook (Rooney Mara) décide de mener sa propre enquête, persuadée que sa mère en sait bien plus que ce qu’elle n’ose dire…

Les fans inconditionnels de Robert Englund risquent fort d’être déconcertés par le nouveau look du croquemitaine. Désormais incarné par Jackie Earle Haley (mémorable sous le masque de Rorschach dans Watchmen), il arbore un faciès moins grimaçant et plus proche de l’aspect d’un homme gravement brûlé, sous les bons auspices du maquilleur Andrew Clement (le Star Trek de J.J. Abrams, la série Fringe). Cette approche « médicalement crédible » se défend, mais fait perdre au personnage une grande partie de son expressivité et de son caractère iconique. Mais c’est probablement l’histoire du tueur elle-même qui fera déchanter la plupart des spectateurs. Oublié le tueur d’enfants né de l’union contre-nature d’une infirmière avec une centaine de malades mentaux dans une institution psychiatrique. Ce Freddy là est l’ancien jardinier d’une école maternelle, pédophile à ses heures, ayant subi le courroux de parents révoltés. Une fois de plus, cette quête de réalisme, pas inintéressante en soi, finit par banaliser le monstre. Sans aller jusqu’aux délires des derniers épisodes de la saga, ces nouvelles Griffes de la nuit auraient sans doute mérité un peu plus d’audace et de panache.

L'héritage de la culpabilité

Mais le film de Samuel Beyer (spécialisé jusqu’alors dans la pub et les clips) n’a rien d’honteux. Les séquences de suspense fonctionnent à merveille, les cauchemars et les morts brutales qui en découlent sont mis en scène avec efficacité, et le script sait préserver les thèmes majeurs développés dans le film original : les adolescents héritant du mensonge et de la culpabilité de leurs parents, l’accès via le rêve à d’autres niveaux de conscience, les conséquences comportementales d’une privation prolongée de sommeil… En outre, les scénaristes apportent un élément narratif nouveau : les micro-siestes, qui frappent les protagonistes sans préavis et qui érodent les frontières entre le rêve et la réalité. Bref, si cette relecture n’a rien de bien révolutionnaire, elle n’entache pas spécialement le mythe créé par Wes Craven, surtout en regard des nombreuses séquelles dont furent affublées Les Griffes de la nuit depuis le milieu des années 80.

 

© Gilles Penso

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FREDDY SORT DE LA NUIT (1994)

Déçu de voir son croquemitaine se transformer peu à peu en clown caricatural, Wes Craven décide de reprendre en main la franchise Freddy Krueger

WES CRAVEN’S NEW NIGHTMARE

1994 – USA

Réalisé par Wes Craven

Avec Heather Langenkamp, Robert Englund, Miko Hughes, Wes Craven, John Saxon, Robert Shaye

THEMA TUEURS I RÊVES I SAGA FREDDY KRUEGER WES CRAVEN

Dix ans après la naissance de Freddy Krueger, Wes Craven décide de le ressusciter lui-même en mettant en scène cette suite au titre éloquent : Wes Craven’s New Nightmare. Le résultat s’avère déroutant, car, plus qu’une séquelle, il s’agit d’une relecture du mythe sur un autre niveau. « Peut-être la plupart des gens n’ont-ils vu dans Les Griffes de la nuit qu’un simple film d’horreur mettant en scène une fille qui refuse de dormir ! », avoue le réalisateur « Toujours est-il que Freddy Krueger, que j’ai conçu comme un symbole de nos différents niveaux de conscience, s’est transformé au fil des films en simple croquemitaine anonyme. Voilà pourquoi j’ai tenu à réaliser le dernier film de la série, afin de revenir à l’idée originale. » (1) Ici, Heather Langenkamp, Robert Englund, John Saxon et Craven lui-même jouent leur propre rôle, au fil d’un exercice de mise en abîme assez audacieux. En effet, par une contorsion vertigineuse du scénario, les personnages y vivent des événements qui sont censés déjà avoir été rédigés dans un script.

Ainsi, lorsque le film commence, nous apprenons que Freddy est mort une bonne fois pour toutes. C’est en tout cas ce que pensent les acteurs, l’auteur et le producteur de cette série à succès. Pour l’actrice Heather Langenkamp, Les Griffes de la nuit ne représente plus qu’un souvenir, jusqu’à ce que cauchemars et phénomènes paranormaux ne troublent sa vie quotidienne. Robert Englund, interprète de Freddy, lui parle de l’intention des producteurs de tourner un nouvel épisode que Wes Craven serait en train d’écrire. Or elle apprend que le réalisateur refait lui aussi des cauchemars, comme si Freddy était en train de s’insinuer dans la réalité de ses créateurs. Le film s’amuse ainsi avec l’icône qu’est devenue le croquemitaine, véritable partie intégrante de la culture populaire depuis le milieu des années 80. « Tous les enfants savent qui est Freddy », déclare Heather Langenkamp au cours du film. « Il est comme le Père Noël… ou comme King Kong ».

« Il est comme le Père Noël… ou comme King Kong »

Si le miracle des Griffes de la nuit n’est pas réitéré, force nous est de constater que ce nouveau cauchemar surpasse sans trop de difficultés les cinq précédents. Cette supériorité s’explique par une approche nouvelle du concept, conçue un peu comme une revanche à l’encontre d’une franchise ayant échappé à son instigateur. Ici, Craven nous affirme clairement que tout ce que nous avions vu jusqu’à présent n’était que de la fiction, et que la réalité est bien pire. Et de fait, les crises de Dylan, le fils de l’héroïne, s’avèrent plus terrifiantes que tous les cauchemars des épisodes précédents. Quant à Freddy, maquillé par son créateur David Miller, il bénéficie d’un nouveau look, avec un visage s’éloignant du design de Kevin Yagher et des griffes greffées à une main squelettique. Aux côtés d’Heather Langenkamp, il revisite à sa manière le motif de la Belle et la Bête. « Je crois profondément que les contraires s’attirent, et que le pouvoir de la Bête est complémentaire de celui de la Belle », nous dit la comédienne à ce propos. « Malgré les apparences, ils sont parfaitement assortis. C’est le cas de Freddy et Nancy. Il a le pouvoir de l’effrayer, mais elle a le pouvoir d’affronter ses propres peurs. Wes Craven insistait beaucoup sur cette notion. Selon lui, notre plus grande force était de pouvoir faire face aux événements et à l’adversité. Si l’on s’enfuit, on a perdu. Face à la Bête, la Belle doit s’affirmer et faire front. » (2) Même si le discours « méta » de Wes Craven peut sembler prétentieux et quelque peu réactionnaire, il est difficile de ne pas partager son constat amer sur la destruction d’un mythe passionnant pour de banales raisons commerciales.

 

(1) Propos recueillis par votre serviteur en octobre 2005

(2) Propos recueillis par votre serviteur en juin 2019

 

© Gilles Penso

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FREDDY 5 : L’ENFANT DU CAUCHEMAR (1989)

Un cinquième épisode plus sombre que le précédent dans lequel Freddy s'apprête à devenir papa d'un joli bébé monstre !

A NIGHTMARE ON ELM STREET 5 – THE DREAM CHILD

1989 – USA

Réalisé par Stephen Hopkins

Avec Robert Englund, Lisa Wilcox, Erika Anderson, Valorie Armstrong, Michael Ashton, Beatrice Boepple

THEMA TUEURS I RÊVES I SAGA FREDDY KRUEGER

Même si elles ne présentent généralement pas beaucoup plus d’intérêt narratif que celles de Vendredi 13 ou de La Nuit des masques, les séquelles des Griffes de la nuit auront au moins eu deux mérites indiscutables. Le premier est d’avoir servi de starting-block à plusieurs metteurs en scène talentueux ayant pu par la suite diriger de réjouissants blockbusters. Ainsi, après Jack Sholder (Hidden), Chuck Russell (The Mask) et Renny Harlin (Die Hard 2), c’est au tour de Stephen Hopkins, futur réalisateur de Predator 2, de s’attaquer au mythe Freddy Krueger. Le second mérite de la saga d’Elm Street est d’avoir donné libre cours à l’imagination de nombreux créateurs d’effets spéciaux, leurs performances représentant l’intérêt majeur de ces films au cours desquels, avouons-le, on s’ennuie ferme entre deux scènes de cauchemar. Freddy 5 : l’Enfant du Cauchemar se situe juste après Le Cauchemar de Freddy, dont il reprend la protagoniste principale Alice Johnson (Lisa Wilcox).

Ce cinquième opus se veut plus sérieux, voire gothique, en imaginant que le tueur au pull rayé cherche à hanter les rêves du bébé qui sommeille dans le ventre de la jeune fille. Ses projets consistent à renaître dans le monde des vivants à travers ce futur nouveau-né. Pour empêcher la concrétisation d’une telle aberration – qui nous vaut le slogan « enfin papa ! » sur l’affiche du film – une seule personne semble requise : la propre mère de Freddy. Hélas, celle-ci a passé l’arme à gauche depuis belle lurette. La vérité sur la naissance de ce psychopathe griffu nous est alors révélée dans toute sa folie : Freddy est le fruit du viol collectif d’une infirmière par une centaine de malades mentaux dans une institution psychiatrique !

« Enfin papa ! »

Pour donner corps au scénario de Leslie Bohem (futur auteur des peu glorieux Daylight et Le Pic de Dante), une impressionnante armada de maquilleurs, de maquettistes, d’animateurs et d’artistes divers concocte des séquences d’effets spéciaux une fois de plus excessives, pour que les téléspectateurs familiers avec Les Cauchemars de Freddy (extension télévisée de la saga amorcée en 1988) puissent bénéficier sur grand écran d’un spectacle bien plus impressionnant. Les cauchemars rivalisent donc d’outrance : jeune homme fusionnant avec sa moto pour se muer en créature bio-mécanique, fan de comic book propulsé dans une bande dessinée grandeur nature, adolescente boulimique dont le visage enfle démesurément, décor vertigineux orné d’escaliers sens dessus dessous à la MC Escher, fœtus qui arbore le visage grimaçant de Freddy… Fait original : ici, chaque cauchemar est pris en charge par une compagnie d’effets spéciaux distincte, comme s’il s’agissait de petits films autonomes. Or c’est justement là que le bât blesse. En juxtaposant les idées et les visions originales au lieu de les harmoniser au sein d’une structure narrative digne de ce nom, Freddy 5 préfère l’accumulation à la construction et ne parvient donc jamais à captiver, son rythme global s’avérant souvent défaillant et chaotique. Sans doute les délais impossibles imposés à Hopkins – quatre semaines de tournage et quatre semaines de montage – sont-ils en partie responsable d’un résultat si bancal.

 

© Gilles Penso  

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LE CAUCHEMAR DE FREDDY (1988)

Le futur réalisateur de 58 minutes pour vivre ne fait pas dans la dentelle avec ce quatrième épisode excessif

A NIGHTMARE ON ELM STREET PART 4 – THE DREAM MASTER

1988 – USA

Réalisé par Renny Harlin

Avec Robert Englund, Lisa Wilcox, Andras Jones, Danny Hassel, Rodney Eastman, Tuesady Knight, Ken Sagoes

THEMA TUEURS I RÊVES I SAGA FREDDY KRUEGER

Deux ans avant de réaliser 58 minutes pour vivre, Renny Harlin contribuait à la saga du tueur au chapeau mou et aux griffes acérées avec Le Cauchemar de Freddy. Le cinéaste finlandais, alors signataire du modeste film d’horreur Prison, marque fortement cet épisode de son influence et de son style. Ainsi Le Cauchemar de Freddy est-il probablement l’opus le plus décontracté et le plus outrancier de la série, à des encablures du concept imaginé originellement par Wes Craven. Ce dernier avait d’ailleurs envisagé dans un premier temps de participer au film, comme pour Freddy 3, en développant l’idée un peu folle de rêves permettant de voyager dans le temps, histoire de varier un peu les plaisirs et de faire évoluer la franchise. Mais le producteur Robert Shaye, prudent, préféra ne pas désarçonner le public acquis à sa cause en lui proposant un scénario plus routinier et moins révolutionnaire. Exit donc Wes Craven et son co-auteur Bruce Wagner, place à un script de Brian Helgeland (futur réalisateur de Payback) et des frères Ken et Jim Wheat (qui allaient plus tard écrire La Mouche 2 et Pitch Black).

La jeune Kristen Parker (Tuesady Knight) est persuadée que Freddy Krueger n’a toujours pas été détruit. On ne saurait lui donner tort, et le croquemitaine revient une nouvelle fois d’entre les morts, grâce à l’urine enflammée d’un chien se soulageant sur sa tombe ! La finesse, on peut le constater, n’est pas le maître mot du Cauchemar de Freddy, qui semble vouloir pousser très loin la surenchère, quitte à basculer dans le grotesque dès que l’occasion se présente. Fringuant et jamais avare en calembours bas de gamme, Freddy veut désormais hacher menu Kristen ainsi que les trois derniers enfants d’Elm Street qui ont encore échappé à ses griffes. Kristen trépasse bientôt sous ses assauts oniriques, non sans avoir au préalable transmis ses pouvoirs surnaturels à sa camarade de classe Alice Johnson (Lisa Wilcox). Cette dernière devient alors la cible n°1 de ce bon vieux Freddy…

Une armada d'hommes d'effets spéciaux

Les idées visuelles ne manquent certes pas, et c’est encore une fois du côté de l’exubérance des rêves qu’il faut chercher l’intérêt du film, du visage pétrifié d’une victime coincée dans un water-bed à l’attaque improbable de carcasses de voitures dans une gigantesque casse automobile en passant par Lisa happée par un écran de cinéma, le visage terrifié au milieu d’une pizza géante dont Freddy se délecte ou encore la jeune fille transformée en insecte. Une véritable armada d’hommes d’effets spéciaux se bouscule d’ailleurs au générique, notamment Kevin Yagher (fidèle à la saga depuis La Revanche de Freddy), Howard Berger (Evil Dead 2), John Buechler (Re-Animator), Screaming Mad George (Society) et Steve Johnson (Les Aventures de Jack Burton). D’où un climax riche en maquillages inventifs et en trucages élaborés au cours duquel Freddy est détruit par toutes les âmes qu’il a corrompues et qui surgissent de son propre corps pour l’entraîner en Enfer. Ce train fantôme décérébré mais sympathique au douzième degré remporta la coquette somme de 49 millions de dollars, soit près de quatre fois sa mise. De nouveaux épisodes étaient donc inévitables…

 

© Gilles Penso

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FREDDY 3 : LES GRIFFES DU CAUCHEMAR (1987)

Heather Langenkamp revient dans ce troisième épisode inventif qui met en scène une armée de « guerriers des rêves »

A NIGHTMARE ON ELM STREET PART 3 – DREAM WARRIORS

1987 – USA

Réalisé par Chuck Russell

Avec Heather Langenkamp, Craig Wasson, Patricia Arquette, Robert Englund, Ken Sagoes, John Saxon

THEMA TUEURS I RÊVES I SAGA FREDDY KRUEGER

Après la grosse déception de La Revanche de Freddy, cette seconde séquelle relève le niveau, même si elle n’arrive pas à la cheville des Griffes de la Nuit, qui avait épuisé toutes les ressources de son génial concept. Wes Craven accepte pourtant de participer à l’écriture du scénario, aux côtés de Chuck Russell, Bruce Wagner et Frank Darabont (futur réalisateur des Evadés et de La Ligne verte). Sept adolescents se rencontrent dans un hôpital psychiatrique. Chacun d’entre eux vit près d’Elm Street et a tenté de se suicider après des cauchemars atroces. Le Dr Neil Goldman (Craig Wasson) est perplexe, et Nancy Thompson (Heather Langenkamp, reprenant son rôle des Griffes de la Nuit) se joint à son équipe. Désormais psychiatre, elle sait que les enfants sont tourmentés par l’esprit de Freddy Krueger, le tueur d’enfants qui fut brûlé vif, toujours avide de prendre sa revanche sur les enfants de ceux qui l’ont tué. Au cours d’un cauchemar, la jeune Kristen réussit à faire intervenir Nancy dans son rêve pour l’aider à fuir Freddy. Après plusieurs morts sanglantes, les adolescents survivants décident d’affronter Freddy tous ensemble, dans le monde des rêves…

L’intrigue de ce Freddy 3 a au moins le mérite de retrouver un peu de la rigueur évacuée dans la séquelle de Jack Sholder : Freddy redevient le croquemitaine qui ne tue que dans les rêves, via une série de séquences oniriques impressionnantes qui – et ce sera le cas pour toutes les séquelles à venir – constituent l’intérêt essentiel du film. Attribuons une mention spéciale à la marionnette à tête d’argile qui, animée image par image, prend les traits de Freddy. Celle-ci coupe les fils qui la retiennent avec ses griffes puis tombe au sol, en une chorégraphie qui annonce le futur travail de David Allen sur la série Puppet Master. Dans la suite de cette séquence, Freddy atteint sa taille humaine et est donc interprété par Robert Englund, sous un maquillage de Kevin Yagher. Il manipule alors le malheureux dormeur comme le ferait un marionnettiste, les artères et les veines de la victime tenant lieu de fils !

Le squelette de Freddy

Doug Beswick, responsable du passage très furtif en animation, se rattrape au cours du final où il anime le squelette de Freddy, au milieu d’un cimetière de voitures. « Cette séquence est évidemment un hommage à Ray Harryhausen, et nous y pensions tout le temps pendant que nous la tournions », nous avoue Beswick. « Chuck Russell est lui aussi un grand fan de Harryhausen. Nous étions donc tous heureux de pouvoir tourner notre propre version du combat du héros contre un squelette à la manière du 7ème voyage de Sinbad. » (1) Le look sinistre du squelette et son animation très soignée sont hélas desservis par des effets visuels ratés. Aux côtés d’Heather Langenkamp et John Saxon, reprenant du service trois ans après Les Griffes de la Nuit, Craig Wasson campe un médecin bien fade en regard des possibilités que nous lui connaissons, surtout depuis son extraordinaire prestation dans le Body Double de Brian de Palma. Au détour du casting, on trouve aussi la jeune Patricia Arquette, pas encore connue du grand public, qui manque de se faire dévorer par Freddy mué en serpent géant phallique !

 

(1) Propos recueillis par votre serviteur en avril 1998

 

© Gilles Penso

LA REVANCHE DE FREDDY (1985)

Jack Sholder réalise une séquelle décevante du classique de Wes Craven en changeant les règles qui régissent les actes sanglants du croquemitaine griffu

A NIGHTMARE ON ELM STREET PART 2 – FREDDY’S REVENGE

1985 – USA

Réalisé par Jack Sholder

Avec Mark Patton, Kim Myers, Robert Englund, Robert Rusler, Clu Gulager, Hope Lange, Marshall Bell, Melinda O. Fee

THEMA TUEURS I RÊVES I SAGA FREDDY KRUEGER

En écrivant et en réalisant Les Griffes de la nuit, Wes Craven n’avait jamais envisagé d’en faire le premier épisode d’une saga, et s’était d’ailleurs prononcé pour un happy end clôturant définitivement le récit. Mais son producteur Robert Shaye entrevoyait déjà la possibilité d’une franchise, et l’incita donc à tourner la fin ambiguë et confuse que nous connaissons. Les possibilités d’une suite étant implantées et les recettes du premier « Freddy » s’étant avérées juteuses, La Revanche de Freddy ne tarda pas à pointer le bout de son nez. Aux commandes de la séquelle, on trouve Jack Sholder, signataire du réjouissant slasher Alone in the Dark avec Donald Pleasence, Jack Pallance et Martin Landau, et futur réalisateur de l’excellent Hidden. Hélas, la présence de Sholder derrière la caméra ne profite guère à ce second opus qui transgresse sans vergogne toutes les règles établies dans le film original, non pour les transcender mais pour muer Freddy Krueger en tueur banal. Le rêve n’est plus son domaine exclusif d’exaction, il apparaît et disparaît au gré de la fantaisie d’un scénario évasif, et meurt en fin de métrage sans raison plausible.

Le protagoniste est ici Jesse Walsh (Mark Patton), un adolescent qui emménage avec sa famille dans l’ancienne maison de Nancy Thompson, à Elm Street. Évidemment, il ne tarde pas à être hanté par d’horribles cauchemars orchestrés par le tueur au pull rayé, au visage brûlé et au gant griffu. C’est Lisa Webber (Kim Meyers), sa voisine et petite amie, qui découvre la vérité sur Freddy Krueger. Or ce dernier se met à posséder le corps de Jesse pour continuer ses crimes sanglants à Springwood… Étrangement, ce second Freddy cultive une imagerie gay que n’aurait pas dénigré un David DeCoteau (la scène des douches est à ce titre assez édifiante), poussant la métaphore jusqu’à retranscrire littéralement l’expression « coming out » par l’entremise d’une métamorphose incroyable qui constitue la meilleure scène du film et – avouons-le – l’un des moments les plus mémorables de la saga toute entière. Grâce à des maquillages inventifs signés Kevin Yagher et à des effets mécaniques conçus par Rick Lazzarini, le tueur d’Elm Street s’extrait du corps de sa malheureuse victime humaine, comme un serpent qui mue, et surgit ainsi dans la réalité.

Le « coming out » de Freddy

Mais à part ce morceau d’anthologie, et une surprenante séquence onirique montrant les déboires d’un autobus scolaire, La Revanche de Freddy fait bien pâle figure. Il faut dire que les problèmes existentiels des jeunes héros (ranger sa chambre, gagner la partie de base-ball, organiser une soirée) ne sont pas de nature à passionner les foules, et que le laxisme avec lequel l’aspect fantastique du film est traité (Freddy est un être surnaturel, donc tout est possible) laisse perplexe. Malheureusement, c’est La Revanche de Freddy qui donnera le ton pour les séquelles à venir, le maquillage grimaçant du croquemitaine revisité ici par Kevin Yagher étant adopté une bonne fois pour toutes, et son tempérament farceur (toujours prompt à lâcher une petite blague stupide ou un jeu de mot douteux) devenant sa ligne de conduite systématique.

 

© Gilles Penso

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LES GRIFFES DE LA NUIT (1984)

Wes Craven s'inspire d'un drame réel pour inventer l'un des croquemitaines les plus mémorables de l'histoire du cinéma

A NIGHTMARE ON ELM STREET

1984 – USA

Réalisé par Wes Craven

Avec Heather Langenkamp, Robert Englund, John Saxon, Ronee Blakely, Amanda Wyss, Johnny Depp, Jsu Garcia

THEMA RÊVES I SAGA FREDDY KRUEGER I WES CRAVEN

Wes Craven a créé un petit événement en lâchant sur les écrans Les Griffes de la nuit. Les spectateurs n’étaient tout simplement pas préparés à un tel choc. Pourtant, le scénario recycle un certain nombre d’éléments connus, en particulier les meurtres de teenagers hérités d’Halloween, le héros contraint de rester éveiller comme dans L’Invasion des profanateurs de sépulture, ou les interactions entre réalité et rêve traitées la même année dans Dreamscape. L’originalité du film réside dans l’agencement savant de ces idées, inspirées initialement d’un fait étrange mais bien réel. « Je me souviens avoir lu une histoire terrible dans le journal », raconte Craven. « Un jeune homme de 22 ans souffrait de cauchemars tellement réalistes qu’il refusait de s’endormir. Il se maintenait éveillé et crachait en douce les somnifères que lui donnaient ses parents. Après quatre ou cinq jours de veille, il a fini par s’endormir et est tombé raide mort au milieu de son sommeil, sans explication » (1). De ce fait divers est née l’idée des Griffes de la nuit.

L’infortuné jeune homme s’est mué en une adolescente américaine, Nancy (Heather Langenkamp), hantée par des cauchemars où elle est traquée par un tueur armé de griffes métalliques. Lorsqu’elle se confie à ses amis, ces derniers avouent être tourmentés par le même rêve. Or chacun d’entre eux va mourir violemment en plein sommeil. Bouleversée, Nancy apprend que le coupable est Freddy Krueger, un assassin de petites filles brûlé vif par des parents vengeurs, qui réapparaît désormais sous la forme d’un démon aux griffes d’acier dans les rêves des jeunes gens du quartier d’Elm Street. S’il réussit à les assassiner pendant leur rêve, les dormeurs meurent pour de bon. Après la mort de ses camarades, Nancy est à son tour pourchassée par le monstre… « Certains philosophes russes ont développé l’idée que plus l’homme est conscient, plus il souffre de sa condition », explique Craven. « D’où sa propension à enfouir de nombreuses choses dans son subconscient. J’ai donc imaginé le personnage de Nancy, une jeune fille qui rêve d’un tueur effrayant. Ses parents savent que cet homme a existé dans la réalité, mais il en ont évacué le souvenir. Et lorsque Nancy leur en parle, ils refusent de la croire, se voilant la face » (2).

« Ne dormez plus ! »

Les Griffes de la nuit tire son efficacité de la mise en image saisissante de son concept, paré d’idées visuelles fortes : l’étudiante arrachée à son lit par une force invisible qui la fait ramper sur les murs, le corps de Tina dans son suaire (un mille-pattes s’échappant de sa bouche et des serpents boueux rampant à ses pieds), le  garçon aspiré par son lit qui rejette ensuite un impressionnant jet de sang, la langue qui surgit du téléphone, le plafond mou d’où émerge le visage du tueur, ou encore la célèbre séquence de la griffe qui jaillit dans le bain… « La scène de la baignoire était particulièrement difficile à tourner », se souvient Heather Langenkamp. « Ils avaient construit un décor très particulier et il fallait que je fasse une confiance totale à Wes Craven, au chef opérateur et aux techniciens. Pendant le tournage, je me suis sentie particulièrement vulnérable. Mais d’une manière générale, toutes les scènes de combat avec Robert Englund étaient compliquées à tourner. Le gant de Freddy existait en réalité dans des versions différentes. Certaines griffes étaient en caoutchouc très souple, d’autres étaient plus rigides, et certaines étaient conçues pour être vraiment acérées, pour pouvoir briller sous les éclairages et faire du bruit lorsqu’elles s’entrechoquaient. Robert adorer les frotter les unes contre les autres pour m’effrayer ! » (3)  Interprété par un Robert Englund qu’on connut plus avenant (notamment dans la série V), Krueger fait vraiment peur, contrairement aux films suivants qui le relègueront au rôle de clown farceur et grimaçant. On note également la présence du vétéran John Saxon dans le rôle du policier et d’un Johnny Depp débutant à peine sorti de la puberté ! Très inspiré, Charles Bernstein compose pour les besoins du film une partition synthétique particulièrement efficace qui, elle aussi, est entrée dans la légende.

 

(1) et (2) Propos recueillis par votre serviteur en octobre 2005

(3) Propos recueillis par votre serviteur en juin 2019

 

© Gilles Penso

 

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ENTER THE VOID (2009)

Gaspar Noé nous invite à une expérience sensorielle unique en transportant ses protagonistes au seuil de la mort

ENTER THE VOID

2009 – FRANCE / ALLEMAGNE / ITALIE

Réalisé par Gaspar Noé

Avec Nathaniel Brown, Paz de la Huerta, Cyril Roy,Emily Alyn Lind, Jesse Huhn, Olly Alexander, Masato Tanno

THEMA MORT

Un film de Gaspar Noé est toujours un choc. Provocateur, diviseur d’opinions, expérimentateur, le jeune réalisateur ne laisse jamais indifférent. Pourtant, Enter the Void marque une certaine rupture avec ses œuvres précédentes. Car si Carne, Seul contre Tous et Irréversible étaient des films « coup de poing » jouant avec le seuil de tolérance des spectateurs en exposant des séquences de violence crues parfois à la limite du supportable, Enter the Void se veut moins agressif. Pour autant, Noé n’adoucit pas son style, osant une poignée de scènes organiques que les films pornographiques les plus extrêmes n’ont jamais montré, et poussant le traitement visuel au point de faire de son long-métrage l’un des défis technologiques les plus fous jamais tentés à l’écran. « Nous savions, en lisant le scénario de Gaspar Noé, que la plupart des images de son film allaient passer par un traitement numérique », explique Geoffrey Niquet, superviseur des effets visuels pour la société Buf. « Et au final, toutes les images du film sont truquées, ce qui représente une masse de travail considérable par rapport à un budget de film d’auteur. Si Buf n’était pas entré en coproduction, le devis des effets spéciaux aurait été tellement énorme que le film n’aurait pas pu se monter. » (1) Dès le générique de début, le ton est donné : sur une musique électronique au tempo endiablé, les noms de tous les membres de l’équipe du film s’enchaînent à une vitesse supersonique, adoptant des typos, des polices et des couleurs radicalement différentes, une entrée en matière qui annonce une volonté manifeste de ne pas entrer dans le rang.

L’histoire de Enter the Void est celle d’Oscar et Linda, un frère et une sœur marqués par la mort tragique de leurs parents dans un accident de voiture. Expatriés au Japon, ils gagnent leur vie en errant dans les bas-fonds, lui comme dealer, elle comme strip-teaseuse. Mais un jour Oscar, traqué par la police, est touché par une balle. Entre la vie et la mort, il connaît une expérience extra-corporelle qui va le faire voyager entre le présent et le passé, la réalité et l’hallucination, à travers plusieurs niveaux de conscience… En perpétuelle élévation, flottant au-dessus des décors et des personnages, la caméra de Gaspar Noé nous invite à un trip hallucinogène inédit, mixage de prises de vues réelles, d’effets numériques complexes et d’images de synthèse photoréalistes.

Voyage métaphysique

Mais ce voyage métaphysique ne serait qu’une belle expérience picturale si les comédiens ne donnaient pas autant de leur personne. En ce sens, la prestation de Paz de la Huerta, dans le rôle de Linda, est impressionnante. A fleur de peau, n’hésitant jamais à prêter son corps aux séquences les plus extrêmes et les plus crues, elle porte une grosse partie de l’impact du film sur ses épaules, jusqu’à une séquence finale incroyable faisant écho au Livre des Morts tibétain cité dès les premiers dialogues de ce long-métrage décidément atypique. Sans doute manque-t-il à Enter the Void une dimension « affective ». Car en optant pour des angles de vue délibérément atypiques (100% subjectif, derrière la nuque d’Oscar, en plongée totale), Gaspar Noé nous incite à un recul permanent qui ne gêne certes pas l’expérience sensorielle mais empêche en revanche une pleine empathie avec les protagonistes. Incapables de croiser leurs regards, les spectateurs passent à côté de l’implication émotionnelle nécessaire à un phénomène d’identification. Nous suivons donc ce récit aérien avec intérêt mais sans passion, et au bout de 150 minutes, le temps finit par sembler long. Mais comment ne pas saluer le courage et le grain de folie d’un réalisateur s’efforçant de repousser sans cesse les limites des règles filmiques habituelles pour imposer un univers résolument personnel ?

 

(1) Propos recueillis par votre serviteur en avril 2010

 

© Gilles Penso 

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