STING (2024)

Non, rien à voir avec le chanteur de Police… Ce « sting » là est le dard d’une araignée géante d’origine extra-terrestre !

STING

 

2024 – USA

 

Réalisé par Kiah Roache-Turner

 

Avec Jermaine Fowler, Ryan Corr, Alyla Browne, Noni Hazlehurst, Robyn Nevin, Penelope Mitchell, Danny Kim, Silvia Colloca, Tony J Black, Rowland Holmes

 

THEMA ARAIGNÉES

Il est intéressant de constater à quel point Vermines et Sting, qui partent pourtant du même postulat – un jeune protagoniste recueille en secret une araignée qui échappe à tout contrôle et sème la mort à tous les étages dans son immeuble -, puissent être aussi dissemblables. Sortis sur les écrans à quelques mois d’écart, les films de Sébastien Vaniček et Kiah Roache-Turner sont en effet aux antipodes malgré leur point de départ quasiment identique. Signant là son premier film américain, l’Australien Roache-Turner assume totalement ses influences. « Parmi mes sources d’inspiration, il y a “Le Hobbit“ qui était mon livre préféré quand j’étais enfant, avec toute cette séquence dans laquelle ils combattent les araignées », raconte-t-il. « Bilbo a une petite épée qui s’appelle Sting et avec laquelle il les tue. C’est de là que vient le nom du film. J’ai aussi été très influencé par “Ça“ de Stephen King, qui est mon auteur favori. Attention spoiler : à la fin ce n’est pas un clown tueur mais une araignée géante venue de l’espace ! » (1). Voilà qui permet de mieux comprendre la nature du monstre de son long-métrage. Écrit pendant la pandémie du Covid, le scénario de Sting porte aussi les stigmates de cette période inédite, confinant ses personnages dans un lieu clos, obligeant les familles et les voisins à cohabiter 24 heures sur 24, pour le meilleur et parfois pour le pire.

Les deux personnages centraux de Sting sont une fille de 12 ans prénommée Charlotte (sans doute en hommage au roman pour enfants « La Toile de Charlotte » qui met en scène une araignée amicale) et son beau-père Ethan. Le film ne cesse d’alterner leurs points de vue, offrant ainsi aux spectateurs deux pôles d’identification complémentaires – et parfois opposés selon les péripéties. L’intégralité du récit se déroule dans un petit immeuble décrépit de New York. Les différents étages abritent une grand-mère sénile, une grand-tante acariâtre, une mère obnubilée par son travail, une voisine dépressive, un biologiste réservé et un bébé objet de toutes les attentions. Au sein de ce microcosme, Ethan rêve de devenir un dessinateur de bandes-dessinées à succès mais doit jouer les hommes à tout faire dans l’immeuble pour gagner sa vie, tandis que Charlotte se faufile dans les conduits du bâtiment pour tromper son ennui. C’est au fil d’une de ses escapades qu’elle trouve une petite araignée qu’elle surnomme « sting » et qu’elle cache dans un bocal. Ce qu’elle ne sait pas – contrairement aux spectateurs qui ont une longueur d’avance sur elle -, c’est que cette petite bête vient d’arriver de l’espace à bord d’une sorte d’astéroïde lumineux. L’arachnide se met bientôt à grossir à la vitesse grand V et à révéler un appétit insatiable…

« Il ne faut pas se lier d’amitié avec un truc qui a plus de quatre pattes ! »

Cultivant un humour qui semble hérité des films d’horreur des années 80 destinés au public adolescent, Sting offre au personnage de Frank, un exterminateur de nuisibles sous influence manifeste d’Arachnophobie, les répliques les plus absurdes, notamment : « Il ne faut pas se lier d’amitié avec un truc qui a plus de quatre pattes. » Au-delà de ses traits d’humour, le film joue efficacement sur la peur viscérale des araignées, troquant à mi-parcours l’image de synthèse (employée pour montrer la vilaine bête lorsque sa taille est encore raisonnable) contre des marionnettes animatroniques redoutablement efficaces conçues par les petits génies de Weta Workshop, sous la supervision du vétéran Richard Taylor (Le Seigneur des anneaux et Le Hobbit, justement). Pour faire bonne mesure, les effets gore et les excès sanglants sont aussi de la partie. Si l’intrigue elle-même reste très basique, Kiah Roache-Turner s’efforce de creuser certains de ses personnages en décrivant notamment les relations complexes qui peuvent se nouer entre une petite fille rebelle en mal d’affection et un beau-père frustré qui cherche à bien faire malgré ses maladresses. Très soigné dans sa mise en forme, Sting bénéficie aussi d’une jolie photographie signée Brad Shield (directeur photo de seconde équipe sur Avengers, Spider-Man Homecoming, Godzilla vs. Kong et un paquet d’autres blockbusters). Sting n’a rien de bien transcendant, certes, mais s’offre au public comme une série B très honorable et pétrie de bonnes intentions.

 

(1) Extrait d’une interview publiée dans « Film Festival Today » en avril 2024

 

© Gilles Penso

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ATARAGON (1963)

Pour contrer les plans diaboliques de la cité sous-marine de Mu, le gouvernement japonais décide de réactiver un sous-marin volant futuriste…

KAITEI GUNKAN

 

1963 – JAPON

 

Réalisé par Ishiro Honda

 

Avec Tadao Takashima, Yoko Fujiyama, Yu Fujiki, Hiroshi Koisumi, Kenji Sahara, Ken Uehara, Jun Tazaki, Yoshifumi Tajima, Akihiko Hirata, Hideyo Amamoto

 

THEMA REPTILES ET VOLATILES I EXOTISME FANTASTIQUE I MONSTRES MARINS

Cette très ambitieuse production Toho conçue par les créateurs de Godzilla s’inspire de la série de livres pour enfants « Kaitei Gunkan » écrits en 1899 par Shunro Oshikawa. Si les Japonais conservent le titre original des romans, les distributeurs américains préfèrent le terme Atragon (contraction de « Atomic Dragon ») que les Français modifient légèrement pour un Ataragon qui sonne mieux chez nous. Le scénario de Shin’ichi Sekizawa réadapte très librement le matériau littéraire original, auquel il adjoint des éléments empruntés à la bande dessinée « Undersea Kingdom » de Shigeru Komatsuzaki. Si le réalisateur Inoshiro Honda et l’expert des effets spéciaux Eiji Tsuburaya sont rompus à tous les défis techniques, Ataragon va tout de même leur donner du fil à retordre dans la mesure où ils ont moins de quatre mois pour concevoir cette superproduction bourrée d’effets spéciaux. La Toho tient en effet à faire sortir le film pendant les fêtes de Noël. Ataragon est le nom d’un véhicule terrestre, aquatique et aérien futuriste digne des Thunderbirds (qui débouleront trois ans plus tard sur les petits écrans). Cet engin à mi-chemin entre le Nautilus de Jules Verne et la « taupe de fer » d’Edgar Rice Burroughs, construit à la fin de la guerre du Pacifique par le gouvernement japonais, est équipé d’un armement ultrasophistiqué, notamment un redoutable rayon réfrigérant, mais n’a jamais été utilisé suite à la victoire des Alliés.

Soudain, une nouvelle menace frappe la population. Les habitants du royaume sous-marin de Mu, disparu dans le Pacifique il y a 12 000 ans, ont décidé à l’initiative de leur impératrice de conquérir la surface de la Terre et d’en exploiter toute l’énergie. Pour prouver leur puissance de destruction, ils provoquent des catastrophes en série et sèment une panique généralisée. Il est donc temps de faire sortir l’Ataragon de sa retraite. Mais son concepteur, le capitaine Shinguji, n’est pas tout à fait d’accord. Sous ses apparats de spectacle récréatif et tout public, Ataragon développe ainsi une intéressante réflexion sur l’armement et sur l’état d’esprit militaire nippon vingt ans après la guerre. « J’ai construit l’Ataragon pour que le Japon puisse reprendre sa place parmi les nations », clame le capitaine. « Il est pour le Japon uniquement ! » Nostalgiques des batailles et de la puissance impériale japonaise, les soldats qui lui sont restés fidèles ont refusé la capitulation. Seul « l’intérêt supérieur de la patrie » prime à leurs yeux, en dehors de tout contexte géopolitique. « Vous êtes un fantôme qui porte une armure rouillée et qui se gargarise de patriotisme » lance alors sévèrement à la face du capitaine le prétendant de sa fille.

L’année du dragon

Cette couche narrative supplémentaire donne au film une dimension inattendue. On n’en apprécie que d’avantage l’incroyable déploiement des trucages de Tsuburaya. Redoublant d’inventivité, le futur créateur d’Ultraman fait construire de superbes décors miniatures pour visualiser la cité de Mu, avec ses hautes murailles, ses obélisques couvertes de hiéroglyphes, ses statues antiques, ses jets de vapeur et ses véhicules volants. Les maquettes permettent par ailleurs de donner corps à plusieurs séquences dantesques : la destruction d’un navire par des bombes incandescentes en pleine mer, l’implosion d’un sous-marin au fin fond des abysses, le surgissement de l’Ataragon au-dessus des flots, des explosions multiples de bâtiments ou de véhicules, des séismes colossaux, l’impressionnante salle des machines de Mu et – clou du spectacle – l’éveil du gigantesque serpent marin Manda. Présent sur une grande partie du matériel publicitaire du film, ce monstre n’intervient hélas que furtivement, son apparence ayant été déterminée par Inoshiro Honda pour s’adapter au calendrier chinois (qui s’apprête alors à célébrer l’année du dragon). Ne reculant devant aucun excès (des centaines de figurants qui dansent dans les décors de péplum de l’empire Mu, les marches militaires emphatiques composées par Akira Ifukube pour accompagner les séquences où l’engin vedette passe à l’action), Ataragon est un régal pour tous les amateurs de SF nippone à l’ancienne.

 

© Gilles Penso


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ABIGAIL (2024)

Les réalisateurs de Scream 5 et 6 revisitent le mythe du vampirisme en racontant un kidnapping qui tourne très mal…

ABIGAIL

 

2024 – USA

 

Réalisé par Matt Bettinelli-Olpin et Tyler Gillett

 

Avec Melissa Barrera, Dan Stevens, Alisha Weir, Kathryn Newton, Will Catlett, Kevin Durand, Angus Cloud, Giancarlo Esposito

 

THEMA VAMPIRES

Abigail s’inscrit dans la volonté du studio Universal de « dépoussiérer » les monstres de son répertoire en leur offrant un écrin moderne. Après la tentative ratée de La Momie d’Alex Kurtzman, première pierre d’un édifice qui ne verra jamais le jour, les créatures du patrimoine classique se réinventent autrement, comme l’homme invisible pervers narcissique d’Invisible Man (2020) ou le Dracula semi-parodique de Renfield (2023). L’idée première d’Abigail consiste à revisiter La Fille de Dracula de Lambert Hillyer, même si en réalité pas grand-chose n’a été conservé de cette variante méconnue de 1936, à part quelques idées éparses. Les duettistes Matt Bettinelli-Olpin et Tyler Gillett viennent alors de réaliser le cinquième et le sixième volet de la saga Scream et préparent leur tournage dans le manoir Guinness de Dublin, qui leur offre un cadre très photogénique sans la nécessité de construire un décor entier en studio. Mais la grève du syndicat des acteurs qui éclate en été 2023 oblige la production à interrompre ses prises de vues au milieu du mois de juillet pour ne reprendre que quatre mois plus tard. Abigail ne sort donc sur les écrans américains qu’en avril 2024.

Le générique d’Abigail montre une ballerine de douze ans qui s’exerce sur « Le Lac des cygnes » de Tchaïkovski. Ce morceau n’a bien sûr pas été choisi au hasard puisqu’il accompagnait le prologue du Dracula de Tod Browning. Encore en tutu, la gamine est soudain enlevée par six criminels qui l’emmènent dans un manoir isolé où ils espèrent bien récupérer la coquette rançon de 50 millions de dollars que son père versera en échange de sa vie sauve. C’est du moins ce que leur a promis leur chef, l’énigmatique Lambert (Giancarlo Esposito, transfuge de Breaking Bad et du Mandalorian). Dès l’entame, on sent bien que rien ne va se passer comme prévu et que ce petit groupe de gangsters menace à tout moment d’imploser. Il faut dire que les kidnappeurs sont gratinés : une junkie en désintoxication, un ex-policier nerveux et autoritaire, une pirate informatique en mal de sensations fortes, un tireur d’élite échappé des Marines, un homme de main simple d’esprit et un chauffeur sociopathe ! Mais la fillette elle-même cache bien son jeu. Et comme dans Une nuit en enfer, le thriller policier mâtiné d’humour noir va soudain basculer dans l’horreur la plus exubérante. L’hémoglobine s’apprête en effet à gicler abondamment autour de la petite danseuse…

Dirty Dancing

Au détour du casting, l’amateur du cinéma de genre reconnaîtra quelques visages familiers comme Dan Stevens (l’androïde de I’m your man), Melissa Barrera (l’héroïne de Scream 5 et Scream 6), Kathryn Newton (l’adolescente gothique de Lisa Frankenstein) ou encore Kevin Durand (Proximus Cesar dans La Planète des singes : le nouveau royaume). Mais l’actrice qui crève l’écran – dans un rôle complexe et délicat – est la toute jeune Alisha Weir, révélée dans Matilda, la comédie musicale. Tout ce beau monde se met en place au sein d’une mécanique narrative connue, celle du huis-clos dans lequel les personnages sont guettés et décimés l’un après l’autre par un monstre. Si l’humour reste omniprésent tout au long du métrage – Kevin Durand campe à ce propos un délectable gros bras écervelé -, l’horreur éclabousse bientôt l’écran avec une belle générosité. « Tous nos films sont sanglants », avoue Tyler Gillett. « Mais je dirais que celui-ci est certainement celui qui va le plus loin. Nous avons passé beaucoup de temps à nous excuser auprès de nos acteurs sur ce film à cause de la quantité de sang que nous répandions sur eux. Certes, le sang est dans l’ADN d’un film de vampire, mais ici c’est assez extrême ! » (1) La dentition des suceurs de sang elle-même s’éloigne du design classique pour se rapprocher des mâchoires des requins, dans un esprit voisin de celui des créatures de 30 jours de nuit. Abigail joue donc la carte de l’équilibre entre le thriller, la comédie et le gore, démontrant que Bettinelli-Olpin et Gillett semblent bien plus à l’aise avec un concept neuf plutôt qu’avec une franchise telle que Scream. Le film est certes loin d’être parfait et finit par multiplier les rebondissements artificiels au cours de son dernier acte, mais le spectacle qu’il offre reste très recommandable.

 

(1) Extrait d’une interview publiée dans « Total Film » en avril 2024

 

© Gilles Penso


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MOTHER ! (2017)

Le réalisateur de The Fountain et Requiem for a Dream nous plonge dans un huis-clos cauchemardesque aux confins de l’horreur…

MOTHER !

 

2017 – USA

 

Réalisé par Darren Aronofsky

 

Avec Jennifer Lawrence, Javier Bardem, Ed Harris, Michelle Pfeiffer, Brian Gleeson, Domhnall Gleeson, Jovan Adepo, Amanda Chiu, Patricia Summersett, Eric Davis

 

THEMA DIEU, LA BIBLE ET LES ANGES

C’est face au constat d’une planète agonisante qui lui semble courir à sa propre perte que Darren Aronofsky accouche un beau jour de l’idée de Mother ! Pour justifier sa démarche, il se fend d’une sorte de « note d’intention » qu’il met à disposition des journalistes quelques jours avant l’avant-première du film. « C’est une époque folle pour être en vie », écrit-il. « Alors que la population mondiale approche les 8 milliards d’habitants, nous sommes confrontés à des problèmes d’une gravité insoupçonnée. De cette soupe primordiale d’angoisse et d’impuissance, je me suis réveillé un matin et ce film a jailli de moi comme un rêve fiévreux. Tous mes films précédents sont restés en gestation pendant de nombreuses années, mais j’ai écrit la première version de Mother ! en cinq jours » (1). Le contexte dans lequel s’élabore le film permet de mieux comprendre le climat anxiogène étouffant qui le baigne de la première à la dernière minute. Jennifer Lawrence elle-même, actrice principale que la caméra ne lâche pas d’une semelle pendant les deux heures du métrage, aura besoin d’une année sabbatique pour se remettre de ce tournage éprouvant. Mother ! ne laisse donc personne de marbre, ni ses spectateurs, ni ceux qui y ont participé.

D’emblée, Aronofsky convoque une imagerie fantastique : un visage qui crie au milieu des flammes, un décor décrépit qui se rénove comme par magie, une atmosphère de maison hantée et de film de fantômes. Jennifer Lawrence campe une jeune femme obsédée par l’ordre et la propreté. Particulièrement fière de la maison qu’elle a entièrement retapée, elle s’y love comme dans un cocon avec son époux (Javier Bardem), un écrivain à succès en quête de nouvelles sources d’inspiration. Leur couple mène une vie tranquille et passionnée. Pourtant, un malaise imperceptible s’immisce partout, un sentiment bizarre de flottement inconfortable au-dessus de la réalité. Prise parfois de crises incontrôlables, notre héroïne imagine des cœurs qui battent derrière les murs, entend les sols grincer et les escaliers craquer, voit le parquet se couvrir d’ombres rampantes. Nous ne sommes pas loin de l’aliénation de Catherine Deneuve dans Répulsion. Lorsque des invités imprévus débarquent dans la maison, la situation bascule progressivement, le chaos finit par prendre des proportions délirantes et dantesques, tandis que les dernières bribes de réalisme s’étiolent. Aronofsky nous semble en roue libre, comme s’il improvisait ce cauchemar éveillé au fur et à mesure, comme si son scénario avançait de manière erratique et absurde. À moins que…

Le point de non-retour

À moins que toute cette histoire n’ait un sens caché emprunté directement à la Bible, dans le prolongement du Noé que le cinéaste mettait en scène trois ans plus tôt. Avec cette nouvelle grille de lecture, tout s’éclaire et tous les éléments du puzzle trouvent miraculeusement leur place. Rien ne manque alors au tableau : Adam et Ève sont là, Caïn et Abel aussi, tout comme le péché originel qui précipite la chute hors du jardin d’Eden, le déluge, la naissance du Messie, l’Apocalypse, et bien sûr Dieu lui-même et la Mère nature, celle qui donne son nom au titre du film. Le titre premier du film était d’ailleurs Day 6, allusion au sixième jour de la création du monde selon l’Ancien Testament. En se laissant volontairement influencer par Roman Polanski (celui de Répulsion mais aussi du Locataire et de Rosemary’s Baby) et par Luis Buñuel (celui de L’Ange exterminateur), Arnofsky nous décrit ainsi une vision très pessimiste du monde, gangréné par une humanité qui le détruit à petit feu jusqu’au point de non-retour.

 

(1) Extrait d’une déclaration de Daren Aronofsky publiée en août 2017.

 

© Gilles Penso


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DEMENTIA 13 (1963)

Le premier long-métrage de Francis Ford Coppola est un récit d’horreur influencé par Alfred Hitchcock qui préfigure les slashers des années 70…

DEMENTIA 13

 

1963 – USA

 

Réalisé par Francis Ford Coppola

 

Avec William Campbell, Luana Anders, Bart Patton, Mary Mitchel, Patrick Magee, Eithne Dunne, Peter Read, Karl Schanzer

 

THEMA TUEURS

Avant de devenir le réalisateur culte du Parrain et d’Apocalypse Now, Francis Ford Coppola était l’un des nombreux « hommes à tout faire » de Roger Corman, se formant à de nombreux postes auprès du prolifique producteur. Il fut ainsi assistant réalisateur de L’Enterré vivant, réalisateur de deuxième équipe de L’Halluciné ou encore superviseur des dialogues de La Malédiction d’Arkham. Alors qu’il prêtait main-forte à Corman sur le tournage de The Young Racers en Irlande, son mentor lui proposa une offre difficile à refuser : profiter de la disponibilité du décor, de l’équipe technique et d’une partie des comédiens (William Campbell, Luana Landers et Patrick Magee) pour emballer en quelques semaines un autre film. C’est ainsi qu’est né Dementia 13 (initialement titré Dementia), premier long-métrage officiel de Francis Coppola (qui s’était déjà essayé à la mise en scène quelques mois plus tôt en dirigeant des séquences de L’Halluciné avec Jack Nicholson et Boris Karloff).

Lorsque le film commence, Louise Haloran et son mari John effectuent une traversée nocturne en barque qui n’a rien de romantique (« Si je meurs, tu n’obtiendras aucun héritage » lui susurre-t-il amèrement). Or l’époux succombe subitement à une attaque cardiaque. Peu encline à laisser filer le pactole que devait lui léguer sa belle-mère du vivant de John, Louise laisse croire à son entourage que le défunt est en réalité parti pour un voyage d’affaire le retenant à New York. Lorsqu’elle se rend dans le château des Haloran, en Irlande, elle découvre une famille marquée par la mort accidentelle de la sœur cadette de John, sept ans plus tôt, dans un étang jouxtant la vaste demeure. L’influence de Psychose est prégnante d’emblée dans Dementia 13, ne serait-ce que par la structure narrative de son premier acte. Car au bout d’un quart d’heure, la blonde héroïne appâtée par le gain est sauvagement assassinée alors qu’elle se dévêtait pour aller sous l’eau (ici, un plongeon dans l’étang remplace donc la douche dans le motel). Le personnage de la mère autoritaire et austère est également très hitchcockien, tout comme cette atmosphère d’hypocrisie latente qui règne dans la demeure familiale, et qui n’est pas sans évoquer Rebecca.

Décapitation en gros plan !

Parmi les autres influences de ce premier essai plutôt prometteur, on note Les Diaboliques d’Henri-Georges Clouzot (à travers ces machinations macabres destinées à faire basculer les esprits fragiles dans la folie) ainsi – et c’est tout naturel – que les œuvres d’épouvante que concoctait à l’époque Roger Corman. Coppola mixe ainsi plusieurs imageries empruntées au genre, notamment celles liées à l’enfance (les poupées anciennes, les vieilles poussettes) et celles qui se rattachent au thème récurrent de la maison hantée. Mais Dementia 13 possède sa propre personnalité et fit même office de référence, ces meurtres à la hache dans les bois nocturnes préfigurant à leur manière les slashers des années 70 et 80. Coppola se paie même le luxe d’une décapitation en gros plan ! Après être devenu un cinéaste « respectable », il ne touchera plus au fantastique que sporadiquement et de manière plus « noble », comme en témoignent son élégant Dracula, le Frankenstein qu’il produisit dans la foulée ou le plus intimiste Twixt.

 

© Gilles Penso


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THE PRIMEVALS (2023)

Il aura fallu près de 60 ans pour que ce film fou, hommage anachronique aux mondes fantastiques de Ray Harryhausen, soit enfin achevé…

THE PRIMEVALS

 

2023 – USA

 

Réalisé par David Allen

 

Avec Juliet Mills, Richard Joseph Paul, Leon Russom, Walker Brandt, Tai Thai, Eric Steinberg, Robert Cornthwaite, Dolph Scott, Kevin Mangold, Jeffrey S. Farley

 

THEMA EXOTISME FANTASTIQUE I YETIS ET CHAÎNONS MANQUANTS I EXTRA-TERRESTRES I SAGA CHARLES BAND

The Primevals est un projet auquel le créateur d’effets spéciaux David Allen aura consacré toute sa vie. Dès la fin des années 60, il en imagine les premiers concepts, sous le titre de Raiders of the Stone Ring, puis l’abandonne pour le reprendre dix ans plus tard en le proposant au producteur Charles Band. « Charlie m’a demandé dans un premier temps de participer aux effets spéciaux de plusieurs films qu’il produisait », raconte David Allen. « The Primevals a été interrompu une nouvelle fois à cause des problèmes financiers de la compagnie Empire qui a finalement fait faillite pendant le tournage de Robot Jox. The Primevals a ensuite été repris en main par Charles Band sous l’égide de sa compagnie Full Moon, et j’ai enfin pu démarrer le tournage en 1994, avec des moyens assez luxueux en regard des autres productions Full Moon » (1). Le film bénéficie en effet d’un budget de plus de six millions de dollars. Une bobine d’essai avait déjà été tournée en 1978, mais en l’espace de 20 ans le récit a connu maintes modifications et les techniques employées par David Allen se sont perfectionnées. Le scénario définitif, réminiscence du Monde perdu, de King Kong et surtout de la saga « John Carter » d’Edgar Rice Burroughs, tourne autour d’un Yéti découvert dans un village Sherpa. La créature, abattue, tombe entre les mains de plusieurs scientifiques. Pour découvrir d’où vient ce chaînon manquant, une expédition s’apprête à braver plusieurs dangers dans les montagnes de l’Himalaya. Ils découvrent un site non humain qui pourrait bien être d’origine extra-terrestre…

Après le tournage principal en Roumanie, achevé en 1996, David Allen, Chris Endicott et Wes Ceafer s’attellent au long et difficile travail des effets spéciaux visuels, étalé sur plus de trois ans. Les 200 plans d’animation du film concernent notamment ce fameux abominable homme des neiges très expressif dont la morphologie et le comportement s’inspirent à la fois de King Kong et de Monsieur Joe. Outre le Yéti, toute une tribu d’hommes-lézards agressifs s’anime dans The Primevals. Cette somme colossale de travail est d’autant plus ralentie qu’elle n’est prise en charge à temps plein que par trois hommes et qu’elle est régulièrement interrompue par les films publicitaires commandités au studio de David Allen. Sans compter les plans extrêmement complexes du film, notamment ceux dans lesquels des centaines d’hommes-lézards s’agitent en même temps dans les gradins d’une arène. « Avec tous les avantages que comporte l’image de synthèse et toutes les propositions que l’on me fait dans ce domaine, je serais fou de refuser de l’utiliser », explique David Allen. « Mais je souhaite terminer ce film avec une technologie que je connais parfaitement et que je comprends » (2) Hélas, il s’éteint le 6 août 1999 avant d’avoir pu achever l’œuvre de sa vie. The Primevals aurait pu être le tout dernier long-métrage réalisé dans l’esprit et avec les techniques de Ray Harryhausen. Un film en voie de disparition, en quelque sorte.

Les aventuriers du film perdu

Fort heureusement, l’histoire de The Primevals ne s’arrête pas là. En 2019, à l’initiative de Full Moon et de Chris Endicott, ami et partenaire de longue date de David Allen, le projet redémarre. Financée partiellement par une campagne participative, la finalisation de cette fantaisie inachevée sollicite plusieurs spécialistes de la stop-motion, notamment l’animateur Kent Burton, collaborateur de longue date des frères Chiodo. Les ambitieuses séquences d’effets spéciaux imaginées par David Allen et restées au stade du storyboard ou de l’animatique reprennent donc vie progressivement, image par image. Aucun long-métrage n’aura mis autant de temps à se concrétiser, et le résultat, forcément hybride et atemporel, le positionne indubitablement comme un objet filmique étrange, à cheval entre plusieurs époques. Le scénario semble avoir été écrit dans les années 30, les effets spéciaux utilisent des techniques issues des années 60/70, le look des personnages évoque les années 90… En l’état, The Primevals est une curiosité anachronique entravée par un jeu d’acteurs faiblards, des péripéties primaires et une mise en scène un peu statique. Mais dès que la magie des effets de David Allen – et de ses successeurs – jaillit à l’écran, nous revoilà plongés dans les univers fantastiques dont surent nous bercer Willis O’Brien, Ray Harryhausen et Jim Danforth. Finalement, l’envers du décor est ici plus passionnant que le film lui-même. Et quelle que soit la qualité du résultat final, la concrétisation si tardive d’un tel rêve d’enfant ne peut que susciter l’émerveillement et l’admiration.

 

(1) Propos recueillis par votre serviteur en avril 1998

 

© Gilles Penso

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LA MALÉDICTION : L’ORIGINE (2024)

Que s’est-il passé avant La Malédiction ? D’où le maléfique Damien Thorne vient-il ?Voici les réponses…

THE FIRST OMEN

 

2024 – USA

 

Réalisé par Arkasha Stevenson

 

Avec Nell Tiger Free, Ralph Ineson, Sonia Braga, Tawfeek Barhom, Maria Caballero, Charles Dance, Bill Nighy, Nicole Sorace, Ishtar Currie-Wilson

 

THEMA DIABLE ET DÉMONS I SAGA LA MALÉDICTION

Rien ne nous disposait particulièrement à porter le moindre intérêt à cette Malédiction : l’origine, tentative de résurrection tardive d’une franchise qui s’achevait en 2006 sur un remake sans saveur, et dont la démarche ne semblait pas très éloignée de L’Exorciste – Dévotion qui, lui aussi, jouait la carte de la prequel avec un résultat globalement médiocre. Autre motif de perplexité : le choix de la réalisatrice. Arkasha Stevenson n’ayant jusqu’alors réalisé qu’une poignée de courts-métrages et quelques épisodes de séries TV, était-elle la personne appropriée pour redonner un coup de fouet à cette saga en stand-by depuis près de deux décennies ? Rien n’était moins sûr. C’est donc avec beaucoup de circonspection que nous appréhendons ce film co-écrit par la réalisatrice, Tim Smith et Keith Thomas d’après une histoire de Ben Jacoby. Pourtant, le prologue parvient à capter notre attention en distillant une efficace atmosphère d’angoisse sourde. Cette entame nous laisse quelques espoirs. Peut-être parce qu’elle cherche à retrouver le climat anxiogène que Richard Donner créait dans la première Malédiction. Peut-être aussi parce que les effets de style du William Friedkin de L’Exorciste nous viennent à l’esprit. La musique atonale et volontiers stressante composée par Mark Korven (The Witch) n’est pas totalement étrangère à cette sensation.

Dans cette scène introductive, située dans l’Italie du début des années 1970, le père Brennan (Ralph Ineson) écoute l’étrange confession du père Harris (Charles Dance) à propos d’une conspiration occulte et recueille de ses mains la photo d’un bébé sur laquelle est inscrit un mot énigmatique : « Scianna ». Cet entretien s’achève d’une manière abrupte et sanglante, avant que nous soit présentée notre protagoniste : Margaret Daino (Nell Tiger Free), une novice américaine qui débarque dans l’orphelinat Vizzardeli à Rome. Là, dans une atmosphère austère qui évoque plus les années 40-50 que ces seventies naissantes où se libèrent les mœurs, la jeune religieuse se lie avec Carlita (Nicole Sorace), une orpheline solitaire et maltraitée en proie à de très inquiétantes visions. Selon le père Brennan, cette jeune fille est au cœur d’une sinistre machination visant à provoquer la naissance de l’antéchrist. « Comment contrôler un peuple qui ne croit plus aux tourments de l’enfer ? », dit-il à notre héroïne. « En créant une nouvelle peur. »

Une nouvelle peur

Il faut bien reconnaître qu’Arkasha Stevenson nous surprend agréablement par ses partis pris de mise en scène qui – à quelques exceptions près – refusent les « jump scares » faciles pour chercher des sources de peur plus insidieuses et moins frontales. Sa démarche s’appuie sur la photographie somptueuse d’Aaron Morton et sur le jeu convainquant de Nell Tiger Free dont la beauté discrète, masquée la plupart du temps sous un voile sévère, évoque une certaine idée de l’innocence. L’arrivée de l’ingénue américaine dans une institution européenne rigide qui semble cacher des secrets inavouables n’est d’ailleurs pas sans nous évoquer Suspiria. Les fulgurances horrifiques n’en sont que plus saillantes, notamment deux séquences d’accouchement monstrueuses convoquant le « body horror » cher à David Cronenberg, quelques visions choc servies par les maquillages spéciaux d’Adrien Morot et un grand moment d’hystérie intense qu’on imagine très influencé par l’un des passages les plus célèbres de Possession. Ramenons tout de même les choses à leurs justes proportions. Faire écho aux travaux de Richard Donner, William Friedkin, Dario Argento, David Cronenberg ou Andrzej Zulawski ne signifie pas que La Malédiction : l’origine leur arrive à la cheville. Disons que cet opus dont nous n’attendions rien est une heureuse surprise qui aurait tout gagné à exister de manière autonome sans sa prestigieuse ascendance. D’ailleurs, son plus gros défaut est de tenter de se raccorder maladroitement à La Malédiction premier du nom, via un épilogue un peu vain conçu comme une scène post-générique de chez Marvel.

 

© Gilles Penso


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DÉLIVRANCE (1972)

Quatre amis en canoë dans les rapides, un duo de guitare et de banjo, une agression sauvage en pleine nature… et John Boorman réinvente le « survival »

DELIVERANCE

 

1972 – USA

 

Réalisé par John Boorman

 

Avec Jon Voight, Burt Reynolds, Ned Beatty, Ronny Cox, Ed Ramey, Billy Redden, Seamon Glass

 

THEMA TUEURS

Paru en 1970, le roman « Délivrance » de James Dickey serait inspiré d’un fait réel. Cette information est cependant difficile à vérifier, l’écrivain se distinguant par son caractère exubérant doublé d’un fort penchant pour la bouteille. Toujours est-il que Sam Peckinpah s’intéresse fortement à ce livre qu’il souhaite adapter à l’écran avant de découvrir que John Boorman en a déjà obtenu les droits. Peckinpah s’en va donc réaliser Les Chiens de paille (qui aborde plusieurs thématiques communes) et Boorman s’attaque aux préparatifs en envisageant plusieurs têtes d’affiche pour satisfaire le studio Warner Bros. Contactés, Jack Nicholson et Marlon Brando risquent cependant de réclamer des salaires impensables pour une telle production. Le cinéaste revoit donc ses ambitions à la baisse. Son quatuor d’acteurs vedettes sera constitué de Burt Reynolds (qui cherche à échapper au ghetto des séries B et des séries TV), Jon Voight (qui connaît un passage à vide depuis sa remarquable prestation dans Macadam Cowboy) ainsi que Ned Beatty et Ronny Cox qui n’ont encore jamais joué au cinéma et que Boorman découvre sur les planches. Tous les quatre incarnent un groupe d’amis désireux de rompre la routine de leur vie citadine le temps d’un week-end. Leur projet consiste à descendre en canoë une grande rivière de Georgie, dans un splendide cadre sauvage. Mais la balade va basculer dans le cauchemar.

Même si la plupart des dialogues du film reprennent quasiment mot à mot ceux du roman, Boorman tient à une approche spontanée et naturaliste, poussant ses comédiens à proposer des idées nouvelles (notamment pendant la fameuse séquence du viol). Le tournage s’effectue sur la rivière Chatooga, à la frontière de la Georgie et de la Caroline du Nord. Chaque jour, une heure et demie de trajet en 4×4 s’avère nécessaire pour transporter l’équipe et les canoës jusque sur ce site naturel. Pleinement impliqués, les acteurs effectuent leurs propres cascades pour éviter des coûts supplémentaires à la production (qui, du reste, n’a contracté aucune police d’assurance). C’est donc Jon Voight qui escalade lui-même la falaise et Burt Reynolds qui tombe dans les rapides – avec à la clé une fracture du coccyx ! Ces partis-pris donnent clairement aux spectateurs le sentiment que tout ce qui se passe à l’écran se déroule vraiment sous leurs yeux. L’impact de Délivrance n’en est que plus fort.

Le jeu des contrastes

Délivrance appuie toute sa construction sur le jeu des contrastes. Le premier, évident, provient de l’intrusion presque anachronique de ces quatre citadins américains dans un cadre rural et sauvage, habité par des gens dont on a du mal à dire qu’ils sont leurs semblables. Mais cette confrontation ne laisse rien augurer de funeste dans un premier temps. Elle se teinte même d’humour, Bobby (Ned Beatty), le plus moqueur des quatre amis, n’hésitant pas à souligner ces différences avec cynisme. A travers la formidable séquence des « duelling banjos », les hommes des villes et les hommes des champs finissent par trouver un terrain d’entente et même une certaine harmonie. Mais la violence et la barbarie surviennent soudain, marquant un nouveau contraste, à la fois avec ce prologue paisible et avec le site magnifique et luxuriant qui sert de cadre à l’action. Le spectateur est d’autant plus surpris que le film semblait vouloir dégager une philosophie écologique en prônant un salutaire retour à la nature. Délivrance bascule donc sans préavis dans l’horreur sordide, aussi saugrenue et réaliste que les premières œuvres de Wes Craven et Tobe Hooper. Le film de John Boorman redonne alors ses lettres de noblesse au « survival », sous-genre cinématographique qui s’attache aux efforts de protagonistes fuyant la mort dans un milieu hostile. Il en deviendra dès lors le nouveau mètre étalon, la référence absolue.

 

© Gilles Penso


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THÉÂTRE DE SANG (1973)

Vincent Price incarne un comédien raté qui décide d’assassiner un groupe de critiques de théâtre en s’inspirant des pièces de Shakespeare…

THEATER OF BLOOD

 

1973 – GB

 

Réalisé par Douglas Hickox

 

Avec Vincent Price, Diana Rigg, Ian Hendry, Harry Andrews, Robert Morley, Jack Hawkins, Diana Dors

 

THEMA TUEURS

Après le succès de L’Abominable docteur Phibes et de sa suite, Vincent Price reprend un rôle très similaire dans Théâtre de sang dont le scénario fonctionne une fois de plus sur le principe de la vengeance méthodique et raffinée d’un homme passé pour mort. Sollicité pour diriger le film, Robert Fuest – à la tête des deux Docteur Phibes – préfère passer son tour pour ne pas être catalogué « réalisateur de films avec Vincent Price qui tue les gens en série ». La mise en scène est donc confiée à Douglas Hickox, qui vient de réaliser le thriller La Cible hurlante avec Oliver Reed. Price lui-même aurait pu être rebuté à l’idée de se plagier lui-même. Mais il tombe littéralement amoureux du scénario d’Anthony Greville-Bell et se délecte à l’idée de pasticher quelques grands classiques du répertoire de William Shakespeare. Jouer dans Théâtre de sang lui permet en effet de combler une frustration, celle de ne pas avoir pu jouer du Shakespeare sur scène en Angleterre à cause de sa carrière cinématographique. Réciter la prose de son écrivain préféré tout en détournant les codes du cinéma d’horreur qui fit sa gloire, voilà une belle revanche.

Le charismatique comédien moustachu incarne ici Edward Kendal Sheridan Lionheart, un comédien de théâtre au jeu ampoulé et excessif que la critique éreinte systématiquement. Le jour où la récompense suprême – le Grand Prix de la Critique – lui échappe au profit d’un jeune premier prometteur, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Dans son plus bel apparat, il rend visite aux huit membres du jury, leur déclame le fameux monologue d’« Hamlet » puis, en guise de sortie, se jette par la fenêtre. Quelques mois plus tard, une série de meurtres abominables défraient la chronique. Les victimes sont des critiques de théâtre, tous membres du fameux trophée annuel du meilleur acteur. Il devient vite évident que Lionheart n’est pas mort et qu’il lance une terrible campagne vengeresse contre ceux qui ont brisé sa carrière. Recueilli par un groupe de sans abri qu’il a transformé en troupe de théâtre hétéroclite, l’acteur déchu s’est mis en tête de tuer un à un ceux qui l’ont humilié en s’inspirant des crimes les plus spectaculaires décrits dans l’œuvre de son mentor William Shakespeare.

Gore et burlesque

Ce concept donne l’occasion à Douglas Hickox de mettre en scène des meurtres outranciers où le gore et le burlesque se partagent équitablement la vedette : décapitation à la scie, noyade dans une barrique de vin, électrocution sous une permanente, cœur arraché, torse transpercé… Bourreau caricatural, Vincent Price s’en donne à cœur joie, cabotinant plus que de raison, comme son rôle l’exige, et paraissant sous les grimages les plus variés, le plus exubérant d’entre eux étant sans conteste le coiffeur efféminé affublé d’une coupe afro ! A ses côtés, on retrouve avec bonheur Diana Rigg, inoubliable Emma Peel de Chapeau melon et bottes de cuir et James Bond Girl d’Au service secret de Sa Majesté, dans le rôle de la fille et complice de Lionheart. Le final est à l’image du héros : grandiloquent et exagérément théâtral. De tous les personnages qu’il incarna à l’écran, Vincent Price avoua que Lionheart, summum d’excès et d’exubérance, fut l’un de ses préférés. Son enthousiasme – comme celui de Diana Rigg – est parfaitement perceptible à l’écran, même si nous serions tentés de préférer Price dans des registres plus subtils.

 

© Gilles Penso


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FANTOMAS CONTRE SCOTLAND YARD (1967)

Cette troisième aventure consacrée au célèbre super-vilain et à son gesticulant adversaire incarné par Louis de Funès s’installe en Ecosse…

FANTOMAS CONTRE SCOTLAND YARD

 

1967 – FRANCE / ITALIE

 

Réalisé par André Hunebelle

 

Avec Louis de Funès, Jean Marais, Mylène Demongeot, Jacques Dynam, Robert Dalban, François Christophe, Jean-Roger Caussimon, André Dumas

 

THEMA SUPER-VILAINS I SAGA FANTOMAS

Pour leur troisième aventure orchestrée par André Hunebelle, Fantomas, le super-vilain au masque bleu, et l’inspecteur Juve, son intraitable adversaire, s’éloignent de l’influence des James Bond pour une sorte de retour à l’esprit des romans originaux. Du moins pour ce qui est du cadre géographique, autrement dit un huis-clos dans une ambiance gothique. Pour le reste, la farce burlesque et les péripéties abracadabrantes sont toujours au menu, loin donc du ton des récits de Feuillade. Si Fantomas contre Scotland Yard se déroule en Ecosse, seules les images du générique sont tournées au Royaume-Uni. Car la grande majorité des prises de vues sont réalisées en France, autrement dit dans le château girondin de Roquetaillade pour certains intérieurs, la forêt de Fontainebleau pour les extérieurs champêtres et les plateaux des studios de Boulogne pour le reste. Cet ultime épisode souffre de la dégradation des relations entre Louis de Funès et Jean Marais. Le magnifique héros de La Belle et la Bête a bien compris qu’il était tombé de son piédestal depuis longtemps, passant du statut de superstar à celui de faire-valoir du clown vedette. Son âge ne l’autorisant plus à effectuer certaines cascades, une rancœur croissante s’installe et se ressent fatalement pendant le tournage.

Cette fois-ci, Fantomas décide de taxer les propriétaires de grandes fortunes d’un impôt sur le droit de vivre. Il prend l’identité du richissime Walter Brown, qu’il assassine, et annonce cette nouvelle taxe à Lord McRashley (Jean-Roger Caussimon), l’une des plus grosses fortunes d’Ecosse. Fandor (Marais), accompagné de sa fiancée Hélène (Mylène Demongeot), et Juve (De Funès), flanqué de son adjoint (Jacques Dynam), se rendent donc sur place, l’un pour un reportage, l’autre pour assurer la sécurité des lieux. Or Rashley décide de se servir d’eux comme appât pour piéger Fantomas et les invite dans son château, en compagnie de plusieurs millionnaires taxés eux aussi par le super-vilain. Nous voilà plongés dans une Ecosse bizarre où tout le monde parle français et où les mystères de Paris des épisodes précédents cèdent le pas à l’atmosphère des « ghost stories » à l’anglaise. La mécanique du vaudeville peut donc s’y installer tranquillement. Le gag récurrent de Juve qui voit des cadavres dans sa chambre mais qui, lorsqu’il alerte tout le monde, constate que les corps ont disparu, est répété jusqu’à épuisement. Tout comme celui des fantômes drapés qui apparaissent et disparaissent dans les couloirs.

« Tout fantôme aperçu dans le château sera arrêté sur le champ ! »

Bien sûr, De Funès reste désopilant, que ce soit à travers ses répliques absurdes (« Désormais, tout fantôme aperçu dans le château sera arrêté sur le champ ! ») ou dans son exercice favori des mimiques éberluées (lorsqu’il croit que son cheval parle notamment), mais cet épisode est clairement inférieur aux deux autres. Le remplacement du cadre urbain par la campagne écossaise y est pour beaucoup. Le manque de rebondissements du scénario aussi. Quelques moments non comiques fonctionnent pourtant bien, comme la révélation du visage de Fantomas face à l’amant de la femme de McRashley, en pleine chasse à courre, ou cette spectaculaire poursuite à cheval qui s’achève par l’accrochage de Jean Marais aux roues d’un avion en train de décoller. Le final voit le super-vilain prendre la fuite grâce à une fusée dissimulée dans l’une des tours du château, à grand renfort de stock-shots de l’armée pour décrire l’attaque de l’engin par une escouade d’avions militaires. Le film rapporte 3,5 millions d’entrées en France, soit un million de moins que le premier opus. Malgré sa fin ouverte, la saga en reste là et le quatrième volet envisagé, Fantomas à Moscou, reste dans les tiroirs. Les relations conflictuelles entre De Funès et Jean Marais auraient du reste joué aussi en défaveur de ce projet abandonné.

 

© Gilles Penso


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