JUMPER (2008)

Hayden Christensen incarne un jeune homme qui possède la capacité de se téléporter n’importe où sur la planète en un clin d’œil…

JUMPER

 

2008 – USA

 

Réalisé par Doug Liman

 

Avec Hayden Christensen, Jamie Bell, Rachel Bilson, Diane Lane, Samuel L. Jackson, Michael Rooker, Annasophia Robb, Max Thieriot, Kristen Stewart

 

THEMA POUVOIRS PARANORMAUX

Jumper fait partie de ces gros films de studios qui seront passés par de nombreuses réécritures avant d’aboutir au résultat que les spectateurs ont découvert à l’écran. Après avoir acquis les droits d’adaptation du roman homonyme écrit par Steven Gould et publié en 1992, la compagnie New Regency Productions engage Jim Uhls (Fight Club) pour retravailler une première version de scénario rédigée par David S. Goyer (Dark City, The Dark Knight). Lorsqu’il est embauché pour réaliser le film, Doug Liman (La Mémoire dans la peau) souhaite lui-même effectuer de nombreux changements. Un troisième larron entre donc en scène, Simon Kinberg (Mr. & Mrs. Smith), pour réviser une nouvelle fois le scénario. Ces changements successifs entravent inévitablement les préparatifs du film. D’autres complications surviennent dans la foulée. Alors que Liman a choisi ses deux acteurs principaux, Tom Sturrige (Les Voyages de Gulliver) et Teresa Palmer (The Grudge 2), le producteur Tom Rothman est soudain pris d’un doute. Selon lui, des personnages trop jeunes risquent de ne pas attirer le public, qui croira avoir affaire à un film pour enfants. À deux semaines à peine du début du tournage, les deux comédiens sont donc remplacés au pied levé par Hayden Christensen (l’Anakin Skywalker de la prélogie Star Wars) et Rachel Bilson (Newport Beach). C’est donc de manière un peu chaotique que Jumper se met en branle.

Depuis l’adolescence, David Rice (Christensen) sait qu’il peut se téléporter n’importe où sur Terre, une capacité qu’il a découverte par hasard quand il était lycéen à Ann Arbor. Cette aptitude, qu’il a perfectionnée au fil des années, lui permet d’échapper à la brutalité des autres élèves et à son père alcoolique, après que sa mère les ait abandonnés lorsqu’il avait cinq ans. Grâce à ce pouvoir, David n’a désormais plus de limites. Il peut déjeuner en Égypte sur la tête du Sphinx, faire du surf en Australie, dîner à Paris et prendre le dessert au Japon. Les murs ne l’arrêtent plus et aucun coffre de banque ne lui résiste. Il vole ainsi de l’argent pour mener une vie somptueuse et aventureuse à New York, alors que tout le monde dans son ancienne vie le croit mort. Libre et insouciant, David vit donc sans contraintes, jusqu’à ce qu’il décide de revenir à Ann Arbor. Là, il cherche à renouer avec Millie Harris (Rachel Bilson), son amie et amoureuse du lycée, pour lui faire vivre les aventures de voyage dont elle a toujours rêvé. Mais ce retour dans son passé va bouleverser sa vie…

Aux quatre coins du monde

Si l’on excepte les différents opus de La Mouche et de Star Trek (et dans une moindre mesure la série Heroes), le thème de la téléportation n’aura pas souvent été décliné à l’écran, malgré les nombreuses possibilités narratives qu’il offre. Jumper nous en propose donc une approche intéressante. Nerveuse à souhait, la mise en scène de Doug Liman intègre des effets visuels d’autant plus surprenants que jusqu’alors la téléportation était surtout visualisée par de simples fondus enchaînés et un peu de rotoscopie. Or ici, le phénomène se traduit par des déplacements ultradynamiques, aux conséquences souvent destructrices, via le transfert d’une énergie qu’on imagine considérable. Les autres points forts du film sont la prestation très charismatique de Christensen (tellement impliqué sur le tournage qu’il effectue plusieurs cascades et se blesse à de nombreuses reprises), le caractère résolument dépaysant de l’intrigue (le film a été tourné aux quatre coins du monde, dans une quinzaine de pays différents) et quelques mémorables morceaux de bravoure (notamment dans le Colisée de Rome). Mais le scénario ne sait que faire de tous ces atouts et stagne rapidement. Comme en outre Samuel L. Jackson peine à représenter la moindre menace crédible (il se la joue décontracté sans jamais susciter la moindre inquiétude), les enjeux du film tournent court et nous finissons par nous détacher de ce film certes distrayant mais pas franchement passionnant.

 

© Gilles Penso

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LE FEU DE L’AU-DELÀ (1989)

Tobe Hooper met en scène Brad Dourif dans le rôle d’un homme possédant le pouvoir de transformer en torches humaines tous ceux qui s’opposent à lui…

SPONTANEOUS COMBUSTION

 

1989 – USA

 

Réalisé par Tobe Hooper

 

Avec Brad Dourif, Cynthia Bain, Jon Cypher, William Prince, Melinda Dillon, Dey Young, Tegan West, Michael Keys Hall, Dale Dye, Dick Butkus, Joe Mays

 

THEMA POUVOIRS PARANORMAUX

Après Lifeforce, L’Invasion vient de Mars et Massacre à la tronçonneuse 2, tous trois produits par Cannon Group, Tobe Hooper se tourne vers le petit écran, réalisant une poignée d’épisodes pour Histoires fantastiques, Equalizer et Les Cauchemars de Freddy. À partir de là, un net infléchissement de sa carrière se fait hélas ressentir, Le Feu de l’au-delà marquant le point de départ de cette inéluctable chute qualitative. Le scénario de ce thriller de SF horrifique, qu’il co-écrit avec Howard Goldberg d’après une histoire originale de son cru, s’intéresse à un phénomène fascinant qui reste à ce jour inexpliqué : la combustion spontanée, autrement dit la calcination de corps dont la cause demeure inconnue. Tourné en huit semaines avec un budget de 5,5 millions de dollars, Le Feu de l’au-delà est produit dans des conditions relativement confortables, sous l’égide d’Henry Bushkin (bras droit de la star de la TV américaine Johnny Carson) et Arthur Sarkissian (producteur de Mort ou vif de Gary Sherman). Le résultat manque pourtant d’envergure et de panache, malgré quelques fulgurances furtives. Le film sera donc un échec cuisant au box-office, entaché il est vrai par une distribution chaotique et une exploitation en salles très limitée.

Le Feu de l’au-delà démarre en 1955. Brian et Peggy Bell prennent part au « projet Samson », une expérimentation orchestrée par l’armée américaine dans le désert du Nevada. Installés dans un bunker souterrain sous l’épicentre d’une explosion nucléaire, ils servent de sujets tests pour un sérum censé protéger des radiations. L’essai est concluant, et quelques mois plus tard, Peggy met au monde un garçon, Sam, né le 6 août 1955, exactement dix ans après le bombardement d’Hiroshima. Mais peu après, Brian et Peggy meurent de façon inexpliquée, consumés par une combustion spontanée. Trente-cinq ans plus tard, leur fils David mène une existence ordinaire d’enseignant dans un lycée, bien qu’il souffre régulièrement de violentes migraines. Lorsqu’il apprend la disparition troublante d’une femme retrouvée calcinée après une vive altercation avec lui, il comprend avec effroi qu’il détient un pouvoir de pyrokinésie…

Flammes fatales

Si le scénario rappelle beaucoup Furie et surtout Firestarter, là n’est pas son pire travers. Le film se révèle en effet bardé de confusions et d’invraisemblances. Les dialogues improbables et les acteurs qui jouent en roue libre sans la moindre retenue n’aident pas. Brad Dourif n’a certes jamais été un modèle de sobriété, et c’est justement dans ses outrances qu’il séduit généralement ses fans. Mais ici, rien ne va plus : il passe son temps à hurler, à gesticuler, à écarquiller les yeux sans garde-fou, provoquant chez les spectateurs un mélange d’exaspération et d’hilarité. « Ce film n’a pas de sens », avouera l’acteur un an après sa sortie « J’ai l’impression que ce sont les producteurs qui l’ont détruit. Tobe aurait pu faire trois films différents avec le matériel dont il disposait, et chacun aurait fonctionné. Mais là, nous passons d’une histoire d’amour à un thriller à suspense, puis à un film sur un type qui devient fou et dont la force destructrice va anéantir l’humanité. Mon jeu est à peu près cohérent au début, puis ça ne va plus du tout, parce que je me suis retrouvé à la merci de gens qui ne savaient pas ce qu’ils faisaient » (1). Restent les scènes pyrotechniques, stupéfiantes de réalisme et d’étrangeté – les bras des victimes se transforment en véritables lance-flammes, leurs visages se consument en fumant –, et quelques scènes amusantes comme l’apparition de John Landis dans le rôle d’un technicien radio qui finit en flammes comme la majorité du casting. Ça ne suffit évidemment pas à faire un bon film.

 

(1) Extrait d’une interview parue dans Fangoria en 1990

 

© Gilles Penso

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JOSH KIRBY : TIME WARRIOR ! CHAPITRE 5 – MAGIC CAVERN (1996)

Dans cette cinquième aventure, le jeune voyageur temporel et ses compagnons se retrouvent dans une caverne peuplée d’hommes-champignons…

JOSH KIRBY TIME WARRIOR! CHAPTER 5: MAGIC CAVERN

 

1996 – USA

 

Réalisé par Ernest D. Farino

 

Avec Corbin Allred, Jennifer Burns, Derek Webster, Barrie Ingham, Matt Winston, Nick De Gruccio, Cindy Sorenson, Michael Hagiwara, Lomax Study

 

THEMA VOYAGES DANS LE TEMPS I SAGA JOSH KIRBY I CHARLES BAND

Pour finir la saga Josh Kirby, entamée en 1995, le producteur Charles Band est obligé de resserrer les cordons de la bourse. Paramount Vidéo a en effet décidé de cesser son association avec lui et donc la distribution des vidéocassettes des produits estampillés Full Moon. Les budgets de cette série de films de SF pour jeune public étant déjà très réduits, les choses vont de mal en pis pour les réalisateurs, obligés malgré tout d’assurer le spectacle. Signataire des deux premiers opus, Ernest Farino rempile et fait ce qu’il peut. La grande majorité de l’intrigue de ce cinquième chapitre se situant dans une grotte souterraine, il profite d’un immense décor déjà construit pour les besoins de l’épopée fantastique The Primevals de David Allen. « Malheureusement, ce décor, qui faisait environ la moitié de la longueur d’un terrain de football, n’avait pas de toit », raconte Farino. « Nous avons donc demandé qu’un toit soit ajouté, ou au moins une toile, puisque notre histoire se déroulait sous terre, et nous étions conscients que l’objectif était de tourner ces films en deux semaines. Le coût d’un toit ou d’une couverture a été estimé à 12 000 dollars et cette idée a été rejetée. » (1) Farino tourne donc principalement de nuit, avec un acteur principal mineur dont les heures de travail sont rigoureusement réglementées. Résultat : le tournage prend trois semaines de retard et entraîne un surcoût de 25 000 dollars. Mauvais calcul du côté des comptables de Full Moon !

Josh Kirby, le scientifique Irwin 1138 et la guerrière Azabeth Siege poursuivent leur quête à travers le temps et l’espace pour récupérer avant le sinistre Dr Zoetrope les composants du Nullifier, un artefact extra-terrestre très puissant et potentiellement très dangereux. Leur voyage les mène sous terre, sur une planète peuplée d’hommes-champignons, qui parlent anglais avec des accents variés (italien, japonais, français) et portent des noms évocateurs tels que Porcini, Shitake ou Truffe. Ces créatures bizarroïdes mais sympathiques, fascinées par Prism (la petite créature facétieuse qui accompagne nos héros partout), le vénèrent comme une divinité. Les choses tournent mal lorsque l’état de santé d’Azabeth commence à décliner après qu’elle ait mordu un morceau de champignon. Irwin, inquiet, lui explique que « la frontière entre aucun effet du tout et une dose mortelle est très fine », ce qui n’est évidemment pas très rassurant. Pour tenter de sauver la jeune guerrière, le roi des champignons fait appel à son médecin, mais celui-ci se montre impuissant. Le seul espoir réside désormais dans la quête d’un antidote, qu’ils doivent partir dénicher dans une zone très dangereuse baptisée Nightmare Hollow…

Gare aux morilles !

Comme toujours, les effets spéciaux sollicités par le scénario sont bricolés avec les moyens du bord (maquillages variés, marionnettes, maquettes, incrustations) et tiennent à peu près la route, à l’exception des affreuses images de synthèse sollicitées pour créer une nuée d’abeilles phosphorescentes. Les prothèses utilisées pour le peuple champignon sont plutôt réussies (si l’on accepte le caractère cartoonesque des personnages), le décor de la caverne apporte une précieuse plus-value visuelle et les différents périls qui surviennent au cours du périple de nos héros (sables mouvants, pont suspendu au-dessus d’une mer de lave en fusion, robot rongeur géant qui hypnotise ses proies) sont très raisonnablement distrayants. Au détour du casting, on apprécie la prestation exubérante de Matt Winston dans le rôle d’un inventeur excentrique qui a conçu une marionnette animatronique géante (ce qui ne manque pas d’ironie puisque c’est le vrai métier du père de l’acteur, Stan Winston, concepteur notamment de la reine extra-terrestre d’Aliens et du T-rex de Jurassic Park). Le dernier acte nous permet de découvrir un nouveau pouvoir de Josh (remonter le temps de quelques minutes en créant une « tempête temporelle ») et d’apprécier un clin d’œil à Star Trek (avec la reprise du fameux monologue du capitaine Kirk en version « champignon »), jusqu’à un audacieux retournement de situation final qui remet en question une partie des péripéties des opus précédents.


(1) Propos extraits du livre « It Came From the Video Aisle ! » (2017)

 

© Gilles Penso

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THE LITTLE MERMAID (2024)

La gentille petite sirène d’Andersen et Disney se transforme ici en monstre assoiffé de sang humain, sous haute influence de H.P. Lovecraft…

THE LITTLE MERMAID

 

2024 – USA

 

Réalisé par Leigh Scott

 

Avec Mike Markoff, Lydia Helen, Jeff Denton, Sean-Michael Argo, Winston Crooke, Wayne Gordon, Samuel Selman, Thomas Downey, Manon Laurent, Leigh Scott

 

THEMA MONSTRES MARINS

Leigh Scott est un grand habitué des films fantastiques aux budgets minuscules qui plagient les blockbusters du moment. Nous lui devons Le Seigneur du monde perdu, Transmorphers, Cyborg Conquest, Piranha Sharks et une trentaine d’autres séries B/Z du même acabit. The Little Mermaid s’inscrit dans une vogue différente, celle de réinventer les personnages des films pour enfant en les transformant en créatures de films d’horreur. Nous sommes donc dans un esprit voisin de Winnie the Pooh : Blood and Honey, Mickey’s Mouse Trap ou Cinderella’s Curse. Un texte dans le générique de Little Mermaid positionne le film comme une adaptation de l’histoire écrite par Hans Christian Andersen, mais il est évident que la version « live » produite par le studio Disney en 2023 est la principale motivation de la mise en chantier de cette variante horrifique du célèbre conte. L’une des scènes introductives donne le ton. Un bateau de pêche y récupère dans un filet une sirène ayant perdu connaissance. Mais celle-ci n’a pas le caractère affable et sympathique de la joviale Ariel. C’est une créature assoiffée de sang qui exhibe des crocs acérés et massacre les deux hommes à bord du bateau avant de retourner à la mer.

Le personnage principal de ce Little Mermaid est le docteur Eric Prince (Mike Markoff), qui mène des fouilles archéologiques sur une île des Caraïbes dans l’espoir de ramener la preuve de l’existence d’une société préhistorique très avancée. Mais les propriétaires des lieux voient d’un mauvais œil ces excavations et menacent à tout moment de couper court à l’autorisation de poursuivre les recherches. Lorsqu’une des étudiantes d’Eric trouve un corps momifié dans une espèce de sarcophage, accompagné de l’idole en pierre d’une divinité sumérienne, celui-ci exulte. « C’est l’une des plus grandes découvertes de l’histoire de l’archéologie depuis le trésor de Toutankhamon » s’écrie-t-il. Alors qu’il rêve déjà de prouver à la communauté scientifique que ses théories jugées farfelues sont fondées, il rencontre la mystérieuse Aurora Bey (Lydia Helen), qui possède des objets anciens de très grande valeur. Il tombe rapidement sous son charme. Mais ne cache-t-elle pas sa vraie nature ?

Quand Splash rencontre Dagon

La première partie du film s’intéresse à la romance naissante entre Eric et Aurora. « C’est comme un film de Tom Hanks ! » s’écrie même l’archéologue après avoir soupçonné la belle inconnue d’être une sirène. Leigh Scott prend visiblement son sujet au sérieux et essaie de creuser ses personnages, s’appuyant sur des performances plutôt convaincantes. Mais à part la première scène d’attaque, il faut bien reconnaître qu’il ne se passe pas grand-chose de palpitant pendant un bon moment. Lorsque l’intrigue décolle enfin, c’est pour nous surprendre agréablement. Car au lieu de s’inspirer d’Andersen ou de Disney, Leigh Scott s’appuie sur les écrits de H.P. Lovecraft, qu’il avait déjà abordés frontalement dans Necronomicon : le livre de Satan en 2008. La statuette trouvée sous terre est celle du dieu Dagon, l’un des étudiants porte un T-shirt « Miskatonic University », le mentor du héros évoque un culte démoniaque à Innsmouth, un clin d’œil tardif annonce même l’avènement de Cthulhu. Rattacher l’histoire de la petite sirène au mythe des Grands Anciens est un choix audacieux, The Little Mermaid prenant presque les allures d’une suite du Dagon de Stuart Gordon auquel il se réfère directement au cours d’une séquence de cauchemar. Avec sa mise en forme soignée, ses sites naturels très photogéniques, captés à Saint-Christophe-et-Niévès dans les Caraïbes, et le charme indiscutable de Lydia Helen, qui nous ferait presque croire à sa nature surnaturelle, The Little Mermaid est sans conteste l’un des meilleurs films de Leigh Scott. La barre n’était certes pas très haute jusqu’à présent, mais c’est tout de même une bonne surprise.

 

© Gilles Penso

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ELLE VOIT DES NAINS PARTOUT ! (1982)

Dans cette adaptation délirante d’une pièce de théâtre à succès, Blanche-Neige est une nymphomane délurée incarnée par Zabou…

ELLE VOIT DES NAINS PARTOUT !

1982 – FRANCE

Réalisé par Jean-Claude Sussfeld

Avec Zabou, Claire Magnin, Gaëlle Legrand, Roland Giraud, Martin Lamotte, Thierry Lhermitte, Josiane Lévêque, Marilyne Canto, Christian Clavier, Philippe Bruneau

THEMA CONTES

 

Après ses premiers pas au théâtre en 1959 avec Les Précieuses ridicules, sur la scène du théâtre de Chaillot, Philippe Bruneau plonge dans l’effervescence du café-théâtre, qui vit ses grandes heures dans les années 70. Il rejoint alors la troupe de la Veuve Pichard, aux côtés d’autres joyeux drilles comme Martin Lamotte, Roland Giraud et Gérard Lanvin. Mais Bruneau ne se contente pas d’interpréter : il écrit et met en scène. Son œuvre la plus mémorable est Elle voit des nains partout, une pièce en alexandrins qui revisite l’univers des contes de fées sous un jour parodique, grivois et irrévérencieux. Aux côtés de sa compagne Claire Nadeau, Bruneau porte ce spectacle iconoclaste pendant quatre ans à la Cour des Miracles. Les pièces comiques issues du café-théâtre donnant souvent des films à succès (comme le prouva l’équipe du Splendid avec Les Bronzés et Le Père Noël est une ordure), l’envie de porter à l’écran Elle voit des nains partout finit par s’imposer comme une évidence. Elle se concrétise avec l’aide de Jean-Claude Sussfeld, assistant de réalisateurs tels que André Hunebelle, Gérard Oury, Michel Audiard, Claude Sautet, Yves Boisset ou Jean-Luc Godard, qui effectue à l’occasion ses premiers pas de metteur en scène et co-écrit l’adaptation avec Bruneau.

Lorsque le film commence, tout le royaume est en effervescence : le roi de France (Jean-Paul Muel) s’apprête à avoir un fils. Mais contre toute attente, c’est une fille qui naît. Sa mère, morte en couches, était perse et souhaitait qu’on la prénomme Neige (pour faire un jeu de mot désopilant). En voyant la pâleur du teint du bébé, son père s’exclame : « Comme tu es blanche, Neige ! ».  Le ton d’Elle voit des nains partout ! est donc donné dès les premières minutes. Le roi ne voulant pas d’une fille, le connétable Albert (Philippe Bruneau) et la nounou anglaise Amelys (Valentine Monnier) s’enfuient avec l’enfant et fondent un foyer dans la forêt. Un an plus tard, ils donnent naissance à un fils si laid qu’ils essaient de l’abandonner dans les bois avant de le céder à un orphelinat. En grandissant, Blanche Neige devient une princesse joviale mais nymphomane campée par Zabou dans son premier rôle au cinéma. Alors que la princesse rêve de passer à la casserole à la moindre occasion, la nouvelle épouse du roi (Claire Magnin), agacée d’entendre dire par son miroir magique que Blanche-Neige est la plus belle, demande à une escouade de chevaliers de lui mettre la main dessus pour s’en débarrasser…

Les contes défaits

Elle voit des nains partout ! ne se contente pas de torpiller l’histoire de Blanche-Neige, puisque des dizaines de personnages issus de la littérature populaire, de la Bible ou des contes de fées s’emmêlent ici dans le désordre le plus total : Cosette, Jean Valjean, la fée Carabosse, Joseph et Marie de Nazareth, les Rois Mages, le Petit Chaperon Rouge, Charles Martel, Robin des Bois, Tarzan, les trois petits cochons, le Petit Poucet… Cette profusion inspirera aux dessinateurs Solé et Gotlib le fameux poster du film. Pour interpréter tout ce beau monde, un casting hétéroclite participe à l’aventure. La bande de la Veuve Pichard répond bien sûr à l’appel (Martin Lamotte et Roland Giraud donnent la réplique à Philippe Bruneau), mais aussi quelques membres de l’équipe du Splendid (Thierry Lhermitte et Christian Clavier) et du Café de la Gare (Coluche et Renaud). Ambitieux, le film sollicite de la figuration costumée et des décors médiévaux, jouant souvent le jeu de l’anachronisme (les allers-retours dans la salle de contrôle futuriste où se prennent les grandes décisions, l’apparition d’une troupe de scouts, le surgissement d’un car de touristes japonais, le passage impromptu d’un train). Il faut bien reconnaître qu’une grande partie des gags du film est sérieusement datée, notamment les numéros musicaux (moins efficaces que sur scène avec le public) et les références aux spots publicitaires de l’époque. Mais on se régale devant cette galerie de comédiens à la bonne humeur communicative (notamment Zabou dont le talent se révèle avec éclat) et l’on apprécie les quelques parenthèses poétiques inattendues qui donnent au Temps les traits d’un vieil homme chargé de lourds fardeaux et d’une grande horloge, et à la Mort ceux d’un cowboy tout de noir vêtu.

 

© Gilles Penso

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UN NOUVEAU DÉPART POUR LA COCCINELLE (1997)

La célèbre Volkswagen affronte son double maléfique dans cet opus délirant qui donne la vedette à Bruce Campbell…

THE LOVE BUG

 

1997 – USA

 

Réalisé par Peyton Reed

 

Avec Bruce Campbell, John Hannah, Alexandra Wentworth, Kevin J. O’Connor, Dana Gould, Harold Gould, Micky Dolenz, Burton Gilliam, Clarence Williams III

 

THEMA OBJETS VIVANTS I SAGA LA COCCINELLE

Après quatre longs-métrages (sortis en salle entre 1968 et 1980) et une série TV (diffusée en 1982), la célèbre Coccinelle fait son retour sous forme d’un téléfilm dirigé par Peyton Reed (futur réalisateur de Ant-Man et de plusieurs épisodes de The Mandalorian). Ce bon vieux Bruce Campbell en tient la vedette. Car après L’Armée des ténèbres, le héros de la saga Evil Dead s’est mis à multiplier les rôles pour le grand et le petit écran en ne s’interdisant aucun style : la comédie féerique (Le Grand saut), le western fantastique (Brisco County), le techno-thriller exotique (Congo), les séries super-héroïques (Loïs & Clark : les nouvelles aventures de Superman), les aventures post-apocalyptiques (Los Angeles 2013). Alors pourquoi pas un épisode de La Coccinelle ? Diffusé pour la première fois sur ABC dans le cadre du programme Le Monde merveilleux de Disney, ce téléfilm est à la fois un remake et une suite d’Un amour de Coccinelle. Son titre original reprend d’ailleurs celui du tout premier film de la série. Le prologue nous apprend que Herbie/Choupette, après avoir appartenu au pilote Jim Davis, s’est retrouvée entre les mains de Simon Moore III (John Hanna), un coureur arrogant et tricheur qui perd une course en la conduisant et l’envoie aussitôt à la casse.

Nous faisons alors connaissance de Hank Cooper (Bruce Campbell), un ex-pilote de Formule 1 devenu mécanicien dans un garage modeste avec son collègue fantasque Roddy (Kevin J. O’Connor). Leur patron Chuck (Clarence Williams III) les inscrit à un concours de mécanique où les participants sont chargés de réparer un tacot qu’ils devront faire courir. Hank et Roddy héritent de la vieille Coccinelle, la seule voiture restante. Contraints de relever le défi, ils parviennent à lui redonner vie juste avant qu’elle ne soit remorquée hors de la piste. Grâce à l’aide de cette voiture particulièrement capricieuse qui semble lui témoigner une confiance inattendue, Hank réussit à remporter la course, retrouvant ainsi la foi en ses capacités de pilote. Ce succès inattendu attire l’attention de son ex-petite amie Alex Davis (Alexandra Wentworth), journaliste sportive chez Auto Magazine, mais attise aussi l’esprit revanchard du vil Simon Moore III. Ici, Kevin Connor reprend à peu de chose près le rôle du mécano que jouais Buddy Hackett dans Un amour de Coccinelle, un hurluberlu sympathique qui est le seul à pouvoir comprendre Choupette et communiquer avec elle. John Hannah, lui, assure la fonction de méchant imbu de lui-même (comme David Tomlinson en son temps) tandis que Bruce Campbell et Alexandra Wentworth se tournent autour comme chien et chat, à la manière du couple qu’incarnaient Dean Jones et Michele Lee. Nous sommes donc en terrain connu.

Enfer mécanique

Mais Un nouveau départ pour la Coccinelle tient à aller plus loin en nous révélant ce qui n’avait jamais été raconté auparavant : les origines de cette voiture aux capacités hors du commun. Un flash-back en noir et blanc qui se frotte au mythe de Frankenstein nous apprend donc qu’après la deuxième guerre mondiale, à la demande du gouvernement américain, l’ingénieur allemand Gustav Stümpfel fut chargé de concevoir une voiture autonome aux fortes capacités. Alors qu’il effectuait des tests pour trouver le métal idéal (dans une grande cuve digne de celle d’un alchimiste), la photo de sa bien-aimée Elsa tomba dans la mixture en fusion. Et voilà comment Herbie/Choupette fut dotée d’une âme ! Mais le scénario n’arrête pas là ses audaces. Perclus de jalousie, Simon Moore III demande en effet à Stümpfel de fabriquer une autre voiture du même type. Pour l’ingrédient « magique », le pilote antipathique choisit la photo de la personne qu’il aime le plus… autrement dit lui-même ! Ainsi naît Horace, le double maléfique de Herbie bourré de gadgets mortels tels que des scies latérales, un lance grenades et des rayons laser. D’où un affrontement homérique qui tient lieu de climax à cette variante très distrayante au cours de laquelle Dean Jones fait une apparition en guest-star, reprenant le rôle d’un Jim Douglas vieillissant. Deux ans plus tard, John Hannah et Kevin J. O’Connor se retrouveront dans La Momie.

 

© Gilles Penso

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THE REFRIGERATOR (1991)

Dans ce petit film d’horreur parfaitement improbable, un jeune couple est menacé dans son appartement par un frigo démoniaque !

THE REFRIGERATOR

 

1991 – USA

 

Réalisé par Nicholas Jacobs

 

Avec Julia McNeal, Dave Sidmonds, Phyllis Sanz, Angel Caban, Nena Segal, Jaime Rojo, Alex Trisano, Peter Justinus, Karen Wexler, Michael Beltran, Jack Mason

 

THEMA OBJETS VIVANTS

Après avoir travaillé pour la télévision et avoir assuré le poste de second assistant réalisateur sur la chronique newyorkaise Clins d’œil sur un adieu de Bill Sherwood (avec un tout jeune Steve Buscemi), Nicholas Jacobs décide d’écrire et mettre en scène son premier long-métrage, un film d’horreur insolite consacré à un réfrigérateur démoniaque ! Le projet n’est pas simple à monter financièrement, on s’en doute, et si la première version du script est écrite en 1987, le film ne se concrétise que quatre ans plus tard. Jacobs le tourne à New York avec un budget anémique de 500 000 dollars. La production ayant décidé de ne pas soumettre The Refrigerator à la commission de la MPAA (Motion Pictures Association of America) qui est chargée de classifier les œuvres cinématographiques aux États-Unis, le réalisateur n’est bridé par aucune censure et peut se permettre tous les excès gore sans contrainte. Mais en contrepartie, le film sort directement en vidéo (après quelques projections isolées en festival), n’a qu’une exploitation très limitée et disparait rapidement de la circulation. Jacobs lui-même ne réalisera plus tard qu’un autre long-métrage, la satire militaire Weapons of Mass Destruction, et quelques épisodes de séries TV.

Steve et Eileen Bateman (Dave Sidmonds et Julia McNeal), deux jeunes mariés originaires de Chagrin Falls, Ohio, emménagent à New York dans un petit appartement meublé, attirés par son loyer étonnamment bas. Au cœur de leur nouvelle cuisine trône un immense réfrigérateur par lequel le malheur ne va pas tarder à arriver. Tandis que Steve débute un nouveau travail et qu’Eileen rêve d’une carrière d’actrice, d’étranges événements commencent à troubler leur quotidien. Un soir, après une virée arrosée, un couple anonyme pénètre ainsi dans l’appartement et fait l’amour devant la cuisine. Soudain, la femme est aspirée par le réfrigérateur et disparaît sans laisser de trace. Peu à peu, le frigo démoniaque hante les nuits de Steve et Eileen sous forme de cauchemars bizarres, l’atmosphère devient de plus en plus pesante, la relation du couple se détériore et Steve sombre lentement dans la folie. C’est alors que surgit Juan (Angel Caban), un plombier excentrique qui avertit Eileen : selon lui, ce réfrigérateur est un portail vers l’enfer, contrôlé par le diable lui-même…

Cauchemar en cuisine

The Refrigerator ne sait manifestement pas sur quel pied danser. Partagé entre l’envie d’être une comédie et un film d’horreur, il ne fait ni vraiment rire ni particulièrement peur. Certes, la vision impensable de ce frigo géant qui se déplace dans l’appartement pour attaquer les gens et engloutir ses victimes a quelque chose de joyeusement divertissant. Mais les séquences de mises à mort – qu’on aurait espéré excessives et originales – ne sont finalement que rares et frustrantes. On se rabat alors sur une poignée de séquences insolites, notamment les cauchemars du couple qui imagine toutes sortes de choses bizarres à l’intérieur du réfrigérateur (des gens minuscules au milieu des aliments, un bébé qui flotte dans du liquide amniotique). On se croirait presque chez David Lynch ! Dommage que ces écarts restent isolés, tout comme ce plongeon bref dans l’absurde au moment où le plombier bolivien incarné par Angel Caban (échappé de Troma’s War) se lance dans un flamenco endiablé. Le climax ne fait pas dans la demi-mesure, une fête organisée dans l’appartement virant au cauchemar lorsque le frigo se réveille et donne vie à tous les autres appareils de la cuisine (poubelle, ventilateur, mixeur) pour un joyeux carnage final. Bref, The Refrigerator n’exploite que très partiellement son potentiel mais ravira les amateurs de petites curiosités improbables.

 

© Gilles Penso

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THE ELECTRIC STATE (2025)

Millie Bobby Brown et Chris Pratt errent dans un monde alternatif où les humains et les robots ne sont plus autorisés à cohabiter…

THE ELECTRIC STATE

 

2025 – USA

 

Réalisé par Anthony et Joe Russo

 

Avec Millie Bobby Brown, Chris Pratt, Ke Huy Quan, Stanley Tuddi, Woody Norman, Giancarlo Esposito, Jason Alexander, Martin Klebba, Martin Hinkle, Michael Trucco

 

THEMA ROBOTS

Ce titanesque blockbuster de science-fiction, l’un des longs-métrages les plus coûteux de l’histoire du cinéma au moment de sa mise en production (320 millions de dollars de budget), s’inspire d’un roman graphique de Simon Stålenhag paru en 2018. Anthony et Joe Russo, les chouchous du studio Marvel depuis 2014 (Captain America : le soldat de l’hiver, Captain America : Civil War, Avengers : Infinity War, Avengers : Endgame), font l’acquisition des droits du livre un an avant sa publication et envisagent d’en produire l’adaptation en cédant la place du réalisateur à Andres Muschietti (Ça). Universal est alors positionné pour distribuer le film en salles. Mais la concrétisation de The Electric State prend plus de temps que prévu, poussant Muschietti à se retirer pour partir réaliser The Flash. C’est finalement Netflix qui récupère les droits du film en 2022. Les frères Russo prennent en charge eux-mêmes la mise en scène et truffent chaque séquence d’effets visuels et d’images de synthèse à très grande échelle conçus par une myriade de compagnies prestigieuses dont Digital Domain et Industrial Light & Magic. D’où une post-production à rallonge. Le but est manifestement d’en mettre plein la vue aux spectateurs, même si le film ne sera apprécié que sur les petits écrans.

The Electric State est une uchronie. Dans ce monde alternatif, les années 1990 ont été marquées par une guerre dévastatrice entre les humains et les robots, déclenchée lorsque les machines ont réclamé des droits et une autonomie. Les humains ont fini par triompher grâce à l’invention du neurotransmetteur, une technologie permettant aux combattants de piloter à distance des robots guerriers sans risquer eux-mêmes d’être blessés ou tués. Après cette victoire, la paix est revenue dans le monde. La technologie du neurotransmetteur offre désormais à chacun un don d’ubiquité, du moins la possibilité de faire agir à distance un double robotisé tout en restant tranquillement confiné. C’est dans ce contexte que Michelle (Millie Bobby Brown), une jeune fille rebelle ayant perdu son frère et ses parents dans un accident de voiture, vit désormais au sein d’une famille d’accueil. Un soir, sa vie prend un tournant inattendu lorsqu’elle reçoit la visite d’un étrange robot au look cartoonesque qui semble la connaître personnellement. Or les interactions entre les humains et les robots sont strictement interdites depuis la guerre…

Robots sauvages

L’ambition visuelle de The Electric State est indiscutable. Les séquences d’action rivalisent de générosité et d’hypertrophie, les frères Russo enchaînant les tableaux visuels dignes des couvertures de romans de SF pulp à l’ancienne : le robot géant qui traverse le désert en portant un van sur son épaule, les vastes paysages jonchés d’immenses carcasses mécaniques déchues, l’énorme machine bipède qui balance des voitures contre la façade d’un immeuble ou encore cette galerie marchante où grouillent des robots grotesques qui semblent inspirés par les personnages des comic strips des années 20 et 30. Mais l’effet de déjà-vu n’est pas exclu pour autant. Le film puise beaucoup chez Terminator (jusqu’à en reprendre certains effets sonores), A.I. (avec ses robots charognards faits de bric et de broc) et Ready Player One (les combattants commandés à distance par des employés derrière des casques virtuels). Cette dernière influence est renforcée par la bande originale d’Alan Silvestri. D’autre part, si le casting du film est attrayant, chacun semble rester sagement dans sa zone de confort. Millie Bobby Brown est fidèle à son image de jeune héroïne forçant l’adversité avec détermination et anticonformisme, Chris Pratt cabotine dans son registre habituel d’anti-héros sympathique sous influence d’Harrison Ford (il reprend même le look de Han Solo), Giancarlo Esposito joue comme toujours le salaud charismatique… Bref, rien de bien nouveau. The Electric State nous laisse en définitive une impression très mitigée, celle d’un spectacle grandiose qui se donne les moyens de ses ambitions mais peine à sortir du lot. C’est un refrain connu chez Netflix.

 

© Gilles Penso

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SOUDAIN DANS LA NUIT (1981)

Un couple coréen accueille une jeune femme de ménage qui porte pour tout bagage une étrange poupée en bois…

GIPEUN BAM GABJAGI

 

1981 – CORÉE

 

Réalisé par Young Nam Ko

 

Avec Kim Young-ae, Yoon Il-bong, Lee Ki-seon, Hyun Hye-ri, Kim Heun-hie, Kim Min-gyu, Kim Gi-jong, Lee Yae-sung, Gwak Geon, Yoo Myeong-sun

 

THEMA SORCELLERIE ET MAGIE I JOUETS

Young Nam Ko (dont le nom s’orthographie aussi Go Yeong-Nam ou Ko Young-Nam) est ce qu’on appelle un stakhanoviste. Entre 1964 et 2000, ce réalisateur infatigable aura mis en boîte plus de 105 longs-métrages, alternant les genres (drame, policier, romance, action) et tournant généralement quatre ou cinq films par an. Cette hyperactivité ne l’empêche pas de soigner son travail, de styliser sa mise en scène et de s’adonner à des expérimentations intéressantes. En ce domaine, Soudain dans la nuit est un véritable showcase de son savoir-faire, cette incursion dans l’horreur psychologique lui permettant de jouer sans cesse avec les perceptions des spectateurs et de son personnage principal. Le film entre en production à la fin du règne dictatorial de Park Chung-hee, assassiné en 1979. Avec l’arrivée d’un nouveau régime et l’assouplissement considérable de la censure, le cinéma érotique prend son essor. Young Nam Ko lui emprunte plusieurs de ses codes, même si Soudain dans la nuit échappe un peu aux étiquettes. S’il semble se conformer aux atmosphères des films de fantômes asiatiques et s’il se laisse influencer par le cinéma de genre international (on pense à Suspiria et à Shining, surtout au cours de son dernier acte), le film prend aussi les allures d’un drame psychologique inscrit dans un cadre social réaliste, celui d’une famille bourgeoise de Séoul dont l’équilibre est en train de se briser.

Seon-hee est la mère d’une charmante petite fille et l’épouse de Kang Yu-jin, un professeur de biologie spécialisé dans les insectes qui quitte régulièrement le foyer pour partir chasser les papillons rares. Un soir, après l’une de ses expéditions, notre homme convoque plusieurs de ses collègues pour leur montrer les diapositives de ses derniers trophées. Bizarrement, la photo d’une poupée en bois mystérieuse s’est glissée parmi ces clichés. Probablement une erreur du laboratoire. Toujours est-il que la vision de cette image incongrue trouble inexplicablement Seon-hee. De retour d’une autre excursion, le savant ramène Mi-ok, une jeune femme qui errait dans un village voisin après l’incendie qui causa la mort de sa mère. L’épouse regarde d’un mauvais œil cette jolie inconnue mais se ravise en découvrant qu’elle pourrait faire une très bonne femme de ménage (une denrée rare, visiblement). Or la mère de Mi-ok était chamane. Et dans ses bagages, la jeune fille transporte comme seul bagage une poupée identique à celle aperçue sur l’étrange cliché…

Sanglante paranoïa

Progressivement, par petites touches, Young Nam Ko instille le trouble qui saisit Seon-hee, femme au foyer docile dont les fêlures soudaines ne vont cesser de se creuser. Tout commence par une étrange obsession qu’elle développe autour du corps trop parfait de Mi-ok, puis par l’inquiétude croissante d’une possible infidélité de son époux. Le doute se mue en paranoïa, ce que le réalisateur traduit par de très gros plans sur des pas, sur une oreille soudain dressée, sur un regard. Tout finit par devenir suspect, la voix off de Seon-hee nous permettant d’appréhender ses pensées confuses. Très inspiré, Young Nam Ko se laisse aller à quelques envolées psychédéliques en sollicitant des effets kaléidoscopiques qui multiplient l’écran en de nombreuses facettes, des cercles vitreux qui altèrent l’image ou divers filtres déformants. Tandis que la confusion s’exacerbe, les migraines, les vertiges et les malaises frappent Seon-hee. Le film reste volontairement ambigu sur la nature véritable de la menace. Mi-ok cherche-t-elle à tuer sa maîtresse pour prendre sa place ? Est-ce un être diabolique qui se dissimule sous un masque de candeur et d’affabilité ? Sa poupée est-elle porteuse d’esprits démoniaques ? Tout se passe-t-il dans la tête de notre infortunée mère de famille ? Fascinant, le film s’achève sur un climax horrifique balayant toute approche réaliste pour traduire un sentiment de cauchemar éveillé, jusqu’à un final savoureux au cours duquel la folie et la possession diabolique fusionnent.

 

© Gilles Penso

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CÉRÉMONIE SANGLANTE (1973)

Le réalisateur du Massacre des morts-vivants réinvente la légende de la comtesse Bathory dans un village hongrois du 19ème siècle…

CEREMONIA SANGRIETA

 

1973 – ESPAGNE / ITALIE

 

Réalisé par Jorge Grau

 

Avec Lucia Bosé, Espartaco Santoni, Ewa Aulin, Ana Farra, Silvano Tranquilli, Lola Gaos, Enrique Vivo, Maria Vico, Angel Menendez, Adolfo Thous, Ismael Garcia-Romeu

 

THEMA VAMPIRES

Depuis la fin des années 60 et Les Vampire du docteur Dracula, le cinéma d’épouvante espagnol est en plein essor et se déploie tous azimuts, trop heureux d’étaler à l’écran du sang et du sexe en accord avec les codes des œuvres d’exploitation de l’époque. S’engouffrant dans cette mouvance, Jorge Grau se lance avec Cérémonie sanglante dans une interprétation très personnelle des célèbres crimes de la comtesse Erzebeth Bathory, dont les méfaits sanglants inspirèrent des cinéastes aussi variés que Peter Sasdy (Comtesse Dracula), Harry Kümel (Les Lèvres rouges) ou Luigi Batzella et Joe d’Amato (Les Vierges de la pleine lune). Malgré tout, l’approche de Grau reste surprenante et inhabituelle, dans la mesure où son film cherche à s’inscrire – avec une liberté artistique manifeste – dans le contexte historique de l’Europe de l’Est de la fin du 19ème siècle, soit deux cents ans après les faits dont fut présumée coupable la « comtesse sanglante ». Et si son film sacrifie aux séquences horrifiques ponctuées d’une pointe d’érotisme, là n’est visiblement pas son objectif premier. Futur réalisateur du remarquable Le Massacre des morts-vivants, Grau cherche avant tout à décrire une époque constellée de superstitions, de bigoterie, de folklores et de pratiques convoquant le surnaturel même lorsque celui-ci ne montre pas le bout de son nez.

« Cajlice, Europe centrale, 1807 » nous annonce un carton d’introduction. Une procession sinistre avance dans un cimetière nocturne, rythmée par une musique lugubre et par les hurlements lointains des loups. Brandissant des torches et des livres de prière, les villageois ouvrent le cercueil d’un présumé vampire et enfoncent un pieu dans son cœur, agrémentant leur rituel d’étranges pratiques comme la cavalcade à cheval d’un jeune homme vierge entièrement nu. Face aux croyances archaïques de cette population facilement influençable, le marquis Karl Ziemmer (Espartaco Santoni) et son épouse Erzebeth (Lucia Bosé) se démarquent fortement. Hautains, fiers, charismatiques, ils se mêlent peu à la population et subissent les affres d’un mariage de plus en plus fragilisé. Karl préfère en effet courir les bois pour chasser avec ses faucons plutôt qu’honorer son épouse, qui se sent délaissée et vieillissante. Telle la reine de Blanche Neige, Erzebeth ne cesse de contempler son reflet dans le miroir, guettant la moindre ride d’un œil suspect. Lorsqu’elle apprend par sa servante que son ancêtre utilisait le sang des vierges pour préserver sa jeunesse, la marquise ne tarde pas à vouloir suivre ce sinistre modèle…

Du sang neuf

Cérémonie sanglante convoque l’imagerie et les thèmes du vampirisme, n’hésitant pas à doter certains de ses personnages de noms rattachés au mythe (Bathory bien sûr, mais aussi Helsing ou Carmilla), mais Jorge Grau joue volontairement la carte de l’ambiguïté. Car si Erzebeth se lance effectivement dans un massacre en règle dans l’espoir de renouer avec la fontaine de jouvence de son aïeule (dont les effets ne sont d’ailleurs jamais confirmés) et si le sang coule à flot dans les rues du village, les suceurs de sang aux dents pointues brillent par leur absence. Dans l’Europe que décrit le cinéaste, rien ne semble pouvoir distinguer la superstition de la religion ou de la loi, en une époque où l’État et l’Église n’ont pas encore été séparés. D’où cette séquence délicieusement surréaliste au cours de laquelle le corps sans vie d’un supposé vampire gisant dans son cercueil est l’accusé principal d’un tribunal très sérieux ! Très doué pour créer le malaise (notamment lorsque la marquise couve d’un regard cupide la peau d’albâtre d’une fillette qui joue sur ses terres), Grau ne lésine pas sur les visions choc, de la tête décapitée qui se consume en gros plan aux mains ensanglantées du marquis qui martèle son clavecin en passant par cette vision cauchemardesque de corps de jeunes femmes en décomposition qui s’animent pour menacer Erzebeth. Nous nous serions bien passés des scènes pénibles de maltraitances animales (la colombe dévorée par les faucons, les chauve-souris brûlées par les enfants), mais à cette réserve près, Cérémonie sanglante est une œuvre très recommandable, à savourer conjointement au Massacre des morts-vivants, l’autre grand film d’horreur de Jorge Grau.

 

© Gilles Penso

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