MARCHE OU CRÈVE (2025)

Cette adaptation sans concession d’un des récits les plus brutaux de Stephen King réunit 50 concurrents pour une compétition sanglante…

THE LONG WALK

 

2025 – USA

 

Réalisé par Francis Lawrence

 

Avec Cooper Hoffman, David Jonsson, Garrett Wareing, Tut Nyuot, Charlie Plummer, Ben Wang, Jordan Gonzalez, Joshua Odjick, Mark Hamill

 

THEMA POLITIQUE FICTION I SAGA STEPHEN KING

Parmi les centaines d’histoires inventées par Stephen King, la grande majorité semblait destinée à être portée très vite à l’écran. C’est Carrie – premier roman publié et premier film adapté – qui ouvrit le bal. D’autres, en revanche, ont longtemps rôdé en coulisses. Marche ou crève appartient à cette seconde catégorie. Écrit dans la jeunesse de l’auteur, ce texte féroce est demeuré pendant des décennies l’un de ses romans « impossibles à adapter ». Lorsque King imagine ce conte cruel à la fin des années 1960, il n’est encore qu’un jeune professeur arrondissant ses fins de mois avec des nouvelles éditées dans des magazines de seconde zone. Trop cru, trop violent, le manuscrit restera inédit jusqu’à la fin des années 1970, où il paraîtra sous le pseudonyme de Richard Bachman. Le fait que ce nom d’emprunt ait aussi servi pour Running Man n’est sans doute pas innocent, ces deux romans partageant la même plume acerbe et le même portrait d’une Amérique à la dérive où la compétition se transforme en cauchemar. Ici, nous voilà face à une sorte d’épreuve sportive insensée : cent adolescents marchent jusqu’à l’épuisement, surveillés par des soldats qui abattent les retardataires. Seul le dernier survivant sera récompensé. 

En portant ce récit à l’écran, Francis Lawrence insiste sur l’épuisement physique, filmant les tremblements, la sueur, les crampes, tout en adoptant une mise en scène volontairement minimaliste. Les jeunes comédiens eux-mêmes sont poussés à l’extrême : leurs visages marqués et leurs gestes alourdis sont corollaires du véritable marathon auquel ils ont dû se prêter sur le tournage. Une question finit par traverser le récit : qui regarde ? La Longue Marche est conçue comme un spectacle destiné à galvaniser une nation. Mais le film lui-même place le spectateur dans cette même position de voyeur. Assis dans son fauteuil, il observe ces jeunes corps s’effondrer les uns après les autres, pris entre fascination et malaise. En cela, Marche ou crève ne parle pas seulement d’une dystopie fictive : il nous renvoie au miroir de nos propres consommations d’images violentes, de télé-réalités humiliantes ou de compétitions déshumanisées. Face à l’autorité représentée par le personnage du major (Mark Hamill), les adolescents ne peuvent se raccrocher qu’à leur solidarité de fortune, leurs conversations brisées par la fatigue, leurs rêves murmurés entre deux halètements. 

Un pied dans la tombe

Si Marche ou crève résonne autant aujourd’hui, c’est que sa cruauté symbolise parfaitement notre époque. Les compétitions absurdes, la pression de la performance, la valorisation de l’endurance sans fin sont autant de réalités qui hantent nos vies quotidiennes, du monde du travail aux logiques de divertissement. On peut penser à Squid Game, Battle Royale ou Hunger Games, bref à ces fictions où la survie devient un jeu. Mais ici, l’épure est totale : pas de futurisme, pas d’arène spectaculaire, seulement une route et cinquante adolescents condamnés à avancer. Nous sommes finalement plus proches du glaçant Punishment Park. Cette simplicité radicale rend le propos d’autant plus universel. En divisant par deux le nombre de marcheurs par rapport au livre, en évitant toute scène de foule, en ne nous montrant jamais l’impact de cet événement national sur la population, Lawrence privilégie une sorte d’épure qui mue quasiment le récit en allégorie. Après des décennies de faux départs (George Romero, Frank Darabont, André Øvredal ont envisagé à tour de rôle de porter ce roman à l’écran), Marche ou crève s’impose comme l’une des adaptations les plus singulières – et les plus réussies ? – de Stephen King. C’est en tout cas le sommet de la carrière d’un cinéaste qui, avec Constantine, Je suis une légende et la saga Hunger Games, n’avait pas encore montré toute l’étendue de son talent. Voilà chose faite.

 

© Benjamin Braddock

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LE TRIOMPHE DE TARZAN (1943)

Dans cette aventure rocambolesque digne d’un serial, le roi de la jungle affronte des nazis et vient au secours des habitants d’une cité perdue…

TARZAN TRIUMPHS

 

1943 – USA

 

Réalisé par Wilhelm Thiele

 

Avec Johnny Weissmuller, Johnny Sheffield, Frances Gifford, Stanley Ridges, Sig Ruman, Philip Van Zandt, Rex Williams, Pedro de Cordoba, Louis Adlon

 

THEMA EXOTISME FANTASTIQUE I TARZAN

Au début des années 40, Hollywood se fait l’écho du conflit mondial. Chaque studio trouve un moyen de soutenir l’effort de guerre : films patriotiques, comédies musicales exaltant le moral des troupes ou productions d’aventure destinées à galvaniser l’imaginaire du public. C’est dans ce contexte que naît Le Triomphe de Tarzan, un film où l’homme-singe, figure apolitique par excellence, devient malgré lui le champion d’une cause : celle de la démocratie contre le nazisme. À l’origine du projet, on retrouve le producteur Sol Lesser, déjà familier de l’univers créé par Edgar Rice Burroughs. Initiateur de Tarzan l’intrépide (1933) avec Buster Crabbe et La Revanche de Tarzan (1938) avec Glenn Morris, il récupère la franchise lorsque la MGM cède ses droits à la RKO. Le deal inclut deux de ses atouts majeurs : Johnny Weissmuller, toujours indétrônable dans le rôle-titre, et Johnny Sheffield, alias Boy, son fils adoptif. Maureen O’Sullivan, en revanche, reste sous contrat MGM et ne cache pas son soulagement de tirer un trait sur Jane. La situation mondiale ne laissant pas beaucoup de choix au scénario, Le Triomphe de Tarzan est quasiment un film de guerre. Le département d’État américain lui-même suggère à Sol Lesser qu’une histoire mettant en scène Tarzan opposé au fascisme serait un véhicule parfait pour un message de propagande accessible à tous.

Dès les premières minutes, nous apprenons que Jane est à Londres, auprès de sa mère malade, alors que la guerre fait rage. Mais la menace se déplace au cœur de la jungle africaine, puisqu’un avion d’officiers allemands survole la région de Palandria, un royaume fictif riche en matières premières stratégiques. Leur objectif consiste à séduire les habitants par des promesses de modernisation, puis à instaurer l’« ordre nouveau » à coup de discipline militaire. Tarzan, quant à lui, tarde à s’impliquer. Fidèle à sa nature, il reste d’abord à l’écart des intrigues humaines, jusqu’à ce que les nazis s’en prennent directement à Boy. Dès lors, le film bascule et l’homme-singe devient un guerrier implacable, une force brute qui affronte seul une armée entière, comme un Rambo avant l’heure. Privé de Jane, le récit introduit un substitut avec Zandra (Frances Gifford), une princesse guerrière de Palandria qui sauve Boy d’une chute mortelle en tout début de film, puis devient l’alliée de Tarzan face aux envahisseurs.

L’effort de guerre

Pour compenser un budget modeste, Le Triomphe de Tarzan joue habilement l’économie. Certains décors sont recyclés (la forteresse de Palandria est issue de Gunga Din), les stock shots d’animaux sauvages abondent (crocodiles, singes, félins), la jungle sent un peu le studio (le refuge de Tarzan et Boy est reconstitué à Sherwood Forest, en Californie, avec de grandes toiles peintes pour certains arrière-plans). Mais ce sens du bricolage régnait aussi sur les six films de la période MGM. En ce sens, Le Triomphe de Tarzan assure la continuité. On regrette évidemment que le célèbre cri du roi de la jungle ne soit qu’une imitation peu convaincante de celui que nous connaissons, la MGM ayant refusé de céder son enregistrement à la RKO. Pour le reste, ce nouvel opus ne pâlit guère de la comparaison avec ses prédécesseurs et témoigne même d’une ambition le dotant de proportions épiques, notamment au cours de la grande bataille finale contre les soldats allemands. Le film marque surtout une étape inattendue dans la mythologie du personnage. Si Tarzan fusionne plus que jamais avec son élément naturel – capable de parler avec les animaux et de comprendre leur langage, don qu’il a transmis à Boy -, il n’est plus seulement le gardien impartial d’une jungle fantasmée mais devient un héros enrôlé dans le combat universel contre la barbarie. Une mutation qui reflète parfaitement l’Amérique de 1943, où chaque production se devait de participer à la lutte idéologique.

 

© Gilles Penso

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THE TOXIC AVENGER (2023)

Un remake improbable avec Peter Dinklage en vengeur toxique, Kevin Bacon en businessman véreux et Elijah Wood en homme de main difforme…

THE TOXIC AVENGER

 

2023 – USA

 

Réalisé par Macon Blair

 

Avec Peter Dinklage, Jacob Tremblay, Taylour Paige, Kevin Bacon, Elijah Wood, Luisa Guerreiro, David Yow, Annette Badland, Sunil Patel, Margo Cargill

 

THEMA SUPER-HÉROS I MUTATIONS I SAGA TOXIC AVENGER

En 1984, la petite maison indépendante Troma Entertainment met le feu aux salles de cinéma avec The Toxic Avenger, mélange de comédie potache, de satire sociale, de gore outrancier et de film de super-héros fauché. Produite pour une poignée de dollars et interdite aux moins de 17 ans, cette curiosité est devenue la mascotte de Troma, donnant naissance à trois suites, une comédie musicale, des comics Marvel et même un dessin animé du samedi matin (Toxic Crusaders, diffusé en 1990), preuve que le personnage pouvait séduire au-delà du cercle des amateurs de bisseries. Quarante ans plus tard, voilà que le vengeur toxique ressurgit dans un remake signé Macon Blair, acteur-réalisateur remarqué dans le circuit indépendant (I Don’t Feel at Home in This World Anymore). Annoncé depuis des années et teasé en festivals en 2023, son Toxic Avenger n’a pourtant trouvé distributeur qu’en 2025, Cineverse s’associant finalement avec Iconic Events Releasing pour sortir le film après une longue période d’errance. Ce qui frappe d’abord, dans ce remake, c’est son casting déroutant. Dans le rôle du grand méchant capitaliste, on retrouve un Kevin Bacon cabotin comme jamais, qui se délecte en PDG carnassier dînant avec politiciens, militaires et évêques corrompus, conforme aux seconds rôles caricaturaux qu’il aime tenir à ce stade de sa carrière. Elijah Wood, quasiment méconnaissable sous son maquillage, campe son frère difforme, évoquant autant Quasimodo que le Pingouin de Batman Returns.

Mais la vraie curiosité reste Peter Dinklage, choisi pour incarner le futur Toxie. L’ancien Tyrion Lannister n’endosse pourtant pas seul le costume : il joue le personnage avant sa mutation, puis cède la place, sous les kilos de mousse de latex, à l’actrice Luisa Guerreiro. Spécialiste des créatures costumées (elle a déjà été Oompa Loompa et Télétubbie, c’est dire), Guerreiro mime et prolonge le travail de Dinklage dans une prestation hybride, presque chorégraphiée à quatre mains. L’ex-star de Game of Thrones joue donc dans un premier temps Winston Gooze, un agent d’entretien sans histoires, veuf et beau-père d’un adolescent avec lequel il peine à nouer un lien. Son quotidien se réduit à son travail harassant à l’usine pharmaceutique BTH, dirigée par le redoutable Bob Garbinger (Kevin Bacon, donc). Quand Winston apprend qu’il est atteint d’une maladie incurable, l’espoir d’un traitement est aussitôt brisé par une mutuelle qui refuse de prendre en charge les frais astronomiques. Désespéré, il tente un braquage dérisoire dans l’usine, armé d’un simple balai imbibé de produits toxiques. Mais son geste maladroit attire l’attention des hommes de main de Garbinger, déjà lancés à la poursuite d’une journaliste trop curieuse. Winston est abattu, avant que son cadavre ne soit plongé dans une cuve de produits chimiques. Aussitôt, une étrange mutation s’opère…

Mini-Toxie

Visuellement, ce nouveau Toxie tient la route. Les prothèses et les mécanismes animatroniques conçus par Charlie Bluett (World War Z, 28 ans plus tard) et Kate Walshe (Ex Machina, The Crow) nous offrent un rendu pustuleux et visqueux à souhait. Mais là où le film original créait un décalage en transformant un gringalet timide en colosse difforme, Blair choisit une voie moins radicale : Winston reste petit et trapu, même après mutation (Peter Dinklage et Luisa Guerreiro ont à peu près la même taille, à dix centimètres près). L’effet comique s’en trouve fatalement amenuisé. L’idée d’injecter dans le film un peu d’émotion, via la relation qui lie Winston et son beau-fils, n’est pas inintéressante, et n’est pas sans évoquer quelques-uns des films de James Gunn, justement transfuge de Troma et maître dans l’art d’équilibrer trash et tendresse. Sur le papier, ce Toxic Avenger semble cocher beaucoup de cases : l’humour potache, le gore spectaculaire, l’impertinence, le grain de folie… et pourtant la mayonnaise ne prend pas totalement, peut-être justement parce que tous ces ingrédients ont l’air savamment dosés, comme trop calculés. Sans doute l’anarchie authentique du film original, son inconscience et son esprit ouvertement punk manquent-ils à l’appel. Le remake est certes plus convaincant que ne l’était par exemple la version modernisée de Street Trash réalisée en 2024 par Ryan Kruger, mais il a peu de chance de rester durablement dans les mémoires. Et puis, malgré tout le bien que nous pensons de Peter Dinklage, un Toxie « demi-portion » ne nous convainc finalement… qu’à moitié.

 

© Gilles Penso

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MONTE LÀ D’SSUS (1961)

Un scientifique farfelu et tête en l’air invente une matière gélatineuse capable de briser les lois de la pesanteur…

THE ABSENT-MINDED PROFESSOR

 

1961 – USA

 

Réalisé par Robert Stevenson

 

Avec Fred MacMurray, Nancy Olson, Keenan Wynn, Tommy Kirk, Leon Ames, Elliott Reid, Edward Andrews, David Lewis, Jack Mullaney, Belle Montrose, Wally Brown

 

THEMA BLOB

Quelques années avant de signer Mary Poppins et L’Apprentie Sorcière, Robert Stevenson réalise sous la houlette de Walt Disney une comédie de science-fiction au titre français pour le moins étrange : Monte là-d’ssus (« traduction » aberrante de The Absent-Minded Professor, autrement dit « Le professeur distrait »). Il s’agit du vingt-quatrième film en prises de vues réelles produit par le studio, et son origine remonte à la nouvelle A Situation of Gravity, publiée en mai 1943 par Samuel W. Taylor dans Liberty. L’idée du film ne se concrétise cependant qu’après une rencontre bien réelle entre Disney et la science. Dans les années 1950, au Pavillon international des sciences de l’Exposition universelle de Bruxelles, Walt assiste aux démonstrations spectaculaires du professeur de chimie de Princeton Hubert Alyea, surnommé « Dr Boom » par les observateurs russes à cause de ses expériences explosives et impressionnantes. Fasciné par le charisme et l’énergie du scientifique, Disney l’invite en Californie pour reproduire ses expériences devant l’acteur Fred MacMurray (Assurance sur la mort, Ouragan sur le Caine, La Garçonnière). Ce dernier, choisi pour être la tête d’affiche du film, s’inspire des gestes, des mimiques et de l’enthousiasme contagieux d’Alyea pour créer son personnage de savant excentrique.

MacMurray entre donc dans la peau du très distrait professeur Brainard, tellement obnubilé par ses recherches qu’il a déjà raté trois fois son propre mariage. La plupart de ses expériences chimiques se soldent par des explosions tonitruantes, non seulement dans son propre laboratoire mais aussi dans l’école où il enseigne. Suite à l’une de ces nombreuses déflagrations, il met au point accidentellement une matière malléable qui crée sa propre énergie et se soustrait aux lois de la gravité. Fasciné, il la baptise « flubber » (contraction de « flying rubber », c’est-à-dire « caoutchouc volant »). Sa fiancée Betsy (Nancy Olson) est évidemment furieuse d’avoir une fois de plus été laissée en plan dans sa robe de mariée, au milieu de tous ses invités, et se réfugie à contrecœur dans les bras de son prétendant Shelby (Elliot Reid). Un malheur n’arrivant jamais seul, le campus de Medfield, où travaillent Brainard et Betsy, menace de fermer ses portes, faute de financement. Confiant, notre scientifique exalté est persuadé que le flubber va permettre de résoudre tous les problèmes… mais il est bien le seul.

Le savant flou

Vétéran des écrans depuis la fin des années 1920, Fred MacMurray n’est pas exactement un jeune premier lorsqu’il tient la vedette de Monte là-d’ssus, surtout face à sa fiancée dans le film, qui est de vingt ans sa cadette et pourrait presque jouer sa fille. Mais il faut reconnaître que la défroque du savant totalement perdu dans ses réflexions, dont chaque explication floue et nébuleuse l’isole du reste du monde, lui va comme un gant. Seul son chien Charlie semble du reste l’écouter d’une oreille distraite. Pour se conformer aux folies du scénario, les effets spéciaux supervisés par Robert A. Mattey et Eustace Lycett déploient tout l’arsenal disponible, des incrustations aux objets suspendus par des fils en passant par les éléments en dessin animé, les rétro-projections, les cascadeurs portant des harnais et les maquettes. Le film ne manque donc pas de morceaux de bravoure, notamment le match de basket d’anthologie où les joueurs sont en apesanteur, l’interminable bondissement du cupide Hawk (Keenan Wynn) qui se transforme en attraction locale et bien sûr les nombreuses envolées de la Ford T du professeur, annonciatrices des séquences emblématiques de Chitty Chitty Bang Bang. Plusieurs idées de mise en scène originale se mêlent à la fête, comme cette caméra subjective qui bondit à plusieurs reprises du sol vers le ciel, encore ou ce plan que Steven Spielberg semble avoir fidèlement repris dans Rencontres du troisième type : la voiture de Brainard qui s’envole derrière celle de son rival, vue à travers la plage arrière. Gros succès au box-office, Monte là-d’ssus aura droit à une suite en 1963, Après lui, le déluge, et à un remake en 1997, Flubber.

 

© Gilles Penso

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LA COMPAGNIE DES LOUPS (1984)

Neil Jordan détourne l’imagerie du Petit chaperon rouge pour conter l’éveil à la sexualité d’une adolescente confrontée à des hommes-loups…

THE COMPANY OF WOLVES

 

1984 – GB/USA

 

Réalisé par Neil Jordan

 

Avec Angela Lansbury, David Warner, Graham Crowden, Brian Glover, Sarah Patterson, Kathryn Pogson, Stephen Rea

 

THEMA LOUPS-GAROUS

Sacré « meilleur jeune réalisateur de l’année » en 1982 grâce à son premier long-métrage Angela, le metteur en scène irlandais Neil Jordan s’attaque avec La Compagnie des loups à l’adaptation libre d’une nouvelle d’Angela Carter publiée dans le recueil The Bloody Chamber en 1979. Les intentions du film, écrit à quatre mains par Jordan et Carter, sont clairement établies : une approche psychanalytique des contes de fées en général et du Petit chaperon rouge en particulier, dans la droite lignée des travaux de Bruno Bettelheim, avec comme influence majeure La Belle et la Bête de Jean Cocteau, le tout saupoudré de séquences horrifiques prolongeant celles d’Hurlements et du Loup-Garou de Londres. Sur le papier, c’est donc très excitant. A l’écran, ça l’est un peu moins, tant la structure narrative du film s’avère déstabilisante et insaisissable. D’où le sentiment mitigé qui nous saisit face à ce conte lupin chargé de symboles. La Compagnie des loups s’amorce dans une chambre peuplée d’animaux en peluche, où la jeune Rosaleen (Sarah Patterson), adolescente mélancolique en proie à des tourments intérieurs, s’endort d’un sommeil agité. Et la fantaisie de s’inviter aussitôt dans le monde réel.

Le rêve de Rosaleen la transporte dans un village médiéval niché au cœur d’une forêt de conte, où vit une autre version d’elle-même. Là, les bois sombres et sinistres se referment autour de sa sœur Alice (Georgia Slowe). Cette dernière voit briller dans les bois d’inquiétantes lueurs avant que ne surgisse une meute de loups affamés qui la dévorent. Notre jeune héroïne assiste alors à son enterrement puis écoute sa grand-mère (Angela Lansbury, alors star de la série Arabesque) lui conter des histoires étranges de métamorphoses. « Méfie-toi des hommes dont les sourcils se rejoignent », lui dit-elle. Rosaleen rencontre elle-même un homme-loup avant de devenir à son tour une lycanthrope. Notre jeune héroïne finira par s’éveiller brusquement de sa chambre, à l’issue d’une odyssée onirique peuplée de fantasmes et de symboles freudiens. Mais ce retour à la norme dépasse celui – devenu archétypal – d’Alice au Pays des Merveilles, dans la mesure où ici le rêve déborde physiquement sur la réalité…

Alice au pays des lycanthropes

Ne sachant pas trop comment appréhender cette collection de vignettes surréalistes s’enchaînant sur un rythme languissant, le spectateur se réfugie dans les beaux décors de cette forêt de studio, signés Anton Furst (déjà à l’œuvre sur Moonraker et Alien), et dans les séquences étonnantes mettant en scène les effets spéciaux de Christopher Tucker (créateur de l’inoubliable Elephant Man). Pour éviter de rivaliser avec les métamorphoses révolutionnaires conçues par Rick Baker et Rob Bottin, Tucker opte pour la singularité et le jamais vu. Des langues immenses se secouent hors de bouches grandes ouvertes, des dos remuent comme des vagues, des peaux humaines se déchirent pour laisser apparaître les tissus musculaires avant que ne surgissent des traits bestiaux, des gueules de loups jaillissent hors des bouches humaines… Ces visions inédites rivalisent d’innovations, même si les mouvements s’avèrent souvent trop mécaniques, les gueules de loup trop rigides et les plans trop longs, trahissant à la longue la nature des effets utilisés. Mais cette artificialité joue presque en faveur de ces monstruosités dont elle a tendance à renforcer le caractère onirique. Filtré par le prisme d’une sexualité naissante, d’une féminité en construction et des peurs liées à l’âge adulte, ce conte horrifique reste une variante fascinante – même si elle n’est pas pleinement convaincante – autour du thème du lycanthrope. La Compagnie des loups remportera en 1985 le Prix Spécial du Jury du Festival d’Avoriaz.

 

© Gilles Penso

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THE WASHING MACHINE (1993)

Trois jeunes femmes qui partagent le même appartement croient voir le cadavre démembré d’un homme dans une machine à laver…

VORTICE MORTALE

 

1993 – ITALIE / FRANCE / HONGRIE

 

Réalisé par Ruggero Deodato

 

Avec Philippe Caroit, Ilaria Borrelli, Katarzyna Figura, Barbara Ricci, Laurence Regnier, Laszlo Borbély, Claudia Pozzi, Yorgo Voyagis, Vilmos Kolba

 

THEMA TUEURS

Soutenu par une musique langoureuse de Claudio Simonetti, The Washing Machine se déroule dans une luxueuse demeure où trois sœurs partagent un appartement. L’une d’elle est réveillée en pleine nuit par le chat noir qui cohabite avec elles. Dans un demi-sommeil, elle descend à l’étage inférieur et voit avec surprise que la machine à laver est en train de tourner, tandis que du sang coule autour du hublot. Curieuse, elle ouvre la porte de la machine et y découvre le cadavre ensanglanté d’un homme, dont on ne voit que la tête et la main. Cette vision atroce lui arrache un hurlement. Voilà comment commence The Washing Machine. « Cette histoire est à l’origine une pièce de théâtre expérimentale qui a été montée en Italie avec la même comédienne pour les trois rôles principaux », raconte Ruggero Deodato. « Le princope m’a plu et j’ai voulu en tirer une sorte de giallo mélangeant l’horreur et le sexe. J’ai tourné le film dans de magnifiques décors à Budapest. L’ambiance et les lieux là-bas étaient fantastiques. Financièrement, il était intéressant d’aller tourner en Hongrie à l’époque, et nous en avons tiré parti artistiquement. Le seul véritable inconvénient, quand on tourne dans cette ville, c’est le froid. Les températures peuvent y baisser très vite. » (1)

Cette fraîcheur ne semble pas gêner outre mesure les impudiques comédiennes de ce Wahing Machine dans lequel, comme souvent chez Deodato, le sexe et la mort s’entremêlent étroitement. Après que Vida Kolba (Katarzyna Figura), ait déclaré à la police avoir trouvé le cadavre de son amant Youri démembré dans la machine à laver, l’inspecteur Alexander Stacev (Philippe Caroit) se rend sur place pour constater qu’il n’y a aucune trace du corps. S’ensuit une enquête troublante dans l’appartement des trois colocataires qui livrent chacune une version différente de ce qu’il s’est passé. Les contradictions s’accumulent, les souvenirs divergent, et le doute s’installe. S’agit-il d’un crime réel ou d’une hallucination collective ? Le film adopte alors une construction éclatée, répétant les mêmes événements sous différents points de vue. En s’appuyant sur un principe calqué sur Rashomon, chaque sœur réinvente la scène du crime en la modelant selon ses désirs, ses rancunes ou ses fantasmes. Malheureusement, là où Kurosawa jouait de la subjectivité pour interroger la nature humaine, The Washing Machine s’égare dans un labyrinthe de récits mal agencés, confus, et souvent plus ennuyeux que déroutants.

La grande lessive

Dans le rôle du policier pris au piège du désir, lointain émule du Michael Douglas de Basic Instinct, Philippe Caroit, peine à incarner la fascination morbide que son personnage est supposé éprouver. Sa performance trop sobre, presque absente, échoue à rendre crédible la spirale psychologique dans laquelle il est censé sombrer. Caroit nous paraît figé, parfois désintéressé, face à des partenaires qui ne ménagent pourtant pas leurs effets. Car le cœur du film réside dans sa dimension charnelle, souvent gratuite, toujours omniprésente. Le long-métrage est d’ailleurs un véritable festival de lingerie fine, de dessous sexy et de tenues fétichistes. L’esthétique du film, peu avare en filtres bleutés, évoque celle des téléfilms érotiques bourgeois alors très en vogue. Une sous-intrigue centrée sur un trafic de drogue vient encore complexifier inutilement un scénario déjà volontairement flou. Hormis le fameux démembrement dans la machine à laver – seul véritable éclat gore du film – la violence reste étonnamment contenue. Ce manque d’audace contraste avec la réputation sulfureuse de Deodato, connu pour son goût du choc frontal. Ici, il semble bien plus préoccupé par le pouvoir de séduction de ses héroïnes que par l’efficacité dramatique de son intrigue policière. Bref, voilà un pseudo-giallo mollasson, davantage destiné aux amateurs d’érotisme que de thrillers ou de films d’horreur, une parenthèse très facultative dans la carrière de son réalisateur.

 

(1) Propos recueillis par votre serviteur en septembre 2016

 

© Gilles Penso

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HYDRA (2009)

Quatre criminels sont lâchés sur une île où ils servent de gibier pour une chasse à l’homme. Mais dans l’ombre, un monstre rôde…

HYDRA : THE LOST ISLAND

 

2009 – USA

 

Réalisé par Andrew Prendergast

 

Avec George Stults, Dawn Olivieri, Michael Shamus Wiles, Alex McArthur, Texas Battle, Polly Shannon, James Wlcek, Ricco Ross, Roark Critchlow

 

THEMA MYTHOLOGIE

Tourné en Bulgarie pour la modique somme de 700 000 dollars, Hydra est l’un de ces téléfilms typiques de la société Cinetel Films, spécialisée dans les séries B à créatures. À première vue, le film réalisé par Andrew Prendergast (également producteur de l’étrange Parasite, sans lien avec ceux de Charles Band et de Bong Joon-ho) semble n’être qu’un banal ersatz des Chasses du comte Zaroff. Mais à y regarder de plus près, Hydra s’amuse à dépasser son postulat de départ en fusionnant le survival et le film de monstre. Résultat : Hydra est un film bancal, souvent fauché, mais pas dépourvu d’atouts. L’intrigue repose sur un concept simple et efficace. Quatre criminels sont exfiltrés de la prison où ils étaient détenus pour servir de gibier lors d’un safari clandestin organisé sur une île isolée. Les chasseurs sont quatre milliardaires, tous liés de près ou de loin aux victimes des crimes commis par leurs « proies ». Sauf que l’île en question n’a rien d’un simple terrain de jeu. En son cœur se dresse en effet un antique temple grec en ruine, vestige d’un passé mystérieux, et surtout, une créature terrée dans l’ombre. Le titre du film nous vendu la mèche : cette île maudite abrite l’Hydre de Lerne, gigantesque serpent multi-têtes doté d’un appétit insatiable qui ne fait pas dans la distinction morale. 

Ce mélange des genres est l’une des principales forces du film. Les chasseurs, bien que caricaturaux, bénéficient d’un certain développement, et les dialogues, sans briller par leur finesse, ont parfois des éclairs de noirceur grinçante. L’opposition entre les anciens criminels en quête de rédemption et les milliardaires sadiques offre même un semblant de commentaire social sur l’impunité des puissants. Bien sûr, le sujet reste à peine survolé, les ambitions du film n’allant pas aussi loin. La créature en elle-même est une création numérique très approximative. Prudemment, le réalisateur la sollicite régulièrement mais ne l’expose jamais très longtemps, et toujours dans un torrent d’effets sanglants. Malgré des effets d’incrustation très peu convaincants, son impact visuel ne laisse pas indifférent. Le rendu cartoon des effusions de sang, combiné à des attaques spectaculaires, confère au film une esthétique ouvertement kitsch. Et dire que Ray Harryhausen, avec des budgets ridicule et sans autre équipe que lui-même, nous concoctait quatre décennies plus tôt les splendeurs de Jason et les Argonautes !

Où donner de la tête ?

L’un des aspects les plus amusants de Hydra réside dans la manière dont la créature se mue presque en alliée des protagonistes. Là où la plupart des films du genre opposent les humains à une menace implacable, ici, la bête agit comme une sorte de deus ex machina carnassier, punissant les vrais « monstres » humains. Le casting, composé d’acteurs principalement issus de la télévision et du circuit des DTV, fait le job sans éclat. L’ex-marine interprété par George Stults (7 à la maison) joue la carte du héros musclé, torturé mais toujours prompt à défendre les opprimés. À ses côtés, Dawn Olivieri (Heroes) et Texas Battle (Destination finale 3) apportent un petit soupçon de charisme, tandis que les chasseurs milliardaires versent avec enthousiasme dans le cabotinage sadique. Sur le plan technique, Hydra souffre évidemment de son budget limité et du manque de temps manifeste dont a souffert l’équipe aux commandes de ce modeste DTV. Les décors naturels bulgares sont raisonnablement bien exploités, mais les scènes en studio trahissent rapidement les limites de la production. La musique banale, le montage un peu syncopé et la mise en scène fonctionnelle n’aident pas le film à sortir du lot des nombreux « creature features » de sa génération.

 

© Gilles Penso

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LES AVENTURES DE TARZAN À NEW YORK (1942)

Boy ayant été enlevé par un chasseur de fauves peu scrupuleux, Tarzan et Jane s’envolent pour Manhattan afin de le retrouver…

TARZAN’S NEW YORK ADVENTURE

 

1942 – USA

 

Réalisé par Richard Thorpe

 

Avec Johnny Weissmuller, Maureen O’Sullivan, Johnny Sheffield, Virginia Grey, Charles Bickford, Paul Kelly, Chill Wills, Cy Kendall, Russell Hicks

 

THEMA EXOTISME FANTASTIQUE I TARZAN

Les Aventures de Tarzan à New York marque le point final du cycle des aventures de l’homme-singe inspiré par Edgar Rice Burroughs sous l’égide du studio MGM. Johnny Weissmuller continuera à incarner le roi de la jungle par la suite, mais ce seront des productions plus modestes, plus « pulp » et souvent moins mémorables. Enchaîné seulement un mois après la fin du tournage du Trésor de Tarzan, ce sixième opus part d’un contexte familier – la famille soudée que constituent Tarzan, Jane et Boy, isolés dans leur petit paradis sauvage en compagnie d’animaux complices – pour mieux nous transporter ailleurs à mi-parcours du métrage. Conscients qu’il s’agit d’un chapitre final, le réalisateur Richard Thorpe et les producteurs se « débarrassent » presque des passages obligatoires, quitte à réutiliser encore bon nombre de stock-shots empruntés notamment à Tarzan trouve un fils, pour pouvoir ensuite casser la mécanique et changer de contexte. Le motif du « poisson hors de l’eau » est annoncé dès le titre du film, qui juxtapose deux éléments qui n’ont à priori rien à faire ensemble – Tarzan et New York – afin de surprendre les spectateurs. Le défi est d’autant plus audacieux que le film s’efforce d’équilibrer deux tonalités contraires : le drame et la comédie.

Le scénario assure d’emblée une continuité directe avec le film précédent, dans la mesure où Boy, qui a beaucoup entendu parler d’avions dans Le Trésor de Tarzan, a développé une fascination qui le pousse désormais à désirer en voir un vrai de ses propres yeux. L’occasion se présente lorsqu’un appareil atterrit dans la jungle, tout près de l’escarpement sauvage où Tarzan, Jane et lui ont bâti leur havre de paix digne du jardin d’Eden. N’y résistant pas, il rend visite aux hommes venus de la civilisation : un pilote (Paul Kelly), un chasseur (Charles Bickford) et un dompteur (Chill Wills) venus capturer des lions pour le cirque qui les emploie. En découvrant la manière étonnante avec laquelle Boy parle aux animaux et la complicité qui le lie à un trio d’éléphanteaux, le dompteur imagine déjà les affiches : « L’enfant roi de la jungle ». Attaqués par un lion, puis par la peuplade des Jaconis, ils prennent la fuite en avion et emmènent Boy avec eux, persuadés que Tarzan et Jane sont morts dans un incendie provoqué par la tribu belliqueuse. Mais notre couple vedette a survécu et prend un avion postal depuis le village du coin en direction de New York…

La jungle urbaine

Beaucoup plus porté sur l’humour que les films précédents, Les Aventures de Tarzan à New York s’amuse même à cligner de l’œil vers le célèbre dialogue « Moi Tarzan, toi Jane ». Les situations cocasses nées de la confrontation de Tarzan avec une civilisation qui lui est inconnue abondent, comme l’essayage de costume chez un tailleur ou la découverte d’une douche dans un hôtel. Mais bien souvent, c’est Cheeta qui lui vole la vedette. La guenon sème la zizanie un peu partout où elle passe, essaie une fontaine à eau, passe des coups de fil, provoque le chaos dans le vestiaire d’un music-hall, bref s’en donne à cœur joie. Cela dit, la comédie n’est pas le seul ressort du film. Lorsque Tarzan se retrouve confronté à la justice des hommes, au sein d’un tribunal qui doit statuer sur le sort de Boy, et voit sa légitimité de père remise sérieusement en question, le ton se durcit et le drame affleure. Pour compléter ce cocktail déjà ambitieux, Richard Thorpe concocte plusieurs séquences spectaculaires d’anthologie, comme l’escalade des buildings (récurrente de King Kong), le vertigineux plongeon depuis le pont de Brooklyn ou la charge finale des éléphants dans le cirque. Après ce bouquet final, Maureen O’Sullivan abandonnera définitivement la peau de bête de Jane pour s’occuper de ses sept enfants, notamment la toute jeune Mia Farrow. Johnny Weissmuller et Johnny Sheffield, eux, reprendront leurs rôles de père et de fils à cinq autres reprises.

 

© Gilles Penso

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TRANSFIGURATION (2016)

Cette vision crue et réaliste du vampirisme, sous haute influence du Martin de George Romero, ne nous convainc qu’à moitié…

THE TRANSFIGURATION

 

2016 – USA

 

Réalisé par Michael O’Shea

 

Avec Eric Ruffin, Chloe Levine, Aaron Moten, Danny Flaherty, James Lorinz, Larry Fessenden, Jorge Cordova, Lloyd Floyd, Anna Friedman

 

THEMA VAMPIRES

Monstres et misère sociale cohabitent dans Transfiguration, un film indépendant à très petit budget filmé dans les rues crues et délavées du Queens. Visiblement très influencé par Martin de George Romero (référence explicite dès les premières minutes, lorsque le jeune héros le désigne comme le plus réaliste des films de vampires), Michael O’Shea évite soigneusement les canons du genre pour s’ancrer dans un cadre résolument naturaliste, quasi documentaire. Ici, point de capes noires ni de canines scintillantes. La figure du vampire est intériorisée, tragique et angoissante, portée par un adolescent mutique et déconnecté du monde, Milo. Ce dernier vit avec son frère aîné, une épave casanière incapable de sortir de son canapé, et passe ses journées à visionner frénétiquement des films de vampires ou à consulter des forums dédiés au sujet. Il les classe, les commente, les compare, avec une fascination presque clinique, excluant au passage la saga Twilight, trop fantaisiste selon lui. Cette obsession vampirique n’est pas qu’un refuge symbolique. Milo tue effectivement des gens, dans des toilettes publiques ou des coins de rue sombres, pour leur sucer le sang. Mais Michael O’Shea prend soin de ne jamais l’enrober d’effets de style ou d’une imagerie gothique. Ici, le vampirisme est traité comme un symptôme, une pathologie mentale, une métaphore d’un mal-être plus profond, celui d’un garçon enfermé dans un quotidien sans amour ni avenir.

La force du film réside d’abord dans ce décalage : insérer une figure mythologique dans un environnement aussi prosaïque et brutal que les HLM du Queens, là où le danger réel vient des gangs, de la pauvreté et de l’isolement social. Milo est un monstre, certes, mais c’est avant tout un enfant abandonné, qui tente de donner un sens à son existence à travers la mythologie vampirique, comme on se raccroche à une fiction pour survivre à la réalité. Le film dégage alors une étrangeté fascinante dans cette manière de traiter le fantastique comme une strate presque invisible, enfouie sous une couche de morosité urbaine. D’où le rejet d’effets spéciaux spectaculaires ou de poétisation de la figure vampirique. Les meurtres sont ici froids, mécaniques, jamais esthétisés. Le problème, c’est que cette démarche, aussi intéressante soit-elle, finit par tourner à vide. Le récit patine, incapable de faire évoluer réellement la trajectoire de Milo. Il rencontre bien Sophie, une jeune fille paumée comme lui, voisine solitaire qui traîne ses blessures et sa fragilité, mais leur relation reste plate, sans véritable intensité.

La langueur monotone

Cette dynamique ne prend donc jamais totalement, tant le film semble se refuser à toute montée dramatique ou toute progression dans la mise en scène de la tension. Michael O’Shea choisit une mise en scène épurée, presque absente, privilégiant les plans fixes, les silences, une lumière naturelle souvent dépressive. Là encore, l’option peut séduire sur le papier, mais elle finit par desservir le film. Faute d’un point de vue affirmé, le récit devient fade, l’ambiance monotone. Transfiguration s’installe dans une langueur mélancolique qui devient pesante, jusqu’à créer une distance entre le spectateur et son personnage principal. L’ambiguïté du postulat – Milo est-il vraiment un vampire ou un adolescent dérangé ? – n’est d’ailleurs jamais vraiment exploitée, comme si le film refusait d’assumer ses propres promesses. On peut certes saluer la sincérité du projet, l’absence de cynisme ou d’effets faciles, ainsi que la volonté audacieuse d’intégrer le mythe du vampire dans un contexte social réaliste. Il y a dans Transfiguration des idées fortes, un malaise sourd et une tristesse poisseuse. Mais on y trouve surtout une inertie narrative qui laisse le film à l’état d’esquisse.

 

© Gilles Penso

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QUEEN CRAB (2015)

Une jeune femme s’est liée d’amitié avec un crabe mutant grand comme un dinosaure qui sème la panique dans une petite ville américaine…

QUEEN CRAB

 

2015 – USA

 

Réalisé par Brett Piper

 

Avec Michelle Miller, Kathryn Metz, Richard Lounello, Ken Van Sant, A.J. DeLucia, Danielle Donahue, Steve Diasparra, Yolie Canales, Houston Baker, Liberty Asbury

 

THEMA INSECTES ET INVERTÉBRÉS

Brett Piper n’a jamais laissé le manque de moyens entamer son opiniâtreté. Avec un budget d’à peine 60 000 dollars et l’appui de son producteur Mark Polonia, ce véritable couteau suisse (réalisateur, scénariste, co-producteur, superviseur des effets spéciaux) se lance dans Queen Crab, qui s’appréhende autant comme un hommage aux films de Ray Harryhausen que comme un clin d’œil aux kaiju-eigas japonais dans lesquels les monstres ne sont pas forcément plus agressifs que les humains. Dans une démarche proche de celle de tous les films qu’il a signés depuis le début des années 2000 (Arachnia, Shock-O-Rama, The Dark Sleep), notre homme ne se laisse pas tenter par l’image de synthèse. S’il est passionné de créatures géantes, il souhaite continuer à les concevoir et à les animer en stop-motion, à l’ancienne, comme il le faisait à l’époque de Mystérieuse planète ou A Nymphoïd Barbarian on Dinosaur Hell. Voilà qui distingue agréablement Queen Crab de tous les « creature features » à petit budget qui pullulent alors sur le marché du « direct-to-video ». Le film se déroule à Crabbe Creek, dans l’Amérique profonde. Le père de la petite Melissa est un scientifique qui travaille sur un moyen d’accroître la taille de la nourriture pour régler les futurs problèmes de famine, comme jadis le capitaine Nemo de L’Île mystérieuse. Or la fillette vient de recueillir au bord de l’eau un gros crabe qu’elle surnomme Pee-Wee.

Dès ce prologue, alors qu’il a encore une taille normale, le crabe est animé en stop-motion dans un certain nombre de plans. L’animation est très subtile, pleine de caractère, et l’incrustation de la figurine dans les plans avec la petite fille est remarquable. Puis deux événements aux lourdes conséquences s’enchaînent : Melissa donne à Pee-Wee des grains de raisin génétiquement modifiés, et plusieurs produits chimiques se mélangent par accident dans le laboratoire en provoquant une explosion qui tue ses parents. Vingt ans plus tard, Melissa est devenue une jeune femme peu sociable (incarnée par Michelle Miller) qui vit seule dans la campagne et a noué des liens fusionnels avec son crabe favori, devenu aussi grand qu’un dinosaure. Dès lors, Brett Piper met en scène une série de séquences surréalistes au cours desquelles des crabes de tailles variés (car il y a des rejetons) s’en prennent aux humains. Tout commence avec l’attaque d’un homme dans les bois, au milieu de la nuit. Des crustacés gros comme des chats se jettent sur lui et le tuent puis prennent en chasse une jeune femme. Lorsque les bêtes sont écrasées par une voiture, la maman réclame alors vengeance…

La grande aventure de Pee-Wee

Car Pee-Wee est une femelle, ce qui explique le titre du film. Sa première apparition sur une route nocturne est très dramatique, face à un pare-brise avec à l’avant-plan un regard affolé dans le rétroviseur. La bête s’intègre avec beaucoup de dynamisme dans les plans réels et son design est assez intéressant. Si sa forme globale s’inspire grandement du crabe de L’Île mystérieuse, son faciès est humanisé avec deux grands yeux et une bouche dans laquelle s’articulent deux mandibules très expressives. Grâce à l’emploi d’une pince grandeur nature, de décors miniatures très réalistes, de figurines pour remplacer certains humains et de nombreux plans en mouvement, Piper nous surprend sans cesse et parvient à faire interagir chaque fois que possible les acteurs et le monstre. Parmi les moments les plus marquants du film, on retiendra la destruction d’une ferme par une mère crabe furieuse, la créature qui soulève entre ses pinces gigantesques une jeep pour la jeter au sol (un clin d’œil manifeste au climax du Scorpion noir) ou encore Melissa qui est transportée sur le dos de son crustacé favori et traverse ainsi la forêt au clair de lune. Voilà donc un petit film de monstre très sympathique, dont les maladresses et les défauts sont d’autant plus pardonnables qu’il ne place jamais ses ambitions au-delà de celles d’un honnête divertissement de série B.

 

© Gilles Penso

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