MAY (2002)

Un film perturbant qui aura révélé le double talent du réalisateur Lucky McKee et de la comédienne Angela Bettis

MAY

2002 – USA

Réalisé par Lucky McKee

Avec Angela Bettis, Jeremy Sisto, Anna Faris, James Duval, Nichole Hiltz, Kevin Gage, Merle Kennedy, Rachel David

THEMA TUEURS

May est l’un des films d’horreur les plus émouvants qui nous aient jamais été donnés de voir. Certes, « horreur » et « émouvant » ne sont pas, à priori, « des mots qui vont très bien ensemble », comme dirait Paul McCartney. Mais comment définir autrement cet excellent premier film signé Lucky McKee ? A fleur de peau, le jeune cinéaste nous livre là le portrait d’un tueur psychopathe désespérément touchant, son basculement progressif et inexorable vers la folie meurtrière n’étant que le fruit d’un long parcours du combattant émotionnel, jonché d’inhibitions et de frustrations. Lorsqu’elle n’est qu’une enfant, May Dove Canady est déjà complexée par une coquetterie dans l’œil qui l’oblige à porter un patch de pirate et l’éloigne de tous ses camarades de jeu. Pour pallier le manque affectif de sa fille, la mère de May croit trouver une parade infaillible en lui déclarant : « si tu ne trouves pas d’amis, fabrique t’en. » Joignant le geste à la parole, elle lui offre une poupée un peu effrayante, qu’elle fabrique elle-même et qui ne quitte jamais sa boîte en verre protectrice. Devenue jeune femme, May n’a guère amélioré sa socialisation et sa meilleure amie demeure sa poupée, malgré les appels du pied de Polly, une jeune lesbienne délurée qui travaille à ses côtés dans un cabinet vétérinaire.

Un jour, May tombe sous le charme d’Adam, un beau mécanicien qui vit dans son quartier, pratique le cinéma en amateur et se laisserait volontiers attirer par elle si son comportement n’était pas si bizarre. Car May n’a aucune expérience amoureuse, et ses tentatives de séduction prennent une tournure très maladroite, voire franchement inquiétante. Adam n’a rien contre un soupçon d’étrangeté, et démontre même un penchant certain pour la provocation, comme en témoigne l’un de ses courts-métrages – excellent par ailleurs – au cours duquel un couple s’aime tellement qu’il finit par s’entredévorer. Mais lorsque May, croyant lui faire plaisir, se met à le mordre jusqu’au sang pour reproduire les scènes de son petit film, le jeune homme brise net cette relation naissante. Profondément blessée par ses échecs sentimentaux, May décide alors de prendre le conseil de sa mère au pied de la lettre. Si elle est incapable d’avoir des amis ou des amants, pourquoi ne les fabriquerait-elle pas elle-même ? Pourquoi n’emprunterait-elle pas les véritables membres des gens qu’elle aime afin de confectionner cet être idéal et aimant ?

Hilarante, poignante et effrayante

Une grande partie de la réussite de May repose sur l’interprétation prodigieuse d’Angela Bettis. Tour à tour hilarante, poignante et effrayante, c’est une véritable révélation, les fêlures progressives de son personnage se répercutant sur le verre qui protège la poupée, poupée avec laquelle elle présente d’ailleurs de troublantes ressemblances physiques. Pour lui donner la réplique, McKee a choisi deux comédiens plus chevronnés mais tout autant spontanés : Anna Faris, transfuge de la saga parodique Scary Movie, et Jeremy Sisto, personnage récurrent de la série Six Feet Under. Foncièrement bouleversant, atrocement pathétique, le dénouement de May laisse des traces profondes longtemps après la fin du générique. Une grande et belle réussite.

© Gilles Penso

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LE MONSTRE QUI VIENT DE L’ESPACE (1977)

De retour d'une mission dans l'espace, un astronaute se transforme peu à peu en cannibale dégoulinant !

THE INCREDIBLE MELTING MAN

1977 – USA

Réalisé par William Sachs

Avec Alex Rebar, Burr de Benning, Myron Healey, Michael Aldredge, Ann Swenny 

THEMA MUTATIONS

Le titre original du Monstre qui vient de l’Espace évoque celui de L’homme qui rétrécit et son scénario semble calqué sur celui du Monstre de Val Guest. On peut donc appréhender ce film comme un hommage aux classiques de la science-fiction des années 50, le gore en plus. La mission Scorpio 5, envoyée dans l’espace autour de Saturne, se termine de manière catastrophique. Trois astronautes n’y survivent pas et le troisième, Steve West (Alex Rebar), a été contaminé par les rayons radioactifs émis par la planète à l’anneau. Allongé dans un lit d’hôpital et couvert de bandages, il s’éveille pour découvrir que sa peau est en train de se décoller. L’infirmière bien en chair censée s’occuper de lui s’avère fort émotive car à sa vue, elle s’enfuit en hurlant, court au ralenti dans un grand couloir désert puis traverse une vitre sans que cela ne stoppe sa course ! Lorsque les médecins retrouvent le corps de la malheureuse, c’est avec le visage à moitié dévoré. Notre astronaute en pleine mutation s’en prend ensuite à un pêcheur dont il jette la tête coupée dans une rivière. La caméra s’attarde alors bizarrement sur le parcours de cette tête au fil de l’eau, jusque dans une petite cascade où elle atterrit ensanglantée. Non loin, des enfants jouent à cache-cache, et une petite fille tombe bientôt nez à nez avec le monstre.

Dégoulinant à souhait, il perd un œil et révèle, sous une couche de chairs décomposées, la structure de son crâne. Terrifiée – qui ne le serait pas ? -, la fillette court jusqu’à sa mère en criant qu’elle a rencontré Frankenstein dans les bois, en un hommage appuyé à James Whale. Parti à sa recherche, l’éminent docteur Nelson arpente alors les bois, équipé d’un compteur Geiger, tandis que la musique se met à copier ouvertement celle des Dents de la Mer. Nous avons bientôt droit à l’incontournable fille aux seins nus qui hurle (un photographe essaie de l’obliger à se déshabiller jusqu’à ce qu’elle tombe sur le corps décapité du pêcheur). Le monstre, lui, déambule au soleil couchant en se remémorant sa mission en voix-off. Au fil de ses forfaits anthropophages, Steve finit par ressembler à un squelette recouvert de gelée, le jeune maquilleur Rick Baker s’en donnant à cœur joie tandis que le docteur Nelson lâche avec un sérieux papal : « plus il fond, plus il semble devenir fort ».

« Plus il fond, plus il semble devenir fort ! »

Insensible aux balles, en décomposition de plus en plus avancée, il semble annoncer les zombies des films italiens, jusque dans cette course-poursuite nocturne dans une usine digne du Virus Cannibale de Bruno Mattei. Le réalisateur William Sachs rythme bizarrement ses séquences, laissant par exemple sa caméra tourner en plan fixe, alors qu’une comédienne, en roue libre, joue une crise d’hystérie après avoir tranché à coup de hachoir la main du monstre. Ce dernier finira sous forme d’un blob, son œil grand ouvert disparaissant sous un amas de gelée rouge, avant d’être réduit à l’état de flaque nettoyée par un homme d’entretien, tandis qu’en voix-off on s’extasie sur les missions spatiales de la NASA ! Ce goût apparent pour la dérision et le pastiche, ici à peine amorcé, s’épanouira dans le film suivant de William Sachs, Galaxina, une parodie maladroite mais plutôt attachante.

 

© Gilles Penso

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HORNS (2014)

Daniel Radcliffe s'éloigne un peu plus de Harry Potter en laissant Alexandre Aja lui faire pousser des cornes sur le front…

HORNS

2014 – USA

Réalisé par Alexandre Aja

Avec Daniel Radcliffe, Max Minghella, Joe Anderson, Juno Temple, Kelli Garner, James Remar, Kathleen Quinlan, Heather Graham, David Morse, Michael Adamthwaite 

THEMA POUVOIRS PARANORMAUX I DIABLE ET DÉMONS SAGA ALEXANDRE AJA

Avec Horns, Alexandre Aja choisit un virage radical et ambitieux. Après trois remakes (La Colline a des yeux, Mirrors, Piranha 3D), le réalisateur français sent le besoin de passer à autre chose. Adapté du roman de Joe Hill — le fils de Stephen King — Horns s’impose comme une œuvre beaucoup plus intime. « C’était un film très personnel pour moi, même si a priori je n’ai rien à voir avec les personnages : cette exploration de l’hypocrisie américaine, du rapport à l’autre, de la nécessité parfois d’aller dans les ténèbres pour trouver un peu de lumière », confie-t-il (1). En choisissant Daniel Radcliffe pour incarner Ig Perrish, Aja prend un parti très particulier. Comme si l’âge de l’innocence associé à Harry Potter devait désormais céder la place à l’âge adulte, peuplé de peurs, de désillusions et de trahisons. « Quand je choisis Daniel Radcliffe, c’est une évidence pour moi, parce que tout d’un coup il y a cette transition de l’enfance, de l’adolescence à l’âge adulte, d’une manière dramatique : le viol et l’assassinat de la femme qu’il aime, et tout le mystère qui entoure ce crime dont on l’accuse », confirme-t-il. « Évidemment, ce n’est pas anodin de prendre Harry Potter pour jouer ce rôle, parce qu’il incarne ce sentiment d’enfance pour toute cette génération, mais il est aussi lui-même, à cette époque, dans une transition vers l’âge adulte. C’est pour ça qu’il a accepté. Ça rajoute des niveaux de lecture et ça rajoute de l’épaisseur au sujet. » Aja laisse aussi transparaître des influences assumées, notamment l’univers étrange et inquiétant de David Lynch. Il rend même hommage à Twin Peaks en confiant à Heather Graham le rôle d’une serveuse, clin d’œil direct à la série culte. Dans Horns, « Qui a tué Laura Palmer ? » devient « Qui a tué Merrin Williams ? ».

Ignatius « Ig » Perrish (Daniel Radcliffe) est le principal suspect du viol et du meurtre brutal de sa petite amie Merrin Williams (Juno Temple). Bien qu’il clame son innocence, toute la communauté, y compris ses proches, se retourne contre lui. Rejeté, traqué par la presse, il trouve refuge dans la maison familiale auprès de ses parents (James Remar et Kathleen Quinlan) et de son frère Terry (Joe Anderson).

Après une veillée mortuaire douloureuse organisée par le père de Merrin (David Morse), qui croit fermement à sa culpabilité, Ig, désespéré, s’enivre, vandalise le mémorial de Merrin et s’endort dans les bois. À son réveil, il découvre avec horreur l’apparition de cornes sur son front. Ces cornes, étrangement, ne se contentent pas de déformer son apparence : elles possèdent le pouvoir de pousser les gens à révéler sans filtre leurs pensées et désirs les plus enfouis. Rapidement, Ig comprend qu’il peut exploiter ce don pour enquêter lui-même sur le meurtre de Merrin et faire éclater la vérité. Au fil de sa quête, il découvre l’hypocrisie étouffante de son entourage, les secrets honteux dissimulés derrière les sourires polis. Armé de ses nouveaux pouvoirs, il se rapproche lentement du véritable coupable, prêt à plonger toujours plus profondément dans les ténèbres pour obtenir justice…

Ruptures de ton

Horns marque une étape de maturité dans la carrière d’Alexandre Aja. Après les hurlements sanglants et les exubérances graphiques de ses précédents films, il s’attaque ici à un récit plus mélancolique, oscillant entre fantastique, horreur, romance noire et comédie macabre. Le mélange des genres aurait pu virer au grand écart, mais Aja réussit à maintenir une cohérence émotionnelle étonnante. La douleur d’Ig, sa quête d’identité et l’ambiguïté morale de ses choix trouvent un écho dans l’esthétique du film, à cheval entre l’intimisme et le baroque. Ironiquement, comme par effet de miroir avec la source littéraire première (œuvre donc du fils de Stephen King), Horns évoque parfois l’auteur de Carrie, notamment dans ces flash-backs racontant les aventures de cette bande de gamins qui n’aurait pas dépareillé dans Stand By Me ou Ça. Tout au long du film, Aja enchaîne les visions surréalistes et les ruptures de ton : unuméro musical infernal en ouverture, une transformation progressive de Radcliffe — qui devient à moitié invisible, tantôt du haut, tantôt du bas — et même une apparition fugace du monstre de Frankenstein. Radcliffe livre ici une prestation solide et sincère, loin de son image de petit sorcier. Sa souffrance est palpable, son glissement vers l’obscurité crédible et poignant. Bref, voilà un fascinant « écart de conduite », tant pour le cinéaste que pour son acteur principal.

 

© Gilles Penso

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WOLF CREEK (2004)

Dans le désert australien, un tueur débonnaire armé d'un fusil décide de décimer un trio de touristes

WOLF CREEK

2004 – AUSTRALIE

Réalisé par Greg McLean

Avec John Jarratt, Nathan Phillips, Cassandra Magrath, Kestie Morassi, Gordon Poole, Guy O’Donnell, Phil Stevenson 

THEMA TUEURS

Même si l’argument de Wolf Creek semble puiser son inspiration auprès des classiques du survival, ce premier long-métrage s’efforce d’éviter les sentiers battus. Empruntant son style à la nouvelle vague initiée par Lars Von Trier et son fameux « dogme », Greg McLean opte pour une mise en scène brute et accidentée, à mi-chemin entre le reportage et le documentaire. Sa caméra HD est légère, ses comédiens improvisent, son montage est libre… Bref, le mot d’ordre semble ici être naturalisme, en accord avec le fait-divers dont le scénario est censé s’inspirer. Après un carton introductif annonçant que des milliers de touristes disparaissent sans laisser de trace chaque année en Australie, Wolf Creek nous familiarise avec ses trois jeunes protagonistes. Ben, Liz et Kristy quittent la ville pour partir randonner pendant trois semaines dans le désert australien. Ils profitent de l’aventure pour admirer le site de Wolf Creek, un cratère provoqué par la chute d’une météorite il y a plusieurs milliers d’années. Loin de toute agglomération, ils découvrent bientôt que leur voiture refuse de redémarrer. Alors qu’ils s’apprêtent à passer la nuit dans le véhicule, un sympathique autochtone leur propose de les dépanner. Rassuré, notre trio ne se doute pas que le cauchemar le plus abominable s’apprête à les frapper un à un…

A contre-courant des scénarios du genre privilégiant les prologues choc et l’accumulation métronomique de séquences d’épouvante, Wolf Creek installe son récit tout en douceur, prenant le temps de nous présenter ses héros, leur ingénuité, leur insouciance et leurs préoccupations gentiment naïves. Du coup, lorsque l’horreur surgit enfin, au beau milieu du métrage, le choc n’en est que plus violent. Un bref instant, McLean nous laisse soupçonner une manifestation extra-terrestre, comme en témoignent cette voiture qui tombe subitement en panne et ces montres qui s’arrêtent toutes simultanément aux abords du cratère du météore. Mais bien vite, la monstruosité révèle son visage humain, d’autant plus cauchemardesque qu’il est banal et ordinaire. Terriblement débonnaire, le tueur est l’antithèse du cliché australien véhiculé par des films tels que Crocodile Dundee. Certes, l’homme arbore le stetson et le couteau de chasse, mais la comparaison s’arrête là. Ici, il est question de viols, de mutilations et de meurtres.

Crocodile Dundee est devenu psychopathe

Wolf Creek se place ainsi dans la droite lignée des œuvres les plus marquantes du genre, quelque part entre Délivrance et La Dernière maison sur la gauche qu’il évoque irrésistiblement sans jamais les imiter. En effet, le film de McLean conserve son style unique et sa forte personnalité d’un bout à l’autre, accumulant les moments de suspense diaboliquement efficaces et les séquences franchement dérangeantes. Le naturel des comédiens joue beaucoup en faveur du film et de son réalisme, lequel bénéficie en outre d’une judicieuse partition de François Tetaz alternant les compositions électroniques expérimentales et les morceaux symphoniques aériens. Regrettons simplement un dénouement un peu abrupt qui présente certes l’avantage de ramener le récit à son statut de fait divers mais escamote maladroitement un climax qui eut mérité un traitement mois elliptique. 

 

© Gilles Penso

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APPELS AU MEURTRE (1981)

Une toute jeune Jennifer Jason Leigh fait face à un psychopathe voyeur et assassin dans ce slasher oppressant que n'aurait pas renié Brian de Palma

EYES OF A STRANGER

1981 – USA

Réalisé par Réalisateur

Avec Lauren Tewes, Jennifer Jason Leigh, John DiSanti, Peter DuPre, Gwen Lewis, Kitty Lunn, Timothy Hawkins, Ted Richert, Toni Crabtree, Jose Bahamonde

THEMA TUEURS

Dans la grande famille des « psycho-killers téléphoniques », l’inconscient cinéphile se souvient du maniaque hystérique de Black Christmas, du Minos de Peur sur la ville, du glaçant inquisiteur de Terreur sur la ligne, du Donald Duck de L’Éventreur de New York, ou, plus populaire, du Ghostface fanfoy dans Scream. Celui qui nous occupe ici mérite parfaitement sa place dans ce Panthéon, même s’il est moins célèbre. Son inquiétant et rigolard « Debbie… Hi hi hi… Je vais t’étrangler ! » de  la scène d’ouverture d’Appels au meurtre a pourtant de quoi marquer les mémoires… Le scénario est malin, se jouant des codes habituels pour mieux les inverser : l’assassin habite l’immeuble juste en face de la journaliste qui a juré sa perte (sa sœur ayant été agressée, petite, par un pédophile, ce qui l’a rendue aveugle, sourde et muette). Elle comprend son manège et décide de le harceler à son tour au téléphone… Notre tueur est plus proche du Curt Duncan de Terreur sur la ligne : un homme au physique lambda, avec un côté pathétique, voire pataud, introduit au cours d’une séquence d’appel téléphonique menaçant, avant un passage à l’acte sanglant. Son identité nous est également rapidement dévoilée, le but affiché du film étant d’aller au-delà d’un whodunit balisé.

Rappelons que l’homme derrière la caméra est le mésestimé Ken Wiederhorn, réalisateur des forts sympathiques et décalés Le Commando des morts vivants (que les protagonistes regardent ici à la télévision) et Le retour des morts vivants 2. Mésestimé soit, mais pas par tous : un certain Brian de Palma, impressionné par ces Appels aux meurtres (qui évoquent parfois Pulsions), voulait que Wiederhorn mette en scène son scénario de Body Double, avant d’y renoncer pour le réaliser lui-même. Et on comprend aisément pourquoi : les deux hommes partagent le même goût pour le voyeurisme et les multiplications de points de vue. Le titre original du film n’est-il pas Eyes of a Stranger ? Dès les premiers plans, la prédominance du regard s’installe, avec la découverte très graphique de la première victime (qui s’offre même le luxe de préfigurer l’introduction d’Henry, portrait d’un serial killer) par le prisme d’un appareil photo. Le tueur observe ses victimes à travers les fenêtres, est observé à son tour par la journaliste et par un malheureux couple qui batifolait, puis découvre l’identité de celle qui le traque à travers son écran de télé. Seule la sœur aveugle échappe à la violence du monde qui l’entoure (n’entendant rien non plus, elle rate les détails sordides des meurtres énumérés par les médias, préservant sa pureté et n’ayant aucune conscience des dangers qu’elle court), violence qui lui a enlevé la vue et la lui redonnera. La boucle thématique est bouclée au cours du point culminant du film, dans une séquence silencieuse où la jeune fille est serrée de près par le fou jouant au chat et à la souris avec sa proie aveugle : un inoubliable sommet de perversité brute. Voir c’est souffrir/mûrir/mourir. Wiederhorn nous conseillerait-t-il ici en filigrane de couper contact avec l’information pour nous préserver de la triste et contaminante violence des hommes ?

Les yeux du tueur

Outre son intéressant sujet de fond, ce slasher ne se hisserait pas au-dessus du lot sans un casting ad hoc : John DiSanti (un habitué des seconds couteaux chez Peter Hyams) est très convaincant en grand méchant loup débonnaire mais agressif (rivalisant presque avec le Maniac lui-même, auquel le film paie son tribut au détour de certains plans), Lauren Tewes (oui, la Julie de La croisière s’amuse !) assure en héroïne déterminée et  très « Nancy Allen », et Jennifer Jason Leigh crève l’écran pour sa première apparition au cinéma, d’une folle justesse dans le rôle difficile de la sœur traumatisée et handicapée. Le tout relevé par les parfaits effets gore de Tom Savini (la filiation avec Maniac est complète) et la musique anxiogène de Richard Einhorn (déjà à l’œuvre sur un autre slasher 80’s mémorable, Rosemary’s Killer). Rappelant dans ses meilleurs moments le téléfilm de John Carpenter, Meurtres au 43ème étage (La Nuit des Masques a également droit à son clin d’œil), Appels au meurtre nous renvoie à la glorieuse époque de la VHS, et se revoit aujourd’hui avec un plaisir revigorant, en ces temps moroses de jump scares mécaniques, remakes obsolètes et autres found footages sans âme.

 

© Julien Cassarino

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LE CROCODILE DE LA MORT (1976)

Tobe Hooper s'intéresse une fois de plus aux désaxés de l'Amérique profonde en ajoutant un saurien vorace pour parachever le massacre

DEATH TRAP / EATEN ALIVE

1976 – USA

Réalisé par Tobe Hooper

Avec Neville Brand, Carolyn Jones, Mel Ferrer, Marilyn Burns, William Finley, Stuart Whitman, Robert Englund, Roberta Collins 

THEMA TUEURS I REPTILES ET VOLATILES

Dans la mouvance de Massacre à la Tronçonneuse, Tobe Hooper s’est lancé dans un film d’horreur tout aussi abrupt, décrivant les méfaits d’un nouveau tueur désaxé au fin fond de l’Amérique profonde. Mais au milieu des années 70, le paysage du cinéma d’épouvante a changé, galvanisé par des hits colossaux comme Les Dents de la Mer. Probablement influencé par ses producteurs, Hooper s’efforça donc de mixer deux figures horrifiques à priori incompatibles : le psycho-killer et le monstre marin. D’où un résultat un peu hybride aux influences multiples. Le film repose beaucoup sur les épaules de Neville Brand, hallucinant interprète de Judd, tenancier d’un motel décrépi qui écoute de la country sur une vieille radio, traîne une jambe de bois et marmonne d’incompréhensibles allusions à une guerre dont il serait vétéran. Dès qu’il est saisi d’une pulsion sexuelle ou d’un accès de colère, le brave homme tue ou mutile les malheureux qui se trouvent sur son chemin, avant de les livrer aux féroces appétits du colossal crocodile qu’il garde précieusement sous enclos dans un marais. Ainsi, dès la première séquence, une jeune prostituée périt-elle fort brutalement sous des coups de fourche. Mais l’instrument de mort que préfère Judd est une grande faux, qu’il manie avec une jubilation identique à celle de Leatherface armé de sa tronçonneuse.

La comparaison avec l’indétrônable Massacre à la Tronçonneuse ne s’arrête pas là, dans la mesure où Hooper poursuit son portrait guère engageant des « rednecks » américains, baigne une fois de plus dans l’horreur sordide et sans concession, et se livre encore à des expérimentations musicales, signant ici une musique stressante et volontairement cacophonique. Le film vaut donc son pesant d’angoisse et de suspense, notamment lors des séquences liées à l’effroi d’une petite fille persécutée, et s’assortit d’un soupçon d’érotisme volontairement cru et banalisé. De toute évidence, le cinéaste s’intéresse plus à son tueur qu’au monstrueux crocodile avec lequel il partage l’affiche. Le reptile se contente donc la plupart du temps de faire de la figuration, même si le film entier semble tourner autour de lui. C’est la discrétion de ses interventions qui rend d’ailleurs sa présence si efficace, dans la mesure où l’on n’aperçoit que sa gueule dans la pénombre.

Un bain de sang hystérique

Et cette création mécanique est l’œuvre de Robert Mattey, qui s’illustra justement dans Les Dents de la Mer. Au détour du casting, le fantasticophile reconnaît quelques visages familiers, notamment Robert Englund (Les Griffes de la Nuit) en jeune vaurien insolent, Stuart Whitman (Le Club des Monstres) en shérif aguerri, Mel Ferrer (Le Continent des Hommes-Poissons) en père désespéré parti à la recherche de sa fille, Marilyn Burns (Massacre à la Tronçonneuse) dans son rôle favori de victime hurlante, ou encore William Finley (Phantom of the Paradise) qui campe ici l’un des personnages les plus étranges du film, un père de famille à priori équilibré mais régulièrement troublé par des accès de rage et de folie furieuse ! Comme on pouvait s’y attendre, Le Crocodile de la Mort s’achève dans un bain de sang hystérique à souhait.

 

© Gilles Penso

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BODY TRASH (1993)

Le réalisateur australien Philip Brophy utilise un scénario prétexte pour faire fondre la majorité de son casting à grand renfort d'effets ultra-gore !

BODY MELT

1993 – AUSTRALIE

Réalisé par Philip Brophy

Avec Gerard Kennedy, Andrew Daddo, Ian Smith, Regina Gaigalas, Vincent Gil, Neil Foley, Anthea Davis, Matthew Newton 

THEMA MUTATIONS

En 1992, la Nouvelle-Zélande dépassait toutes les limites établies en matière de cinéma gore via Braindead de Peter Jackson. Un an plus tard, l’Australie contre-attaque avec ce Body Trash de Philip Brophy qui s’efforce d’aller encore plus loin dans le mauvais goût et l’outrance. Le prétexte scénaristique est des plus ténus. Il concerne une drogue d’un genre nouveau, conçue par la compagnie pharmaceutique Vimuville pour modifier l’organisme humain et le renforcer. Afin d’en expérimenter les effets, ses créateurs n’hésitent pas à employer comme cobayes involontaires les habitants de la paisible bourgade de Pebbles Court, à Homesville. Les premiers effets de cette vitamine d’un nouveau genre sont hallucinatoires. Un homme d’affaires est ainsi hanté par la vision d’une jeune femme partiellement défigurée qui apparaît et disparaît régulièrement, puis revient le visiter en pleine nuit sous forme d’une séduisante sorcière qui collectionne les cotes et lui en arrache donc une à mains nues ! La seconde phase est d’ordre glandulaire. Les victimes sont donc secouées de spasmes inquiétants, prélude à des effets indésirables beaucoup plus préoccupants. C’est notamment le cas d’un homme dont la morve abondante est animée d’une vie propre, ou d’un jeune marié soudain attaqué par le placenta de sa femme enceinte ! Mais tout ça n’est rien à côté de la phase ultime, qui doit au film son titre original : Body Melt, autrement dit la « dissolution du corps ».

Là, tous les délires sont permis, via des effets de maquillage hallucinants signés Bob McCarron, déjà à l’œuvre sur les zombies de Braindead, et marchant ouvertement sur la trace des extravagances cosmétiques conçues par Screaming Mad George pour Society. Nous avons ainsi droit, en vrac, à un homme dont la gorge s’ouvre pour libérer des cordes vocales très agressives, un autre dont les yeux s’exorbitent tandis que sa bouche se déchire, une femme étouffée par sa propre langue qui prend des proportions alarmantes, ou encore le pensionnaire d’un commissariat de police dont les jets de vomi dépassent de loin ceux de Linda Blair dans L’Exorciste avant qu’il n’explose littéralement à la manière de l’obèse glouton du Sens de la Vie. Même Shaan, créatrice de la vitamine survoltée, voit son invention se retourner contre elle, sa tête finissant par fondre comme une bougie de cire.

Tous les excès sont permis

Comme si tout ça ne suffisait pas, Philip Brophy en rajoute dans les séquences gore annexes à la trame principale, avec une famille de pompistes dégénérée qu’on croirait échappée de Massacre à la Tronçonneuse et qui tue les kangourous pour en dévorer les glandes surrénales, ou avec ce garçon dont la tête éclate après une chute en skate-board. Tous ces excès seraient réjouissants si Brophy les contrebalançait par l’humour cartoonesque qui caractérisait les premiers films de Peter Jackson, ou s’il en profitait pour brosser une satire acerbe du milieu pharmaceutique et médical. Hélas, Body Trash s’avère n’être qu’un défouloir futile dont la seule véritable ambition est d’accumuler les séquences dégoulinantes au rythme d’une musique techno métronomique signée par le réalisateur lui-même.

© Gilles Penso

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MAXIMUM OVERDRIVE (1986)

Stephen King réalise son premier film d'après une de ses nouvelles et, face au résultat, ne retentera plus jamais l'expérience

MAXIMUM OVERDRIVE

1986 – USA

Réalisé par Stephen King

Avec Emilio Estevez, Pat Hingle, Laura Harrington, Yeardley Smith, John Short, Ellen McElduff, J.C. Quinn, Christopher Murney 

THEMA OBJETS VIVANTS I SAGA STEPHEN KING

Gonflé à bloc par le colossal succès de ses romans et de leurs adaptations cinématographiques, Stephen King a décidé au milieu des années 80 d’essayer lui-même le fauteuil du réalisateur à l’occasion de ce Maximum Overdrive adaptant une de ses nouvelles, « Trucks », et recyclant une des thématiques clefs de Christine : l’objet vivant et maléfique. Au cours du générique, un carton nous annonce que la Terre va entrer pendant une semaine dans la queue de la comète Rhea-M. Ce phénomène n’aurait d’intérêt qu’aux yeux des astronomes s’il n’entraînait pas d’inquiétants effets secondaires. Toutes les machines deviennent en effet autonomes. Animées d’une vie propre, elles développent une agressivité croissante et s’en prennent soudain aux humains. La première partie du film, très récréative, s’attache ainsi à illustrer le phénomène via une série d’attaques variées. Un distributeur de billets insulte son utilisateur (interprété par King en personne), un pont au-dessus d’un fleuve s’ouvre et provoque un gigantesque carambolage, une pompe à essence aveugle un pompiste, un couteau électrique entaille la main d’une serveuse, un distributeur de cannettes et un rouleau compresseur sèment la panique sur un terrain de football.

Puis ce sont une série de poids-lourds qui se mettent à écrabouiller les voitures et écraser les gens (en particulier un impressionnant semi-remorque arborant une gigantesque tête de Bouffon Vert sur son capot). D’où une inévitable imitation de Duel au moment où l’un des camions course la voiture d’un jeune couple marié. L’intrigue se resserre alors sur un relais routier de la petite ville de Willmington, en Caroline du Nord, le Dixie Boy, où travaille notamment le repris de justice Bill Robinson (Emilio Estevez, seul visage familier d’un casting plutôt fadasse). Maximum Overdrive bénéficie d’effets spéciaux et de cascades particulièrement réussis, qui permettent de visualiser avec beaucoup d’impact les diverses attaques mécaniques. Certaines séquences sont donc explosives à souhait, notamment cette mitrailleuse sur roulettes qui accomplit un véritable massacre au Dixie Boy, ce bulldozer qui nous joue un remake destructeur de Killdozer, ou encore ce receleur d’armes qui attaque les camions au bazooka.

Un divertissement potache

Stephen King lui-même se tire avec les honneurs de ses premiers pas derrière la caméra, révélant ici un sens manifeste du cadrage, du rythme et de la photogénie. Tout ceci serait plutôt réjouissant si l’intrigue n’était pas basique, les dialogues stupides, les situations absurdes, l’humour au ras des pâquerettes et les acteurs en totale roue libre (d’où une idylle totalement invraisemblable entre Emilio Estevez et Laura Harrington). Sans parler d’une bande originale aussi subtile qu’un bruit de marteau piqueur, que King confia au groupe ACDC dans l’espoir de séduire le public adolescent, alors cœur de cible de son œuvre. Dommage, car le scénario aurait pu véhiculer une passionnante problématique, celle de l’esclavagisme de l’homme vis-à-vis de ses machines et de son incapacité à vivre sans elles. Hélas, Maximum Overdrive ne place jamais ses ambitions au-delà d’un divertissement potache, et ce sera d’ailleurs l’unique expérience du romancier en tant que réalisateur.

 

© Gilles Penso

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UN TICKET POUR L’ESPACE (2005)

Une mission spatiale parodique portée par un casting de premier ordre mais plombée par un scénario anémique

UN TICKET POUR L’ESPACE

2005 – FRANCE

Réalisé par Eric Lartigau

Avec Kad Merad, Olivier Barroux, Guillaume Canet, Marina Foïs, André Dussolier, Pierre-François Martin Laval, Thierry Frémont 

THEMA SPACE OPERA

Eric Lartigau est un réalisateur à l’américaine, un solide technicien capable d’adapter son style et son savoir-faire aux volontés des producteurs et des scénaristes. C’est ce qu’il prouva notamment avec Mais qui a tué Pamela Rose ?, redoublant d’efforts – en vain hélas – pour dynamiser par sa mise en scène et sa direction artistique le scénario anémique de Kad et Olivier. Dans Un Ticket pour l’Espace, la donne est la même. Le script aurait tout juste été capable d’alimenter un sketch du duo comique, mais il peine sérieusement à tenir la route sur la durée d’un long métrage. Formaté pour ses vedettes comiques issues du petit écran et de la scène, Un Ticket pour l’Espace souffre ainsi du même syndrome que La Tour Montparnasse Infernale ou RRRrrr !!!. Le prologue se situe une trentaine d’années dans le futur, époque où les moutons sont devenus suffisamment intelligents pour assister les humains dans toutes sortes de taches, comme le pilotage d’hélicoptère. Puis un flash-back nous ramène à notre époque. Afin de redorer auprès de l’opinion publique son blason, terni par les crédits colossaux alloués chaque année à la recherche spatiale, le gouvernement français décide de lancer une vaste opération de communication. Le Centre Spatial Français parraine ainsi « Un Ticket pour l’Espace », un jeu à gratter qui permettra à deux civils de séjourner dans la station spatiale orbitale européenne aux côtés d’un équipage professionnel.

Le commandant Beaulieu (Olivier Barroux) est très réticent, et s’apprête à refuser de diriger la mission, malgré les insistances de son supérieur Werburger (André Dussolier), mais la présence à bord de la charmante Soizic (Marina Foïs) le fait changer d’avis. Les deux heureux élus sont Cardoux (Kad Merad), un comédien raté et mythomane, et Yonis (Guillaume Canet), un jeune homme qui a trafiqué le fichier informatique pour pouvoir intégrer l’équipe. L’opération est un immense succès, mais tout bascule lorsque Yonis prend la station en otage et menace de la faire s’écraser sur Terre si le gouvernement n’accepte pas de libérer son frère, un redoutable tueur en série… Soucieux de remplacer la parodie, moteur de leur film précédent, par un comique de situation extrême, et très envieux de s’essayer à la science-fiction, Kad et Olivier avouent s’être en partie laissés inspirer par la trame du Voyage Fantastique de Richard Fleischer, duquel ils ont emprunté l’idée du traître se faufilant dans l’équipage pour menacer le bon déroulement de la mission.

Attention au dindon géant

Certes, les décors de la station spatiale (entièrement reconstitués dans les studios de Bry sur Marne) sont somptueux, les effets spéciaux numériques sont spectaculaires à souhait (avec en prime l’apparition d’un dindon géant) et la bande originale marche sans complexes sur les traces de Jerry Goldsmith. Mais derrière ce bel emballage, Un Ticket pour l’Espace s’avère désespérément creux, ses gags ne provoquant que trop épisodiquement le rire. Le meilleur d’entre eux ? Très probablement la voix de la station spatiale, interprétée non par une actrice à la prononciation sexy et chaleureuse, comme à l’accoutumée, mais par ce bon vieux Enrico Macias, dont l’accent pied noir suscite aussitôt l’hilarité générale !

 

© Gilles Penso

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UNE NUIT EN ENFER (1995)

La fusion des univers de Quentin Tarantino et Robert Rodriguez a accouché de cette œuvre culte qui recycle l'imagerie d'un grand-nombre de films d'horreur populaires

FROM DUSK TILL DAWN

1995 – USA

Réalisé par Robert Rodriguez

Avec George Clooney, Quentin Tarantino, Harvey Keitel, Juliette Lewis, Salma Hayek, Ernest Liu, Tom Savini, Fred Williamson 

THEMA VAMPIRES

Après les triomphes respectifs de Pulp Fiction et Desperado, il était réjouissant d’apprendre la collaboration de Quentin Tarantino (au scénario) et Robert Rodriguez (derrière la caméra) à l’occasion d’un polar fantastique déjanté. Première bonne surprise : le casting, représentatif des influences et des goûts des deux hommes. On trouve ainsi en tête d’affiche George Clooney, alors couronné de succès via la série Urgences, et Tarantino lui-même, dans le rôle de deux gangsters antithétiques, les frères Seth et Richard Gecko. L’un est bourré de sang-froid et de charisme, l’autre déborde de tics nerveux et de déséquilibres psychiques.Recherchés par la police pour vol à main armée, ils prennent la fuite à travers le Texas et croisent sur leur route une famille qu’ils prennent en otage : le pasteur Jacob Fuller (Harvey Keitel), sa fille adolescente Kate (Juliette Lewis) et son fils adoptif Scott (Ernest Liu). La première moitié du film se pare de cette distribution savoureuse et d’idées visuelles amusantes, comme cette vue en coupe du coffre d’une voiture où séjourne un otage ficelé. Mais le récit ne décolle guère et ne parvient pas vraiment à éviter les lieux communs du film de gangsters mâtiné de road movie. On attend donc avec impatience que le récit bascule dans le fantastique. Mais quand il le fait au beau milieu du métrage, ô paradoxe, on en vient finalement à regretter la partie policière !

Certes, l’idée d’un bar à motards mexicain (répondant au doux nom de Titty Twister) abritant une meute de vampires d’origine aztèque dirigée par l’envoûtante Santanico Pandemonium (Salma Hayek) avait de quoi séduire. Mais passée la surprise, le jeu de massacre tourne vite en rond et s’épuise rapidement, malgré les étonnants maquillages spéciaux de KNB et quelques idées amusantes, comme les projectiles à base d’eau bénite pour se débarrasser des suceurs de sang. Il faut dire que l’originalité de cette seconde partie n’est qu’apparente, puisqu’elle emprunte la majeure partie de ses idées aux délires gores de Braindead et Zombie sans parvenir à les surpasser. « Le carnage final d’Une Nuit en Enfer est une référence à beaucoup de films d’horreur », nous avoue Robert Rodriguez. « C’est dû à l’auteur de l’histoire originale, qui est un créateur d’effets spéciaux et qui avait notamment travaillé sur Evil Dead 2. » (1)

Braindead et Zombie sont déjà passés par là

En effet, le script de Tarantino a été développé à partir d’une idée de Robert Kurtzman, pilier de l’équipe de KNB qui envisagea au début des années 90 de réaliser le film lui-même. « Par contre », reprend Rodriguez, « c’est moi qui ai eu l’idée de donner un rôle à Tom Savini, le chef maquilleur de Zombie. » (2) Celui-ci incarne Sex Machine, un chasseur de vampires hystérique gonflé à la testostérone, et il n’est pas impossible que le « Dawn » du titre original nous renvoie à celui de Dawn of the Dead. Pas vraiment capable de renouveler le film d’horreur malgré une volonté manifeste de dépasser les conventions du genre, Une Nuit en Enfer perd donc en cours de route une bonne partie de son intérêt. Il connaîtra pourtant un honorable succès, et poussera Rodriguez à en produire une séquelle et une préquelle, directement destinées au marché vidéo, ainsi qu’une série télévisée.

 

(1) et (2) Propos recueillis par votre serviteur en avril 1999. 

 

© Gilles Penso

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