FIREFOX (1982)

Pour sa huitième réalisation, Clint Eastwood se transforme en agent secret aux commandes d'un avion futuriste soviétique

FIREFOX

1982 – USA

Réalisé par Clint Eastwood

Avec Clint Eastwood, Freddie Jones, David Huffman, Warren Clarke, Ronald Lacey, Kenneth Colley

THEMA ESPIONNAGE ET SCIENCE-FICTION

Passé derrière la caméra dès 1972, Clint Eastwood s’était déjà essayé au thriller (Un Frisson dans la nuit), au drame (Breezy), au film policier (La Sanction, L’Epreuve de force), à l’aventure (Bronco Billy) et au western (L’Homme des hautes plaines, Josey Wales hors la loi). Avec Firefox, tiré du roman homonyme de Craig Thomas, il s’attaque cette fois à l’espionnage mâtiné de science-fiction et livre un pur produit de l’Amérique paranoïaque des années 80. Des deux côtés de la caméra, Eastwood incarne le colonel Mitchell Grant, un as du pilotage traumatisé par la guerre du Vietnam qui, tel John Rambo, vit reclus dans sa campagne. Refrain connu, sa retraite anticipée s’interrompt le jour où le gouvernement américain lui demande de reprendre du service. L’armée russe a en effet mis au point un bombardier futuriste capable de voler jusqu’à Mach 6 et obéissant directement aux ondes mentales émises par le cerveau de son pilote. Invisible aux radars, ce redoutable oiseau de proie répond au nom de code de Mig 31, ou « Firefox » pour les intimes. « Si les Soviets pouvaient le fabriquer en série, cela changerait la structure de notre monde » s’inquiète-t-on en haut lieu. La mission de Grant consiste à se rendre en Russie, à endosser différentes identités, à dénicher le Mig 31, surveillé de près par un bataillon armé jusqu’aux dents, et à le voler !

Grant n’étant pas 007, l’aventure n’a rien d’une partie de plaisir exotique garnie de gadgets inventifs et de jolies filles en maillot de bain, mais s’apparente plutôt à un parcours du combattant dont Eastwood parvient à rendre palpable la tension et le sentiment de danger à travers une mise en scène brute et réaliste inspirée des films d’espionnage de la décennie précédente. Quand notre pilote s’empare enfin du bombardier high-tech et fait route vers les États-Unis, Firefox délaisse ses oripeaux de thriller oppressant pour prendre la forme d’une course-poursuite aérienne sollicitant largement les effets spéciaux. Car Grant est dès lors pris en chasse par des avions, des missiles, des hélicoptères, des croiseurs, et finalement un second Mig 31 avec aux commandes l’as des pilotes de l’armée soviétique.

L'influence de Star Wars

Maquettes, pyrotechnie et incrustations (souvent maladroites, hélas) sont donc mises à contribution dans des séquences de batailles volantes directement inspirées de celles de La Guerre des étoiles, notamment lorsque nos deux belligérants aériens empruntent à vive allure un canyon filmé exactement comme les tranchées de l’Etoile Noire. L’analogie n’est pas innocente, puisque le superviseur des effets visuels de Firefox n’est autre que John Dykstra, l’homme qui orchestra les nombreux trucages du space opéra de George Lucas. Quant à la partition de Maurice Jarre, elle puise directement son inspiration dans les compositions les plus héroïques de John Williams. Nanti d’un budget de 21 millions de dollars, le neuvième long-métrage de Clint Eastwood est finalement une œuvre un peu bancale, souffrant à la fois d’un rythme un peu déséquilibré, d’un manque de subtilité fréquent et d’accents anticommunistes passablement dépassés. Reste le savoir-faire indiscutable d’un cinéaste en béton armé n’ayant cessé depuis d’affiner son art.


© Gilles Penso

Partagez cet article

FRANKENSTEIN (1994)

Kenneth Branagh suit la trace du Dracula de Francis Coppola pour tenter une adaptation fidèle du roman de Mary Shelley

MARY SHELLY’S FRANKENSTEIN

1994 – USA

Réalisé par Kenneth Branagh

Avec Kenneth Branagh, Robert De Niro, Helena Bonham Carter, Tom Hulce, Aidan Quinn, Ian Holm, Richard Briers, John Cleese

THEMA FRANKENSTEIN

Comme il le fit pour son Dracula, Francis Ford Coppola a annoncé ce Frankenstein comme l’adaptation la plus fidèle qui soit au texte initial. Le film de Kenneth Branagh est certes très proche du roman de Mary Shelley, la seule grosse dérogation concernant la fabrication de la compagne du monstre (une concession au texte initial entrée dans les mœurs depuis La Fiancée de Frankenstein). Mais la fidélité absolue est-elle un gage de réussite ? A vrai dire, les excès romantiques du 19ème siècle, que le roman cultive jusqu’à l’excès (sentiments exacerbés, sensibilité à fleur de peau, longs monologues grandiloquents), passe mal le cap de l’écrit à l’écran. Du coup, les larmoyances de Kenneth Branagh, endossant lui-même le rôle du jeune Victor Frankenstein, et les violons omniprésents du compositeur Patrick Doyle prennent une tournure anachronique. « Kenneth Branagh est l’homme le plus drôle que je connaisse », nous affirme pourtant Doyle. « Je suis régulièrement pris de fous rires à ses côtés. Mais les gens drôles sont souvent capables de faire des choses étonnamment sérieuses. Souvent, c’est des ténèbres qu’ils tirent leur humour. Après tout, la vie est à la fois drôle et tragique. » (1) 

Frankenstein aurait pu jouer de cette dualité, mais il s’avère désespérément monocorde. La théâtralisation qui le caractérise fonctionnait dans Beaucoup de bruit pour rien, dans la mesure où le film prenait les allures enjouées d’un conte, mais pas dans un Frankenstein visant la crédibilité historique et le réalisme brut. D’autre part, le passé nous a prouvé que les adaptations les plus réussies du texte de Shelley étaient souvent celles qui s’éloignaient du verbe pour n’en conserver que l’esprit (en particulier les classiques de James Whale et Terence Fisher). Il faut malgré tout reconnaître que les effets de style de Branagh insufflent une belle énergie aux scènes clefs du film, comme la frénésie des expériences de Frankenstein (les tournoiements incessants du steadicam traduisant le vertige dans lequel Victor, aveuglé par ses travaux, est entraîné), l’émergence de la créature mâle (où, comme dans un cauchemar, le savant et le monstre n’en finissent plus de perdre l’équilibre dans le liquide amniotique au sein d’un plan séquence truffé de jump-cuts), ou la pendaison du cul-de-jatte raccordée dans le mouvement avec un verre posé brusquement sur une table.

Entre réalisme brut et épure théâtrale

Mais ces moments inspirés ne sont qu’épisodiques, cette inégalité se répercutant sur tous les aspects artistiques du film. C’est notamment le cas des décors qui oscillent entre le réalisme brut (les rues d’Ingolstadt), la carte postale grandiose (les montagnes de Genève) ou l’épure digne d’une scène de théâtre (la maison des Frankenstein). Même le casting laisse perplexe. Car Branagh n’est pas le plus convaincant des docteurs Frankenstein, et Robert De Niro, couturé par de grossières cicatrices qui se résorbent progressivement, offre une prestation très en deçà des capacités que nous lui connaissons. Les bonnes surprises viennent plutôt des seconds rôles, comme Ian Holm en père de Victor, Tom Hulce en Henry Clerval ou John Cleese méconnaissable sous la défroque du professeur Waldman.

(1) Propos recueillis par votre serviteur en janvier 2007

 

© Gilles Penso

Partagez cet article

DRACULA (1992)

Francis Ford Coppola réinvente le classique de Bram Stoker et transforme Gary Oldman en impressionnant vampire

BRAM STOKER’S DRACULA

1992 – USA

Réalisé par Francis Ford Coppola

Avec Gary Oldman, Winona Ryder, Anthony Hopkins, Keanu Reeves, Richard E. Grant, Sadie Frost

THEMA DRACULA I VAMPIRES

En s’efforçant d’adapter le plus fidèlement possible le roman de Bram Stoker, on aurait pu penser que Francis Ford Coppola cherche à tendre vers une certaine forme de réalisme et de minimalisme. Or le réalisateur d’Apocalypse Now opte au contraire pour une stylisation extrême et une théâtralisation assumant son caractère artificiel. Par son choix d’un tournage intégralement en studio, ses couleurs saturées, ses trucages à l’ancienne, ses fumigènes et ses toiles d’araignées, ce Dracula évoque du coup les classiques horrifiques des années 60, ceux de Terence Fisher, Roger Corman, et surtout Mario Bava. Tout, dans le film, s’avère superbement outrancier : le château de Dracula, aux allures de sinistre roi déchu assis sur son trône, l’ombre facétieuse du comte qui s’évertue à ne pas bouger en synchronisme avec lui, le jeu emprunté de Gary Oldman – à côté de qui Bela Lugosi semble presque sobre ! – assorti d’un maquillage et d’un costume grandiloquents hérités du théâtre kabuki…

Le prologue s’efforce d’assurer le lien entre le personnage réel de Vlad Tepes et le Dracula du roman, décrivant les tourments du fier guerrier roumain face au cadavre de sa bien-aimée qui se donna la mort en le croyant tombé sur le champ de bataille. Rejetant violemment le christianisme, se damnant pour l’éternité, nous le retrouvons des siècles plus tard sous les traits vieillissants d’un aristocrate excentrique, ordonnant au jeune clerc de notaire Jonathan Harker (Keanu Reeves) d’orchestrer son emménagement à Londres. Aux figures imposées par le récit, Coppola adjoint une bonne dose d’érotisme morbide, notamment lorsque les trois femmes vampires s’en prennent au pauvre Jonathan, ou lorsque Mina (Winona Ryder), la fiancée de Jonathan, découvre son amie Lucy violée par un homme-loup grimaçant qui n’est autre que Dracula en personne ! Et Anthony Hopkins, sous les traits d’un Van Helsing exubérant, de lancer : « veillez sur Lucy, ou elle deviendra une traînée du démon ! ».

« J'ai traversé des océans d'éternité pour vous retrouver »

Mais lorsque notre comte, soudain rajeuni, fait la rencontre de Mina en qui il reconnaît la réincarnation de sa bien-aimée, la trivialité cède le pas à une romance trouble et envoûtante. « J’ai traversé des océans d’éternité pour vous trouver » lui avoue-t-il, tandis que Mina, laissant affleurer à sa mémoire des images d’une vie antérieure, décrit le visage de la princesse qu’elle fut quatre siècles plus tôt comme « un fleuve empli de larmes, de tristesse et de désespoir », le tout porté par une magnifique partition de Wojciech Kilar. Se laissant souvent tenter par des facéties visuelles inventives (la morsure du vampire s’enchaîne avec des yeux de loup, un cercle de bougies se mue en soleil couchant), Coppola ne se réfrène pas non plus en matière d’effets spéciaux très explicites (au-delà de ses transformations en loup-garou, Dracula devient aussi une fumée vivace ou un homme-chauve-souris très impressionnant). Malgré toutes ses audaces, ce Dracula reste moins terrifiant que les versions de Terence Fisher et moins émouvant que la relecture de John Badham, que nous aurons donc tendance à lui préférer.

 

© Gilles Penso

Partagez cet article

CARNOSAUR (1993)

Plus opportuniste que jamais, Roger Corman anticipe le succès de Jurassic Park en produisant dans l'urgence son propre film de dinosaures

CARNOSAUR

1993 – USA

Réalisé par Adam Simon

Avec Diane Ladd, Raphael Sbarge, Jennifer Runyon, Clint Howard, Harrison Page, Ned Bellamy, Frank Novak, Ed Williams

THEMA DINOSAURES I SAGA CARNOSAUR

Roger Corman est un malin. Lorsqu’il entend parler du projet Jurassic Park, il remue ciel et terre pour produire à la vitesse grand V son propre film de dinosaure et se lance comme défi de sortir le sien avant celui de Spielberg, histoire de passer pour un visionnaire plutôt qu’un vulgaire plagieur (comme si sa réputation en la matière était encore à faire !). Ne poussant pas les recherches trop loin, il décide de mettre en scène les mêmes dinosaures carnivores que Jurassic Park (un tyrannosaurus rex et un proche cousin du vélociraptor, le deinonychus), utilise lui aussi un prétexte génétique pour expliquer leur naissance, et se pare d’une once de respectabilité en adaptant un roman (en l’occurrence un livre de John Brosnan se camouflant sous le pseudonyme d’Harry Adam Knight). Héroïne de Carnosaur, la scientifique Jane Tiptree décide d’arrêter les travaux à vocation militaire que lui commande le secteur privé. Persuadée que la race humaine est la pire chose qui soit jamais arrivée sur Terre, elle se met carrément en tête de l’anéantir. Sous couvert de recherches sur les poulets d’élevage, elle crée donc génétiquement une nouvelle race de dinosaures en injectant de l’ADN reptilienne dans des embryons de poulets. Le résultat est un duo de carnosaures redoutables qui sèment dès lors la panique dans une petite ville avoisinante.

Fort de ce scénario pour le moins aberrant, Carnosaur veut se donner un aspect high-tech en affichant des données (pourcentages, comptes à rebours, etc.) avant chaque scène. Ce parti pris systématique devient vite exaspérant, d’autant que les actions parallèles créent d’emblée une énorme confusion. Les dinosaures, accouchés comme dans Alien par des femmes contaminées, sont franchement pitoyables. A trop vouloir préparer et tourner son film dans l’urgence, Corman a rejeté l’animation image par image au profit de marionnettes mécaniques très caoutchouteuses et maladroitement animées, œuvre d’un John Buechler qu’on connut plus inspiré (Re-Animator, From Beyond). La vraie nouveauté du film est d’associer les dinosaures au gore, en particulier dans la scène où le deinonychus massacre les écologistes enchaînés aux bulldozers avec force gerbes de sang et mutilations en tout genre.

Dino-gore

Mais le gore est facile, et Buechler n’est pas un novice en la matière. En revanche, il s’avère bien plus difficile de faire peur ou de créer une action palpitante. Et dans ce domaine, le réalisateur Adam Simon échoue systématiquement. La scène finale du combat entre le tyrannosaure et la pelleteuse, empruntée à Dinosaurus et The Crater Lake Monster et surtout calquée sur le final d’Aliens, est découpée et montée avec tellement de confusion – probablement pour camoufler la maladresse des effets spéciaux – qu’elle tombe complètement à plat. Seul le dénouement réussit à surprendre. Enfin presque, parce que George Romero en avait inventé un similaire quinze ans auparavant dans La Nuit des Morts Vivants. Suffisamment rentable, Carnosaur connaîtra deux séquelles, respectivement réalisées par Louis Morneau et Jonathan Winfrey, tandis que les dinosaures eux-mêmes resserviront dans d’autres productions Corman.

© Gilles Penso

Partagez cet article

LE SIXIEME CONTINENT (1974)

Kevin Connor adapte le mythique cycle "Caspak" d'Edgar Rice Burroughs en immergeant les occupants d'un sous-marin dans un monde préhistorique

THE LAND THAT TIME FORGOT

1974 – GB

Réalisé par Kevin Connor

Avec Doug McClure, John McEnery, Susan Penhaligon, Keith Barron, Anthony Ainley, Declan Mulholland, Godfrey James

THEMA DINOSAURES

La première fois que Kevin Connor collabore avec la compagnie Amicus, c’est en 1974 à l’occasion du film d’épouvante Frissons d’outre-tombe qui est aussi son premier long-métrage en tant que réalisateur après de longues années de pratique du montage. Mais l’association Connor/Amicus restera surtout mémorable grâce à une source d’inspiration très différente : Edgar Rice Burroughs. Au-delà du personnage de Tarzan qui l’a rendu célèbre, Burroughs est l’auteur de plusieurs cycles fantastiques délicieusement « pulp », notamment les cycles de Mars, Pellucidar, Vénus et Caspak. Un an après Frissons d’outre-tombe, Kevin Connor s’embarque ainsi dans l’adaptation à grand spectacle du premier volume de la série Caspak, La Terre que le temps avait oublié, publié initialement en 1918. En France, le film portera comme titre Le Sixième continent. En s’attaquant à un tel univers, la compagnie Amicus sait qu’elle va devoir réunir un budget beaucoup plus conséquent qu’à l’accoutumée. Le Sixième continent sera donc coproduit par Lion International et distribué aux États-Unis par American International Pictures. L’adaptation est l’œuvre du romancier de science-fiction Michael Moorcock, qui souhaite rester fidèle au roman de Burroughs mais va devoir s’éloigner du texte initial à la demande de la production. Autre concession exigée cette fois-ci par le distributeur : le remplacement du comédien principal Stuart Whitman par Doug McClure. Le film se situe pendant la première guerre mondiale. 

 

Après que le sous-marin allemand Montrose ait coulé un navire civil anglais, les survivants prennent d’assaut le submersible et torpillent un bateau de ravitaillement germanique. L’équipage allemand parvient à redevenir maître de la situation et le Montrose, entraîné par des courants sous le pôle, s’échoue sur le continent inconnu de Caprona. Sur cette île, l’évolution est si lente que les dinosaures et les hommes des cavernes vivent parallèlement. Anglais et Allemands, obligés de s’allier par la force des choses, luttent contre les êtres préhistoriques de ce continent oublié et tentent, grâce à une source de pétrole, de refaire le plein de carburant pour repartir vers la civilisation. Ahm, de la tribu des Bo-Lu, accepte de devenir leur guide dans la jungle inhospitalière de Caprona. Mais il est bientôt happé par les mâchoires d’un ptéranodon.  Et pour couronner le tout, la terre gronde et des volcans commencent à entrer en éruption… La première partie du film, qui décrit l’affrontement entre Anglais et Allemands dans le huis-clos d’un sous-marin germanique, agrémentée de splendides maquettes de navires signées Derek Meddings, laisse présager une suite pleine d’intérêt. On note d’emblée un judicieux rejet de tout manichéisme chez les opposants. Mais dès que l’action se transporte sur l’île de Caprona, la crédibilité disparaît partiellement et le rythme s’essouffle. Les protagonistes y contemplent des dinosaures pas vraiment convaincants. 

 

Les monstres de Caprona

Créés par Roger Dicken, ce sont la plupart du temps des marionnettes d’environ un mètre de long assez limitées dans leurs mouvements. Inspirées par les peintures de Zdenek Burian, ces créatures auraient méritées d’être animées en stop-motion, comme celles de Quand les dinosaures dominaient le monde sculptées elles aussi par Roger Dicken. Mais l’animation mécanique est préférée pour gagner du temps, réduire les délais de post-production et obtenir un résultat plus fluide (cette dernière demande est celle de Kevin Connor, qui souhaite pouvoir « diriger » les monstres en direct). Les rétroprojections et les décors miniatures y sont tout de même très soignés, et certains plans sont de vraies réussites graphiques, notamment la silhouette du styracosaure dans les flammes, le gros plan des allosaures ou la bave réaliste du cératosaure en plein combat. La grosse erreur est surtout d’avoir utilisé une maquette grandeur nature complètement immobile d’un ptérodactyle géant suspendu par des câbles, qui détruit toute illusion. Seule sa bouche remue, et il vole sans battre des ailes à la manière d’un deltaplane. Les décors de Caprona, souvent peints sur verre, sont parfois magnifiques, mais il ne s’y passe hélas rien de très palpitant. Le spectateur regarde donc distraitement Allemands et Anglais qui luttent main dans la main contre toutes sortes de monstres antédiluviens et contre plusieurs tribus d’hommes préhistoriques. Il faudra attendre le spectaculaire cataclysme final, symbole récurrent du bouleversement du cycle naturel du continent préhistorique par l’intervention de l’homme civilisé, pour que le film retrouve un trop tardif souffle épique.

 

© Gilles Penso

À découvrir dans le même genre…

 

Partagez cet article

VOYAGE AU CENTRE DE LA TERRE (2008)

Brendan Fraser est la star de cette relecture très libre du classique de Jules Verne conçue surtout pour aligner les séquences spectaculaires en relief

JOURNEY TO THE CENTER OF THE EARTH 3D

2008 – USA

Réalisé par Eric Brevig

Avec Brendan Fraser, Josh Hutcherson, Anita Briem, Seth Meyers, Jane Wheeler, Jean Michel Pare

THEMA EXOTISME FANTASTIQUE I DINOSAURES I MONSTRES MARINS I VEGETAUX

Ce Voyage au centre de la Terre est à la fois une adaptation modernisée du roman homonyme et une variante sur ses thématiques, dans la mesure où ici les protagonistes s’enfoncent dans les entrailles de notre planète en utilisant le classique de Jules Verne comme un guide cartographique. Trevor, le géologue incarné par Brendan Fraser, ne s’est toujours pas remis de la disparition de son frère Max au cours d’une expédition scientifique en Islande. En découvrant dans les affaires de ce dernier un exemplaire du « Voyage au Centre de la Terre » rempli d’annotations, d’indications géographiques et de calculs, Trevor en tire une conclusion surprenante : son frère a suivi à la lettre les descriptions du livre et s’est enfoncé au cœur de notre planète. Alors qu’il s’apprête à mettre en place une nouvelle expédition, notre savant se souvient qu’il a promis de garder son neveu Sean pendant une semaine. Il l’embarque donc avec lui jusqu’en Islande, où la jolie Hannah accepte de leur servir de guide.

Dès lors, des dangers inimaginables et des paysages incroyables parsèment leur périple, jusqu’à ce qu’ils atteignent le centre de la terre et y découvrent des formes de vies antédiluviennes qu’ils pensaient éteintes depuis des millions d’années. Sans compter ces formations rocheuses versatiles qui menacent de s’écrouler à tout moment et cette lave incandescente dont la température ne cesse d’augmenter… Conçu pour être projeté en relief dans certaines salles de cinéma et réalisé par un ancien ténor des effets spéciaux visuels, Voyage au centre de la Terre assume pleinement son statut d’attraction digne d’un parc à thème. Une fois ce postulat accepté, on passe outre les clichés qui parsèment le récit et la caractérisation rachitique des personnages pour profiter pleinement du spectacle.

Un tour de manège déguisé en film

Dans ce domaine, Eric Brevig ne nous prive d’aucune sensation forte, depuis la folle course des wagonnets dans la mine désaffectée (clin d’œil à Indiana Jones et le temple maudit) jusqu’au surgissement des poissons volants et des plésiosaures dans l’océan intérieur, en passant par l’intervention d’une monstrueuse plante carnivore, une chute dans le vide interminable digne d’ « Alice au Pays des Merveilles » et l’attaque d’un impressionnant gigantosaure. « A l’origine, je voulais en faire un dinosaure albinos », raconte Eric Brevig. « Nous avons fait des essais, et le résultat ne nous a pas du tout convaincus : on aurait dit une image de synthèse en cours de finition. Alors nous sommes revenus à une pigmentation plus classique, et nous l’avons recouvert de poussière pour évoquer son environnement rocheux.» (1) La beauté des décors (reconstitués pour la plupart en studio à Montréal), la maîtrise des effets spéciaux numériques et l’efficacité des séquences de suspense vertigineuses s’apprécient sans modération. Certes, c’est un plaisir un peu « coupable », parce qu’on sait bien que tout ça ne vole pas très haut, que la caricature n’est jamais loin, que les bons sentiments dégoulinent sans retenue et que le happy end frôle dangereusement la niaiserie. Mais un bon «pop corn movie» sans prétention, ça ne peut pas faire de mal. Voyage au centre de la Terre se déguste donc en famille, comme un tour de manège à Disneyland.

 

(1) Propos recueillis par votre serviteur en juin 2008

© Gilles Penso

Partagez cet article

WANTED (2008)

Un banal employé de bureau sans histoire s'apprête sans le savoir à intégrer une secte de tueurs d'élite aux pouvoirs surhumains

WANTED

2008 – USA

Réalisé par Timur Bekmambetov

Avec James McAvoy, Angelina Jolie, Morgan Freeman, Terence Stamp, Common, Thomas Kretschmann, Kristen Hager

THEMA POUVOIRS SURNATURELS

Malgré leur confusion extrême, Night Watch et Day Watch démontraient l’indiscutable savoir-faire du réalisateur russe Timur Bekmambetov dans le domaine des effets spéciaux et des séquences d’action inédites. Il était donc prévisible qu’Hollywood finisse par lui faire les yeux doux. Avec Wanted, tiré d’une BD de Mark Milar et J.G. Jones, il accède au plus gros budget de sa carrière, et l’on s’attend forcément à un spectacle numérico-pyrotechnique destiné à nous en mettre plein la vue. Pourtant, la première partie du film témoigne d’un considérable assagissement de la mise en scène de Berkmambetov qui concentre sa caméra sur son personnage principal avec un humour pince sans rire que nous ne lui connaissions pas.

Agréablement surpris, nous découvrons les déboires de Wesley Gibson (James McAvoy), un employé de bureau couard et neurasthénique qui se laisse tyranniser par sa patronne et tromper par sa femme sans lever le petit doigt, bien que sa voix off désabusée nous laisse entendre qu’il n’en pense pas moins. La vie de cet homme insipide bascule le jour où Fox (Angelina Jolie, plus Lara Croft que jamais) lui sauve la vie au milieu d’une fusillade et lui fait découvrir la Fraternité, une secte de tueurs d’élite aux pouvoirs paranormaux qui planifient des meurtres censés préserver l’équilibre mondial. Leur devise : « un homme de tué, mille hommes de sauvés ». Cette confrérie descend d’une longue lignée de moines tisserands et leur maître actuel, Sloan (Morgan Freeman), détermine le nom des futures cibles grâce au code binaire obtenu à partir d’un métier à tisser ancestral. Wes découvre qu’il est le fils du meilleur tueur de la Fraternité, lequel vient d’être assassiné par le redoutable Cross (Thomas Kretschmann), un membre renégat du groupe. En danger de mort, notre petit fonctionnaire va devoir se soumettre à un entraînement éprouvant pour développer ses capacités extra-sensorielles et se muer à son tour en tueur quasi-indestructible.

Le « meurtre nécessaire », vraiment ?

Comme on pouvait s’y attendre, Berkmambetov ne tarde pas à retrouver ses vieux réflexes et à verser dans l’excès. Tant que sa frénésie visuelle se met au service de la dramaturgie, le public est prêt à accepter les balles qui sortent des canons en adoptant des trajectoires courbes pour éviter les obstacles, les voitures qui effectuent des cascades en apesanteur ou les humains qui rebondissent sur le toit de trains en pleine course. Mais le scénario fixe assez rapidement ses limites et jongle maladroitement avec la notion de « meurtre nécessaire » sans se positionner ouvertement sur le sujet. « Quelle que soit la raison, tuer n’est pas la solution » disaient les Beatles, tandis que George Brassens proclamait « si l’on devait tuer mille types pour que le monde devienne beau, je ne marcherais pas », et nous aurions tendance à nous rallier à ces points de vue. Philip K. Dick lui-même, par Steven Spielberg interposé, mettait en évidence les failles d’une justice préventive condamnant les criminels avant leurs forfaits dans Minority Report. Mais la peine capitale mise en scène dans Wanted a des vertus récréatives dénuées de toute réelle crise de conscience. Sans aller jusqu’à taxer le film de fascisant, on peut s’interroger sur les valeurs qu’il défend. Reste à savoir ce que Timur Bekmambetov serait capable de faire si on lui confiait enfin un scénario digne de ce nom.

© Gilles Penso

Partagez cet article

ABYSS (1989)

Ne reculant devant aucun défi, James Cameron emmène son équipe de tournage sous l'eau pour un thriller de science-fiction claustrophobique

THE ABYSS

1989 – USA

Réalisé par James Cameron

Avec Ed Harris, Mary Elizabeth Mastrantonio, Michael Biehn, Leo Burmester, Todd Graff, John Bedford Lloyd, Leo Burmester

THEMA EXTRA-TERRESTRES I MONSTRES MARINS

Dans la continuité de Terminator et Aliens, James Cameron signe avec Abyss un film palpitant d’un bout à l’autre. On y retrouve ses penchants pour le futurisme hyperréaliste, la thématique de l’homme broyé par une machinerie gigantesque qu’il a lui-même créée, la figure récurrente de la femme forte et – plus que jamais – l’omniprésence de la couleur bleue. « C’est une couleur que j’adore ! », avoue-t-il « J’ai passé 2500 heures sous l’eau au cours de mes nombreuses plongées sous-marines, et tout est bleu dans l’océan. C’est magnifique.» (1) Au cours du prologue, un sous-marin nucléaire de l’US Navy se retrouve inexplicablement immobilisé dans une immense crevasse, à plus de 700 mètres de profondeur. Une équipe de marines surentraînés réquisitionne le Deepcore, une titanesque plateforme de travail en forme de crabe métallique, et ses ouvriers plongeurs afin d’atteindre l’épave. Des tensions naissent aussitôt entre militaires et techniciens, d’autant que le chef du Deepcore, Bud Brigman, se retrouve contraint de collaborer avec son ex-femme Lindsay.

Ed Harris et Mary-Elizabeth Mastrantonio, respectivement révélés dans Creepshow et Scarface, trouvent là des rôles magnifiques. Débordant de charisme, ils font reposer une bonne partie de la crédibilité du film sur leurs solides épaules. A bord de submersibles monoplaces ultra-sophistiqués, les plongeurs vont rejoindre l’épave et tâcher de comprendre ce qui a provoqué le naufrage du sous-marin américain. Mais à la surface, un cyclone d’une puissance inouïe provoque des dégâts considérables et précipite la plate-forme au fin fond de l’océan, laissant à ses occupants à peine douze heures d’oxygène. Acculés, les naufragés découvrent alors que d’étranges entités vivent dans les profondeurs abyssales.

Les grands fonds

La sensation de claustrophobie inhérente au scénario, les tensions humaines exacerbées par l’enfermement et l’héroïsme stimulé par des passions parfois contraires sont magnifiés par la mise en scène époustouflante de James Cameron, l’un des seuls cinéastes sur cette planète capable de réaliser un tel film, osant une direction d’acteurs sous l’eau avec l’enregistrement des dialogues en direct ! « C’était un tournage incroyable », se souvient le superviseur d’effets visuels Eric Brevig. « Nous étions immergés dans un immense réservoir pendant trois mois. Nous ne pouvions pas parler entre nous, nous devions communiquer en écrivant sur des ardoises et nous avons dû affronter d’innombrables problèmes techniques. C’était physiquement très éprouvant, mais on ne peut ressortir que grandi d’une telle expérience. » (2) À son service, Cameron s’octroie une multitude d’effets spéciaux très réalistes, effectuant-là un pas majeur dans la création d’images de synthèse avec la séquence désormais mythique du tentacule aquatique. Abyss aurait pu s’élever au rang de chef d’œuvre s’il ne s’était clôt sur un dénouement extravagant brisant la rigueur dramatique des deux heures précédentes. Sans doute ce « bouquet final » aurait-il eu plus d’impact s’il s’était déroulé en pleine nuit, à la manière de l’épilogue de Rencontres du troisième type dont il semble s’inspirer. La version longue du film intègre un raz de marée spectaculaire menaçant la population et des images d’actualités diffusées au héros par les êtres sous-marins. Mais ces rajouts extraient malencontreusement le spectateur du huis clos sur lequel repose le film et n’atténuent pas le goût d’inachevé provoqué par le final.


(1) Propos recueillis par votre serviteur en décembre 2009
(2) Propos recueillis par votre serviteur en juin 2008

© Gilles Penso

À découvrir dans le même genre…

 

Partagez cet article

ALIEN – LE 8ème PASSAGER (1979)

En transposant dans l'espace les codes du film de maison hantée, Ridley Scott réalise la fusion parfaite entre l'horreur et la science-fiction

ALIEN

1979 – USA / GB

Réalisé par Réalisateur

Avec Tom Skeritt, Sigourney Weaver, Veronica Cartwright, Harry Dean Stanton, John Hurt, Ian Holm, Yaphet Kotto, Bolaji Badejo

THEMA EXTRA-TERRESTRES I FUTUR I SAGA ALIEN

Après des débuts très remarqués dans le film publicitaire, Ridley Scott signe en 1977 son premier long-métrage. Alors que George Lucas réalise La Guerre des étoiles et Steven Spielberg Rencontres du troisième type, il opte pour un sujet plus « terrien », centré sur deux personnalités fortes. Keith Carradine et Harvey Keitel incarnent ainsi les héros titres de Les Duellistes, un remarquable exercice de style « en costumes » qui permet au jeune cinéaste de prendre ses marques et d’imposer déjà un style très marqué. A peine deux ans plus tard, il s’embarque à bord du Nostromo pour signer Alien. Prévu pour être initialement réalisé par Walter Hill, Alien sera un classique immédiat, tant pour les aficionados de science-fiction que pour le public le plus large, chacun y trouvant un terrain d’identification et un exutoire à ses terreurs les plus enfouies. En ce sens, on pourrait presque considérer le film comme une version spatiale des Dents de la mer. Les extra-terrestres agressifs et les voyages dans l’espace sont certes loin d’être des sujets révolutionnaires en 1979, mais le traitement d’Alien propose une approche renouvelée, loin des archétypes du space-opéra à l’ancienne popularisés deux ans plus tôt par Star Wars. Banalisation, obscurité, saleté, « héros » très conventionnels sont les composantes d’Alien, servis par une photographie très sombre de Derek Van Lindt et des plans en caméra portée que cadre Ridley Scott lui-même. Une fois ce contexte hyperréaliste mis en place, le film entre de plain-pied dans l’épouvante qui, dès lors, prend amplement le dessus sur la science-fiction.

Le vaisseau spatial agit presque comme une maison hantée, et la « bête » comme un démon ou une créature maléfique surgie tout droit des enfers. De toute évidence, c’est moins le monstre (incarné par un Bolaji Badejo de plus de deux mètres de haut) que l’homme qui attire Ridley Scott, le premier n’étant que le révélateur du second. Le vernis craque peu à peu, les personnalités s’affirment, jusqu’à la nature inattendue de certains passagers, tels l’androïde Ash que chacun considérait jusqu’alors comme un être humain. Tandis que le scénario de Dan O’Bannon recycle habilement des influences composites, notamment La Planète des vampires de Mario Bava, It the Terror From Beyond Space d’Edward L. Cahn et l’incontournable 2001 l’odyssée de l’espace de Stanley Kubrick,, le réalisateur se délecte à ponctuer ce récit référentiel d’indices psychanalytiques. Ainsi l’ordinateur de bord répond-il au nom de « maman », le titanesque canon fossilisé a-t-il une forme explicitement phallique, les œufs extra-terrestres sont-ils dotés d’ouvertures vaginales…

Un casting solide et réaliste

La mise en scène exemplaire de Ridley Scott, esthète accompli déjà au sommet de son art, se double d’une direction artistique « biomécanique » fort originale signée H.R. Giger, d’effets spéciaux extrêmement crédibles, et d’une brochette de comédiens excellant dans la sobriété. « Je crois qu’un casting solide est la clé de la réussite », nous confiait Scott. « Le plus gros travail consiste donc à trouver les bons acteurs et à les réunir. A ce titre, je suis très fier d’avoir découvert Sigourney Weaver pour Alien. Je suis un réalisateur qui parle peu à ses acteurs. Ma direction est très minimaliste. Lorsque je sais que je suis en affinité avec mes comédiens, je n’ai pas à les diriger, mais plutôt à les libérer, les relâcher pour qu’ils donnent le meilleur d’eux-mêmes ». (1) De fait, une grande partie des dialogues du film sont improvisés pendant le tournage, renforçant le sentiment de vérisme souhaité par le réalisateur. D’autant qu’à l’époque, Sigourney Weaver, John Hurt et Harry Dean Stanton sont inconnus du public. « Je n’avais pas prévu de faire de la science-fiction », nous racontait Sigourney Weaver. « Mais j’ai découvert que transporter les spectateurs dans d’autres univers était une expérience extraordinaire. Alien m’a ouvert de nombreuses portes et m’a permis de faire décoller ma carrière. Du coup, j’ai pu varier les plaisirs et revenir régulièrement au genre fantastique. » (2) L’iconisation du personnage d’Helen Ripley est d’autant plus intéressant que le personnage, dans les premières versions du scénario, est un homme. Alien sera le point de départ d’une saga chère au cœur des fantasticophiles, lesquels auront vu se confirmer les talents de James Cameron, David Fincher et Jean-Pierre Jeunet. Ridley Scott, quant à lui, aura entre temps apporté au cinéma de science-fiction un second joyau inestimable : Blade Runner. 

(1) Propos recueillis par votre serviteur en avril 2005

(2) Propos recueillis par votre serviteur en décembre 2009

© Gilles Penso

À découvrir dans le même genre…

 

Pour en savoir plus…

 

Partagez cet article

KING KONG (2005)

Peter Jackson concrétise un rêve de longue date en rendant hommage au film qui a bercé son enfance

KING KONG

2005 – USA / NOUVELLE-ZELANDE

Réalisé par Peter Jackson

Avec Adrien Brody Naomi Watts, Jack Black, Andy Serkis, Thomas Kretschmann, Colin Hanks, Kyle Chandler, Jamie Bell

THEMA SINGES I DINOSAURES I SAGA KING KONG

L’histoire d’amour entre Peter Jackson et King Kong date de l’époque où le cinéaste était encore bambin. « Je n’allais pas souvent voir de films à l’époque, parce que nous vivions à trente kilomètres du cinéma le plus proche et que mes parents n’étaient pas très cinéphiles », raconte-t-il. « Je me suis donc rabattu sur la télévision, où j’ai découvert King Kong alors que j’avais neuf ans. Ce film m’a marqué et m’a donné le goût de l’évasion. » (1) La carrière de Jackson fut tout entière hantée par ce film-monstre, et si Mon ami Joe et le Godzilla de Roland Emmerich n’avaient pas pointé le bout de leur museau à la fin des années 90, il se serait lancé dans ce remake avant d’entamer la trilogie du Seigneur des Anneaux. Mais force est de reconnaître que son voyage au pays de Tolkien a fait mûrir l’homme, le poussant vers une écriture et une mise en scène plus complexes que prévues. Le premier parti pris fort consiste à situer le récit dans son contexte historique initial. Les premières séquences de ce King Kong s’attardent donc sur un New York rongé par la dépression, et nous familiarisent avec des personnages prolongeant habilement les problématiques abordées en 1933.

Ann Darrow est toujours une actrice au chômage, mais nous découvrons la richesse de son registre comique et acrobatique (qui servira plus tard, lors de ses relations de « jeu » avec Kong). Carl Denham, cinéaste intrépide et roublard, a été rajeuni, calquant ses caractéristiques physiques et son bagout sur Orson Welles. Quant à Jack Driscoll, le jeune premier beau et musclé, il voit chacune des facettes de sa personnalité redistribuées à divers protagonistes. Le machisme brut appartient désormais au capitaine Englehorn, le charisme de meneur d’homme a été confié au second Hayes et l’autosatisfaction béate est l’apanage du jeune premier Bruce Baxter. Du coup, le Driscoll du film est devenu en auteur de théâtre sensible et réservé arrondissant ses fins de mois en écrivant des scripts pour Denham. L’accent est donc mis en priorité sur les protagonistes humains, pour mieux faire vaciller leurs certitudes et exacerber leurs caractères lors du plongeon dans le fantastique. Et de ce point de vue, Jackson ne se limite guère, imaginant de toutes pièces de nouvelles séquences d’action (le navire coincé entre les récifs, la cavalcade des sauropodes, la poursuite en taxi), réinterprétant l’une des plus célèbres scènes coupées de l’époque (l’attaque des abominations rampantes dans le puits) et décuplant l’impact de celles que nous connaissons déjà (notamment le célèbre combat de Kong contre pas moins de trois allosaures affamés !). 

Au cœur des ténèbres

Kong lui-même a bien changé depuis 1933. Son comportement et son apparence physique imitent à la perfection les vrais gorilles, et ses expressions faciales offrent une richesse et une variété incroyables. « La technique de la performance capture est un moyen de créer un lien entre un acteur et son personnage numérique » explique Andy Serkis, interprète de Kong.  « C’est en quelque sorte le même travail qu’un marionnettiste. Mais à vrai dire, les outils ont peu d’importance à partir du moment où ils sont utilisés avec honnêteté et émotion vis-à-vis des personnages à interpréter. Là où les effets numériques ne fonctionnent pas, c’est lorsqu’ils ne sont pas reliés à l’affectif ou à l’humain. Il peut y avoir un terrible gouffre entre l’idée initiale et sa manifestation numérique parce que l’esprit d’un personnage est toujours lié à la condition humaine. » (2) A vrai dire, tout se passe comme si ce King Kong relatait les faits bruts tels qu’ils se seraient réellement passés, celui de 1933 en étant la réinterprétation glamour et hollywoodienne. D’où le clin d’œil à la scène romantique entre Fay Wray et Bruce Cabot et surtout la réutilisation de la musique de Max Steiner lors de l’exhibition de Kong à Broadway (avec en prime les mêmes costumes d’indigènes que dans le film original). Le King Kong de Peter Jackson est donc avant tout un hommage ému au classique de 1933, mais aussi une relecture tour à tour grandiose, effrayante, drôle et touchante du mythe de la Belle et la Bête, agrémentée d’un parallèle inattendu avec « Au Cœur des Ténèbres » de Joseph Konrad.

(1) Propos recueillis par votre serviteur en décembre 2009

(2) Propos recueillis par votre serviteur en juin 2010

 

© Gilles Penso

Partagez cet article