LA SECONDE GUERRE DE SÉCESSION (1997)

Un téléfilm de politique-fiction peu connu que tous les amateurs de Joe Dante doivent absolument découvrir !

THE SECOND CIVIL WAR

1997 – USA

Réalisé par Joe Dante

Avec Beau Bridges, James Earl Jones, James Coburn, Ron Perlman, Kevin Dunn, Dick Miller, Robert Picardo, Kevin McCarthy

THEMA POLITIQUE-FICTION 

Après l’échec du pourtant formidable Panic sur Florida Beach, Joe Dante décide de se tourner momentanément vers le petit écran. Il dirige ainsi en 1994 la collection Runaway Daughters, puis un épisode de la série Picture Windows, et développe la série de science-fiction The Osiris Chronicles qui ne dépassera pas hélas le stade du pilote. En 1997, Dante connaît une expérience télévisée beaucoup plus satisfaisante en dirigeant le téléfilm La Seconde Guerre de Sécession pour HBO. Muni d’un casting de haut niveau (Beau Bridges, James Earl Jones, James Coburn, Ron Perlman, Kevin Dunn) dans lequel viennent bien sûr s’insérer les membres de la « famille Dante » (Dick Miller, Robert Picardo, Kevin McCarthy, Belinda Balaski), ce long-métrage est produit par Barry Levinson et écrit par Martyn Burke. Comme pour ses précédents travaux télévisés, Dante doit faire des infidélités à son compositeur fétiche Jerry Goldsmith au profit de Hummie Mann (qui collaborait notamment avec Mel Brooks à cette époque). Il faut avouer que ce dernier s’en tire avec les honneurs et semble même parfois rendre de petits hommages au grand Jerry tout au long de sa bande originale. Le réalisateur profite surtout de ce récit de politique fiction pour composer un réjouissant plaidoyer contre le racisme, l’intolérance et la bêtise généralisée.
 

Une guerre nucléaire venant d’éclater entre l’Inde et le Pakistan, de nombreux orphelins pakistanais doivent se réfugier aux États-Unis. Or le président est un être faible incapable de prendre la moindre décision sans son conseiller en communication, tandis que le gouverneur de l’Idaho décide de fermer les frontières de son état pour empêcher ces nouveaux immigrants d’envahir le pays. Cette situation entraine un conflit interne qui s’annonce comme une véritable nouvelle guerre de Sécession, l’ensemble des événements étant retransmis par la chaine d’information Newsnet. L’humour du film est souvent grinçant, et le drame affleure parfois sous la comédie, comme en témoigne cette réplique lourde de sens prononcée en voix-off par James Earl Jones : « Parfois, le fil tendu qui sépare la paix de la guerre, la pérennité de la destruction, peut se briser à cause d’un geste, d’un mot, d’une inflexion de voix. Après toute crise majeure, on ne peut s’empêcher de regarder en arrière pour tenter d’apercevoir le moment où ce fil a été rompu sans espoir d’être renoué. » 

Un humour volontiers grinçant

Bien sûr, HBO grince des dents en voyant le montage final. Comment pourrait-il en être autrement face à un téléfilm dénonçant sans détour les stratégies fomentées par les directeurs de chaine pour maintenir leur audience à tout prix ? Car Joe Dante n’a pas son égal pour dynamiter l’establishment de l’intérieur. Impénitent garnement, il n’agit pas par ingratitude mais parce que c’est un éternel « sale gosse » rebuté par le cynisme des institutions. Très satisfait du film, le réalisateur aura la joie de le voir exploité sur grand écran dans certains pays d’Europe.
 
© Gilles Penso

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L’ASCENSEUR (1983)

À 32 ans, Dick Maas signe un premier long-métrage très remarqué et prouve que Paul Verhoeven n'est pas le seul Hollandais violent

DE LIFT

1983 – HOLLANDE

Réalisé par Dick Maas

Avec Huub Stapel, Josine Van Ammerlooy, Willeke Van Ammelrooy, Liz Snoyink, Wiske Sterringa

THEMA OBJETS VIVANTS

En 1983, alors que le talent éclectique et irrévérencieux de Paul Verhoeven n’avait pas encore traversé les frontières, le cinéma fantastique hollandais se révélait au grand public du monde entier par l’entremise d’un petit film ambitieux : L’Ascenseur. Son réalisateur, Dick Maas, était alors âgé de 32 ans et signait là son premier long-métrage, après deux années de quête de financement. « En effectuant des recherches sur le sujet de ce film, j’ai découvert l’existence de puces électroniques intégrant des composantes biologiques, les “bio-puces“ », nous raconte Maas. « Il y a vraiment eu des recherches consistant à utiliser du tissu animal dans les composantes électroniques. Et ces recherches continuent aujourd’hui. Le scénario de L’Ascenseur s’appuie donc sur un argument de science-fiction qui repose lui-même sur des données réelles. » (1) 

Le film commence un soir d’orage. Quatre personnes sont prises au piège dans l’ascenseur hyper-sophistiqué d’une tour de quinze étages. Après qu’ils aient échappé de peu à l’asphyxie, un dépanneur, Felix Aledaar (Huub Stapel), essaie de résoudre ce mystère. Peu à peu, il découvre que l’ascenseur a acquis un cerveau et s’est transformé en engin de mort. A ses côtés, une jeune journaliste va l’aider à affronter le monstre électronique. Le postulat est plutôt original, même si l’ascenseur ne représente finalement que le descendant encore inexploité d’une série d’objets familiers ligués contre l’humanité à l’occasion de films aussi divers que Le Démon dans l’île (l’électro-ménager), Bell (le téléphone) ou Christine  (la voiture). Les effets d’angoisse, de suspense et de surprise obéissent eux-mêmes à des mécanismes assez connus. Témoin la scène de la petite fille en blanc (une icône qui semble tout droit issu de l’Opération Peur de Mario Bava ou du Poltergeist de Tobe Hooper) s’approchant innocemment de la machine infernale, sa poupée à la main. Et pourtant, L’Ascenseur est une excellente surprise. Dick Maas connaît ses classiques, recycle des recettes familières et y injecte de la nouveauté, de l’irrévérence et un certain grain de folie. Le rythme ne faiblit pas, régulièrement ponctué de séquences choc comme la décapitation violente d’un personnage par l’ascenseur maléfique. Il n’est d’ailleurs pas interdit de lire, en filigranne d’un scénario plutôt récréatif, un discours contre l’aliénation à la technologie. 

Le Grand Prix du Festival d'Avoriaz en 1984

« Le film a été tourné en trente jours », raconte le réalisateur. « Nous étions une petite équipe, entre dix et quinze personnes maximum sur le plateau, et nous travaillions seize heures par jour  Nous faisions nos effets spéciaux nous-mêmes. Nous n’avions pas toujours l’équipement adéquat, y compris pour les cascades qui étaient donc relativement risquées. Nous accrochions nos comédiens à des câbles en espérant que tout se passe bien. » (2) Par ailleurs, Maas compose lui-même la bande originale du film, une mélopée électronique minimaliste qui n’est pas sans évoquer les travaux musicaux de John Carpenter. Grand prix du festival d’Avoriaz en 1984, ce film aura donné le coup d’envoi d’une carrière inégale mais plutôt attachante.
 
(1) et (2) Propos recueillis par votre serviteur en septembre 2017
 
© Gilles Penso

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ATTACK OF THE 50 FOOT WOMAN (1958)

Derrière ce magnifique poster et ce titre devenu culte se cache l'un des nanars les plus désarmants de la SF des années 50

ATTACK OF THE 500 FOOT WOMAN

1958 – USA

Réalisé par Nathan Juran

Avec Allison Hayes, William Hudson, Yvette Vickers, Roy Gordon, George Douglas, Frank Chase

THEMA NAINS ET GÉANTS I EXTRA-TERRESTRES

Nathan Juran, qui connaît en 1958 une heure de gloire avec Le 7ème Voyage de Sinbad, signe la même année, sous le pseudonyme de Nathan Hertz, cet inénarrable Attack of the 50 Foot Woman dont le scénario est signé Mark Hanna (Not of this Earth, The Undead, The Amazing Colossal Man). Nancy Archer (Allison Hayes) roule tranquillement dans le désert californien quand soudain apparaît dans les cieux un satellite sphérique. Quelques mois plus tôt, l’objet volant aurait probablement été une traditionnelle soucoupe volante, mais le lancement tout récent de Spoutnik dans l’espace pousse le scénariste à opter pour un satellite, plus dans l’air du temps à ses yeux. 

De l’appareil surgit bientôt un extra-terrestre humanoïde de quinze mètres de haut, affublé d’une pilosité abondante sur l’ensemble de son corps sauf sur son crâne désespérément chauve. Echappant aux griffes de l’inquiétant colosse (incarné par Michael Ross, qui joue aussi un barman dans le film), Nancy rentre chez elle passablement affolée. En écoutant son témoignage, son époux Harry (William Hudson) se contente de rétorquer : « Tu sais, tout le monde voit des satellites ces jours-ci ». Il faut dire que cet homme bourru est surtout occupé à cocufier sa femme avec la volage Honey Parker (Yvette Vickers). Quant à la police, elle met cet extra-terrestre sur le compte des nombreuses élucubrations d’une jeune femme habituée à taquiner de près les bouteilles d’alcool, ce qui lui valut par le passé un séjour prolongé dans une institution psychiatrique. Cupide, Harry aimerait profiter de l’occasion pour interner définitivement Nancy et récupérer au passage un confortable héritage de cinquante millions de dollars. Mais le géant chauve refait son apparition et soumet sa féminine victime à des radiations. La raison des actes de l’alien gigantesque demeurera inconnue, mais ce n’est qu’une des nombreuses lacunes d’un scénario aussi peu étanche qu’une passoire. Désormais grande comme King Kong, Nancy revient en ville, bien décidée à assoiffer sa vengeance. 

Une féministe grande comme King Kong

Avec un tel script sur les bras, Nathan Juran fait ce qu’il peut, c’est-à-dire pas grand-chose. Il n’a guère la possibilité de se rabattre sur les effets spéciaux, tant le budget du film (estimé à 88 000 dollars) s’avère anémique. Le trucage le plus fréquemment employé est donc une main féminine géante en papier mâché qui se promène dans le décor et attaque tour à tour les médecins, le mari et la maîtresse. Malheureusement, le peu de soin apporté à la construction de cette main figée saborde toutes les scènes où elle entre en jeu. Quant aux rares confrontations entre la géante et les autres personnages, elles sont obtenues par des surimpressions ratées : chaque fois que Nancy passe devant un objet à l’arrière-plan, elle devient transparente comme un fantôme ! Autant dire qu’entre deux éclats de rire, le spectateur finit par trouver le temps long, même si le film ne dure qu’une petite heure. Pourtant, Attack of the 50 Foot Woman rentrera largement dans ses frais, rapportant 480 000 dollars, et se muera bien vite en film culte auprès des fans du genre.
 
© Gilles Penso

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HERCULE CONTRE LES VAMPIRES (1961)

Le roi de l'épouvante Mario Bava transporte le plus célèbre des héros mythologiques au fin fond des Enfers

ERCOLE AL CENTRO DELLA TERRA

1961 – ITALIE

Réalisé par Mario Bava

Avec  Reg Park, Christopher Lee, Leonora Ruffo, George Ardisson, Ida Galli, Marisa Belli, Franco Giacobini, Mino Doro

THEMA MYTHOLOGIE

Porté aux nues par le succès du Masque du Démon, Mario Bava met ses dons d’esthète au service du péplum mythologique, signant cet Hercule contre les Vampires souvent considéré comme l’un des meilleurs films du genre. Dans le rôle titre, Reg Park, héros la même année de Hercule à la Conquête de l’Atlantide campe un demi-dieu sympathique et sculptural. Revenu victorieux de ses travaux, il s’apprête à rejoindre sa bien aimée Déjanire, héritière du roi d’Ecalie. Mais le félon Lico, incarné par l’immense Christopher Lee, convoite le trône et a envoûté la belle au point de la muer en quasi-zombie, perdue dans un éternel état lymphatique. Prêt à tout pour la sauver, Hercule apprend par l’entremise de l’Oracle qu’il lui faut se rendre aux Enfers. Le valeureux Thésée (George Ardisson) et le sympathique Télémaque (Franco Giacobinni) acceptent de se joindre à lui. 

Dès lors, les conventions classiques du péplum sont balayées au profit d’un plongeon dans le Fantastique pur et dur, sublimé par une photographie laissant la part belle aux rouges vifs et aux bleus profonds, signée par Bava lui-même. Les visions poétiques et surréalistes s’enchaînent donc, annoncées par cette séquence mémorable où le navire de nos héros fend les eaux agitées sous un ciel noir aux nuages mouvants. Arrivé dans le jardin des Hespérides (une magnifique caverne de studio noyée de fumigènes), Hercule doit récupérer une pomme d’or au sommet d’un arbre gigantesque. Si le dragon Ladon, présent dans la légende des Hespérides, ne montre pas ici le bout de son museau, les spectateurs se rabattent sur le sinistre Procuste, connu pour piéger ses victimes dans des lits trop grands ou trop petits (il étire les jambes des premiers et coupe celles des seconds !). Simple brigand dans les textes mythologiques, Procuste prend ici l’allure d’un colosse de pierre particulièrement hideux, qu’Hercule terrasse avant qu’il n’ait fait subir son supplice préféré à Thésée et Télémaque. Après avoir plongé dans les eaux du Styx, les compagnons traversent une forêt de lianes inextricables qui hurlent et saignent quand on les coupe. Pour atteindre la pierre magique capable de sauver la vie de Déjanire, il leur faut encore traverser un lac de magma incandescent. Mais ils ne sont pas au bout de leurs peines… 

« Même Hercule ne peut tuer celui qui est déjà mort… »

Interprétation très libre de la mythologie, Hercule contre les Vampires s’apprécie surtout pour sa collection de séquences horrifico-oniriques. Les vampires promis par le titre français apparaissent enfin au cours d’un climax de cauchemar. Couverts de suaires en haillons et de toiles d’araignées, les mains squelettiques et les visages blafards, ils jaillissent hors de leur tombe ou des entrailles de la terre et voltigent comme des chauves-souris à l’assaut du demi-dieu, tandis que Christopher Lee annonce froidement : « Même Hercule ne peut tuer celui qui est déjà mort ». A vrai dire, ces créatures s’apparentent surtout à des zombies, et il y a fort à parier que le titre Hercule contre les Vampires ait été inspiré aux distributeurs par la double présence au générique de Mario Bava et Christopher Lee, figures incontournables du cinéma d’épouvante.
 
© Gilles Penso

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KILLER TONGUE (1996)

La chute d'une météorite transforme une jeune voleuse en mutante à la langue gigantesque et vorace !

KILLER TONGUE / LA LENGUA ASESINA

1996 – ESPAGNE / GB

Réalisé par Alberto Sciamma

Avec Melinda Clarke, Jason Durr, Mapi Galan, Mabel Karr, Robert Englund, Alicia Borrachero, Doug Bradley

THEMA MUTATIONS 

Johnny et Candy sont un couple de voleurs dont l’immaturité n’est pas sans rappeler les héros désenchantés de Sailor et Lula. Alors qu’ils sont sur le point de se partager le fabuleux butin de leur dernier vol, Johnny est arrêté par la police et Candy a tout juste le temps de prendre la fuite et de se cacher dans un couvent. Quatre ans plus tard, Candy s’installe dans un motel délabré, le Porky, près du camp de travail de Johnny, en attendant sa sortie imminente. Or son gardien n’entend pas le laisser partir, et leurs deux anciens complices, Chip et Frank, sont sur leurs traces. C’est à partir de là que les choses dégénèrent. Car une météorite s’écrase soudain sur Terre, un fragment tombant dans la soupe que s’apprête à avaler Candy. Elle l’absorbe, ainsi que ses quatre caniches, et les conséquences improbables ne tardent pas. Alors que les chiens se transforment en drag queens exubérantes, Candy subit une étrange mutation. Son corps se recouvre d’une seconde peau noire et reptilienne (agrémentée d’une jolie petite queue), sa chevelure prend une teinte d’ébène, et sa langue est désormais animée d’une vie propre. Extensible comme celle d’un spectre d’Histoires de fantômes chinois, cette langue est mue par une vie propre, possède une intelligence autonome et s’avère insatiable de chair humaine. 

« Quelque chose m’envahit et rend chaque atome de mon corps fou de désir » constate la belle. Bientôt, elle réalise qu’elle est enceinte de sa propre langue ! Les scènes hallucinantes abondent avec générosité : un homme urine contre la météorite et explose, la langue traverse la gorge d’une malheureuse victime masculine dans son bain et en décapite une autre, Candy se retrouve suspendue au plafond par la langue qu’elle s’apprête à découper au couteau électrique, l’organe buccal décidément imprévisible se met à parler et à écrire en agitant trois doigts griffus à son extrémité… Les nombreux effets spéciaux du film sont l’œuvre de Bob Keen et de sa compagnie Image Animation (notamment à l’œuvre sur les Hellraiser et sur Cabal) tandis que la musique est signée par un groupe au nom évocateur de « Fangoria ». 

La loufoquerie ne suffit pas

Si Johnny est incarné par un comédien plutôt discret, Jason Durr, surtout connu pour ses prestations télévisées, le rôle de Candy échoit à l’envoûtante Melinda Clarke, inoubliable femme zombie adepte de piercings dans Le Retour des Morts-Vivants 3. Les amateurs exulteront par ailleurs en retrouvant ce bon vieux Robert – Freddy Krueger – Englund sous la défroque du gardien de prison. Malgré son concept loufoque et sa folie permanente, Killer Tongue n’est pas devenu le film culte qu’Alberto Sciamma aurait manifestement voulu. Tous les ingrédients étaient pourtant là : une ambiance rock’n roll, des seconds rôles excessifs, une bande originale électro dans l’air du temps, un décor de western, du sang, du sexe, des bonnes sœurs et des travestis… Mais il manque à Killer Tongue un supplément d’âme, un petit quelque chose qui aurait permis au film de sortir du cadre limité d’une petite expérience drôle et excentrique. Sans doute Sciamma aurait-il eu besoin d’un petit coup de pouce pour l’écriture de son scénario.
 
© Gilles Penso

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SUEURS FROIDES (1958)

Alfred Hitchcock nous entraîne dans les tourments vertigineux d'un de ses plus beaux longs-métrages

VERTIGO

1958 – USA

Réalisé par Alfred Hitchcock

Avec James Stewart, Kim Novak, Barbara Bel Geddes, Tom Helmore, Henry Jones, Raymond Bailey, Ellen Corby

THEMA MORT

Sueurs Froides est l’adaptation du roman « D’entre les morts » que Pierre Boileau et Thomas Narcejac écrivirent spécialement pour Alfred Hitchcock après avoir appris que le prestigieux cinéaste était très intéressé par leur livre précédent, « Celle qui n’était plus », porté à l’écran en 1955 par Henri-Georges Clouzot sous le titre Les Diaboliques. Si le scénario de Sueurs Froides suit assez fidèlement la trame du roman, le contexte de l’intrigue – à l’origine intrinsèquement rattaché au Paris d’après-guerre et à ses fêlures – a été transposé dans le San Francisco des années 50. L’inspecteur de police John Ferguson (James Stewart) est en proie à de violentes crises de vertige qui provoquent accidentellement la mort de son co-équipier. Congédié, il accepte de devenir détective privé pour l’un de ses amis, dont la ravissante épouse Madeleine (Kim Novak) semble possédée par l’esprit d’une de ses ancêtres, l’énigmatique Carlotta Valdes. La mission est en apparence anodine, mais Ferguson commence à tomber amoureux de la fascinante Madeleine.

« Elle ressemblait à un portrait, à l’une de ces femmes que le génie d’un artiste a immortalisées. Elle était toute retirée en elle-même, figée dans quelque contemplation intérieure. ». C’est en ces termes que Boileau et Narcejac décrivaient la jeune femme en adoptant une narration à la première personne. Lorsque le regard des deux protagonistes se croise et qu’une relation naît entre eux, les nerfs et les convictions profondes de l’ex-policier vont être mis à rude épreuve. Car la belle est persuadée que l’esprit de son ancêtre cohabite avec le sien. « Croyez-vous, monsieur, qu’on puisse revivre ? », lui demande-t-elle dans le roman. « Je veux dire… qu’on puisse mourir et ensuite… renaître en quelqu’un d’autre ?… Vous voyez !… Vous n’osez pas me répondre… Vous me prenez pour une folle… » Peu à peu, le récit s’achemine vers un gigantesque coup de théâtre, qu’Hitchcock choisit d’exposer aux spectateurs plus tôt que dans le roman pour mieux profiter des effets du suspense.

« Croyez-vous qu'on puisse mourir et renaître ? »

A la croisée du thriller psychologique, du fantastique onirique et du mélodrame sentimental, Sueurs Froides est une pièce d’orfèvre ciselée comme un joyau. Chaque plan de ce film pourrait être encadré et affiché dans un musée. Mais un tel bijou est difficile à appréhender dans sa plénitude lors d’une unique vision, tant sa structure est atypique, son rythme languissant et sa trame accidentée. Le grand public s’avéra d’ailleurs désarçonné, ne réservant qu’un tiède accueil au film lors de sa première exploitation en 1958. Ce n’est qu’au fil des ans que Sueurs Froides put acquérir son statut de chef d’œuvre absolu, souvent considéré comme le plus beau film d’Alfred Hitchcock. Obsession, Body Double, Basic Instinct, MatrixL’Armée des 12 SingesLes Dents de la Mer, La Mauvaise Education, L’Appartement, Apparences, Mulholland Drive, Le Grand Frisson, Fenêtre Secrète… On ne compte plus les films ayant puisé leur inspiration dans Sueurs Froides, dont l’un des moindres attraits n’est pas la splendide et envoûtante partition de Bernard Herrmann, elle-même influencée par le « Tristan et Iseult » de Wagner.
 
© Gilles Penso

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LA BÊTE AUX CINQ DOIGTS (1946)

Peter Lorre affronte la main coupée d'un cadavre qui se déplace toute seule et commet des meurtres !

THE BEAST WITH FIVE FINGERS

1946 – USA

Réalisé par Robert Florey

Avec Peter Lorre, Robert Alda, Andrea King, Victor Francen, J. Carrol Naish, Charles Dingle, John Alvin, David Hoffman

THEMA MAINS VIVANTES

Adapté de la nouvelle homonyme de William F. Harvey, La Bête aux Cinq Doigts est en quelque sorte la référence en matière de film d’épouvante mettant en scène une main vivante, un mètre étalon au titre délicieusement surréaliste. Paralysé d’une main, le grand pianiste Francis Ingram est très amoureux de son infirmière Julie, elle-même convoitée par son ami Ryler. Mort brutalement, le musicien lègue sa fortune à Julie, mais le testament est contesté par Arlington, le beau-frère, et un notaire retors, Duprex, qui prient Hillary Cummings, le secrétaire du pianiste, de quitter les lieux. Un matin, on retrouve Duprex mort, étranglé par une main comparable à celle d’Ingram. Or la main valide du cadavre a été tranchée… 

L’exposition du film présente ainsi au spectateur d’une manière un peu détournée chacun des protagonistes du drame qui va se nouer. L’élément fantastique n’apparaît que tardivement, et le doute finit par planer quant à son existence véritable. La main coupée du défunt Ingram commet elle réellement des forfaits nocturnes, ou tout se passe-t-il dans la tête du secrétaire Cummings ? Il faudra attendre le dénouement pour en avoir le cœur net. Si le couple vedette Robert Alda & Andrea King ne crève pas vraiment l’écran, on ne peut pas en dire autant de Peter Lorre qui excelle dans son rôle ambigu et tourmenté, en particulier au cours de cette scène terrifiante où ses perceptions semblent décuplées (le feu crépite plus fort que la normale dans la cheminée, l’horloge tic-taque avec un bruit sourd, les cordes d’une guitare cassent l’une après l’autre, des effets visuels qui semblent directement influencés par La Chute de la Maison Usher réalisée en 1927 par Jean Epstein et Luis Buñuel). 

« Une main humaine rampait sur le parquet… »

A l’issue de cet enchaînement de phénomènes insolites apparaît finalement la main coupée et vivante qui rampe à la manière d’une araignée sur le bureau du secrétaire. Telle que décrite dans le texte initial de William Harvey, la séquence était déjà digne d’un pur cauchemar : « A moins de cinq mètres devant lui, une main humaine rampait sur le parquet. Eustace la regarda, sidéré. Elle se mouvait vivement à la façon d’une chenille arpenteuse, ses doigts s’allongeant et se repliant alternativement. Le pouce, tel un crabe, paraissait entraîner le tout. » Dans le film, les trucages qui donnent vie à cette « créature » sont remarquables, même s’ils restent volontairement non spectaculaires – et du coup très réalistes. Au comble de la terreur, Hilary finit par poignarder cette main baladeuse et par l’épingler sur son bureau. Cette Bête aux Cinq Doigts nous évoque aussi fatalement la « chose » qui sévissait depuis cinq ans sur les planches dessinées de Charles Addams, mettant en vedette la famille qui porte son nom. Pour détendre l’atmosphère après tant d’émotions fortes, le film s’achève sur un double gag à la limite du cartoon. Cette note d’humour, ainsi que toutes celles qui émaillent le film, fut dictée par les dirigeants de la Warner, malgré les protestations de Robert Florey, comme si l’aspect purement horrifique du récit ne suffisait guère à rassurer les grands pontes d’un studio alors avare en matière de productions fantastiques.

 
© Gilles Penso

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LA MAIN QUI TUE (1999)

Un serial killer, des zombies et une main vivante sont au programme de cette parodie potache et sanglante

IDLE HANDS

1999 – USA

Réalisé par Roman Flender

Avec Devon Sawa, Elden Henson, Jessica Alba, Seth Green, Christopher Hart, Vivica A. Fox, Jack Noseworthy, Katie Wright

THEMA MAINS VIVANTES I ZOMBIES 

L’idée d’une parodie des films d’horreur à l’ancienne destinée aux adolescents était plutôt amusante, mais encore eut-il fallu concocter un habile mélange de comédie et d’épouvante. Or La Main qui Tue ne fait pas peur, pas plus qu’il ne fait rire, et son intérêt s’avère donc extrêmement limité, d’autant que le scénario semble avoir été écrit sous l’influence de substances douteuses ! Le héros, prénommé Anton, est un adolescent idiot et oisif qui occupe ses journées à fumer et regarder la télé, en compagnie de ses deux meilleurs copains Mick et Pnub. Entre-temps, un serial killer rôde dans la région, assassinant tout le monde à tour de bras, y compris les parents d’Anton. Celui-ci constate alors avec effroi qu’il est l’auteur des meurtres, pour la simple et bonne raison que sa main droite est habitée par une entité diabolique et possède sa volonté propre. 

Le film lorgne alors sans vergogne du côté d’Evil Dead 2, Devon Sawa s’efforçant sans beaucoup de conviction d’imiter l’incroyable performance de Bruce Campbell. Sans le vouloir, il tue ses deux amis. L’un se retrouve avec une bouteille de bière plantée dans le front, l’autre est décapité par une scie circulaire. Mais ils reviennent bientôt d’entre les morts, sous forme de zombies plus stupides encore que de leur vivant, et semblent un peu marcher sur les traces du cadavre ambulant interprété par Griffin Dunne dans Le Loup-Garou de Londres, puisqu’ils jouent auprès de leur ex-compère la carte de la culpabilité. N’y tenant plus, Anton se coupe la main, mais celle-ci, désormais autonome, est plus dangereuse que jamais. Incontrôlable, elle sème bientôt la panique au cours d’une grande soirée dansante organisée le soir d’Halloween. Anton, ses deux copains morts-vivants et une espèce de Van Helsing en jupons vont donc s’efforcer de mettre hors d’état de nuire cette redoutable bête à cinq doigts. 

Un pastiche qu'on aurait aimé plus inspiré

Les effets spéciaux qui donnent vie à la main vivante (« incarnée » par le prestidigitateur Christopher Hart, qui s’était déjà livré à une performance similaire dans La Famille Addams) et visualisent le zombie à la tête coupée sont absolument stupéfiant, mixant avec habileté les maquillages et les trucages numériques. Mais ils constituent à peu près le seul intérêt de ce pastiche guère inspiré, malgré quelques petites idées amusantes comme la main qui s’affûte les ongles avec un taille-crayon de bureau, ou le zombie forcé de fixer sa tête avec du scotch pour passer inaperçu. Autre point positif du film : le charme indiscutable de Jessica Alba, future héroïne de la série Dark Angel, qui incarne ici la fille dont rêve Anton. Pour le reste, le potentiel comique du pastiche tourne court, et les références régulières aux classiques du genre (La Nuit des Morts-VivantsZombieLa Nuit des Masques) n’y changent rien.
 
© Gilles Penso

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THE ROCKY HORROR PICTURE SHOW (1975)

Le film culte ultime est une relecture très particulière du mythe de Frankenstein et des clichés du cinéma fantastique

THE ROCKY HORROR PICTURE SHOW

1975 – GB

Réalisé par Jim Sharman

Avec Tim Curry, Susan Sarandon, Richard O’Brien, Peter Hinwood, Barry Bostwick, Patricia Quinn, Charles Gray, Meatlof

THEMA FRANKENSTEIN I EXTRA-TERRESTRES

La pièce « The Rocky Horror Show » de Richard O’Brien ne connut qu’un succès d’estime lors de ses premières représentations à Londres en 1973, ce qui ne réfréna guère le financier Lou Adler dans l’idée d’en tirer une adaptation cinématographique. Le film lui-même ne fit guère d’éclats au box-office, avant de se muer peu à peu en phénomène de société. Rien n’empêche d’ailleurs de penser que le terme « film culte » soit né avec The Rocky Horror Picture ShowLorsque le récit commence, Janet Weiss (Susan Sarandon) et Brad Majors (Barry Bostwick), deux jeunes mariés BCBG, s’égarent en voiture par une nuit d’orage, dans un bois sinistre, tout près du château de l’excentrique docteur Frank N. Furter (Tim Curry). Celui-ci, un travesti exubérant venu de la planète Transsexuelle, compte donner vie à Rocky Horror (Peter Hinwood), une créature masculine artificielle de son invention (le film emploie à cet effet des accessoires créés pour La Revanche de Frankenstein de Terence Fisher). Janet et Brad, au milieu des extra-terrestres réunis dans le château, entrent dans une sorte de transe les libérant bientôt de toutes leurs inhibitions. Tout s’achève par un gigantesque pugilat final, tandis que Frank et Rocky partent en fumée. 

Voici l’exemple parfait d’un objet de culte dont le culte a probablement bien plus d’intérêt que l’objet lui-même. Pris tel quel, le film laisse présager une réjouissante parodie des films d’épouvante et de science-fiction, comme le suggère la chanson du générique aux paroles très référentielles (« Michael Rennie était malade le jour où la Terre s’arrêta » y susurrent d’énormes lèvres féminines rouge sang). Mais bien vite, tout espoir de ce côté s’évapore. Le microscopique scénario, slalomant entre quelques timides allusions à des sujets récurrents du cinéma fantastique (le savant fou, la maison hantée, les vampires, les extra-terrestres, et bien sûr Frankenstein), sert surtout de prétexte à une succession de numéros musicaux exubérants qui semblent s’inscrire dans la même vague pop outrageuse de Phantom of the Paradise. Mais alors que Brian de Palma recyclait avec maestria plusieurs thèmes classiques du fantastique (le Fantôme de l’Opéra, Faust, le Portrait de Dorian Gray) tout en respectant leurs règles et leurs conventions, Jim Sharman n’a apparemment pas d’autre but que de faire porter à l’ensemble de son casting des bas résille. 

Bas résille pour tout le monde !

Du coup, malgré la présence réjouissante de Tim Curry, Susan Sarandon ou Charles Gray (dans le rôle d’un criminologiste très sérieux qui analyse régulièrement les situations présentes dans le film), le pastiche vire à la farce indigeste. Le film est entré dans l’histoire pour avoir battu un record de longévité d’exploitation, dans la mesure où certains cinémas de quartier continuent inlassablement à le projeter depuis sa première sortie en 1975. Les amateurs de séances interactives, au cours desquelles les spectateurs récitent chaque réplique par cœur tout en s’aspergeant de riz, d’eau et de confettis, sont aux anges lorsqu’ils revoient pour la millième fois The Rocky Horror Picture Show. Mais pour ceux qui sont en quête d’une parodie intelligente et sincère du cinéma de genre, Mel Brooks les a déjà comblés avec Frankenstein Junior l’année précédente.
 
© Gilles Penso

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IZNOGOUD (2005)

En adaptant à l'écran la BD de Goscinny et Tabary, Patrick Braoudé tente de marcher sur les traces d'Alain Chabat…

IZNOGOUD

2005 – FRANCE

Réalisé par Patrick Braoudé

Avec Michaël Youn, Jacques Villeret, Olivier Barroux, Kad Merad, Franck Dubosc, Bernard Farcy, Elsa Pataky, Arno Chevrier, Rufus

THEMA MILLE ET UNE NUITS

En écrivant et réalisant Iznogoud, Patrick Braoudé marche manifestement sur les traces d’Astérix et Obélix Mission Cléopâtre, dont le succès colossal avait de quoi attiser toutes les convoitises. Seulement voilà : l’auteur de Neuf Mois, spécialisé jusqu’alors dans les comédies familiales, n’est guère à l’aise dans un univers déjanté et parodique qui seyait forcément bien mieux à Alain Chabat. Tous les ingrédients semblent avoir été réunis (gags en cascade, somptueux décors, casting privilégiant les « stars » du petit écran, jeux de mot référentiels, anachronismes à foison), mais la mayonnaise ne prend désespérément pas. Il faut dire que Braoudé partait avec un certain handicap. Car si chaque album d’Astérix raconte un récit complet en un album entier, ceux d’Iznogoud sont principalement conçus comme des gags courts concentrés sur une seule planche. Comment, dans ce cas, faire tenir un scénario digne de ce nom sur la durée d’un long-métrage ? 

Tant bien que mal, le cinéaste s’efforce donc de narrer les diaboliques stratagèmes élaborés par le grand vizir Iznogoud pour prendre la place tant convoitée du bienveillant calife Haroun El Poussah. Michaël Youn et Jacques Villeret s’en tirant plutôt bien dans leurs rôles respectifs de vil politicien exhalant la duplicité et de ventripotent souverain bon vivant et naïf, Iznogoud parvient à maintenir un semblant d’intérêt pendant une petite demi-heure. Mais assez rapidement, la lassitude s’installe, d’autant que Braoudé, ne sachant plus trop comment s’en sortir, s’efforce deux fois d’affilée de nous faire croire que le vizir a réussi son coup et que le calife a passé l’arme à gauche. Pour relancer l’intérêt, une intrigue amoureuse est greffée assez tardivement dans le récit, Iznogoud s’éprenant soudain de la belle Prehti-Ohman (Elsa Pataky) promise au harem du calife, au grand dam de son barbare de père incarné avec beaucoup de verve par Bernard Farcy (qui comme par hasard jouait le rôle du chef des pirates dans l’Astérix de Chabat). Mais le scénario n’en ressort guère grandi, chaque gag raté (et ils sont nombreux, hélas !) aggravant le constat d’échec d’un film finalement plus embarrassant qu’amusant.

Jolis effets spéciaux et gags ratés…

Seule petite éclaircie au milieu de ce tableau bien sombre : profitant de son contexte de conte des Mille et Une Nuits, Iznogoud se permet quelques écarts dans le domaine du Fantastique pur et dur, servis par de remarquables effets numériques conçus au sein du laboratoire Eclair. D’où d’assez savoureuses séquences mettant en scène deux génies capricieux interprétés par Kad et Olivier, une étonnante grenouille en 3D prompte à se métamorphoser en prince, un éléphant invisible sur lequel est juché Villeret, ou encore une vertigineuse course-poursuite en tapis volant dans un canyon qui cligne de l’œil vers La Guerre des étoiles et Independence Day. Le reste du film ne réjouit guère, pas plus que les chansons qui le scandent régulièrement et qui semblent conçues dans le double objectif de séduire les fans de Michaël Youn et de faire vendre la bande originale. Bref un ratage en bonne et due forme, dont on ne sait pas trop s’il s’adresse aux adultes ou aux enfants, mais qui n’aura probablement aucune faveur aux yeux des amateurs de la bande dessinée originale.
 
© Gilles Penso

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