L’ABOMINABLE DOCTEUR PHIBES (1971)

Transformé en squelette ambulant, Vincent Price se livre à un jeu de massacre en s'inspirant des plaies d'Egypte

THE ABOMINABLE DOCTOR PHIBES

1971 – GB

Réalisé par Robert Fuest

Avec Vincent Price, Peter Jeffrey, Joseph Cotten, Virginia North, Terry-Thomas, Hugh Griffiths, Caroline Munro, Alex Scott

THEMA SUPER-VILAINS

Le docteur Phibes est probablement l’un des super-vilains les plus originaux de l’histoire du cinéma d’épouvante, même s’il présente de nombreux points communs avec L’Homme au masque de cire, déjà interprété par Vincent Price en 1953. En effet, à l’instar du sculpteur fou qui tient la vedette dans le chef d’œuvre d’André de Toth, Phibes est un artiste de génie laissé pour mort dans un accident, qui fomente dès lors une vengeance méthodique, cachant son visage défiguré sous un masque imitant les traits qu’il avait autrefois. Mais au lieu d’être brûlée au dernier degré, sa figure est carrément réduite à l’état de tête de mort grimaçante, dont seul le regard semble encore animé par un semblant de vie. Cette vision de cauchemar, délicieusement surréaliste et digne du Fantôme de l’Opéra version Lon Chaney, préfigure la célèbre affiche d’Evil Dead 2. Ancien spécialiste de music-hall, organiste de talent et mécanicien génial, Anton Phibes a basculé dans la folie après la mort de sa femme Virginia, due à l’incompétence des chirurgiens qui l’opéraient. Dès lors, réfugié dans une vaste demeure londonienne, il donne de grands concerts d’orgue, avec pour seule compagnie un orchestre d’automates et une jeune fille aux tenues extravagantes qui répond au doux prénom de Vulnavia. Son identité et ses relations avec Phibes resteront un mystère. Un des premiers jets du scénario la décrivait d’ailleurs comme un automate aux traits humains, née sous les mains habiles de Phibes.

Son titre de docteur, notre « héros » le doit à un doctorat en théologie, et c’est là qu’il puise l’inspiration de sa redoutable vengeance : les dix plaies qui frappèrent l’Égypte. Ainsi les membres de l’équipe médicale qui ne surent sauver son épouse meurent-ils un à un dans des conditions abominables : piqué à mort par des milliers de guêpes, agressé en pleine nuit par une nuée de chauves-souris, envahi par des rats féroces dans un cockpit d’avion, congelé dans une voiture, la tête écrabouillée par un masque de grenouille rétrécissant, le corps entièrement vidé de son sang, le poitrail transpercé par une licorne en bronze, le visage dévoré par des sauterelles… Quant au chirurgien en chef, interprété par Joseph Cotten, il doit opérer son propre fils en six minutes seulement et lui extraire une clef du corps, afin d’ouvrir un cadenas et d’éviter qu’un flot d’acide ne se déverse sur lui ! James Wan et Leigh Whannell retiendront la leçon en concoctant les pièges diaboliques de Saw. Le scénario prend pas mal de libertés avec la bible, mixant allégrement certaines vraies plaies (le sang, les grenouilles, les sauterelles, la grêle, les ténèbres, la mort des premiers-nés) avec d’autres plaies complètement fantaisistes (les boursouflures, les chauve-souris, les rats, ou carrément les licornes !). Mais cela importe peu, dans la mesure où c’est l’impact dramatique qui prime ici.

L'ancêtre de Saw ?

Ciselé avec une précision d’horloger, L’Abominable docteur Phibes évite l’aspect mécanique et répétitif inhérent à un tel récit, et se pare de savoureux dialogues, échangés par une poignée de comédiens excellents. Les joutes entre l’inspecteur chargé de l’enquête et son supérieur, notamment, sont de mémorables morceaux de comédie typiquement british. Quant à la mise en scène de Robert Fuest, elle rappelle par moments les meilleurs épisodes de Chapeau melon et bottes de cuir période Emma Peel, dont cet Abominable docteur Phibes retrouve parfois l’esprit, le goût de l’insolite et les situations surréalistes. Ce n’est pas un hasard, puisque Fuest fut l’un des piliers de cette série culte au début des années soixante. Non crédité au générique comme scénariste, il réécrivit pourtant la majorité du script initial pour mieux l’adapter à ses goûts. En 1971, date de la sortie du film, Vincent Price était une légende du cinéma fantastique, en même temps qu’un acteur extrêmement prolifique. La promotion de l’époque en tira grandement parti, estampillant L’Abominable docteur Phibes comme « le centième film de Vincent Price ». Dans le rôle de la défunte épouse, Caroline Munro fait de brèves mais inoubliables apparitions, sous forme de photos ou d’un joli cadavre embaumé à la toute fin du film. Encore méconnue du public, cette brune sculpturale aux yeux de velours allait ensuite crever l’écran dans Captain Kronos tueur de vampires, Dracula 73, Le Voyage fantastique de Sinbad, Star Crash ou encore L’Espion qui m’aimait.

 

© Gilles Penso

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TERREUR EXTRATERRESTRE (1980)

Cet ancêtre à petit budget de Predator lâche dans la campagne américaine un alien venu ajouter les humains à son tableau de chasse

WITHOUT WARNING

1980 – USA

Réalisé par Greydon Clark

Avec Jack Palance, Martin Landau, Cameron Mitchell, Neville Brand, Larry Storch, Ralph Meeker, Sue Ann Langdon

THEMA EXTRA-TERRESTRES

Ancien acteur pour les productions fauchées de Al Adamson (Satan’s Sadist, Dracula contre Frankenstein), Greydon Clark passa à la mise en scène au début des années 70 en signant une série de petits films destinés aux salles d’exploitation, le plus célèbre d’entre eux étant Terreur Extraterrestre. Le film se situe dans une bourgade au milieu de la campagne américaine où deux jeunes couples partent camper au bord d’un lac. La situation est connue, dans la mesure où maints slashers des années 70/80 démarrent de la même façon. La suite ne dément pas cet effet de déjà vu, puisque nos joyeux drilles s’arrêtent dans une station-service sinistre que tient un autochtone patibulaire (Jack Palance) leur conseillant fortement d’abandonner leur projet de camping. Bravant ses conseils, le quatuor s’engage dans les bois. Et lorsque la nuit tombe, le cauchemar commence… Les sources d’inspiration de Greydon Clark ne sont pas difficiles à déceler. Coup sur coup, La Nuit des Masques et Alien viennent de se tailler une place de choix au box-office. L’idée de Terreur Extraterrestre consiste donc à capitaliser sur ces deux succès en mixant les codes du slasher avec ceux de la SF.

Mais le film de Clark bénéficie de son propre style, collectant quelques moments d’épouvante mémorables. Certes, le jeu des jeunes comédiens manque souvent de finesse, mais la patine granuleuse du film parvient miraculeusement à effacer ces traces d’amateurisme pour préserver l’essentiel : une atmosphère délétère. Si Greydon Clark donne la vedette à des acteurs peu confirmés, il réserve une place de choix à plusieurs « gueules » du cinéma de genre. Outre Palance, le spectateur retrouve avec joie Cameron Mitchell, Neville Brand et surtout Martin Landau sous la défroque d’un ancien vétéran du Viêt-Nam totalement paranoïaque. Autour de son film, Greydon Clark réunit aussi une brochette d’artistes promis pour la plupart à un bel avenir, les moindres n’étant pas le directeur de la photographie Dean Cundey (La Nuit des MasquesFogThe ThingJurassic Park) et le maquilleur spécial Greg Cannom (Dracula, The Mask, BladeWatchmen) en charge de créer l’alien vedette.

Les soucoupes dévoreuses

Engoncé dans une combinaison sombre et tribale, la stature haute, le visage blafard, le crâne hypertrophié, les traits grimaçants, le regard noir, l’extra-terrestre servit probablement d’inspiration à l’extraterrestre de Predator. Les deux films partagent en effet le même concept d’un alien venu sur Terre pour s’adonner à la chasse aux humains. C’est d’ailleurs le même comédien qui endosse les deux costumes : Kevin Peter Hall. Le film reste aussi mémorable pour les fameuses « soucoupes dévoreuses » dont l’alien se sert pour attaquer ses victimes humaines. Phosphorescentes, équipées d’appendices acérés qui s’enfoncent sous la peau, exsudant un liquide verdâtre gluant, ces petites choses volantes contribuent beaucoup à la popularité de Terreur Extraterrestre qui, malgré l’extrême exiguïté de ses moyens (150 000 dollars de budget et trois semaines de tournage), aura durablement marqué les mémoires et généré quelques prestigieux émules.

 

© Gilles Penso

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LE BAL DE L’HORREUR (1980)

Deux ans après Halloween, Jamie Lee Curtis affronte un nouveau tueur en série psychopathe

PROM NIGHT

1980 – USA

Réalisé par Paul Lynch

Avec Jamie Lee Curtis, Leslie Nielsen, Robert Silverman, Casey Stevens, Eddie Benton, Mary Beth Rubins

THEMA TUEURS

L’année 1980 marque le démarrage d’une vogue massive du slasher. Deux ans après les méfaits de Michael Myers dans La Nuit des masques, des tueurs désaxés surgirent ainsi à tous les coins de rue pour massacrer des victimes plus ou moins innocentes. Quasi-simultanément, les écrans du monde entier projetèrent Vendredi 13Happy BirthdayLe Monstre du trainLes Yeux de la terreur et ce Bal de l’horreur qui sort du lot grâce à sa mise en scène stylisée. Au cours du prologue, quatre enfants provoquent la mort accidentelle d’une petite fille pendant une partie de cache-cache. Ils décident de ne jamais en parler, ignorant qu’un témoin a assisté à la scène. Six ans plus tard, les voilà devenus lycéens. En plein préparatifs du bal de fin d’année, dans une ambiance qui n’est pas sans évoquer Carrie, ils vont devoir assumer les conséquences de leurs actes… Contrairement à la majorité des praticiens du genre à la même époque, Paul Lynch ne calque pas sa réalisation sur celle de John Carpenter. Il possède son propre univers visuel, portant les stigmates de celui, brut et âpre, de plusieurs œuvres des années 70. Des effets de montage surpenants (employant des plans de coupe abrupts qui alternent les mêmes protagonistes adolescents et enfants), l’usage étrange d’une voix off intérieure, la bande originale singulière, le jeu des reports de point et des avant-plans comme vecteurs de suspense contribuent à la construction d’un climat oppressant. 

Sous la direction de Lynch, on découvre une poignée de visages familiers, notamment Jamie Lee Curtis, qui capitalise sur le succès de La Nuit des masques tout en s’éloignant volontairement du personnage de Laurie Strode qui la rendit célèbre, et ce bon vieux Leslie Nielsen dans le rôle du père endeuillé. La même année, le comédien aux cheveux blancs allait voir sa carrière décoller grâce à Y’a-t-il un pilote dans l’avion ?, premier d’une longue série de rôles burlesques qu’il endossera avec une bonne humeur souvent communicative. Alors que le bal de fin d’année bat son plein, aux accents d’une musique disco sous influence des Bee Gees, Jamie Lee Curtis et son cavalier se livrent à une longue chorégraphie qui semble échappée de La Fièvre du samedi soir sur le dancefloor lumineux. Mais dans l’ombre, un tueur cagoulé et armé d’éclats de miroirs commence à faire couler le sang… 

Une singularité rafraîchissante

A contre-courant d’Halloween et de Vendredi 13, le premier meurtre est brutal mais se déroule hors champ, au ralenti, la bande son s’emplissant des pensées confuses de l’assassin et de la musique lointaine du bal. Le massacre s’accélère pendant la dernière demi-heure, sans se priver de quelques touches d’humour noir, comme lorsqu’une jeune fille s’exclame « je me souviendrai de ce jour toute ma vie » avant de se faire transpercer la gorge, tandis que son compagnon, pris de panique, précipite son van dans un ravin. Le film s’achève par une décapitation spectaculaire et par une révélation étonnante qui fait basculer l’atmosphère du film de l’horreur vers le pathétique, confirmant la singularité rafraîchissante de ce Bal de l’horreur moins prévisible qu’il n’y paraît.

 

© Gilles Penso

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DRACULA UNTOLD (2014)

Une tentative maladroite de faire fusionner le Dracula fictif imaginé par Bram Stoker avec le véritable Vlad Tepes qui l'inspira

DRACULA UNTOLD

2014 – USA

Réalisé par Gary Shore

Avec Luke Evans, Charles Dance, Dominic Cooper, Sarah Gadon, Art Parkinson

THEMA DRACULA I VAMPIRES

Dracula, saigneur de la nuit, tout le monde connaît. Mais qu’est-ce qui a pu conduire ce prince transylvanien à sortir les crocs et à mener une vie immortelle en quête d’hémoglobine ? C’est ce que veut nous raconter Dracula Untold, énième variation sur le personnage mythique créé par Bram Stoker. Le film du fils de pub Gary Shore prend le parti de la préquelle alternative, un peu à la manière de ce qui avait été fait il y a quelques mois avec I, Frankenstein, unanimement conspué par la critique et les spectateurs. Alors, cape ou pas cape ? Avant de devenir le comte Dracula, le prince transylvanien Vlad, dit Vlad l’empaleur, mena une vie faite de batailles acharnées sous l’étendard des Turcs, ennemis de la Transylvanie, l’ayant formé dès sa plus tendre enfance à devenir une machine de guerre implacable et crainte de tous. Une fois ce contexte vite évacué via une rapide introduction, le film prend place des années après cette carrière de boucher et nous emmène à la rencontre d’un bon prince ne désirant qu’une chose : mettre les bains de sang derrière lui et prendre soin de sa femme et de son fils en bon père de famille. Le retour de l’armée turque et la découverte d’une créature inconnue et meurtrière risquent fort de contrarier les plans du mari et père modèle qu’il est devenu.

Ne comptez pas sur les scénaristes pour insuffler de la psychologie justifiant le destin hors normes du personnage. Les origines de sa malédiction peuvent se résumer en une simple phrase : Vlad désire obtenir la force de pourfendre l’armée ennemie et accepte de boire le sang d’un vampire, lui conférant des pouvoirs hors du commun en lui promettant le retour à sa forme humaine si le prince résiste à l’appel du sang durant trois jours entiers. Pas de mythologie étoffée ici, on va droit au but en créant un suspense n’ayant au final pas lieu d’être, l’aboutissement de la trame étant scellé dès le titre-même du film.

Idéalisé et sans aspérité

Les scènes mettant en exergue l’amour inconditionnel du prince pour sa petite famille n’aident pas non plus à la caractérisation du personnage, ces séquences sonnant franchement faux et présentant un Vlad idéalisé et sans aucune aspérité. Heureusement, ce Dracula Untold peut compter sur quelques morceaux de bravoure vaillamment exécutés et mettant en scène de façon admirable les pouvoirs ahurissants du futur vampire, le transformant en une sorte de super-héros des temps anciens. Ce panache et l’interprétation plus que convaincante de Luke Evans font de Dracula Untold un honnête casse-croûte, certes dispensable et n’apportant rien à l’univers mis en place par Bram Stoker et ses suiveurs, mais suffisamment efficace et bien emballé pour maintenir l’intérêt durant sa courte durée.

 

© Seb Brunclair

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AMERICAN PSYCHO (2000)

Christian Bale entre dans la peau d'un golden boy couronné de succès qui trompe son ennui en massacrant son entourage à tour de bras

AMERICAN PSYCHO

2000 – USA / CANADA

Réalisé par Mary Harron

Avec Christian Bale, Willem Dafoe, Justin Theroux, Josh Lucas, Bill Sage, Chloe Sevigny, Reese Witherspoon, Samantha Mathis

THEMA TUEURS

L’idée de mettre en vedette un golden boy new-yorkais tellement comblé et blasé qu’il n’y a guère plus que le meurtre pour tromper son ennui et susciter chez lui un semblant d’émotion était brillante. Les lecteurs ne l’ont pas démenti en faisant un véritable triomphe au roman de Bret Easton Ellis, satire très controversée et franchement gore de l’Amérique des années 80, celle de Wall Street, des yuppies et de Ronald Reagan. Malheureusement, l’adaptation qu’en a signée Mary Harron, auteur de quelques épisodes choc des séries Homicide et Oz, n’en est qu’un pâle reflet, insipide et ennuyeux à mourir. Il y avait pourtant là toutes les bonnes bases d’un film mémorable et saillant, notamment le choix de Christian Bale dans le rôle-titre. Celui-ci incarne avec une dureté, un cynisme et une inhumanité presque dérangeants Patrick Bateman, respectable employé chez la compagnie imaginaire Pierce & Pierce le jour (comme Tom Hanks dans Le Bûcher des Vanités), assassin sanguinaire la nuit. Parmi la vingtaine de personnes qu’il extermine, on compte des prostituées, des sans-abri, des amis et des collègues de travail. Son frigo et son appartement regorgent d’ailleurs de morceaux de cadavres ensanglantés. Et parfois, lorsqu’il est un peu éméché, il n’hésite pas à avouer aux barmaids qu’il adore disséquer les filles tant son esprit est dérangé. Evidemment, personne ne prête la moindre attention à de telles déclarations, volontiers mises sur le compte de l’alcool ou de la provocation gratuite.

D’ailleurs, tous ces meurtres sont-ils bien réels, ou ne fleurissent-ils pas quotidiennement dans l’imagination malade de Bateman ? Et dire que Christian Bale interprétait le gentil petit garçon dans l’Empire du Soleil de Steven Spielberg… Que de chemin parcouru depuis ! Hélas, cet étonnant comédien demeure l’unique intérêt d’American Psycho. Mal rythmé, mal structuré, le film de Mary Harron joue maladroitement la carte de la confusion entre réalité et fantasme, sans trop savoir sur quel pied danser. Du coup, les massacres à la tronçonneuse, à la hache, au couteau ou au pistolet qui scandent le récit laissent froid, tant ils sont distanciés par une narration hésitante. Au moment où l’inspecteur Donald Kimball (un Willem Dafoe désespérément sous-exploité) entre en scène, on espère quelques rebondissements scénaristiques. Mais il n’en est rien, et l’histoire continue de piétiner tranquillement.

La guerre des cartes de visite

Même la restitution de l’ambiance des années 80, élément indispensable du récit imaginé par Bret Easton Ellis, est ratée. Car si l’on excepte quelques extraits musicaux empruntés à Huey Lewis, Genesis et Robert Palmer, le film donne plutôt l’impression de se dérouler dans les années 90 ou 2000. D’autant que les obsessions décrites ici – le culte de l’apparence, la recherche maladive du corps parfait, l’impitoyable lutte hiérarchique au sein des grandes entreprises et le matérialisme sous sa forme la plus excessive – sont autant d’actualité aujourd’hui que vingt ans plus tôt. Dommage que le film entier ne soit pas à l’image de cette scène extraordinaire au cours de laquelle tous les yuppies comparent avec jalousie la qualité respective de leurs cartes de visite, la bave aux lèvres et le regard fou…

 

© Gilles Penso

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MAY (2002)

Un film perturbant qui aura révélé le double talent du réalisateur Lucky McKee et de la comédienne Angela Bettis

MAY

2002 – USA

Réalisé par Lucky McKee

Avec Angela Bettis, Jeremy Sisto, Anna Faris, James Duval, Nichole Hiltz, Kevin Gage, Merle Kennedy, Rachel David

THEMA TUEURS

May est l’un des films d’horreur les plus émouvants qui nous aient jamais été donnés de voir. Certes, « horreur » et « émouvant » ne sont pas, à priori, « des mots qui vont très bien ensemble », comme dirait Paul McCartney. Mais comment définir autrement cet excellent premier film signé Lucky McKee ? A fleur de peau, le jeune cinéaste nous livre là le portrait d’un tueur psychopathe désespérément touchant, son basculement progressif et inexorable vers la folie meurtrière n’étant que le fruit d’un long parcours du combattant émotionnel, jonché d’inhibitions et de frustrations. Lorsqu’elle n’est qu’une enfant, May Dove Canady est déjà complexée par une coquetterie dans l’œil qui l’oblige à porter un patch de pirate et l’éloigne de tous ses camarades de jeu. Pour pallier le manque affectif de sa fille, la mère de May croit trouver une parade infaillible en lui déclarant : « si tu ne trouves pas d’amis, fabrique t’en. » Joignant le geste à la parole, elle lui offre une poupée un peu effrayante, qu’elle fabrique elle-même et qui ne quitte jamais sa boîte en verre protectrice. Devenue jeune femme, May n’a guère amélioré sa socialisation et sa meilleure amie demeure sa poupée, malgré les appels du pied de Polly, une jeune lesbienne délurée qui travaille à ses côtés dans un cabinet vétérinaire.

Un jour, May tombe sous le charme d’Adam, un beau mécanicien qui vit dans son quartier, pratique le cinéma en amateur et se laisserait volontiers attirer par elle si son comportement n’était pas si bizarre. Car May n’a aucune expérience amoureuse, et ses tentatives de séduction prennent une tournure très maladroite, voire franchement inquiétante. Adam n’a rien contre un soupçon d’étrangeté, et démontre même un penchant certain pour la provocation, comme en témoigne l’un de ses courts-métrages – excellent par ailleurs – au cours duquel un couple s’aime tellement qu’il finit par s’entredévorer. Mais lorsque May, croyant lui faire plaisir, se met à le mordre jusqu’au sang pour reproduire les scènes de son petit film, le jeune homme brise net cette relation naissante. Profondément blessée par ses échecs sentimentaux, May décide alors de prendre le conseil de sa mère au pied de la lettre. Si elle est incapable d’avoir des amis ou des amants, pourquoi ne les fabriquerait-elle pas elle-même ? Pourquoi n’emprunterait-elle pas les véritables membres des gens qu’elle aime afin de confectionner cet être idéal et aimant ?

Hilarante, poignante et effrayante

Une grande partie de la réussite de May repose sur l’interprétation prodigieuse d’Angela Bettis. Tour à tour hilarante, poignante et effrayante, c’est une véritable révélation, les fêlures progressives de son personnage se répercutant sur le verre qui protège la poupée, poupée avec laquelle elle présente d’ailleurs de troublantes ressemblances physiques. Pour lui donner la réplique, McKee a choisi deux comédiens plus chevronnés mais tout autant spontanés : Anna Faris, transfuge de la saga parodique Scary Movie, et Jeremy Sisto, personnage récurrent de la série Six Feet Under. Foncièrement bouleversant, atrocement pathétique, le dénouement de May laisse des traces profondes longtemps après la fin du générique. Une grande et belle réussite.

© Gilles Penso

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LE MONSTRE QUI VIENT DE L’ESPACE (1977)

De retour d'une mission dans l'espace, un astronaute se transforme peu à peu en cannibale dégoulinant !

THE INCREDIBLE MELTING MAN

1977 – USA

Réalisé par William Sachs

Avec Alex Rebar, Burr de Benning, Myron Healey, Michael Aldredge, Ann Swenny 

THEMA MUTATIONS

Le titre original du Monstre qui vient de l’Espace évoque celui de L’homme qui rétrécit et son scénario semble calqué sur celui du Monstre de Val Guest. On peut donc appréhender ce film comme un hommage aux classiques de la science-fiction des années 50, le gore en plus. La mission Scorpio 5, envoyée dans l’espace autour de Saturne, se termine de manière catastrophique. Trois astronautes n’y survivent pas et le troisième, Steve West (Alex Rebar), a été contaminé par les rayons radioactifs émis par la planète à l’anneau. Allongé dans un lit d’hôpital et couvert de bandages, il s’éveille pour découvrir que sa peau est en train de se décoller. L’infirmière bien en chair censée s’occuper de lui s’avère fort émotive car à sa vue, elle s’enfuit en hurlant, court au ralenti dans un grand couloir désert puis traverse une vitre sans que cela ne stoppe sa course ! Lorsque les médecins retrouvent le corps de la malheureuse, c’est avec le visage à moitié dévoré. Notre astronaute en pleine mutation s’en prend ensuite à un pêcheur dont il jette la tête coupée dans une rivière. La caméra s’attarde alors bizarrement sur le parcours de cette tête au fil de l’eau, jusque dans une petite cascade où elle atterrit ensanglantée. Non loin, des enfants jouent à cache-cache, et une petite fille tombe bientôt nez à nez avec le monstre.

Dégoulinant à souhait, il perd un œil et révèle, sous une couche de chairs décomposées, la structure de son crâne. Terrifiée – qui ne le serait pas ? -, la fillette court jusqu’à sa mère en criant qu’elle a rencontré Frankenstein dans les bois, en un hommage appuyé à James Whale. Parti à sa recherche, l’éminent docteur Nelson arpente alors les bois, équipé d’un compteur Geiger, tandis que la musique se met à copier ouvertement celle des Dents de la Mer. Nous avons bientôt droit à l’incontournable fille aux seins nus qui hurle (un photographe essaie de l’obliger à se déshabiller jusqu’à ce qu’elle tombe sur le corps décapité du pêcheur). Le monstre, lui, déambule au soleil couchant en se remémorant sa mission en voix-off. Au fil de ses forfaits anthropophages, Steve finit par ressembler à un squelette recouvert de gelée, le jeune maquilleur Rick Baker s’en donnant à cœur joie tandis que le docteur Nelson lâche avec un sérieux papal : « plus il fond, plus il semble devenir fort ».

« Plus il fond, plus il semble devenir fort ! »

Insensible aux balles, en décomposition de plus en plus avancée, il semble annoncer les zombies des films italiens, jusque dans cette course-poursuite nocturne dans une usine digne du Virus Cannibale de Bruno Mattei. Le réalisateur William Sachs rythme bizarrement ses séquences, laissant par exemple sa caméra tourner en plan fixe, alors qu’une comédienne, en roue libre, joue une crise d’hystérie après avoir tranché à coup de hachoir la main du monstre. Ce dernier finira sous forme d’un blob, son œil grand ouvert disparaissant sous un amas de gelée rouge, avant d’être réduit à l’état de flaque nettoyée par un homme d’entretien, tandis qu’en voix-off on s’extasie sur les missions spatiales de la NASA ! Ce goût apparent pour la dérision et le pastiche, ici à peine amorcé, s’épanouira dans le film suivant de William Sachs, Galaxina, une parodie maladroite mais plutôt attachante.

 

© Gilles Penso

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HORNS (2014)

Daniel Radcliffe s'éloigne un peu plus de Harry Potter en laissant Alexandre Aja lui faire pousser des cornes sur le front…

HORNS

2014 – USA

Réalisé par Alexandre Aja

Avec Daniel Radcliffe, Max Minghella, Joe Anderson, Juno Temple, Kelli Garner, James Remar, Kathleen Quinlan, Heather Graham, David Morse, Michael Adamthwaite 

THEMA POUVOIRS PARANORMAUX I DIABLE ET DÉMONS SAGA ALEXANDRE AJA

Avec Horns, Alexandre Aja choisit un virage radical et ambitieux. Après trois remakes (La Colline a des yeux, Mirrors, Piranha 3D), le réalisateur français sent le besoin de passer à autre chose. Adapté du roman de Joe Hill — le fils de Stephen King — Horns s’impose comme une œuvre beaucoup plus personnelle. « C’était un film très personnel pour moi, même si a priori je n’ai rien à voir avec les personnages : cette exploration de l’hypocrisie américaine, du rapport à l’autre, de la nécessité parfois d’aller dans les ténèbres pour trouver un peu de lumière », confie-t-il (1). En choisissant Daniel Radcliffe pour incarner Ig Perrish, Aja prend un parti très particulier. Comme si l’âge de l’innocence associé à Harry Potter devait désormais céder la place à l’âge adulte, peuplé de peurs, de désillusions et de trahisons. « Quand je choisis Daniel Radcliffe, c’est une évidence pour moi, parce que tout d’un coup il y a cette transition de l’enfance, de l’adolescence à l’âge adulte, d’une manière dramatique : le viol et l’assassinat de la femme qu’il aime, et tout le mystère qui entoure ce crime dont on l’accuse », confirme-t-il. « Évidemment, ce n’est pas anodin de prendre Harry Potter pour jouer ce rôle, parce qu’il incarne ce sentiment d’enfance pour toute cette génération, mais il est aussi lui-même, à cette époque, dans une transition vers l’âge adulte. C’est pour ça qu’il a accepté. Ça rajoute des niveaux de lecture et ça rajoute de l’épaisseur au sujet. » Aja laisse aussi transparaître des influences assumées, notamment l’univers étrange et inquiétant de David Lynch. Il rend même hommage à Twin Peaks en confiant à Heather Graham le rôle d’une serveuse, clin d’œil direct à la série culte. Dans Horns, « Qui a tué Laura Palmer ? » devient « Qui a tué Merrin Williams ? ».

Ignatius « Ig » Perrish (Daniel Radcliffe) est le principal suspect du viol et du meurtre brutal de sa petite amie Merrin Williams (Juno Temple). Bien qu’il clame son innocence, toute la communauté, y compris ses proches, se retourne contre lui. Rejeté, traqué par la presse, il trouve refuge dans la maison familiale auprès de ses parents (James Remar et Kathleen Quinlan) et de son frère Terry (Joe Anderson).

Après une veillée mortuaire douloureuse organisée par le père de Merrin (David Morse), qui croit fermement à sa culpabilité, Ig, désespéré, s’enivre, vandalise le mémorial de Merrin et s’endort dans les bois. À son réveil, il découvre avec horreur l’apparition de cornes sur son front. Ces cornes, étrangement, ne se contentent pas de déformer son apparence : elles possèdent le pouvoir de pousser les gens à révéler sans filtre leurs pensées et désirs les plus enfouis. Rapidement, Ig comprend qu’il peut exploiter ce don pour enquêter lui-même sur le meurtre de Merrin et faire éclater la vérité. Au fil de sa quête, il découvre l’hypocrisie étouffante de son entourage, les secrets honteux dissimulés derrière les sourires polis. Armé de ses nouveaux pouvoirs, il se rapproche lentement du véritable coupable, prêt à plonger toujours plus profondément dans les ténèbres pour obtenir justice…

Ruptures de ton

Horns marque une étape de maturité dans la carrière d’Alexandre Aja. Après les hurlements sanglants et les exubérances graphiques de ses précédents films, il s’attaque ici à un récit plus mélancolique, oscillant entre fantastique, horreur, romance noire et comédie macabre. Le mélange des genres aurait pu virer au grand écart, mais Aja réussit à maintenir une cohérence émotionnelle étonnante. La douleur d’Ig, sa quête d’identité et l’ambiguïté morale de ses choix trouvent un écho dans l’esthétique du film, à cheval entre l’intimisme et le baroque. Ironiquement, comme par effet de miroir avec la source littéraire première (œuvre donc du fils de Stephen King), Horns évoque parfois l’auteur de Carrie, notamment dans ces flash-backs racontant les aventures de cette bande de gamins qui n’aurait pas dépareillé dans Stand By Me ou Ça. Tout au long du film, Aja enchaîne les visions surréalistes et les ruptures de ton : unuméro musical infernal en ouverture, une transformation progressive de Radcliffe — qui devient à moitié invisible, tantôt du haut, tantôt du bas — et même une apparition fugace du monstre de Frankenstein. Radcliffe livre ici une prestation solide et sincère, loin de son image de petit sorcier. Sa souffrance est palpable, son glissement vers l’obscurité crédible et poignant. Bref, voilà un fascinant « écart de conduite », tant pour le cinéaste que pour son acteur principal.

 

© Gilles Penso

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WOLF CREEK (2004)

Dans le désert australien, un tueur débonnaire armé d'un fusil décide de décimer un trio de touristes

WOLF CREEK

2004 – AUSTRALIE

Réalisé par Greg McLean

Avec John Jarratt, Nathan Phillips, Cassandra Magrath, Kestie Morassi, Gordon Poole, Guy O’Donnell, Phil Stevenson 

THEMA TUEURS

Même si l’argument de Wolf Creek semble puiser son inspiration auprès des classiques du survival, ce premier long-métrage s’efforce d’éviter les sentiers battus. Empruntant son style à la nouvelle vague initiée par Lars Von Trier et son fameux « dogme », Greg McLean opte pour une mise en scène brute et accidentée, à mi-chemin entre le reportage et le documentaire. Sa caméra HD est légère, ses comédiens improvisent, son montage est libre… Bref, le mot d’ordre semble ici être naturalisme, en accord avec le fait-divers dont le scénario est censé s’inspirer. Après un carton introductif annonçant que des milliers de touristes disparaissent sans laisser de trace chaque année en Australie, Wolf Creek nous familiarise avec ses trois jeunes protagonistes. Ben, Liz et Kristy quittent la ville pour partir randonner pendant trois semaines dans le désert australien. Ils profitent de l’aventure pour admirer le site de Wolf Creek, un cratère provoqué par la chute d’une météorite il y a plusieurs milliers d’années. Loin de toute agglomération, ils découvrent bientôt que leur voiture refuse de redémarrer. Alors qu’ils s’apprêtent à passer la nuit dans le véhicule, un sympathique autochtone leur propose de les dépanner. Rassuré, notre trio ne se doute pas que le cauchemar le plus abominable s’apprête à les frapper un à un…

A contre-courant des scénarios du genre privilégiant les prologues choc et l’accumulation métronomique de séquences d’épouvante, Wolf Creek installe son récit tout en douceur, prenant le temps de nous présenter ses héros, leur ingénuité, leur insouciance et leurs préoccupations gentiment naïves. Du coup, lorsque l’horreur surgit enfin, au beau milieu du métrage, le choc n’en est que plus violent. Un bref instant, McLean nous laisse soupçonner une manifestation extra-terrestre, comme en témoignent cette voiture qui tombe subitement en panne et ces montres qui s’arrêtent toutes simultanément aux abords du cratère du météore. Mais bien vite, la monstruosité révèle son visage humain, d’autant plus cauchemardesque qu’il est banal et ordinaire. Terriblement débonnaire, le tueur est l’antithèse du cliché australien véhiculé par des films tels que Crocodile Dundee. Certes, l’homme arbore le stetson et le couteau de chasse, mais la comparaison s’arrête là. Ici, il est question de viols, de mutilations et de meurtres.

Crocodile Dundee est devenu psychopathe

Wolf Creek se place ainsi dans la droite lignée des œuvres les plus marquantes du genre, quelque part entre Délivrance et La Dernière maison sur la gauche qu’il évoque irrésistiblement sans jamais les imiter. En effet, le film de McLean conserve son style unique et sa forte personnalité d’un bout à l’autre, accumulant les moments de suspense diaboliquement efficaces et les séquences franchement dérangeantes. Le naturel des comédiens joue beaucoup en faveur du film et de son réalisme, lequel bénéficie en outre d’une judicieuse partition de François Tetaz alternant les compositions électroniques expérimentales et les morceaux symphoniques aériens. Regrettons simplement un dénouement un peu abrupt qui présente certes l’avantage de ramener le récit à son statut de fait divers mais escamote maladroitement un climax qui eut mérité un traitement mois elliptique. 

 

© Gilles Penso

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APPELS AU MEURTRE (1981)

Une toute jeune Jennifer Jason Leigh fait face à un psychopathe voyeur et assassin dans ce slasher oppressant que n'aurait pas renié Brian de Palma

EYES OF A STRANGER

1981 – USA

Réalisé par Réalisateur

Avec Lauren Tewes, Jennifer Jason Leigh, John DiSanti, Peter DuPre, Gwen Lewis, Kitty Lunn, Timothy Hawkins, Ted Richert, Toni Crabtree, Jose Bahamonde

THEMA TUEURS

Dans la grande famille des « psycho-killers téléphoniques », l’inconscient cinéphile se souvient du maniaque hystérique de Black Christmas, du Minos de Peur sur la ville, du glaçant inquisiteur de Terreur sur la ligne, du Donald Duck de L’Éventreur de New York, ou, plus populaire, du Ghostface fanfoy dans Scream. Celui qui nous occupe ici mérite parfaitement sa place dans ce Panthéon, même s’il est moins célèbre. Son inquiétant et rigolard « Debbie… Hi hi hi… Je vais t’étrangler ! » de  la scène d’ouverture d’Appels au meurtre a pourtant de quoi marquer les mémoires… Le scénario est malin, se jouant des codes habituels pour mieux les inverser : l’assassin habite l’immeuble juste en face de la journaliste qui a juré sa perte (sa sœur ayant été agressée, petite, par un pédophile, ce qui l’a rendue aveugle, sourde et muette). Elle comprend son manège et décide de le harceler à son tour au téléphone… Notre tueur est plus proche du Curt Duncan de Terreur sur la ligne : un homme au physique lambda, avec un côté pathétique, voire pataud, introduit au cours d’une séquence d’appel téléphonique menaçant, avant un passage à l’acte sanglant. Son identité nous est également rapidement dévoilée, le but affiché du film étant d’aller au-delà d’un whodunit balisé.

Rappelons que l’homme derrière la caméra est le mésestimé Ken Wiederhorn, réalisateur des forts sympathiques et décalés Le Commando des morts vivants (que les protagonistes regardent ici à la télévision) et Le retour des morts vivants 2. Mésestimé soit, mais pas par tous : un certain Brian de Palma, impressionné par ces Appels aux meurtres (qui évoquent parfois Pulsions), voulait que Wiederhorn mette en scène son scénario de Body Double, avant d’y renoncer pour le réaliser lui-même. Et on comprend aisément pourquoi : les deux hommes partagent le même goût pour le voyeurisme et les multiplications de points de vue. Le titre original du film n’est-il pas Eyes of a Stranger ? Dès les premiers plans, la prédominance du regard s’installe, avec la découverte très graphique de la première victime (qui s’offre même le luxe de préfigurer l’introduction d’Henry, portrait d’un serial killer) par le prisme d’un appareil photo. Le tueur observe ses victimes à travers les fenêtres, est observé à son tour par la journaliste et par un malheureux couple qui batifolait, puis découvre l’identité de celle qui le traque à travers son écran de télé. Seule la sœur aveugle échappe à la violence du monde qui l’entoure (n’entendant rien non plus, elle rate les détails sordides des meurtres énumérés par les médias, préservant sa pureté et n’ayant aucune conscience des dangers qu’elle court), violence qui lui a enlevé la vue et la lui redonnera. La boucle thématique est bouclée au cours du point culminant du film, dans une séquence silencieuse où la jeune fille est serrée de près par le fou jouant au chat et à la souris avec sa proie aveugle : un inoubliable sommet de perversité brute. Voir c’est souffrir/mûrir/mourir. Wiederhorn nous conseillerait-t-il ici en filigrane de couper contact avec l’information pour nous préserver de la triste et contaminante violence des hommes ?

Les yeux du tueur

Outre son intéressant sujet de fond, ce slasher ne se hisserait pas au-dessus du lot sans un casting ad hoc : John DiSanti (un habitué des seconds couteaux chez Peter Hyams) est très convaincant en grand méchant loup débonnaire mais agressif (rivalisant presque avec le Maniac lui-même, auquel le film paie son tribut au détour de certains plans), Lauren Tewes (oui, la Julie de La croisière s’amuse !) assure en héroïne déterminée et  très « Nancy Allen », et Jennifer Jason Leigh crève l’écran pour sa première apparition au cinéma, d’une folle justesse dans le rôle difficile de la sœur traumatisée et handicapée. Le tout relevé par les parfaits effets gore de Tom Savini (la filiation avec Maniac est complète) et la musique anxiogène de Richard Einhorn (déjà à l’œuvre sur un autre slasher 80’s mémorable, Rosemary’s Killer). Rappelant dans ses meilleurs moments le téléfilm de John Carpenter, Meurtres au 43ème étage (La Nuit des Masques a également droit à son clin d’œil), Appels au meurtre nous renvoie à la glorieuse époque de la VHS, et se revoit aujourd’hui avec un plaisir revigorant, en ces temps moroses de jump scares mécaniques, remakes obsolètes et autres found footages sans âme.

 

© Julien Cassarino

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