THE GREEN HORNET (2011)

Un film de super-héros réalisé par Michel Gondry n'est forcément pas comme les autres, surtout si le cinéaste ajoute à sa caisse à outils des effets ludiques en 3D

THE GREEN HORNET

2011 – USA

Réalisé par Michel Gondry

Avec Seth Rogen, Jay Chou, Cameron Diaz, Tom Wilkinson, Christoph Waltz, David Harbour, Edward James Olmos

THEMA SUPER-HEROS

Le scénario de The Green Hornet reprend dans les grandes lignes le principe de la série télévisé homonyme de 1966, elle-même inspirée d’un feuilleton radiophonique créé par George W. Trendle. Le personnage principal est Britt Reid, rédacteur en chef du Daily Sentinel qui décide de combattre le crime sous l’identité du « Frelon Vert » aux côtés de son valet Kato, expert en arts martiaux et chauffeur d’une voiture truffée de gadgets. Mais la linéarité du concept initial est ici brisée par un second degré permanent érodant sérieusement le caractère héroïque du protagoniste. Britt Reid nous est décrit comme un enfant gâté dont l’arrogance le dispute à la stupidité, et qui s’avère bien incapable de diriger l’empire médiatique dont il a hérité sans l’aide de la solide équipe rédactionnelle qui l’entoure. Ses exploits sont tout aussi patauds, et sans le génie, la pugnacité et le courage de son sidekick Kato, le Frelon Vert ne vaudrait pas grand-chose. Ce parti pris est osé. Car si, dès la série TV, il était clair que le « personnage secondaire » incarné par Bruce Lee l’emportait allègrement sur le héros » campé par Van Williams, le Frelon Vert n’était pas pour autant l’idiot congénital ici décrit. Pire qu’un anti-héros, ce nouveau Frelon Vert s’avère inculte, égoïste, couard et imbu de lui-même. Comment diable s’attacher à pareille engeance ?

Grâce à la prestation de Seth Rogen, également co-scénariste et co-producteur exécutif du film qui, sans chercher à racheter son personnage, parvient à développer à son égard l’empathie du public grâce à de nombreuses failles finalement très humaines. Il en est de même pour le méchant, un mafieux russe nommé Chudnofsky qui, malgré sa mainmise sur le crime organisé, traverse une crise de la quarantaine qui le plonge en plein doute existentiel. L’idée est excellente, tout comme celle de confier le rôle à Christoph Walz, révélation d’Inglorious Bastards. La véritable star de The Green Hornet est cependant Jay Chou. Sans jamais chercher à marcher sur les traces de Bruce Lee, le héros de Shaolin Basket crève ici l’écran dans le rôle énergique, nerveux et cabot de Kato.

Split-screens en poupée russe

Et Michel Gondry dans tout ça ? S’il est clair que The Green Hornet est un film de commande, ce n’est pas un projet incongru dans les mains du talentueux cinéaste français. Gondry envisageait déjà d’adapter la série dans les années 90, et sa folie visuelle a largement trouvé de quoi s’étancher au fil des exploits déjantés du duo Britt/Kato. Moins voyants qu’à l’accoutumée, ses effets de style demeurent exemplaires, et l’analyse de certaines des techniques déployées laisse totalement pantois. Témoins ces split-screen qui s’enchaînent tels des poupées russes et où les personnages, réunis dans un même plan, se séparent soudain, chacun empruntant un chemin différent tout en étant suivi simultanément par la caméra. Ou ces scènes de combat au cours desquelles les belligérants n’adoptent pas tous la même vitesse de déplacement, ralenti et accéléré cohabitant de manière surréaliste, le tout aux accents d’une bande originale trépidante signée James Newton Howard. Quant à la 3D, extrêmement ludique, elle s’apprécie comme un livre « pop-up » où les décors et les personnages jaillissent sous nos yeux d’enfants ébahis.

 

© Gilles Penso

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LE MONDE DE NARNIA : L’ODYSSÉE DU PASSEUR D’AURORE (2010)

La trilogie cinématographique du Monde de Narnia se clôt sur ce film anecdotique mais paré de jolies séquences fantasmagoriques

THE CHRONICLES OF NARNIA : THE VOYAGE OF THE DAWN TREADER

2010 – USA / GB

Réalisé par Michael Apted

Avec Georgie Henley, Skandar Keynes, Ben Barnes, Will Poulter, Gary Sweet, Terry Norris, Bruce Spence, Billie Brown

THEMA CONTES I HEROIC FANTASY I MYTHOLOGIE I DRAGONS I SAGA LES CHRONIQUES DE NARNIA

Malgré un accueil public et critique plutôt positif, Le Prince Caspian, second volet cinématographique de la saga Narnia, se comporta modestement au box-office, entraînant le retrait d’un studio Disney avide de recettes plus confortables. Walden Media se retrouve donc seul à la tête de ce troisième opus, qui respecte dans les grandes lignes le cahier des charges de ses prédécesseurs : la légitimité des romans de C.S. Lewis, de jeunes aventuriers affrontant l’adversité sous toutes ses formes, des créatures fantastiques, de la magie à foison et une quête initiatique. Le récit prend place comme toujours en pleine guerre, dans notre monde. Edmund et Lucy Pevensie, une fois de plus, se languissent de leurs fantastiques aventures. Aussitôt, un tableau représentant un navire isolé en plein océan se met à s’animer et à les projeter, en compagnie de leur détestable cousin Eustache, dans le royaume de Narnia. Là, ils rejoignent Caspian, devenu roi, ainsi que la souris guerrière Ripitchip à bord du majestueux drakkar « Le Passeur d’Aurore ». En mettant le cap sur les îles mystérieuses de l’Est, ils partent à la recherche de sept épées légendaires et s’apprêtent à lutter contre leurs propres démons…

Finalement, toute cette Odyssée du Passeur d’Aurore (un très joli titre au demeurant) est à l’image de la scène du tableau vivant entraînant les protagonistes dans la fantaisie de Narnia : une merveille visuelle dont l’impeccable cosmétique ne dissimule guère les scories d’un scénario paresseux utilisant la magie comme solution idéale à tous les problèmes. Nos héros s’ennuient ? Hop, un tour de magie et les revoilà à Narnia. Ils ignorent la teneur de leur mission future ? Qu’à cela ne tienne : un magicien surgit au bon moment dans son palais invisible pour leur expliquer en détail l’objet de leur quête et les dangers qu’ils devront affronter. Tout le film est à l’avenant. Les solutions n’étant jamais initiées par les personnages mais offertes par une multitude de « deus ex-machina » externes, tout enjeu dramatique digne de ce nom s’estompe aussitôt. Témoin l’apparition en guest star du lion Aslan qui, après avoir longtemps joué l’Arlésienne, intervient finalement pour dénouer les fils de l’intrigue d’un coup de baguette – ou plutôt de museau – magique.

Les dangers de la tentation

La thématique majeure du récit, centrée autour des dangers de la tentation, est elle-même très édulcorée, car en lieu et place des combats annoncés contre les désirs les plus inavouables, on découvre un banquet, un trésor et quelques fantômes féminins évanescents… En termes de tentation, on a connu moins sage. Restent bien sûr de magnifiques séquences d’effets spéciaux, jouant la carte du cocasse (les nains monopodes provisoirement invisibles), du surréalisme majestueux (les vagues en suspension qui marquent l’entrée dans le territoire d’Aslan), ou marchant sur les prestigieuses traces de Ray Harryhausen. En ce sens, le beau dragon récalcitrant qui surgit en milieu de métrage, ou le titanesque serpent de mer auquel se heurte l’équipage du Passeur d’Aurore en plein climax, valent assurément le détour. Mais c’est loin de suffire pour rendre le film inoubliable.

 

© Gilles Penso

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BLACK CHRISTMAS (2006)

Le remake d'un slasher séminal des années 70, dirigé par un des réalisateurs récurrents de la série X-Files

BLACK CHRISTMAS

2006 – USA

Réalisé par Glenn Morgan

Avec Katie Cassidy, Michelle Trachtenberg, Kristen Cloke, Mary Elizabeth Winstead, Lacey Chabert, Andrea Martin, Chrystal Lowe

THEMA TUEURS

Source d’inspiration majeure de La Nuit des masques, le Black Christmas original, réalisé en 1974 par Bob Clark, est souvent considéré comme le mètre étalon du slasher moderne. La plupart des codes du genre y étaient en effet mis en place et exploités avec beaucoup d’originalité. Il était évident que tôt ou tard, la grande foire aux remakes des années 2000 se penche sur le sujet. C’est Glenn Morgan, pilier de la série X-Files et déjà réalisateur du remake d’un classique des seventies, Willard, qui se chargea de la relecture de ce « Noël Noir ». Un groupe d’étudiantes de la Clement University de Boston décide de réveillonner ensemble dans une maison où, jadis, vécut le psychopathe Billy Lenz. Maltraité par une mère alcoolique durant son enfance, enfermé dans le grenier, il donna naissance à Agnes, fruit de ses amours incestueux avec une génitrice décidément détestable. Au cours d’une révolte sanglante, il assassina cette dernière et la dévora avant d’atterrir dans une institution psychiatrique sous haute surveillance. Or aujourd’hui, Billy vient de s’évader de sa cellule et repart hanter la maison de son enfance avec une seule idée en tête : passer Noël en famille. Ce qui équivaut, dans son esprit dérangé, à transformer en chair à saucisse toutes les jeunes filles réunies chez lui pour les muer en sanglants trophées…

Contre toute attente, Glenn Morgan se débarrasse chaque fois que possible des oripeaux traditionnels du slasher pour tendre ouvertement vers une épouvante plus graphique, héritée des giallos italiens des années 60. Voir les gants noirs et les bottes du Père Noël filmés à la manière de ceux des tueurs de Mario Bava vaut déjà largement le détour ! D’ailleurs, l’emploi entêtant d’une ritournelle (en l’occurrence la « Danse de la Fée Dragée » de Tchaikovsky) s’inscrit dans la droite lignée des travaux de Dario Argento. Saturant ses couleurs, brisant l’horizontalité de ses cadrages, exagérant jusqu’à l’outrance ses effets gore, le réalisateur plonge ainsi dans le baroque le plus débridé et transcende du même coup ce qui n’aurait pu être qu’une simple variante d’Halloween et Scream version 24 décembre. Enfin, en apparence tout du moins.

Un tueur givré - au sens propre !

Car si toutes les scènes de flash-back nagent dans des eaux troubles et souvent malsaines (on y aborde frontalement l’inceste, la pédophilie, le cannibalisme) tout en basculant dans une horreur quasi-surréaliste, les séquences situées au présent n’apportent rien de neuf au genre, se contentant d’aligner des protagonistes sans saveur ni caractère pour mieux les massacrer selon une méthode éliminatoire galvaudée. Certes, la mise en scène de Morgan continue à surprendre (la mort dans la voiture couverte de neige), quelques trépas ne reculent devant aucune exubérance (le crâne transpercé par une stalactite) et ce tueur givré (au sens propre) qui arrache les yeux de ses victimes pour les dévorer sort un peu du lot. Mais l’ombre de Michael Myers et de Jason Voorhes plane d’un peu trop près sur ce Black Christmas. Restent les transgressions de l’imagerie de Noël (avec comme point d’orgue ce sapin orné de têtes décapitées !), toujours bienvenues en ces périodes de fêtes grasses et exagérément euphoriques.

 

© Gilles Penso

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JACK BROOKS, TUEUR DE MONSTRES (2007)

Cet hommage décomplexé aux films de monstres des années 80 refuse tout net les effets numériques au profit des bonnes vieilles techniques à l'ancienne

JACK BROOKS : MONSTER SLAYER

2007 – CANADA

Réalisé par Jon Knotz

Avec Trevor Matthews, Daniel Kash, David Fox, Dean Hawes, Rachel Skarsten, James A. Woods, Ashley Bryant

THEMA DIABLE ET DEMONS

Comme son titre le laisse imaginer, Jack Brooks, tueur de monstres est un film excessif et décomplexé qui nous ramène aux glorieuses années 80, en un temps révolu où les images de synthèse n’avaient pas droit de cité à l’écran et où l’horreur et le burlesque faisaient bon ménage. Après avoir conçu un certain nombre de courts-métrages très remarqués au sein de leur compagnie Brookstreet Pictures, le réalisateur Jon Knotz et l’acteur/producteur Trevor Matthews eurent l’idée de ce film abracadabrant. Le Jack Brooks du titre (incarné par Matthews) est un homme en proie à d’incontrôlables accès de colère et de violence. Traumatisé depuis le massacre de sa famille par une bête aux allures de lycanthrope alors qu’il était encore enfant, Jack est devenu plombier, consulte régulièrement un psychiatre (Daniel Kash) sans grands résultats et suit des cours du soir auprès d’un jovial professeur de chimie (Robert Englund).

Un soir, en effectuant un dépannage dans la maison de ce dernier en question, il éveille sans le savoir un démon ancestral enterré dans une vieille caisse. A l’intérieur gît un squelette poussiéreux et un cœur encore vivant qui possède soudain l’enseignant. Au cours d’une scène hilarante, l’homme se mue soudain en monstre boursouflé face à des étudiants médusés, triplant de volume tout en faisant jaillir de son corps difforme des tentacules interminables qui capturent ses proies humaines pour les dévorer vives ou les muer en démons à son service. Face à ce déchaînement de forces maléfiques, Jack Brooks prend les armes et se met en tête de pourfendre l’immonde créature…

Robert Englund en monstre glouton

Malgré l’outrance des séquences qu’il met en scène, Jon Knotz ne traite jamais son long-métrage sous l’angle de la parodie, pas plus qu’il ne s’attache à cligner de l’œil vers son public pour citer ses sources cinéphiliques. C’est donc avec un premier degré improbable que Jack Brooks nous est conté. L’humour découle naturellement des séquences hallucinantes qui ponctuent le film, des monstres aberrants qui s’y agitent et du jeu savoureux de Robert Englund (décidément très à l’aise dans le registre de la comédie). Le rejet opiniâtre des effets numériques induit des effets spéciaux rafraîchissants, presque anachroniques, à base d’animatronique, de maquillages spéciaux, de trucages mécaniques et de prothèses animées, sous la supervision d’Allan Cook (Resident Evil Apocalypse, Land of the Dead, Outlander). A mi-chemin entre Jack Burton, Histoires de fantômes chinois et la saga Freddy, ces effets résolument « eighties » manquent souvent de finesse (le cyclope de la forêt fleure bon le latex !) mais confèrent au film un charme irrésistible. Chaque apparition du monstre glouton qu’est devenu Robert Englund (une marionnette grandeur nature manipulée par une demi-douzaine d’animateurs) est une véritable source de ravissement pour les amateurs que nous sommes. Conçue comme le premier épisode d’une série de longs-métrages riches en créatures excentriques, cette fantaisie au budget modeste (deux millions et demie de dollars canadiens) connaîtra en 2010 une séquelle conçue par la même équipe de joyeux drilles.

© Gilles Penso

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L’OISEAU AU PLUMAGE DE CRISTAL (1970)

Le premier long-métrage de Dario Argento porte déjà en substance tout son univers, son esthétique et ses thématiques

L’UCCELLO DALLE PIUME DI CRISTALLO

1970 – ITALIE

Réalisé par Dario Argento

Avec Tony Musante, Suzy Kendall, Enrico Maria Salerno, Eva Renzi, Umberto Raho, Renato Romano

THEMA TUEURS I SAGA DARIO ARGENTO

Premier film de Dario Argento, L’Oiseau au plumage de cristal contient déjà en substance tout ce qui fera l’œuvre future du cinéaste : un recyclage du « giallo » que son mentor Mario Bava et maints autres cinéastes italiens ont longuement pratiqué (meurtres à l’arme blanche, assassins vêtus et gantés de noir, belles victimes féminines), quelques éléments thématiques et visuels empruntés à Hitchcock (en particulier à Psychose), un titre animalier poétique et mystérieux, et surtout un récit concentré sur une énigme liée à un souvenir faussé. Le film se déroule à Rome et prend pour héros Sam Dalmas (Tony Musante), un écrivain américain qui assiste en pleine nuit à l’agression d’une jeune femme par un homme tout de noir vêtu, à travers la vitrine d’une exposition d’art. La galerie étant fermée, Sam ne peut porter secours à la jeune femme qui se traîne de douleur, et il n’a pu apercevoir que la silhouette de l’agresseur. Mais son intervention permet au moins à l’assassin de s’enfuir avant de tuer sa victime. Devenu témoin numéro un, l’Américain voit sa vie menacée à plusieurs reprises, tandis que le tueur en série multiplie ses victimes. Sam essaie désespérément de se souvenir précisément du meurtre, mais tout s’est passé très vite, et il sent qu’un détail important échappe à sa mémoire. Sur l’enregistrement de plusieurs coups de téléphone anonymes que reçoit Sam, la police entend en arrière-plan un son répétitif, métallique, qui se révèle être le cri d’un oiseau rarissime, exposé dans un zoo à Rome. Cet élément va permettre aux enquêteurs de situer l’adresse du suspect…

Composant très adroitement sur le thème de l’interprétation arbitraire d’un événement aperçu brièvement, Argento renforce avec un talent alors très prometteur l’identification du public au personnage principal. « Ce qui m’intéressait dans ce film, c’était de jouer sur les à priori des spectateurs », nous explique-t-il. « Notre culture veut que si nous voyons une jeune femme en blanc lutter avec un homme tout en noir, nous pensions automatiquement qu’elle est la victime et lui l’agresseur. Cela altère nos perceptions, fausse notre jugement, et du coup nous croyons voir des choses alors qu’il n’en est rien. » (1) Ce motif deviendra récurrent dans l’œuvre d’Argento, et donnera naissance à quelques-unes de ses plus belles réussites.

Un style déjà très affirmé

A mi-chemin entre le récit policier et le film d’horreur, le réalisateur injecte déjà dans L’Oiseau au plumage de cristal un style très personnel, pas encore très marqué, certes, mais déjà fort reconnaissable. Les angles de prise de vue surprennent souvent, tout comme plusieurs rebondissements scénaristiques qui annoncent beaucoup ceux de Ténèbres. L’enquête policière, qui aurait pu emprunter la voie du classicisme, sert de prétexte à de nombreuses idées originales (la plus mémorable étant indiscutablement le bruit pendant l’appel téléphonique, qui donne au titre tout son sens, et dont l’idée sera reprise entre autres dans Peur sur la ville de Henri Verneuil et Le Fugitif d’Andrew Davis) ainsi qu’à des scènes d’épouvante relativement tempérées en regard des futures œuvres horrifiques de Dario Argento.

 

(1) Propos recueillis par votre serviteur en février 1994.

 

© Gilles Penso

 

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SUSPIRIA (1977)

Dario Argento s'éloigne des intrigues policières horrifiques dont il s'était fait une spécialité pour basculer dans le fantastique cauchemardesque

SUSPIRIA

1977 – ITALIE

Réalisé par Dario Argento

Avec Jessica Harper, Stefania Casini, Flavio Bucci, Miguel Bosé, Barbara Magnolfi, Susanna Javicoli, Udo Kier, Alida Valli

THEMA SORCELLERIE ET MAGIE I SAGA LES TROIS MERES I SAGA DARIO ARGENTO

Suspiria est la première incursion de Dario Argento dans l’univers du fantastique pur, la sorcellerie servant ici de base à l’intrigue. L’étrangeté s’y immisce d’emblée, dès l’arrivée de son héroïne Suzie (Jessica Harper) à l’aéroport. En pays étranger (elle est Américaine et vient s’inscrire dans une école de danse européenne, la prestigieuse Académie Talm), la jeune fille plonge dans un univers quasi-parallèle, ce que semble confirmer l’attitude bizarrement inquiétante des employés de l’établissement. Le surnaturel n’intervient pourtant pas tout de suite, Argento reprenant une partie des codes du « giallo » pour décrire un meurtre préliminaire extrêmement spectaculaire, au cours duquel une jeune fille est percée d’une dizaine de coups de couteau, le dernier perforant son cœur mis à nu. La victime traverse un vitrail et finit suspendue dans le vide. Pour autant, le traitement de l’horreur n’a rien de réaliste dans Suspiria. Le sang y ressemble à de la peinture rouge, muant presque la violence en une abstraction, une vue de l’esprit. D’ailleurs le rouge vif est très présent dans les décors et la lumière, évoquant le titre original d’un autre classique d’Argento, Profondo Rosso (Les Frissons de l’angoisse). Pour renforcer le caractère insolite du film, le cinéaste multiplie les cadrages inattendus, plaçant parfois sa caméra derrière une ampoule, à la place d’un verre de vin ou au-dessus d’un lavabo. 

Avec ce fameux premier meurtre, Argento exploite l’idée d’un témoin qui n’a aperçu que les bribes déformées d’un événement et tente d’en reconstituer le puzzle, comme dans L’Oiseau au plumage de cristal, récurrence que le cinéaste a toujours partagée avec Brian de Palma. On trouve également des correspondances avec l’univers de Lucio Fulci qui réutilisera plusieurs motifs de Suspiria : la pluie d’asticots (Frayeurs), l’agression du chien d’aveugle (L’Au-delà), l’attaque de la chauve-souris (La Maison près du cimetière). A pas feutrés, Suspiria bascule dans le Fantastique avec un grand F, les inquiétantes respirations nocturnes qui résonnent dans l’école de danse annonçant l’apparition furtive mais marquante d’une sorcière répondant à tous les critères physiques énoncés dans les contes des frères Grimm. « Pour ce film, je me suis beaucoup inspiré des contes de fées qu’on me racontait dans mon enfance, et même de certains dessins animés de Walt Disney », nous avoue d’ailleurs Argento. « Quand j’ai vu Blanche Neige et les sept nains, j’étais très jeune et le film m’avait sacrément effrayé. C’était une sorte de film d’horreur pour enfants. J’ai donc réutilisé toute cette imagerie pour Suspiria. C’est en quelques sortes un conte de fées moderne et horrifique. Voilà pourquoi on y trouve une héroïne innocente et fragile confrontée à l’adversité et à une méchante sorcière. Tous les symboles des contes traditionnels sont dans le film : la magie, l’école de jeunes filles, et même le loup (qui s’est transformé ici en chien d’aveugle dévorant son maître). » (1)

L'antre de la folie

Avec Suspiria se met en place la mythologie des « Trois Mères » que Dario Argento déclinera sur deux autres longs-métrages, Inferno et Mother of Tears. Un psychiatre que consulte Suzie lui apprend ainsi que l’Académie Talm a été fondée en 1895 par Elena Marcos, une sorcière répondant au doux surnom de « Reine Noire », avant d’affirmer avec matérialisme que « le malheur ne vient pas des miroirs fêlés mais des cerveaux fêlés ». Suspiria serait-il donc une allégorie de la folie ? « La folie et la magie ont toujours été associées dans l’histoire de l’humanité », nous répond Argento. « Les gens possédés par le démon sont systématiquement taxés de malades mentaux par la science et la médecine. La plupart de ceux qui prétendent disposer de dons paranormaux ou de pouvoirs magiques sont considérés comme des fous. Mais les choses ne sont peut-être pas aussi simples. D’ailleurs, dans cette même scène, un autre psychologue, beaucoup moins rationnel, affirme : “la magie est une chose à laquelle tout le monde a toujours cru“. C’est Rudolf Schündler, un acteur qui jouait dans de vieux films de Fritz Lang, qui interprète ce personnage. Je ne l’ai pas choisi au hasard ! » (2) A l’extraordinaire direction artistique du film s’ajoute une inoubliable bande originale du groupe Goblin, jouant sur les sonorités des boîtes à musique et les halètements oppressants, et parachevant ce que d’aucuns considèrent comme LE chef d’œuvre de Dario Argento.

 

(1) et (2) Propos recueillis par votre serviteur en février 2011

 

© Gilles Penso

 

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LA PLANETE DES DINOSAURES (1978)

Un groupe d'astronautes s'échoue sur une planète peuplée de créatures préhistoriques, dont un redoutable T-rex qui entend bien défendre son territoire

PLANET OF DINOSAURS

1977 – USA

Réalisé par James K. Shea

Avec James Whitworth, Pamela Bottaro, Harvey Shain, Louie Lawless, Charlotte Speer, Chuck Pennington, Derna Wylde

THEMA DINOSAURES

Voilà ma foi un petit film indépendant fort sympathique qui utilise un scénario de science-fiction prétexte pour accumuler de magnifiques séquences d’animation image par image mettant en scène des dinosaures très réussis et surtout très nombreux. Explorant les confins de notre galaxie, une fusée terrienne découvre une planète inconnue. Contraints d’abandonner leur vaisseau spatial, qui s’enfonce dans le lac sur lequel ils se sont posés, les nouveaux naufragés vont devoir affronter un monde peuplé de monstres préhistoriques agressifs ardemment décidés à protéger leur territoire. Conçus par James Aupperle, tous les animaux sont sculptés et moulés par Stephen A. Czerkas, spécialisé dans les reconstitutions de dinosaures pour les musées, les académies de sciences et les centres d’éducations, et principalement animés par le talentueux Doug Beswick (Evil Dead 2, Freddy 3, Beetlejuice).

Le premier saurien à faire son apparition est un massif brontosaure qui mâchonne tranquillement des fougères en observant les visiteurs. Bien plus pugnace, un quadrupède cornu aux allures de tricératops se met bientôt à courser l’un des hommes jusqu’au bord d’un précipice avant de lui planter sa corne dans le ventre, en une variante sanglante de la scène du chasmosaure de Quand les dinosaures dominaient le monde. Parmi les autres rencontres guère engageantes de l’équipage se trouve une araignée géante qui attaque l’une des naufragées dans une grotte. Mais la star du film est un redoutable tyrannosaure qui lutte contre un stégosaure, dévore un jeune allosaure et tue un sosie du Monstre des temps perdus, le temps d’un clin d’œil pour le moins inattendu au maître incontesté de la stop-motion. « C’était un vrai bonheur de faire bouger une créature que Ray Harryhausen avait animée avant moi ! » reconnaît avec joie Doug Beswick (1). Le tyrannosaure vedette finit d’ailleurs empalé sur un pieu, comme l’allosaure de Un million d’années avant JC.

D'excellentes séquences en stop-motion

C’est donc un véritable festival non-stop qui ne peut que combler les fans d’animation. Certes, les mouvements et les « expressions » des créatures ne vont pas aussi loin que les merveilles que nous offrirent jadis Ray Harryhausen et Jim Danforth, mais les monstres préhistoriques de La Planète des dinosaures restent dans le domaine des plus réussis jamais vus à l’écran, ce qui constitue un véritable exploit pour un film aussi modeste. En outre, les rétro-projections, les sols miniatures et les caches qui permettent la confrontation avec les humains ne trahissent jamais le travail des animateurs. Il faut également signaler les belles peintures sur verre de Jim Danforth qui prolongent les paysages réels. « Il fallait trouver des tas d’idées pour que rien ne coûte trop cher, car le budget de ce film était très faible », se souvient Beswick (2). Le seul véritable regret qu’on puisse formuler, en dehors du jeu très approximatif des comédiens, concerne la musique synthétique, assez peu audible. Quelque dix ans plus tard, Fred Olen Ray réutilisera des plans de ces dinosaures très photogéniques pour The Phantom Empire. Ces sauriens, qui ont décidément la vie longue, réapparaîtront également sous forme de stock-shots dans Galaxy of Terror en 1992.

 

(1) et (2) Produits recueillis par votre serviteur en avril 1998. 

© Gilles Penso

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5150 RUE DES ORMES (2009)

Un jeune cycliste est séquestré par un psychopathe aux allures de tranquille père de famille

5150 RUE DES ORMES

2009 – CANADA

Réalisé par Eric Tessier

Avec Marc-André Grondin, Normand d’Amour, Sonia Vachon, Mylène St-Sauveur, Elodie Larivière, Catherine Bérubé

THEMA TUEURS

Suite à une chute de vélo, Yannick, un étudiant en cinéma, frappe à la porte de Jacques Beaulieu, au 5150 rue des Ormes, au bout d’une allée tranquille dans une petite ville sans histoire. Mais sous ses airs affables, Beaulieu est un déséquilibré qui mène d’une main de fer sa famille et séquestre sans raison Yannick dans une petite chambre au premier étage. Tandis que le jeune homme tente par tous les moyens de s’échapper, son geôlier semble sur le point de peaufiner un mystérieux projet qu’il camoufle dans sa cave… Partagé entre l’humour noir, l’horreur psychologique et le suspense, 5150 rue des Ormes parvient sans faille à nous captiver et à conserver une unité de ton grâce à l’indéniable savoir-faire du réalisateur Eric Tessier, signant ici son troisième long-métrage après le drame d’épouvante Sur le seuil et la comédie Vendus. Sa mise en scène minutieuse et ses comédiens très convaincants emportent immédiatement l’adhésion et savent habilement jouer avec nos nerfs tout au long de cette œuvre atypique laissant entrevoir la possibilité d’un souffle de vent nouveau sur le cinéma populaire canadien. « Nous nous sommes efforcés de donner à chaque personnage sa propre courbe dramatique, et je trouvais intéressant de suivre chacun d’entre eux indépendamment », explique Eric Tessier. « Mais il est difficile, au cinéma, de multiplier les personnages sans perdre le spectateur. A la télévision, c’est beaucoup plus simple parce qu’on peut étaler les histoires sur de nombreux épisodes » (1). 

Évacuant tout manichéisme trop évident, Eric Tessier et son scénariste Patrick Sénécal (auteur du roman homonyme dont s’inspire le film) s’attachent ainsi tour à tour à tous les acteurs du drame, bourreaux ou victimes, et parviennent à développer pour chacun d’eux une problématique susceptible de toucher les spectateurs. Le père Beaulieu est tellement attaché aux valeurs morales qu’il bascule sans s’en rendre compte dans la psychopathie ; son épouse se soumet au régime autocratique familial en enterrant ses doutes sous d’épaisses couches de bigoterie judéo-chrétienne ; la fille aînée développe une frustration grandissante face à sa propre incapacité à satisfaire les exigences paternelles ; la cadette s’enferme dans un mutisme pathologique qui pourrait bien être une forme cachée de lucidité… 

Secrets de famille

« Chaque famille a son propre fonctionnement, sa propre logique », raconte Tessier. « Et quand on rencontre Beaulieu dans le film, le tortionnaire, on trouve ses actes épouvantables mais on n’arrive pas vraiment à le détester. Cet aspect ambigu, un peu malsain, m’intéressait beaucoup » (2). Quant à notre captif, il lutte comme il peut pour conserver sa raison et, à l’instar de l’infortuné héros du « Joueur d’échec » de Stefan Zweig, trompe son ennui en imaginant des affrontements de pièces noires et blanches sur un échiquier virtuel, ce qui plonge certaines séquences du film dans un onirisme surréaliste inattendu. De toute évidence, Eric Tessier est un réalisateur à suivre désormais de très près, et le final paroxystique de 5150 rue des Ormes, duquel personne ne ressortira indemne, nous donne déjà envie de découvrir ses futurs travaux de cinéaste.

 

(1) et (2) Propos recueillis par votre serviteur en février 2010.

 

© Gilles Penso

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LE DERNIER EXORCISME (2010)

Une variante de L'Exorciste en « found footage » qui hélas ne tient pas toutes ses promesses

THE LAST EXORCISM

2010 – USA

Réalisé par Daniel Stamm

Avec Patrick Fabian, Ashley Bell, Louis Herthum, Iris Bahr, Caleb Landry Jones, Tony Bentley, Becky Fly, Shanna Forrestall

THEMA DIABLE ET DEMONS

A priori, un film d’horreur tourné en vidéo, façon reportage à la première personne, n’a rien de foncièrement d’original après Le Projet Blair Witch, [Rec]CloverfieldDiary of the Dead ou encore Paranormal Activity. Si en outre le scénario tourne autour d’un prêtre parti exorciser une adolescente possédée, l’appréhension du sentiment de déjà-vu guette légitimement tout spectateur normalement constitué. Pourtant, dès ses premières minutes, Le Dernier exorcisme parvient à nous intriguer et à manifester une tonalité surprenante, loin des sentiers que l’on craignait battus. « Il est très difficile d’innover, notamment dans le domaine de l’horreur », avoue le réalisateur Daniel Stamm, repéré par les producteurs grâce à son faux documentaire A Necessary Death. « Tout tourne autour de sujets qui sont liés aux terreurs primaires que nous avons tous depuis notre enfance. Ce sont des thèmes fascinants auxquels tout le monde peut s’identifier, mais ils ont été déclinés des milliers de fois au cours de l’histoire du cinéma. Trouver un sujet inédit dans ce domaine est donc en soi très compliqué. Avec l’exorcisme, le champ se restreint davantage encore. Voilà pourquoi il est nécessaire de trouver l’angle narratif qui fera la différence. Dans le cas du Dernier exorcisme, nous avons choisi un protagoniste inhabituel tout en injectant dans l’intrigue beaucoup d’humour, du moins au début. » (1)

 

Le protagoniste du Dernier exorcisme est le révérend Cotton Marcus (Patrick Fabian), un homme d’église en perte de foi s’efforçant de démontrer la supercherie que camouflent la plupart des séances d’exorcisme. Il accepte donc qu’une équipe de tournage le suive au cours d’une de ses « missions divines » et s’équipe de tout un attirail d’accessoires truqués (crucifix à fumigène, enregistrement de fausses voix démoniaques, systèmes de câbles pour faire trembler le mobilier, etc…). Il choisit au hasard une des nombreuses lettres qu’il reçoit quotidiennement, en l’occurrence celle d’un fermier persuadé que sa fille est possédée par le démon, et s’enfonce dans la campagne profonde en compagnie d’un caméraman et d’une journaliste. L’accueil qu’il reçoit sur place est plutôt mitigé : si le père, un homme simple et bigot, et si sa fille Nell, une adolescente joviale mais visiblement troublée psychiquement, se réjouissent de sa venue, le fiston de la famille, pour sa part, le regarde d’un œil très mauvais. Les séances de faux exorcisme commencent, mais bientôt les convictions de Cotton et de sa petite équipe vont être mises à rude épreuve…

Un procédé filmique qui ne s'assume pas

Toute la première moitié du Dernier exorcisme s’avère savoureuse, grâce au jeu cynique de Patrick Fabian, au regard distancié que le film porte sur le fanatisme religieux (avec une parodie assumée des séquences clef de L’Exorciste entrées dans l’inconscient collectif) et à la mise en scène minutieuse de Daniel Stamm. Mais en cours de route, toute rigueur semble s’évaporer. Le langage filmique, qui respectait jusqu’alors le principe d’un documentaire tourné par une petite équipe vidéo, fait soudain fi de toute logique. Les discussions sont filmées en champ et contrechamp (un procédé évidemment impossible avec une seule caméra), une musique d’ambiance et des effets de montage purement cinématographiques brisent tout sentiment de réalisme… Pire : au moment où Nell, visiblement possédée, se contorsionne atrocement, le caméraman choisit de filmer les réactions des gens présents au lieu de rester concentré sur le phénomène ! Tous ces choix de réalisation, conçus pour dynamiser le montage et laisser vagabonder l’imagination du spectateur, sont incompatibles avec l’idée d’un tournage subjectif. Le scénario lui-même oublie ses innovations initiales, accumulant les lieux communs jusqu’à imiter servilement (et cette fois ci sans aucun second degré) L’Exorciste et Rosemary’s Baby. « Mieux vaut partir du cliché qu’y arriver » disait Alfred Hitchcock. Stamm et son producteur Eli Roth, hélas, ont fait exactement le contraire.

 

(1) Propos recueillis par votre serviteur en janvier 2022

© Gilles Penso

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PIRANHA 3D (2010)

Alexandre Aja revisite le petit classique de Joe Dante dont il tente de retrouver l'équilibre entre humour et horreur

PIRANHA 3D

2010 – USA

Réalisé par Alexandre Aja

Avec Elisabeth Shue, Jerry O’Connell, Steven R. McQueen, Jessica Szohr, Kelly Brook, Ving Rhames, Christopher Lloyd

THEMA MONSTRES MARINS I SAGA PIRANHAS I ALEXANDRE AJA

Troisième remake consécutif réalisé par Alexandre Aja, après La Colline a des yeux et MirrorsPiranha 3D ressemble à une parenthèse dans la carrière du jeune cinéaste, une sorte de récréation lui permettant de projeter sur grand écran un patchwork d’influences liées aux films de son adolescence. Ainsi, malgré l’outrance de ses effets gore craspecs et les déshabillages intempestifs de ses figurantes siliconées (héritage respectif des films d’horreur et des teen movies des années 2000), cette relecture du Piranhas de Joe Dante (qui fit déjà l’objet d’un remake en 1995) fleure bon les années 80. Le casting témoigne ouvertement de cette tendance, offrant des rôles référentiels à Elisabeth Shue (Karate Kid, Cocktail), Jerry O’Connell (Stand by me), Christopher Lloyd (Retour vers le futur) et Richard Dreyfuss (Les Dents de la mer).

L’utilisation du relief elle-même, argument marketing important du film, n’a jamais la prétention de révolutionner le langage cinématographique mais relève plutôt du gimmick de base qui consiste à envoyer un maximum de projectiles, de monstres grimaçants ou de poitrines plantureuses à la figure des spectateurs, comme au bon vieux temps des Dents de la Mer 3D ou de Meurtres en trois dimensions. S’il reprend le principe du film de Joe Dante et quelques éléments de sa structure narrative, le scénario de ce Piranha n’en conserve ni le scénario, ni les personnages. Ici, les poissons voraces ne sont pas le fruit de manipulations de l’armée mais trouvent leur origine au fin fond de la préhistoire, un séisme sous-marin les ayant soudain ramenés dans le lac Viktoria. Or c’est justement dans ce cadre idyllique que viennent s’ébattre tous les étés des centaines d’adolescents écervelés afin de jouir des innombrables activités culturelles offertes par le « Springbreak » : concours de t-shirts mouillés, beuveries à la bière, ski nautique topless, musique techno envahissante et orgies en tous genres. Evidemment, voilà un repas fort appétissant pour nos piranhas antédiluviens.

Sea, Sex and Blood

« À travers mes films, j’essaie toujours de me mettre du côté des gens qui vont traverser des expériences extrêmes et lutter pour leur survie », explique le réalisateur. « La seule exception est Piranhas 3D où, pour une fois, je suis du côté des monstres, pas de leurs victimes. Je me suis amusé à inverser la tendance parce que ce film est avant tout une comédie. » (1) Certes, le second degré omniprésent est souvent très réjouissant, les séquences horrifiques dégoulinent sans réserves (le massacre final est à ce titre un véritable morceau d’anthologie, porté par des effets de maquillage hallucinants de l’atelier KNB) et l’érotisme dévergondé force la sympathie. Mais à tant vouloir se défouler, Alexandre Aja omet l’essentiel : la construction de personnages intéressants et l’élaboration de séquences de suspense propres à solliciter la participation active du public. A force d’excès, rien ne nous touche et l’impact du film s’en ressent fatalement. Joe Dante lui-même, lorsqu’il décrivait les méfaits joyeux des Gremlins, n’oubliait jamais en cours de route de s’attacher à ses protagonistes. Rien de tel ici. Comme en outre l’humour graveleux frôle par moments l’indigestion (un pénis sectionné coule à pic, puis un piranhas s’en empare, avant qu’un autre ne lui dispute ce met de choix, le membre est enfin englouti avec voracité, puis régurgité avec un rôt bruyant, le tout en plan séquence…) et que les effets 3D approximatifs, bricolés à la va-vite après le tournage, nous assènent quelques dédoublements et effets de flous propices à la migraine, le bilan demeure finalement très mitigé.


(1) Propos recueillis par votre serviteur en juin 2021

 

© Gilles Penso

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