SPIDER-MAN 2 (2003)

Sam Raimi transforme l'essai et confronte l'homme-araignée au fascinant mais redoutable Docteur Octopus

SPIDER-MAN 2

2003 – USA

Réalisé par Sam Raimi

Avec Tobey Maguire, Kirsten Dunst, James Franco, Alfred Molina, Rosemary Harris, J.K. Simmons, Donna Murphy, Dylan Baker

THEMA SUPER-HEROS I ARAIGNEES I SAGA SPIDER-MAN I MARVEL

Après avoir si brillamment retranscrit l’univers de l’homme-araignée dans Spider-Man, on imaginait mal comment Sam Raimi allait pouvoir se prêter au jeu de la séquelle en évitant les redites. C’était compter sans son talent, son inventivité et son grain de folie. Car si Spider-Man 2 reprend à son compte la quasi-totalité des composantes de son prédécesseur, c’est pour mieux les transcender. Plus drôle, plus émouvant, plus mouvementé encore que le premier film, Spider-Man 2 s’avère surtout plus profond. La première partie du scénario est une véritable épreuve émotionnelle, car notre pauvre Peter Parker y souffre le martyre, ballotté entre son incapacité à garder un travail fixe, ses déboires amoureux avec Mary-Jane Watson, son amitié chancelante avec Harry Osborn, ses échecs scolaires et les problèmes financiers de sa tante. Bref, c’est un éprouvant parcours du combattant, à l’issue duquel il accuse de tous les maux son alter-ego et décide d’abandonner le métier de super-héros. D’où ce plan mémorable où la panoplie de Spider-Man gît dans une poubelle, tandis que Peter s’éloigne dans une ruelle sombre, de dos, abattu… Une image directement reprise à l’une des sublimes vignettes dessinées par John Romita.

Car ce second Spider-Man parvient aussi à coller davantage à l’esprit du comic book original, s’inscrivant d’ailleurs dans une atmosphère atemporelle et colorée à mi-chemin entre le 21ème siècle et les années 60. D’où l’emploi du fameux tube « Raindrops Keep Fallin’ On My Head » de Burt Bacharach. N’oublions pas que l’homme-araignée est avant tout une incontournable icône des sixties, au moins autant que les Beatles, que Sean Connery dans les premiers James Bond ou que Raquel Welch posant en peau de bête sur l’affiche d’Un million d’années avant JC. L’une des faiblesses du premier opus était l’apparence du Bouffon Vert, une espèce de Joker en résine peu fidèle à son modèle dessiné. La donne a changé ici, avec l’un des plus beaux super-vilains de l’histoire du cinéma, un Docteur Octopus magnifiquement interprété par Alfred Molina, dont les redoutables tentacules télescopiques sont animés d’une vie propre et annihilent peu à peu sa volonté.

Les tentacules du chaos

Cette véritable incarnation en chair, en os et en image de synthèse des dessins de Steve Ditko et John Romita, nous vaut quelques homériques séquences d’affrontements avec le tisseur de toile, notamment une ébouriffante échauffourée sur le toit d’un métro lancé à vive allure. Octopus permet à Sam Raimi de lorgner du côté du film d’horreur, genre qui l’a rendu célèbre, notamment au cours de la scène où les médecins tentent d’extirper les tentacules du torse du docteur. Le cinéaste s’amuse d’ailleurs à cligner de l’œil vers certains titres phares de sa filmographie, notamment Evil Dead (notre héros qui n’en finit plus de se prendre des meubles sur la figure), Evil Dead 2 (le combat à la tronçonneuse contre l’un des tentacules) et Darkman (Octopus trouve refuge dans un entrepôt délabré et décide d’y reconstruire son laboratoire). Bref, Spider-Man 2 est une éblouissante réussite, qui s’achève à la fois sur une note joyeuse (enfin !) et sur un cliffhanger inquiétant, prélude à un troisième opus inévitable.

 

© Gilles Penso

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SUPERMAN RETURNS (2006)

Le réalisateur des X-Men relance les aventures de "l'homme d'acier" en rendant un hommage direct à Richard Donner et Christopher Reeve

SUPERMAN RETURNS

2006 – USA

Réalisé par Bryan Singer

Avec Brandon Routh, Kate Bosworth, Kevin Spacey, James Marsden, Frank Langella, Parker Posey, Eva Marie Saint

THEMA SUPER-HEROS I SAGA SUPERMAN I DC COMICS

Le voilà donc, ce fameux Superman Returns qu’on craignait de ne jamais voir éclore sur nos écrans, tant le projet semblait englué dans sa phase de développement. A l’issue d’un interminable jeu de chaises musicales, le projet échut finalement à Bryan Singer. « Avec les X-Men, j’avais une certaine marge de manœuvre, parce qu’aucun film le leur avait été encore consacré », explique le cinéaste. « Mais Superman est présent dans l’inconscient collectif grâce aux comics, aux émissions radiophoniques, aux dessins animés, aux séries TV, et surtout au film de Richard Donner que j’adore. J’ai donc dû trouver le juste équilibre entre l’hommage et l’originalité. » (1) Ainsi, contrairement à un Batman Begins qui faisait table rase sur toutes les adaptations l’ayant précédé, Superman Returns s’inscrit pleinement dans la continuité du classique de 1978.

Nouveau venu sur le grand écran, Brandon Routh prend dignement la relève du regretté Christopher Reeve (à qui le film est dédié), avec le subtil mixage de charisme et de naïveté qui sied si bien au héros. A ses côtés, la pétillante Kate Bosworth campe Loïs Lane, tandis que Kevin Spacey et Frank Langella nous régalent de leurs performances hautes en couleur, dans les rôles respectifs du super-vilain Lex Luthor et du rédacteur en chef Perry White. « Bryan Singer est resté le même réalisateur qu’à l’époque d’Usual Suspects », constate Spacey « Même avec un budget colossal et des effets spéciaux à foison, il continue à s’intéresser d’abord aux êtres humains ». (2) Les cinéphiles découvriront par ailleurs avec joie que la mère adoptive de Clark Kent est incarnée par Eva Marie Saint, mémorable héroïne de La Mort aux trousses même si son rôle est hélas réduit à une poignée de minutes trop courtes.

« C'est un oiseau ? C'est un avion ? »

Marlon Brando lui-même fait une apparition posthume dans le rôle de Jor-El, le père de Superman, sous forme d’un hologramme réutilisant des rushes tournés par Richard Donner. Les puristes crieront peut-être au sacrilège, mais il faut surtout voir là une véritable déclaration d’amour de Bryan Singer au film qui berça ses jeunes années. D’où la reprise par le compositeur John Ottman des célèbres thèmes composés par John Williams, ou la réadaptation de quelques morceaux d’anthologie du film de 1978. Ainsi, le sauvetage de Loïs dans l’hélicoptère en perdition trouve-t-il ici écho dans une époustouflante séquence au cours de laquelle un bœing 777 s’apprête à exploser en plein vol. L’inoubliable envolée romantique du super-héros et de la belle journaliste a elle aussi droit à une nouvelle variante, nos deux protagonistes virevoltant avec grâce au-dessus d’un Metropolis numérique. Mais Singer ne s’est pas contenté de cligner de l’œil vers le film de Richard Donner. Soucieux de séduire les amateurs de la première heure de l’homme d’acier, il s’est amusé à reconstituer la couverture du premier numéro d’Action Comics, dans lequel Superman faisait ses premiers pas en 1938, ou à reprendre sur un ton semi-parodique de la fameuse réplique « C’est un oiseau ? C’est un avion ? Non c’est Superman ! » « Je regrette de ne pas avoir moi-même les pouvoir de Superman », conclue Singer. « Ça m’aurait permis de réaliser Superman Returns et X-Men : l’Affrontement Final en même temps ! » (3)

 

(1), (2) et (3) Propos recueillis par votre serviteur en juillet 2006

 

© Gilles Penso

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CAPTAIN AMERICA (1990)

Après la version ratée des années 70, Albert Puyn tente à son tour de porter à l'écran le célèbre super-héros de Marvel, sans beaucoup plus de succès

CAPTAIN AMERICA

1990 – USA

Réalisé par Albert Puyn

Avec Matt Salinger, Ronny Cox, Ned Beatty, Michael Nouri, Melinda Dillon, Darren McGavin, Kim Gillingham

THEMA SUPER-HEROS I SAGA CAPTAIN AMERICA I MARVEL

Comme Superman et Batman, Captain America, créé par le scénariste Joe Simon et le dessinateur Jack Kirby en 1940, eut droit à son adaptation sous forme de serial, en 1944. Il ne réapparut sur les écrans qu’en 1979, via deux téléfilms médiocres produits dans la foulée de L’Homme Araignée et L’Incroyable Hulk. Cette nouvelle relecture, plus moderne, était donc attendue avec un peu d’espoir. Le producteur Menahem Golan, qui possédait à l’époque une partie des droits de Spider-Man mais ne parvint jamais à en tirer un film, confia les rênes de ce nouveau Captain America à Albert Pyun (L’Épée sauvage, Cyborg) et se mit en quête d’un acteur susceptible d’attirer les foules. Mais après les désistements successifs d’Arnold Schwarzenegger, Val Kilmer et Dolph Lungren, c’est l’inconnu et bien peu charismatique Matt Salinger qui se retrouve en tête d’affiche. Le film démarre en 1936, dans l’Italie de Mussolini. Le calme d’une réunion familiale est brusquement interrompu par l’intervention d’une faction armée qui massacre tout le monde à l’exception d’un jeune garçon, enlevé « pour son intelligence supérieure ». Car dans la forteresse de Lorenzo, les nazis pratiquent des expériences visant à créer des soldats invincibles à la force et à l’intelligence accrues. 

Le premier fruit de leurs expériences est un rat monstrueux et écarlate qui s’agite furtivement dans une cage via un amusant effet spécial en animation image par image. Alors que l’enfant s’apprête à subir la même expérience pour se transformer en redoutable Crâne Rouge, le docteur Vasali, qui participe au programme, s’enfuit et part proposer ses services aux Etats-Unis. Sept ans plus tard, Washington s’apprête à son tour à créer un super-soldat et cherche un volontaire. Atteint de polio, Steve Rogers, dont le père est mort au combat, se soumet aux tests et se transforme aussitôt en surhomme. Affublé d’un costume rouge et bleu assez ridicule (dessiné par Jack Kirby c’est très seyant, mais à l’écran au secours !), il court empêcher Crâne Rouge d’envoyer un missile sur la Maison Blanche. Accroché à la fusée, il se crashe en Alaska et ne se réveille que dans les années 90, découvert non pas par les Vengeurs, comme dans la BD, mais par une banale expédition polaire. Tel Hibernatus, notre vaillant justicier découvre un monde qu’il ne connaît pas et s’apprête à reprendre son combat contre l’infâme Crâne Rouge.

Un film anachronique

La première erreur de ce Captain America est de s’emparer d’un concept passablement dépassé sans chercher à le réadapter à son époque ni à le transcender. Des répliques aussi improbables que « il n’est peut-être pas Superman mais il sera le vivant symbole des valeurs de la nation américaine » ponctuent ainsi le métrage. Le scénario piétinant lourdement pendant 90 interminables minutes, la mise en scène n’assurant même pas le service minimum (rarement poursuites et batailles furent aussi mal filmées), la bande originale fleurant bon le synthétiseur et les comédiens n’exprimant rien (à l’exception peut-être de Scott Paulin assez convainquant sous un maquillage grimaçant créé par Greg Cannom), Captain America fut une cruelle déception que les distributeurs américains n’osèrent même pas sortir sur leur propre territoire.

 

© Gilles Penso

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SUPER-HEROS MOVIE (2008)

Une parodie poussive des films de justiciers masqués qui cultive un humour hérité de la série des Scary Movie

SUPERHERO MOVIE

2008 – USA

Réalisé par Craig Mazin

Avec Drake Bell, Sara Paxton, Christopher McDonald, Leslie Nielsen, Marion Ross, Pamela Anderson, Regina Hall

THEMA SUPER-HEROS I INSECTES ET INVERTEBRES

Si plusieurs films se sont efforcés de passer à la moulinette le thème universel des super-héros, (la série des Toxic AvengerMeteor Man, Mystery Men), aucun n’avait encore tiré parti de l’extrême regain de popularité de ce sous-genre de la science-fiction provoqué par les sagas X-Men et Spider-Man. Fort de son expérience indiscutable dans le domaine de la parodie (Y’a-t-il un pilote dans l’avion ?, Top Secret, Y’a-t-il un flic pour sauver la reine ?), David Zucker s’est efforcé de combler cette lacune en produisant Super-Héros Movie et en sollicitant Craig Mazin (auteur de Scary Movie 3 et 4) pour l’écrire et le réaliser. Le résultat laisse pantois et confirme une équation mathématique imparable : sans ses comparses Jerry Zucker et Jim Abrams, David Zucker n’est qu’à un dixième de son potentiel, tant notre homme s’avère incapable de mettre sur pied un pastiche digne de ce nom.

Les clins d’œil cinéphiliques, le rythme enlevé, les répliques hilarantes et les arrière-plans surréalistes qui nous faisaient hurler de rire dans Airplane  et Top Secret se sont bel et bien évaporés ici. Suivant servilement l’exemple de Scary MovieSuper-Héros Movie se contente donc de photocopier scène par scène le scénario du premier Spider-Man, cherchant maladroitement à tirer parti du potentiel comique de toutes les situations jadis mises en scènes par Sam Raimi, et se complaît dans un humour graveleux digne des petites sections de maternelle : flatulences à répétition, jets d’urine, crottes d’animaux, tout y passe ! Peter Parker s’appelle ici Rick Riker, Mary-Jane Watson est devenue Jill Johnson, l’araignée est remplacée par une libellule… Voilà pour les nouveautés.

Leslie Nielsen en émule d'oncle Ben

Quant au super-vilain, il s’agit d’un savant fou mixant vaguement les personnalités du Bouffon Vert et du Docteur Octopus et répondant au nom de Sablier. Chaque fois qu’il touche un être humain, celui-ci vieillit à vitesse grand V. L’ennemi semble donc redoutable, mais étant donné que le script n’en tire aucun parti, le spectateur a tôt fait de se désintéresser du sort des personnages. Car la grande force des parodies du trio ZAZ était de construire de toutes pièces des intrigues originales, au sein desquelles s’inséraient les références aux autres films, et d’inciter le public à s’inquiéter pour les héros. Entre deux éclats de rire, nous voulions que Robert Hays et Julie Hagerty parviennent à faire atterrir leur avion sans encombre, que Val Kilmer échappe à ses poursuivants est-allemands… Rien de tel ici, d’autant que Drake Bell,le comédien principal, ne dégage ni charme ni charisme. En guest-star, on retrouve l’indéboulonnable Leslie Nielsen en émule de l’oncle Ben, ainsi que Pamela Anderson en femme invisible (dont l’uniforme des Quatre Fantastiques a bien du mal à contenir son imposant poitrail) et Regina Hall en femme du Docteur Xavier (le temps d’un clin d’œil appuyé aux X-Men). Seul l’étonnant Miles Fisher parvient à déclencher nos zygomatiques. Il faut dire que son imitation de Tom Cruise est franchement irrésistible. Les amateurs peuvent d’ailleurs largement en profiter au cours du générique de fin qui accumule bon nombre de gags coupés au montage.

© Gilles Penso 

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BATMAN BEGINS (2005)

Pour redorer le blason du Chevalier Noir terni par le diptyque disco de Joel Schumacher, Christopher Nolan adopte une approche sombre et réaliste

BATMAN BEGINS

2005 – USA

Réalisé par Christopher Nolan

Avec Christian Bale, Gary Oldman, Michael Caine, Katie Holmes, Morgan Freeman, Rutger Hauer, Liam Neeson

THEMA SUPER-HEROS I SAGA BATMAN I DC COMICS

La saga cinématographique Batman semble reposer sur le principe du contre-courant, comme si chaque relecture du mythe visait principalement à s’opposer à la précédente. Ainsi, après le sérial kitsch et coloré de Leslie H. Martinson, les visions gothiques de Tim Burton et les délires disco de Joel Schumacher, place à une nouvelle noirceur. Exit les costumes multicolores, les cités art-déco, les gadgets futuristes et les méchants de cartoon. D’où le choix du metteur en scène Christopher Nolan, porté aux nues par deux thrillers atypiques, Memento et Insomnia, et du comédien Christian Bale, évacuant le second degré de Michael Keaton et le glamour de Val Kilmer et George Clooney.

Le cahier des charges de Nolan (crédibilité à tout prix) s’avère louable, mais au-delà d’une volonté farouche chez Warner de relancer une franchise potentiellement rémunératrice, on s’interroge quelque peu sur la nécessité d’une telle préquelle. Car après tout, le premier Batman de Tim Burton nous racontait déjà les origines du super-héros, à travers un flash-back évoquant la mort des parents de Bruce Wayne et la transformation progressive du jeune garçon en justicier sur-équipé. Le scénario de Batman Begins emprunte donc des chemins déjà balisés, même s’il propose une approche intéressante, émaillée de choix artistiques novateurs. Ainsi suit-on le parcours semé d’embûches d’un Bruce Wayne meurtri, fréquentant la plus basse engeance pour mieux connaître le mal qu’il souhaite combattre, croupir dans une prison asiatique, se former aux arts martiaux auprès d’une mystérieuse confrérie, puis retourner dans son Gotham City natal pour se muer en homme-chauve-souris.

La vengeance doit-elle se substituer à la justice ?

Le récit jongle ici avec deux interrogations passionnantes, qui nourrissent le personnage et ses motivations : la vengeance doit-elle se substituer à la justice, et peut-on retourner ses propres terreurs contre ses ennemis ? Car dans ses plus tendres années, Bruce Wayne fut traumatisé par une horde de chauves-souris au fin fond d’un souterrain qu’il transformera plus tard en batcave. Son équipement, Batman le puise dans les prototypes militaires non utilisés par la toute-puissante compagnie Wayne Entreprises fondée par son père. D’où un costume fonctionnel arborant un logo discret, et surtout une batmobile évacuant la ligne futuriste des précédents modèles pour se muer en char blindé noir et anonyme. Cette volonté de réalisme se prolonge dans la chorégraphie des combats, bruts et nerveux, et dans le choix des effets spéciaux, réduisant au maximum les images de synthèse. Dommage que la bande originale, conjointement signée Hans Zimmer et James Newton Howard, se contente de jouer la carte du remplissage sans laisser place au moindre thème digne de ce nom. « Nous voulions ouvertement nous éloigner des musiques de super-héros traditionnelles », explique Zimmer. « Pour nous conformer à la vision de Chris Nolan, nous avons écrit une partition sombre et tourmentée. J’ai composé les scènes d’action, riches en sons électroniques, et James s’est plutôt occupé des parties orchestrales et mélancoliques. » (1) Du coup, bien qu’elle soit pétrie de bonnes intentions, cette sixième relecture du mythe pour le grand écran finit par manquer sérieusement de panache et d’emphase.

(1) Propos recueillis par votre serviteur en juin 2005

 

© Gilles Penso

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TOXIC (1985)

Le super-héros le plus sale, le plus violent et le plus dégoulinant de tous les temps est devenu l'emblème des productions Troma

THE TOXIC AVENGER

1985 – USA

Réalisé par Michael Herz et Lloyd Kaufman

Avec Mitch Cohen, Andree Maranda, Jennifer Babtist, Cindy Manion, Robert Prichard, Gary Schneider, Pat Ryan

THEMA SUPER-HEROS I SAGA TOXIC AVENGER

Fierté de la compagnie indépendante « Troma » dirigée avec enthousiasme par Lloyd Kaufman, et probablement inspiré par le scénario de L’Ange meurtrier de Larry Stouffer (1974), The Toxic Avenger présente l’intérêt de mettre en vedette un super-héros pour le moins inhabituel : dégoulinant, affreux, un œil plus bas que l’autre, boursouflé, vêtu d’un tutu, armé d’une serpillère, et 100% radio-actif. Ses origines sont assez improbables, puisque Toxic nait de la chute de Melvyn – la risée de ses camarades, équivalent masculin de Carrie en quelque sorte – dans un fût de produits radioactifs tranquillement exposé à l’air libre, au pied d’un club de gym fréquenté par de stupides culturistes dont il était le souffre-douleur. Après sa chute, le produit toxique pénètre la peau de Melvyn qui subit une transformation assez spectaculaire (à l’aide d’effets de « bladders » qui le déforment à loisir). Mais son visage définitif, désormais célèbre, n’apparaît que tardivement, afin de laisser d’abord au spectateur le loisir de l’imaginer d’après la réaction de ceux qui le voient. Errant à travers la ville, désormais haut de deux mètres, il retrouve ses agresseurs et les pulvérise, à grand renfort d’effets gore excessivement saignants. Pris au jeu, le vengeur toxique devient dès lors le défenseur des opprimés de la petite cité de Tromaville.

« Tous nos films, même les plus fantaisistes, s’inspirent de faits réels, d’informations lues dans les journaux ou d’événements survenus dans la société », nous confiait Lloyd Kaufman. « Avec Toxic Avenger, nous nous sommes appuyés sur une situation bien réelle : la prolifération de déchets toxiques dans le monde et les risques de contamination. L’autre thème qui nous intéressait était celui de la mode croissante des clubs de sport. Nous trouvions ironique le fait que la population décide de se sculpter un corps d’athlète tout en continuant à polluer et détruire la planète. » (1) Loin des fiers justiciers en collants des comics DC et Marvel, The Toxic Avenger est une bouffonnerie cartoonesque dans laquelle cohérence n’est pas vraiment le mot d’ordre. A l’instar de La Chose des « Quatre Fantastiques », Toxic connaît l’amour auprès d’une jolie aveugle qu’il sauve des griffes de malfrats dégénérés. Et voilà notre héros en croisade contre la pègre et la pollution. Malheureusement, la réalisation et l’interprétation du film sont très approximatives, et gâchent partiellement le potentiel comique d’un tel postulat. D’autant que les blagues de mauvais goût qui ponctuent régulièrement le scénario de Joe Ritter et Lloyd Kaufman ne sont que très moyennement drôles, malgré leur audacieux caractère subversif (le serpent caché dans les collants, le jeu de massacre des quatre motards, l’homme qui se masturbe devant des photos de victimes d’accidents de la route…). Relativement bien maîtrisées, des séquences de poursuites, de combats et de cascades rythment régulièrement le métrage, comme pour lui donner des allures pseudo-hollywoodiennes.

Des séquences horrifico-burlesques

« A l’époque, j’ai pris une décision que je n’ai jamais regrettée : engager une femme pour imaginer le design du Toxic Avenger, son visage et ses attributs physiques », raconte Kaufman. « En lui confiant le maquillage, j’espérais qu’elle le doterait d’un peu d’humanité. Je ne voulais pas simplement un visage horrible et défiguré mais quelque chose de plus subtil. » (2) Chargée de cette lourde tache, la quasi-débutante maquilleuse Jennifer Aspinall (qui allait ensuite œuvrer sur Street Trash, Spookies ou encore L’Ambulance) gratifie également le film d’effets spéciaux horrifico-burlesques volontairement outranciers (corps écrasé par une moto, membres arrachés, ventres ouverts et eviscérés…). Au cours d’un final qui n’hésite pas à en faire des tonnes, Toxic et sa dulcinée campent au milieu d’un champ où ils sont traqués par toute une armée. Mais, qu’on se rassure, c’est le bien qui triomphe, dans un dénouement béat dont il est difficile de savoir si l’aspect caricatural est volontaire ou non. Une chose est sûre : Toxic est devenu non seulement l’icône de Troma, mais aussi un véritable objet de culte, le héros d’une série animée, d’un comic book et de trois autres films tout autant déjantés.

(1) et (2) Propos recueillis par votre serviteur en septembre 2018

© Gilles Penso 

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HULK (2003)

Dans la foulée de X-Men et Spider-Man, Ang Lee s'attaque à l'adaptation des aventures du titan vert de Marvel, à qui il donne le visage d'Eric Bana

HULK

2003 – USA

Réalisé par Ang Lee

Avec Eric Bana, Jennifer Connely, Nick Nolte, Sam Elliott, Josh Lucas, Paul Kersey, Cara Buono, Todd Tesen, Kevin O. Rankin

THEMA SUPER-HEROS I SAGA HULK I MARVEL

L’accueil chaleureux qui accompagna les adaptations des X-Men et de Spider-Man conforta les pontes de Marvel dans la transposition sur grand écran de toutes leurs vedettes dessinées. Le prochain sur la liste fut Hulk, héros d’une série télévisée assez populaire dans les années 70, et confié ici aux bons soins d’Ang Lee, auteur du magnifique Tigre et Dragon. Le scénario assez curieux de ce Hulk nouvelle génération prend le parti d’aborder l’histoire du docteur Bruce Banner sous deux angles différents. D’un côté nous avons l’accident qui inonde de rayons Gamma le bon docteur (incarné par le monolithique Eric Bana), son amourette avec Betty Ross (la délicieuse Jennifer Connely), ses déboires avec le général Ross (Sam Elliott), père de cette dernière, et son affrontement avec l’armée, via d’époustouflantes séquences d’effets spéciaux dans lesquelles un Hulk tout en 3D fait des bonds de cent mètres de haut, envoie valdinguer des tanks comme s’il s’agissait de yoyos et joue à cache-cache avec des missiles.

Cette approche, fidèle à la bande dessinée originale de Stan Lee et Jack Kirby, aurait amplement suffi à réjouir tous les fans du géant vert. Mais les scénaristes James Schamus, John Turman et Michael France se sont crus obligés de rajouter une seconde intrigue, qui n’est pas complémentaire mais plutôt antithétique de la précédente. Ce récit parallèle tourne autour du père de Banner, interprété par Nick Nolte, qui se modifie génétiquement et transmet cette lourde hérédité à son fils, puis crée des chiens mutants comme un savant fou de sérial, et finalement se mue lui-même un monstre multiforme, carrément ! Tout ceci n’apporte que confusion, lourdeur et ralentissements à l’intrigue initiale. Pour être honnête, le film, long de presque deux heures et demi, supporterait fort bien un remontage l’épurant de tout ce surplus. Le scénario aurait ainsi pu se concentrer davantage sur la romance complexe qui lie le couple Bruce-Betty, et sur la thématique de la Belle et la Bête, joliment amorcée au cours d’une rencontre nocturne qui évoque beaucoup King Kong, mais trop vite escamotée.

Nick Nolte en roue libre

Pour rappeler le support dessiné duquel est issu le colosse verdâtre, Ang Lee a paré sa mise en scène de facéties très ludiques, à base de split-screens et de transitions inventives ultra-dynamiques. Dommage qu’il n’ait pas autant soigné sa direction d’acteurs, car Bana et Connelly sont assez inexpressifs (eux qui étaient si bouleversants dans des œuvres telles que, respectivement, Chopper et Un Homme d’exception), et Nolte, en roue libre, part dans tous les sens sans la moindre retenue. La musique, elle, est l’œuvre de Danny Elfman, un choix peu imaginatif de la part des producteurs (Elfman a signé les BO de BatmanDarkman, Flash, Spider-Man), mais il faut reconnaître que le compositeur a renouvelé quelque peu son registre, intégrant dans sa trépidante partition du didgeridoo australien, des rythmiques électroniques et des chœurs aériens emphatiques. Petit détail amusant destiné aux fans purs et durs : Stan Lee et Lou Ferrigno, inoubliable interprète de Hulk dans les années 70, font une apparition en vigiles au début du film !

 

© Gilles Penso

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LES QUATRE FANTASTIQUES (2005)

Cette première transposition à gros budget des aventures du célèbre quatuor de Marvel souffre d'un scénario trop évasif pour convaincre

FANTASTIC FOUR

2005 – USA

Réalisé par Tim Story

Avec Ioan Gruffudd, Jessica Alba, Chris Evans, Michael Chiklis, Julian McMahon, Hamish Linklater, Kerry Washington

THEMA SUPER-HEROS I SAGA MARVEL

Voici l’adaptation à gros budget du célèbre comic book qui condamna aux oubliettes le Fantastic Four produit par Roger Corman. Comme on pouvait s’y attendre, la Fox a mis le paquet, nous offrant des effets spéciaux époustouflants et des séquences d’action d’anthologie. Mais derrière le spectacle numérico-pyrotechnique, force est de constater que cette version n’a pas beaucoup plus d’ambition scénaristique que la précédente, lui empruntant même un certain nombre d’idées. Le destin du docteur Victor Von Fatalis et des quatre futurs super-héros sont donc liés d’emblée, tous étant irradiés par des rayons cosmiques dans une station en orbite autour de la Terre. De retour sur Terre, Reed Richards se mue en homme élastique, Suzanne Storm en femme invisible, Johnny Storm en torche humaine et Ben Grimm en golem de pierre. Quant à Fatalis, financier de l’expédition, il connaît une mutation plus insidieuse. Sa peau intègre peu à peu des composantes métalliques et électroniques (version soft de Tetsuo) et il semble peu à peu capable de contrôler l’électricité. Sa raison vacillant et sa mégalomanie s’accroissant, ses compagnons d’infortune vont devoir se liguer contre lui, formant désormais un inséparable quatuor aux belles combinaisons bleu électrique.

L’intrigue prend donc une tournure des plus classiques, ne s’embarrassant guère de profondeur ni de finesse. En ce sens, nous sommes à des années-lumière d’un Spider-Man, le film étant visiblement ici destiné à un public peu regardant en matière de construction psychologique et dramatique. Cette approche exclusivement récréative était assumée dès les slogans sur les posters présentant les personnages principaux (du genre « il peut sauter à l’élastique sans élastique ! » ou encore « il fait fuir les méchants… et les filles ! »). Johnny Storm et Ben Grimm sortent tout de même du lot, par la grâce de leurs interprètes respectifs (Chris Evans, sorte de jeune Tom Cruise mixant habilement l’arrogance et la sympathie, et Michael Chiklis, héros bourru de la série The Shield), par les problématiques qu’ils véhiculent (une quête absolue d’indépendance qui passe par l’inconscience et l’absence de responsabilité pour l’un, la volonté de se soustraire au regard des autres malgré un besoin de reconnaissance pour l’autre), et par la grande réussite des effets spéciaux qui visualisent leurs pouvoirs.

Un Fatalis monolithique

Reed et Suzan sont bien en deçà, malgré une histoire d’amour frustré induite dans leur passé commun. Mais le grand perdant, en matière de caractérisation, reste le docteur Fatalis, et ce malgré le charisme de son interprète Julian McMahon (chirurgien séducteur de la série Nip/Tuck). Taillé d’un seul bloc, évacuant tout dilemme et toute dualité, il est traité par-dessus la jambe. Ses origines n’ont pas grand-chose à voir avec la BD originale, ses pouvoirs restent mal définis, sa panoplie semble sortir de nulle part, et ses motivations s’avèrent des plus basiques. Et si l’on est sensible à l’adage d’Alfred Hitchcock associant la réussite d’un film à celle de son méchant, on conviendra que ces Quatre Fantastiques loupent un peu le coche, malgré un casting de choix et quelques séquences fort impressionnantes.

 

© Gilles Penso

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SPIDER-MAN (2002)

Sam Raimi déclare son amour au comic book de son enfance en permettant à l'Homme-Araignée de faire ses premiers pas au cinéma

SPIDER-MAN

2002 – USA

Réalisé par Sam Raimi

Avec Tobey Maguire, Kirsten Dunst, Willem Dafoe, James Franco, Cliff Robertson, Rosemary Harris, J.K. Simmons, Joe Manganiello

THEMA SUPER-HEROS I ARAIGNEESSAGA SPIDER-MAN

« Désiré » aurait pu être le sous-titre de ce Spider-Man, car le public l’attendait depuis des décennies. Après le dessin animé culte des années 60, les téléfilms ratés des années 70 et la série d’animation des années 90, cette première transposition des aventures du « monte-en-l’air » sur grand écran a bien failli ne jamais voir le jour, suite à un inextricable imbroglio juridique. Acquis par Menahem Golan et Yoram Globus au milieu des années 80, le projet est passé entre les mains de James Cameron dix ans plus tard, pour finalement échoir à Sam Raimi. On imagine à peine la pression qu’a dû subir le créateur d’Evil Dead, mais au vu du résultat il peut dormir sur ses deux oreilles. Non seulement l’adaptation est réussie, mais son Spider-Man figure sans conteste parmi les meilleurs films de super-héros jamais portés à l’écran. Le secret de son succès ? Avoir concentré toute son attention sur son jeune héros (magnifiquement incarné par Tobey Maguire, dans un registre très proche de son personnage de Pleasantville), sur sa vie, ses amis, ses amours, sa famille, ses problèmes d’adolescent, comme l’avait si bien fait le comic book de Stan Lee et Steve Ditko. « J’ai toujours pensé qu’il n’était pas intéressant de lire des histoires de super-héros s’ils passaient la majeure partie de leur temps à affronter les méchants », nous expliquait d’ailleurs Stan Lee. « Je voulais savoir ce que faisait le héros quand il vivait sa vie normale. Où vivait-il ? Quels problèmes personnels avait-il ? Qui étaient ses amis, ses ennemis ? Comment gagnait-il sa vie ? Comment payait-il le loyer ? Si j’étais capable d’imaginer des super-héros possédant une vie personnelle aussi intéressante que leur vie héroïque, j’en concluais qu’ils étaient bien définis, qu’ils n’étaient pas de simples personnages de papier mais des personnes presque réelles capables de susciter l’intérêt. » (1) Une fois ce contexte réaliste mis en place, la science-fiction peut s’immiscer en douceur, et le processus d’identification fonctionne à plein régime. Lorsque Peter Parker est mordu par l’araignée, nous découvrons ses pouvoirs avec lui, nous grimpons aux murs, nous sautons de toit en toit, nous lançons la toile…

Avec beaucoup de finesse, Raimi emploie la métaphore des super-pouvoirs pour raconter le passage de la puberté, la sortie de l’enfance et l’accès à l’âge adulte, reprenant à son compte le leitmotiv de la BD : « de grands pouvoirs engendrent de grandes responsabilités. » Le défi technique est remporté haut la main, Spidey voltigeant dans les airs avec la même agilité que son alter-ego dessiné, ce qui provoque forcément des cris de joie chez les fans qui n’en croient pas leurs yeux. Mais c’est le défi narratif qui est le plus surprenant. Car en deux heures, Raimi et son scénariste David Koepp ont résumé trois décennies d’aventures de l’homme-araignée, liant entre eux les épisodes clef de l’âge d’or : la découverte des pouvoirs de Peter, la première rencontre avec Mary-Jane Watson, la révélation de l’identité du Bouffon Vert et la mort de Gwen Stacy. Sauf qu’ici la rousse Mary-Jane remplace la blonde Gwen, qui fut le grand amour de Peter Parker dans les années 70, et que l’issue de l’aventure est moins tragique. Après la mort de l’oncle Ben, une deuxième perte douloureuse eut sans doute exagérément noirci le ton du film, qui oscille habilement entre le drame et la comédie. D’autant que le traumatisme du 11 septembre 2001 était encore très prégnant au moment de la conception du film, et l’onde de choc s’en ressent parfois à travers le traitement de la ville de New York et de ses habitants.

L'adaptation ultime

Autres libertés prises par Raimi et Koepp : l’araignée qui mord Peter n’est plus radio-active mais génétiquement modifiée, et la toile du super-héros n’est pas un produit chimique de son invention mais un des pouvoirs que lui a transmis l’arachnide. Au titre des réserves, on pourra regretter que le Bouffon Vert ait été affublé d’une cuirasse en plastique qui semble tout droit sortie d’un épisode des Power Rangers. Une peau reptilienne en latex eut été plus heureuse et plus proche du personnage original. Les premiers essais effectués par le studio d’effets spéciaux ADI allaient d’ailleurs dans ce sens, mais le résultat fut probablement jugé trop effrayant pour le public le plus jeune, d’autant que Willem Dafoe rechignait à l’idée de devoir enfiler une combinaison moulante. Du côté de la musique, Danny Elfman évacue volontairement l’idée d’un thème principal trop frontal, comme il l’avait brillamment abordé avec Batman, pour évoquer métaphoriquement l’idée d’un destin qui se tisse progressivement et se déploie avec de plus en plus d’ampleur. Ses chœurs aériens, ses contrepoints à la basse et ses violons galopants font mouche (si l’on peut dire !). Bref, voici l’ultime adaptation des aventures de Peter Parker, auprès de laquelle toutes les autres tentatives feront bien pâle figure. L’œuvre d’un fan réalisé pour des fans. Sincère, ludique et intelligent. 

(1) Propos recueillis par votre serviteur en janvier 2013

 

© Gilles Penso

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BATMAN (1989)

Tim Burton casse l'image colorée du Batman des sixties pour le muer en héros sombre et tourmenté

BATMAN

1989 – USA

Réalisé par Tim Burton

Avec Michael Keaton, Jack Nicholson, Kim Basinger, Pat Hingle, Billy Dee Williams, Michael Gough, Robert Wuhl

THEMA SUPER-HEROS I SAGA BATMAN I DC COMICS I TIM BURTON

L’homme chauve-souris imaginé par Bob Kane s’anima dans deux serials des années 40 avant de devenir le héros d’une série télévisée semi-parodique au milieu des années 60. Pour relancer la franchise, les studios Warner décident au cours des années 80 de revenir aux sources du comic book. Le double succès de Pee-Wee et Beetlejuice finissent de convaincre les cadres du studio que la personnalité atypique de Tim Burton et les suffrages qu’elle s’attire en font le candidat idéal pour restituer la vision gothico-futuriste de la bande dessinée originale. Les producteurs convoquent deux superstars, Jack Nicholson dans le rôle du Joker et Kim Basinger pour incarner la journaliste Vicki Vale. En acceptant un tel casting, Burton peut imposer son acteur principal : Michael Keaton, ex-fantôme hystérique de Beetlejuice. Là où l’on imagine un athlète musclé (Alec Baldwin, Mel Gibson, Charlie Sheen et Pierce Brosnan sont tour à tour envisagés), le cinéaste prend ainsi le spectateur par surprise et lui offre le super-héros le plus humain qui soit. A l’annonce de ce choix de casting, une spectaculaire levée de boucliers s’amorce auprès de la large communauté des fans de comic books qui ne sont pas toujours réputés pour leur ouverture d’esprit. Des dizaines de milliers de lettres de protestations inondent les bureaux de Warner et la presse s’empare même de l’affaire qui prend des proportions alarmantes. Mais Tim Burton tient bon et le studio est solidaire de ce choix. Et de fait, les meilleures scènes du film sont probablement celles qui mettent en scène Bruce Wayne sans son masque. Car selon le raisonnement du cinéaste, un personnage athlétique et héroïque n’aurait nul besoin de cacher sa fragilité physique et psychologique sous le costume d’une chauve-souris effrayante.

La schizophrénie du héros de Batman est sans doute l’aspect qui intéresse le plus Burton. Voilà pourquoi le réalisateur et son chef costumier Bob Ringwood redéfinissent complètement le costume du super-héros, optant pour une panoplie aux allures d’armure sombre, bien loin du costume bleu et souple de la série TV. « Je dois avouer que les gens du studio croyaient que mon Batman serait trop noir », nous raconte Burton. « Mais maintenant, comparé à ce qui se fait aujourd’hui, c’est un manège pour enfants ! » (1) Les réinventions graphiques de l’univers de Batman ne s’arrêtent pas là. Assumant l’influence du Los Angeles de Blade Runner, Burton demande au directeur artistique Anton Furst de donner corps à un Gotham City nocturne et gothique aux tonalités presque monochromes. « A l’époque, je dessinais le moindre cadrage, le moindre mouvement de caméra, le moindre regard des personnages », explique Burton. « Aujourd’hui encore, je continue à dessiner des choses et d’autres tout au long de la préparation des films. Je fais quelques aquarelles montrant les personnages principaux. Ça m’aide dans mes recherches et ça fait partie du processus. » (2) D’un point de vue visuel, Batman est donc une pure merveille. Le compositeur Danny Elfman se met au diapason, troquant la chanson pop « Batman » qui était jadis sur toutes les lèvres contre un thème menaçant et alerte très inspiré. Mais un déséquilibre se fait sensiblement sentir tout au long du métrage, Burton alternant les séquences de comédie presque intimistes (Bruce Wayne qui cherche le moyen de dire à Vicky Vale qu’il est Batman sans y parvenir) avec des passages mouvementés certes bien menés mais souvent dénués de personnalité. A l’image de son héros tourmenté, le réalisateur semble en proie à la schizophrénie, soucieux de rester fidèle à son sens de l’exubérance tout en respectant les demandes du studio. Certaines séquences semblent ne pas savoir sur quel pied danser, comme ces moments d’action époustouflants qui s’enchaînent avec des gags absurdes (le Joker qui abat la Batwing avec un pistolet par exemple). Du coup le combat final, qui aurait dû être épique, n’est qu’une bouffonnade digne d’un cartoon qui se prive d’enjeux dramatiques dignes de ce nom.

Un justicier tapi dans l'ombre

Pour que Batman soit une pleine réussite, sans doute aurait-il fallu que Burton s’intéresse autant à son héros qu’à son vilain, car le Joker vole systématiquement la vedette au justicier masqué et le transforme souvent en pantin insipide. Mais pour être honnête, le réalisateur a sans doute péché par excès de fidélité à l’essence même des personnages. Tels qu’ils sont définis dans le comic book d’origine, Batman aime en effet rester tapi dans l’ombre tandis que le Joker adore se placer sous les feux des projecteurs. Malgré ses nombreux déséquilibres (qui feront plus tard dire à Burton que Batman est l’un de ses films dont il se sent le moins proche), le succès est au rendez-vous, aidé sans aucun doute par l’une des campagnes publicitaires les plus colossales de l’histoire du Septième Art. A l’époque, il est en effet difficile de mettre un pied dehors sans voir placardé sur les murs de toutes les grandes villes du monde le célèbre logo en forme de chauve-souris ou sans entendre la « Batdance » de Prince alors diffusée en boucle sur toutes les radios. A ce triomphe public s’ajoute une reconnaissance de la profession, le film remportant en 1990 l’Oscar des meilleurs décors, attribué à Anton Furst et à son décorateur de plateau Peter Young.


(1) et (2) Propos recueillis par votre serviteur en janvier 2008

© Gilles Penso

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