LE TUEUR DE LA PLEINE LUNE (1988)

Michael York entre dans la peau d’un assassin psychopathe frappé par une maladie qui accélère son vieillissement…

UN DELITTO POCO COMUNE / PHANTOM OF DEATH

 

1988 – ITALIE

 

Réalisé par Ruggero Deodato

 

Avec Michael York, Edwige Fenech, Donald Pleasence, Mapi Galan, Giovanni Lombardo Radice

 

THEMA TUEURS

Ruggero Deodato n’est pas un inconnu dans le panthéon du cinéma de genre italien. Révélé (et controversé) avec Cannibal Holocaust, pionnier du found footage barbare, il a souvent joué les provocateurs. Avec Le Tueur de la pleine lune, il tente un virage inattendu : mélanger le thriller psychologique, le slasher à l’américaine, le drame médical et le giallo. Mais cette tentative ambitieuse intrigue plus qu’elle ne convainc. L’histoire débute comme un classique du polar à l’italienne. À Rome, le commissaire Datti (Donald Pleasence) enquête sur une série de meurtres sanglants dont les victimes sont toutes des femmes. Parmi elles, la compagne du brillant pianiste Robert Dominici (Michael York), musicien charismatique au comportement de plus en plus trouble. Très vite, le film abat ses cartes : le meurtrier n’est autre que Dominici lui-même. Atteint d’une forme rare de progéria, il vieillit à une vitesse fulgurante, chaque meurtre semblant accélérer sa décomposition physique et morale. Ce twist, révélé trop tôt dans le récit, constitue à la fois l’idée la plus audacieuse du film… et son principal talon d’Achille. En dévoilant dès le milieu de la projection l’identité du tueur, Deodato sacrifie le mystère, pourtant essentiel à l’efficacité d’un giallo ou d’un bon thriller.

À partir de là, Le Tueur de la pleine lune devient une course-poursuite peu haletante entre un criminel monstrueux en déchéance et un policier apathique. Mais tout n’est pas à jeter dans cette œuvre hybride. Le film est riche en meurtres graphiques et inventifs. L’un des plus marquants montre une jeune femme qui descend d’un train, arpente le quai d’une gare, avance près d’une porte vitrée à travers laquelle elle aperçoit l’ombre d’un homme inquiétant. Mais ce dernier n’est qu’un passant qui allume une cigarette puis est rejoint par une amie qui le transporte sur son scooter. Ouf ! Mais ce répit est de courte durée. Un couteau surgit soudain et frappe la malheureuse de plein fouet. De l’autre côté de la vitre, le spectateur ne voit que sa silhouette, tandis qu’un énorme jet de sang se met à éclabousser abondamment la vitre, qui finit par céder sous le poids de la victime ensanglantée. « Cette scène de meurtre dans la gare a été minutieusement découpée et montée pour que nous puissions maximiser son impact », nous explique Ruggero Deodato. « Elle devait être à la fois belle et effrayante. Son efficacité est augmentée par la très belle musique de Pino Donaggio. » (1) Ce souci du cadre, du montage et du crescendo horrifique rappelle que Deodato n’a pas perdu la main, même si son inspiration semble ici bridée par un scénario trop bavard et parfois invraisemblable.

Un rendez-vous manqué

L’idée d’un assassin rongé par le temps, s’attaquant à la vie comme pour conjurer sa propre décrépitude, aurait pu donner naissance à un personnage au fort potentiel tragique. Mais en lieu et place d’une figure ambivalente, Deodato opte pour un Dominici tantôt larmoyant, tantôt sadique, dont la trajectoire narrative peine à susciter l’empathie. Michael York, visage emblématique des années 70, tente de donner chair à ce monstre pathétique, mais son jeu vire trop souvent au cabotinage maladroit. Face à lui, Donald Pleasence semble réciter son rôle de vieux flic sur le retour (« Il était toujours éméché pendant le tournage, mais j’ai adoré travailler avec lui » (2), nous avoue Deodato), tandis qu’Edwige Fenech, star déclinante du giallo, hérite d’un dernier grand rôle peu valorisé. Le trio fonctionne difficilement, miné par des dialogues artificiels et une direction d’acteurs parfois absente. Le rythme erratique du film, ses ruptures de ton et sa tendance à surligner ses effets plombent une narration qui aurait gagné à être plus resserrée. On sent certes le désir de Deodato d’échapper à son étiquette de « cannibale du cinéma » pour explorer une forme plus élégante de l’horreur. Mais à trop vouloir jongler entre les influences, il finit par perdre l’équilibre et nous laisse un arrière-goût de rendez-vous manqué.

 

(1) et (2) Propos recueillis par votre serviteur en septembre 2016

 

© Gilles Penso

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OOGA BOOGA (2013)

Possédée par l'esprit d'un jeune homme victime d'un crime raciste, une poupée se lance dans une sanglante vengeance…

OOGA BOOGA

 

2013 – USA

 

Réalisé par Charles Band

 

Avec Ciarra Carter, Gregory Niebel, Wade F. Wilson, Chance A. Rearden, Maddox, Patrick Holder, Tom Massmann, Corey MacIntosh, Amber Strauser, Kyle Quesnoy

 

THEMA JOUETS I SAGA CHARLES BAND

Apparu pour la première fois dans Doll Graveyard aux côtés d’autres poupées mortelles, Ooga Booga avait de quoi faire grincer des dents tant il jouait la carte du stéréotype et de la caricature. Un guerrier africain avec un os dans le nez et une lance dans la main – affublé même d’un pétard à la bouche pour son retour furtif dans Evil Bong -, c’était tout de même un peu fort ! Pour contourner le problème tout en réexploitant le personnage, Charles Band a la bonne idée de transcender les clichés. Il décide donc de transformer Ooga Booga en combattant du racisme dans un film entièrement dédié à ses exploits, dont le scénario est confié à Kent Roudebush. « L’affaire Trayvon Martin faisait encore un peu parler d’elle et je m’en suis en quelque sorte servi comme point de départ pour le projet », raconte ce dernier, en se référant à la mort d’un Afro-Américain de 17 ans tué par balle en Floride lors d’une ronde de « surveillance de voisinage ». « Je ne savais même pas si cela fonctionnerait vraiment avec Charles. En tout cas, c’est le scénario dont je suis le plus satisfait. Ce n’est pas comme si c’était mon chef-d’œuvre en matière de critique sociale, mais au moins, c’était quelque chose et l’histoire ne s’effondrait pas sous le poids de sa propre stupidité. » (1) Mais ces belles intentions sont un peu gâchées par les limitations budgétaires et par une poignée d’idées bizarres ajoutées artificiellement au script.

Le film s’ouvre sur l’enregistrement chaotique d’une émission pour enfants mettant en scène Hambo, un clown fermier à nez de cochon déjà aperçu dans Zombie vs. Strippers. Complètement ivre sur le plateau, Hambo est évincé par la production. Devin Campbell (Wade F. Wilson), jeune étudiant fraîchement diplômé de médecine, vient alors lui rendre visite. Désabusé, Hambo annonce qu’il se reconvertit dans la vente de poupées volontairement caricaturales. Parmi celles-ci se trouve Ooga Booga, dont il lui offre un prototype. Peu après, Devin se retrouve au mauvais endroit au mauvais moment, témoin d’un braquage sanglant dans une supérette orchestré par le criminel Skeez (Maddox). Tentant de porter secours à un employé mortellement blessé, il est froidement abattu par l’officier White (Gregory Niebel), un policier raciste convaincu de sa culpabilité. Mais un étrange phénomène se produit alors : le sang de Devin, mêlé à des décharges électriques issues d’une machine défectueuse, insuffle la vie à la poupée Ooga Booga, désormais habitée par l’esprit du jeune homme. Ressuscité sous cette forme, Devin/Ooga s’allie à sa petite amie Donna (Ciarra Carter) pour se venger non seulement de Skeez et de l’officier White, mais aussi du véritable cerveau derrière cette chaîne de violences, le juge corrompu Marks (Stacy Keach).

« C’est Chucky avec une lance ! »

En regardant Ooga Booga, il nous est franchement difficile de comprendre quelles sont les intentions de Charles Band. Souhaitait-il réaliser une métaphore des dérives de la xénophobie sur fond de tension raciale, une comédie déjantée truffée de clins d’œil ou un film d’horreur déviant au parfum de scandale ? Indécis quant à la tonalité de cet objet filmique bizarre, il concocte une œuvre patchwork sans véritable unité, comme s’il avait collé ensemble des séquences appartenant à des longs-métrages différents. Les exactions du flic raciste et arrogant (parfaitement campé par Gregory Niebel) obéissant aux ordres d’un juge détestable (excellent Stacy Keach) se raccordent bien mal avec ce remake rigolard de La Poupée de la terreur dans laquelle Karen Black (dans son dernier rôle à l’écran) se fait à nouveau harceler par une poupée guerrière miniature, comme dans le petit classique de Dan Curtis. Avec au passage quelques répliques référentielles comme « c’est Chucky avec une lance ! » Et que dire des interventions pénibles de Hambo, qui semble échappé d’un film Troma ? Ou de cette séquence carrément embarrassante dans laquelle l’héroïne, après avoir été violée par les trois malfrats, se douche langoureusement tandis que Ooga Booga se masturbe en la regardant ? Ces écarts de route incessants sont d’autant plus regrettables que la marionnette, toujours conçue par Christopher Bergschneider, est animée mécaniquement avec beaucoup plus de soin qu’à l’accoutumée et nous offre quelques moments délectables – comme ce gag à la E.T. dans lequel elle se cache au milieu de peluches pour passer inaperçue. Mais l’ensemble est bien trop incohérent pour convaincre. C’est dommage : il y avait vraiment quelque chose d’intéressant à faire avec ce concept.

 

(1) Propos extraits du livre « It Came From the Video Aisle ! » (2017)

 

© Gilles Penso

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DRACULA CONTRE FRANKENSTEIN (1971)

Le comte Dracula exhume le corps du monstre de Frankenstein et demande à un vieux savant fou de le ressusciter pour régner sur le monde…

DRACULA VS. FRANKENSTEIN

 

1971 – USA

 

Réalisé par Al Adamson

 

Avec J. Carrol Naish, Zandor Vorkov, Lon Chaney Jr , John Bloom, Jim Davis, Russ Tamblyn, Forrest J. Ackerman, Angelo Rossito, Regina Carrol, Anthony Eisley

 

THEMA DRACULA I FRANKENSTEIN

Ce film très confus, dont le tournage chaotique s’est étalé sur plus de deux ans, n’a rien à voir avec le Dracula contre Frankenstein de Tulio Demicheli et Hugo Fregonese, sorti sur les écrans en 1969, ni avec Dracula prisonnier de Frankenstein de Jesus Franco, réalisé en 1972. Il faut croire que la période fut propice à l’affrontement des deux célèbres monstres au sein du cinéma bis international. Or en la matière, Al Adamson est un grand spécialiste, sa filmographie s’ornant d’œuvres aussi invraisemblables que Psycho a Go-Go, Les Sadiques de Satan, Les Amazones du désir ou encore l’hallucinant Horror of the Blood Monsters. Fait de bric et de broc, Dracula contre Frankenstein utilise des séquences entières tournées pour un film qui fut finalement abandonné, avec des personnages secondaires qui apparaissent et disparaissent donc sans aucun lien avec l’intrigue principale. Au départ, c’est John Carradine qui est pressenti pour jouer le comte Dracula, mais le vénérable acteur – pourtant peu regardant à ce stade de sa carrière – réclame manifestement un cachet trop élevé pour la production. Le rôle est donc confié à un certain Zandor Vorkov (de son vrai nom Raphael Peter Engel) dont ce sera le seul titre de gloire. Face à lui, un J. Carrol Naish très malade (amnésique, à moitié aveugle et cloué sur un fauteuil roulant) incarne le docteur Duryea, dernier descendant de la famille Frankenstein.

Discrédité par les autorités médicales à cause de la réputation peu enviable de sa famille, Duryea possède une attraction macabre dans une fête foraine, couverture idéale pour ses sombres activités. Car dans son laboratoire secret, décoré d’un équipement électrique bigarré (le même que celui de Frankenstein et La Fiancé de Frankenstein, toujours fourni par le designer Kenneth Strickfaden), le vieil homme entend bien concevoir un sérum lui redonnant la jeunesse et la santé. Pour y parvenir, il envoie son serviteur muet et simple d’esprit, Groton (Lon Chaney Jr., lui aussi en bout de carrière et en bout de course), trucider à la hache des jeunes filles afin d’extraire leur fluide vital. Entre-temps, Dracula exhume les restes du monstre de Frankenstein (le massif John Bloom, affublé d’une bouillie en latex en guise de maquillage) et demande au savant de le ressusciter (pour une raison qui, avouons-le, nous échappe totalement). « Il est né avec la furie électrique des cieux, lorsque la comète Zornov passa au-dessus de la Terre », dit le vampire dans un élan lyrique. « Ce soir, à 11h29, la comète reviendra pour compléter le premier cycle de vie du monstre « , ajoute-t-il avec la ferveur d’un présentateur météo.

Le chant du cygne

S’il n’était pas aussi mal fichu, ce crossover nous rappellerait les grandes heures du cinéaste Erle C. Kenton, qui orna le cycle déclinant des Universal Monsters d’œuvres aussi récréatives que La Maison de Frankenstein ou La Maison de Dracula. Mais ce film sans queue ni tête n’a rien de très mémorable. Chaque acteur y surjoue sans nuance : J. Carrol Naish dans un registre exagérément sentencieux (on sent bien qu’il lit ses répliques écrites visiblement sur des grandes feuilles hors champ), Zandor Vorkov avec une théâtralisation extrême (yeux écarquillés, voix noyée dans l’écho, coups de zoom intempestifs) et Lon Chaney Jr. via une pantomime outrancière et caricaturale. L’effet comique involontaire fonctionne à plein régime, y compris lors des séquences invraisemblables où ce Dracula d’opérette envoie des rayons incandescents (en dessin animé) avec sa bague. On note pourtant quelques tentatives humoristiques intéressantes, comme cette salve à l’attention d’une génération hippie à la dérive (« N’oublie pas la manif ce soir ! », « Contre quoi est-ce que nous protestons déjà ? », « Je ne sais pas, mais ça va être sympa ») ou cette apparition sous forme de clin d’œil de Forrest J. Ackerman, le célèbre rédacteur en chef de Famous Monsters. Ce Dracula contre Frankenstein complètement foutraque sera le chant du cygne de Lon Chaney Jr. et J. Carrol Naish, qui s’éteindront tous deux quelques années après sa sortie.

 

© Gilles Penso

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HOCUS POCUS : LES TROIS SORCIÈRES (1993)

Condamnées et exécutées à Salem au 17ème siècle, trois sorcières grotesques réapparaissent au milieu des années 90 pour semer la panique…

HOCUS POCUS

 

1993 – USA

 

Réalisé par Kenny Ortega

 

Avec Bette Midler, Sarah Jessica Parker, Kathy Najimy, Omri Katz, Thora Birch, Vinessa Shaw, Amanda Shepherd, Larry Bagby, Tobias Jelinek, Stephanie Faracy

 

THEMA SORCELLERIE ET MAGIE

Tout commence un soir tranquille, dans le jardin du proucteur David Kirschner qui, en compagnie de sa fille, voit passer un chat noir du voisinage. Aussitôt, il improvise une histoire effrayante sur trois sorcières revenues d’entre les morts : les sœurs Sanderson. C’est à partir de cette anecdote que germe l’idée de Hocus Pocus. Le concept prend forme en 1984 sous la plume de Mick Garris (Critters 2, La Nuit déchirée), dans un premier script baptisé Disney’s Halloween House. Volontairement sombre et effrayante, cette première version vise un public pré-adolescent, ses héros étant tous âgés de 12 ans. Enthousiastes, Garris et Kirschner proposent le projet à Amblin Entertainment, la société de Steven Spielberg. Mais ce dernier préfère éviter de co-produire un film avec Disney, qu’il considère alors comme un concurrent direct sur le créneau du divertissement familial. Le scénario subit alors plusieurs réécritures. L’histoire finit par s’éloigner de celle d’un film d’horreur jeunesse pour se teinter d’humour et viser un public familial. Malgré ce lifting scénaristique, le projet reste en suspens… jusqu’à ce que Bette Midler tombe sur le script. Fascinée par le rôle de Winifred Sanderson (initialement écrit pour Cloris Leachman), elle imagine Hocus Pocus comme une récréation idéale au sein de sa carrière. Sa notoriété fait décoller le projet instantanément en 1992.

En 1693, à Salem, les redoutables sœurs Sanderson, Winifred (Bette Midler), Sarah (Sarah Jessica Parker) et Mary (Kathy Najimy), sont condamnées pour sorcellerie. Avant d’être pendues, elles ont le temps de jeter un dernier sort : si jamais une bougie à la flamme noire est allumée un soir d’Halloween par un innocent, elles reviendront d’entre les morts. Leur dernière victime est Thackery Binx, un jeune garçon transformé en chat noir éternel pour avoir tenté de sauver sa sœur. Trois siècles plus tard, en 1993, la légende est presque oubliée. Max Dennison (Omri Katz), adolescent fraîchement débarqué de Los Angeles, peine à s’adapter à sa nouvelle vie à Salem. Pour impressionner Allison (Vinessa Shaw), la plus jolie fille du lycée, il accepte de visiter avec elle et sa petite sœur Dani (Thora Birch) l’ancien repaire des sorcières, désormais transformé en musée. Dans un moment de bravade, Max allume la fameuse bougie noire… et réveille les sœurs Sanderson dans un déchaînement d’éclairs et de poussière magique.

« I Put a Spell on You”

Sur ce postulat plutôt maigre, le scénario de Hocus Pocus épuise rapidement toutes les situations comiques envisageables. Cette légèreté narrative s’encombre, de surcroît, de fautes de goût qui n’arrangent rien. Les héros adolescents, qui semblent tout droit sortis d’une sitcom américaine, sont d’une fadeur affligeante. Seule Thora Birch, déjà très expressive à l’âge de onze ans, tire son épingle du jeu. La future héroïne d’American Beauty nous évoque même par instants Mercredi, la fillette macabre de la famille Addams. Les sorcières elles-mêmes sont trop grimaçantes pour plaire et trop grotesques pour effrayer. Leurs agissements, censés provoquer le rire ou l’inquiétude, ne suscitent donc que l’indifférence, voire l’ennui. Que reste-t-il finalement à sauver de ce Hocus Pocus ? Un chat noir qui bavarde avec les héros (grâce à des effets visuels très habiles), un vieux grimoire de sorcellerie digne du Livre des morts d’Evil Dead, un désopilant numéro musical de Bette Midler qui interprète sur scène « I Put a Spell on You », et toute une série de trouvailles visuelles et d’effets spéciaux à base de voltiges et de pouvoirs magiques qui vont parfois jusqu’à évoquer Le Magicien d’Oz ou Mary Poppins. Mais les petits bijoux de Victor Fleming et Robert Stevenson baignaient dans une féerie et un onirisme qui font hélas constamment défaut au film de Kenny Ortega.

 

© Gilles Penso

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PEUR SUR LA VILLE (1975)

Jean-Paul Belmondo affronte un dangereux psychopathe dans ce polar musclé et vertigineux teinté de slasher et de giallo…

PEUR SUR LA VILLE

 

1975 – FRANCE

 

Réalisé par Henri Verneuil

 

Avec Jean-Paul Belmondo, Charles Denner, Adalberto Maria Merli, Rosy Varte, Roland Dubillard, Jean Martin, Catherine Morin, Germana Carnacina

 

THEMA TUEURS

En 1975, au sommet de sa popularité, Jean-Paul Belmondo passe de l’autre côté du badge. Après avoir incarné les voyous romantiques, les cambrioleurs bondissants et les dragueurs incorrigibles, l’acteur s’essaie enfin au rôle du flic. Peur sur la ville, réalisé par son fidèle complice Henri Verneuil, marque un tournant : c’est le début de l’ère du « Bébel show », taillé pour cartonner dans les salles comme dans les vidéoclubs. Henri Verneuil ne veut ni un commissaire fatigué à la Maigret, ni un enquêteur torturé façon Chandler. Il vise le spectaculaire. Son inspiration naît d’un fait divers bien réel, dans lequel des femmes harcelées au téléphone finissaient par fuir leur domicile, prises de panique. La scène d’ouverture donne le ton : une femme terrifiée saute de son balcon plutôt que d’ouvrir sa porte. Le voyeur au bout du fil devient alors l’ennemi public numéro un. Le scénario prend vite des allures de guerre du Bien contre le Mal, où le commissaire Letellier traque un tueur surnommé Minos, obsessionnel, misogyne et décidé à « nettoyer » Paris de ses péchés. Ce duel manichéen, Verneuil le filme comme un affrontement mythologique au cœur d’un Paris anxiogène, rythmé par une partition entêtante signée Ennio Morricone.

Pour donner corps à Minos, Verneuil et son coscénariste Jean Laborde s’appuient sur une documentation fouillée. Le personnage s’inspire notamment des travaux du psychanalyste Wilhelm Reich. L’œil de verre, la tenue de motard et la voix glaciale parachèvent ce portrait inquiétant. C’est Adalberto Maria Merli, acteur italien peu connu mais voix emblématique de Clint Eastwood dans son pays, qui est choisi pour incarner le Mal. La filiation avec les tueurs gantés des giallos italiens (de Six femmes pour l’assassin à L’Oiseau au plumage de cristal) est assumée. Peur sur la ville flirte en effet avec l’épouvante et l’horreur. Pour contrebalancer la noirceur du récit, il fallait un héros plus grand que nature. Letellier, c’est Bébel, bien sûr. Et c’est aussi un corps en mouvement, lancé à folle allure sur les toits des Galeries Lafayette, sur celui d’une rame de métro en marche ou accroché à un hélicoptère survolant Paris. Bien avant que Tom Cruise n’en fasse son fonds de commerce, Jean-Paul Belmondo effectue lui-même toutes les cascades. À une époque où les effets spéciaux sont encore limités, voir un acteur grimper réellement à plusieurs dizaines de mètres du sol a de quoi décoiffer. Mais Verneuil n’oublie pas le second degré. Pour injecter un peu de verve dans cette chasse à l’homme, il fait appel à Francis Veber. Le futur réalisateur du Dîner de cons signe des dialogues mordants, notamment lors des joutes verbales entre Letellier et son supérieur, campé par Jean Martin. Quant au tandem comique avec Charles Denner, il ajoute une touche d’humanité bienvenue.

Dans les griffes de Minos

Entre les lignes de ce polar violent se glisse une machine marketing bien huilée. Jean-Paul Belmondo a lancé sa propre société de production, Cerito, avec son complice René Château. Objectif : faire de l’acteur une marque. Sur l’affiche, son nom est plus grand que le titre. La recette sera répétée dans les années à venir. Le Professionnel, Le Marginal, L’Alpagueur seront tous des descendants de ce Letellier inaugural. Avec près de quatre millions d’entrées, Peur sur la ville est un raz-de-marée. En France comme à l’étranger, le public adhère au cocktail explosif d’action, d’humour, d’angoisse et de suspense. La critique, elle, est plus tiède. On reproche au film son manichéisme, la superficialité de son héros, voire un opportunisme commercial. Belmondo, jadis chouchou de la Nouvelle Vague, devient la cible d’une intelligentsia qui n’apprécie guère ses nouvelles orientations. Et pourtant, difficile de bouder son plaisir devant ce film survitaminé qui ose mélanger les genres, quitte à s’aventurer sur un territoire horrifique inattendu. Mais Peur sur la ville reste une anomalie dans le paysage français. Peu de cinéastes ont osé s’aventurer sur ce terrain depuis. Aujourd’hui encore, le film reste un modèle de divertissement populaire extrêmement bien troussé. Une œuvre qui joue la carte du frisson et du fun, avec une rigueur à l’américaine et un panache 100% français. 

 

© Gilles Penso

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EFFROI (1981)

Dans ce petit film d’horreur fait de bric et de broc, Lucifer se réincarne dans le corps d’un lycéen et réveille une armée de zombies…

FEAR NO EVIL

1981 – USA

Réalisé par Frank LaLoggia

Avec Stefan Arngrim, Elizabeth Hoffman, Kathleen Rowe McAllen, Frank Birney, Daniel Eden, John Holland, Barry Cooper, Alice Sachs, Paul Haber, Roslyn Gugino

THEMA DIABLE ET DÉMONS I ZOMBIES

En découvrant le château de Boldt sur l’île de Heart, le long de la frontière nord de l’État de New York, l’homme d’affaires et promoteur immobilier Charles LaLoggia se laisse séduire par son architecture romano-gothique et imagine immédiatement la possibilité d’y tourner un film d’horreur. Il propose alors à son cousin Frank LaLoggia d’écrire un scénario autour de ce lieu. Si ce dernier n’a encore réalisé aucun long-métrage, il gravite dans le monde du cinéma depuis le milieu des années 70, en dirigeant des films courts et en jouant des petits rôles face à la caméra ici et là. Tourné sous le titre provisoire Mark of the Beast (« la marque de la Bête ») puis retitré Fear No Evil (« Ne crains pas le mal »), ce récit d’épouvante centré sur l’avènement de l’antéchrist marque donc ses premiers pas à la tête d’un film en tant que metteur en scène, ainsi que ceux de son cousin en tant que producteur. Ce dernier parvient à réunir un million et demie de dollars de budget, une somme loin d’être mirobolante mais très acceptable pour une petite production indépendante filmée à New York. Entravé tour à tour par des conditions météorologiques désastreuses (l’automne 1979 étant particulièrement rude), des contraintes de temps et la désorganisation générale inhérente aux premiers films conçus dans des conditions précaires, le tournage n’est pas une partie de plaisir.

Le scénario d’Effroi semble avoir été partiellement écrit sous l’influence de La Malédiction, conformément à l’éducation religieuse de Frank LaLoggia, élevé dans une famille catholique stricte d’origine italienne. C’est d’ailleurs un prêtre, le père Damon, qui ouvre le bal. Autoproclamé combattant du Mal avec un grand M, il affronte un homme à l’extérieur d’une bâtisse médiévale (le fameux château de Boldt qui motiva la mise en chantier du film) et parvient à le terrasser. Mais avant de mourir, son adversaire, qui prétend être Lucifer en personne, promet de revenir. Des décennies plus tard naît Andrew Williams qui, en grandissant, devient un adolescent solitaire et taciturne. Après que sa mère ait été paralysée dans des circonstances mystérieuses – qu’il semble avoir provoquées à distance -, Andrew commence à éveiller les soupçons de son propre père, conscient que quelque chose ne tourne décidément pas rond chez ce teenager bizarre. En dernière année de lycée, Andrew est en effet un élève brillant mais très renfermé, qui se sent étrangement attiré par le château où, jadis, le père Damon vainquit le diable. Or le lieu doit être détruit pour se transformer en terrain de golf. « Sacrilège ! » s’écrie Andrew en visitant l’endroit. Peu à peu, ses origines diaboliques émergent…

« Mon fils est le diable ! »

Après une mise en bouche qui n’y va pas avec le dos de la cuiller (le fameux affrontement contre un Lucifer aux allures de rocker des années 60, longues rouflaquettes et banane gominée à l’appui), Effroi prend la tournure d’un film de lycée, avec tous les clichés et stéréotypes du genre. Plusieurs scènes absurdes (dans les douches, pendant un cours de sport) semblent vouloir donner au récit les allures d’une sorte de variante masculine de Carrie, tandis que la bande son se sature de chansons pop, rock, punk et new wave. Le plus gros du budget semble y être passé, dans la mesure où les tubes de Patti Smith, The Ramones, Taking Heads, B-52 ou les Sex Pistols s’y enchaînent généreusement. Lorsqu’Andrew révèle ouvertement ses penchants maléfiques, plus aucune retenue n’est de mise. Le jeune homme se met alors à boire le sang d’un chien en gémissant, pendant que son père se saoule dans un bar en hurlant « mon fils est le diable ! », le tout interprété sans la moindre finesse. Puis soudain, notre antéchrist réveille une armée de zombies qui surgissent des décombres d’une chapelle en ruines et se mettent à attaquer la population. Cette scène parfaitement gratuite est imposée par Charles LaLoggia, arguant face à son cousin déconfit que les morts-vivants font recette grâce à George Romero et Lucio Fulci. Plus le film avance vers son climax, plus la folie semble le gagner, jusqu’à cette scène où deux anges réincarnés en femmes luttent contre Lucifer avec une grande croix qui envoie des rayons laser, ou encore cette métamorphose finale grandiloquente qui alimente la plupart des posters du film. Effroi est donc loin d’être un film d’horreur incontournable, mais il possède suffisamment de singularités pour séduire les amateurs du genre. Pour l’anecdote, Joel Coen, pas encore réalisateur aux côtés de son frère Ethan, fut l’assistant monteur du film.

 

© Gilles Penso

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ZU, LES GUERRIERS DE LA MONTAGNE MAGIQUE (1983)

Un petit groupe de combattants décide de s’opposer au redoutable « démon de sang » qui menace de faire basculer le monde dans le chaos…

SUK SAAN : SAN SUK SAAN GIM HAP

 

1983 – Hong-Kong

 

Réalisé par Tsui Hark

 

Avec Sammo Hung, Yuen Biao, Brigitte Lin, Adam Cheng, Moon Lee, Judy Ongg, Corey Yuen, Damian Lau, Mang Hoi, Norman Chui, Chung Fat, Dick Wei

 

THEMA SORCELLERIE ET MAGIE

Pour son cinquième film en tant que réalisateur (après Butterfly Murders, Histoire de cannibales, L’Enfer des armes et All the Wrong Clues for the Right Solution), Tsui Hark concocte l’idée d’une lutte primitive entre le Bien et le Mal, une sorte de conte de fées qui se situerait dans un univers surréaliste, avec à la clé toute une série de situations extrêmes dignes d’une bande dessinée. Sa source d’inspiration officielle est le roman Legend of the Swordsmen of the Mountains of Shu (« La légende des épéistes des montagnes de Shu ») de Li Shoumin. « Pour moi, Zu doit se vivre comme une fête » dit-il en expliquant ses intentions initiales. « Imaginez que vous passiez une soirée ennuyeuse avec des invités qui vous barbent. Eh bien allez voir Zu, et vous passerez une soirée festive. » (1) Pour sortir des sentiers battus et surprendre les spectateurs, Hark décide de cultiver un humour quasi-permanent et de solliciter de nombreux effets spéciaux qui, pour la plupart, sortent du champ de compétence habituelle des productions de Hong-Kong. D’où la sollicitation de quelques ténors hollywoodiens tels que Peter Kuran et Robert Blalack, transfuges tous deux de La Guerre des étoiles. Pendant le tournage et la post-production, le cinéaste aura toutes les peines du monde à faire comprendre à son équipe les idées folles qu’il a en tête. Car Zu, les guerriers de la montagne magique ne ressemble à aucun autre film de cape et d’épée.

Au cinquième siècle, pendant la période des Seize Royaumes, d’interminables guerres civiles déchirent la Chine. Alors qu’il déserte sa troupe juste avant un assaut contre une armée ennemie, l’éclaireur Dik Ming-kei se réfugie dans une caverne sinistre, nichée à l’intérieur de la montagne Zu, où il est assailli par des vampires. Sauvé de justesse par le maître Ding Yan, il décide de devenir son élève. Lorsque tous deux tombent dans une embuscade tendue par le « démon de sang », le chasseur de démons Siu Yu et son élève Yat Jan leur viennent en aide. Mais le quatuor a toutes les peines du monde à faire le poids. « Le kung fu du démon vaut dix fois celui du juste », leur affirme le monstre avec aplomb.  Si nos guerriers parviennent à repousser la créature en enfermant provisoirement son âme dans un cocon, ils doivent désormais trouver les épées doubles pour la détruire définitivement. L’aide de la Maîtresse du « Fort Céleste » va s’avérer précieuse pour y parvenir…

Georges Méliès sous acide

Zu, les guerriers de la montagne magique prend d’abord les allures d’une comédie en costumes, pas très éloignée de l’humour absurde des Monty Pythons, comme en témoignent ces deux chefs qui n’arrivent pas à se mettre d’accord et accusent leur éclaireur de désobéir, ou ces deux duellistes qui se battent parce qu’ils n’ont pas une tenue de la même couleur. Dans le même esprit, le film s’amuse avec les archétypes du genre. « Es-tu un gentil ou un méchant ? » demande l’un des héros à un vieil inconnu. « Je suis un gentil, puisque je suis habillé en blanc ! », répond ce dernier. Lorsque Tsui Hark fait basculer son récit dans le fantastique, il n’y va pas avec le dos de la cuiller : des vampires monstrueux aux yeux lumineux qui volent comme des chauve-souris, des lianes vivantes qui s’accrochent à leurs victimes, des corbeaux maléfiques en dessin animé, des jets d’énergie dignes de Dragonball, des sourcils hypertrophiés et adhésifs, des corps qui se transforment en glace ou qui gonflent de toutes parts, des statues qui bougent et s’envolent pour servir de montures… Toutes les folies sont autorisées. Les manifestations magiques et les phénomènes surnaturels qui saturent l’écran avec une générosité boulimique, sur un rythme survolté qui ne se relâche jamais, sollicitent tous les trucages possibles et imaginables, des câbles à la rotoscopie en passant par la pyrotechnie, les maquettes, les prothèses et les incrustations. C’est presque du Georges Méliès sous acide ! Sans compter ces superbes chorégraphies qui ne cessent de défier les lois de la pesanteur et dotent les combats d’un caractère expérimental presque abstrait. Zu, les guerriers de la montagne magique fera école, poussant Tsui Hark à produire quelques années plus tard la trilogie Histoires de fantômes chinois.

 

(1) Extrait d’une interview présente dans les bonus de l’édition HK Video, en 2001.

 

© Gilles Penso

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LIFE OF CHUCK (2024)

Tom Hiddleston incarne un homme banal dont le destin prend des proportions cosmiques dans cette bouleversante adaptation de Stephen King…

THE LIFE OF CHUCK

 

2024 – USA

 

Réalisé par Mike Flanagan

 

Avec Tom Hiddleston, Jacob Tremblay, Benjamin Pajak, Cody Flanagan, Chiwetel Ejiofor, Karen Gillan, Mia Sara, Carl Lumbly, Mark Hamill, David Dastmalchian

 

THEMA CATASTROPHES I MORT I SAGA STEPHEN KING

Mike Flanagan et Stephen King, c’est une affaire qui roule. Après avoir réalisé les très honorables Jessie et Doctor Sleep, qui présentaient déjà chacun de sérieux challenges (un huis-clos minimaliste d’un côté, la suite d’un classique réputé intouchable de l’autre), Flanagan se lance un défi supplémentaire en s’attaquant à l’adaptation de La Vie de Chuck, une nouvelle tirée du recueil Si ça saigne paru en 2020. Structuré en trois actes remontant à rebours la vie d’un homme ordinaire, ce court récit appelle une approche intimiste et émotionnelle, le fantastique s’y installant de manière discrète pour offrir une réflexion méditative sur le temps et la mémoire. Flanagan en écrit le scénario en 2022, sans commande préalable, mû par l’envie de concrétiser une œuvre qu’il souhaite avant tout personnelle. Cette période correspond à la fin de sa collaboration avec la plateforme Netflix, pour laquelle il a réalisé plusieurs séries événementielles comme The Haunting of Hill House, Sermons de minuit ou La Chute de la maison Usher. Le script de Life of Chuck, bouclé entretemps, reste indépendant d’un quelconque studio, et le film n’entrera en production que début 2023 sous la bannière de Intrepid Pictures, la société de Flanagan.

« Chaque vie est un univers ». Cette phrase d’accroche, présente sur les affiches de Life of Chuck, résume à elle seule tout le principe du film. Et nul besoin d’en savoir plus, afin de préserver la surprise qu’offrent cette œuvre singulière, sa trame, ses personnages et ses choix narratifs. C’est une histoire simple, banale, comme il en existe sans doute des millions d’autres. Mais la manière dont Stephen King et Mike Flanagan la racontent fait toute la différence, au point d’en faire soudain le récit le plus important de tout l’univers. Tout commence comme un film catastrophe, au cours duquel le monde se désagrège progressivement, inexorablement, sans espoir. Pourtant, c’est un faux départ. Ou plutôt non. Tout ce qui se passe dans ce premier chapitre est réel, mais pas comme on l’imaginerait. En dire plus, ce serait risquer d’en dire trop. Life of Chuck est un choc émotionnel puissant et intense parce qu’il parvient justement à conjuguer le routinier et l’extraordinaire, le quotidien et le fantastique, l’infiniment grand et l’infiniment petit.

« Chaque vie est un univers »

Si Tom Hiddleston nous touche plus que de raison dans le rôle de Chuck, les jeunes acteurs qui l’incarnent à l’âge de l’enfance et de l’adolescence (Jacob Tremblay, Benjamin Pajak et Cody Flanagan) le font tout autant, chacun combinant son jeu et sa prestation à celles des autres pour nous offrir le portrait composite de cet homme au parcours bouleversant. Cette tranche de vie banale prenant une dimension cosmique, l’entourage de Chuck est campé par une brochette d’acteurs que Flanagan choisit à la fois pour l’intensité de leur jeu mais aussi pour l’empreinte qu’ils ont laissée dans l’inconscient collectif. Les grands parents (Mark Hamill et Mia Sara), l’enseignant (Chiwetel Ejiofor), l’infirmière (Karen Gillan), l’entrepreneur de pompes funèbres (Carl Lumbly), la voisine (Heather Langenkamp) nous semblent ainsi étrangement familiers, comme déjà inscrits dans nos propres souvenirs. Les caprices du destin, les choix qui jalonnent l’existence, les joies et les regrets se cristallisent dans une séquence d’une grâce folle – qui fera date, n’en doutons pas – au cours de laquelle le spectateur s’abandonne sans résistance, oubliant tout esprit d’analyse pour laisser l’euphorie le gagner. Ces petits miracles ne sont pas si fréquents sur un écran de cinéma. Loin des clowns monstrueux et des hôtels hantés, Life of Chuck explore ainsi une facette moins connue et beaucoup plus introspective de l’univers de Stephen King, celle où le surnaturel est une affaire de perception. Nous voilà sur un terrain qui évoque plus volontiers Cœurs perdus en Atlantide que les classiques horrifiques tirés de la prose du romancier. En se frottant à cette histoire construite comme un emboîtement de poupées russes, Mike Flanagan signe sans conteste son film le plus abouti et le plus saisissant.

 

© Gilles Penso

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ZOMBIES VS. STRIPPERS (2012)

Une horde de morts-vivants avides de cerveaux humains envahit un club de strip-tease sur le point de fermer ses portes…

ZOMBIES VS. STRIPPERS (2012)

 

2012 – USA

 

Réalisé par Alex Nicolaou

 

Avec Circus-Szalewski, Eve Mauro, Victoria Levine, Adriana Sephora, Nihilist Gelo, Don Baldamaros, Tanner Horn, Brittany Gael Vaughn, Adam Brooks, Patrick Lazzara

 

THEMA ZOMBIES I SAGA CHARLES BAND

Les zombies étant revenus sur le devant de la scène grâce à 28 jours plus tard, L’Armée des morts et la série The Walking Dead, les petits malins de chez Full Moon s’empressent de se mettre au goût du jour. L’idée de mêler le motif du mort-vivant avec des strip-teaseuses est à mettre au crédit du producteur Eric Litynski, flairant aussitôt la bonne affaire. Ainsi naît Zombies vs. Strippers, un film qui se contente finalement de reprendre le concept – et quasiment le titre – de Zombie Strippers, réalisé en 2008 par Jay Lee. Charge au scénariste Kent Roudebush de bricoler un récit simpliste, susceptible d’être mis en boîte en quelques jours de tournage (une semaine à peine) avec un budget anémique (d’environ 60 000 dollars). Très actif derrière la caméra à cette époque, Charles Band, le patron de Full Moon, passe son tour sur ce projet-là. « En écrivant le scénario, je sentais que ce ne serait pas Charlie qui allait le réaliser », raconte Roudebush. « C’était en réalité un film taillé sur mesure pour Ted Nicolaou. Mais il n’avait pas le temps et a donc confié le projet à son fils Alex, en restant tout de même derrière lui pour l’aider à mener les choses à terme. » (1) Alex Nicolaou fait ainsi ses premiers pas en tant que réalisateur et retravaille le scénario avec Nick Francomano.

Le club de strip-tease « Tough Titty » ne marche pas fort. Les clients ne se bousculent pas, l’argent commence à manquer sérieusement et les dettes s’accumulent. Spider (Circus-Szalewski), le patron, prend donc la lourde décision de vendre l’endroit pour qu’il soit démoli et transformé en parking. Selon lui, il est temps de tourner la page, d’autant que la soirée est en train de prendre une tournure très bizarre. Non seulement les deux derniers clients semblent parfaitement insensibles aux charmes de la danseuse qui se dénude devant eux en tenue d’écolière, mais en plus ils gémissent bizarrement, le regard blafard, et commencent à s’entredévorer ! Spider les fait donc expulser manu militari sans se douter du danger qui couve. Or les informations télévisées annoncent une série d’émeutes et de scènes de panique partout dans la ville. Bientôt, des zombies affamés font irruption dans le club et un petit groupe de survivants se serre les coudes pour tenter d’endiguer l’invasion…

Comique strip

Malgré son allure de film semi-amateur trahissant un cruel manque de moyens – décor unique, prise de son approximative, limites techniques évidentes – Zombies vs. Strippers parvient à tirer son épingle du jeu grâce à une troupe de comédiens certes peu subtils, mais manifestement portés par un enthousiasme communicatif. Autour de Circus-Szalewski – aperçu brièvement dans Evil Bong 3, Killer Eye: Halloween Haunt ou The Dead Want Women – gravite une galerie de personnages hauts en couleur : Eve Mauro campe une strip-teaseuse désabusée au caractère bien trempé, Brittany Gael Vaughn évoque une version moderne de Pam Grier avec la coupe afro de mise, Tanner Horn joue un DJ junkie digne de figurer dans la saga Evil Bong et Brad Pott un motard mystique frappé par la foi. Mais les véritables vedettes du film, ce sont bien sûr les zombies, qui grognent « cerveau ! » comme ceux du Retour des morts-vivants, et cachent même parmi leurs rangs un émule du Michael Jackson de Thriller. Les effets gore, confiés à Christopher Bergschneider, sont sommaires mais percutants, à l’image de ce visage arraché laissant apparaître un faciès sanguinolent aux yeux exorbités. Dommage que le maquilleur, faute de temps et de coordination sur le plateau, n’ait pas pu aller au bout de ses ambitions. Plusieurs idées tout aussi barrées sont restées dans les tiroirs. Quoiqu’il en soit, Zombies vs. Strippers marchera très bien sur le marché vidéo. Ce sera même l’un des plus gros succès de Charles Band depuis longtemps.

 

(1) Propos extraits du livre « It Came From the Video Aisle ! » (2017)

 

© Gilles Penso

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STRYKER (1983)

Une modeste imitation de Mad Max 2, produite par Roger Corman et réalisée par un grand spécialiste du cinéma d’exploitation philippin…

STRYKER

 

1983 – PHILIPPINES / USA

 

Réalisé par Cirio H. Santiago

 

Avec Steve Sandor, Andria Savio, William Ostrander, Michael Lane, Julie Gray, Monique St Pierre, Jon Harris, Ken Metcalfe, Joseph Zucchero, Michael De Mesa

 

THEMA FUTUR

En 1983, à l’apogée de la mode post-apocalyptique déclenchée par Mad Max 2, Roger Corman et sa société New World Pictures lancent la production de Stryker. Fidèle à son modèle économique fondé sur les petits budgets et les rendements rapides, Corman choisit de confier la réalisation du film à l’un de ses plus fidèles partenaires à l’étranger : Cirio H. Santiago, figure emblématique du cinéma d’exploitation philippin. Né en 1936, Santiago s’est imposé dans les années 1970 et 1980 comme l’un des piliers d’une industrie locale florissante, capable de produire à la chaîne des films destinés au marché international (ses « titres de gloire » ont des appellations colorées comme TNT Jackson, Attaque à mains nues ou Mission finale). Réputé pour son efficacité, il devient un collaborateur régulier de Corman, qui voit dans les Philippines un terrain de tournage idéal : des coûts réduits, des décors naturels facilement exploitables, et une main-d’œuvre technique bien rodée. Stryker s’inscrit donc dans cette logique de coproduction hybride. La distribution est constituée d’acteurs américains de seconde zone, mais la réalisation, l’équipe technique et les sites de tournage sont entièrement locaux.

« La guerre a commencé par erreur », nous dit une voix off en guise d’introduction. « L’erreur de qui ? Personne ne le sait, et ça importe peu. Ce qui importe désormais, c’est la survie. » Dans le monde ravagé par un holocauste nucléaire que nous décrit Stryker, la civilisation s’est effondrée, laissant place à un vaste désert aride où l’eau est devenue la denrée la plus précieuse. Les rares survivants se sont regroupés en colonies et mènent une guerre sans merci pour le contrôle des dernières sources. C’est dans ce contexte chaotique que surgit Stryker (Steve Sandor), un ancien soldat devenu vagabond, parcourant les routes brûlantes du désert aux côtés d’un compagnon d’infortune surnommé Bandit (William Ostrander). Lorsque Stryker croise le chemin de Delha (Andria Savio), une jeune femme traquée par les sbires du seigneur de guerre Kardis (Mike Lane), il décide de lui porter secours. Delha détient un secret lourd de conséquences : elle connaît l’emplacement d’une source d’eau intacte, jalousement gardée par un groupe d’Amazones. Tandis que Kardis et ses guerriers se lancent à leurs trousses, Stryker conduit Delha jusqu’à une communauté paisible dirigée par son frère Trun (Ken Metcalfe)…

Bad Max

Stryker ne cherche jamais à cacher son statut d’imitation bon marché de Mad Max 2. Dans le rôle du héros solitaire flanqué d’un chapeau de cow-boy, Steve Sandor campe un peu expressif substitut de Mel Gibson, au volant d’une voiture imitant l’Interceptor. Riche en fusillades, en bagarres et en poursuites, le film exhibe toute une série de véhicules recustomisés (Jeeps, camions-citernes, tricycles à moteur, chars d’assaut) mais n’offre rien que nous n’ayons déjà vu ailleurs. Pour sacrifier aux codes du cinéma d’exploitation qu’il connaît bien, Santiago se laisse tenter par quelques accès de violence décomplexés et par un soupçon de nudité féminine. Il tente aussi d’enrichir l’intrigue et de donner un semblant d’épaisseur aux personnages par le biais d’un flash-back en noir et blanc racontant furtivement le passif qui oppose le héros et le grand méchant. Peine perdue : Stryker est un film terriblement ennuyeux, tourné dans des décors d’une grande pauvreté esthétique, qui ne nous égaie que via une série de trouvailles amusantes (une tribu d’Amazones armées d’arcs et d’arbalètes, une peuplade de nains au langage incompréhensible et cette idée astucieuse qui consiste à préférer à la pénurie d’essence habituelle celle de l’eau). Le film connaîtra tout de même un petit succès et poussera Santiago à enchaîner plusieurs autres séries B post-apocalyptiques du même acabit.

 

© Gilles Penso

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