THE DARK SLEEP (2012)

Dans cette adaptation libre d’un récit de H.P. Lovecraft, une romancière est assaillie par des cauchemars de plus en plus perturbants…

THE DARK SLEEP

 

2012 – USA

 

Réalisé par Brett Piper

 

Avec Ashley Galloway, Taylor Nicole Adams, Steve Diasparra, Ken Van Sant, Bob Dennis et Mark Polonia, Yolie Canales, M. Streeter Smith, Ratchel Rae

 

THEMA RÊVES

Avec The Dark Sleep, Brett Piper change un peu de registre et laisse de côté les effets spectaculaires et l’humour volontiers potache de ses films précédents (A Nymphoid Barbarian in Dinosaur Hell, Drainiac, Psychlops, Bite Me, Shock-O-Rama) au profit d’une atmosphère plus pesante et d’une approche au premier degré. Pour cet « écart de route », il s’inspire librement d’un texte de H.P. Lovecraft, La Maison de la sorcière, pour raconter l’installation de la romancière Nancy Peterson (Ashley Galloway), tout juste divorcée, dans une grande maison au milieu de la forêt. L’endroit est chaleureux, malgré l’étrange peinture ésotérique qui est affichée dans la cave et que son ex-époux, propriétaire des lieux, lui a demandé de ne jamais décrocher. Le premier soir, Nancy croit voir un énorme rat dans sa chambre à coucher. L’apparition de la créature montre la volonté de Brett Piper de détourner la stop-motion de l’usage référentiel et distrayant qu’il en fait habituellement (dans la lignée des travaux de ses maîtres à penser Willis O’Brien et Ray Harryhausen) pour susciter des frissons nouveaux chez les spectateurs. De fait, cet étrange être démoniaque qui fixe la jeune femme au bout de son lit puis disparaît derrière une cloison parvient sans mal à nous mettre mal à l’aise. Lorsqu’ils sont dépêchés sur place, les dératiseurs ne trouvent rien. S’agirait-il d’une hallucination ?

En la voyant si perturbée, la sœur de Nancy, Kelly (Taylor Nicole Adams), la présente au scientifique Walter Gilman (Ken Van Sant), qui lui parle de rituels occultes permettant d’ouvrir des passages vers d’autres dimensions gouvernées par Nyarlathotep, accessibles à travers les rêves. Plus tard, au cours d’un cauchemar surréaliste, Nancy fait face à une machine bizarre en stop-motion – à mi-chemin entre les tripodes de La Guerre des mondes et l’araignée mécanique de Explorers – qui la prend en chasse jusqu’à son réveil en sursaut. Cette création n’est pas sans évoquer la machine composite que Piper mettait en scène et animait dans le premier segment de Shock-O-Rama. Dans le rêve suivant, Nancy est assaillie par des squelettes de créatures volantes, qui s’appréhendent cette fois-ci comme un double hommage direct aux monstres emblématiques de Jason et les Argonautes. Le monstre-rat refait quant à lui son apparition dans des proportions beaucoup plus alarmantes. Désormais gros comme un éléphant, il prend en chasse la romancière, Piper alternant une marionnette mécanique et une figurine en stop-motion selon les plans de cette séquence cauchemardesque. Plus tard, notre infortunée rêveuse fait face à un squelette casqué à la mâchoire affublée de tentacules et à deux molosses reptiliens aux mâchoires carnassières et aux yeux rouges.

Les griefs de la nuit

Comme toujours, le réalisateur/scénariste/animateur/superviseur d’effets visuels ne se réfrène donc pas sur la générosité du spectacle malgré le budget anémique dont il dispose. Certes, la légèreté s’immisce régulièrement dans le film – écho de la personnalité du cinéaste –, et plusieurs références cinéphiliques destinées aux connaisseurs affleurent (l’allusion au guerrier Zuni de La Poupée de la terreur, un personnage baptisé Pete Peterson en hommage à l’assistant de Willis O’Brien sur Le Scorpion noir), mais le ton général de The Dark Sleep marque une intéressante rupture de ton avec le reste de sa filmographie. Le manque de moyens finit même par jouer en faveur du film, qui se réfugie souvent dans l’épure et mue les scènes de rêves en passages déroutants baignés dans une atmosphère quasiment hypnotique. Le scénario réserve par ailleurs de nombreuses surprises étrangères au texte original de Lovecraft mais parfaitement cohérentes avec le déroulement du récit, notamment l’étrange destin de la sœur de l’héroïne ou la révélation finale.

 

© Gilles Penso

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PLEASURECRAFT (1999)

L’équipage d’un vaisseau spatial transporte une cargaison top-secrète jusqu’à une planète lointaine : les trois futures épouses d’un ambassadeur…

PLEASURECRAFT

 

1999 – USA

 

Réalisé par Franklin A. Vallette

 

Avec Juan Carlos, Billy Riverside, Paul Johnson, Richard Burns, Vincent Kessler, Brandy Davis, Taimie Hannum, Amber Newman, Shayna Ryan, Andrea Hargitay

 

THEMA SPACE OPERA I SAGA CHARLES BAND

Pleasurecraft est le premier film de Franklin Vallette, grand habitué des productions Charles Band puisqu’il fut réalisateur de deuxième équipe sur Les Créatures de l’au-delà, Demon in the Bottle, Virtual Encounters, Zarkorr ! The Invader, Femalien, Le Cerveau de la famille, Lolita 2000, Le Retour des Puppet Master, Kraa ! The Sea Monster, Murdercycle et Blood Dolls. Ayant touché à tous les univers de la compagnie Full Moon, il semblait parfaitement capable de pouvoir prendre en charge l’un des longs-métrages de la collection « pour adultes » Surrender, mêlant les parties de jambes en l’air déshabillées à de vagues intrigues fantastiques ou de science-fiction. Les exigences artistiques et techniques des films de ce catalogue ne sont pas particulièrement élevées, mais Vallette semble désireux de placer la barre plus haut que d’habitude. Et force est de constater qu’il y parvient. Le décor de vaisseau spatial dans lequel se déroule la majorité de l’intrigue tient la route, les séquences de véhicules stellaires qui traversent le cosmos ou échangent des décharges de rayons destructeurs sont loin d’être honteuses, le maquillage de l’ennemi extra-terrestre est soigné. Bref, voilà qui nous change du rendu ultra-cheap de la plupart des films de SF de la collection, genre Andromina, Femalien, Virtual Encounters, Lolita 2000 ou Veronica 2030. Même le générique sur fond d’étoiles, façon Star Wars ou Superman, semble vouloir marquer une rupture. Certes, la symphonie synthétique qui singe les travaux de John Williams n’est pas très convaincante, mais l’intention est là…

Nous sommes à bord du croiseur stellaire Prometheus, qui sillonne l’espace avec à son bord le charismatique capitaine Jason Harris (Juan Carlos), l’androïde Dex (Paul Johnson) et trois membres d’équipage un peu dissipés (Billy Riverside, Richard Burns et Vincent Kessler). Cette expédition 100% masculine a pour mission de transporter une cargaison précieuse jusqu’à la planète Hutan. Après l’attaque des redoutables Mutarians, qui laisse leur vaisseau en bien piteux état, nos héros découvrent la véritable nature de leur cargaison : il s’agit de trois plantureuses créatures extra-terrestres venues de la planète Credos qui sont destinées à épouser un puissant ambassadeur polygame. Les habitués du catalogue Surrender reconnaîtront le visage de ces trois charmantes futures mariées : Brandy Davis (Virtual Encounters 2), Taimie Hannun (Timegate) et Amber Newman (Dungeon of Desire). Le problème, c’est que les hommes du Prometheus ne sont pas du tout insensibles aux charmes de leurs passagères, qui ne se montrent d’ailleurs pas particulièrement farouches. Seront-ils capables d’honorer leur engagement ou vont-ils se laisser conduire par leurs sentiments ? Le dilemme est d’autant plus compliqué que les belles aliennes ne sont plus tout à fait certaines de vouloir suivre leur destinée première…

Star Trique

Les amateurs de Star Trek auront sans doute reconnu dans cette intrigue de nombreux points communs avec l’épisode « Hélène de Troie », diffusé en 1968, dans lequel une ambassadrice venue d’une lointaine planète, transportée par l’Entreprise en vue de son futur mariage conclu pour apaiser une situation politique, dégageait une aura rendant tous les hommes amoureux d’elle et finissait par renoncer à ses noces. La différence, bien sûr, c’est que le capitaine Kirk et Monsieur Spock gardaient leur pantalon, ce qui est loin d’être le cas des astronautes de Pleasurecraft. Le carnet de bord que tient en voix off le chef de l’équipage et le look des agresseurs Mutarians – proche de celui des Klingons – parachèvent les allusions au show de Gene Roddenberry. Pleasurecraft possède donc une petite touche de SF à l’ancienne qui n’est pas sans charme, à laquelle s’ajoutent quelques trouvailles originales, comme une unité de réalité virtuelle qui permet au capitaine de s’évader dans un épisode de sitcom des années 50 – façon I Love Lucy – jusqu’à ce que son escapade vire à une expérience de cybersexe beaucoup plus crue. Le film multiplie bien sûr les galipettes dénudées à un rythme régulier – c’est la raison d’être première des productions Surrender – mais il faut reconnaître que Pleasurecraft se situe allègrement sur le dessus du panier de cette collection par ailleurs extrêmement anecdotique.

 

© Gilles Penso

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CRIMES AU MUSÉE DES HORREURS (1959)

Un journaliste criminel qui a sombré dans la démence mégalomane ensanglante la ville avec une série d’assassinats sophistiqués…

HORRORS OF THE BLACK MUSEUM

 

1959 – GB

 

Réalisé par Arthur Crabtree

 

Avec Michael Gough, June Cunningham, Graham Curnow, Shirley Anne Field, Geoffrey Keen, Gerald Andersen, John Warwick, Beatrice Varley, Austin Trevor

 

THEMA TUEURS

Concocté par le réalisateur Arthur Crabtree et le producteur Herman Cohen, Crimes au musée des horreurs marque un tournant dans l’histoire du cinéma d’épouvante britannique. Si le film s’inscrit dans le sillage du succès des productions Hammer, il pousse plus loin la représentation du sadisme et de la perversion, au point d’effrayer la censure de l’époque. Londres y est le théâtre d’une série de meurtres atroces. Tandis que la police piétine, le célèbre journaliste Edmond Bancroft (Michael Gough), auteur de chroniques criminelles, ne se prive pas de fustiger son incompétence. Derrière ses airs de critique acerbe se cache pourtant le vrai monstre. Car c’est Bancroft lui-même qui orchestre ces crimes, utilisant une drogue pour contrôler son jeune assistant Rick (Graham Curnow), transformé en tueur hypnotisé. Les meurtres eux-mêmes frappent par leur inventivité : des jumelles piégées dont jaillissent des pointes métalliques qui transpercent les yeux d’une malheureuse, une guillotine artisanale qui décapite une victime endormie, un bain d’acide qui réduit un corps à l’état de squelette… Ce défilé macabre évoque autant le futur Docteur Phibes que les excès à venir du gore américain. Herman Cohen, qui s’était déjà fait un nom avec I Was a Teenage Werewolf et I Was a Teenage Frankenstein, pousse le bouchon horrifique encore plus loin.

Si le film reste si marquant, c’est avant tout grâce à l’interprétation démente de Michael Gough. Préféré à Vincent Price et Orson Welles pour des raisons budgétaires, l’acteur s’impose comme une incarnation inoubliable de la folie narcissique. Son Edmond Bancroft, dandy intellectuel et misanthrope, dissimule sous sa respectabilité un appétit pour le meurtre et la domination. Gough, dans une veine shakespearienne, déclame des tirades savoureusement emphatiques : « La société prétend réprimer le mal, mais pas moi… J’ai prouvé que le Docteur Jekyll et Mister Hyde existent. » Cette outrance théâtrale, loin de nuire au film, en devient la signature. Crabtree filme son acteur comme une bête de scène, accentuant son regard fiévreux, ses gestes amples et son sourire carnassier. On sent poindre, derrière le crime, la jubilation du spectacle. Pour le titre original du film, Herman Cohen s’inspire directement du véritable « Black Museum » de Scotland Yard, où étaient exposées des armes et objets criminels réels. Les fameuses jumelles truquées du film proviennent d’ailleurs d’un authentique fait divers.

La fascination pour le morbide

Le décor du musée de Bancroft, empli de mannequins, de têtes coupées et de gadgets meurtriers, semble presque fonctionner comme une métaphore du cinéma lui-même, puisqu’il s’agit d’un espace où le morbide devient spectacle. À travers cette collection de crimes mis en scène, le film nous donne l’impression d’interroger le public sur sa fascination pour la violence. Bien sûr, le scénario souffre d’invraisemblances (le maquillage blafard du tueur hypnotisé n’est jamais expliqué), mais ce manque de cohérence contribue à son aura surréaliste. Tout ici est excessif, théâtral, parfois absurde. Crabtree, ancien chef opérateur devenu cinéaste, filme l’horreur comme un spectacle de foire. La mise en scène s’appuie sur un Technicolor vif qui accentue la dimension artificielle et carnavalesque des meurtres. Grâce à ses choix plastiques et à ses excès, le film conserve aujourd’hui encore un charme singulier, à mi-chemin entre le Grand-Guignol parisien et les futurs délires sanglants d’Herschell Gordon Lewis. Crabtree boucle son intrigue en à peine soixante-quinze minutes, sans temps mort. On regrette finalement que notre homme ne se soit frotté qu’une seule autre fois au genre, avec Les Monstres invisibles l’année précédente, parce qu’il témoigne ici d’une indiscutable affinité avec l’horreur et l’épouvante.

 

© Gilles Penso

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LE PALAIS DES MILLE ET UNE NUITS (1905)

Georges Méliès réinvente à sa manière les contes arabes dans cette féerie hallucinante truffée de sortilèges et de créatures fantastiques…

LE PALAIS DES MILLE ET UNE NUITS

 

1905 – FRANCE

 

Réalisé par Georges Méliès

 

Avec Georges Méliès

 

THEMA MILLE ET UNE NUITS I DRAGONS

Avec Le Palais des Mille et Une Nuits, Georges Méliès signe l’un de ses films les plus ambitieux, et sans doute l’un des plus représentatifs de son art. Le titre promet un voyage en Orient, terre de merveilles et de sortilèges telle que l’imaginait l’Occident du début du XXe siècle. Pourtant, le film n’adapte pas directement les contes d’Aladin ou de Shéhérazade mais s’en inspire librement. Le héros est le prince Sourire, un jeune noble sans fortune épris de la princesse Indigo. Hélas, le père de cette dernière, un rajah autoritaire, refuse leur union et destine sa fille à un riche usurier. Désemparée, la princesse libère accidentellement un magicien, Khalafar – interprété par Méliès lui-même -, qui lui remet un cimeterre magique capable de changer leur destin. S’ensuit une quête parsemée d’épreuves : temple mystérieux, forêt enchantée, déesses animées, squelettes, dragons et autres apparitions extravagantes. Dans ce tourbillon d’images et d’inventions, le prince affronte les manifestations surnaturelles, triomphe du mal et revient couvert de richesses pour épouser enfin sa bien-aimée. Cette trame simple n’est qu’un prétexte à un déploiement visuel spectaculaire. Car Le Palais des Mille et Une Nuits est avant tout une explosion d’imagination, où Méliès pousse à leur paroxysme les possibilités du cinéma naissant.

Produit par sa société, la Star Film, Le Palais des Mille et Une Nuits existe en deux versions : une copie abrégée d’environ 22 minutes et une version complète avoisinant les 28 minutes, durée exceptionnelle pour l’époque. C’est l’un des tout premiers films véritablement « longs » de Méliès, composé de dizaines de tableaux qui s’enchaînent comme une succession de numéros de théâtre. Chaque scène recèle une trouvaille visuelle, des statues qui s’animent aux fantômes translucides obtenus par surimpression, en passant par les objets qui disparaissent dans un nuage de fumée ou encore la végétation mouvante qui s’écarte d’elle-même pour révéler un temple. La séquence du serpent géant cracheur de feu que les héros affrontent dans une grotte lointaine est un moment d’anthologie. Le monstre est en réalité une marionnette grandeur nature (très semblable à celle du serpent géant qui surgissait dans Le Puits fantastique de 1903), dont les grands yeux, la gueule dentée et les cornes évoquent les gravures du 18ème siècle. Derrière l’effet spectaculaire se cache un travail d’orfèvre puisque l’équipe de Berthe Thuillier, collaboratrice fidèle de Méliès, appliquait minutieusement la couleur image par image au pochoir. Cette colorisation artisanale participe pleinement à la magie du film. Les ors et les rouges évoquent la richesse de l’Orient rêvé, tandis que les bleus et les verts plongent le spectateur dans un monde irréel où tout semble possible.

Les Folies Bergères orientales

L’ambition du projet se lit également dans l’ampleur de la production : plus de quarante comédiens (dont les noms ont hélas été oubliés aujourd’hui), des dizaines de décors peints et une profusion de costumes achetés auprès d’un fabricant de théâtre en faillite. On y retrouve même des danseuses issues des Folies Bergère. L’absence d’intertitres était compensée, lors des projections, par un bonimenteur qui racontait l’histoire en direct, une pratique courante à l’époque, transformant la séance en véritable performance vivante. Mais ce qui distingue Le Palais des Mille et Une Nuits des autres œuvres de Méliès, c’est la manière dont il conjugue l’exotisme et la magie. Là où Le Voyage dans la Lune explorait la science comme porte d’accès au rêve, celui-ci fait de l’Orient un pur territoire d’imagination. Méliès ne cherche évidemment pas le réalisme ethnographique. Il crée un monde symbolique, reflet des désirs et des croyances d’une époque fascinée par l’ailleurs. Nous sommes donc en présence d’un Orient de carton-pâte fantasmé, coloré et festif. Si Le Palais des Mille et Une Nuits fut l’un des derniers grands triomphes de Méliès avant le déclin de sa carrière, il demeure aujourd’hui une pièce maîtresse de son œuvre.

 

© Gilles Penso

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BLOODY BIRD (1987)

Une troupe de comédiens et de danseurs qui répètent un spectacle musical sont pris pour cible par un tueur psychopathe déguisé en rapace…

DELIRIA

 

1987 – ITALIE

 

Réalisé par Michele Soavi

 

Avec David Brandon, Richard Barkeley, Barbara Cupisti, Domenico Fiore, Robert Gligorov, Sheila Goldberg, Mickey Knox, Giovanni Lombardo Radice, Clain Parker

 

THEMA TUEURS

Assistant réalisateur sur un grand nombre de films fantastiques signés notamment par Dario Argento (Ténèbres, Phenomena, Opéra), Joe d’Amato (Horrible, 2020 Texas Gladiator, Le Gladiateur du futur) et Lamberto Bava (La Maison de la terreur, Démons), Michele Soavi s’est progressivement nourri d’une cinéphilie compulsive qu’il allait bien falloir faire jaillir à l’écran, un jour où l’autre. En 1987, il franchit donc le pas et réalise son premier long-métrage, Deliria, connu sous de nombreux titres alternatifs : Stage Fright aux États-Unis, Aquarius en Allemagne, Le Théâtre de la peur au Québec et Bloody Bird en France. « Je ne me sentais pas encore tout à fait prêt à passer à la mise en scène », confessera plus tard Soavi. « Mais bien sûr, lorsqu’on m’a proposé cette opportunité, j’ai accepté sans hésiter ! » (1) Force est de constater que notre homme fait preuve ici d’un solide savoir-faire et de goûts artistiques déjà très prononcés. Le film est produit par Joe d’Amato et écrit par l’acteur George Estman (Anthropophagous, Horrible) sous le pseudonyme de Lew Cooper. Soavi lui-même américanise son prénom pour le générique (Michele devient ainsi Michael). Car si Bloody Bird est une production 100% italienne, avec une équipe et un casting locaux, l’intrigue se situe aux États-Unis, comme en témoignent les drapeaux américains, les voitures de polices et les dollars qui apparaissent à l’écran.

Bloody Bird joue la carte de l’unité de lieu et de temps, puisque l’intrigue se déroule en une nuit dans un décor presque unique. Le soir est déjà tombé depuis longtemps lorsque l’intrigue démarre, alors qu’une troupe de comédiens et de danseurs poursuit ses répétitions sur la scène d’un théâtre. Dirigé d’une poigne de fer par Peter (David Brandon), un metteur en scène exigeant et autoritaire, le spectacle en préparation est une comédie musicale tournant autour d’un tueur en série fictif, le Night Owl. Moderne, teinté d’une forte charge érotique, le show est déjà programmé mais rien ne semble encore convenir à Peter, qui aboie après tout le monde pour obtenir ce qu’il veut. Lorsque l’actrice Alicia (Barbara Cupisti) se foule la cheville, elle et sa collègue Betty (Ulrike Schwerk) s’échappent discrètement pour aller chercher de l’aide médicale auprès d’un hôpital voisin. Or dans une des chambres/cellules de l’établissement, Betty remarque la présence d’Irving Wallace (Clain Parker), un redoutable tueur psychopathe. À l’insu de tous, ce dernier assassine un aide-soignant et se cache dans le coffre de la voiture de Betty. Lorsque les deux jeunes femmes regagnent le théâtre, elles ne sont plus seules…

Oiseau de mauvais augure

Dès son entame, Bloody Bird brouille les pistes, nous laissant croire à une scène de crime stylisée pour révéler aussitôt qu’il s’agit d’une répétition théâtrale avec des acteurs en costumes devant des feuilles de décor. Cette porosité entre la fiction et la réalité atteint son point de non-retour lorsque le tueur, remplaçant le comédien qui l’incarne, endosse sa tenue de rapace et occis vraiment une actrice sur scène pendant une répétition. Mais plus qu’un acteur de substitution (nous apprenons que le psychopathe était comédien avant de sombrer dans la folie meurtrière), notre assassin à tête d’oiseau se mue littéralement en metteur en scène, transformant ses meurtres en grand spectacle scénique, choisissant minutieusement les éclairages, la musique, la disposition du décor et des acteurs, poussant même le souci du détail jusqu’à laisser voler des plumes grâce à un ventilateur. Et ici encore, le faux-semblant est roi, puisque les cadavres se mêlent aux mannequins en plastique. Ce motif visuel est de toute évidence inspiré par Mario Bava. Car Soavi connaît ses classiques. S’il emprunte à son mentor Argento un certain sens de la flamboyance pour composer des séquences d’épouvante opératiques (au beau milieu d’un ballet qui fait écho à Suspiria), il semble aussi se laisser influencer par John Carpenter dont il reprend les jeux d’arrière-plans et les déflagrations musicales électroniques. Visuellement somptueux, Bloody Bird se situe donc aux confluents du giallo et du slasher, nous offre son lot de meurtres sanglants et de séquences de suspense stressantes et démontre le talent déjà immense du futur réalisateur de Dellamorte Dellamore.

 

(1) Extrait d’une interview publiée dans le magazine Gorezone en 1992.

 

© Gilles Penso

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SHOCK-O-RAMA (2005)

Une machine monstrueuse faite de carcasses de voitures, un zombie déchaîné et une savante folle se croisent dans ce film à sketches délirant…

SHOCK-O-RAMA

 

2005 – USA

 

Réalisé par Brett Piper

 

Avec Misty Mundae, Duane Polcou, Michael R. Thomas, David Fine, Erika Smith, Mike Schuster, Rob Bellamy, Rob Monkiewicz, Caitlin Ross, A.J. Khan, Julian Wells

 

THEMA ROBOTS I EXTRA-TERRESTRES I ZOMBIES I MÉDECINE EN FOLIE

Au début des années 2000, le scénariste et réalisateur Brett Piper pense à trois idées pouvant donner lieu à autant de longs-métrages autonomes : une entité extraterrestre qui séquestre un couple, un ancien sataniste qui revient d’entre les morts et un cerveau diabolique qui cherche à asservir l’humanité. Après réflexion, il choisit l’exercice du film à sketches, et c’est ainsi que nait le projet Shock-O-Rama, qu’il parvient à tourner en deux semaines à peine. Un producteur en quête d’une actrice habituée aux séries B visionne plusieurs films : tel est le prétexte pour enchaîner les trois courts récits de Shock-O-Rama. Le premier, « Mecharachnia », est une nouvelle déclaration d’amour de Brett Piper à l’animation en stop-motion. Poursuivie par une navette spatiale, une petite fusée traverse l’hyper-espace et atterrit sur terre au beau milieu d’une casse tenue par le massif Jed (Rob Monkiewicz). Le minuscule alien qui s’en échappe est une sorte de cyclope maigrichon et ricaneur armé d’un rayon laser. Animée dans huit plans très dynamiques, la créature se meut avec beaucoup d’agilité et s’intègre particulièrement bien dans les prises de vues réelles. Alors que notre héros tente d’échapper aux tirs nourris de l’envahisseur lilliputien, son ex-petite amie (Caitlin Ross) le rejoint pour réclamer l’argent qu’il lui doit. Le gremlin d’outre-espace électrifie alors les téléphones et la grille d’entrée pour piéger le couple.

Puis vient le clou du spectacle : un immense monstre mécanique que l’alien a créé en assemblant plusieurs carcasses et qui se dresse de toute sa hauteur pour attaquer les protagonistes. L’avant du corps est une carrosserie de voiture, l’arrière une sorte de turbine, le bras droit est une excavatrice, le bras gauche un canon, et l’ensemble est monté sur trois pattes articulées. L’incrustation de ce robot composite au milieu des comédiens est très réussie. L’un des plans les plus étonnants, dans ce domaine, montre Linda qui court entre ses pattes. Le climax de ce sketch audacieux montre la machine aux prises avec une pelleteuse conduite par Jed. La cinquantaine de plans dans lesquels s’anime cet émule low-cost de Robocop 2 et de La Guerre des Mondes prouve que la stop-motion reste parfaitement viable pour ce type de créature. Les deux autres sketches se passent quant à eux de l’animation, sans leur ôter pour autant leur charme « pulp » qui semble presque échappé d’une autre époque. Et pour compenser, Piper s’appuie largement sur l’exposition de l’anatomie d’un casting féminin très peu pudique.

Le cerveau solitaire

Dans « Zombie This », l’actrice Rebecca Raven (Misty Mundae), qui en a assez d’être cantonnée aux rôles d’exploitation dénudés et stéréotypés, décide de partir en vacances dans une maison isolée, où elle déterre accidentellement un zombie (Duane Polcou) bien décidé à la prendre pour cible. Le monstre vedette est ici affublé d’un maquillage un peu évasif, signé Michael Thomas, ce qui a tendance à renforcer le caractère « comic book » de ce segment drôle et excessif. Le rôle de l’agresseur et de la victime finissent par s’inverser en un joyeux retournement de situation qui s’appuie à la fois sur l’imagerie de House et de Evil Dead. Plus fou encore, le sketch « Lonely Are the Brain » met en scène le docteur Carruthers (Julian Wells), une scientifique dérangée qui mène des expériences sur les rêves dans une maison de repos peuplée de jeunes femmes séduisantes. Ces tests sont en réalité destinés à alimenter un cerveau vivant monstrueux, jusqu’à ce que l’une de ses cobayes (A.J. Khan) découvre la véritable nature de ces expérimentations et tente de mettre fin aux agissements de la savante folle. Ici, ce sont principalement des marionnettes qui sont sollicitées en guise d’effets spéciaux, notamment pour donner corps à des rats monstrueux, des serpents visqueux et cette fameuse entité maléfique au cerveau hypertrophié. Quelques-uns des éléments de cet ultime récit délirant annoncent le futur The Dark Sleep de Brett Piper, dans lequel il rendra hommage à sa manière à l’univers de H.P. Lovecraft.

 

© Gilles Penso

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RESOLUTION (2012)

Le premier long-métrage d’Aaron Moorhead et Justin Benson prend la forme d’un huis-clos étouffant où se déploie une menace invisible…

RESOLUTION

 

2012 – USA

 

Réalisé par Justin Benson et Aaron Moorhead

 

Avec Peter Cilella, Vinny Curran, Zahn McClarnon, Bill Oberst Jr., Emily Montague, Kurt Anderson, Skyler Meacham, Josh Higgins, Justin Benson, Aaron Moorhead

 

THEMA VOYAGES DANS LE TEMPS

Resolution marque les débuts du duo Justin Benson et Aaron Moorhead, deux cinéastes qui s’imposeront ensuite comme des figures singulières du fantastique indépendant avec des films comme Spring, The Endless ou Synchronic. Dès ce premier long-métrage, ils signent une œuvre à la croisée des genres, oscillant entre le drame intime et le cauchemar métaphysique, son caractère fantastique se nichant dans les angles morts du récit. L’histoire débute de manière naturaliste. Michael (Peter Cilella), trentenaire rangé et futur père de famille, se rend dans une cabane perdue au cœur d’une réserve indienne pour retrouver son ami d’enfance Chris (Vinny Curran), toxicomane rongé par la méthamphétamine et la paranoïa. Déterminé à l’aider, Michael l’enchaîne au radiateur, espérant qu’une semaine de sevrage forcé suffira à le sauver. Voilà un point de départ clair, sommaire et dépouillé, presque théâtral. Mais bientôt, des éléments étranges s’invitent dans le huis-clos : des bruits nocturnes, des vidéos anonymes, des photographies anciennes, des fragments de pellicules…

Ce qui frappe d’abord, c’est la manière dont Resolution se réapproprient les codes du cinéma d’horreur. Pendant une large partie du film, Benson et Moorhead donnent l’impression de filmer un drame psychologique minimaliste. Les dialogues esquissent le portrait de deux hommes à la dérive, liés par une amitié abîmée mais indéfectible. Peu à peu, presque insidieusement, l’univers bascule. Les objets trouvés deviennent des messages, les images des avertissements, jusqu’à ce que la caméra elle-même devienne suspecte. C’est là que Resolution révèle sa véritable nature : une réflexion vertigineuse sur la narration, le regard et la fatalité. Le film semble hanté par une entité abstraite qui exige un récit et un dénouement, comme si les protagonistes étaient piégés dans une boucle où toute tentative d’échapper au scénario se soldait par un recommencement. En ce sens, Resolution convoque l’esprit de H.P. Lovecraft sans jamais citer explicitement ses mythes. On y retrouve la peur de l’invisible, l’insignifiance humaine face à une force cosmique indifférente, mais aussi l’impossibilité de comprendre ce qui dépasse notre perception. Mais cette influence est sans doute inconsciente, puisque les duettistes avouent ne s’être plongé dans la prose de l’écrivain de Providence que plus tard, pendant les préparatifs de The Endless.

Boucles et dissonances

Tourné avec un budget microscopique, Resolution s’appuie sur une mise en scène discrète, presque documentaire. La lumière naturelle, les cadrages fixes et l’absence d’effets spéciaux spectaculaires renforcent la crédibilité du contexte, ce qui rend les intrusions surnaturelles d’autant plus troublantes. Le duo Benson/Moorhead préfère la suggestion à la démonstration, la dissonance au jump scare. Le spectateur, à l’image de Michael, se retrouve bientôt dans un état de vigilance permanente, guettant les signes d’une logique cachée que le film refuse obstinément de révéler. À mesure que le récit avance, les couches de réalité se superposent et les personnages découvrent des archives montrant d’autres occupants de la maison, eux aussi confrontés à un cycle d’événements inexpliqués. Cette structure en abyme confère à Resolution une dimension quasi métafictionnelle, comme si nous assistions à un film conscient de sa propre existence, observé par une force qui pourrait bien être celle du cinéma lui-même. Benson et Moorhead détournent ainsi les outils du fantastique pour sonder les mécanismes du récit et interroger la position du spectateur. Qui regarde qui ? Qui contrôle le cadre ? L’horreur, ici, n’est pas dans la menace extérieure mais dans la conscience que tout, jusqu’à la peur, obéit à une logique écrite d’avance. Resolution s’inscrit ainsi dans la lignée d’un certain cinéma de l’inquiétude existentielle tout en annonçant les obsessions futures de ses auteurs : les boucles temporelles, la manipulation des réalités et la question du libre arbitre.

 

© Gilles Penso

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TIMEGATE (1999)

Deux jeunes femmes délaissées par leurs maris visitent une ville historique de l’Ouest et se retrouvent soudain propulsées en l’an 1888…

TIMEGATE : TALES OF THE SADDLE TRAMPS

 

1999 – USA

 

Réalisé par Dan Golden

 

Avec Amy Lindsay, Kim Yates, Nicholas Franklin Bray, Jim Stevens, Michelle Bauer, Ambert Newman, Shannon Malone, J.R. Kuykendall, Taimie Hannum, Collin Toran

 

THEMA VOYAGES DANS LE TEMPS I SAGA CHARLES BAND

Timegate est au départ le nom d’un concept avorté du créateur d’effets spéciaux Jim Danforth (Jack le tueur de géants), sorte de Jurassic Park avant l’heure racontant la mésaventure de touristes envoyés à l’époque des dinosaures. Charles Band a-t-il eu vent du projet ? Toujours est-il qu’il décide de s’emparer de ce titre pour un long-métrage qui n’a strictement rien à voir : un petit film érotico-fantastique conçu pour alimenter le catalogue « Surrender » que Band et son coproducteur Pat Siciliano inaugurèrent en 1996 avec Virtual Encounters. Ce n’est pas la première fois que les protagonistes des films de Charles Band voyagent dans le temps jusqu’à l’époque du Far West. C’était déjà le cas dans Ghost Town, Alien Abduction, Virtual Encounters 2, Phantom Town ou Timeslingers. Sans compter les westerns de SF qu’il conçut pour profiter d’un décor complet digne de Sergio Leone construit sur les plateaux de la société roumaine Castel Films à Bucarest, comme Oblivion, Oblivion 2 et Petticoat Planet. Avec Timegate, notre homme est donc en terrain connu. Si ce n’est que cette fois-ci, le tournage se déroule intégralement en Californie, avec un nombre de décors très limités – principalement un saloon et un tipi qui trône au milieu d’un bout de terrain désertique.

Les personnages principaux de Timegate sont Grace (Amy Lindsay) et Jenifer (Kim Yates), deux amies qui souffrent d’être un peu délaissées par leurs époux, Howard (Nicholas Franklin Bray) et Ray (Jim Stevens), très accaparés par leur travail commun – car tous deux sont collègues. Chacune trompe son ennui à sa manière, la première en se donnant au premier employé d’hôtel venu – redéfinissant de manière énergique la notion de « room service » -, la seconde en se morfondant lamentablement. Leurs hommes étant pris par un rendez-vous d’affaires, Grace et Jenifer décident d’aller visiter une vieille ville de l’Ouest muée en attraction touristique. Désespérée face à un miroir qui trône dans un ancien saloon, Jenifer se lamente : « je ne suis pas désirable, j’aimerais disparaître ! » Or son vœu se réalise. Elle se volatilise, tout comme Grace, et traverse le miroir. Les deux amies réapparaissent au même endroit… mais un siècle dans le passé. Désormais plongées dans une ambiance de western, elles vont devoir s’adapter à cette situation inattendue et trouver le moyen de regagner leur époque.

La quéquette de l'Ouest

Le fil de l’intrigue de Timegate est aussi ténu que le prétexte qui sert à projeter ses héroïnes dans le passé. Car tout ici ne sert qu’à accumuler un maximum de parties de jambe en l’air entre les filles et les cowboys. Il y a certes une petite idée amusante dans le scénario, qui permet à Grace et Jenifer de rencontrer les ancêtres de leurs époux respectifs : l’un est shérif, l’autre révérend, et aucun ne saura résister aux charmes de ces visiteuses d’une autre époque. En les séduisant, pourront-elles modifier le cours du temps et améliorer leurs relations futures avec Howard et Ray ? Autant dire que le film effleure à peine cette question, bien plus porté sur les scènes de fesses que sur les paradoxes temporels. Même chose pour cette vague enquête policière censée pimenter l’intrigue. La quête de l’assassin de l’adjoint du shérif tourne court dans la mesure où l’identité du coupable est très facile à deviner. Le casting nous permet d’apercevoir quelques visages familiers, comme la scream queen Michelle Bauer (Hollywood Chainsaw Hookers, Evil Toons, Dinosaur Island), la peu pudique Amber Newman (Dungeon of Desire) ou cette bonne vieille trogne de Irwin Keyes, second couteau dans des films aussi divers que Les Guerriers de la nuit, Le Droit de tuer ou La Famille Pierrafeu. Passées les 80 minutes réglementaires, le film renvoie Grace et Jenifer à leur époque et hop, le tour est joué. C’est ce qu’on appelle le service minimum.

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BAMBI : LA VENGEANCE (2025)

Le faon tout mignon de Walt Disney s’est transformé en monstre mutant à la force prodigieuse et aux instincts meurtriers…

BAMBI : THE RECKONNG

 

2025 – GB

 

Réalisé par Dan Allen

 

Avec Roxanne McKee, Russell Geoffrey Banks, Samira Mighty, Nicola Wright, Tom Mulheron, Alex Cooke, Catherine Adams, Joseph Greenwood, Adrian Relph

 

THEMA MAMMIFÈRES

Après Winnie l’Ourson, Porcinet et Peter Pan, c’est au tour de Bambi de se muer en personnage de film d’horreur. Comme dans les autres films de cette improbable saga connue des amateurs sous le nom de « Twisted Childhood Universe » (ou TCU), tout commence par un dessin animé minimaliste qui raconte les origines du monstre. Traumatisé par la mort de sa mère (comme tous les enfants qui découvrirent le film de Disney), Bambi survit seul dans la forêt, grandit, rencontre une biche et fonde une famille. Les nouveaux parents s’efforcent d’enseigner à leur progéniture les dangers du monde, ce qui n’empêche pas le drame de frapper à nouveau. La biche est mortellement renversée par un camion transportant des déchets toxiques et le petit faon disparaît dans la panique. Dévasté, Bambi boit l’eau contaminée d’une rivière, ce qui le transforme en une créature vorace et monstrueuse, bien déterminée à se venger. Nous voilà donc face à une sorte de « Toxic Avenger » cornu que le film va s’efforcer de montrer comme un dinosaure assoiffé de sang et de chair humaine. Et c’est Dan Allen, signataire d’un bon paquet de courts-métrages et de quelques films d’horreur à petit budget passés sous les radars (Unhinged, Mummy Reborn, It Came from Below), qui s’y colle.

Après son prologue dessiné, Bambi : la vengeance nous met en présence des personnages principaux : Xana (Roxanne McKee) et son fils Benji (Tom Mulheron). Tous deux prennent un taxi pour traverser la forêt et regagner la maison de campagne où séjourne la famille de Simon (Alex Cooke), le père de Benji. Simon lui-même est aux abonnés absents, à la grande déception de son fils, mais la belle-famille les attend au complet : deux oncles, une tante, un cousin et une grand-mère sénile qui ânonne seule dans son coin et noircit des feuilles avec des dessins bizarres représentant des animaux effrayants. Au milieu des bois nocturnes, le taxi qui transporte Benji et sa mère est soudain attaqué par un cerf monstrueux qui provoque un violent accident en rugissant. Evil Bambi vient d’entrer en scène ! Alors que Xena et son fiston essaient d’échapper au monstre déchaîné, un petit groupe de chasseurs se lance sur les traces de ce prédateur hors du commun…

Cerf violent

Étant donné que nous n’avions pas particulièrement été convaincus par les deux Winnie the Pooh, qu’espérer de ce Bambi ? Fallait-il encore s’attendre à un chassé-croisé dans une forêt sombre, avec force cris et jets de sang ? Oui, la recette est toujours la même. Mais la créature se révèle ici beaucoup plus spectaculaire. Pour transformer le gentil faon en monstre terrifiant, le film le dote d’une vitesse de bolide et d’une force colossale, mue ses bois en armes tranchantes, garnit sa mâchoire de crocs acérés, bref opère une impressionnante mutation. Particulièrement soignées – surtout si l’on tient compte du budget modeste de l’entreprise -, les images de synthèse qui donnent corps à la bête sont conçues par Ryan et Stephanie Bellgardt, habitués aux séries B désargentées. Grâce à leur travail remarquable, Dan Allen peut s’amuser à revisiter plusieurs scènes clés de Jurassic Park (notamment celle du T-rex sur la route et des raptors dans la cuisine) pour les adapter au quadrupède en furie, sans se réfréner sur les effets gore. Un malheur n’arrivant jamais seul, nos infortunés protagonistes découvrent en cours de route que d’autres animaux de la forêt ont absorbé les produits toxiques déversés dans la rivière, multipliant les possibilités de carnages. Désormais, vous ne regardez plus le sympathique Panpan comme avant ! Truffé de rebondissements inattendus et porté par des acteurs convaincants, Bambi : la vengeance n’est évidemment pas un chef d’œuvre, mais c’est sans doute ce qui se fait de mieux dans le genre « corruption des héros de notre enfance ».

 

© Gilles Penso

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LES AVENTURES FANTASTIQUES DU BARON MUNCHHAUSEN (1943)

Cette épopée flamboyante et féerique, conçue en pleine seconde guerre mondiale, fascine toujours autant par son inventivité et ses folies visuelles…

MÜNCHHAUSEN

 

1943 – ALLEMAGNE

 

Réalisé par Josef von Báky

 

Avec Hans Albers, Wilhelm Bendow, Michael Bohnen, Hans Brausewetter, Marina von Ditmar, Andrews Engelmann, Käthe Haack, Brigitte Horney, Waldemar Leitgeb

 

THEMA CONTES

Les Aventures fantastiques du Baron Münchhausen reste l’un des exemples les plus spectaculaires du cinéma de fantaisie produit en Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale. Mais c’est aussi une œuvre profondément paradoxale qu’il n’est pas simple d’extraire de son contexte historique. S’inspirant des récits légendaires de Karl Friedrich Hieronymus von Münchhausen – officier et aventurier du XVIIIᵉ siècle connu pour s’être attribué des exploits invraisemblables – le film a été commandité à l’initiative de Joseph Goebbels dans le cadre de la commémoration du vingt-cinquième anniversaire de la UFA et pour remonter le moral des troupes. Or cette épopée fantastique s’affranchit de tout message politique, optant pour un divertissement féerique d’une inventivité technique impressionnante. Le récit commence au XXᵉ siècle, lors d’un bal donné par le Baron von Münchhausen dans son château de Bodenwerder. Il y reçoit un jeune couple curieux de connaître l’histoire de son illustre ancêtre. À travers les souvenirs du baron, le spectateur est entraîné dans une succession de péripéties délirantes. Nous y découvrons la séduction de Catherine II de Russie, la rencontre avec le magicien Cagliostro et l’acquisition de la jeunesse éternelle ainsi que d’un anneau d’invisibilité, mais aussi la traversée d’un champ de bataille sur un boulet de canon, l’emprisonnement dans les geôles d’un sultan turc, les affrontements avec les sbires du doge en plein Venise, ainsi qu’un spectaculaire périple lunaire où des Sélénites sont capables de détacher leur tête du reste du corps.

À ces exploits déjà hallucinants s’ajoutent des inventions fantastiques et des artefacts farfelus tels qu’un fusil capable de tirer à des kilomètres, un messager ultra-rapide, des objets animés, bref autant d’excentricités propres à accentuer le grain de folie de ce conte excessif. La mise en scène de von Báky s’inspire directement des grandes productions hollywoodiennes des années 1930 et 1940, notamment Le Voleur de Bagdad et les classiques Disney, comme en témoignent les couleurs chatoyantes de l’Agfacolor, les décors monumentaux et les costumes somptueux. La réalisation des innombrables effets spéciaux du film aura nécessité près de dix mois de travail, la préparation des costumes et décors ayant déjà mobilisé cinq mois de préproduction. Mais si le film impressionne par son apparat visuel et la créativité de ses séquences fantastiques, sa construction narrative souffre de certaines longueurs et d’un enchaînement d’épisodes parfois hétérogène, proche d’une succession de sketches. Le rythme dramatique n’atteint pas toujours l’exubérance et la fluidité du modèle hollywoodien qu’est Le Voleur de Bagdad, et l’on ne peut s’empêcher de ressentir par moments une impression de dispersion.

La féerie dans la tourmente

Toutefois, ces réserves sont largement compensées par le charme des trouvailles visuelles et le sens de l’humour qui nimbe l’ensemble du film. Ces métamorphoses, ces duels absurdes, ces situations loufoques (le ballon s’élevant dans le ciel pour atteindre la Lune, les Sélénites aux têtes volantes, le fameux boulet de canon) sont autant de sources d’émerveillement. Nous voici donc en présence d’un chef d’œuvre de virtuosité technique et de fantaisie narrative, un condensé d’extravagance visuelle et de comédie inventive, déployé au fil de deux heures de spectacle flamboyant qui célèbrent l’imaginaire humain et confirment la puissance intemporelle des contes. Seulement voilà : Les Aventures fantastiques du Baron Munchhausen reste un outil de propagande du régime nazi, ou du moins fut-il envisagé dans cette optique. Difficile de faire totalement abstraction de cette information et d’apprécier pleinement le spectacle sans oublier les abominations perpétrées à l’époque par les assassins du troisième reich. C’est sans doute pour cette raison que nous aurions tendance à lui préférer la version réalisée par Terry Gilliam en 1988, qui reprend et amplifie son goût du délire visuel et de la fantaisie burlesque.

 

© Gilles Penso

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