LA BÊTE (1996)

Ce long téléfilm inspiré d’un roman de l’auteur des « Dents de la mer » raconte les méfaits d’un calamar géant revanchard…

THE BEAST

 

1996 – USA

 

Réalisé par Jeff Bleckner

 

Avec William L. Petersen, Karen Sillas, Charles Martin Smith, Ronald Guttman, Missy Crider, Sterling Macer Jr, Larry Drake

 

THEMA MONSTRES MARINS

Ce long téléfilm est une adaptation assez libre du roman « The Beast » (publié en 1991) de Peter Benchley, l’homme qui écrivit le best-seller « Les Dents de la mer ». Et de fait, les similitudes entre cette Bête et le chef d’œuvre aquatique de Steven Spielberg sont légion. Ici aussi, nous avons droit à la petite cité balnéaire menacée par un monstre marin, au politicien véreux qui tente d’étouffer le scandale, aux premières victimes nocturnes dans la scène d’introduction, au shérif, au pêcheur et à l’océanographe qui partent en mer pour affronter la créature sur son propre terrain… Bref, on croirait presque visionner un remake des Dents de la mer dans lequel le grand requin blanc aurait été remplacé par un calamar gigantesque. Pourtant, La Bête n’a jamais l’allure d’un plagiat et se hisse même assez haut d’un point de vue qualitatif. Tout le mérite en incombe à la mise en scène impeccable du téléaste Jeff Bleckner (vétéran de Dynastie, Hill Street Blues et autres Remington Steele) et à un casting des plus solides.

Parmi les comédiens qui se prêtent à cette chasse au calamar, donnons une mention spéciale au trop sous-estimé William Petersen (héros du Sixième sens de Michael Mann, promu superstar grâce à la série Les Experts) en pêcheur désabusé et charismatique, à Charles Martin Smith (l’un des Incorruptibles de Brian de Palma) en businessman dégoulinant de duplicité, et à Larry Drake (le méchant patibulaire de Darkman et Docteur Rictus) en braconnier rougi par l’alcool dès les premières lueurs de l’aube. Car là est toute la force de La Bête : privilégier les personnages aux séquences d’action, sans pour autant sombrer dans les travers caricaturaux du film catastrophe primaire. Le monstre lui-même – ou plutôt les monstres, car ici il y a un calmar enfant et un modèle adulte cinq fois plus grand – est une belle réussite, combinant maquettes miniatures et marionnettes mécaniques grandeur nature.

La revanche de la créature

L’idée de mettre en scène la revanche d’une créature marine vengeant la mort de sa progéniture évoque Orca, une autre imitation des Dents de la mer, mais la lutte à mort entre le pêcheur Whip Dalton (Petersen) et le calamar géant semble surtout trouver ses racines dans le « Moby Dick » d’Herman Melville. Cela dit, lorsque le monstre empoigne à grands coups de tentacules l’embarcation des protagonistes au beau milieu d’un océan nocturne déchaîné, on ne peut s’empêcher de repenser au magnifique 20 000 lieues sous les mers de Richard Fleischer, qui mettait en scène quarante-deux ans plus tôt une séquence fort similaire, avec un panache encore inégalé aujourd’hui. Malgré ce tissu de références cinématographiques et littéraires, La Bête parvient à exhaler sa propre personnalité et son propre style. Ceux d’un téléfilm de haut niveau accommodé d’une belle partition signée Don Davis (le compositeur attitré des Wachowski), qui rebutera principalement les amoureux du roman original prompts à crier à la trahison pure et simple. Long de 180 minutes dans son montage original, La Bête fut ramené à une durée de 83 minutes pour certaines de ses diffusions en Allemagne.

 

© Gilles Penso


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VINCENT DOIT MOURIR (2023)

Un homme ordinaire découvre un jour qu’une vague de folie meurtrière frappe les gens qu’il croise et que tout le monde veut le tuer !

VINCENT DOIT MOURIR

 

2023 – FRANCE / BELGIQUE

 

Réalisé par Stéphan Castang

 

Avec Karim Leklou, Vimala Pons, François Chattot, Michaël Perez, Emmanuel Vérité, Jean-Rémi Chaize, Ulysse Genevrey, Karoline Rose Sun, Pierre Maillet

 

THEMA MUTATIONS

Vincent doit mourir est le premier long-métrage du réalisateur Stéphan Castang et du scénariste Mathieu Naert. Le projet est né d’un appel de films fantastiques et de science-fiction lancé par les compagnies Wild Bunch et Capricci, mais sa singularité ne le rattache à rien de connu, même si les codes des films de zombies et des récits post-apocalyptique se glissent parfois entre les lignes de l’intrigue. « Ce que j’aimais, lorsque j’ai découvert le scénario de Vincent doit mourir, c’est qu’il démarrait à la manière des thrillers paranoïaques des années 70 », raconte Stéphan Castang. « Ce qui est intéressant, c’est que le problème qui touche le personnage est presque posé comme une hypothèse. Plus il est victime, plus il devient suspect aux yeux des autres. » (1) Bien que les premières ébauches du scénario aient été écrites avant la pandémie du Covid 19, il est difficile de ne pas y détecter de nombreuses correspondances après coup. La paranoïa, la peur collective, le bouleversement quasi-irréversible des liens sociaux sont en effet au cœur du film. Le télétravail comme moyen d’éviter les interactions humaines, la nécessité de rester chez soi et le confinement aussi… Le genre fantastique, on le sait, n’est jamais aussi pertinent que lorsqu’il se fait l’écho du monde réel.

Tout commence de manière banale. Vincent (Karim Leklou), graphiste dans une petite entreprise, fait une remarque déplacée à un stagiaire qui, quelques minutes plus tard, le frappe violemment avec son ordinateur portable. Le jeune homme a-t-il été victime d’un burn-out ? C’est le moyen le plus rationnel d’expliquer son comportement. Mais bientôt, Vincent est victime d’autres agressions de plus en plus brutales et de plus en plus aléatoires : un autre collègue de bureau, les enfants de ses voisins, des gens dans la rue, des automobilistes… Tous ceux qui croisent son regard sont soudainement pris d’une pulsion meurtrière incontrôlable. Alors qu’il tente de comprendre la teneur d’un tel phénomène – Virus ? Possession ? Accès de rage ? Folie collective ? –, Vincent doit lutter pour sa survie et décide finalement de quitter son appartement pour s’isoler à la campagne. Mais là aussi, la violence dévastatrice le guette…

La mort aux trousses

Si le concept de Vincent doit mourir est ouvertement insolite, la justesse de jeu des acteurs et la sobriété de la mise en scène permettent aux spectateurs d’y croire sans trop se forcer, d’activer leur suspension d’incrédulité et de focaliser leur identification autour du personnage de Vincent. Car Karim Leklou promène son regard hébété et sa mine déconfite avec la banalité d’un monsieur tout le monde dépassé par une situation incompréhensible, nous poussant sans cesse à nous demander comment nous agirions nous-même si nous étions à sa place. Si Vincent doit mourir place au cœur de sa narration la peur de l’autre, les dangers de l’effet de groupe et l’escalade de la violence, Stéphan Castang ne cherche pas à discourir sur le sujet. Son constat est amer mais distancé : lorsque la vie en société devient infernale, seul le repli sur soi semble être salutaire. La violence elle-même est abordée sous un angle réaliste et primaire, loin des chorégraphies auxquelles nous habitue le cinéma d’action. Les combats sont gauches, maladroits, sales… avec comme point d’orgue une lutte désespérée au milieu des excréments d’une fosse septique à ciel ouvert ! « Cette scène, avec deux personnages qui se battent pour survivre dans de la merde, raconte bien notre société actuelle », commente l’acteur principal (2). Certes, la sous-intrigue liée à une organisation clandestine parallèle nous semble superflue, comme ajoutée artificiellement au scénario pour l’enrichir. Or c’est justement la sècheresse brute de ce récit et son refus d’explications logiques/scientifiques qui alimentent son efficacité et son impact. Vincent doit mourir nous surprend, nous intrigue et nous choque, laissant en suspens la question de la préservation de notre humanité et de notre capacité d’aimer et d’éprouver encore des sentiments dans un monde devenu fou et sauvage. Bref une belle surprise, primée notamment à Sitges, Neuchâtel, Montréal, Paris et Strasbourg.

 

(1) Extrait d’une interview réalisée pour la Semaine de la critique de Cannes en mai 2023.

(2) Extrait d’une interview publiée dans « Bande à part » en novembre 2023.

 

© Gilles Penso


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MADAME WEB (2024)

Le studio Sony continue maladroitement à capitaliser sur les personnages secondaires issus des aventures de Spider-Man…

MADAME WEB

 

2024 – USA

 

Réalisé par S.J. Clarkson

 

Avec Dakota Johnson, Sydney Sweeney, Isabela Merced, Celeste O’Connor, Tahar Rahim, Mike Epps, Emma Roberts, Adam Scott, Kerry Bishé, Zosia Mamet

 

THEMA SUPER-HÉROS I ARAIGNÉES I SAGA MARVEL COMICS

Malgré les échecs artistiques de Venom, Carnage et Morbius, le studio Sony continue de vouloir exploiter les personnages de second plan issus de l’univers de Spider-Man dont ils ont encore les droits, avec une opiniâtreté étonnante qui confine presque à l’inconscience. Ainsi, après les vilains symbiotes et l’étudiant vampire, place à Madame Web, que les lecteurs des comics Marvel connaissent sous la forme d’une vieille dame aveugle et capable de prédire l’avenir, connectée à un système de survie aux allures de grande toile d’araignée. Sony décide de rajeunir et de relooker complètement le personnage en lui inventant de nouvelles origines. La réalisatrice S.J. Clarkson est donc chargée avec les scénaristes Matt Sazama et Burk Sharpless de réinventer cette étrange voyante dont le rôle reste relativement anecdotique dans les bandes dessinées où elle vit le jour. L’aspect le plus surprenant du scénario de cette Madame Web est son inscription dans une temporalité qui précède la naissance de Peter Parker – apparemment celui du Marvel Cinematic Universe qui faisait ses premiers pas dans Captain America Civil War, à moins que ce ne soit celui campé par Andrew Garfield dans The Amazing Spider-Man. Les événements racontés dans Madame Web se déroulent en effet au début des années 2000 et nous laissent entrevoir l’oncle Ben et Mary Parker (la mère de Peter) alors qu’ils ont une trentaine d’années.

Après avoir envisagé plusieurs superstars, Sony choisit Dakota Johnson (The Social Network, Cinquante nuances de Grey) pour incarner Cassie Webb, une secouriste qui travaille dans un service d’urgence de New York. Sa mère scientifique cherchait dans la jungle péruvienne une araignée extrêmement rare aux vertus curatives insoupçonnées avant d’être trahie et assassinée par le vil Ezechiel Sims (Tahar Rahim). Le venin de l’araignée en question finit par montrer des conséquences inattendues : il dote Sims de super-pouvoirs impressionnants (force, rapidité, capacité de grimper aux murs, sixième sens) et Cassie de la capacité de prévoir l’avenir et de le modifier. Malgré un prologue exotique recyclant maladroitement celui d’Arachnophobie, le premier tiers du film laisse encore quelques espoirs. Les séquences de visions de Cassie, notamment, offrent d’intéressantes possibilités de mise en scène que S.J. Clarkson exploite avec une certaine efficacité, en particulier dans la séquence du train.

Spider-Women

Mais dès que se met en place la mécanique du film de super-héros, avec ce vilain absurde qui ressemble comme deux gouttes d’eau à Spider-Man dans son costume noir, le film n’a plus aucun sens, l’intrigue avance de manière chaotique, les dialogues fusent sans queue ni tête et les acteurs donnent clairement le sentiment de ne pas du tout croire à ce qu’ils jouent. Dakota Johnson ne s’est d’ailleurs pas privée pour déclarer publiquement son regret d’avoir joué dans un tel film. Il faut dire que le scénario final, sans cesse réécrit suite à d’innombrables réunions au sein des fameux « comités de lecture » du studio, n’a plus grand-chose à voir avec celui initialement prévu. L’aspect « prequel de Spider-Man » ne mène nulle part, la parabole de la toxicité masculine auprès des femmes indépendantes (lourdement appuyée par l’emploi du tube « Toxic » de Britney Spears) est traitée par-dessus la jambe et le logo Pepsi Cola apparaît partout pour rentabiliser un partenariat commercial qu’on imagine juteux. Les trois protagonistes adolescentes, quant à elles, se contentent d’agir comme des écervelées au comportement stupide (alors qu’elles correspondent pourtant à la tranche d’âge du public visé). Bref, c’est un nouvel échec au box-office, compromettant sérieusement les futures aventures des trois « Spider-Women » prévues dans la foulée.

 

© Gilles Penso


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VAMPIRE HUMANISTE CHERCHE SUICIDAIRE CONSENTANT (2023)

Une jeune fille issue d’une famille de suceurs de sang refuse de tuer les humains pour se nourrir jusqu’à une rencontre inattendue…

VAMPIRE HUMANISTE CHERCHE SUICIDAIRE CONSENTANT

 

2023 – CANADA

 

Réalisé par Ariane Louis-Seize

 

Avec Sara Montpetit, Félix-Antoine Bénard, Steve Laplante, Sophie Cadieux, Noémie O’Farrell, Marie Brassard, Gabriel-Antoine Roy, Madeleine Péloquin

 

THEMA VAMPIRES

C’est du Québec que nous vient Vampire humaniste cherche suicidaire consentant, premier long-métrage que sa réalisatrice Ariane Louis-Seize co-écrit avec Christine Doyon et qu’elle tourne à Montréal pendant un mois (dont deux semaines en pleine nuit) au cours de l’automne 2022. Issue de l’Institut National de l’image et du son, comme la grande majorité des membres de son équipe technique, Louis-Seize fait ses premières armes sur une série de courts-métrages avant d’effectuer le grand saut. Si les deux personnages centraux du film, incarnés tout en subtilité et en retenue par Sara Montpetit et Félix-Antoine Bénard, pourraient parfaitement s’échapper d’une œuvre de Tim Burton (la fille ténébreuse et blafarde aux longs cheveux noirs et le marginal rachitique aux grands yeux écarquillés), la cinéaste ne cède jamais aux attraits du gothisme d’Épinal. Son scénario s’ancre dans un cadre certes atemporel mais ouvertement contemporain ou du moins réaliste, que le directeur de la photographie Shawn Pavlin nimbe d’une touche légèrement expressionniste. Les jeux d’ombres se glissent donc volontiers entre les lignes de cette étrange romance vampirique.

Nous découvrons d’abord Sasha, une petite fille adorable mais dont les parents sont inquiets. En effet, ses canines n’ont pas encore poussé et elle ne montre pas le moindre instinct sanguinaire. Voilà qui est fâcheux quand on appartient à une famille de vampires ! Le constat que fait leur médecin n’a rien de rassurant : « C’est la compassion de votre fille qui est stimulée quand elle voit des gens mourir, pas sa faim. » Devenue adolescente, Sasha continue de se nourrir à la paille en puisant dans les stocks de poches de sang conservés dans le frigo. Il faudra pourtant bien un jour qu’elle accepte de partir chasser, comme les siens, et qu’elle tue pour pouvoir subvenir à ses besoins. C’est alors qu’elle rencontre Paul, un lycéen aux idées noires maltraité par ses camarades. « J’aime pas la vie et ça me ferait plaisir de la donner pour une bonne cause si jamais l’occasion se présentait », dit-il au milieu d’une réunion des « dépressifs anonymes ». Le titre à rallonge du film trouve alors tout son sens : la buveuse de sang allergique au meurtre et le jeune homme déçu par l’existence vont-ils pouvoir s’accorder ?

Le sang des innocents

La tonalité de Vampire humaniste cherche suicidaire consentant évolue en même temps que les états d’âme de Sasha. La loufoquerie des premières séquences cède ainsi progressivement le pas à une atmosphère de comédie dramatique douce-amère où le vampirisme sert de prétexte à la description sans fard du mal-être des adolescents en quête d’une raison d’être, d’une identité et d’une place dans un monde dont ils se sentent étrangers. Ce n’est donc pas à un pastiche de film d’horreur que nous avons affaire – ce qu’aurait pu laisser imaginer son prologue – mais plutôt à un récit initiatique dont le caractère surnaturel totalement assumé permet de grossir le trait. Sous l’influence d’œuvres telles que Les Prédateurs de Ridley Scott ou Only Lovers Left Alive de Jim Jarmush (dont elle ne cherche jamais pour autant à imiter le style), Ariane Louis-Seize trouve à travers la figure du vampire le moyen idéal de cerner la solitude, l’incommunicabilité et la pulsion de mort propres à cette période à la fois fascinante et terrifiante qu’est la sortie de l’enfance et le passage à l’âge adulte. Les premiers émois amoureux s’invitent aussi dans ce film qui sait rester léger malgré tout et qui remporta à travers le monde un nombre conséquent de récompenses au gré de ses passages en festivals.

 

© Gilles Penso


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L’ESPRIT DE LA RUCHE (1973)

Un hommage vibrant au Frankenstein de James Whale à travers les yeux d’une enfant perdue dans la tourmente de l’Espagne franquiste des années 40…

EL SPIRITU DE LA COLMENA

 

1973 – ESPAGNE

 

Réalisé par Victor Erice

 

Avec Ana Torrent, Isabel Telleria, Teresa Gimpera, Fernando Fernán Gómez, Queti de la Cámara, Estania Gonzáles

 

THEMA FRANKENSTEIN

Premier long-métrage du trop peu prolifique Victor Erice, L’Esprit de la ruche se réapproprie les motifs visuels du mythe de Frankenstein pour mieux traduire les affres de l’incommunicabilité, au sein d’une Espagne traumatisée par le régime de Franco. Quelque part en Castille, dans les années 40. Ana, une petite fille, voit sa vie intérieure bouleversée après avoir assisté à la projection du film « Le Docteur Frankenstein » en compagnie de sa sœur Isabel. Tandis que, dans leur grande maison délabrée et silencieuse, le père se livre à l’apiculture, la mère enfermée dans sa chambre écrit à un amant imaginaire. Profondément marquée par la scène où le monstre de Frankenstein jette la petite fille dans l’étang, Ana croit voir le monstre en la personne d’un soldat blessé et recherché par la police. Après la mort du soldat, la jeune fille fugue dans la forêt où, en pleine nuit, assise au bord d’un étang, elle voit apparaître la créature du film.

Étrange, envoûtant, entièrement construit sur un rythme très lent et baigné dans une belle photographie de Luis Cadrado, nimbée de couleurs chaudes, le film de Victor Erice est une œuvre pour le moins étonnante. Le contexte historique et social du film est annoncé immédiatement en une séquence d’ouverture pleine de charme : un camion arrive dans la place d’un petit village, et des dizaines d’enfants courent vers lui en criant « le cinéma arrive ! ». « Le Docteur Frankenstein » projeté aux jeunes spectateurs est en fait le Frankenstein de James Whale, et il n’est pas étonnant qu’il ait pu marquer fortement quelques enfants. Le lent basculement d’Ana vers un état que les adultes appelleront folie, faute d’explication, nous est décrit avec force réalisme et détails, d’autant que tout le film est vu à travers ses yeux. Cet enfermement dans un monde imaginaire, suite à la vision du film, est amplement justifié par les discussions avec sa sœur (« le Monstre est un esprit qui ne sort que la nuit et qui revêt un corps pour se montrer ») et l’introversion de ses parents (son père est fasciné par les abeilles, à tel point que les fenêtres de sa maison ont des formes d’alvéoles, comme si la petite famille vivait dans une grande ruche).

« Le Monstre est un esprit qui ne sort que la nuit »

Astucieuse, la mise en scène de Victor Erice prend le parti de ne jamais montrer ensemble dans le même plan tous les membres de cette famille à la dérive, comme pour mieux capter leur éloignement respectif. Soucieux de symétrie, le cinéaste pousse d’ailleurs le vice jusqu’à subdiviser les mille plans de L’Esprit de la ruche en deux moitiés bien distinctes, l’une couvrant les séquences tournées en extérieurs, l’autre celles situées dans des décors intérieurs souvent noyés dans la pénombre, comme pour obéir lui-même à l’implacable régularité du monde des abeilles. Chiche en dialogues, ce film débordant de poésie, dont la musique signée Luis de Pablo décline des comptines enfantines, se distingue également par l’excellente direction de ses acteurs enfants. Quant au monstre de Frankenstein qui apparaît furtivement à Ana dans les bois, incarné par José Villasante et maquillé par Ramon de Diego, c’est probablement l’un des plus beaux hommages au travail de Boris Karloff, de Jack Pierce et de James Whale.

 

© Gilles Penso


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JE SUIS VIVANT ! (1971)

Un « faux giallo » dans lequel un homme que tout le monde croit mort gît dans une morgue et se remémore son passé trouble…

LA CORTA NOTTE DELLE BAMBOLE DI VETRO

 

1971 – ITALIE

 

Réalisé par Aldo Lado

 

Avec Jean Sorel, Barbara Bach, Ingrid Thulin, Mario Adorf, Fabijan Sovagovic, José Quaglio, Relja Basic, Piero Vida, Daniele Dublino, Sven Lasta, Luciano Catenacci

 

THEMA MORT

Je suis vivant ! est le premier film d’Aldo Lado, jusqu’alors scénariste d’une poignée de longs-métrages, assistant-réalisateur de quelques westerns et futur metteur en scène de Qui l’a vue mourir ?, La Bête tue de sang-froid ou encore L’Humanoïde. Le premier titre envisagé pour le film est Malastrana, du nom d’un quartier artistique tchèque que fréquentait notamment Franz Kafka (et que l’on pourrait traduire par « petite ville »). Peu convaincus par ce titre pas assez commercial à leur goût, les producteurs demandent à Lado de revoir sa copie. Le film s’appellera finalement La Corta notte delle bambole di vetro (autrement dit « La courte nuit des poupées de verre »), dans l’esprit des giallos post-Mario Bava qui prolifèrent depuis les années 60 sur les écrans italiens. Les distributeurs français opteront pour Je suis vivant !, un titre que le réalisateur détestera à cause de son caractère trop trivial et trop révélateur des mécanismes de l’intrigue. Si Aldo Lado est seul crédité en tant que scénariste (avec des dialogues additionnels signés Rüdiger von Spies), d’autres auteurs se sont succédé pour donner au récit sa forme définitive, notamment Sergio Bazzini. Tourné pendant cinq semaines à Zagreb, Ljubljana, Rome et Prague, Je suis vivant ! est rythmé sur une bande originale d’Ennio Morricone, alors en pleine période expérimentale.

Tout commence par la découverte du cadavre d’un homme dans un parc à Prague. Le corps, ramené à la morgue locale, est celui du journaliste Gregory Moore (Jean Sorel). Mais ce dernier n’a que l’apparence de la mort. Il est bien vivant, prisonnier d’un corps inerte qui a toutes les caractéristiques de la rigidité post-mortem. Alors que les médecins légistes s’interrogent sur son état, Moore voyage par la pensée jusque dans son passé. Ses souvenirs se concentrent sur la disparition mystérieuse de son amie Mira (Barbara Bach), évaporée dans la nature sans laisser de trace. Un corps fut retrouvé dans le fleuve mais ce n’était pas le sien. Mira est-elle vraiment morte ? Pourquoi les amis de Gregory semblaient-ils si réticents à l’aider dans ses recherches ? C’est après une enquête menée dans les recoins les plus sinistres de la ville, entre clubs occultes, conspirations étranges, meurtres et vampirisations des âmes, que notre homme s’est retrouvé dans cet état catatonique. Mais que s’est-il réellement passé ?

Les choses de la vie

Dès ses premières minutes, Je suis vivant ! s’amuse à nous plonger dans une ambiance étrange, oppressante et irréelle qui perdurera tout au long du film. Lorsqu’un jardinier découvre le corps prostré de Gregory, c’est à un improbable passant cul-de-jatte qu’il demande de surveiller le corps pendant qu’il appelle les secours. Toute une galerie de personnages secondaires décalés peuplent ainsi ce récit accidenté, des amoureux qui s’amusent dans un cimetière au bibliothécaire capable de tout mémoriser en passant par les badauds bizarrement collés à une porte vitrée, les amateurs de musique de chambre grimés en morts-vivants ou le scientifique qui teste le seuil de douleur d’une tomate ! Dans le même esprit, Aldo Lado multiplie à loisirs les angles de vues insolites dont l’incongruité apparente participe finalement d’une certaine logique quand on connaît le fin mot de l’histoire. Il n’est pas impossible que Lado ait emprunté aux Choses de la vie de Claude Sautet, sorti l’année précédente, le principe de flash-backs fractionnés se bousculant dans l’esprit d’un homme entre la vie et la mort. Toujours est-il que son film est une curiosité hautement recommandable qu’on a souvent tendance à ranger dans la catégorie des giallos mais qui en réalité ne se prête à aucune classification habituelle.

 

© Gilles Penso


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LES TÉMOINS DU MAL (2009)

Une maison isolée, un couple perturbé et son enfant, de vieux films angoissants, tels sont les ingrédients de cette histoire de fantômes espagnole…

NO-DO

 

2009 – ESPAGNE

 

Réalisé par Elio Quiroga

 

Avec Ana Torrent, Francisco Boira, Hector Colomé, Maria Alfonda Rosso, Miriam Cepa, Rocio Muñoz-Cobo, Francisco Casares

 

THEMA FANTÔMES

Francesca (Ana Torrent), une jeune pédiatre, souffre d’une dépression post-natale successive à son accouchement. Elle décide d’emménager avec son époux dans une grande demeure isolée afin d’élever leur enfant au calme et de tranquilliser son esprit. Or c’est exactement le contraire qui va se produire. Des événements surnaturels vont se succéder dans la maison, et Francesca va basculer dans le cauchemar en communiquant avec ce qui semble être des entités de l’au-delà… Depuis le début des années 2000, le cinéma fantastique espagnol s’est montré riche en œuvres d’exception mêlant avec harmonie la terreur, la poésie et la mélancolie, de L’Échine du diable à L’Orphelinat en passant par Fragile, Abandonnée, Le Labyrinthe de Pan, Esther et bien d’autres. Difficile, dans ces conditions, d’apporter une nouvelle pierre à un édifice aussi prestigieux. C’était à craindre, Elio Quiroga s’est un peu cassé les dents en foulant le terrain balisé de la ghost-story ibérique.

Son film, non exempt de qualités techniques et artistiques, échappe difficilement aux lieux communs et aux redites du genre, et manque surtout de la subtilité qui nimbaient les films de Guillermo del Toro, Nacho Cerda, Jaume Balaguero ou Juan Antonio Bayona. Il y a pourtant dans Les Témoins du mal une idée passionnante qui s’appuie sur des éléments historiques bien réels : les « no-dos » (abréviation de « noticiero documental »), ces films d’actualités espagnols réalisés sous le régime de Franco pour pouvoir contrôler l’opinion publique et orienter le sens des informations de l’époque. Mêlés à une histoire de revenants d’inspiration ouvertement lovecraftienne, ces vieux films achrome – reconstitués pour la plupart pour les besoins du film – dotent le long-métrage de Quiroga d’une atmosphère troublante et savent provoquer le malaise. D’autant qu’Ana Torrent (que l’on a découverte enfant dans L’Esprit de la ruche, et bien plus tard dans des films tels que Tesis, Vacas ou Deux sœurs pour un roi) donne beaucoup de sa personne.

Surréalisme macabre

Dommage que ces atouts multiples et ces idées originales n’empêchent Les Témoins du mal d’accumuler les clichés et de manquer souvent son objectif principal : faire peur. Quelques visions macabrement surréalistes scandent certes le récit, tels ces spectres enfantins diaphanes ou cette monstrueuse araignée constituée d’ex-voto assemblés en une entité infernale. « Pour les fantômes, nous avons eu l’idée d’une espèce de matériau flottant et presque transparent, comme du plasma », explique le réalisateur. « Mais nous avons décidé de ne pas trop montrer de choses, un peu comme dans les récits de Lovecraft, parce que moins vous montrez de choses aux spectateurs, plus leur imagination travaille. La créature finale, par exemple, est plongée dans l’obscurité afin de ne pas trop révéler sa morphologie » (1). C’est justement quand les effets numériques cèdent le pas à la mise en scène pure et au jeu épuré des acteurs que la frayeur parvient vraiment à se faufiler au fil de l’intrigue, comme lorsque cette puissance inconnue frappe inlassablement derrière une porte close, réminiscence d’une séquence mémorable de La Maison du diable de Robert Wise.

 

(1) Propos recueillis par votre serviteur en janvier 2010

 

© Gilles Penso


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PULSE (2006)

Dans ce remake bien peu palpitant du film d’horreur japonais Kaïro, Kristen Bell incarne une étudiante en psychologie enquêtant sur une vague de suicides…

PULSE

 

2006 – USA

 

Réalisé par Jim Sonzero

 

Avec Kristen Bell, Ian Somerhalder, Christina Milian, Rick Gonzalez, Jonathan Tucker, Samm Levine, Zach Grenier, Octavia Spencer, Ron Rifkin, Kel O’Neill

 

THEMA FANTÔMES

Encore le remake d’un film japonais inspiré par Ring ? Si, sur le papier, Pulse n’a rien de très excitant, le résultat à l’écran ne l’est pas beaucoup plus, hélas. Comme dans le film Kaïro, réalisé en 2001 par Kiyoshi Kurosawa, que Pulse adapte servilement sans jamais chercher à le transcender, la cassette vidéo maléfique de Ring est ici remplacée par l’ordinateur et les téléphones portables. Pour le reste, rien de bien neuf à l’horizon. Quelques noms prestigieux furent annoncés un temps des deux côtés de la caméra, notamment Wes Craven et Kirsten Dunst. Mais le premier, co-auteur du scénario du remake, laissa finalement tomber sa réalisation, ce qui faillit annuler totalement le projet. Quant à la seconde, elle eut la bonne idée de partir tourner Spider-Man 2 à la place. C’est donc le jeune réalisateur de clips Jim Sorenzo qui se retrouve à la tête du projet, assurant le service minimum en démontrant une fâcheuse incapacité à imprimer le moindre style à ce produit décidément trop formaté pour révéler la moindre efficacité.

Mattie (Kirsten Bell), une étudiante en psychologie, est traumatisée par le suicide inexplicable de son ami Josh (Jonathan Tucker), féru d’informatique. En menant sa petite enquête, elle découvre que l’ordinateur du défunt contient des fichiers troublants. Il s’agit d’espèces de snuff movies dans lesquels des adolescents sont montrés en train de se donner la mort de toutes sortes de manières. Or cette vague de suicides semble contaminer tout le campus. Lorsque Mattie se met à voir des fantômes partout – dans le car, dans les toilettes de l’université et même jusque dans son bain moussant – elle réalise qu’une force surnaturelle préside à tous ces funestes événements. Or la source du mal semble résider chez le hacker Douglas Ziegler (Kel O’Neill), créateur de virus informatiques…

« C’est la fin du monde ! »

Les dialogues et les situations de Pulse sont si convenus que tout semble avoir déjà été vu ailleurs. Formellement, le film se pare tout de même d’une belle photo toute en contrastes, de décors souvent oppressants et d’une poignée de scènes choc pour la plupart héritées directement de Kaïro : le très impressionnant suicide du haut d’une tour en plan-séquence, l’attaque du spectre surgi de la laverie automatique ou encore les mille bras qui agrippent Mattie en une vision cauchemardesque digne de l’enfer de Dante. Certes, les apparitions fantomatiques sont plutôt réussies, mais comme elles ne véhiculent aucun autre sentiment qu’une vague frayeur de parc d’attractions, leur impact en est singulièrement amoindri. Du coup, tous ces atouts cosmétiques ne parviennent guère à sauver le film de sa paresseuse médiocrité. Quelques visages familiers nous gratifient au passage d’apparitions furtives, notamment Ron Rifkin (le mémorable Arvin Sloane de la série Alias) en psychiatre cartésien ou ce bon vieux Brad Dourif qui surgit quelques secondes derrière un comptoir pour annoncer à nos héros : « C’est la fin du monde ! ». Le discours anti-technologique de circonstance – plus opportuniste que sincère – s’achève sur une réplique édifiante de Mattie : « Ce qui devait nous relier les uns aux autres nous a mis face à des forces dont nous n’aurions jamais soupçonné l’existence. » Bref, Pulse est à ranger aux côtés d’un Terreur.com, c’est-à-dire pas bien loin des oubliettes.

 

© Gilles Penso


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LA DEMOISELLE ET LE DRAGON (2024)

Millie Bobby Brown incarne une princesse « badass » dans ce survival nerveux déguisé en conte de fées…

DAMSEL

 

2024 – USA

 

Réalisé par Juan Carlos Fresnadillo

 

Avec Millie Bobby Brown, Ray Winstone, Angela Bassett, Brooke Carter, Nick Robinson, Robin Wright, Milo Twomey, Nicole Joseph, Patrice Naiambana

 

THEMA DRAGONS

En 2020, Millie Bobby Brown est devenue la nouvelle coqueluche des ados. Après trois saisons de Stranger Things et le succès d’Enola Holmes, la jeune actrice est l’une des valeurs montantes les plus importantes de la plateforme Netflix, qui souhaite continuer à capitaliser sur sa popularité. Alors que se tourne la quatrième saison de Netflix se prépare donc le projet La Demoiselle et le dragon, un ambitieux « anti-conte de fées » dont le budget est estimé entre 60 et 70 millions de dollars. Alors que Bobby Brown, qui approche alors des 20 ans, est nommée non seulement actrice principale mais aussi productrice exécutive du film, le scénario est l’œuvre de Dan Mazeau (La Colère des Titans, Fast & Furious X) et la mise en scène est confiée à Juan Carlos Fresnadillo (Intacto, 28 semaines plus tard). L’association de ce scénariste aux faits d’arme très anecdotiques et de ce réalisateur talentueux nous laissait très interrogatifs quant à la qualité du résultat final. Que fallait-il attendre de La Demoiselle et le dragon ? Le titre original, Damsel, évoque les jeunes femmes secourues par les héros des chansons de geste médiévales. Mais la voix off qui se prononce dès l’entame du film nous met en garde contre les apparences : « Dans bien des récits chevaleresques, un valeureux chevalier sauve une demoiselle en détresse », nous dit-elle. « Cette histoire est différente. »

Pour enfoncer le clou, la jeune Elodie campée par Millie Bobby Brown nous est présentée d’emblée comme une fille forte et indépendante, coupant vigoureusement du bois pour aider à chauffer le peuple appauvri sur lequel règne son père Lord Bayford (Ray Winstone), tenant gentiment tête à sa belle-mère Lady Bayford (Angela Bassett) et veillant comme une seconde mère sur sa sœur cadette Floria (Brooke Carter). Si elle accepte de se plier aux conventions d’un mariage arrangé, c’est pour venir en aide à son pays en y apportant des richesses secourables. En épousant le prince Henry d’Aurea (Nick Robinson), fils de la reine Isabelle (Robin Wright), elle permettra ainsi aux siens de redresser leur situation en profitant d’une dot conséquente. Au départ résignée, Elodie finit par se trouver des affinités avec son prétendant. Mais cette union cache un terrible secret, tapi au fin fond d’un gouffre où se terre un redoutable dragon…

Le gouffre aux chimères

Le concept n’est pas sans évoquer celui du Dragon du lac de feu. Mais si dans le conte sombre de Matthew Robbins un preux gentilhomme campé par Peter MacNicol venait se confronter au monstrueux cracheur de feu pour empêcher le sacrifice d’innocentes jouvencelles, l’héroïne de La Demoiselle et le dragon ne peut compter que sur elle-même pour sauver sa peau. Et la pimpante princesse endimanchée de se muer en guerrière dépenaillée au fil d’une aventure perdant ses atours de conte de fées pour se muer en survival impitoyable. Dans ce rôle très physique, Millie Bobby Brown se révèle très convaincante, portant une grande partie du film sur ses épaules. La bête qui lui « donne la réplique » ne démérite pas, même si son exposition en pleine lumière nous convainc moins que les séquences où elle est plongée dans la pénombre. Création 100% numérique d’après un design de Patrick Tatopoulos (le Godzilla de Roland Emmerich, I Robot), ce dragon qui parle avec la voix caverneuse de la comédienne Shohreh Aghdashloo nous rappelle bien souvent le Smaug de la trilogie du Hobbit mais aussi plusieurs passages de Games of Throne (notamment lors du dernier acte). On apprécie au passage la prestation de Robin Wright, dont la simple présence confirme la volonté de déconstruire les codes du conte traditionnel (ne tenait-elle pas la vedette de Princess Bride ?). Efficace à défaut d’être inoubliable, La Demoiselle et le dragon a le mérite – au-delà de ses qualités formelles – d’aborder sous un angle original le motif de l’enfant contraint de payer pour le péché des aînés.

 

© Gilles Penso


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THE MERMAID (2016)

Le réalisateur de Shaolin Soccer réinvente La Petite sirène sous un angle joyeusement délirant en ne reculant devant aucun excès…

MEI REN YU

 

2016 – HONG-KONG

 

Réalisé par Stephen Chow

 

Avec Deng Chao, Lin Yun, Show Lo, Zhang Yuqi, Kris Wu, Lu Zhengyu, Fan Shuhzen, Li Shangzheng, Bo Xiaolong, Pierre Bourdaud, Ivan Kotik

 

THEMA MONSTRES MARINS I CONTES

Bons baisers de Pékin, Shaolin Soccer, Crazy Kung Fu… Les films réalisés par Stephen Chow (acteur prolifique et versatile depuis le début des années 80 avant son passage derrière la caméra en 1994), témoignent tous de son penchant pour la comédie débridée et les excès en tous genres. À l’occasion de son dixième long-métrage en tant que metteur en scène, Chow décide de s’attaquer frontalement à la mécanique du conte de fées. « Je suis un grand amateur des contes, et d’ailleurs tous mes films précédents peuvent être considérés comme des contes d’une certaine manière », déclarait-il à l’époque. « Dans le monde des contes de fées, les méchants sont punis et les gentils connaissent une fin heureuse. J’adhère à cette idée. » (1) La fable folklorique qu’il décide de revisiter est « La Petite sirène » d’Hans Christian Andersen, dans la mesure où lui-même entretient une relation de fascination/crainte de l’océan depuis sa plus tendre enfance. « J’ai vécu près de la mer très jeune et je la regardais tous les jours », raconte-t-il. « J’étais à la fois effrayé et curieux. Il m’arrivait d’être très nerveux lorsque je nageais dans la mer parce que j’avais l’impression que quelque chose pouvait s’y cacher » (2). Son sujet étant tout trouvé, il lui reste à dénicher la perle rare susceptible de donner corps à sa sirène. Après un casting monumental ayant sollicité 120 000 participantes, c’est la délicieuse Lin Yun, alors âgée de 18 ans, qui emporte le morceau.

The Mermaid nous apprend que Liu Xuan (Deng Chao), magnat de l’immobilier, playboy et millionnaire excentrique, a fait l’acquisition de la réserve naturelle côtière du Golfe Vert. Son projet consiste à assécher les marais littoraux pour en faire des terres cultivables, quitte à y éliminer toute vie marine. Ce que tout le monde à la surface ignore, c’est que le Golfe Vert est le sanctuaire d’une communauté de sirènes et de tritons qui se retrouvent décimés en masse à cause de la présence des sonars marins installés par le riche entrepreneur. Les quelques survivants vivent désormais dans une épave abandonnée et décident de contre-attaquer. L’une des créatures légendaires, une jeune sirène qui a été entraînée à marcher sur ses nageoires et à se cacher parmi les humains, va donc se faire passer pour une fille normale dans le but de séduire Liu Xuan et de l’assassiner. Le plan semble théoriquement infaillible. Mais rien ne va se passer comme prévu…

Toutes les facettes du cinéma comique

Pour les besoins de ce scénario rocambolesque co-écrit par huit auteurs, Stephen Chow sollicite toutes les facettes du cinéma comique, depuis le dialogue absurde (la scène hilarante du témoignage dans le commissariat) jusqu’à l’enchaînement de gags cartoonesques (les tentatives d’assassinat désastreuses) en passant par le pastiche exubérant (la séquence reprenant les codes de la comédie musicale). Si l’on accepte de jouer le jeu et d’entrer dans le délire du cinéaste, The Mermaid se révèle très drôle puis nous prend par surprise en changeant brusquement de ton lors de son dernier acte, au cours d’une fusillade finale sanglante et dramatique, avant de reprendre ses atours de conte fantasmagorique aux allures de plaidoyer pour la préservation de l’environnement. Seule ombre au tableau : de nombreux effets numériques bâclés qui gâchent un peu le spectacle. Très admiratif du travail de Stephen Chow, le producteur/réalisateur Tsui Hark participe au film en jouant l’un des rôles principaux, juste pour le plaisir de voir travailler son confrère. Gigantesque succès au box-office, The Mermaid rapportera près de dix fois son budget de départ.

 

(1) Extrait d’une interview publiée dans China Daily en février 2016

(2) Extrait d’une interview publiée dans Beijing Youth Daily en février 2016

 

© Gilles Penso


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