LES QUATRE FANTASTIQUES (2015)

Dix ans après la version décevante de Tim Story, Joss Trank tente à son tour d'adapter les Quatre Fantastiques au cinéma, sans plus de succès…

FANTASTIC FOUR

2015 – USA

Réalisé par Josh Trank

Avec Miles Teller, Kate Mara, Michael B. Jordan, Jamie Bell, Toby Kebbell, Reg E. Cathey, Tim Blake Nelson

THEMA SUPER-HEROS I SAGA MARVEL

Contrairement à la majorité de leurs collègues en collants emportés par la success story vertigineuse de l’univers cinématique Marvel, les Quatre Fantastiques n’ont jamais eu leur heure de gloire sur grand écran. Après l’adaptation cheap réalisée par Oley Sassone pour Roger Corman et jamais exploitée officiellement, puis les deux superproductions insipides commises par Tim Story, le terrain était encore vierge d’une transposition digne de ce nom. Premiers super-héros nés du cerveau en ébullition de Stan Lee au début des années 60, Reed Richards, Ben Grimm, Johnny et Susan Storm ont pourtant un potentiel énorme, d’un double point de vue émotionnel et dramatique. A la fois reflets des préoccupations d’une époque révolue (la guerre froide, les expériences atomiques, la conquête de l’espace) et acteurs d’un renouvellement radical dans le traitement des super-héros traditionnels (il s’agit d’une famille fusionnelle et dysfonctionnelle, en opposition aux figures solitaires et monolithiques imposées jusqu’alors par DC Comics), ils ont posé les jalons de toute la mythologie Marvel. A condition de les moderniser pour les sortir de leur carcan originel (très ancré dans les sixties), ce sont les protagonistes idéaux d’un film de science-fiction novateur.

Le choix de Josh Trank à la tête de leur résurrection ressemblait à une bonne nouvelle, le cinéaste ayant su redynamiser le genre avec son étonnant Chronicle. Mais la joie fut de courte durée, cette troisième version des Quatre Fantastique étant un nouvel échec artistique cuisant et irrévocable. Pourtant, les choses s’amorcent bien. Le prologue proche du Explorers de Joe Dante, où deux gamins faisant fi de l’incrédulité des adultes tentent de créer une machine de téléportation, a tout pour plaire. La suite des événements, qui décrit le processus inexorable muant quatre adolescents en monstres aux pouvoirs effrayants, est très prometteur. Mais ce qui aurait dû logiquement n’être qu’un premier acte s’avère être la majeure partie du métrage. Il ne reste alors plus qu’une vingtaine de minutes pour montrer les quatre héros en action, faire surgir un super-vilain aux motivations simplistes (en gros : anéantir la planète), mettre en scène quelques destructions à grande échelle pour sacrifier aux lieux communs du genre, expédier un affrontement final particulièrement mal fichu et noyé de surcroît dans un environnement 100% numérique du plus hideux effet, et esquisser un épilogue béat ouvert vers une séquelle inévitable.

Conflit ouvert entre le réalisateur et ses producteurs

Ce reboot raté prouve une fois de plus que lorsque les décisionnaires des studios tiennent à tout prix à interférer dans le processus créatif d’un cinéaste, il n’en ressort rien de bon. Les démêlées de Josh Trank avec la Fox avaient fait les choux gras de la presse pendant le tournage du film, et l’on comprend mieux la nature du conflit face à ce résultat hybride et contre-nature, noyant toutes les belles intentions du réalisateur dans un fatras de « passages obligatoires » vains et grotesques. Pour se consoler, on peut toujours se dire que la meilleure adaptation des aventures des Quatre Fantastique existe déjà : ce sont Les Indestructibles de Brad Bird.

 

© Gilles Penso

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CARNIVAL OF SOULS (1962)

Une œuvre troublante et onirique dont l'influence sur la littérature et le cinéma fantastique aura été considérable

CARNIVAL OF SOULD

1962 – USA

Réalisé par Herk Harvey

Avec Candace Hilligoss, Frances Feist, Sidney Berger, Art Ellison, Stan Levitt, Tom McGinnis, Forbes Caldwell, Dan Palmquist

THEMA MORT

Lorsqu’il réalisa Carnival of Souls, avec un budget d’une vingtaine de milliers de dollars et un planning de tournage limité à trois petites semaines, Herk Harvey ne se doutait pas qu’il offrirait au public l’une des œuvres fantastiques les plus influentes de son époque. David Lynch et Tim Burton en ont fait un film de chevet, et l’on en ressent fortement l’empreinte sur des œuvres aussi diverses que RépulsionLa Nuit des Morts-Vivants, Alice ou la dernière FugueSixième Sens, L’Echelle de Jacob, Stay, Reeker ou encore Dorothy. Stephen King lui-même n’échappa pas à l’influence, le carnaval macabre décrit dans le roman « Shining » présentant de nombreuses similitudes avec celui de Carnival of Souls. Tout commence lorsque Mary Henry, interprétée par Candace Hilligoss, passe une journée radieuse en voiture avec deux de ses amies. Acceptant une course de voiture façon James Dean, les trois jeunes filles s’élancent sur la route à toute vitesse, mais une fausse manœuvre provoque un accident fatal. La voiture fait une embardée sur un pont et tombe à l’eau. Echappant de peu à la noyade, Mary émerge des flots, hébétée, telle une somnambule. Il lui faut bien sûr du temps pour reprendre ses esprits et le cours de sa vie. Elle accepte alors un travail d’organiste d’église dans une nouvelle ville, et tout semble rentrer dans l’ordre, jusqu’à ce que les apparitions d’un homme sinistre au teint blafard ne viennent la hanter jour et nuit. S’agit-il d’un fantôme, d’un mort-vivant, ou du fruit de son imagination ? 

Autre bizarrerie inquiétante : par moments, en plein lieu public, Mary constate que plus personne ne semble la voir ou l’entendre, comme si elle disparaissait provisoirement de la surface de la terre… Le mystère s’épaissit, les phénomènes insolites se multiplient, jusqu’à ce climax d’anthologie situé dans le fameux carnaval hanté où une masse de trépassés hagards, préfiguration des morts-vivants de George Romero, se dressent sur son chemin, visions de cauchemar d’autant plus éprouvantes qu’elles ne trouvent aucune explication logique… C’est la chute, abrupte, concise et digne de celle d’un épisode de La Quatrième Dimension, qui remet enfin tout en perspective et donne une réponse à toutes les énigmes. Cette chute – que nous ne révèlerons évidemment pas – a depuis été reprise, plagiée, imitée à travers maintes variantes, galvaudant quelque peu la surprise initiale.

L'épouvante viscérale et les peurs universelles

Si l’impact de Canival of Souls s’en trouve fatalement amenuisé, il n’en demeure pas moins une œuvre cruciale et matricielle, tirant parti de la faiblesse de ses moyens pour tutoyer l’épouvante viscérale et les peurs universelles sans artifices (comme plus tard Roman Polanski et sa fameuse trilogie de l’enfermement), et ouvrant l’horreur psychologique vers une voie nouvelle, quelque part à mi-chemin entre la psychanalyse, l’onirisme et la poésie surréaliste. Quelque peu surpris par la popularité de son long-métrage, Herk Harvey revint ensuite à ses activités premières, la réalisation de films institutionnels et éducatifs, jusqu’au début des années 80. En 1996, il s’éteignait dans le Kansas qui le vit grandir, laissant derrière lui trente-cinq ans de production documentaire et ce film unique qui lui valut la reconnaissance éternelle auprès de la communauté cinéphile.

 

© Gilles Penso

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CREATURE (1985)

Une imitation à petit budget d'Alien qui semble étrangement annoncer les choix artistiques du Aliens de James Cameron

CREATURE / TITAN FIND

1985 – USA

Réalisé par William Malone

Avec Stan Iwar, Wendy Schaal, Marie Laudin, Klaus Kinski, Robert Jaffe, Kyman Ward, Diane Salinger, Annette McCarthy

THEMA EXTRA-TERRESTRES

Créature est l’une des nombreuses imitations à petit budget qu’Alien traîna dans son sillage, mais ici un détail s’avère surprenant. S’il paie de toute évidence son tribut au classique de Ridley Scott, sa direction artistique, sa photographie et plusieurs de ses situations semblent annoncer Aliens le retour. D’ailleurs, une partie de l’équipe technique de Créature travaillera l’année suivante sur le film de James Cameron. Situé au carrefour des influences des deux premiers opus de la saga Alien, le film de William Malone possède donc un statut un peu particulier. Au cours du prologue, deux astronautes géologues étudient des squelettes découverts dans des sarcophages sur Titan, satellite naturel de la planète Jupiter. Or l’un de ces squelettes semble encore vivant et les attaque. Le survivant s’enfuit en vaisseau spatial et s’écrase sur la station Concorde en orbite. Une nouvelle expédition est alors envoyée pour découvrir ce qui s’est passé sur Titan, la situation étant compliquée par la rivalité industrielle qui oppose les deux compagnies d’exploration spatiale.

Sur le satellite, dans un environnement bleu et sombre très cameronien, la mission de sauvetage trouve un vieux laboratoire, des fossiles qui semblent dater de 200 000 ans, des cadavres ensanglantés et une créature qui se met à leur courir après. Les moyens du film étant visiblement très limités, tout porte à croire que l’équipe du film n’a construit qu’un ou deux décors plongés dans le noir que les acteurs ne cessent de traverser pendant tout le film pour nous laisser imaginer un environnement plus vaste. Et puis voilà que débarque de nulle part Klaus Kinski, dans le rôle d’un astronaute venu d’une expédition allemande concurrente, qui se joint à l’équipage après avoir presque violé l’une des filles. Mystérieux, il affirme que ce lieu est « une collection de vies provenant de toute la galaxie, comme une collection de papillons. Mais certains de ces papillons ne sont pas bienveillants. » Il poursuit : « Nous avons commis la terrible erreur d’emmener à bord un des conteneurs fendus qui contenait un spécimen. » Et de conclure sinistrement : « Un par un, mes hommes sont morts, tués par une créature qui les avait attendus pendant 2000 siècles. »

« Mes hommes sont morts, tués par une créature qui les avait attendus pendant 2000 siècles… »

Même si cet homme étrange prétend pouvoir les aider à quitter Titan sains et saufs, la situation n’est guère rassurante. D’autant qu’une petite créature visqueuse rôde dans les parages, se plaçant à l’arrière du crâne des astronautes, pompant leur sang et leur dictant leurs agissements pour les pousser à s’entretuer. Le métrage intègre une pincée d’érotisme (le strip-tease intégral de Marie Laurin) et surtout une bonne dose d’horreur graphique : le sang coule généreusement, un visage est déchiré à main nue, une tête explose, un visage fond… Créature bénéficie d’effets visuels assez soignés, de belles maquettes filmées par Robert et Dennis Skotak, de créatures effrayantes signées Doug Beswick et d’une bande originale de Thomas Chase et Steve Rucker évoquant avec une certaine efficacité les travaux de Jerry Goldsmith. Le film se pare aussi de séquences de suspense plutôt efficaces, même si le casting fadasse et les dialogues pétris de clichés jouent quelque peu en sa défaveur.

 

© Gilles Penso

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CREEPOZOÏDS (1987)

Un film de science-fiction au tout petit budget qui multiplie les mutations horrifiques en se laissant volontiers inspirer par Alien

CREEPOZOIDS

1987 – USA

Réalisé par David DeCoteau

Avec Linnea Quigley, Ken Abraham, Michael Aranda, Richard L. Hwakins, Kim McKamy

THEMA MUTATIONS PETITS MONSTRES I SAGA CHARLES BAND

Quinze jours de tournage dans un entrepôt de Los Angeles, 150 000 dollars de budget, il n’en fallut pas plus au producteur Charles Band et au réalisateur David deCoteau pour concocter ce film de science-fiction horrifique ne reculant devant aucun excès et se laissant largement inspirer par Alien. L’intrigue se situe en 1998. Le monde a été ravagé par une guerre nucléaire et cinq survivants arpentent les rues désertes avant de trouver refuge dans un bâtiment abandonné qui a les allures d’un ancien laboratoire scientifique. Tous militaires déserteurs, ces personnages taillés au burin versent volontiers dans l’archétype caricatural : le chef autoritaire (Richard Hawkins), le scientifique curieux (Michael Aranda), le gros bras à la cervelle de moineau (Ken Abraham), la fille réfléchie (Kim McKamy) et la bimbo délurée (Linnea Quigley). La musique au synthétiseur et les dialogues poétiques (« il y a quelque chose de macabre dans ce désordre ») nous annoncent très tôt la couleur : Creepozoïds s’appréciera pleinement au second degré. Pour couronner le tout, le gore qui éclabousse et l’érotisme coquin (la scène du couple qui se douche, mise en image et en musique comme dans un film X, avec un dialogue constitué de « oh oui », « encore » et « j’adore ça » lascifs) s’invitent sans vergogne dans le métrage. Le scientifique de l’équipe est la première victime d’un monstre mystérieux qui se cache dans l’ombre. Le lendemain, au milieu du petit déjeuner, il crache du sang, ses yeux se révulsent, sa main se déforme horriblement puis il trépasse sans explication. 

D’autres morts spectaculaires ponctuent le récit, comme celle d’un homme dont le visage se boursoufle en saignant abondamment jusqu’à se muer en bouillie écarlate. L’origine du mal serait liée à des expériences pratiquées par les occupants du laboratoire, visant à permettre aux humains de produire leurs propres acides aminés pour ne plus souffrir de la faim. D’où ce monstre qui arpente les coursives jonchées des cadavres desséchés des anciens locataires. La bête est plutôt réussie. Sa haute stature, sa grande gueule garnie de dents, ses défenses recourbées, son crâne hypertrophié, ses griffes et sa peau sombre et visqueuse font leur petit effet. On ne peut pas vraiment en dire autant des rats en peluche gros comme des chiens qui attaquent nos héros dans des séquences involontairement risibles. 

Rats en peluche et bébé carnivore

Plus iconique, le bébé horrible mi-humain mi-mutant dont le monstre accouche en fin de métrage, et qui n’est pas sans évoquer celui de It’s Alive, procure quelques jolis frissons. Dommage que cette marionnette efficace n’intervienne que dans une scène d’affrontement apathique et répétitive confinée dans une seule pièce et escamotée à la va-vite. Au-delà de l’influence récurrente d’AlienCreepozoïds puise son inspiration un peu partout, y compris dans Evil Dead (la fille blessée qui se transforme en démon grimaçant et agressif), dans La Guerre des Etoiles (les pistolets laser dont sont armés nos protagonistes) et dans le cinéma post-apocalyptique qui fleurissait alors sur les écrans. Joli succès en VHS, Creepozoïds se déguste aujourd’hui avec une nostalgie coupable parfaitement assumée.

 

© Gilles Penso

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ALLELUIA (2014)

Fabrice du Welz s'inspire d'un célèbre fait divers sanglant pour brosser le portrait désespéré de deux tueurs fous d'amour

ALLELUIA

2014 – FRANCE / BELGIQUE

Réalisé par Fabrice du Welz

Avec Lola Dueñas, Laurent Lucas, Helena Noguerra, Stéphane Bissot, Edith le Merdy, Anne-Marie Loop, Philippe Resimont

THEMA TUEURS 

Alleluia prend ses racines dans le fait divers qui inspira Les Tueurs de la lune de miel de Leonard Kastle, mais les deux œuvres sont incomparables – pas plus que ne le sont Massacre à la Tronçonneuse et Psychose, pourtant tous deux influencés par les exactions réelles du tueur Ed Gein – dans la mesure où elles ne racontent pas la même histoire. La réalité sordide qui entoure les méfaits de Martha Beck et Ray Fernandez n’est ici qu’un support, un prétexte pour que Fabrice du Welz nous conte un amour fou au sens premier du terme. Poussée par une de ses amies, Gloria (Lola Dueñas) accepte de faire la connaissance de Michel (Laurent Lucas), contacté via un site de rencontres. Ainsi commence Alleluia, avec légèreté et fraîcheur, sans signe avant-coureur du bain de sang dans lequel s’achèvera le film.

Michel n’est qu’un petit arnaqueur, un gigolo de province aux ambitions mesquines, mais Gloria ne se comporte pas comme ses victimes habituelles. Elle prend le dessus, et la relation qui s’instaure entre ces deux êtres à la dérive se mue bientôt en passion inconditionnelle, brutale, dévorante et destructrice. Froid et calculateur au début du métrage, le dragueur professionnel se laisse submerger par les accès de démence de Gloria et s’avère totalement incapable de les réfréner. Le veut-il seulement ? Ses protestations sont si faibles qu’il est permis d’en douter. Son corps refuse de lui obéir, ses maux de têtes chroniques surviennent toujours au moment où il lui faut faire des choix difficiles. Il la laisse donc décider et agir à sa place, quitte à se rendre complice de l’irréparable. 

Deux âmes tourmentées

Jusqu’au-boutiste, Alleluia ne cherche jamais à séduire ses spectateurs. Et pourtant, les deux âmes tourmentées qu’il met en scène nous émeuvent et nous attristent, même lorsqu’elles sèment la mort et le malheur autour d’elles. Le dernier acte est à ce titre particulièrement éprouvant. Si l’impact du film est si fort, c’est d’abord parce que ses deux comédiens principaux s’y investissent émotionnellement et physiquement avec beaucoup d’intensité. Laurent Lucas pousse la passivité qui lui est coutumière jusqu’à son paroxysme, tandis que Lola Dueñas s’exprime sur un registre très surprenant, évoluant de la normalité la plus banale vers une folie qui ne prend jamais des atours exubérants ou excessifs. A l’avenant, la mise en scène de Fabrice du Welz est charnelle, intime, alternant les caméras portées qui accompagnent les personnages dans leurs moindres gestes (la scène apparemment banale du petit déjeuner) et les surdécoupages stylisées qui évoquent parfois les exercices de style d’Amer (la séquence hypnotique de la boîte de nuit). Et puis parfois, quelques moments de grâce inattendus jaillissent à l’écran, notamment lorsqu’une lumière quasi surnaturelle illumine soudain le visage de Gloria qui se met à chanter, comme dans une comédie musicale, avant d’entreprendre de découper un cadavre… Certes, on peut émettre quelques réserves sur les cérémonies païennes auxquelles se livrent Michel et Gloria, dansant nus autour du feu ou invoquant les entités élémentaires. Mais à ce détail près, Alleluia est une œuvre brute et pure, débarrassée des scories vainement référentielles qui handicapaient parfois Calvaire.

 

© Gilles Penso

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CHAPPIE (2015)

Le réalisateur de District 9 opère le grand écart entre Robocop et Short Circuit et accouche d'un petit chef d'œuvre de science-fiction urbaine

CHAPPIE

2015 – USA / MEXIQUE

Réalisé par Neil Blomkamp

Avec Sharlto Copley, Dev Patel, Yolandi Visser, Watkin Tudor Jones, Hugh Jackman, Sigourney Weaver

THEMA ROBOTS

De prime abord, Chappie ressemble à un mixage étrange entre Robocop et Short Circuit. A la satire futuriste de Paul Verhoeven, il emprunte en effet l’idée d’une société ultra-violente dans laquelle le gouvernement décide de supprimer progressivement les policiers humains pour les remplacer par des androïdes armés et indestructibles. A la comédie antimilitariste de John Badham, il reprend le motif du robot guerrier soudain doté de conscience qui abandonne ses fonctions premières de soldat mécanique pour s’adoucir au contact des êtres humains. Le cynisme dévastateur de Robocop et les bons sentiments de Short Circuit n’avaient à priori aucune chance de faire bon ménage, et c’est à un véritable travail d’alchimiste que se livre Neil Blomkamp pour pouvoir harmoniser deux sources d’inspiration aussi discordantes. C’est justement cette démarche qui a divisé l’opinion à propos du film. Trop violent pour les partisans d’un conte optimiste narrant l’éveil de la conscience d’un robot attachant, trop mièvre aux yeux des amateurs de blockbusters futuristes spectaculaires, Chappie n’est pas parvenu à trouver son public lors de sa sortie en salles. C’est d’autant plus dommage que le troisième long-métrage de Blomkamp possède un indéniable supplément d’âme, une singularité et une fraîcheur qui le rendent particulièrement attachant.

Comme District 9Chappie est la version longue d’un court-métrage que le cinéaste avait réalisé au début des années 2000, et son style inimitable est perceptible d’un bout à l’autre du film, transcendant ses influences premières (auxquelles on peut ajouter Applessed pour le look du robot) en s’appuyant sur un casting de première ordre. La présence d’Hugh Jackman et Sigourney Weaver peut certes être appréhendée comme un clin d’œil aux amateurs de science-fiction, mais les comédiens sont ici à mille lieues des sagas Alien et X-Men qui les ont rendus respectivement célèbres pour camper deux personnalités fortes dont chaque décision aura une répercussion déterminante sur l’intrigue. Mais c’est surtout l’interprétation à fleur de peau de Dev Patel (transfuge de Slumdog Millionaire et de la série Skins) et du duo Yolandi Visser & Watkin Tudor Jones (leaders du groupe sud-africain Die Antwoord) qui emporte l’adhésion, crédibilisant ce récit un peu fou avec un naturel désarmant.

La conscience peut-elle survivre au corps ?

Le robot lui-même est le fruit d’une prouesse technique incroyable, combinée avec le jeu du comédien Sharlto Copley, dont la pantomime captée en « performance capture » suscite une empathie immédiate. Comment ne pas l’aimer ? Et pourtant, ce guerrier en titane n’est pas « mignon » au sens strict du terme, ses expressions corporelles – son âme ? – transcendant une enveloppe physique pas très avenante. Or là réside l’essence même du scénario de Chappie, comme le confirme un dénouement audacieux. La conscience peut-elle survivre au corps ? Est-elle le seul apanage de l’être humain ? Emouvant, drôle, poétique, brutal, spectaculaire (l’intervention du robot géant d’Hugh Jackman, croisement entre l’ED-209 de Robocop et les géants métalliques de Robot Jox est franchement impressionnante), Chappie est un film aux multiples facettes qui se bonifie à chaque visionnage.

 

© Gilles Penso

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KINGSMAN, SERVICES SECRETS (2015)

Matthew Vaughn réinvente le cinéma d'espionnage mâtiné de science-fiction en mêlant le classicisme extrême et une modernité insolente

KINGSMAN – THE SECRET SERVICE

2015 – USA / GB

Réalisé par Matthew Vaughn

Avec Colin Firth, Taron Egerton, Samuel L. Jackson, Mark Strong, Michael Caine, Mark Hamill

THEMA ESPIONNAGE ET SCIENCE-FICTION

Matthew Vaughn est un homme plein de surprises. Au fil d’une filmographie atypique, il semble s’être spécialisé dans l’art de s’emparer de genres cinématographiques extrêmement codifiés et d’en intégrer pleinement les composantes fondamentales pour mieux les dynamiter. Après avoir appliqué cette méthode au conte pour enfant (Stardust) et au film de super-héros (Kick-AssX-Men : le commencement), il s’en prend ici à l’espionnage. Plus encore que ses prédécesseurs, Kingsman témoigne du grand écart audacieux qu’ose effectuer Vaughn entre le classicisme extrême et une modernité qui frise l’insolence. Et pour mieux assumer ce mélange explosif, il choisit de mettre en scène deux protagonistes représentant ces deux facettes antithétiques. Le charismatique Colin Firth endosse ainsi le smoking d’un agent secret au service de Sa Majesté, une machine de guerre distinguée et raffinée qui, même dans les situations les plus extrêmes, ne se départit jamais de son flegme ni de son élégance. Une sorte de croisement entre le John Steed de Chapeau melon et bottes de cuir et du James Bond campé par Sean Connery dans les années 60, en quelque sorte. A ses côtés, le fougueux Taron Egerton incarne un adolescent à la dérive, coincé entre une mère aux mœurs faciles, un beau-père brutal et les fréquentations douteuses de son quartier.

La confrontation de ces deux protagonistes que tout oppose est la métaphore idéale du choc stylistique que Kingsman opère entre l’espionnage « so british » des swinging sixties et la férocité décomplexée du cinéma d’action du 21ème siècle. Car lorsque la violence éclate dans le film, c’est avec un excès surprenant, Vaughn ne nous épargnant aucun détail sanglant tout en accompagnant les époustouflantes chorégraphies des combats avec une caméra virevoltante qui suit en plan-séquence chaque belligérant et chaque coup porté. Cette folie destructrice culmine dans une séquence de massacre hallucinante perpétrée au sein d’une église intégriste du Kentucky. Dans Kingsman, la science-fiction s’invite aussi généreusement par l’entremise d’un super-vilain multimilliardaire excentrique (Samuel L. Jackson, qui en fait un peu trop mais évite fort heureusement de sombrer dans les excès insupportables de The Spirit) ayant décidé d’éradiquer une partie considérable de l’espèce humaine pour lutter contre la surpopulation et répartir à sa guise les richesses de la planète.

Gadgets futuristes et armes surréalistes

L’influence des James Bond de la décennie 1970-1980 se fait alors ressentir, à travers des gadgets futuristes, des armes surréalistes (la jolie garde du corps juchée sur des prothèses en forme de patins surdimensionnés aussi tranchants que des rasoirs est une trouvaille incroyable), des implants provoquant des explosions de tête, des ondes modifiant le comportement des êtres humains et des catastrophes à l’échelle planétaire. Le cocktail aurait pu devenir indigeste, mais Matthew Vaughn s’adonne à ce jeu d’équilibriste avec une telle virtuosité que Kingsman possède au contraire un univers autonome, volontairement déconnecté du comic book dont il s’inspire pour mieux voler de ses propres ailes, aux accents d’une partition flamboyante d’Henry Jackman.

 

© Gilles Penso

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DOMINION : PREQUEL TO THE EXORCIST (2005)

Un film maudit, réalisé par Paul Schrader pour s'intégrer dans la franchise L'Exorciste et finalement refait de A à Z par Renny Harlin à la demande du studio Warner

DOMINION : PREQUEL TO THE EXORCIST

2005 – USA

Réalisé par Paul Schrader

Avec Stellan Skarsgard, Gabriel Mann, Clara Bellar, Billy Crawford, Ralph Brown, Israel Aduramo, Andrew French

THEMA DIABLE ET DEMONS I SAGA L’EXORCISTE

C’est en 2002 que naît chez Warner la volonté de doter L’Exorciste d’une préquelle. Baptisé dans un premier temps Exorcist : Dominion, le projet fut confié au réalisateur John Frankenheimer. Ce dernier avait déjà succédé à William Friedkin en dirigeant la suite de French Connection, mais il décéda avant de pouvoir se lancer dans cette aventure. La production se tourna alors vers Paul Schrader, dont les titres de gloire étaient les scénarios de Taxi Driver, Raging Bull ou La Dernière Tentation du Christ pour Martin Scorsese, ainsi que la réalisation du remake de La Féline en 1982. Schrader prit cette préquelle à bras le corps et s’acquitta de sa tache du mieux qu’il put, mais il fut finalement éjecté du projet en 2003 lorsque ses images et son montage parvinrent aux patrons de Warner. Schrader termina malgré tout sa propre version qu’il rebaptisa Dominion : Prequel to the Exorcist et qui fut projetée de manière confidentielle dans quelques festivals, tandis que Renny Harlin fut chargé de tout reprendre à zéro pour mettre sur pied ce qui deviendra L’Exorciste : au commencement. Nous voici donc dans un cas de figure très particulier où deux cinéastes aux sensibilités et aux styles radicalement opposés s’emparent du même sujet et du même casting pour livrer deux œuvres aussi différentes que possible. 

Dominion n’est pas une version alternative de L’Exorciste : au commencement mais bel et bien un film à part entière. Dès l’entame, qui place le père Merrin face à un choix moral impossible au cœur de la barbarie nazie, Schrader affirme sa volonté d’aborder le sujet sous un angle psychologique et réaliste, loin des archétypes habituels du cinéma d’horreur. La perte de foi d’un homme d’église, thématique au cœur du récit de Dominion, est un sujet qui touchait particulièrement Paul Schrader, lequel fut élevé selon les sévères préceptes religieux de la communauté calviniste du Michigan et envisagea même un temps de devenir pasteur. « Pour un scénariste, vous devez d’abord examiner et accepter d’affronter vos problèmes personnels les plus difficiles, il s’agit d’un commerce de linge sale », affirmait d’ailleurs le cinéaste lors d’un entretien avec Declan McGrath et Felim MacDermott. Cette implication personnelle suffit amplement à rendre Dominion plus intéressant que L’Exorciste : au commencement.

Une préquelle exotique et quasi-expérimentale

Mais le film n’est pas pour autant palpitant, et l’on comprend sans mal la déconvenue des cadres de la Warner face à un résultat aussi peu commercial. Par bien des aspects, cette préquelle évoque d’ailleurs  Exorciste 2 : L’Hérétique de John Boorman. Le refus de se soumettre aux lieux communs du film de possession édictés par L’Exorciste, la relocalisation de l’intrigue dans une Afrique exotique propice à l’affrontement entre paganisme et christianisme, et même une patine « années 80 » (dans la photographie, la musique, les effets visuels) rapprochent en effet les travaux quasi-expérimentaux de Schrader et Boorman. Et à l’instar de L’Hérétique, ce « grand film malade », pour reprendre l’expression de François Truffaut, n’aura jamais rencontré son public, faisant presque office de digression anachronique au sein de la saga consacrée à L’Exorciste.

 

© Gilles Penso

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PIXELS (2015)

Une tentative manifeste de retrouver la recette du succès de Ghostbusters, en remplaçant les fantômes par des créatures issus des jeux vidéo des années 80

PIXELS

2015 – USA

Réalisé par Chris Columbus

Avec Adam Sandler, Josh Gad, Michelle Monaghan, Peter Dinklage, Kevin James, Brian Cox, Sean Bean, Denis Akiyama

THEMA EXTRA-TERRESTRES

Nous sommes à New York. Un homme jette un vieux téléviseur sur le trottoir puis s’éloigne. Soudain, des pixels multicolores surgissent de l’écran cathodique et se mettent à voguer dans les cieux. Les vaisseaux de Space Invaders détruisent les taxis, les blocs de Tetris anéantissent les buildings, Pac Man dévore les lignes de métro, Donkey Kong sème la panique, et bientôt toute la planète est réduite à l’état de Pixel. En deux minutes trente, le réalisateur Patrick Jean raconte ainsi la revanche surréaliste des jeux vidéo des années 80 sur la société moderne. Dès sa diffusion en 2010, cet audacieux court-métrage baptisé Pixels attire tous les regards et notamment ceux d’Adam Sandler, bien décidé à en produire une adaptation à grande échelle dont il tiendrait la vedette. Cinq ans plus tard, le long-métrage sort sur tous les écrans du monde, réalisé par Chris Columbus sous l’égide du studio Sony-Columbia. Sandler y joue Sam Brenner, un ancien champion de jeux vidéo devenu installateur de home cinémas. Un jour, son ami d’enfance Will Cooper (Kevin James), devenu rien moins que le président des Etats-Unis, l’appelle à la rescousse. Des créatures tout droit sorties de jeux vidéo d’arcade se mettent en effet à envahir la planète. Pourquoi ? Parce qu’un message envoyé aux aliens en 1982, contenant des images de jeux vidéo classiques, a été interprété comme une déclaration de guerre. La Terre est désormais attaquée par des personnages inspirés des jeux d’antan, et seuls des rétrogamers confirmés semblent pouvoir les arrêter. Brenner s’adjoint donc les services de deux ex-spécialistes des arcades, Eddie Plant (Peter Dinklage) et Ludlow Lamonsoff (Josh Gad) pour préparer la contre-attaque. 

Dès ses premières minutes, Pixel cherche à faire du charme aux « geeks » de tous poils en s’efforçant de solliciter une complicité qui lui semble acquise. Allusions et clins d’œil en cascade à la pop-culture des années 80, apparitions de guest-stars ciblées (Dan Aykroyd nous renvoie à S.O.S. Fantômes auquel les posters de Pixels semblent se référer), bande originale saupoudrée de tubes des eighties… Tous les ingrédients sont là, mais la magie n’opère pas. Sous prétexte de n’être « qu’une » comédie, Pixels passe totalement à côté de son sujet, s’interdisant toute réflexion sur la nostalgie régressive d’une génération de quadragénaires refusant obstinément d’évacuer les émois de leur adolescence tenace.

Chris Columbus en petite forme

Avec ses ambitions étriquées, son scénario simpliste, ses dialogues exaspérants, son accumulation de clichés et la condescendance manifeste avec laquelle il appréhende ses spectateurs, Pixels n’a pas grand-chose pour plaire, d’autant qu’il ne provoque que rarement le rire – un comble pour une comédie ! Même les effets visuels sont discutables. La simplicité du design original de Pac-Man, Space Invaders ou Donkey Kong avait parfaitement été restituée en 3D dans le court de Patric Jean. Mais ici, les jeux d’arcade ressemblent à des rubik’s cube scintillants et multicolores franchement hideux. Quant à Chris Columbus, il assure le service minimum, ayant visiblement oublié depuis bien longtemps le grain de folie qui l’animait lorsqu’il écrivait les scénarios de Gremlins, Les Goonies ou Le Secret de la pyramide.

 

© Gilles Penso

L’EXORCISTE : AU COMMENCEMENT (2004)

Une prequel de L'Exorciste confuse et maladroite, commencée par Paul Schrader et reprise par Renny Harlin

EXORCIST – THE BEGINNING

2004 – USA

Réalisé par Renny Harlin

Avec Izabella Scorupo, Stellan Skarsgard, James d’Arcy, Remy Sweeney, Julian Wadham, Andrew French, Ralph Brown 

THEMA DIABLE ET DEMON I SAGA L’EXORCISTE

Les remontages que L’Exorciste a subi au fil de ses réexploitations à l’écran, tout comme les séquelles dont il fut affublé, ne font que confirmer le caractère unique et inimitable du film de William Friedkin. Mais le filon fut suffisamment rentable pour motiver la mise en chantier d’une préquelle. D’où cet Exorciste – le commencement confié à Paul Schrader, lequel fut éjecté du projet lorsque ses images et son montage parvinrent aux patrons de Warner. Renny Harlin fut donc chargé de rafistoler l’ensemble, un choix qui peut surprendre dans la mesure où le réalisateur de 58 Minutes pour Vivre et Cliffhanger est à priori plus à l’aise avec l’action grand public que l’épouvante et le surnaturel. a séquence d’introduction, située en pleine antiquité, nous montre un pèlerin harassé par le soleil, arpentant une plaine jonchée de cadavres. Bientôt, il découvre à perte de vue des milliers d’hommes crucifiés sur des croix à l’envers. Hélas, les trucages et les mouvements de caméra choisis par Harlin (façon jeu vidéo) amenuisent considérablement l’impact d’une scène qui aurait mérité un traitement plus réaliste.

L’intrigue nous transporte ensuite au Caire, en 1949, et nous familiarise avec Lancaster Merrin, un ancien prêtre en pleine crise de foi ayant troqué la soutane contre une défroque d’archéologue sur le retour. Version dépenaillée d’Indiana Jones, Merrin se voit confier l’expertise d’une église vieille de 1500 ans qui vient d’être mise à jour à Nairobi, et qui abriterait la statue d’un démon sumérien. Sur place, Merrin rencontre Sarah, une jolie doctoresse rescapée de la Shoah, et Jeffries, un chef de chantier alcoolique, hideux et libidineux. Il découvre également que les événements étranges se succèdent avec une fréquence alarmante autour du site archéologique. Les ouvriers disparaissent par douzaines, le responsable des fouilles devient fou et se suicide, un enfant est déchiqueté par une horde de hyènes, une femme accouche d’un mort-né infesté de vers, un enfant prénommé Joseph présente bientôt tous les symptômes de la possession diabolique…

« Le Mal est en chacun de nous… »

Campé sur ses positions agnostiques, Merrin déclare à Sarah : « il est très facile de croire que le Mal est une entité, mais en réalité il est en chacun de nous. » Mais ses convictions tressaillent peu à peu, le film s’efforçant d’emprunter le schéma narratif connu de l’homme retrouvant la foi grâce à un choc psychologique. Ce dernier prend la tournure d’une séance d’exorcisme, passage obligatoire de la franchise. Et si L’Exorciste – le commencement parvient à soutenir sans trop de mal l’intérêt du spectateur, en grande partie grâce à la conviction de ses comédiens, tout bascule lors de cette ultime séquence, parodie involontaire du film de Friedkin qui abuse des trucages numériques et des effets choc grotesques, prouvant l’incapacité du réalisateur à appréhender sérieusement un sujet au potentiel pourtant énorme. L’ultime image est celle de Merrin, redevenu prêtre, s’éloignant comme Lucky Luke au coucher du soleil en arborant sa célèbre panoplie (manteau noir, chapeau et valise), aux accents d’une partition imitant imperceptiblement le « Tubular Bells » de Mike Oldfield.

 

© Gilles Penso