MISSION IMPOSSIBLE (1996)

Brian de Palma s'empare de la série culte de Bruce Geller pour en tirer un techno-thriller d'espionnage de haut niveau

MISSION IMPOSSIBLE

1996 – USA

Réalisé par Brian de Palma

Avec Tom Cruise, Emmanuelle Beart, Ving Rhames, Jean Reno, Jon Voigt, Kristin Scott Thomas

THEMA ESPIONNAGE ET SCIENCE-FICTION I SAGA MISSION IMPOSSIBLE

Parmi les sources d’inspiration des scénaristes hollywoodiens, les séries TV se mirent à occuper une place croissante au cours des années 90. La qualité des résultats variait, en fonction de l’intérêt de la série initiale mais aussi et surtout du choix de l’approche. Trop de fidélité pouvait sans doute nuire, et le succès fracassant des versions grand écran des Incorruptibles ou du Fugitif semblaient le confirmer. Tout récent producteur ayant créé sa propre société avec Paula Wagner, Tom Cruise décida, pour sa part, d’adapter Mission Impossible. Adulé par Cruise, maître du suspense et auteur justement de la version cinéma des Incorruptibles, Brian de Palma était le réalisateur idéal pour moderniser la série culte de Bruce Geller. Fruit de la collaboration de David Koepp (Jurassic Park) et Robert Towne (Greystoke), le scénario tisse des liens étroits avec la série pour mieux s’en défaire un quart d’heure plus tard et emmener l’intrigue au-delà de ce que le spectateur pouvait imaginer.

Tout commence lorsque Jim Phelps (Jon Voigt) annonce à son équipe une nouvelle mission : infiltrer une soirée à l’ambassade américaine de Prague pour y coincer l’agent secret Alexandre Golitsyn, lequel vient de subtiliser une disquette où figure la liste complète des espions américains agissant dans l’Europe de l’Est. Contre toute attente – et contre les principes soigneusement établis au cours des sept années de diffusion de la série – la mission est un sanglant fiasco, et Ethan Hunt (Tom Cruise), seul survivant, décide de monter une nouvelle équipe pour découvrir les dessous de la sombre machination dont il est devenu la victime. Avec un goût immodéré pour le spectaculaire et la démesure, le film accumule les morceaux d’anthologie, en particulier l’explosion gigantesque d’un aquarium couvrant la fuite d’Ethan ou une incroyable séquence de suspense pur, située dans une salle d’ordinateurs, mettant les nerfs du spectateur à rude épreuve.

Hélicoptère contre TGV

« Tom Cruise a tenu à faire lui-même de nombreuses cascades, notamment celle où il est suspendu par un filin dans la salle de la CIA », nous révèle la productrice Paula Wagner. « Il en était très fier, mais je vous avoue que pendant le tournage je tremblais comme une feuille. Pour un producteur, ce n’est guère rassurant ! Cela dit, étant donné qu’il est extrêmement prudent et très précis, nous n’avons eu à déplorer aucun incident… » (1) Mais le clou du spectacle est indéniablement cette poursuite finale sur le toit d’un train, un lieu commun en règle générale, mais transcendé ici par le fait qu’il s’agit d’un TGV Eurostar déboulant dans un tunnel à une allure démente, poursuivi en outre par un hélicoptère qui s’engouffre sous le tunnel à son tour. Remplaçant au pied levé Alan Silvestri (débarqué du film après avoir composé une demi heure de musique qu’il recycla pour L’Effaçeur), Danny Elfman se réapproprie le célèbre thème de Lalo Schifrin et livre une bande originale extrêmement énergique. A vrai dire, ce Mission Impossible n’a plus grand chose à voir avec la série homonyme, et les nostalgiques doivent oublier un peu leur soif de fidélité s’ils veulent profiter à sa juste valeur de ce spectacle décapant dont le climax offre une révélation pour le moins surprenante.

 

(1) Propos recueillis par votre serviteur en avril 2006

 

© Gilles Penso

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PANIC SUR FLORIDA BEACH (1993)

La projection imminente d'un film de science-fiction avec une fourmi géante et la menace d'un conflit nucléaire bien réel s'entremêlent dans l'esprit d'un adolescent des années 60

MATINEE

1993 – USA

Réalisé par Joe Dante

Avec John Goodman, Simon Fenton, Jesse Lee, Lucinda Jenney, Robert Picardo, Dick Miller, Kevin McCarthy

THEMA CINEMA ET TELEVISION I INSECTES ET INVERTEBRES

Panic sur Florida Beach est à ce jour le film le plus personnel de Joe Dante, tant il regorge d’éléments autobiographiques. Nous sommes en septembre 1962. Gene et Dennis Loomis, fils d’un militaire en manœuvres près de Cuba, viennent d’emménager avec leur mère dans la ville de Key West, en Floride. Ils passent leurs samedis après-midi dans le cinéma local qui annonce avec fracas la sortie prochaine de « Mant ! », un film de monstre réalisé par le spécialiste du genre Lawrence Woolsey. Ce dernier viendra d’ailleurs en personne présenter le film à Key West, dans le cadre d’une tournée promotionnelle spectaculaire consistant à truffer les salles de cinéma de gadgets sophistiqués. Tandis que Gene et ses amis attendent avec impatience cet événement, les nouvelles internationales sont de plus en plus alarmantes. La crise des missiles de Cuba fait craindre une troisième guerre mondiale imminente et fait peu à peu craquer le vernis chez une population désemparée. La peur réelle du conflit nucléaire et la peur fantasmée des films d’horreur se mélange ainsi dans la tête du jeune héros qui n’est autre que l’alter-ego adolescent de Joe Dante.

Dans le rôle de Lawrence Woolsey, mixage contre-nature de William Castle et Alfred Hitchcock, John Goodman est délectable. Lorsque « Mant ! » est projeté sur les écrans, Joe Dante nous régale en réalisant un faux film de science-fiction des années 50/60 tellement fidèle aux canons esthétiques de l’époque qu’il est criant de vérité – si ce n’est un second degré inévitable et des effets spéciaux un peu plus élaborés qu’habituellement. Le but du cinéaste n’est pas de se moquer de ces films qu’il chérit mais de leur rendre un hommage énamouré. « Mant » raconte donc l’histoire improbable d’un homme mordu par une fourmi au moment où son dentiste lui radiographiait les dents. Soumis ensemble aux radiations, les deux êtres fusionnent et deviennent l’homme-fourmi. Face à son épouse terrifiée et aux autorités, l’infortuné héros mute jusqu’à se transformer en fourmi géante qui sème la panique en ville. « Mant » commence donc comme La Mouche Noire pour s’achever à la manière de Tarantula, Joe Dante se prêtant tellement au jeu qu’il réalise un quart d’heure de ce faux film (dont seules quelques minutes apparaissent dans Panic sur Florida Beach).

Le monstre attaque la ville…

La mise en abîme se double d’un vaudeville mouvementé lorsqu’un jeune homme déguisé en homme-fourmi, embauché par Woolsey pour effrayer le public dans le cinéma, kidnappe dans la salle la fille dont il est amoureux, décuplant la panique ambiante. Mais l’humour de ce film d’une sincérité absolue se tempère lorsque Joe Dante nous fait vivre avec beaucoup de réalisme la peur au ventre qui étreignait les citoyens américains notamment lors des exercices d’évacuations en pleine école, au son strident des sirènes. Panic sur Florida Beach n’attira hélas pas beaucoup les foules, d’autant qu’il sortit le week-end du Super Bowl, date où les spectateurs désertent généralement les salles. Encore un rendez-vous manqué entre Joe Dante et son public…

 

© Gilles Penso

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LES LOONEY TUNES PASSENT A L’ACTION (2003)

En se voyant confier tout le bestiaire des cartoons Warner, Joe Dante livre l'un de ses films les plus mouvementés et les plus généreux

LOONEY TUNES : BACK IN ACTION

2003 – USA

Réalisé par Joe Dante

Avec Brendan Fraser, Jenna Elfman, Steve Martin, Timothy Dalton, Heather Locklear, Joan Cusack

THEMA MONDES PARALLELES ET MONDES VIRTUELS

Pour un fan de la première heure des cartoons Warner comme Joe Dante, la proposition de réaliser Les Looney Tunes passent à l’action ressemblait à un cadeau sur un plateau d’argent. Certes, le studio Warner devait au cinéaste l’un des plus gros succès de son histoire (Gremlins), mais Dante a toujours fait preuve d’un anticonformisme insolent l’empêchant d’entrer dans les moules imposés par les majors. Les Looney Tunes passent à l’action cache donc sous ses allures de produit gentiment formaté un spectacle culotté dynamitant le système de l’intérieur. Rien à voir avec Space Jam, donc, malgré les apparences. Après un cartoon d’introduction mettant en scène une de ces éternelles batailles opposant Bugs Bunny et Daffy Duck, l’action prend place dans les bureaux de la Warner, où l’on décide de renvoyer le canard vedette, pas assez rémunérateur aux goûts des cadres du studio. Parallèlement, DJ Drake (Brendan Fraser), un agent de sécurité qui rêve d’une carrière de cascadeur, est lui aussi licencié, tout comme la vice-présidente du département comédie Kate Houghton (Jenna Elfman). Tout ce beau monde se retrouve embarqué dans une course-poursuite à la recherche de Damian Drake (Timothy Dalton), dont le métier de star de films d’espionnage camoufle de véritables activités d’agent secret. Ce dernier est tombé dans un piège en s’efforçant d’empêcher l’infâme président d’Acme Corporation (Steve Martin) de posséder le « Singe Bleu », un diamant capable de transformer les humains en primates, et vice-versa.

D’une générosité sans borne, Les Looney Tunes passent à l’action nous offre une apparition de la quasi-totalité du bestiaire des Merrie Melodies et des scènes d’action totalement délirantes (une poursuite au Louvre dans laquelle les personnages adoptent le style visuel de chaque tableau dans lequel ils se réfugient, un saut en chute libre depuis la Tour Eiffel, une bataille de vaisseaux spatiaux, l’attaque d’un chien-robot géant). Plus que jamais, Dante cligne de l’œil vers le cinéma et la télévision de sa jeunesse, de l’apparition de Roger Corman dans le rôle du réalisateur d’un nouveau Batman à la parodie de la scène de la douche de Psychose en passant par l’apparition de Peter Graves dans un pastiche de Mission impossible. Le summum référentiel est atteint avec la zone 52, un lieu tenu secret par le gouvernement où interviennent des myriades de créatures extra-terrestres issues du cinéma populaire des années 50.

Parodies et hommages en cascade

Jerry Goldsmith s’en donne lui aussi à cœur joie, mais ce sera son chant du cygne, le génial compositeur ayant passé l’arme à gauche alors que le film était en post-production. Rétrospectivement, Joe Dante garde un souvenir mitigé des Looney Tunes passent à l’action qui ne représente selon lui que 50% du résultat qu’il avait initialement en tête à cause d’un studio ne cessant de faire réécrire le scénario. « Je me souviens que lorsque je suis allé à l’avant-première du film, j’ai trouvé que tout allait trop vite », raconte-t-il. « J’ai eu le sentiment que je me mettais à faire des films que je n’aimais pas. Je n’ai pas eu envie de réitérer ce type d’expérience par la suite. »  (1) Dommage parce que nous, on en redemande !

(1) Propos recueillis par votre serviteur en mars 2015

 

© Gilles Penso

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LES QUATRE FANTASTIQUES ET LE SURFER D’ARGENT (2007)

Un deuxième opus aussi maladroit que le précédent, malgré la présence réjouissante d'un superbe Surfer d'Argent

FANTASTIC FOUR : RISE OF THE SILVER SURFER

2007 – USA

Réalisé par Tim Story

Avec Ioan Gruffudd, Jessica Alba, Chris Evans, Michael Chiklis, Julian McMahon, Doug Jones, Kerry Washington, Andre Braugher

THEMA SUPER-HEROS I SAGA LES QUATRE FANTASTIQUES I MARVEL

Même si l’annonce d’une transposition à l’écran des aventures du Surfer d’Argent avait de quoi faire saliver tous les lecteurs des comics Marvel, le souvenir de l’échec artistique des Quatre Fantastiques premier du nom, déjà réalisé par Tim Story, était encore douloureux. De fait, le constat ici s’avère particulièrement désastreux. Encore plus balourd que son prédécesseur, Les Quatre Fantastiques et le Surfer d’Argent souffre d’un scénario d’une désespérante linéarité et d’un humour de bas étage, collectant une série d’idées visuelles plus grotesques les unes que les autres (Mister Fantastic qui danse le soir de son enterrement de vie de garçon en parfait émule de Jim Carrey dans The Mask, il faut le voir pour le croire !). Reste le Surfer d’Argent lui-même. Imaginé par Stan Lee et Jack Kirby au milieu des années 60 (il est apparu pour la première fois en mars 1966 dans le numéro 48 de « Fantastic Four »), ce personnage d’extra-terrestre au corps argenté, traversant les cieux sur une planche aérodynamique à la rapidité incroyable, a été réinterprété au fil des ans par de nombreux graphistes, notamment John Buscema, John Byrne et même notre Moebius national.

Le choix de la production se porta pour le film sur Doug Jones, habitué aux créatures étranges puisqu’il interpréta sous des kilos de mousse de latex l’homme-poisson de Hellboy, les monstres agressifs de Doom ainsi que le satyre et l’ogre du Labyrinthe de Pan. « Avoir Doug sur le plateau donnait au réalisateur Tim Story la possibilité de le diriger dans toutes les scènes où son personnage interagit avec les autres acteurs », raconte Eric Saindon, le superviseur des effets visuels. « Par la suite, nous avons recouru à plusieurs méthodes pour animer le Surfer d’Argent. Tim a dirigé quelques sessions de motion capture que nous avons utilisées tout au long du film. Nous avons également fait appel à une nouvelle technique qui consiste à disposer plusieurs caméras synchronisées filmant le comédien sous plusieurs axes. Les références obtenues nous permettaient ensuite de reproduire fidèlement et rapidement ses mouvements et ses attitudes. » (1) La transposition sur grand écran du célèbre Surfer est donc une très belle réussite. Hélas, cette prouesse technique s’inscrit dans un film médiocre qui empêche le personnage de s’épanouir pleinement. Oubliées, les célèbres tirades philosophiques de cet anti-héros immaculé et mélancolique.

Un « dévoreur de planètes » bien terne

Et que dire de Galactus ? Les lecteurs de la première heure ont gardé en mémoire cette scène apocalyptique où le gigantesque « dévoreur de planètes » arpentait les rues de New York, précédé par les envolées acrobatiques du Surfer d’Argent, tandis que la population fuyait dans la panique la plus totale. Mais de telles visions n’apparaissent pas dans le film. Story et ses producteurs ont en effet pris la décision de déshumaniser le monstre pour le muer en une masse nuageuse sombre résolument anti-dramatique. Définitivement mise à mal, la franchise des Quatre Fantastiques s’achèvera donc sur cette note sombre, avant sa tentative de résurrection dix ans plus tard sous la direction de Josh Trank. 

(1) Propos recueillis par votre serviteur en juillet 2007

 

© Gilles Penso

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LES QUATRE FANTASTIQUES (2015)

Dix ans après la version décevante de Tim Story, Joss Trank tente à son tour d'adapter les Quatre Fantastiques au cinéma, sans plus de succès…

FANTASTIC FOUR

2015 – USA

Réalisé par Josh Trank

Avec Miles Teller, Kate Mara, Michael B. Jordan, Jamie Bell, Toby Kebbell, Reg E. Cathey, Tim Blake Nelson

THEMA SUPER-HEROS I SAGA MARVEL

Contrairement à la majorité de leurs collègues en collants emportés par la success story vertigineuse de l’univers cinématique Marvel, les Quatre Fantastiques n’ont jamais eu leur heure de gloire sur grand écran. Après l’adaptation cheap réalisée par Oley Sassone pour Roger Corman et jamais exploitée officiellement, puis les deux superproductions insipides commises par Tim Story, le terrain était encore vierge d’une transposition digne de ce nom. Premiers super-héros nés du cerveau en ébullition de Stan Lee au début des années 60, Reed Richards, Ben Grimm, Johnny et Susan Storm ont pourtant un potentiel énorme, d’un double point de vue émotionnel et dramatique. A la fois reflets des préoccupations d’une époque révolue (la guerre froide, les expériences atomiques, la conquête de l’espace) et acteurs d’un renouvellement radical dans le traitement des super-héros traditionnels (il s’agit d’une famille fusionnelle et dysfonctionnelle, en opposition aux figures solitaires et monolithiques imposées jusqu’alors par DC Comics), ils ont posé les jalons de toute la mythologie Marvel. A condition de les moderniser pour les sortir de leur carcan originel (très ancré dans les sixties), ce sont les protagonistes idéaux d’un film de science-fiction novateur.

Le choix de Josh Trank à la tête de leur résurrection ressemblait à une bonne nouvelle, le cinéaste ayant su redynamiser le genre avec son étonnant Chronicle. Mais la joie fut de courte durée, cette troisième version des Quatre Fantastique étant un nouvel échec artistique cuisant et irrévocable. Pourtant, les choses s’amorcent bien. Le prologue proche du Explorers de Joe Dante, où deux gamins faisant fi de l’incrédulité des adultes tentent de créer une machine de téléportation, a tout pour plaire. La suite des événements, qui décrit le processus inexorable muant quatre adolescents en monstres aux pouvoirs effrayants, est très prometteur. Mais ce qui aurait dû logiquement n’être qu’un premier acte s’avère être la majeure partie du métrage. Il ne reste alors plus qu’une vingtaine de minutes pour montrer les quatre héros en action, faire surgir un super-vilain aux motivations simplistes (en gros : anéantir la planète), mettre en scène quelques destructions à grande échelle pour sacrifier aux lieux communs du genre, expédier un affrontement final particulièrement mal fichu et noyé de surcroît dans un environnement 100% numérique du plus hideux effet, et esquisser un épilogue béat ouvert vers une séquelle inévitable.

Conflit ouvert entre le réalisateur et ses producteurs

Ce reboot raté prouve une fois de plus que lorsque les décisionnaires des studios tiennent à tout prix à interférer dans le processus créatif d’un cinéaste, il n’en ressort rien de bon. Les démêlées de Josh Trank avec la Fox avaient fait les choux gras de la presse pendant le tournage du film, et l’on comprend mieux la nature du conflit face à ce résultat hybride et contre-nature, noyant toutes les belles intentions du réalisateur dans un fatras de « passages obligatoires » vains et grotesques. Pour se consoler, on peut toujours se dire que la meilleure adaptation des aventures des Quatre Fantastique existe déjà : ce sont Les Indestructibles de Brad Bird.

 

© Gilles Penso

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CARNIVAL OF SOULS (1962)

Une œuvre troublante et onirique dont l'influence sur la littérature et le cinéma fantastique aura été considérable

CARNIVAL OF SOULD

1962 – USA

Réalisé par Herk Harvey

Avec Candace Hilligoss, Frances Feist, Sidney Berger, Art Ellison, Stan Levitt, Tom McGinnis, Forbes Caldwell, Dan Palmquist

THEMA MORT

Lorsqu’il réalisa Carnival of Souls, avec un budget d’une vingtaine de milliers de dollars et un planning de tournage limité à trois petites semaines, Herk Harvey ne se doutait pas qu’il offrirait au public l’une des œuvres fantastiques les plus influentes de son époque. David Lynch et Tim Burton en ont fait un film de chevet, et l’on en ressent fortement l’empreinte sur des œuvres aussi diverses que RépulsionLa Nuit des Morts-Vivants, Alice ou la dernière FugueSixième Sens, L’Echelle de Jacob, Stay, Reeker ou encore Dorothy. Stephen King lui-même n’échappa pas à l’influence, le carnaval macabre décrit dans le roman « Shining » présentant de nombreuses similitudes avec celui de Carnival of Souls. Tout commence lorsque Mary Henry, interprétée par Candace Hilligoss, passe une journée radieuse en voiture avec deux de ses amies. Acceptant une course de voiture façon James Dean, les trois jeunes filles s’élancent sur la route à toute vitesse, mais une fausse manœuvre provoque un accident fatal. La voiture fait une embardée sur un pont et tombe à l’eau. Echappant de peu à la noyade, Mary émerge des flots, hébétée, telle une somnambule. Il lui faut bien sûr du temps pour reprendre ses esprits et le cours de sa vie. Elle accepte alors un travail d’organiste d’église dans une nouvelle ville, et tout semble rentrer dans l’ordre, jusqu’à ce que les apparitions d’un homme sinistre au teint blafard ne viennent la hanter jour et nuit. S’agit-il d’un fantôme, d’un mort-vivant, ou du fruit de son imagination ? 

Autre bizarrerie inquiétante : par moments, en plein lieu public, Mary constate que plus personne ne semble la voir ou l’entendre, comme si elle disparaissait provisoirement de la surface de la terre… Le mystère s’épaissit, les phénomènes insolites se multiplient, jusqu’à ce climax d’anthologie situé dans le fameux carnaval hanté où une masse de trépassés hagards, préfiguration des morts-vivants de George Romero, se dressent sur son chemin, visions de cauchemar d’autant plus éprouvantes qu’elles ne trouvent aucune explication logique… C’est la chute, abrupte, concise et digne de celle d’un épisode de La Quatrième Dimension, qui remet enfin tout en perspective et donne une réponse à toutes les énigmes. Cette chute – que nous ne révèlerons évidemment pas – a depuis été reprise, plagiée, imitée à travers maintes variantes, galvaudant quelque peu la surprise initiale.

L'épouvante viscérale et les peurs universelles

Si l’impact de Canival of Souls s’en trouve fatalement amenuisé, il n’en demeure pas moins une œuvre cruciale et matricielle, tirant parti de la faiblesse de ses moyens pour tutoyer l’épouvante viscérale et les peurs universelles sans artifices (comme plus tard Roman Polanski et sa fameuse trilogie de l’enfermement), et ouvrant l’horreur psychologique vers une voie nouvelle, quelque part à mi-chemin entre la psychanalyse, l’onirisme et la poésie surréaliste. Quelque peu surpris par la popularité de son long-métrage, Herk Harvey revint ensuite à ses activités premières, la réalisation de films institutionnels et éducatifs, jusqu’au début des années 80. En 1996, il s’éteignait dans le Kansas qui le vit grandir, laissant derrière lui trente-cinq ans de production documentaire et ce film unique qui lui valut la reconnaissance éternelle auprès de la communauté cinéphile.

 

© Gilles Penso

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CREATURE (1985)

Une imitation à petit budget d'Alien qui semble étrangement annoncer les choix artistiques du Aliens de James Cameron

CREATURE / TITAN FIND

1985 – USA

Réalisé par William Malone

Avec Stan Iwar, Wendy Schaal, Marie Laudin, Klaus Kinski, Robert Jaffe, Kyman Ward, Diane Salinger, Annette McCarthy

THEMA EXTRA-TERRESTRES

Créature est l’une des nombreuses imitations à petit budget qu’Alien traîna dans son sillage, mais ici un détail s’avère surprenant. S’il paie de toute évidence son tribut au classique de Ridley Scott, sa direction artistique, sa photographie et plusieurs de ses situations semblent annoncer Aliens le retour. D’ailleurs, une partie de l’équipe technique de Créature travaillera l’année suivante sur le film de James Cameron. Situé au carrefour des influences des deux premiers opus de la saga Alien, le film de William Malone possède donc un statut un peu particulier. Au cours du prologue, deux astronautes géologues étudient des squelettes découverts dans des sarcophages sur Titan, satellite naturel de la planète Jupiter. Or l’un de ces squelettes semble encore vivant et les attaque. Le survivant s’enfuit en vaisseau spatial et s’écrase sur la station Concorde en orbite. Une nouvelle expédition est alors envoyée pour découvrir ce qui s’est passé sur Titan, la situation étant compliquée par la rivalité industrielle qui oppose les deux compagnies d’exploration spatiale.

Sur le satellite, dans un environnement bleu et sombre très cameronien, la mission de sauvetage trouve un vieux laboratoire, des fossiles qui semblent dater de 200 000 ans, des cadavres ensanglantés et une créature qui se met à leur courir après. Les moyens du film étant visiblement très limités, tout porte à croire que l’équipe du film n’a construit qu’un ou deux décors plongés dans le noir que les acteurs ne cessent de traverser pendant tout le film pour nous laisser imaginer un environnement plus vaste. Et puis voilà que débarque de nulle part Klaus Kinski, dans le rôle d’un astronaute venu d’une expédition allemande concurrente, qui se joint à l’équipage après avoir presque violé l’une des filles. Mystérieux, il affirme que ce lieu est « une collection de vies provenant de toute la galaxie, comme une collection de papillons. Mais certains de ces papillons ne sont pas bienveillants. » Il poursuit : « Nous avons commis la terrible erreur d’emmener à bord un des conteneurs fendus qui contenait un spécimen. » Et de conclure sinistrement : « Un par un, mes hommes sont morts, tués par une créature qui les avait attendus pendant 2000 siècles. »

« Mes hommes sont morts, tués par une créature qui les avait attendus pendant 2000 siècles… »

Même si cet homme étrange prétend pouvoir les aider à quitter Titan sains et saufs, la situation n’est guère rassurante. D’autant qu’une petite créature visqueuse rôde dans les parages, se plaçant à l’arrière du crâne des astronautes, pompant leur sang et leur dictant leurs agissements pour les pousser à s’entretuer. Le métrage intègre une pincée d’érotisme (le strip-tease intégral de Marie Laurin) et surtout une bonne dose d’horreur graphique : le sang coule généreusement, un visage est déchiré à main nue, une tête explose, un visage fond… Créature bénéficie d’effets visuels assez soignés, de belles maquettes filmées par Robert et Dennis Skotak, de créatures effrayantes signées Doug Beswick et d’une bande originale de Thomas Chase et Steve Rucker évoquant avec une certaine efficacité les travaux de Jerry Goldsmith. Le film se pare aussi de séquences de suspense plutôt efficaces, même si le casting fadasse et les dialogues pétris de clichés jouent quelque peu en sa défaveur.

 

© Gilles Penso

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CREEPOZOÏDS (1987)

Un film de science-fiction au tout petit budget qui multiplie les mutations horrifiques en se laissant volontiers inspirer par Alien

CREEPOZOIDS

1987 – USA

Réalisé par David DeCoteau

Avec Linnea Quigley, Ken Abraham, Michael Aranda, Richard L. Hwakins, Kim McKamy

THEMA MUTATIONS I SAGA CHARLES BAND

Quinze jours de tournage dans un entrepôt de Los Angeles, 150 000 dollars de budget, il n’en fallut pas plus au producteur Charles Band et au réalisateur David deCoteau pour concocter ce film de science-fiction horrifique ne reculant devant aucun excès et se laissant largement inspirer par Alien. L’intrigue se situe en 1998. Le monde a été ravagé par une guerre nucléaire et cinq survivants arpentent les rues désertes avant de trouver refuge dans un bâtiment abandonné qui a les allures d’un ancien laboratoire scientifique. Tous militaires déserteurs, ces personnages taillés au burin versent volontiers dans l’archétype caricatural : le chef autoritaire (Richard Hawkins), le scientifique curieux (Michael Aranda), le gros bras à la cervelle de moineau (Ken Abraham), la fille réfléchie (Kim McKamy) et la bimbo délurée (Linnea Quigley). La musique au synthétiseur et les dialogues poétiques (« il y a quelque chose de macabre dans ce désordre ») nous annoncent très tôt la couleur : Creepozoïds s’appréciera pleinement au second degré. Pour couronner le tout, le gore qui éclabousse et l’érotisme coquin (la scène du couple qui se douche, mise en image et en musique comme dans un film X, avec un dialogue constitué de « oh oui », « encore » et « j’adore ça » lascifs) s’invitent sans vergogne dans le métrage. Le scientifique de l’équipe est la première victime d’un monstre mystérieux qui se cache dans l’ombre. Le lendemain, au milieu du petit déjeuner, il crache du sang, ses yeux se révulsent, sa main se déforme horriblement puis il trépasse sans explication. 

D’autres morts spectaculaires ponctuent le récit, comme celle d’un homme dont le visage se boursoufle en saignant abondamment jusqu’à se muer en bouillie écarlate. L’origine du mal serait liée à des expériences pratiquées par les occupants du laboratoire, visant à permettre aux humains de produire leurs propres acides aminés pour ne plus souffrir de la faim. D’où ce monstre qui arpente les coursives jonchées des cadavres desséchés des anciens locataires. La bête est plutôt réussie. Sa haute stature, sa grande gueule garnie de dents, ses défenses recourbées, son crâne hypertrophié, ses griffes et sa peau sombre et visqueuse font leur petit effet. On ne peut pas vraiment en dire autant des rats en peluche gros comme des chiens qui attaquent nos héros dans des séquences involontairement risibles. 

Rats en peluche et bébé carnivore

Plus iconique, le bébé horrible mi-humain mi-mutant dont le monstre accouche en fin de métrage, et qui n’est pas sans évoquer celui de It’s Alive, procure quelques jolis frissons. Dommage que cette marionnette efficace n’intervienne que dans une scène d’affrontement apathique et répétitive confinée dans une seule pièce et escamotée à la va-vite. Au-delà de l’influence récurrente d’AlienCreepozoïds puise son inspiration un peu partout, y compris dans Evil Dead (la fille blessée qui se transforme en démon grimaçant et agressif), dans La Guerre des Etoiles (les pistolets laser dont sont armés nos protagonistes) et dans le cinéma post-apocalyptique qui fleurissait alors sur les écrans. Joli succès en VHS, Creepozoïds se déguste aujourd’hui avec une nostalgie coupable parfaitement assumée.

 

© Gilles Penso

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ALLELUIA (2014)

Fabrice du Welz s'inspire d'un célèbre fait divers sanglant pour brosser le portrait désespéré de deux tueurs fous d'amour

ALLELUIA

2014 – FRANCE / BELGIQUE

Réalisé par Fabrice du Welz

Avec Lola Dueñas, Laurent Lucas, Helena Noguerra, Stéphane Bissot, Edith le Merdy, Anne-Marie Loop, Philippe Resimont

THEMA TUEURS 

Alleluia prend ses racines dans le fait divers qui inspira Les Tueurs de la lune de miel de Leonard Kastle, mais les deux œuvres sont incomparables – pas plus que ne le sont Massacre à la Tronçonneuse et Psychose, pourtant tous deux influencés par les exactions réelles du tueur Ed Gein – dans la mesure où elles ne racontent pas la même histoire. La réalité sordide qui entoure les méfaits de Martha Beck et Ray Fernandez n’est ici qu’un support, un prétexte pour que Fabrice du Welz nous conte un amour fou au sens premier du terme. Poussée par une de ses amies, Gloria (Lola Dueñas) accepte de faire la connaissance de Michel (Laurent Lucas), contacté via un site de rencontres. Ainsi commence Alleluia, avec légèreté et fraîcheur, sans signe avant-coureur du bain de sang dans lequel s’achèvera le film.

Michel n’est qu’un petit arnaqueur, un gigolo de province aux ambitions mesquines, mais Gloria ne se comporte pas comme ses victimes habituelles. Elle prend le dessus, et la relation qui s’instaure entre ces deux êtres à la dérive se mue bientôt en passion inconditionnelle, brutale, dévorante et destructrice. Froid et calculateur au début du métrage, le dragueur professionnel se laisse submerger par les accès de démence de Gloria et s’avère totalement incapable de les réfréner. Le veut-il seulement ? Ses protestations sont si faibles qu’il est permis d’en douter. Son corps refuse de lui obéir, ses maux de têtes chroniques surviennent toujours au moment où il lui faut faire des choix difficiles. Il la laisse donc décider et agir à sa place, quitte à se rendre complice de l’irréparable. 

Deux âmes tourmentées

Jusqu’au-boutiste, Alleluia ne cherche jamais à séduire ses spectateurs. Et pourtant, les deux âmes tourmentées qu’il met en scène nous émeuvent et nous attristent, même lorsqu’elles sèment la mort et le malheur autour d’elles. Le dernier acte est à ce titre particulièrement éprouvant. Si l’impact du film est si fort, c’est d’abord parce que ses deux comédiens principaux s’y investissent émotionnellement et physiquement avec beaucoup d’intensité. Laurent Lucas pousse la passivité qui lui est coutumière jusqu’à son paroxysme, tandis que Lola Dueñas s’exprime sur un registre très surprenant, évoluant de la normalité la plus banale vers une folie qui ne prend jamais des atours exubérants ou excessifs. A l’avenant, la mise en scène de Fabrice du Welz est charnelle, intime, alternant les caméras portées qui accompagnent les personnages dans leurs moindres gestes (la scène apparemment banale du petit déjeuner) et les surdécoupages stylisées qui évoquent parfois les exercices de style d’Amer (la séquence hypnotique de la boîte de nuit). Et puis parfois, quelques moments de grâce inattendus jaillissent à l’écran, notamment lorsqu’une lumière quasi surnaturelle illumine soudain le visage de Gloria qui se met à chanter, comme dans une comédie musicale, avant d’entreprendre de découper un cadavre… Certes, on peut émettre quelques réserves sur les cérémonies païennes auxquelles se livrent Michel et Gloria, dansant nus autour du feu ou invoquant les entités élémentaires. Mais à ce détail près, Alleluia est une œuvre brute et pure, débarrassée des scories vainement référentielles qui handicapaient parfois Calvaire.

 

© Gilles Penso

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CHAPPIE (2015)

Le réalisateur de District 9 opère le grand écart entre Robocop et Short Circuit et accouche d'un petit chef d'œuvre de science-fiction urbaine

CHAPPIE

2015 – USA / MEXIQUE

Réalisé par Neil Blomkamp

Avec Sharlto Copley, Dev Patel, Yolandi Visser, Watkin Tudor Jones, Hugh Jackman, Sigourney Weaver

THEMA ROBOTS

De prime abord, Chappie ressemble à un mixage étrange entre Robocop et Short Circuit. A la satire futuriste de Paul Verhoeven, il emprunte en effet l’idée d’une société ultra-violente dans laquelle le gouvernement décide de supprimer progressivement les policiers humains pour les remplacer par des androïdes armés et indestructibles. A la comédie antimilitariste de John Badham, il reprend le motif du robot guerrier soudain doté de conscience qui abandonne ses fonctions premières de soldat mécanique pour s’adoucir au contact des êtres humains. Le cynisme dévastateur de Robocop et les bons sentiments de Short Circuit n’avaient à priori aucune chance de faire bon ménage, et c’est à un véritable travail d’alchimiste que se livre Neil Blomkamp pour pouvoir harmoniser deux sources d’inspiration aussi discordantes. C’est justement cette démarche qui a divisé l’opinion à propos du film. Trop violent pour les partisans d’un conte optimiste narrant l’éveil de la conscience d’un robot attachant, trop mièvre aux yeux des amateurs de blockbusters futuristes spectaculaires, Chappie n’est pas parvenu à trouver son public lors de sa sortie en salles. C’est d’autant plus dommage que le troisième long-métrage de Blomkamp possède un indéniable supplément d’âme, une singularité et une fraîcheur qui le rendent particulièrement attachant.

Comme District 9Chappie est la version longue d’un court-métrage que le cinéaste avait réalisé au début des années 2000, et son style inimitable est perceptible d’un bout à l’autre du film, transcendant ses influences premières (auxquelles on peut ajouter Applessed pour le look du robot) en s’appuyant sur un casting de première ordre. La présence d’Hugh Jackman et Sigourney Weaver peut certes être appréhendée comme un clin d’œil aux amateurs de science-fiction, mais les comédiens sont ici à mille lieues des sagas Alien et X-Men qui les ont rendus respectivement célèbres pour camper deux personnalités fortes dont chaque décision aura une répercussion déterminante sur l’intrigue. Mais c’est surtout l’interprétation à fleur de peau de Dev Patel (transfuge de Slumdog Millionaire et de la série Skins) et du duo Yolandi Visser & Watkin Tudor Jones (leaders du groupe sud-africain Die Antwoord) qui emporte l’adhésion, crédibilisant ce récit un peu fou avec un naturel désarmant.

La conscience peut-elle survivre au corps ?

Le robot lui-même est le fruit d’une prouesse technique incroyable, combinée avec le jeu du comédien Sharlto Copley, dont la pantomime captée en « performance capture » suscite une empathie immédiate. Comment ne pas l’aimer ? Et pourtant, ce guerrier en titane n’est pas « mignon » au sens strict du terme, ses expressions corporelles – son âme ? – transcendant une enveloppe physique pas très avenante. Or là réside l’essence même du scénario de Chappie, comme le confirme un dénouement audacieux. La conscience peut-elle survivre au corps ? Est-elle le seul apanage de l’être humain ? Emouvant, drôle, poétique, brutal, spectaculaire (l’intervention du robot géant d’Hugh Jackman, croisement entre l’ED-209 de Robocop et les géants métalliques de Robot Jox est franchement impressionnante), Chappie est un film aux multiples facettes qui se bonifie à chaque visionnage.

 

© Gilles Penso

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