STREET TRASH (2024)

Cette suite tardive du film culte de Jim Muro peine à convaincre malgré sa profusion de séquences gore et dégoulinantes…

STREET TRASH

 

2024 – USA

 

Réalisé par Ryan Kruger

 

Avec Sean Cameron Michael, Donna Cormack-Thomson, Joe Vaz, Lloyd Martinez Newkirk, Shuraigh Meyer, Gary Green, Warrick Grier, Andrew Roux, Ryan Kruger

 

THEMA MUTATIONS I FUTUR

Très amateur du cinéma fantastique des années 80, l’acteur/réalisateur Ryan Kruger avait créé une petite surprise avec son film déjanté Fried Barry qui, à travers son histoire invraisemblable de junkie enlevé par des extra-terrestres, ne cessait de rendre hommage à la pop culture des eighties (les films de Spielberg, Cameron, Dante, Carpenter, mais aussi les clips musicaux de l’époque). Lorsque se présente pour lui l’opportunité de revisiter Street Trash, il n’hésite pas longtemps. « Dans les années 80 et au début des années 90, Street Trash faisait partie de ces films que mes amis et moi regardions en vidéo à deux heures du matin – nous l’avions en VHS et nous le faisions circuler », raconte-t-il. « Cela faisait partie de notre enfance. » (1) Pour autant, Kruger ne veut pas se lancer dans un remake (contrairement à ce que pourrait faire croire la simple reprise du titre original) mais plutôt dans une suite centrée sur d’autres personnages et d’autres péripéties. « Il était très important pour moi, en tant que fan du film original, de ne pas le copier mais de proposer autre chose » (2), confirme-t-il. Installé en Afrique du Sud depuis 2008, il y situe logiquement son action. Et si un dialogue mentionne rapidement « l’incident survenu à New York en 1987 », l’intrigue suit sa propre voie, indépendamment de celle du film de Jim Muro.

Nous sommes à Cape Town, 25 ans dans le futur. Le chômage s’est mis à grimper à la vitesse grand V, la misère a gagné les rues et les pronostics de réélection du maire Mostert (Warrick Grier) ne sont pas très engageants. Pour régler le problème des sans-abris une bonne fois pour toutes, Mostert demande à un groupe de scientifiques de créer secrètement et de produire à la chaîne un gaz susceptible de liquéfier tous les clochards, seul moyen selon lui de nettoyer enfin les rues de la cité. Pour plus d’efficacité, ce gaz est installé dans des drones qui sillonnent les quartiers mal famés en pleine nuit. Dans ce contexte sinistre, le scénario s’intéresse à un petit groupe de « homeless » survivant comme ils peuvent dans cette jungle urbaine qui prend vaguement les allures de celle de New York 1997 : l’ancien vétéran Ronald (Sean Cameron Michael), le philosophe Chef (Joe Vaz), les frères Wors et Paps (Lloyd Martinez et Shuraigh Meyer), le taciturne 2-Bit (Gary Green) et la nouvelle venue Alex (Donna Cormack-Thomson). Cette « famille » hétéroclite ne va pas tarder à se retrouver au cœur d’un affrontement explosif avec les forces de l’ordre…

Liquéfactions

La volonté de s’écarter du film original en installant celui-ci dans un cadre futuriste et dystopique est compréhensible, mais Ryan Kruger n’a ni les moyens de ses ambitions (l’étroitesse du budget est très souvent palpable, notamment dans les séquences de mouvement de foule), ni de véritables enjeux dramatiques à défendre. Ses personnages sont en effet des archétypes volontiers caricaturaux auxquels il est bien difficile de s’intéresser, et dont l’interprétation varie entre le charisme solide (Sean Cameron Michael) et le cabotinage embarrassant (Warrick Grier). Kruger continue de multiplier ses clins d’œil au cinéma qu’il aime (2-Bit est habillé comme Roger Rabbit, Alex joue les émules de Ripley dans Aliens, Chef a le même look que Stanley Kubrick) et développe quelques idées surprenantes (l’ami imaginaire qui apparaît sous forme d’un petit monstre bleu hargneux et lubrique). Mais une grande partie de ses effets comiques tombe à plat (notamment ce gag récurrent au cours duquel les personnages se tournent vers la caméra en s’adressant à un certain Offley dont on ne voit que les mains). Le bilan reste donc très mitigé. Fort heureusement, ce Street Trash a la bonne idée de ne jamais se réfréner sur les effets gore excessifs. En digne successeur de son modèle, il éclabousse donc régulièrement l’écran d’explosions de pustules multicolores, de liquéfactions visqueuses et de décompositions gluantes, en s’appuyant sur des effets spéciaux 100% physiques particulièrement efficaces. C’est hélas la seule chose véritablement réjouissante qu’il faudra se mettre sous la dent.

 

(1) Extrait d’une interview publiée sur Gizmodo en novembre 2024

 

© Gilles Penso


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ROBOFORCE (1988)

Dans cette réponse hongkongaise à Robocop, le producteur Tsui Hark et le réalisateur David Chung cèdent à tous les excès…

TIE JIA WU DI MA LI YA

 

1988 – HONG-KONG

 

Réalisé par David Chung

 

Avec John Sham, Sally Yeh, Tsui Hark, Tony Leung, Ching-Ying Lam, Dennis Chan, Teddy Chan, Wing Cho, Kong Chow, Paul Chun, Ben Lam, Foo-Wai Lam

 

THEMA ROBOTS

À première vue, Roboforce semble être une variante de Robocop, sorti sur les écrans moins d’un an plus tôt. Un humanoïde au visage humain, un grand robot destructeur, des gangs qui affrontent la police, des fusillades et des explosions à tire-larigot sont en effet au programme. Mais en réalité, cette comédie de science-fiction délirante n’a pas grand-chose à voir avec le classique de Paul Verhoeven. Certes, le succès des aventures d’Alex Murphy motiva très certainement sa mise en chantier, mais Tsui Hark – qui produit le film et en tient l’un des rôles principaux – en profite surtout pour offrir au public un spectacle hors-norme, tout à fait conforme au grain de folie que véhiculaient des œuvres telles que Zu, les guerriers de la montagne magique, Histoires de fantômes chinois ou Mad Mission 3. Réalisateur de Police Action et La Légende des héros, David Chung hérite de la mise en scène et s’en donne à cœur joie, épaulé par Hark lui-même (co-réalisateur officieux du film) et par Ching Siu-Tung qui règle toutes les séquences d’action. Le film commence très fort avec l’attaque d’un robot cuirassé et fumant qui s’en prend aux forces de l’ordre. Insensible aux balles, capable de voler, armé de missiles qui pulvérisent les véhicules blindés, ce monstre mécanique est la dernière invention du redoutable Hero Gang qui terrorise Hong-Kong.

Par cette démonstration de force, les membres du Hero Gang entendent bien faire comprendre aux autorités qu’ils sont invincibles. Leur chef (Ben Lam), un psychopathe obsédé par les robots, décrète que « l’émotion est une faiblesse humaine ». Il a d’ailleurs décidé de remplacer son bras droit, la tueuse Maria (Sally Yeh) qui est éprise de lui et n’agit que pour le satisfaire, par une contrepartie robotique qu’il nomme Pioneer II (Pioneer I étant la machine massive vue dans l’introduction du film). Bien sûr, Maria voit d’un très mauvais œil la création de cet avatar cybernétique qui a l’outrecuidance d’arborer le même visage qu’elle. Pour sa première mission, Pioneer II doit retrouver « Whisky » (incarné par Tsui Hark), un ancien membre du gang, et le tuer. Mais Whisky vient de se lier d’amitié avec « Curly » (John Sham), un concepteur d’armes high-tech qui travaillait jadis pour la police et qui parvient à reprogrammer le robot féminin. Bientôt, les gangsters, les policiers, les robots et nos deux héros maladroits vont devoir s’affronter. Un journaliste malchanceux campé par Tony Leung vient s’ajouter à ce cocktail déjà explosif…

Mad Robot

Roboforce vaut principalement pour la folle inventivité de ses séquences mouvementées et de ses effets spéciaux, qui lui permirent de remporter un prix spécial lors de sa présentation au mythique Festival du Film Fantastique de Paris en 1988. Si le robuste Pioneer I crève l’écran, la Maria robotique (qui doit sans doute son prénom à l’héroïne de Metropolis) ne démérite pas. Capable de grimper sur les façades des immeubles avec autant de facilité que Spider-Man, elle déchire le métal comme si c’était du papier, projette des poings extensibles, défonce les murs, transforme ses doigts en mitrailleuses et ses bras en lance-missiles, décolle grâce à ses pieds-réacteurs, bref assure un spectacle total. Au cours du dernier acte du film, son relooking évoque autant le classique de Fritz Lang que les designs de Hajime Sorayama. Il faut bien reconnaître que l’aspect comique du film ne brille pas par sa finesse. Les acteurs en font des tonnes, face à un réalisateur qui les laisse visiblement en totale roue libre, les gags traînent en longueurs et les mimiques excessive du trio masculin vedette finissent par lasser. Fort heureusement, cet humour éléphantesque est contrebalancé par des scènes d’action dingues : les gangsters qui mitraillent à tout va en s’accrochant aux branches des arbres avec des filins, l’assaut d’une moto volante chargée d’un arsenal destructeur, le combat contre les deux robots ou encore l’impensable échauffourée finale sur le flanc d’un mecha titanesque. Toute la folie et la démesure du cinéma hongkongais des eighties explose dans ce Roboforce décomplexé auquel on ne pourra pas reprocher son manque de générosité et d’imagination.

 

© Gilles Penso


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MORTAL KOMBAT (2021)

Pour la troisième adaptation de la célèbre licence de jeux vidéo, exit le rire de Christophe Lambert, le ton est plus sérieux pour un résultat mitigé…

MORTAL KOMBAT

 

2021 – USA

 

Réalisé par Simon McQuoid

 

Avec Lewis Tan, Jessica McNamee, Josh Lawson, Joe Taslim, Mehcad Brooks, Ludi Lin, Max Huang, Matilda Kimber, Laura Brent, Tanadobu Asano, Chin Han

 

THEMA POUVOIRS PARANORMAUX

À l’aube des années 90, Threshold Entertainment prévoit de produire trois films basés sur les jeux Mortal Kombat des studios Midway. Après le succès du premier opus en 1995, une suite est naturellement envisagée, mais l’absence de Christophe Lambert dans le rôle iconique de Raiden et des effets spéciaux désastreux envoient le film dans le décor et repoussent l’idée d’un troisième volet. Tombé dans les affres des changements perpétuels de scénarios et du développement, le projet refait surface en 2001, lorsque Thresold tease une suite en demandant aux fans quels personnages ils pensent y voir mourir. Mais une série de catastrophes, dont la destruction d’un décor par l’ouragan Katrina en 2009 et un procès avec Midway, met fin à l’aventure. Provisoirement cependant, car Warner Bros. rachète les actifs de Midway et de fait récupère la licence de jeux de baston. Sa filiale vidéoludique NetherRealm en reprend le développement et produit une nouvelle mouture. C’est cette version qui servira de base au nouveau film, avec l’entrée dans la production d’un certain James Wan, figure montante du cinéma d’horreur. Après avoir été confié en premier lieu à Kevin Tancharoen suite à son court-métrage Mortal Kombat Rebirth, le projet d’un reboot échoit à Simon McQuoid, dont ce sera le premier film. Le nom de James Wan et la garantie d’un classement R (interdiction aux moins de 16 ans) commencent à intriguer positivement les fans du jeu… du moins jusqu’à sa sortie sur les écrans.

L’histoire suit Cole Young (Lewis Tan), combattant de MMA peu doué, qui est soudainement traqué par un mystérieux assassin aux pouvoirs surnaturels. Il est sauvé par Jax (Mehcad Brooks) qui lui fait une incroyable révélation : Cole serait en réalité un combattant élu pour défendre la Terre contre une menace venue d’une autre dimension. Jax l’envoie retrouver une dénommée Sonya Blade (Jessica McNamee), avant d’affronter Sub-Zero (Joe Taslim). La promesse de violence et d’hémoglobine, classification R oblige, est tenue, même si le sang numérique peut parfois faire tâche. Les 55 millions de dollars de budget garantissent de beaux effets visuels et des maquillages efficaces. Malheureusement, dès que l’action se déroule dans le temple de Raiden (Tanadobu Asano), les décors à l’allure de carton-pâte nous ramènent directement au nanardesque Mortal Kombat : destruction finale, celui-là même qui avait annihilé les chances du troisième film. De plus, dans un souci de contenter les supposées attentes du public, le film déborde outrageusement de fan service jusqu’à l’absurde.

Sain de gore mais pas d’esprit

Tous les mouvements de combats iconiques sont là, les fatalities également, ça dégouline de tripes et de sang, comme dans le jeu. Mais lorsqu’un des personnages s’écrie « Flawless Victory », « Fatality » ou « Liu Kang wins », qui sont évidemment des répliques du jeu, la suspension d’incrédulité s’écroule. Ce qui marche dans un jeu ne fonctionne pas au cinéma pour la simple et bonne raison que les expériences de joueur et de spectateur sont aux antipodes l’une de l’autre. Et, à l’instar d’un Schwarzenegger dans Last Action Hero, les personnages de Mortal Kombat ne sont pas censés savoir qu’ils sont dans une adaptation de jeu vidéo, et n’ont donc aucune raison de déclamer de telles répliques ! Malgré la présence de Hiroyuki Sanada en Scorpion, dont l’introduction au tout début du film ne sert pas à grand-chose, ce reboot n’a finalement pas le charme ni le second degré du premier Mortal Kombat avec le cabotinage de Christophe Lambert en prime. Le film se prend beaucoup trop au sérieux pour ce qu’il raconte, oubliant que le matériau d’origine se moquait déjà de lui-même avec du gore burlesque et faisait peu de cas de sa propre diégèse. Espérons que la suite prévue pour 2025 aura un peu plus de recul.

 

© Christophe Descouzères


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ANIMALE (2024)

Un conte fabuleux, cruel et libératoire dans lequel se noue une étrange connivence entre un taureau et une jeune camarguaise…

ANIMALE

 

2024 – FRANCE

 

Réalisé par Emma Benestan

 

Avec Oulaya Amamra, Damien Rebattel, Vivien Rodriguez, Claude Chaballier, Elies-Morgan Admi-Bensellam, Pierre Roux, Marinette Rafai, Renaud Vinuesca

 

THEMA MAMMIFÈRES

Nous sommes en Camargue, au pays des courses de taureaux, de celles où l’on respecte le plus l’animal, où blessures et mise à mort sont exclues. Après avoir gagné sa place au milieu des raseteurs (acteurs d’un sport traditionnellement réservé aux hommes), Nejma rêve à présent de se distinguer dans l’arène. Mais une étrange connivence semble s’établir entre elle et l’animal, tandis que des hommes de son entourage disparaissent… Depuis Animale,  il existe désormais une légende en Camargue qui raconte qu’une femme, à l’instar de La Féline de Jacques Tourneur, ou des héros de films de lycanthropes comme Le Loup-garou de Londres, se transformerait non pas en panthère noire, ni en canidé sanguinaire, mais en taureau (un taureau-garou en quelques sortes) ! L’action se passe dans l’univers peu connu des manades, là où les bovidés vivent en liberté en attendant, pour les plus vigoureux, d’être capturés lors des fêtes votives. Ils sont alors guidés par les guardians jusque dans l’arène, où les raseteurs doivent attraper une cocarde placée entre leurs cornes. Point de folklore ni de tourisme dans ce film, mais au contraire une image respectueuse de la nature et de la région dont elle révèle toute la splendeur.

Ce merveilleux film de métamorphose revisite les codes du genre pour mieux les réinventer avec un point de vue résolument féministe, et un animalisme discret que ne renieraient pas les auteurs du Règne animal. Le résultat est un sincère chant d’amour, remarqué dans de nombreux festivals : film de clôture de la Semaine de la Critique à Cannes, film d’ouverture du NIFF 2024, accueilli au FEFFS, etc. La splendide photo du très prisé chef-opérateur belge Ruben Impens, qui s’est distingué avec les deux premiers films de Julia Ducournau, Grave et Titane, sublime ici l’authenticité d’un environnement sauvage, des hommes qui l’habitent, de ses bêtes puissantes, et parmi eux, la beauté naturelle d’une jeune femme qui poursuit un rêve émancipatoire, celui d’être dans l’arène et d’y remporter les honneurs de la prochaine course camarguaise. Toutefois, une étrange connexion s’établit entre elle et le taureau. Peu à peu, l’empathie que ressent la belle pour la bête va lui révéler sa propre animalité, tandis que le bovin et son regard vont nous sembler de plus en plus humains. L’actrice principale Oulaya Amamra crève l’écran dans chacun des plans serrés où transpire sa volonté de vivre libre dans un monde en partie hostile, et contre lequel il va falloir se battre.

Libre, passionnée et engagée

Détentrice, comme John McTiernan, d’une licence en anthropologie, et ancienne étudiante de la Fémis, Emma Benestan, dont c’est le second long-métrage, fait ses débuts dans le cinéma dans les salles de montage avant de passer à la réalisation. Elle tournera deux courts-métrages et deux documentaires en Camargue avant son premier long-métrage, Fragile, qui a reçu un accueil critique chaleureux. Animale est le fruit de son envie de continuer à exprimer son amour pour la région taurine (dont elle est issue), les habitants et la faune, et de montrer une autre image que celle stéréotypée de la femme franco-algérienne au cinéma, tout en conjuguant sa passion pour les westerns (qu’elle aimait regarder avec son père) et les films de genre avec lesquels elle a grandi dans son adolescence. Animale est donc un des grands chocs de la saison, un film fantastique rare, original, beau, écologique et engagé. Avec ce conte moderne, la cinéaste bouscule les stéréotypes de genre, et du genre et nous offre un film lyrique et fantastique qui est avant tout un hymne à la liberté !

 

© Quélou Parente


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HERE – LES PLUS BELLES ANNÉES DE NOTRE VIE (2024)

Robert Zemeckis réunit l’équipe de Forrest Gump et se lance dans un défi technique et artistique insensé pour explorer – encore – les caprices du temps…

HERE

 

2024 – USA

 

Réalisé par Robert Zemeckis

 

Avec Tom Hanks, Robin Wright, Paul Bettany, Kelly Reilly, Lauren McQueen, Harry Marcus, Michelle Dockery, Zsa Zsa Zemeckis

 

THEMA VOYAGES DANS LE TEMPS

Avec la trilogie Retour vers le futur, Qui veut la peau de Roger Rabbit ? et Forrest Gump, Robert Zemeckis a déjà inscrit son nom au panthéon du 7ème Art. Malheureusement, son dernier grand succès critique et commercial remonte à Seul au monde en 2000. Depuis, il a alterné avec une fortune déclinante les films familiaux (Le Pôle express, Le Noël de Scrooge, Sacrées sorcières, Pinocchio) et les sujets plus adultes ancrés dans le monde réel (The Walk, Flight, Alliés, Bienvenue à Marwen), en n’ayant cesse de repousser les limites technologiques et narratives de son cinéma via la « performance capture », la 3D et les chorégraphies vertigineuses de ses plan-séquences virtuels, de façon plus ou moins ostentatoire. Le voilà qui nous revient avec un projet digne de son prestigieux curriculum et de son talent. Et si Here est vendu comme la suite spirituelle de Forrest Gump, c’est qu’il en réunit non seulement son duo vedette Tom Hanks/Robin Wright devant la caméra, mais que derrière celle-ci, on retrouve Eric Roth au scénario ainsi que les fidèles collaborateurs Don Burgess à la photo et Alan Silvestri à la musique. Il n’y a pas d’intrigue à proprement parler dans Here, seulement un propos et un concept narratif, dont l’originalité est de voir se dérouler le quotidien de plusieurs familles à différentes époques depuis un unique point de vue fixe durant 1h40, un procédé déjà employé dans le roman graphique de Richard McGuire et ici repris à l’identique mais avec une différence lié à l’« image qui bouge » : dans la bande dessinée, des vignettes se juxtaposaient au décor « vide » pour montrer différents personnages à différentes époques. Chez Zemeckis, elles apparaissent et disparaissent, le changement de mobilier ou de période s’opérant via des fondus ou des « morphings », les vignettes flottantes s’ouvrant comme des fenêtres dans le continuum espace-temps cher à Doc Brown.

Le prologue du film nous offre ainsi un voyage immobile depuis l’ère préhistorique jusqu’au début du 20ème siècle, la maison se construisant autour de la caméra et donc du spectateur, condamné à être le témoin passif de ces vies bien éphémères en regard des millions d’années déjà passées. On peut légitimement se demander si Here a sa place dans L’Encyclopédie du Film Fantastique. Cela tient au caractère fantomatique de cet observateur statique qui fait basculer le film du simple mélodrame à une expérience onirique. Au cinéma, aucune image n’est réellement neutre : le choix du cadre, la valeur de plan, le son, la musique, le mouvement… Tous ces paramètres témoignent ou trahissent toujours le point de vue du réalisateur et influencent aussi la perception et le ressenti du spectateur. Ici, le point de vue est absolument neutre et ce dispositif théâtral mise dès lors tout sur les situations décrites, les acteurs et les dialogues ; avec toutefois une différence de taille par rapport à la scène, Zemeckis pouvant passer d’une époque à l’autre et transformer physiquement ses acteurs de façon plus probante et rapide que n’importe quel maquillage. À ce petit jeu-là, les effets de rajeunissement numérique de l’ensemble de la distribution sont les plus crédibles qu’on ait jamais vus. L’intelligence artificielle est bien sûr passée par là et on mesure les progrès déterminants réalisés en à peine deux ans depuis la sortie de Indiana Jones et le cadran de la destinée. Here permet à Zemeckis de poursuivre ses expérimentations narratives, car impliquer le spectateur avec un long plan fixe implique de repenser la grammaire cinématographique classique. Si on remettait les différentes temporalités du film dans un ordre linéaire et chronologique, on aboutirait à un film à sketches très inégal tant certaines situations ne constituent que de simples flash-backs. Il ne fait d’ailleurs aucun doute que le véritable point d’ancrage émotionnel soit le personnage de Tom Hanks, que l’on suit de sa naissance à son 4ème âge, et que les autres récits n’agissent qu’en contrepoint thématique ou philosophique. Certes, le montage par association d’idées a déjà fait les beaux jours du cinéma expérimental et surréaliste, mais tout innovateur qu’il soit, Zemeckis n’a jamais été un auteur marginal ou abscons. On peut rapprocher Here de Tree of Life de Terrence Malick, qui convoquait lui aussi des dinosaures au milieu de sa saga familiale pour mettre en perspective l’intime et l’infini univers. Mais là où Malick appliquait une forme poétique et abstraite (ésotérique ?), Zemeckis adopte une approche immédiatement compréhensible, plus directe et rationnelle pour ne pas s’aliéner le public.

Le passé, toujours présent

Here est peut-être l’ultime variation sur un thème cher à Robert Zemeckis : le temps. Dans Retour vers le futur déjà, il nous emmenait 30 ans en arrière pour montrer comment les lieux, les codes et les mentalités avaient évolué. Dans Forrest Gump, le personnage est l’arbre qui cache la forêt : certains reprochent au film sa candeur toute américaine mais c’est aussi la chronique parfois mordante, parfois désabusée de 40 d’histoire américaine pas toujours glorieuse. Marty et Forrest sont des protagonistes constants dans des environnements changeants. Dans Here, bien que le passage du temps soit à nouveau l’axe principal, le point de vue semble inversé : c’est l’Univers qui regarde les personnages évoluer. A vouloir condenser l’histoire entière d’une famille sur deux générations, Zemeckis et Roth recourent à certaines facilités scénaristiques pour nous tirer quelques larmes, mais les événements qu’ils choisissent de raconter sont volontairement génériques pour parler au plus grand nombre (première rencontre amoureuse, grossesse, naissance, dispute, rêves déçus, décès, vieillissement). On pourrait ainsi reprocher le caractère trop consensuel et lisse du mélodrame, mais le plan final n’évoque sans doute pas par hasard le celui qui ouvrait Tout ce que le ciel permet de Douglas Sirk, le roi du mélodrame domestique hollywoodien. Sous la surface se cachent des saillies plus critiques (voir l’époque à laquelle les premiers occupants de couleur peuvent enfin s’offrir cette maison cossue et les recommandations qu’ils font à leur fils). On retrouve également la volonté de mêler petite et grande Histoire déjà observée dans le scénario de 1941, co-signé par Zemeckis pour Steven Spielberg en1979. Le temps passe aussi vite dans la vie qu’à l’écran et Zemeckis n’a plus 20 ans depuis longtemps : il livre ici une œuvre lui permettant à nouveau d’innover techniquement et narrativement, mais aussi empreint de sagesse et de bienveillance, une histoire sans antagoniste sinon la Grande Horloge elle-même, avançant sans état d’âme ni cruauté mais n’épargnant personne. Le temps passe, une vie s’écoule et la mémoire collective n’en retiendra pas tous les faits. Mais pour chacun d’entre nous, les moments et les petits riens partagés avec les personnes qui nous accompagnent représentent TOUT. Et en écoutant le thème d’Alan Silvestri durant le générique, c’est avec l’idée bouleversante d’une vie bientôt oubliée mais dont la valeur de chaque instant vécu ne fait aucun doute que nous laisse Here.

 

 © Jérôme Muslewski


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NIGHT TEETH (2021)

Un étudiant sans le sou accepte de remplacer son frère chauffeur de taxi le temps d’une nuit, mais la vraie nature de ses clientes va se révéler mortelle…

NIGHT TEETH

 

2021 – USA

 

Réalisé par Adam Randall

 

Avec Jorge Lendeborg Jr, Lucy Fry, Sydney Sweeney, Alfie Allen, Raúl Castillo, Debbie Ryan, Alexander Ludwig, Megan Fox

 

THEMA VAMPIRES

De Alfie Allen (Game of Thrones) à Sydney Sweeney (Euphoria), en passant par Jorge Lindeborg Jr (Spider-man : Homecoming, Bumblebee et Alita : Battle Angel), cette pure production Netflix bénéficie d’un casting de jeunes et beaux acteurs déjà bien expérimentés, naviguant entre grosses productions et séries à succès. Le réalisateur Adam Randall a quant à lui déjà signé le sympathique I Boy pour la plateforme, un récit de SF stylisé avec à l’affiche Maisie Williams (Game of Thrones). Confortablement dotée d’un budget d’environ 21 millions de dollars, cette variation vampirique peut compter sur des effets spéciaux et des maquillages convaincants et une image travaillée, dans les décors nocturnes de Los Angeles et de la Nouvelle Orléans. Clairement plus intéressé par l’opportunité de filmer le plus esthétiquement possible les pérégrinations de ses héros que par son histoire, Adam Randall nous embarque donc à bord du taxi – ou du moins du VTC – conduit par Benny (Jorje Lenderbotg Jr), étudiant fauché, remplaçant au pied levé son frère Jay (Raúl Castillo) pour une course qui va s’avérer plus que mouvementée. Accueillant à son bord Blaire (Debbie Ryan) et Zoe (Lucy Fry), deux jeunes femmes aussi séduisantes que mystérieuses, notre apprenti chauffeur va vite découvrir un monde noctambule qui lui était totalement inconnu, un monde dangereux et peuplé de créatures assoiffées de sang.

Alors qu’entre lui et Blaire se développe une forme de séduction et d’attraction mutuelle, Benny va devoir défendre chèrement sa vie face à Zoe et surtout face à l’impitoyable Victor (Alfie Allen), véritable parrain d’une mafia vampirique tentaculaire qui règne par la terreur sur la Cité des Anges… Visuellement abouti, Night Teeth baigne dans une photographie particulièrement léchée que l’on doit à Eben Bolter, très à son aise dans les restitutions nocturnes et déjà à l’œuvre dans I Boy. Grâce à une réalisation fluide souvent inspirée et d’une ambiance eighties, l’esthétique voulue par Adam Randall est incontestablement réussie. Mais cette minutie apportée à la stylisation de son récit en masque mal les défauts flagrants : son histoire de vampires manque cruellement de vampires. Ou plutôt de sang, ce qui est un comble pour ce genre précis. Les scènes de combat ou impliquant une attaque des créatures de la nuit sont tout simplement éludées par le montage, les reléguant au rang d’ellipses, ne montrant au mieux que les conséquences.

Ellipses lunaires

D’où la naissance chez le spectateur d’une certaine frustration, car le récit préfère s’attarder sur l’histoire d’amour balbutiante entre Blaire et Benny, délaissant l’action au profit de cet enjeu bien peu palpitant. Un choix donc curieux, qui aurait pu être intéressant si l’on avait eu droit également à un peu plus d’action et d’horreur, même si dans le dernier tiers et jusqu’au dénouement final, la réalisation s’emballe un peu, nous donnant sur la fin une belle séquence de pure bravoure. Dépourvu de séquences réellement saignantes, Night Teeth conjugue malheureusement assez mollement ses intrigues principales et secondaires mais suscite néanmoins l’intérêt et la sympathie grâce au trio de protagonistes pleins de charme, il faut bien l’avouer. Les performances des guest sont plutôt inégales et leur présence reste anecdotique, même si retrouver Megan Fox ou Woody Harrelson fait toujours plaisir. Les talents combinés d’Adam Randall et d’Eben Bolter font de ce film de vampires bien trop édulcoré un exercice de style formellement assez sexy, mais quelques litres d’hémoglobine supplémentaires n’auraient pas gâché l’expérience, bien au contraire.

 

© Christophe Descouzères


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MYSTERIOUS MUSEUM (1999)

Un frère et une sœur passent à travers un tableau ensorcelé dans un musée et se retrouvent 300 ans dans le passé, traqués par un sorcier…

MYSTERIOUS MUSEUM / SEARCH FOR THE JEWEL OF POLARIS: MYSTERIOUS MUSEUM / NIGHT AT THE MAGIC MUSEUM / THE MAGIC MUSEUM

 

1999 – USA

 

Réalisé par David Schmoeller

 

Avec A.J. Trauth, Brianna Brown, Megan Lusk, Michael Lee Gogin, John Duerler, Adrian Neil, David Schmoeller, Eugen Cristea, Alexandru Bindea

 

THEMA VOYAGES DANS LE TEMPS I SORCELLERIE ET MAGIE I SAGA CHARLES BAND

Dans les années 80, David Schmoeller avait réalisé quelques œuvres phare des productions Empire Pictures et Full Moon Entertainment, notamment Tourist Trap, Fou à tuer ou le tout premier opus de la longue saga Puppet Master. Après Le Royaume secret, sa première incursion dans les films pour enfants du label Moonbeam, il enchaîne avec Mysterious Museum qui reprend peu ou prou les mêmes ingrédients. Le film est conçu en partie pour pouvoir recycler le village médiéval construit au Castel Studio de Bucarest et déjà utilisé dans plusieurs productions de Charles Band comme Contes macabres : la reine du château, Medieval Park ou Excalibur Kid. Réalisé en 1999 sous le titre Search For the Jewel of Polaris, ce petit « direct to video » est ressorti depuis sous de nombreux titres alternatifs et avec une nouvelle jaquette cherchant à capitaliser sur le succès de La Nuit au musée, quitte à montrer des choses qui ne sont pas du tout présentes dans le film (comme des dinosaures, un vieux galion ou une créature bizarre aux vagues allures de crustacé).

Le prologue nous fait découvrir Falco (Adrian Neil), un sorcier maléfique qui convoite le tout puissant joyau magique de Polaris. Mais le magicien Darbin (Eugen Cristea) a réussi à cacher la pierre et jette un sort à Falco et ses hommes, les figeant pour toujours dans une peinture. Le temps d’un flash-forward, nous voilà en 1999. Chargée bien malgré elle de surveiller son frère adolescent Ben (A.J. Trauth) et sa petite sœur Casey (Megan Lusk), Kim (Brianna Brown) les emmène dans le musée où elle travaille dans l’espoir qu’ils se tiennent à carreau. Or c’est justement dans ce musée qu’est accroché le fameux tableau dans lequel Falco a été enfermé. La soirée devenant orageuse, chargée d’une énergie électrique surnaturelle, Kim et Ben se retrouvent soudain aspirés par un autre tableau, qui représente un village de l’an 1632. Les voilà ramenés plusieurs siècles en arrière. Le seul moyen pour eux de regagner leur époque est de retrouver le joyau de Polaris. Mais Falco, qui a réussi à s’échapper de la peinture de Darbin, veut aussi mettre la main sur la pierre précieuse…

Sympathique et anecdotique

Les premières minutes du film nous surprennent agréablement, grâce à une direction artistique soignée. Les décors, les costumes, le travail sur la lumière crédibilisent ce prologue au cours duquel Falco se fait tirer le portrait avec ses hommes par une sorte d’émule de Leonard de Vinci (en réalité Darbin avec une fausse barbe). Mais le reste du métrage n’est pas toujours à la hauteur, et l’on sent bien que Schmoeller, malgré sa bonne volonté, ne peut guère faire de miracles. L’intrigue se résume en effet à peu de choses, le rythme n’est pas très soutenu et les acteurs se révèlent moyennement convaincants. On se distrait donc comme on peut, via les pouvoirs magiques de Falco (capable de miniaturiser les gens, de faire disparaître la bouche de ceux qui parlent trop à son goût, de provoquer de terribles démangeaisons) et du magicien comique incarné par John Duerler (qui transforme les gens en cochons, les assomme à distance, fait apparaître et disparaître des murs de protection, mue les chausses médiévales en paires de baskets). Les effets spéciaux font ce qu’ils peuvent (quelques trucages numériques basiques, une poignée de timides maquillages spéciaux) mais restent très limités. Un jeu de piste à la Indiana Jones tente d’égayer le dernier acte de ce conte sympathique mais très anecdotique.

 

© Gilles Penso


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LE SILENCE QUI TUE (1979)

Barbara Steele entre dans la peau d’une femme névrosée et muette dans cette histoire trouble manifestement influencée par Psychose

SILENT SCREAM

 

1979 – USA

 

Réalisé par Denny Harris

 

Avec Rebecca Balding, Cameron Mitchell, Steve Doubet, Avery Schreiber, Brad Rearden, Yvonne de Carlo, Barbara Steele

 

THEMA TUEURS

Le Silence qui tue est conçu selon une méthode pour la moins étrange. Le film est en effet tourné une première fois en 1977 par Denny Harris, réalisateur à succès de films publicitaires qui rêve depuis longtemps de se lancer dans le cinéma d’horreur. Harris finance lui-même le tournage à hauteur de 450 000 dollars et utilise ses propres studios pour plusieurs décors, heureux de pouvoir porter à bout de bras ce projet indépendant. Hélas, le résultat est jugé décevant et inexploitable. Le réalisateur décide alors de s’appuyer sur le savoir-faire de Jim et Ken Wheat (futurs scénaristes de Le Cauchemar de Freddy, La Mouche 2 et Pitch Black) pour améliorer son récit. N’y allant pas par quatre chemins, les frères Wheat pensent qu’il est nécessaire de refilmer la majeure partie du film et de remplacer la quasi-totalité du casting. Si les acteurs qui incarnaient les étudiants reviennent tourner leurs séquences, Yvonne De Carlo (Les Dix Commandements), Barbara Steele (Le Masque du démon), Cameron Mitchell (La Foreuse sanglante) et Avery Schreiber (Airport 80 Concorde) viennent donc remplacer ceux qui jouaient leurs personnages à l’origine. Finalement, seules douze minutes du tournage initial seront conservées dans Le Silence qui tue.

Scotty Parker (Rebecca Balding), étudiante en Californie du Sud, cherche à la dernière minute une chambre pour le semestre d’automne. Elle est dirigée vers une pension de famille tenue par la taciturne et silencieuse Mme Engels (Yvonne de Carlo), un manoir victorien situé sur une falaise surplombant l’océan Pacifique. Mme Engels vit dans la maison avec son fils adolescent introverti et étrange, Mason (Brad Rearden), et plusieurs autres étudiants, dont Doris (Juli Andelman), Peter (John Widelock) et Jack (Steve Doubet). L’iconique Barbara Steele n’intervient qu’au bout d’une heure de métrage dans le rôle d’une femme psychotique et muette (ses séquences ayant été tournées en quatre jours seulement). Un vieux secret de famille semble hanter les lieux et peser sur le destin de ses habitants, et l’ombre de Psychose rôde ouvertement sur cette intrigue, d’autant que les meurtres au couteau commencent à frapper les protagonistes, la musique de Roger Kellaway se laissant volontiers inspirer par les célèbres coups de violons de Bernard Herrmann.

Terreur muette

Si le mystère plane sur l’identité du coupable de ces assassinats, selon le principe éprouvé du « whodunit », c’est surtout la prestation de Barbara Steele qui retient l’attention dans Le Silence qui tue. Déguenillée, le regard fou, le geste syncopé, la névropathe qu’elle incarne écoute de vieux standards sur son tourne-disque, recroquevillée sur son lit et contre une poupée à laquelle elle s’agrippe comme une bouée de secours. Dans le rôle de cette femme-enfant tourmentée et muette, vecteur paradoxal de fragilité et de terreur, la reine du cinéma horrifique italien des années 60 s’avère franchement inquiétante, sa beauté s’évaporant presque sous un masque rigide de dureté et de folie. Peu confiants dans les résultats au box-office du premier long-métrage de Denny Harris, les distributeurs ne lui offrent d’abord qu’une sortie limitée en novembre 1979. Mais l’accueil enthousiaste que lui réserve le public les pousse à en tirer de nombreuses autres copies pour élargir son exploitation en salles. La manœuvre est habile : Le Silence qui tue sera l’un des films d’horreur indépendants les plus rentables de la fin des années 70.

 

© Gilles Penso


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L’ÉTRANGE CAS DEBORAH LOGAN (2014)

Le tournage d’un documentaire consacré à la vie d’une femme atteinte de la maladie d’Alzheimer bascule dans l’horreur…

THE TAKING OF DEBORAH LOGAN

 

2014 – USA

 

Réalisé par Adam Robitel

 

Avec Jill Larson, Anne Ramsay, Michelle Ang, Brett Gentile, Jeremy DeCarlos, Ryan Cutrona, Tonya Bludsworth, Anne Bedian, Randell Haynes, Jeffrey Woodard

 

THEMA DIABLE ET DÉMONS

En 2014, le « found footage » n’est plus une nouveauté depuis longtemps. Cannibal Holocaust a ouvert le bal en 1980, C’est arrivé près de chez vous a relancé les hostilités en 1992, Le Projet Blair Witch a popularisé le gimmick en 1999, puis [Rec], Diary of the Dead et Cloverfield ont transformé le procédé en phénomène de mode qui a fini par perdre peu à peu de son impact et de son caractère novateur. Il était légitime de s’interroger sur l’intérêt de s’adonner une nouvelle fois à cette technique narrative usée jusqu’à la corde pour mettre en scène un énième faux reportage. Pour son premier long-métrage, Adam Robitel s’engouffre pourtant dans la brèche et nous prend agréablement par surprise. Sans révolutionner le genre, le réalisateur tire parti avec une belle virtuosité de son postulat de départ, ancré dans un contexte très réaliste, pour mieux s’acheminer pas à pas vers le surnaturel le plus exubérant. Confiant dans le potentiel de cet Étrange cas Deborah Logan, Bryan Singer accepte d’en être le producteur via sa compagnie Bat Hat Harry Productions. Le budget alloué au film reste raisonnable – environ 1 500 000 dollars -, mais il n’en faut pas plus à Robitel pour mettre en image l’histoire qu’il a co-écrite avec Gavin Heffernan, futur scénariste de deux opus de la franchise Paranormal Activity. Dans ce genre d’exercice de style, l’économie de moyens aurait même tendance à jouer en faveur du résultat final.

C’est la réalisation d’un documentaire consacré à la maladie d’Alzheimer qui sert de prétexte aux prémices du film. La réalisatrice Mia (Michelle Ang), l’ingénieur du son Gavin (Brent Gentile) et le cameraman Luis (Jeremy DeCarlos) parviennent à convaincre Deborah Logan (Jill Larson), atteinte des premiers stades de cette sénilité dégénérative, et sa fille Sarah (Anne Ramsay) de s’immiscer dans leur quotidien et de placer des caméras un peu partout dans leur maison pour tourner un film sur le sujet, en échange d’une somme d’argent conséquente. Harris (Ryan Cutrona), voisin et ami de la famille, voit d’un mauvais œil l’arrivée de ces intrus. Mais Sarah sait que cette contrepartie financière serait bénéfique, et sa mère accepte dans la mesure où le documentaire a des vertus éducatives. Plus la petite équipe filme la vie diurne et nocturne de Deborah Logan, plus celle-ci se met à adopter un comportement étrange. Visiblement, la maladie est en train de prendre une forme de plus en plus agressive. À moins qu’il ne s’agisse d’autre chose ?

Dégénérescence

L’excellente interprétation de la petite troupe d’acteurs menée par Adam Robitel est le premier atout majeur de film, sans lequel toute crédibilité s’effondrerait comme un château de cartes. Le naturalisme des comédiens est en effet la condition sine qua non d’un found footage réussi. Tandis que le film avance, il devient clair que les symptômes de Deborah Logan dépassent allègrement ceux de la maladie d’Alzheimer pour révéler quelque chose de beaucoup plus inquiétant. Les médecins de l’hôpital voisin qui l’auscultent régulièrement cherchent forcément une explication rationnelle. « Changement de voix, automutilation, désappropriation du corps, autant de signes de schizophrénie » avance ainsi l’un des docteurs. Mais les spectateurs qui connaissent L’Exorciste sur le bout des doigts pensent forcément à une cause plus surnaturelle. Le diable finit en effet par s’immiscer dans ce huis-clos anxiogène, ou du moins l’esprit maléfique insidieux d’une créature qui transforme peu à peu le tournage de nos trois vidéastes en véritable cauchemar. Le stress monte donc sans cesse d’un cran jusqu’à un climax oppressant situé dans une caverne souterraine, avec comme point d’orgue une vision brève horriblement surréaliste qui fit tant d’effet à l’époque que l’image fut partagée abondamment sur les réseaux sociaux. Bref, voilà une jolie réussite qui mit le pied à l’étrier de Robitel. Celui-ci persista dans le genre, mais hélas de manière plus routinière, comme en témoignent Insidious : la dernière clé, Escape Game et Escape Game 2.

 

© Gilles Penso


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TIMESLINGERS (1999)

Deux adolescents se retrouvent propulsés en plein Far West et doivent sauver la vie de deux créatures extra-terrestres en perdition…

ALIENS IN THE WILD WILD WEST / TIMESLINGERS

 

1999 – USA

 

Réalisé par George Erschbamer

 

Avec Taylor Locke, Carly Pope, Barna Moricz, Markus Parilo, Gerry Quigley, Gloria Slade, George Olie, Ovidiu Bucurenciu, Marcel Cobzariu, Marius Florea Vizante

 

THEMA EXTRA-TERRESTRES I SAGA CHARLES BAND

À partir du milieu des années 90, le producteur Charles Band se lance dans une discipline singulière : le western de science-fiction roumain ! Pour les besoins du diptyque Oblivion et Oblivion 2, il fait en effet construire une ville de Far West sur les plateaux extérieurs de Castel Studio, à Bucarest, puis décide d’amortir ce décor en variant les plaisirs, en initiant par exemple le western érotico-futuriste Petticoat Planet ou le conte fantastique Phantom Town. C’est en suivant la même logique de recyclage qu’est lancée la production de Timeslingers, d’abord connu sous son premier titre Aliens in the Wild Wild West. Le concept ? Une sorte de mélange invraisemblable entre E.T. et Retour vers le futur 3. Le scénario est confié à Alon Kaplan, créateur de la série Thrills, et la mise en scène à George Erschbamer. Réalisateur d’épisodes de séries TV et de téléfilms depuis la fin des années 80, pilier de la série Supercopter, ce dernier démarra sa carrière dans le domaine des effets spéciaux en participant à des films aussi variés que Rambo, Le Ruffian, Le Guerrier de l’espace, Iceman, Runaway ou Rocky IV.

Sara et Tom Johnson (Carly Pope et Taylor Locke) sont deux adolescents désœuvrés, souvent en conflit avec leur famille. Tom passe son temps à filmer et commenter tout ce qu’il fait avec son caméscope, tandis que Sara multiplie les mauvaises fréquentations et finit souvent ses soirées au poste de police. Pour resserrer les liens familiaux, leur père (Mircea Constantinescu) décide de les emmener en vacances dans une ville fantôme du vieil Ouest. Dès leur arrivée, le frère et sa sœur découvrent un appareil étrange sous le plancher du bureau du shérif. Cet objet les transporte subitement à la fin des années 1800, où ils assistent au crash d’une soucoupe volante. En explorant le vaisseau échoué, ils découvrent un petit extra-terrestre qui, grâce à un appareil de traduction instantanée, peut communiquer avec eux. L’alien leur révèle que sa mère a été capturée par des habitants cupides et enfermée dans une prison, où elle risque de mourir si elle n’est pas secourue à temps. Aidés d’un cow-boy sympathique, Johnny Coyle (Barna Moricz), Tom et Sara décident de tout mettre en œuvre pour sauver l’extraterrestre et sa mère, avant que le temps ne s’écoule et que le portail temporel ne les ramène à leur époque.

E.T. le kid

Au début, nous sommes prêts à nous prendre au jeu. Le ton léger du film, son humour frais, sa description décomplexée d’une famille au bord de la rupture créent une sympathique connivence avec le spectateur. Certes, avec la meilleure volonté du monde et malgré une bande originale mi-rock mi-blues, le réalisateur a bien du mal à faire passer les routes nationales roumaines pour des highways californiennes. Pour autant, l’entame fonctionne à peu près et lorsque nos jeunes héros basculent dans le passé, force est de constater qu’Erschbamer tire parti du mieux qu’il peut du décor et de l’importante figuration costumée à sa disposition. Hélas, les choses finissent assez vite par se gâter, Timeslingers se muant lentement mais sûrement en nanar pur et dur. L’OVNI en images de synthèse bâclées passe encore. Mais quand les extra-terrestres conçus par Gabe Bartalos (Frère de sang, Elmer le remue-méninges) montrent le bout de leur nez, rien ne va plus. La « maman » ressemble à une grosse peluche au faciès de yéti et aux oreilles pointues (maladroitement interprétée par un acteur étouffant dans un costume mal-fichu). Quant au rejeton, c’est une imitation bas de gamme de E.T. recouverte de poils. D’ailleurs toute l’histoire finit par se résumer à une sorte de relecture de E.T. au Far West : le petit alien est perdu sur Terre, il veut rentrer chez lui, les enfants le cachent aux adultes… Les acteurs étant globalement médiocres, la mise en scène très télévisuelle et l’intrigue bien peu palpitante, l’intérêt de Timeslingers est tout relatif. Dans le rôle de Sara, la jeune Carly Pope sort tout de même du lot. Elle poursuivra d’ailleurs une carrière assez florissante à la télévision et au cinéma.

 

© Gilles Penso

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